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JEAN DUJARDIN

Du café-théâtre aux oscars,l’itinéraire d’un « gars normal »

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Samuel Mayrargues

JEAN DUJARDINDu café-théâtre aux oscars,

l’itinéraire d’un « gars normal »

Biographie

Balland

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© Balland Éditeur, 2012130, rue de Rivoli

75001 ParisISBN : 978-2-35013-350-8

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Introduction

La semaine des cinq oscars

Jadis préposé aux portraits ampoulés desgrandes vedettes de Hollywood, le ministrefrançais de la Culture Frédéric Mitterrand aadmis s’être endormi devant son poste de télévi-sion aux premières heures du 27 février 2012.Il a de la sorte raté l’annonce à 5 h 08 (heurefrançaise) par Natalie Portman, égérie de Dior,depuis le Kodak Theater de Los Angeles, del’attribution de l’oscar du meilleur acteur à soncompatriote Jean Dujardin. Il ne l’a donc pasvu grimper sur scène, recevoir sa statuette desmains de Robert De Niro 1 et remercier lesmembres de la cérémonie d’un très sonore et

1. Lequel avait présidé le festival de Cannes 2011 durantlequel Dujardin reçut le prix d’interprétation masculine pourson rôle dans The Artist.

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très rabelaisien : « Ouah, putain, génial, formi-dable, merci beaucoup, I love you 1 ! »

On peut comprendre l’assoupissement del’occupant de la rue de Valois. La grand-messeannuelle du cinéma mondial se déroule selon unrituel immuable. Elle fait la part belle auxrécompenses mineures ou considérées commetelles avant que ne soient couronnés les véri-tables héros de la soirée, les gagnant(e)s desoscars du meilleur réalisateur, du meilleuracteur, de la meilleure actrice et du meilleurfilm, les seuls dont on se souvient des annéesaprès. Le ministre en était donc resté à l’oscarde la meilleure musique, attribué à LudovicBource pour la bande originale de The Artist,mélodie que son caractère apparemment sopo-rifique déconseille d’installer comme sonneriesur les téléphones portables. Il n’a pu être letémoin direct de la « semaine des cinq oscars »du cinéma français 2 même s’il s’est par la suiterattrapé en multipliant les déclarations etcommuniqués, allant même jusqu’à affirmer

1. À l’exception des trois derniers mots, tout était dit enfrançais, ce qui évita au lauréat de voir le « putain » êtrecouvert par un bip sonore.

2. Le film a obtenu l’oscar du meilleur réalisateur (MichelHazanavicius), du meilleur film (Thomas Langmann), du meil-leur acteur (Jean Dujardin), de la meilleure musique (LudovicBource) et des meilleurs costumes (Mark Bridges).

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que c’était à la très contestée loi Hadopi que lefilm devait son triomphe 1.

À l’instant où Natalie Portman déchirait latraditionnelle enveloppe cachetée, JeanDujardin ne songeait sans doute pas à ce texte.L’estomac noué, le cœur battant, il se trouvaitdans la situation de l’accusé d’antan attendantque le juge prononce la sentence l’expédiantaux galères ou à l’échafaud. Il n’était point leseul en lice et avait affaire à des concurrentsredoutables, notamment George Clooney etBrad Pitt, que leur talent tout autant que leurnationalité plaçaient parmi les possibles réci-piendaires de la statuette.

Il n’a eu de cesse de le répéter, en formed’exorcisme a posteriori, dans les multiplesdéclarations faites à la presse – en entendant sonnom, il a eu comme le sentiment d’une déli-vrance : « J’avais la sensation très physique depeser 350 kg, vraiment ! Je suis sorti de moncorps. Cela a duré trois secondes. Puis on selève, le corps très engourdi réagit enfin. J’avais

1. Ce ne fut pas la seule intrusion de la politique dans cetteaffaire. Un député UMP suggéra ainsi que la proposition ducandidat socialiste François Hollande de taxer à 75 % lesrevenus supérieurs à 1 million d’euros par mois pénaliserait enpremier lieu Jean Dujardin…

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très envie de rester sur scène très longtemps.Cela doit être de vieux réflexes de théâtre 1. »

Sans doute a-t-il éprouvé un formidable soula-gement, l’impression d’avoir triomphé de l’adver-sité mais, aussi et surtout, d’avoir su déjouer lesproblèmes de dernière heure qui auraient pucontrarier son couronnement. Ainsi, cettecampagne contre les affiches de son prochainfilm, Infidèles, jugées dégradantes pour lesfemmes par l’Autorité de régulation profession-nelle de la publicité, organisme français faisantdésormais siennes, avec quelques décennies deretard, les recommandations du défunt HaysOffice, le bureau de censure de Hollywood, pourlequel, dans toute scène filmée où un coupledialogue, assis sur un canapé ou sur un lit, lespieds de la comédienne doivent rester forcémenten contact avec le sol 2. Or, sur l’une des affichesconcernées, les pieds de la comédienne netouchaient pas précisément le sol… De quoiprovoquer un beau scandale si les médias améri-cains avaient eu connaissance de ce fait. Enmatière d’infidélité, les Frenchies avaient suffisam-ment fait parler d’eux outre-Atlantique en 2011avec les rocambolesques aventures de DSK au

1. Cité par Olivier Delcroix, « Une folle nuit à Holly-wood », Le Figaro, 28 février 2012.

2. Cf. Edward Behr, Une Amérique qui fait peur, Plon, 1995,p. 38.

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Sofitel de la Grande Pomme qui lui avaient coûtéson poste de Directeur général du Fonds moné-taire international et sa désignation commecandidat socialiste à l’Élysée. La productionpréféra retirer l’objet du délit, laissant à JeanDujardin le soin de s’en tirer par une pirouettelors d’une conférence de presse à Rennes : « On“peopolise” les choses, on se dit : “Est-ce que çapourrait lui coûter son oscar ?” Les Américainssont plus ouverts que ça. » Ouverts, certes, maisdeux précautions valant mieux qu’une, l’autocen-sure fit son office sans que nul n’y trouvât à redire.

Rétrospectivement, le lauréat de l’oscar nepouvait que se féliciter de cette sage prudenceet, de surcroît, se réjouir aussi de ce que lesYankees n’aient pas eu vent d’une scène d’Infi-dèles retirée au montage. On le voyait jouer unbellâtre en goguette en compagnie de samaîtresse à New York qui mentait placidementau téléphone à sa femme en lui assurant« Oui, oui, ma chérie, tout va bien », cependantqu’en arrière-plan, en ce matin supposé du11 septembre 2011, un avion s’encastrait dansl’une des tours jumelles du World Trade Center.Révélée dans Le Point par Emmanuel Berretta 1,

1. Cf. Emmanuel Berretta, « Les Infidèles : ce que JeanDujardin a planqué aux Américains », Lepoint.fr, 29 février2012.

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cette coupe était loin d’être anodine : « JeanDujardin et ses amis coproducteurs n’ont pasvoulu prendre le risque de choquer outre-Atlan-tique. On peut penser que leur prudence n’étaitpas inutile tant le match pour l’oscar avecGeorge Clooney était serré 1. » Là encore,prudence était mère de sûreté. Aux « States »,le « 11 septembre » est un sujet aussi tabou quela Shoah en Europe et il ne fait pas bonplaisanter avec.

L’oscar consolait en tous les cas JeanDujardin de la déception qu’il avait éprouvée,quarante-huit heures plus tôt, lors d’une autregrand-messe du cinéma, la cérémonie des césarsau théâtre du Châtelet à Paris, dont lui, à défautde son film, était reparti bredouille. Le césar dumeilleur acteur avait été en effet attribué àOmar Sy pour son interprétation dans Intou-chables, l’autre grand succès du cinéma françaisen 2011, qui rafla, ce soir-là, la plus grandepartie des récompenses. Contrairement àThe Artist, le film n’était pas, encore, en licepour les oscars 2. Une campagne de presse avaitd’ailleurs été déclenchée contre lui aux

1. Cf. « Les Infidèles : une scène sur le 11 septembre coupéepour ne pas nuire à Jean Dujardin », Express.fr, 1er mars 2012.

2. La rumeur veut que Harvey Weinstein, dont nous repar-lerons et qui fut le principal artisan du triomphe de The Artistà Hollywood, envisage de récidiver avec Intouchables.

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États-Unis, notamment par le magazine VanityFair, pour dénoncer en lui un remake, à la modefrançaise, de La Case de l’Oncle Tom, best-seller de la littérature abolitionniste américainedu XIXe siècle. C’était là une accusation sansfondement dont les 3 900 jurés des césarsentendaient faire justice en récompensant lesindéniables qualités de comédien d’Omar Sy etle message du film, l’éloge de l’amitié entre unriche paralytique blanc et un jeune issu d’unebanlieue défavorisée. Les 3 900 jurés des césarsse donnaient-ils de la sorte préventivementbonne conscience en une année marquée par laprogression dans les sondages de Marine LePen plutôt que de réagir en professionnels duseptième art ? Car Intouchables, qu’on le veuilleou non, n’a pas la qualité de The Artist. Maisc’est ainsi : la France, patrie des droits del’homme et du citoyen, aime la diversité dansles arts.

Bien entendu, les intéressés ont une autreexplication, complaisamment relayée parcertains journaux. Ils auraient voulu signifierde la sorte à leurs homologues d’outre-Atlantique : « Messieurs les Américains, tirez lespremiers ! » Il aurait été donné pour acquiset surtout su que l’oscar reviendrait à JeanDujardin, ce qui dispensait ses compatriotes

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de l’honorer… Et de menacer ses chances deremporter la fameuse statuette.

L’argument est séduisant, d’autant que ledépouillement manuel des votes à l’AMPAS 1

fait que le résultat est obtenu bien avant que lescésars n’aient été attribués. On peut supposerqu’il y avait dans ce vote comme une manifes-tation de mauvaise humeur ou d’agacementcontre les éloges dont la critique, rompant avecses habitudes, avait accablé Jean Dujardin, audétriment d’autres participants au film, enparticulier Bérénice Béjo. Ce n’est nullement unhasard si le césar de la meilleure actrice, large-ment mérité, lui fut attribué, ceux du meilleurréalisateur et du meilleur film allant à MichelHazanavicius et Thomas Langmann. Dans LePoint, François-Guillaume Lorrain, l’un despremiers à avoir repéré Jean Dujardin dès sesdébuts à l’écran, n’a pas tort d’évoquer une« atavique méfiance franco-française du tropconnu 2 ». Jean Dujardin fait partie de cesartistes maudits auxquels on a du mal àpardonner leur popularité et leur talent multi-forme, quitte à leur tresser ensuite d’innom-brables couronnes lorsqu’ils ne sont plus de ce

1. Academy of Motion Picture Arts and Sciences, qui orga-nise et gère les oscars.

2. Cf. François-Guillaume Lorrain, « Dujardin et lesjaloux », Le Point, 1er mars 2012.

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monde. Ce fut le cas par exemple d’un Bourvilou des joyeux compères des Tontons flin-gueurs, désormais devenu un film culte, encensépar toute l’intelligentsia germanopratine, maisdont on oublie trop souvent qu’il fut, à sa sortie,descendu en flammes par les critiques, dumoins par ceux qui ne jugèrent pas indignes deleur rang de lui consacrer une notice venge-resse. Le phénomène a perduré jusqu’à nosjours. Dans certains journaux, on ne tient entrès haute estime que les films ayant moins decent spectateurs en salle. Tout le reste est consi-déré comme une vaine concession à l’espritmercantile.

Peu importe que les faits viennent donnertort à ces savantes analyses et que les téléspec-tateurs aient l’impudence de préférer à ceschefs-d’œuvre des productions commeL’extraordinaire destin d’Amélie Poulain ou LePère Noël est une ordure, film qu’un journalistedu Quotidien de Paris décréta jadis être uneœuvre « néo-fasciste et profondément nauséa-bonde 1 ». La France est un pays où les élitesbattent régulièrement leur coulpe avant deretomber dans les mêmes erreurs.

1. Josiane Balasko s’en vengea à sa manière en inventant,dans Nuit d’ivresse, le personnage du critique Ben Moumoudont les oreilles sont sectionnées.

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Les éloges dont on couvre aujourd’hui demanière quasi unanime Jean Dujardin nepeuvent faire oublier le discrédit dont il souf-frit longtemps dans les médias. Les réunions desservices « Culture » des principaux hebdoma-daires ou quotidiens fournissent à ce sujet unlot d’anecdotes inépuisable. Jusqu’en 2011,un journaliste devait avoir une bonne dosed’inconscience ou de solides positions découra-geant toute mesure de rétorsion pour oserproposer un papier sur lui ou sur certaines deses prestations, notamment dans Brice de Niceou dans Lucky Luke. C’était comme suggérer àune assemblée de théologiens avertis de discuterde la notion de libre arbitre dans l’œuvre de SanAntonio. Au pis, les patrons de ces rubriquesprenaient un air pincé et laissaient entendreque, dans leur omniscience proverbiale, ilsn’ignoraient point que le susdit personnageavait attiré des dizaines et des dizaines demilliers de téléspectateurs lors de la diffusion,à la télévision, d’Un gars, une fille, cette sérieprécédant le sacro-saint journal télévisé de20 heures. Voilà ce que le public réclamaitplutôt que d’attendre patiemment la diffusionsur Arte de la grande enquête sur la persécutiondes transsexuels unijambistes dans le Bas Berryau XIVe siècle. À tout péché miséricorde, ce qui

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ne justifiait pas pour autant de s’en préoccuperplus avant.

Au mieux, certains poussaient la fausseimpartialité jusqu’à faire remarquer qu’ilsavaient vu l’intéressé dans Contre-enquête, Ca$hou Le bruit des glaçons et à déplorer qu’un teltalent s’abaissât à préférer des rôles alimen-taires à de rares et précieuses, à défaut d’êtrerentables, apparitions de qualité sur les écrans.Sans avoir l’assurance qu’elles lui vaudraientpour autant leurs faveurs. Il suffit pour cela dese rappeler du dédain avec lequel la critiquejugea la participation de Jean Dujardin au filmde Nicole Garcia, Un balcon sur la mer, unechronique douce et amère de la « nostAlgérie »,un thème très fécond. Télérama, sous la plumede Juliette Bénabent, s’empressa de jubiler :« Jean Dujardin rate sa conversion en acteurtragique », ce que le million de spectateurs dufilm eut le mauvais goût de ne pas juger exact…

Mal aimé de la profession, Jean Dujardin l’estassurément au point que nul n’a songé jusqu’ici,en dépit de ses indéniables succès, à lui consa-crer une biographie. Ce ne fut pas la moindrede mes surprises au lendemain de la cérémoniedes oscars quand il me vint l’idée de réaliserenfin un projet auquel je réfléchissais depuisquelque temps, lui consacrer un ouvrage tantil me paraissait assez emblématique des

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mentalités françaises et de son époque. Enconsultant Internet, je m’aperçus rapidementqu’il n’existait qu’un seul livre, une compila-tion des fiches le concernant sur Wikipedia 1,phénomène pour le moins singulier en unepériode où les éditeurs ne dédaignent pas deconsacrer des ouvrages aux vedettes éphémèresdes émissions de téléréalité ou à Justin Bieber,chanteur à mèche âgé de 15 ans.

Visiblement, il n’était pas « bankable »auprès des éditeurs pas plus qu’il ne l’avait étéauprès des producteurs à certains moments clésde sa carrière, notamment lorsque lui et son amiMichel Hazanavicius conçurent le projet enapparence fou de tourner un film muet,essuyant alors les refus ou réticences qu’avait,en 1976, rencontrés Mel Brooks lorsqu’il avaitréalisé La dernière folie de Mel Brooks, l’histoired’un cinéaste sorti d’une cure de désintoxica-tion et tentant de persuader ses pairs de l’aiderà réaliser un film muet. Nul n’avait cherché àen savoir plus sur lui et à lui consacrer plus quequelques feuillets.

À vrai dire, Jean Dujardin en était en grandepartie responsable. Les multiples articles dont ila fait l’objet dans la presse, depuis ses débuts,

1. Cf. Marie-Annabelle Roche, Jean Dujardin, Itinéraire d’unartiste pas comme les autres, Fastbook publishing, 2011.

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ou les interviews qu’il a accordées, montrentqu’il est demeuré toujours très discret sur toutce qui n’a pas trait stricto sensu à l’exercice de saprofession. On n’y relève ainsi que peu d’allu-sions à sa vie privée et à son parcours, commes’il s’agissait d’un domaine où nul n’a le droitde pénétrer. Voire envie de pénétrer, puisquece que l’on devine en filigrane est somme touted’une étonnante et décourageante banalité quiinterdit les spéculations sur l’enfance malheu-reuse ou défavorisée, la lutte acharnée contre undestin contrarié ou ces faux grands malheursqui tiennent à certains de raison d’être et debriller ou de se consumer à de fallacieusesflammes.

À cela s’ajoute la manie qu’il a de saboterinconsciemment toute velléité de voir un auteurlui consacrer un opuscule. Il y a quelque chosede fascinant à le voir brouiller délibérément lespistes, passer de la comédie populaire à latragédie avant de revenir à la première, commes’il se refusait à s’installer une fois pour toutesdans un seul registre et offrir ainsi à l’auteuréventuel un fil conducteur. Il en assèned’ailleurs la preuve une fois de plus avec Infi-dèles, sorti sur les écrans la semaine même où ilrecevait son oscar pour The Artist, prenant unmalin plaisir à déconcerter le spectateur quiverrait les deux films l’un à la suite de l’autre.

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Cet ouvrage n’est donc ni une biographieautorisée, terme au demeurant détestable, niune biographie stricto sensu, dont je ne suis passûr qu’elles auraient été d’une grande utilité.C’est plutôt un portrait subjectif d’un acteur auflair exceptionnel, qui a su faire de son appa-rente banalité le ressort de son succès et de sacarrière. Un personnage en phase avec sontemps, dont chaque film – même ceux les plusfaibles aux yeux des plus exigeants – a, on leverra, un aspect sociétal prononcé en ce sensqu’il met en perspective certaines de nos inter-rogations, faiblesses, comportements ou manies,sorte de miroir dans lequel il ne fait pas toujoursbon se regarder. Un personnage auquel onpourrait au demeurant appliquer le qualificatifque se décerna, dans un autre domaine, audébut de sa campagne pour les primaires socia-listes, François Hollande, celui d’un « mecnormal », très français moyen, consensuel,presque insipide, qu’on serait bien en mal desituer sur l’échiquier politique ou intellectuel,tant il a pris grand soin, contrairement àcertains de ses pairs, de fuir toute forme d’enga-gement. À l’exception notable et peu média-tisée de sa participation, à la demande de sonami Marc Lièvremont, à la campagne pour laFondation Mouvement pour les Villages

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d’Enfants, une cause très noble mais quelquepeu secondaire par rapport à d’autres.

J’ai simplement voulu essayer de saisir quiétait au juste Jean Dujardin et ce qui se cachaitderrière ses multiples et très diverses appari-tions à l’écran, en ne perdant jamais de vue nil’irritation que provoquèrent en moi certainesde celles-ci, ni le plaisir éprouvé devantd’autres, comme son interprétation de Bambinoen arabe dans OSS 117 : Le Caire, nid d’espions,un morceau d’anthologie qui me rappelaitLili Boniche 1 et certaines soirées dans un paysd’Afrique du Nord qui ne m’est point totale-ment indifférent.

En un mot, j’ai voulu comprendre, ce qui estla mission première du journalisme, et fairepartager aux lecteurs mes constatations toutcomme mes interrogations et mes étonnements.Ni moins, ni plus.

1. Lili Boniche (1921-2008) est un chanteur juif-algérien.

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Plaisir, une localité des Yvelines, à quelqueskilomètres de Trappes et de Versailles, aurasans doute un jour une rue ou une place JeanDujardin. Cet ancien village rural, devenu aumilieu des années 1970 l’une des villes nouvellesérigées à la périphérie de Paris, aime à honorerses enfants d’adoption. Elle a ainsi donné lenom de sa salle de théâtre, installée dans lechâteau autrefois propriété de la familleLe Tellier, à Robert Manuel, ancien sociétairede la Comédie-Française qui était venu y passerla dernière partie de sa vie. Elle a toutes lesraisons d’en faire de même avec l’interprète deThe Artist.

Car c’est à Plaisir que Jean Dujardin, né le19 juin 1972 à Rueil-Malmaison, a grandi. Lessiens sont venus habiter cette localité pavillon-naire qui attire les cadres moyens et les petits

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patrons en quête d’un cadre de vie agréable.Elle réalise le rêve formulé jadis par l’humo-riste Alphonse Allais : installer les villes à lacampagne. Ancien militaire de carrière, le chefde famille, Jacques Dujardin est devenu entre-preneur 1 dans le secteur du bâtiment, unsecteur alors en pleine progression. C’est unhomme épris d’indépendance. Il se couche ainsirituellement à 21 heures alors que sa femmeattend 1 heure du matin pour le faire. Cela neles empêche pas d’être un couple profondé-ment uni, ce dont leur fils cadet s’émerveille :« Ils ont trouvé leur équilibre et sont ensembledepuis cinquante ans 2. » Les affaires du pèremarchent plutôt bien et les enfants du couple,quatre fils, connaissent une jeunesse sanshistoire. Rien à voir avec l’enfance plus chao-tique et moins souriante d’une autre star du

1. Certains le présentent comme étant un ouvrier, façon desouligner l’extraordinaire parcours de son fils. En fait, c’est unpetit patron, catégorie socio-profesionnelle moins valorisanteen terme d’image que le défunt prolétariat. Le septième artn’est pas le seul à se livrer à de curieux trafics d’origine. Long-temps, François Mitterrand se présenta dans sa notice duWho’s who comme fils de cheminot, au motif que son pèreavait été sous-chef de gare à Angoulême avant de prendre ladirection de l’entreprise de son beau-père, un notable vinai-grier de Jarnac.

2. Cf. Gilles Medioni, « Jean Dujardin, Gilles Lellouche.Salut les artistes ! », L’Express, 22 février 2012, pp. 33-35,p. 35.

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showbiz français, Jamel Debbouze, né trois ansplus tard que Jean Dujardin, qui grandit àTrappes, à dix minutes de Plaisir, dans un envi-ronnement très différent, quasiment une autreplanète.

À Plaisir, Jean Dujardin n’est pas le seulartiste en devenir, même s’il ignore tout de sonfutur métier. Une autre future star du grandécran y vit : Guillaume Canet, dont les parents,rapatriés d’Algérie, possèdent un haras près delà, haras où ils veillent sur l’un des chevaux deJean Rochefort. Du même âge, à un an près, lesdeux garçons évoluent dans un environnementidentique. Ils sont ensemble au CM1 et au caté-chisme. Ils font leur première communion dansla même paroisse. Cette proximité rend assezinsolite la pique amicale adressée par GillesLellouche, en présence de Jean Dujardin, à leurpartenaire dans Infidèles : « En fait, il [Guil-laume Canet] ressemble au Versaillais de base,il joue au cricket, court les rallyes, dansele madison 1… » Caennais d’origine, GillesLellouche prend ses distances avec un modèletrop lisse à son goût. Dujardin ne moufte pas. Iladore chambrer ses proches et il ne répugne pasà ce qu’on lui rende la pareille…

1. Cf. « Jean Dujardin, Gilles Lellouche, haute infidélité »,Première, février 2012, pp. 48-54, p. 54.

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Il est vrai qu’à l’époque Guillaume Canetsonge moins aux planches qu’aux chevaux. Foud’équitation, il envisage une carrière de cham-pion dans une discipline haut de gamme. Il vitdonc dans un univers qui n’est pas précisémentcelui de Germinal, sans être non plus celui dela grande bourgeoisie de la cité du Roi-Soleil.C’est un monde clos et fermé qui ne s’ouvreguère aux nouveaux venus, à ceux dont lesracines sont ailleurs.

Issu d’un milieu nettement moins fortuné quecelui de son futur partenaire, Jean Dujardinfréquente l’école, puis le collège et le lycée, sansy briller particulièrement ou y laisser unsouvenir impérissable. Pourtant, en matière depédagogie, sa ville d’adoption pourraitprétendre à quelques lettres de noblesse. C’estdans l’école primaire Alain-Fournier, du nomde l’auteur du Grand Meaulnes, que ClaudeBerri, père de Thomas Langmann, le produc-teur de The Artist, a tourné en 1981 Le Maîtred’école avec Coluche, un bel hommage auxhussards de la République, très loin de l’Entreles murs de Laurent Cantet primé par le festivalde Cannes.

Sur ses expériences scolaires et son enfance etadolescence, le futur lauréat de l’oscar du meil-leur acteur ne s’est guère montré disert. Il n’alaissé transparaître que ce qui était strictement

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nécessaire et contribuait à forger l’image qu’ilentendait donner de lui. Ce n’est pas celle d’unpremier de la classe. Dans L’HumanitéDimanche, Lionel Decottignies note qu’il est« plus brillant à collecter les rires en classe parses pitreries, qu’à récolter les bonnes notes 1 »,une indication que de futurs cancres n’hésite-ront sans doute pas à utiliser pour justifier faceà leurs géniteurs leurs désastreux bulletinsscolaires.

Dans un entretien avec Pierre Vavasseur en2004, il admet avoir eu une vocation trèsprécoce pour le métier d’acteur : « J’ai toujoursvoulu faire le métier d’acteur, que ce soit sur lesplanches, à la télé ou au cinéma. Quand j’étaismôme, je jouais tout seul dans ma chambre 2. »

Ses premiers succès, il les remporte donc surl’estrade lorsque l’instituteur ou l’institutrice l’yappelle pour y résoudre un problème de calculou une difficulté grammaticale. C’est la rigo-lade assurée. Sa distraction est si proverbialequ’elle lui vaut à la maison le surnom de « Jeande la Lune », allusion à un personnage créé au

1. Cf. Lionel Decottignies, « Oscars 2012 : Jean Dujardin,une école… celle du rire ! », L’Humanité Dimanche, 1er au7 mars 2012, p. 62.

2. Cf. Pierre Vavasseur, « Jean Dujardin : ne l’appelez plusLoulou », Le Parisien, 14 avril 2004.

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théâtre par Marcel Achard 1, celui d’un poètenaïf et rêveur manipulé par ses proches maisauquel la vie offre une belle revanche. Il n’y apoint de cruauté dans ce sobriquet. LesDujardin sont une famille unie, un clan, ce quel’intéressé reconnaît volontiers. Il a le sens dela famille, de la fratrie, et le conservepuisqu’aujourd’hui, c’est l’un de ses frères,Marc, avocat 2, qui s’occupe de ses intérêts. Sonpère sera parmi ceux qui l’ont accompagné à lacérémonie des oscars à Hollywood, volontémanifeste du fils de l’associer à son succès et delui manifester sa reconnaissance pour uneenfance au fond plus heureuse qu’il ne l’avaitimaginée.

Car enfance et bonheur furent longtemps loind’être synonymes à ses yeux. Sa taille impo-sante, ses pitreries de cancre malgré lui et unecertaine timidité lui valent des déboires contrelesquels il trouve refuge dans une féroce enviede sauter les étapes et de passer à l’âge adulte.Enfant, il rêve essentiellement de devenir grandafin de pouvoir prendre sa revanche et montrerà ceux qui le chahutent qui il est réellement.

1. Cet académicien français connaissait bien Plaisir et sarégion, puisqu’il se rendait régulièrement pour chasser àPoigny-la-Forêt chez l’un de ses amis, Pierre Hamel.

2. Il est l’un des deux associés du Cabinet R&D créé en2003 avec Guillaume Roland.

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Il ambitionne de pouvoir ainsi les « casser », à lamanière dont Brice de Nice, surfeur peroxydé,« casse » ses interlocuteurs par de singulièresréparties.

On sent bien que Dujardin exprime à traversson héros une certaine revanche sur les faillesde l’enfance, cette période de sa vie où il n’avaitpas toutes les clés nécessaires pour s’imposerface aux autres et sortir vainqueur de certainesbagarres dans les cours de récréation. Brice deNice n’est pas sorti de son imagination. Cetindividu insupportable, il l’a réellement côtoyéen la personne de l’un de ses condisciples determinale, un adolescent suffisant, imbu de lui-même, qui passait son temps à affirmer sa supé-riorité sur les autres et à leur faire bien sentirqu’ils étaient des minables. Le genre de typequ’on prend vite en grippe parce qu’il attire lasympathie des filles et qu’il est le chef de bandequ’on aurait rêvé d’être et qu’on ne sera jamais.Ce garçon, à l’identité inconnue, a profondé-ment marqué Jean Dujardin. Il le fait revivreavec Brice et place dans la bouche de ce dernierles réparties qu’il aurait dû avoir à l’époque etqui lui auraient évité déconvenues, brimades ethumiliations. Brice est l’adolescent qu’il auraitrêvé d’être.

Ces petites blessures d’amour-propre n’ontpas constitué un réel traumatisme car le noyau

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familial était là, cocon protecteur où il trouvaitréconfort et apaisement. Au risque de se loverdans une sorte de régression qui transparaît enfiligrane dans Brice de Nice. Jean Dujardincoupera ainsi au montage un passage où on voitle surfeur nourri par sa gouvernante comme ungamin de 3 ou 4 ans, scène dont un psychana-lyste aurait pu faire ses délices.

On n’en sait et on n’en saura sans doutejamais davantage. L’un des « people » les plusexposés à la curiosité des paparazzis cultive lesecret sur ses jeunes années tout comme ils’efforce de protéger les siens d’une trop grandeexposition publique, ce qui n’est guère évident.Il n’a pu échapper à la médiatisation de sonmariage, à Anduze 1, le 25 juillet 2009, avecAlexandra Lamy, sa partenaire dans Un gars,une fille et sa compagne dans la vie depuis 2003,alors que, jusque-là, rien ou presque n’avaittranspiré sur sa liaison avec Gaëlle dont il a euen 2000 et 2001 deux enfants, Simon et Jules 2,aussi invisibles que Chloé, née en 1997, de

1. Dans le Gard, près d’Alès, où ils possèdent une maison.2. Des enfants auxquels il attache une grande importance au

point d’affirmer dans Studio Live Ciné nº 3 : « J’ai une vieaprès mon métier : notamment des enfants que je veux voirgrandir et avec qui j’ai envie de passer du temps. »

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l’union d’Alexandra Lamy avec l’acteur ThomasJouannet 1.

Jean Dujardin appartient à une générationsage, très sage, celle dont certains découvrirontqu’elle pouvait être une génération morale àl’occasion des mobilisations dans les années1984-1986 contre la résurgence du racisme etde la xénophobie sous les couleurs de SOSracisme. À Plaisir, longtemps municipalitésocialiste, on ne ressent que très faiblement lessoubresauts de l’agitation parisienne. Les habi-tants ne sont pas les adeptes d’une révolutionqui ferait table rase de tout. Plaisir est rose maisd’un rose très pâle.

Ses universités, ce fut essentiellement la télé-vision, dont il est un consommateur effrénécomme de nombreux gamins de sa générationscotchés devant le récepteur dès leur retour à lamaison. Les sketchs des Nous Ç Nous montrentqu’ils connaissent par cœur tous les feuilletonset émissions diffusés alors sur le petit écran.

C’est aussi un grand amateur de films, avecune prédilection pour ceux de son idole, Jean-Paul Belmondo, et une réelle passion pour le

1. Jean Dujardin fait preuve d’une grande pudeur sur sa vieprivée. Il laisse toutefois transparaître à de rares occasions sessentiments, notamment lorsqu’il affirme, dans une interviewavec Gilles Medioni, que « voir sa nana embrassée par unautre comédien, c’est insupportable ».

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cinéma américain, les superproductions deGeorge Lucas et Steven Spielberg, qui n’ontpoint leur équivalent dans l’hexagone.

Il aime aussi la bande dessinée. C’est un fand’Astérix et surtout de Lucky Luke, le cow-boysolitaire de René Goscinny et Morris qui traîneau Far West sa dégaine et son mal-être. La BDlui plaît infiniment plus que le monde des livresdont il se tient, pour l’heure, soigneusementà l’écart. Le choix d’une filière littéraire,avec option dessin, au lycée, n’est pas la consé-quence d’une passion dévorante pour les belles-lettres mais de sa brouille définitive avecles matières scientifiques, trop ardues et tropprenantes. C’est une voie, royale, de garage, unemanière de composer avec sa famille pourlaquelle l’obtention du baccalauréat est unminimum requis.

À défaut de briller dans ses études, l’adoles-cent prend grand plaisir à fréquenter le conser-vatoire municipal de danse, musique et artdramatique, ainsi que les cours donnés par uncouple d’acteurs, les époux Michèle et YvesLe Bras, dans leur structure, Le théâtre enherbe. Il y fait ses premiers pas sur les planches,des débuts prometteurs à en croire ces deuxenseignants installés aujourd’hui en Bretagne àLocam avec lesquels il est resté en relationépisodique : « Nous avons tout de suite vu

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qu’il avait du talent, dans le sillage des grands…Quand on l’a découvert, nous savions qu’il avaitun immense talent et ce qu’il vient de faire dansce film muet le prouve. » Non sans ajouter avecun sens très aigu de la publicité et de leursintérêts : « Quelque part, (cette récompense àCannes) nous revient un peu aussi 1 ! » Ni àCannes, ni à Hollywood, leur ancien élève neles a pourtant évoqués, se conduisant très diffé-remment d’Albert Camus qui, lors de l’attribu-tion de son Nobel de littérature, n’avait pasmanqué de rendre hommage à Louis Germain,son instituteur du quartier de Belcourt à Alger,celui auquel il devait d’avoir pu entrer commeboursier au lycée Bugeaud. Autres temps, autresmœurs…

Est-ce là, au théâtre en herbe, qu’est née sonirrésistible envie d’embrasser la carrière desaltimbanque ? La légende le voudrait. Hélas,ce n’est pas le cas ou ce ne semble pas avoir étéle cas. Il ne faut pas confondre activité récréa-tive, pour occuper les heures de loisirs, etmétier. Après un bac A3 (lettres et arts plas-tiques), Jean Dujardin entre dans l’entreprisepaternelle, exerçant la profession de serrurier,alors que l’un de ses frères, Marc, moins rétif

1. Cf. « Ils avaient découvert le talent d’acteur de JeanDujardin », Ouest-France, édition de Guingamp, 25 mai 2011.

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au savoir, termine ses études de droit. On aconnu des ruptures plus déchirantes avec lemilieu d’origine, de fantastiques engueuladesentre des parents soucieux de l’avenir de leurrejeton et les frasques de ce dernier prêt à toutesles révoltes et transgressions pour assouvir unepassion dévorante pour le théâtre. Le jeuneDujardin se garde bien de rompre avec son clanet fait mine de filer doux, s’assurant provisoire-ment la poursuite du gîte et du couvert ainsiqu’une éventuelle base de repli en cas d’échecde ses rêves secrets.

Le déclic ne vient qu’au moment du servicemilitaire. Jean Dujardin appartient auxdernières tranches d’âge appelées à servir sousles drapeaux. À sept ans près, il y échappait.L’une des principales décisions de JacquesChirac, après son arrivée à l’Élysée, fut en effetde mettre fin à la conscription obligatoire pourles jeunes nés après 1979, au grand dam decertains de ses partisans et des nostalgiques dela « chaleureuse » fraternité des casernes pourlesquels l’on n’était pas un homme tant que l’onn’avait pas fait son service.

Fils d’un ancien militaire de carrière, JeanDujardin devient donc bidasse, ce dont, selonLionel Decottignies, il aurait conservé des« souvenirs cocasses » : « Son premier sketchy est né. Il y dépeint des instructeurs ras

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du béret. » Admettons… Même si l’auteur decette assertion écrit dans un journal rouge et faitpartie, comme le diraient les amis de HubertBonisseur de La Bath, alias OSS 117, de cesbolcheviks qui ne cherchent qu’à cracher sur lestrois couleurs… On peut tout juste constaterque le service militaire sera, hormis un sketch,indirectement source d’inspiration pour JeanDujardin via Claude Berri qui en fit un film,Le Pistonné (1970), racontant le service d’unjeune conscrit juif au Maroc, confronté auracisme anti-juif et anti-arabe de ses supérieurs,thème qu’on retrouvera dans OSS 117…

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