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PSYCHOPATHOLOGIE PARENTALE ET PSYCHOPATHOLOGIE DE L'ADOLESCENT. Place et enjeux du travail avec les familles dans une unité d'hébergement psychothérapeutique Catherine Epelbaum et al. P.U.F. | La psychiatrie de l'enfant 2001/1 - Vol. 44 pages 267 à 306 ISSN 0079-726X Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-la-psychiatrie-de-l-enfant-2001-1-page-267.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Epelbaum Catherineet al., « Psychopathologie parentale et psychopathologie de l'adolescent. » Place et enjeux du travail avec les familles dans une unité d'hébergement psychothérapeutique, La psychiatrie de l'enfant, 2001/1 Vol. 44, p. 267-306. DOI : 10.3917/psye.441.0207 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 78.207.0.207 - 20/12/2012 17h55. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 78.207.0.207 - 20/12/2012 17h55. © P.U.F.

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psychopathologie familiale

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PSYCHOPATHOLOGIE PARENTALE ET PSYCHOPATHOLOGIE DEL'ADOLESCENT.Place et enjeux du travail avec les familles dans une unité d'hébergementpsychothérapeutiqueCatherine Epelbaum et al. P.U.F. | La psychiatrie de l'enfant 2001/1 - Vol. 44pages 267 à 306

ISSN 0079-726X

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-la-psychiatrie-de-l-enfant-2001-1-page-267.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Epelbaum Catherineet al., « Psychopathologie parentale et psychopathologie de l'adolescent. » Place et enjeux du

travail avec les familles dans une unité d'hébergement psychothérapeutique,

La psychiatrie de l'enfant, 2001/1 Vol. 44, p. 267-306. DOI : 10.3917/psye.441.0207

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FamilleAdolescenceHébergement thérapeutiqueEntretienPathologie narcissique

PSYCHOPATHOLOGIE PARENTALEET PSYCHOPATHOLOGIE

DE L’ADOLESCENT.PLACE ET ENJEUX DU TRAVAIL

AVEC LES FAMILLESDANS UNE UNITÉ D’HÉBERGEMENT

PSYCHOTHÉRAPEUTIQUE

Catherine EPELBAUM1, Olivier TARAGANO2, Stéphane LAUDRIN3,Michèle ATTIA4, Jean-Marc CORRE5, Serge DOMINE6

Catherine LIGUERI-RICHARD7, Michèle PASCAL8

Dominique POURKATE9, Michèle PROTIN10

Dominique SOUDIER11, Soizic BENECHET12, Annie CARCANO13

PSYCHOPATHOLOGIE PARENTALEET PSYCHOPATHOLOGIE DE L’ADOLESCENT.PLACE ET ENJEUX DU TRAVAILAVEC LES FAMILLES DANS UNE UNITÉD’HÉBERGEMENT PSYCHOTHÉRAPEUTIQUE

Les auteurs présentent le travail effectué avec les familles à la« Maison des 13/17 », unité d’hébergement psychothérapeutique pouradolescent (extériorisée de la Fondation Vallée). Ils abordent d’abord,

1. Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, UniversitéParis XI. Chef de service de la Fondation Vallée.

2. Assistant des hôpitaux.3. Psychologue.4. Infirmière.5. Infirmier.6. Éducateur.7. Éducatrice.8. Éducatrice.9. Éducatrice.

10. Éducatrice.11. Infirmier.12. Surveillante.13. Assistante sociale.

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sur un plan théorique, les interactions possibles entre la pathologie psy-chiatrique des parents et celle des enfants. Ils analysent ensuite les30 dossiers des jeunes admis dans cette structure depuis son ouvertureen 1992, et exposent le cadre des entretiens proposés aux familles. Ilsprésentent enfin une observation clinique mettant en lumière l’utilité dutravail familial dans la prise en charge d’un adolescent présentant unepathologie narcissique.

PARENTAL PSYCHOPATHOLOGYAND ADOLESCENT PSYCHOPATHOLOGY.THE PLACE AND THE STAKES OF WORKWITH FAMILIES IN A PSYCHOTHERAPEUTIC LIVE-IN STRUCTURE

The authors present their work with families undertaken at the« Home for 13-17 year-olds », a psychotherapeutic live-in structure foradolescents (outside of the Vallée Foundation). In the first part, andon a theoretical level, they address possible interactions between the psy-chiatric pathology of the parents and that of the children. Then, theyanalyse thirty files of youths admitted to this structure since it was ope-ned in 1992 and expose the framework of therapeutic sessions proposedto the families. Finally, they present a clinical observation whichreveals the usefulness of work with the family in the treatment of adoles-cents presenting narcissistic pathologies.

PSICOPATOLOGÍA PARENTALY PSICOPATOLOGÍA DEL ADOLESCENTE.LUGAR Y VIRTUALIDADES DEL TRABAJO CON LAS FAMILIASEN UNA UNIDAD DE ACOGIDA PSICOTERAPÉUTICA

Los autores presentan el trabajo realizado con familias en « LaCasa de los 13/17 », unidad de acogida psicoterapéutica para adoles-cente (extensión de la Fundación Vallée). En primer lugar abordanteóricamente las posibles interacciones entre la patología psiquiátricade los padres y la de los hijos. Posteriormente analizan los 30 informesde los jóvenes ingresados en esta estructura a partir de su inauguraciónen 1992 y exponen el encuadre propuesto a las familias. Presentanfinalmente una observación clínica que ilustra el interés del trabajofamiliar en el tratamiento de un adolescente con una patologíanarcisista.

L’enfant n’existe pas seul. Son intimité psychique, sonfonctionnement mental reste interconnecté avec le mondefamilial dans lequel il vit (Ferrari et Epelbaum, 1993). Etplus il est jeune, plus l’organisation de sa psyché se montredépendante des psychés parentales qui peuvent aller jusqu’à

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véritablement l’envahir. Tout au long de son développement,l’enfant est ensuite amené à effectuer un véritable travail dedifférenciation de sa psyché, d’appropriation et d’organi-sation de son propre espace psychique, travail fortementinfluencé par toute la dynamique familiale et la présenced’une éventuelle pathologie psychologique parentale. Cepen-dant, il reste qu’on ne peut pas envisager de façon simplisteune causalité linéaire directe entre une telle pathologie paren-tale et celle présentée par l’enfant (Lebovici, 1985).

Le travail auprès d’adolescents en difficulté, pris encharge dans une unité d’hébergement thérapeutique (la« Maison des 13/17 », centre Didier Weil), semble bien validercette hypothèse.

Cette unité est située dans une banlieue agréable (à Run-gis, partie extrême sud du secteur F du Val-de-Marne), dansun pavillon confortable (Epelbaum et al., 1997). Elle accueilledix adolescents, six garçons et quatre filles, présentant destroubles sévères de la personnalité (pathologies limites, psy-choses non efflorescentes, psychoses infantiles cicatrisées)mais dont l’intégration dans des structures scolaires non spé-cialisées est possible, au prix d’une séparation de la famille etd’un travail d’articulation intense de l’équipe avec les ensei-gnants. La psychopathologie des parents de ces jeunes restetrès lourde (ce que montre l’étude des dossiers des jeunesaccueillis depuis 1992), ce qui exige de réserver une placeessentielle, au sein de la cure, au travail avec ces familles (lecadre de ce travail est présenté de façon détaillée). Seul cetabord régulier des parents permet à ces jeunes de se recons-truire, au moment de leur adolescence, une place plus confor-table auprès de leurs parents, avec parfois un véritable tra-vail de deuil, de toute façon toujours un travail de séparation,d’individuation, et aussi d’historisation de leur développe-ment et de celui de la pathologie parentale. Ainsi, dans lesmeilleurs cas ces parents s’ajustent mieux avec leur jeune aumoment de sa sortie, en retrouvant une fonction parentaleplus adaptée, moins sclérosante.

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APPROCHE THÉORIQUE

Pathologie parentale et psychopathologie de l’enfant

La situation d’avoir un ou ses deux parents malades men-taux, on le sait, représente pour l’enfant un risque majeur detroubles du développement (Bourdier, 1986), même si ces ris-ques sont loin d’être univoques. Il n’existe, par exemple, pasde relation statistique simple, pas de parallélisme évident,entre le type de pathologie psychiatrique parentale et celuid’une éventuelle pathologie de l’enfant. Les pathologiesparentales les plus souvent en cause sont les psychosesmaniaco-dépressives, les dépressions sévères et les psychosesschizophréniques. Ce problème est d’autant plus d’actualitéqu’aujourd’hui les malades mentaux, même sévèrementatteints, sont le plus souvent traités en ambulatoire et reven-diquent une vie « normale » (incluant implicitement le droità la maternité et à la paternité). Dans ces cas, il apparaît,même s’il existe très peu d’études statistiques sur la question,que le risque le plus fréquent pour l’enfant n’est finalementpas tellement celui de la psychose mais plus celui de mise enplace de troubles de la personnalité (pathologies limites avecéchec scolaire, passages à l’acte, faux self), dérivant desmodes relationnels chaotiques imposés par les parents ou par-fois même de mauvais traitements, aussi bien psychiques quephysiques.

Si des arguments plaident en faveur de la transmissiongénétique de certaines maladies mentales (surtout pour lapsychose maniaco-dépressive), les facteurs environnemen-taux semblent très importants, ce qui pousse certains auteursà proposer une attitude quasi systématique d’interventionpédopsychiatrique de prévention dans les familles ou un desparents est malade mental (encore faut-il que celui-ci soitidentifié en tant que tel et pris en charge, ce qui est loin d’êtrefréquent dans l’expérience de la « Maison des 13/17 »).

— Pathologie maternelle précoce et psychopathologie del’enfant : La précocité de l’impact de la pathologie parentale

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sur le développement de l’enfant reste un facteur essentiel àprendre en considération. La dépression maternelle précoce(Du Pasquier, 1986) représente un exemple très illustratifdes modifications notables provoquées dans les interactionsmère/bébé (expérience du stil face). Elle reste un facteursusceptible d’infléchir le développement du bébé vers desfonctionnements où le « vide » psychique apparaît central(fonctionnement autistique ou psychotique ; fonctionnementdépressif avec dimension masochique ; fonctionnement psy-chosomatique, etc.) (Ferrari et al., 1991).

— L’inclusion d’un objet psychique parental à l’intérieur dela psyché de l’enfant : Dans certains cas il peut sembler qu’unvéritable morceau de psychisme parental soit intégré dans lapsyché de l’enfant. Celui-ci constitue alors une sorte de « corpsétranger », plus ou moins persécuteur, menaçant l’enfant del’intérieur et le poussant à lutter pour l’expulser. Il chercheainsi à maintenir provisoirement des zones autonomes defonctionnement mental. Ces objets étranges venus de la psy-ché parentale maintiennent un lien particulier à l’enfant (liend’appropriation, de maîtrise, de destruction, d’évitement deséparation, de dépendance, etc.) dans lequel l’enfant n’aaucun statut de sujet à part entière (Ferrari et Bouvet, 1986).

— Identification précoce de l’enfant à la pathologie paren-tale : Il s’agit d’une identification précoce d’une partie du moide l’enfant à la partie malade du moi du parent, identificationnon structurante (à l’inverse des processus d’identificationsecondaire), entravant son développement pour sauvegarderune économie familiale fragile (déplacement du centre de gra-vité familial, du parent malade vers l’enfant, afin d’éviter leconflit). L’introjection de l’image de la mère morte décritepar Green (1988) rend bien compte de ce type de processus :l’enfant, alors qu’il a connu jusque-là une mère non déprimée,est amené, brutalement, à s’identifier à une mère dépressive,présente dans la réalité mais psychiquement absente ; sonmoi est alors envahi par cette image à laquelle il s’identifie deplus en plus, en même temps que son moi s’appauvrit et qu’ilne peut mettre en place des investissements libidinaux exté-rieurs.

— Le modèle transgénérationnel : Un personnage transgé-nérationnel semble parfois émerger de l’histoire familiale.

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Personnage présent dans les mythes familiaux, entouré desecret et de silence, le poids de son image pèse sur tous et peutenvahir la psyché de l’enfant, tout en restant clivée de sesfonctionnements habituels de pensée (Ferrari et Epelbaum,1993). Bon ou mauvais, véritable « relique », il reste non pen-sable, non parlable, et surdétermine parfois de façon totale-ment inconsciente les conduites de l’enfant, particulièrementdans des moments clés de son existence (notamment àl’adolescence où il cherche des identifications).

Modulation de l’impactde la psychopathologie parentale

La présence d’un tiers fiable, solide et non malade (autreparent, autre personnage) reste une formidable chance pourl’enfant de ne pas être totalement intégré dans la pathologiedu parent. Ce tiers peut jouer un rôle sur le plan concret (éloi-gner l’enfant, le protéger physiquement), mais il joue un rôleaussi important sur le plan symbolique (système pare-excitation, filtre susceptible de détoxiquer les messages, etc.).Il permet alors que la situation s’ouvre sur une certaine trian-gulation : la fusion n’est alors plus totalement inéluctable.

L’enfant dispose aussi, psychiquement, de ses capa-cités de résistance propre (Bion, 1979, parlait de capacité àappréhender le réel propre à chacun). L’âge de l’enfant et lapériode de développement dans laquelle il se situe aumoment où survient la décompensation parentale influen-cent sûrement ses capacités de réaction. Parfois un aspecthypermature faussement rassurant, où l’enfant se situe enthérapeute de son parent malade, ne vient qu’illustrer unfonctionnement en « faux self » le privant d’appui identifica-toire lié à la différence des générations (qui est ici renversée).Ceci peut aboutir à des décompensations (en raison du poidsdu déni des affects agressifs pour le parent malade, ou de ladéception narcissique intense devant la rechute du parentprovoquant une impression d’incapacité avec blessure nar-cissique secondaire).

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Les modalités d’investissement de l’enfant par ses parents

Les modes d’investissement de l’enfant par ses parents,processus inconscients mettant en jeu à la fois l’enfant fantas-matique et l’enfant imaginaire, influencent aussi son dévelop-pement (en dehors même de la présence de réelles pathologiespsychiatriques parentales). En effet, cet investissement (dontquatre grands types peuvent être schématiquement isolés,bien que d’autres modalités puissent exister) détermine pourune grande part la place qu’aura l’enfant dans l’inconscientparental et, de ce fait, les comportements parentaux vis-à-visde lui.

— L’enfant, objet narcissique, reste un véritable prolonge-ment narcissique du Moi idéal des parents : Il doit forcémentles combler, répondre à leur attente, les sécuriser quant àleurs capacités à être « des parents totalement bons » dont leMoi est appauvrit par toute tentative d’autonomisation outoute déception, vécues par eux comme un abandon. L’enfantdoit se conformer à cette relation essentiellement narcissique,mais à ce prix, il reste tout-puissant, sans que les parentspuissent explicitement poser de limites au fruit de leur proprenarcissisme.

— Dans certains cas, l’enfant est vécu comme le doublespéculaire de l’un ou l’autre des parents, avec lequel il se trouveinclus dans une rivalité de nature fraternelle, sans espace tran-sitionnel suffisant pour construire sa propre psyché.

— Parfois, l’enfant est investi de façon exclusive commeobjet œdipien, avec sexualisation des premières interac-tions (par exemple dans les cas de pathologies névrotiquesmaternelles).

— L’enfant peut aussi représenter un objet persécuteur,perçu comme malmenant, sadisant, attaquant volontaire-ment les parents. Ceci peut bien sûr aboutir à une maltrai-tance, mais aussi à des relations à dominance sadomasochique(identification à l’agresseur), à des retards de développementpar soumission excessive visant à éviter les réactions agres-sives ou rejetantes, ou bien à des systèmes de fonctionnementpervers, caractériel, ou psychopathique.

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APPROCHE CLINIQUE :LE TRAVAIL À LA « MAISON DES 13/17 »

Étude des dossiers depuis 1992

Les adolescents que nous sommes amenés à rencontreraux « 13/17 » présentent des pathologies que l’on peut aisé-ment qualifier de lourdes. Nous avons repris les dossiers des30 jeunes qui nous ont été confiés depuis l’ouverture de lastructure (1992), en précisant le diagnostic à l’entrée (Classifi-cation française des troubles mentaux de l’enfant et del’adolescent, axes I et II ; cf. tableaux 1 et 2). L’objectif decette démarche vise à explorer les éventuelles pathologiespsychiatriques des parents et les difficultés familiales. Lesrésultats sont exprimés en pourcentage pour plus de clarté,même s’ils n’ont aucune valeur statistique. Les diagnosticspsychiatriques des parents correspondent à une analyse cli-nique empirique sans référence à une classification précise.

Tableau 1. — Diagnostic à l’entrée : CFTEMA : Axe I

Psychoses, Dysharmonies évolutives psychotiques, Psy-choses déficitaires ou schizophréniques 50 %

Pathologie narcissique, anaclitique, limite 35 %Autres névroses : 1 / Pathologies caractérielles ;

2 / Organisation paranoïaque 15 %

Tableau 2. — CFTEMA : Axe II(facteurs associés ou antérieurs éventuellement étiologiques)

Père absent de façon très précoce (décès, abandon,divorce) 50 %

Père présent et pathologie psychiatrique sévère(psychose schizophrénique, paranoïaque, psychopathie)

Père présent et alcoolisme, trouble de la personnalité,désordre névrotique

20 %

30 %Mère présente 80 %

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Pathologies psychiatriques des mères :PsychosePathologie narcissiqueAutres (pathologie limite, troubles de la personnalité,

dépression sévère)

50 %15 %

35 %Conduites addictives chez les parents (surtout alcoolisme) 20 %Couples séparés avec recomposition familiale (beaux-

parents) 70 %Pathologies psychiatriques des beaux-parents 50 %Inceste ou climat incestueuxInceste ou climat incestueux à une génération au-dessus

20 %70 %

Ainsi, dans la quasi-totalité des situations rencontrées, ilexiste un contexte familial hautement pathologique, quecette pathologie soit centrée sur la psychose ou sur des patho-logies de la personnalité parentale, aboutissant souvent à unemaltraitance psychique et/ou physique, sans que les troublesde l’enfant se situent forcément dans le même registre queceux des parents. L’alcoolisme est généralement un facteuraggravant le contexte pathologique initial, tant dans sesdimensions psychopathologiques, sociales, professionnellesque familiales.

En outre, en dehors de la très grande fréquence del’absence réelle du père, il existe souvent, lorsque les parentssont présents, une recomposition de la famille nucléaire,recomposition conduisant à la présence de beau-père ou debelle-mère, eux-mêmes souvent malades sur un plan psychia-trique (cf. tableau 2).

Cependant, si les adolescents accueillis aux « 13/17 » souf-frent (et ont souvent précocement souffert) de ce contextefamilial compliqué et pathogène, il reste sûrement simplisted’imaginer annexer linéairement la pathologie des adoles-cents à celle de leur famille (ce raisonnement paraît potentiel-lement dangereux dans le travail avec les parents, notam-ment en raison des attitudes culpabilisatrices qu’il peutentraîner). En effet, tous les adolescents dont les parents sontpsychotiques, psychopathes, alcooliques, ne souffrent pas desymptômes psychiatriques tels qu’ils nécessitent leur prise encharge en internat thérapeutique. Tout au plus pouvons-nousaffirmer que les adolescents suivis aux « 13/17 » ont tous un

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milieu familial gravement défaillant, et que ce dernier parti-cipe probablement activement à l’émergence des symptômesayant conduit à leur hospitalisation.

Peut-être est-il aussi licite de penser que l’absence de relaisfamiliaux efficaces (membres constituant de la famille au senslarge : oncles, tantes, grands-parents, parrains, marraines,amis) a conduit à une hermétisation de la « folie » familiale,laquelle s’est exprimée avec une force certaine ayant conduit àl’apparition des symptômes constatés chez le jeune.

On peut aussi constater que dans 20 % des cas, des secretsfamiliaux émergent durant la prise en charge, secrets déposésau cours des entretiens avec les parents, parfois à l’insu mêmedu jeune. Ils concernent la filiation, des situations d’abandon,ou une maltraitance sexuelle ou physique.

Par ailleurs, au fil des entretiens dont le cadre sera préciséultérieurement, il est généralement constaté que la dimi-nution, voire la disparition de symptômes psychiatriqueschez le jeune va de pair avec la modification de la dynamiquefamiliale.

Pour autant, ce n’est qu’exceptionnellement que lesparents reconnaissent explicitement, authentiquement l’exis-tence de leur propre difficulté (seulement deux ou troisparents ont, ou ont eu, un suivi psychiatrique personnel).

L’utilité du travail avec les parents,le cadre des entretiens

Les parents, à travers leurs interactions verbales ou nonverbales, permettent et conditionnent l’intériorisation desdifférentes fonctions psychiques de leur enfant. Agir surl’organisation de ces fonctions et des défenses qui leur sontliées, c’est donc aussi agir sur le fonctionnement du groupefamilial.

Or, comme l’étude de nos dossiers l’a montré, la majoritédes jeunes accueillis à la « Maison des 13-17 » ont un milieufamilial pathogène et, dans bien des cas, pathologique. Pour-tant ces jeunes, sauf décision judiciaire contraire, retournentdans leur famille un week-end sur deux et la moitié desvacances scolaires. Nombre d’entre eux vont vivre à nouveauavec leur famille à la fin de la prise en charge.

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Le travail avec les parents est donc essentiel aussi bienpour des raisons qui renvoient à la construction interne dufonctionnement psychique de ces adolescents et des change-ments opérés dans ce fonctionnement, que pour des raisonsexternes concernant la réalité de la vie actuelle et future deces jeunes.

C’est pourquoi ont été mis en place des entretiens avec lafamille (c’est-à-dire le couple parental, ou avec chacun desparents de façon séparée, lorsqu’il y a une séparation effec-tive). À ce propos, il paraît important de noter que la non-implication de l’un des parents est une difficulté non négli-geable : accepter cette absence sans la travailler comprometirrémédiablement la prise en charge, puisque la dimensionparentale renvoie à un axe double, à savoir deux êtreshumains de sexe différent.

C’est pour cela que, dans la mesure du possible, les deuxparents sont rencontrés à une fréquence d’au minimum unefois par mois. Ces entretiens, posés comme un contrat audébut de la prise en charge, se déroulent en deux temps : toutd’abord le médecin, un éducateur ou un infirmier et le psy-chologue travaillent avec les parents, puis dans un secondtemps invitent l’adolescent à les rejoindre. Le cadre posé estdonc celui de l’entretien : l’utilisation de ce terme s’est pro-fondément modifiée du XVIIIe siècle (simple conversation) ànos jours, où il correspond à des pratiques cliniques et non cli-niques des plus diverses. À la « Maison des 13/17 », il s’agitd’une pratique liée à la parole, se déroulant en face à face etqui met en interlocution des cliniciens avec une famille.L’entretien reste donc ici un échange qui implique une trans-mission symbolique (le langage), mais qui ne s’y résume paspuisque le « non-verbal » (gestes, prosodie, postures) a sonimportance.

Le cadre dans lequel l’entretien s’inscrit est sûrementaussi un élément fondamental du travail aux « 13/17 ». Eneffet, c’est l’ensemble des invariants communs à tous lesentretiens qui donne sens à cette pratique : sans ce cadre iln’y aurait pas de véritable analyse psychopathologique pos-sible, voire même de réflexion clinique au sens profond duterme. Ce cadre est constitué de choix pratiques quant au lieu(aux « 13/17 », dans un bureau uniquement utilisé à cet

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effet), à la fréquence (mensuelle en général), aux horaires(adaptés aux possibilités des familles), aux objectifs (toujoursà réenvisager au fur et à mesure de la cure). Il a été longue-ment pensé, mais reste ouvert, c’est-à-dire souple : il est fixé,le même pour toutes les familles, mais il est régulièrementrepensé au niveau de l’équipe, aménagé lorsque la réalité de lafamille le justifie (changement de lieu, horaires particuliers,fréquence plus rapprochée, etc.).

Outre ces éléments inscrits dans la réalité, les entretiensfamiliaux peuvent aussi être définis à travers trois critères :les modèles théoriques qui y sont présupposés ou implicites,les modalités visées par l’entretien lui-même ainsi que lestechniques utilisées dans la relation d’entretien avec lafamille.

— Les modèles théoriques influencent véritablement lapratique de l’entretien. Aux « 13/17 », c’est au modèle psy-chanalytique qu’il est fait référence. Les entretiens sont ins-crits dans l’idée d’une dimension majeure de la parole, commesi en parlant, il était possible de se décharger d’un poids troplourd, de le rejeter à l’extérieur de soi. Ainsi, après le recours àla parole, la chose dite n’occuperait plus le même espace, ellepasserait du dedans au dehors, d’où la notion de déchargeinhérente à l’expression verbale. Mais cette parole est aussidestinée à l’autre. Cet autre, c’est-à-dire le soignant, à traversson écoute et sa technique d’intervention, permet au patient,à sa famille de se réapproprier cette parole, qui agira ensuitesur l’organisation psychique en modifiant cette dernière,aussi bien au niveau dynamique qu’économique (Anzieu,1987). Cette écoute des soignants n’est pas l’approbation, lacritique moralisatrice ou le jugement des idées et des actes dugroupe familial. Elle n’a de sens que par ce qu’elle s’opposeaux éléments qui empêchent le (ou les) sujet(s) d’être lui(eux)-même(s), éléments qui se focalisent dans la relation àvaleur transférentielle avec le (ou les) soignant(s). L’écoute dela parole des familles et les interventions visent ce qui faitsouffrance et qui met en difficulté la relation établie avec lessoignants dans le cadre de la prise en charge de l’adolescent.

Il est toutefois nécessaire de garder à l’esprit que les théo-ries utilisées n’ont pas la valeur d’une axiomatique. Elles ser-vent à organiser la pensée et donc le travail ; elles constituent

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des outils caractérisés par leur multiplicité référentielle (freu-dienne, kleinienne, etc.), permettant de mieux entendre ceque dit le sujet.

— Le deuxième axe correspond aux modalités visées parl’entretien en tant que tel. Aux « 13/17 », il n’est pas proposéune « aide psychologique » aux parents, mais plutôt un tra-vail. En effet, « aider », c’est intervenir en faveur d’une per-sonne en joignant les efforts. Or il n’est pas questiond’intervenir dans la réalité concrète de la famille (il n’y a pas,sauf exception, d’intervention à domicile par exemple) : parla médiation de l’écoute et de la parole, les efforts des soi-gnants et ceux de la famille ne se joignent pas vraiment ; ilssont même souvent radicalement différents du fait de la non-réponse en termes de solutions aux questions posées de façondirecte par la famille. Chiland (1985) parle à ce proposd’asymétrie : c’est un travail dans lequel chacun a son rôle etqui a pour particularité de conduire à un objectif commun,défini ensemble au départ. Mener un entretien avec unefamille, c’est donc pouvoir rester à l’écoute de l’autre et lapremière nécessité est de ne jamais être clos sur soi-même. Ensituation d’entretien, les soignants sont dans une position defragilité parce qu’ils acceptent le risque de la relation à l’autreet ce qu’elle implique comme danger : danger d’être atteintpar la problématique de l’autre qui est trop proche ou troploin de soi ; danger d’être pénétré par des contenus de penséeagressifs ; danger d’être happé par une demande d’amourinsatisfaite, etc. Cette position reste néanmoins efficace àcondition de travailler sur ce qui s’opère dans la relation dufait du fonctionnement de la famille et du fonctionnementpropre des soignants : il n’y a pas de compréhension del’autre qui ne passe par le filtre de sa propre subjectivité. Unetâche importante dans l’entretien est donc d’écouter l’autreet, de cette manière, de contenir ses éprouvés pénibles, parfoisinnommables. Ici, les soignants sont en quelque sorte desMoi-auxiliaires, soutenant ce qu’on pourrait appeler le« Moi » défaillant du groupe familial (c’est-à-dire une ins-tance partagée entre les membres du groupe qui permetd’articuler en cohérence les désirs et les interdits propres augroupe). Cela signifie que l’on doit permettre à cette famillede passer de ce qui est de l’ordre de la perception, de

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l’éprouvé, à celui de la représentation et donc du contrôle(compris ici comme moyen de défense).

Les entretiens aux « 13/17 » sont donc des entretiens thé-rapeutiques de soutien (en aucun cas des psychothérapies) :ils visent à l’étayage de la famille et de l’adolescent souffrant.Le travail s’effectue à la fois sur l’individu et le groupe :l’entretien requiert d’entendre dans tel propos ou geste, unedimension individuelle, intrapsychique, et une dimensiongroupale. Nous recherchons à rétablir la circulation fantas-matique dans l’appareil psychique familial, tout en visantl’autonomisation des psychismes individuels de chacun desmembres de la famille.

— Enfin, plusieurs techniques sont utilisées afin de soute-nir un changement de la famille et lui permettre d’aménagerson comportement, d’ajuster ses exigences internes à celles dela réalité.

La première chose importante est de cerner la demande quiest souvent complexe et peu claire. Lors des premiers entre-tiens avec une famille, nous sommes souvent confrontés àcette « asymétrie » qui vient d’être évoquée : les familles espè-rent souvent trouver les moyens de modifier la réalité à leurprofit grâce aux recettes que, pense-t-elle, détiennent les soi-gnants (stopper l’échec scolaire de leur enfant, le guérir de cequ’ils considèrent comme folie, trouver une solution pour quecet enfant ne soit plus agressif, ne passe plus à l’acte, etc.).L’élaboration de la demande et la définition des objectifs detravail sont donc des points incontournables, nécessaires, pri-mordiaux, sans lesquels le travail est immédiatement voué àl’échec. Le pire est de faire comme si cet objectif était implici-tement partagé et accepté par le patient et le soignant. Queson acceptation soit explicite ou implicite, il faut revenir des-sus : savoir qui cherche, ce que l’on cherche et si l’on est biend’accord pour chercher ensemble. Ceci est tout le travail effec-tué avec le jeune et ses parents avant l’admission.

D’autre part, les entretiens sont codirigés, ce qui multiplieles axes de travail. Ainsi l’éducateur ou l’infirmier peut fairedes liens avec la réalité du jeune dans l’internat et à l’école (cequi peut permettre aux parents d’associer sur leur vécu de laréalité du jeune chez eux et de partager ainsi des expériencesqui deviennent verbalisables avec les soignants) ; le médecin

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se situe, lui, dans un travail d’écoute, avec la particularité depouvoir décider, même si la décision est toujours discutéeavec le jeune et sa famille (par exemple, la mise en place d’untraitement chimiothérapique), ce qui n’est pas le cas du psy-chologue. Ce dernier, par sa non-intervention dans la réalité,permet de redonner le pouvoir au sujet : il contribue à soute-nir la famille dans son pouvoir de penser par elle-même, pou-voir de trouver des solutions qui correspondent à son pro-blème et à ses capacités.

Autour des entretiens, existe bien sûr aussi un travailconcernant le transfert et le contre-transfert : travail d’élabo-ration des moyens de défenses des soignants, en réaction auxangoisses et aux peurs des familles. C’est ainsi que de nom-breuses interventions peuvent se révéler défensives, allant àl’encontre du travail proposé. Par exemple, il arrive quedurant l’entretien, le respect du silence du soigné puisse êtrevite ressenti par ce dernier comme persécutif. Une autre illus-tration de ces interventions « défensives » est la tentationrécurrente du soignant de proposer des solutions, mouvementqui s’avère être la plupart du temps une négation de la diffé-rence entre soi et autrui, plongeant le patient dans un inquié-tant sentiment fusionnel.

Néanmoins, la neutralité nécessaire à ce type de travail nedoit pas être synonyme de passivité. Les interventions lorsdes entretiens avec les familles ne sont pas rares : interroga-tions (tout en restant vigilant en ce qui concerne l’expressionde pulsions scopiques trop fortes) ; reformulations pour expri-mer la pensée du sujet d’une autre manière tout en conser-vant les mots de ce dernier ; la « complétion » qui vise lacohérence et la complétude du discours du sujet en lui lais-sant la possibilité de refuser cette nouvelle compréhension ;parfois interprétation des liens à valence transférentielle.

La notion d’empathie paraît ici fondamentale : elle per-met de se faire une représentation du ressenti de l’autre à tra-vers ce qui différencie et ce qui rapproche de lui. Elle permetde pointer la bonne distance avec cet autre afin de maîtriserle contre-transfert tout en conservant une relation positive.

Enfin, il faut avoir à l’esprit que ce travail cliniques’inscrit totalement au niveau institutionnel. Ainsi, le secretprofessionnel à propos des entretiens est partagé solidaire-

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ment avec l’ensemble de l’équipe, ce dont les jeunes et leursfamilles sont informés d’emblée (comme ils le sont égalementdu fait que le contenu des entretiens reste, sauf exceptionmédico-légale, secret vis-à-vis des intervenants extérieurs :référents ASE, enseignants, etc. avec qui un travail de coordi-nation régulier est effectué à un autre niveau).

En effet, dans un internat comme la « Maison des 13/17 »,l’isolement (en tant que mécanisme possiblement responsablede clivage) est néfaste à la prise en charge des jeunes : il peutêtre, notamment, compris comme un équivalent symboliqued’une relation incestueuse, même si des aménagements res-tent une fois encore possibles.

L’orientation des entretiens concerne également l’en-semble de l’équipe : ils sont régulièrement discutés et prépa-rés en réunion afin d’éviter toute dispersion du travail.

LE CAS DE THÉOPHILE (DIT THÉO)

Présentation du jeune

Théo est suivi en neuropédiatrie pour une épilepsie géné-ralisée ancienne (débutée vers l’âge de 6 ans). C’est le neuro-pédiatre qui l’adresse au Dr Epelbaum à un moment où samère ne le supporte plus, alors qu’il est en internat scolaire entotal échec, et que son père, vivant à l’autre bout de laFrance, décide subitement de le reprendre avec lui, l’inscritdans un collège localement..., puis effectue un rapide « retourà l’envoyeur » deux mois plus tard. Il ne comprend rien àThéo, il ne sait pas s’en occuper, il pense qu’il sera finalementmieux avec sa mère. Théo, objet transbahuté de train entrain, de maison en caravane (son père habite alors avec sanouvelle compagne dans un camping où il tient un petit res-taurant), revient à Paris comme « une loque »... sans projetni désir, accablé par sa mère qui « ne sait vraiment plus quoien faire ». C’est dans ces conditions qu’un travail conjoint– le neuropédiatre soutenant le projet de Rungis évoqué parle Dr Epelbaum auprès de la mère – permet que Théo

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retrouve un premier espoir : il pourrait avoir une placequelque part et pour des personnes...

Sur un plan diagnostic, Théo présente une pathologie nar-cissique, avec des éléments dépressifs masqués derrière uneimportante inhibition psychique.

Théo est né en métropole, d’une mère guadeloupéenne etd’un père malgache. Il n’est reconnu par son père quelorsqu’il a 5 ans, père qui épouse la mère de Théo un an plustard. Lorsqu’il a 8 ans, ses parents se séparent, dans desconditions dramatiques que nous ne comprendrons que bienplus tard dans la prise en charge. Sa mère part neuf mois enGuadeloupe et Théo reste vivre avec son père. Cette année-là,il redouble son CE1. Il revient vivre ensuite avec sa mère etcontinue à rencontrer assez régulièrement son père.

Alors qu’une épilepsie avait débuté peu avant la sépara-tion définitive des parents (Théo avait 6 ans), elle se réactivelorsqu’il a 11 ans, alors qu’il entre en CM2, entraînant de nom-breuses hospitalisations compliquant son année scolaire.

Lorsqu’il a 12 ans, son père quitte la région parisiennepour aller s’installer en province, et Théo supporte très malcette séparation (il ne le voit plus que deux fois par an) : sescrises se multiplient, réveillant sa mère la nuit. Celle-ci,épuisée et découragée, pensant que Théo est « nul », décidede le faire admettre en internat scolaire « pour le remonter ».Mais en une année, la situation se dégrade : Théo passe sesnuits entre crises et balades nocturnes dans les chambres desautres, en proie à une importante angoisse de séparationqu’il ne peut verbaliser à cette époque. Il est exclu de l’inter-nat puis part rejoindre son père qui pense « tout pouvoirréparer ce que la mère a détruit ». Mais quelques mois plustard, le revoilà à Paris, totalement désarçonné, blessé d’avoirdéçu son père aussi. Il s’expose dans des bagarres où il esttoujours la victime (problèmes de racisme à l’école où, inscriten 5e, il est en total décalage avec les autres, échouant danstoutes les matières). Écrasé de reproches par sa mère, il estcloîtré à la maison d’où il n’a pas le droit de sortir, censé« racheter » ses échecs par un travail scolaire acharné. Enfait Théo est sidéré, il reste des heures à ne rien faire, vide,fatigué. Son épilepsie flambe. C’est dans ces conditions qu’ilarrive à Rungis.

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Nous avons volontairement choisi le cas de Théo car lapathologie maternelle, bien que présente et centrale dans lastructuration des troubles de Théo, n’est pas caricaturale (pasde psychose délirante par exemple) et permet d’analyser desmécanismes interactionnels dont la pathogénie, moinscriante, reste subtile mais pourtant bien réelle. Cette situa-tion est fréquente dans bon nombre de cas qui nous sont pro-posés, mais nous ne pouvons pas tous les admettre souventdu fait de la non-acceptation du jeune : en effet, l’absence demesure judiciaire contraignant à une prise en charge en inter-nat (alors qu’elle est quasi systématiquement prononcéequand la pathologie parentale est très lourde) reste un obs-tacle. Ce type de mesure nous permet, quand la séparation estdifficile, de donner au jeune le choix entre notre unité etd’autres structures de type différent, son choix étant alorsfacilité par le fait qu’il est « obligé », et ses parents aussi,d’accepter l’idée qu’il ne peut continuer à vivre en famille : ilse sent ainsi moins culpabilisé.

La mère de Théo nous apparaît d’emblée comme unefemme présentant une lourde pathologie narcissique, prochede la psychose blanche, utilisant clivage et projection commemécanismes privilégiés. Elle a investi Théo à la fois sur unmode narcissique, lui demandant sans cesse de rentrer dans lemoule qu’elle a construit pour lui, et comme un objet persé-cuteur, par sa maladie, par son échec scolaire, par tout ce quile fait sortir de sa maîtrise. Son père ressemble à un adoles-cent totalement immature, en mal d’indépendance, mettant àdistance tout conflit par la fuite, lui aussi dans une dimensionnarcissique prévalente.

Début de la prise en charge

Du côté de l’équipeUne grande partie de la prise en charge de Théo consiste à

lui redonner une place dans un couple parental désuni etconflictuel, et dans ce sens, le travail auprès de ses parents apris une place particulièrement importante.

Avant même son admission (Théo a alors 13 ans) il nousfaut (et ce n’est pas simple du tout) réussir à contacter télé-

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phoniquement le père, vivant alors en province, pour obtenirson accord concernant le projet des « 13/17 » pour Théo. Eneffet, si les parents sont séparés depuis cinq ans, aucune pro-cédure de divorce n’a été entamée et aucune décision concer-nant la place de Théo n’a été prononcée. De fait, l’autoritéparentale reste conjointe, ce que Mme P. refuse de considérer.Elle a déposé une plainte contre son mari pour abandon dedomicile, lorsque celui-ci est parti, et cela lui suffit : il n’adonc aucune place à avoir auprès de Théo maintenant. Ilnous faut donc la convaincre qu’il est non seulement utile,mais légal, d’avoir l’accord du père de Théo. Ce père est, il estvrai, très absent puisqu’il ne joint même plus Théo au télé-phone depuis qu’il l’a renvoyé à Paris. La mère, quant à elle,est loin de se faire oublier ! Ayant besoin de se sentir néces-saire et suffisante auprès de son fils, mais incapable d’assu-mer seule les difficultés rencontrées avec lui, elle se rappellecontinuellement à son, et à notre, bon souvenir, par desappels téléphoniques ou des venues inopinées aux « 13/17 ».Il s’agit de régler tel ou tel détail d’ordre matériel, qui devientd’un seul coup vital sur l’instant, au point de se déplacer àRungis...

Nous aurions pu vivre tout cela comme une intrusion dela part de la mère de Théo, si elle n’avait pas suscité,d’emblée, en même temps qu’une certaine exaspération,notre sympathie par son abord chaleureux et enjoué, sa fran-chise et sa spontanéité, notamment quand elle aborde ses dif-ficultés avec son fils. Nous sentons alors très vite que cettefemme, qui a toujours tendance à dépasser les limites ducadre institutionnel en cherchant à nouer des liens d’amitiéavec les membres de l’équipe, plaisantant avec eux, que cettefemme donc, a surtout besoin derrière sa façade avenante,d’être entendue et reconnue par nous.

Lors de ses venues aux « 13/17 », pour apporter desvêtements ou un walkman oubliés le week-end, Mme P. s’ins-talle d’abord confortablement dans un des fauteuils de l’en-trée, comme pour faire « salon » avec nous, puis elle com-mence à nous faire part de ses petits soucis quotidiens,cherchant aussi à identifier chacun de nous en nous question-nant incidemment sur notre vie privée. Elle n’hésite pas nonplus à demander une recette de cuisine à une éducatrice

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réputée « cordon bleu » auprès des jeunes du groupe. Avec telautre éducateur, réparant très souvent les matériels électroni-ques des adolescents, elle se renseigne sur l’origine d’unepanne de son téléviseur. Parfois, ses confidences vont plusloin : elle déverse alors tous ses soucis personnels, et il nousfaut tenter d’apaiser le torrent... C’est parfois comme si ellenous demandait de la prendre en charge elle, au lieu de sonfils.

L’équipe, au bout d’un certain temps, commence à seposer des questions : tout ce qu’elle nous livre par téléphoneou lorsqu’elle s’incruste ne court-circuite-t-il pas ce qui doitse dire en entretien et même, de façon plus générale, dans lacure de Théo ?

Il est vrai que de son fils, il n’est guère question, lors deces longues discussions, sinon de façon « prétexte ». À l’occa-sion de ses multiples dépôts de « colis », toujours agrémentésde friandises très appréciées par Théo, elle l’oublie finale-ment, lui, et il assiste passivement à nos échanges. Parfois elleentend un autre jeune crier ou râler et elle s’exclame : « Com-ment ils vous traitent, c’est fou ça. J’espère que Théo il neparle pas comme ça ? » Nous découvrons alors un autreaspect, plus directement dérangeant, de la relation deMme P. avec Théo. Elle peut subitement se transformer envéritable « mégère » à son égard, se sentant persécutée parson fils dès qu’il est question de ses négligences ou de sesoublis répétés : linge abîmé, carte orange égarée ou retrouvée,perdue ou reperdue, pour la plus grande exaspération de samère. Autant elle semble investir son rôle maternel dans lematériel, même si c’est avec une rigidité certaine (Théo esttoujours habillé de façon impeccable, ne manque de rien, elledevance même ses désirs, montrant ainsi bien son investisse-ment à prévalence narcissique), autant ce fils ne peut semble-t-il exister face à elle que par ses manques, ses oublis, peut-être aussi par ses absences épileptiques, comme s’il rejetaitcette profusion matérielle étouffante.

Dans ces moments difficiles pour nous, sermonné verte-ment par sa mère, Théo reste muet, tout penaud : jamais il nepeut s’exprimer, émettre un souhait, même étayé par nous,face à cette mère devenue véritablement terrifiante. Souvent,dès l’arrivée de Mme P. aux « 13/17 », nous assistons à la

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transformation de Théo : s’il est en train de chahuter active-ment avec d’autres jeunes, subitement, au coup de sonnetteannonciateur, il se traîne nonchalamment vers l’entrée, sansaucune marque d’affection apparente : la « bise » des retrou-vailles, ils ne la connaissent pas.

Dans ce contexte d’envahissement par la mère du lieu desoin du fils, il nous a fallu à la fois préserver l’espace de Théo etrester, pour qu’elle ne lâche pas ou ne disqualifie pas tout, àl’écoute de Mme P. : intervenir en faveur de Théo pour expli-quer ou dédramatiser ses manquements lors des sermons ; leréintroduire dans la discussion, quand elle avait au contrairetendance à trop l’oublier ; nous arracher de l’emprise qu’elletentait d’exercer sur nous, par exemple en la quittant pournous consacrer aux obligations de la vie de la « Maison », cequi lui était expliqué gentiment, après lui avoir consacré vrai-ment un moment. Ce qui nous a aussi rassuré, c’est qu’elle arapidement pu entendre nos points de vue quand nous inter-venions en faveur de Théo, sa colère tombant alors, comme sila confiance s’installait : « Il est bien chez vous Théo, répétait-elle, mais aussi : On est bien chez vous. »

Il est à souligner que la surveillante de l’équipe a tenu,durant toute cette période de consolidation des liens, uneplace particulière auprès de Mme P., favorisant son « accro-chage » à la « Maison » et renforçant l’alliance thérapeu-tique. En effet, bien qu’elle ait accepté l’hospitalisation deson fils, Mme P. vit difficilement la séparation qu’elleimplique. Elle comprend vite qu’elle peut la solliciter person-nellement au sein de l’équipe et elle n’hésite rapidement pas àlui téléphoner. Évoquant d’abord un élément concret puis,prolongeant la discussion, elle peut exprimer ses interroga-tions quant à la vie de son fils dans notre structure ainsiqu’au collège où il est en difficulté. Se sentant progressive-ment en confiance, elle parle de tout ce qui est difficile depuisque Théo est chez nous : le fait d’être seule, la maison vide etles moments, en dehors de son travail qu’elle investit beau-coup, où elle s’interroge et se culpabilise de n’avoir pas sucomprendre Théo, de n’avoir pas su être une « bonne mère »,dit-elle... À ces moments, elle est touchante et a un grandbesoin d’être écoutée, simplement avec une certaine bienveil-lance qu’elle sait provoquer : la surveillante la rassure,

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l’étaye. Tous ces échanges informels ont pu exister grâce auxcapacités de cette femme à faire confiance, à s’appuyer réelle-ment et authentiquement sur nous. C’est un peu comme si lasurveillante représentait pour elle, dans la « Maison », unefigure à valence maternelle, confortant cette mère dans sonpropre rôle et ses capacités maternelles : elle ne la juge pas,elle ne se positionne pas en rivalité avec elle, sans pour autantsouscrire à toutes ses paroles. Mais elle se situe un peu endouble maternel, en la réconfortant, simplement par l’impor-tance qu’elle accorde à sa demande d’écoute : elle prend dutemps avec elle et pour elle.

Ainsi, chaque catégorie professionnelle a son rôle à jouerdans l’étayage de Mme P. et cela de façon complémentaire :les soignants sont vécus par elle comme des « amis » bienveil-lants, des appuis rassurants, canalisants ; la surveillanteapporte son soutien maternel ; les médecins et psychologuessont plus progressivement investis... alors qu’il est pour elledifficile de leur exprimer d’emblée sa détresse, ils peuvent,progressivement, devenir possiblement thérapeutes de sonfils, et d’elle-même à certains niveaux, nous le reverrons enparlant des entretiens.

Les entretiens avec les parentsLes entretiens avec le médecin assistant et la, puis le psy-

chologue, sont difficiles dans un premier temps. Le père, ins-tallé à l’autre bout de la France, ne peut être vu et, toutcomme son fils, nous n’avons aucune nouvelle de lui. La mèrevient sans difficulté aux rendez-vous, mais elle affiche d’em-blée des attitudes contrastant avec celles d’avant l’entréede Théo aux « 13/17 » : alors que l’épilepsie de Théo a large-ment contribué au sentiment de débordement éprouvé parMme P., elle n’exprime plus aucune inquiétude à ce sujet :« C’est réglé », semble-t-elle dire, alors qu’elle nous a trans-mis son angoisse par des mécanismes évoquant l’identifi-cation projective (sans en avoir un temps conscience, nousnous mettons à vérifier obsessionnellement à sa place le trai-tement, etc., à la façon de la partie d’elle-même qui se vivaitmère, uniquement dans la maîtrise de son fils). Elle décritaussi son fils en termes totalement paradoxaux : il est « ungarçon modèle mais qui exagère vraiment trop », ou bien

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« un enfant obéissant mais insupportable en classe ». Elleaffiche aussi une inquiétude par rapport à son orientation dedébut d’année en 5e générale : « il n’y arrivera jamais »gémit-elle, alors qu’elle a refusé toutes nos propositionsd’inscription dans d’autres systèmes (en SES, notamment).

Cependant, peu à peu, elle réussit à réaborder ses angoissesà propos de l’épilepsie de Théo : elle craint constamment unaccident, et pour cette raison elle le « cloître » littéralementdans l’appartement le week-end, avec interdiction de sortirmême dans la cour de l’immeuble. Mais quand Théo ne setrouve pas directement sous sa responsabilité, quand il est aux« 13/17 », chez des amis, ou chez sa tante par exemple, elleaffirme qu’elle se fiche totalement de ce qui peut se passer... cequi permet d’ailleurs à Théo de fuir un peu l’emprise mater-nelle en retrouvant ses cousins chez sa tante, cousins avec quiil sort plus librement, sans aucune inquiétude de Mme P. Leclivage est vraiment saisissant. Mais il y a plus fort encore : onpourrait dire, « loin des yeux, loin du cœur ». Mme P. part envacances en Guadeloupe lors des premières vacances de Noëlde Théo aux « 13/17 ». Elle laisse une profusion de gâteaux etde vêtements... mais c’est l’équipe qui doit lui suggérer de lais-ser son adresse à Théo, pour éviter que celui-ci ne se vivecomme un objet encombrant confié à sa tante pendant notrefermeture. Elle lui laisse un peu de large... mais vite un peutrop : tout est un peu dans la démesure.

Assez vite, parallèlement au cours des entretiens, Mme P.déverse aussi toute sa rancœur et son agressivité contre sonex-mari qu’elle voudrait « rayer de la vie de son fils ». Ellesouhaite qu’ils n’aient aucun contact et accepte du bout deslèvres le coup de téléphone de confirmation de l’acceptationdu père pour l’admission de Théo. Elle refuse l’idée que Théopasse une partie de ses vacances en province avec son père,préférant le confier à sa grand-mère. Ce père est « un inca-pable irrécupérable, un irresponsable ». Comme elle est cer-taine qu’il ne pourra pas payer le billet de train pour Théo,elle préfère assumer le prix d’un billet d’avion pour les Antil-les elle-même.

Quelle haine... Mme P., au-delà de ses conflits conjugaux,se situe inconsciemment dans une tradition familiale où lesfemmes tiennent toute la place et où tout père n’a par défini-

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tion aucun rôle. Et pourtant... son histoire est compliquée à cesujet : elle confie plus tard que ses parents ayant divorcés, ellea vécu avec son père en Guadeloupe jusqu’à l’âge de 11 ans,âge auquel sa mère dit « avoir besoin d’elle » en métropole.Avec l’adolescence annoncée, la voilà donc arrivant à Orly.Mais en métropole, c’est le désenchantement. Très attachée àson père, elle ne supporte pas sa mère qui joue au poker ou auxmachines à sous et perd régulièrement sa paye : plus de soleil,plus de père et la misère de plus en plus présente. On peut ima-giner aussi la haine qu’elle a secondairement pu vouer à cepère qui l’a laissée partir, qui l’a un peu trahie.

Au bout de quelques mois de prise en charge, le père deThéo refait son apparition dans l’esprit de Mme P. qui vientd’apprendre qu’il a refait sa vie et vient d’avoir une petite fille.Cet événement réactive grandement ses projections négativesvis-à-vis de lui : « Il fait un deuxième enfant alors qu’il estincapable de s’occuper du premier ! » ; « C’est simple », hurle-t-elle un jour au téléphone : « Je refuse qu’il revoie même unefois mon fils, et ce jusqu’à sa majorité. » Mais, et c’est ce quifait que rien ne se fige jamais vraiment avec Mme P., notreferme et tranquille affirmation que, même si nous comprenonsson désarroi, la loi nous oblige à accepter que Théo voie sonpère si cela se présente, la rassure. Si l’équipe la reconnaît...alors elle peut reconnaître un peu mieux l’autre.

Mais quand elle est en colère en entretien, Théo ne peut luitenir tête. Mal à l’aise, encombré dans un corps qui granditrapidement, il est là, affaissé sur sa chaise, ne pouvant la regar-der en face, ne levant l’œil sur elle que de biais. Quand il estinvité à prendre la parole, il semble désespéré et ne le fait qu’ens’exprimant de façon confuse, en balbutiant ses mots. Tenaillépar la peur des orages maternels, il ne peut rien dire des colèresqu’il commence à avoir dans la semaine aux « 13/17 ».

Parfois, Mme P. le ridiculise devant les soignants, en semoquant par exemple d’un gâteau qu’il a réalisé le week-end.Elle semble vouloir nous montrer qu’elle serait une meilleurerecrue que son fils...

À une période, l’équipe soutient Théo pour qu’il obtienned’acheter lui-même ses produits de toilette, cherchant à déve-lopper un peu d’autonomie, ce qu’elle accepte rapidement.Mais les remontrances à propos des joggings déchirés ou des

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blousons perdus continuent, et l’équipe propose que Théochoisisse ses vêtements, en expliquant à Mme P. qu’il n’estpeut-être pas obligatoire d’acheter systématiquement desmarques très coûteuses, attractives pour les racketteurs ducollège. Elle apparaît interloquée et répète au médecin,comme une bonne élève : « Ça alors, je n’y avais pas pensé. »Mais quelques jours après, elle vient déverser sa colère aucours d’une visite impromptue : elle parle de la blessure qu’onlui a fait subir : « Si j’achète des vêtements de marques, c’estparce que j’ai des prix avec un ami qui travaille dans uneusine. Et puis Théo est tellement grand, c’est pas facile del’habiller. » C’est toujours comme ça avec le corps de Théo,elle ne peut le valoriser qu’à travers les vêtements. Mais enmême temps, dans les marques qu’elle lui donne, elle récupèreses marques à elle, celle d’une mère omnipotente, là où le pèrea laissé la place vacante. Alors l’équipe fait des compromis,s’adapte à ce besoin qu’elle a de montrer son fils sous leregard des autres dans des tenues irréprochables pour elle (ilest vrai qu’il affectionne, comme tous les adolescents, cegenre de tenues, et que le prix à payer pour lui n’est donc pastrop coûteux !). Mais nous restons ferme pas sur d’autrespoints (l’achat des produits de toilette par exemple, et ellerespecte le contrat). Nous poursuivons également notre buten ce qui concerne le père... et il finit par venir aux « 13/17 »,un an après l’admission de Théo.

Il est revenu travailler à Paris dans un restaurant familialpour l’hiver. Physiquement, il fait frêle, avec sa voix aiguë etsa taille de gamin par rapport à celle bien conséquente deThéo (qui chausse du 47...). Il explique vite qu’il ne veut pasparler à Théo des problèmes avec sa mère puisqu’il est unenfant (ce qui ne semble pas évident quand on compare leurscarrures...). Il dit pourtant qu’il a beaucoup souffert lui-même étant enfant, de ne pas obtenir de réponse des adultes àpropos de ses questions concernant l’éparpillement géogra-phique de sa famille. Ce n’est que récemment qu’il a apprisqu’il n’était pas d’origine malgache comme il l’avait toujourspensé, mais d’origine réunionnaise. Ses grands-parents réu-nionnais sont venus s’installer à Madagascar pour travailler,et en 1960, lors de l’indépendance de l’île, ils choisissentd’opter pour la nationalité française et de revenir en métro-

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pole avec lui (il avait un an), alors que d’autres membres de lafamille restent sur place. Quand on lui fait remarquer la con-tradiction entre son attitude avec son fils et sa propredétresse infantile à propos du secret des origines, il répond,sans possibilité de discussion : « Pour lui, ce n’est paspareil. » Il est vrai que M. P. est perpétuellement pris dansdes attitudes paradoxales vis-à-vis de son fils. Alors qu’il aune grande complicité avec lui quand ils se voient, il peuttenir à son sujet des propos très dévalorisants : il est restaura-teur et dit : « Lui, il ne pourra jamais réussir en cuisine, iln’est même pas capable de faire cuire des œufs ! » Toutcomme avec sa mère, pris dans un investissement parental àforte prévalence narcissique, Théo semble ne pas avoir de viepropre aux yeux de son père. Il n’existe que comme boucémissaire ou balle de ping-pong dans les conflits parentaux,chacun accusant l’autre de ses échecs.

Cependant, la réapparition de M. P. inaugure un remode-lage de la situation générale de la cure de son fils. Théo le ren-contre régulièrement dans le restaurant où il travaille à Paris,bribes de temps, le père n’étant jamais très disponible, tou-jours un peu sur le départ, mais temps partagé quand même,même s’il est peu anticipable (M. P. n’est généralement pasfiable dans ce qu’il promet). Théo prend ce qu’il peut de cepère adolescent et malgré tout, il peut passer deux étés consé-cutifs avec lui à la mer où il réside en août. Durant la saisond’hiver, le père vient à plusieurs entretiens, après plu-sieurs rendez-vous manqués, reprogrammés. Un travail de« renouage » des liens père/fils se fait progressivement.

La mère, de son côté, après un premier mouvement deméfiance vis-à-vis de ces retrouvailles masculines, accepte de« laisser faire ». Elle présente alors à l’équipe son nouveaucompagnon qui, lui aussi, progressivement, prend une cer-taine place positive auprès de Théo. Parallèlement, elle faitses premières démarches pour régler son divorce. Elle peutentendre que l’équipe reconnaît sa souffrance, souffrancequ’elle a toujours tendance à dénier dans un premier temps,habituée qu’elle est à « devoir être forte », à ne compter quesur elle-même.

Elle relâche donc un peu sa maîtrise. Mais elle ne peutaccepter d’entendre l’éveil à la sexualité de Théo dont la

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puberté est bien évidente pourtant : « Les filles pour lui, iln’en est pas question avant 18 ou 19 ans », nous affirme-t-elle(elle s’est mariée, il est vrai, à 19 ans sans avoir connu de flirtauparavant, nous avoue-t-elle ensuite). Mais Théo commenceà pouvoir tenir ses positions face à elle, s’appuyant sur leregard des soignants pendant les entretiens. Parallèlement lepère livre un peu de son histoire : il est issu d’une fratrie de8 enfants et il a une sœur épileptique. Il a lui-même étémalade entre 9 et 13 ans, étant hospitalisé deux années dit-il,sans pouvoir nous expliciter davantage ses soucis dumoment. Il est à noter que cet âge est aussi celui du dévelop-pement de l’épilepsie de Théo qui, comme par miracle, ne faitplus pratiquement parler d’elle depuis son entrée aux« 13/17 ». M. P. raconte aussi que son père était camionneuret qu’entre 14 et 19 ans, il a voyagé avec lui et toute la familledans son camion, parcourant toute l’Afrique. Sa scolarité adonc été complètement chaotique, ce qui explique peut-êtreen partie ses difficultés d’expression, mais aussi son goût pourla vie nomade entre Paris et la province, pour l’évasion, pourne pas dire la fuite. En même temps l’équipe comprend sonimmense admiration pour ce père voyageur, un personnagequ’il ne peut absolument pas penser égaler un jour. C’est dif-ficile de se sentir père quand on est autant écrasé par l’imagede son propre père...

Évolution du jeune

Théo, tout au long de ses trois années de prise en charge àRungis, a montré une volonté farouche de « s’en sortir »,même si celle-ci est bien plus parlante aujourd’hui (il dit, ilaffirme) qu’au début (il montrait plus qu’il ne parlait). Ilapparaît bien au cours de son évolution que Théo est sanscesse menacé par des mouvements dépressifs qui l’amènent àrester dans une inhibition psychique parfois majeure, mouve-ments pris dans une structure de personnalité narcissique.Grâce au cadre thérapeutique proposé, Théo peut progressi-vement s’engager dans un processus d’adolescence jusque-làimpossible du fait, notamment, de la non-acceptation impli-cite et parfois explicite de la mère de tout mouvementd’individuation de son fils.

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Sur le plan de sa scolarité

L’échec retentissant – la mère s’entêtant à vouloir main-tenir Théo dans un circuit qui ne lui convenait pas (5e géné-rale lors de son entrée, dans un collège situé près de chez lamère) – fait place à l’acceptation par elle et le père d’une réo-rientation (4e et 3e SEGPA, dans un collège plus proche de Run-gis), puis à l’accession à une première année de CAP « cui-sine/service » dans un LEP, ce qui représente pour Théo unegrande victoire (reprise d’un cycle d’études plus long).

À son arrivée aux « 13/17 », Théo vient d’intégrer un nou-veau collège en classe de 5e. Il s’y sent très vite débordé : sesrésultats scolaires sont catastrophiques tout au long del’année, et son intégration auprès des autres élèves pose pro-blème. Il se fait facilement chahuter, notamment par les fillesde sa classe. Les enseignants, que l’équipe rencontre aumoment de son admission à Rungis, sont assez désemparésface à lui. La question de son épilepsie les inquiète. Ils en sontrapidement à se demander si Théo ne relève pas d’un établis-sement spécialisé, adapté à ce qu’ils commencent à pensercomme sa « débilité ». Les avis des professeurs sont cepen-dant contradictoires, selon le type de relations qu’ils établis-sent avec Théo : en effet, celui-ci semble très sensible et réac-tif à l’investissement qu’on lui porte. Face à toutes cesdifficultés, une orientation en SEGPA est demandée pourl’année suivante, en classe de 4e. Très rapidement après larentrée de septembre, Théo se retrouve comme l’un des meil-leurs éléments de sa classe. Il est très investi par ses ensei-gnants, et très valorisé, d’autant qu’il ne pose aucun pro-blème de comportement, alors que les autres élèves sontparticulièrement difficiles. Il bénéficie aussi d’un soutien trèsindividualisé, étant donné le petit effectif de sa classe. Dès lepremier trimestre de sa 4e, il s’oriente vers une formation« cuisine », motivé par une identification paternelle qui com-mence à émerger. Ses bons résultats lui permettent d’acquérirau cours de cette année scolaire une certaine confiance en lui.Théo, renarcissisé, s’ouvre, et s’empresse de nous communi-quer ses notes dès son retour le soir, interpellant chacun desmembres de l’équipe présents. Il confie aussi aux soignantsdes petits événements de son quotidien, leur demandant

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implicitement de lui montrer qu’il est aussi capable d’y réagirseul positivement, et qu’ils ont confiance en lui.

Sur le plan des apprentissages, il subsiste des difficultés decompréhension des consignes, notamment en cuisine, ainsiqu’un mauvais repérage dans l’espace. Souvent Théo setrompe de direction, bute contre les meubles, surtout quandplusieurs jeunes doivent se déplacer dans la même salle. C’estun peu comme s’il ne pouvait totalement avoir conscience deses limites, de son corps, tant ses relations avec sa mère ontété fusionnelles, englobantes, et aussi déconcertantes.

Mais Théo, soutenu par l’équipe qu’il sait solliciter,cherche à dépasser ses difficultés. Il accepte de se présenterseul sur un lieu de stage, après avoir préparé cette visite, trèsimportante pour lui, par un jeu de rôle avec un soignant, leweek-end. Très soucieux de son apparence physique, il arrivemieux à habiter cette enveloppe, prenant peu à peu cons-cience de ce qui vit à l’intérieur. Avec une chemise blanche etune cravate sur un pantalon sombre, costume qu’il arboregénéralement lors des fêtes de Rungis (Noël, la fête de find’année, etc.), il a fière allure, autant que dans ses joggingsaux couleurs recherchées.

Durant les deux années suivantes, il obtient satisfactiondans toutes ses démarches de recherche de stage et, lors de sespériodes de stage, il se montre très adapté. Si une certainelenteur lui est parfois reprochée, il est tout de même globale-ment très apprécié par les adultes qui l’encadrent.

En effet, suite à ses deux prometteuses années de SEGPA,Théo s’inscrit pour préparer un CAP de restauration malgré lesmises en garde de son père : « Le métier de cuisinier c’estincompatible avec une vie familiale », lui a-t-il dit. C’est cemétier qui a fait échouer son couple à cause des horairesimpossibles, nous explique-t-il. Mais Théo, toujours à larecherche d’une identification possible avec ce père insaisis-sable, persiste dans son choix, soutenu par les enseignants etnous. Reste le choix problématique du CAP en LEP ou dans lecadre d’un apprentissage. Il est intéressant de noter que Théopeut alors se situer en exprimant son désir, ce qui l’angoissaitau départ, car il semblait ne pas avoir de repère. Habituédepuis toujours à suivre l’avis qu’on lui indique, il veut cettefois-ci malgré tout s’approprier vraiment sa décision finale : il

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écoute d’abord passivement les commentaires de ses ensei-gnants lors d’un entretien avec eux auquel la mère et son réfé-rent participent. Tous soulignent de façon élogieuse sa bonnevolonté, et ses capacités pour la cuisine, éloges qu’il peutalors faire siennes et dont il se nourrit (enfin !) un peu. Ils luipointent aussi certaines fragilités dans le domaine de l’auto-nomie et de la maturité. De ce fait, ils l’imaginent davantageen Lycée professionnel, car il y sera mieux encadré et sou-tenu. Après cela, Théo écoute encore les commentaires moinsavantageux de sa mère, puis les nôtres, et il exprime vraimentson choix de façon catégorique : il veut entrer en LEP. Cettedécision prise, en accord avec tous, il fait de gros efforts, et samère l’aide alors, pour se présenter aux différents LEP suscep-tibles de l’accueillir. Impeccable, dans une tenue longuementchoisie avec elle, il avance avec son nouveau look de cuisinier,un peu comme si « l’habit faisant le moine », cette nouvelleidentité vestimentaire lui assurait magiquement une réussitedans sa future formation. Mais, en même temps, plus authen-tiquement, il cherche, et sa mère le soutient aussi vraiment, àmettre toutes les chances de son côté.

Pourtant, le début de cette première année est difficile.Théo est débordé par le rythme, la charge de travail et lestransports. Il nous fait penser au petit élève de 5e que nousavons vu arriver trois ans plus tôt et cela nous inquiète gran-dement, même s’il garde une bonne insertion auprès de jeunesde sa classe. Mais rapidement, il perd confiance en lui etdésinvestit. L’équipe le soutient alors littéralement « à boutde bras ». Un éducateur le suit quotidiennement dans son tra-vail scolaire. Et Théo se reconstruit peu à peu, il effectue untrès bon redressement dans les matières de culture générale(math, français, etc.), alors que ses notes en cuisine restentfaibles : il annonce qu’il va abandonner la cuisine, et mêmel’option possible de « service en salle » plus accessible semble-t-il. Il cache mal son désarroi derrière des attitudes « je m’enfoutistes », affichant qu’il ne veut rien faire, devenir SDF. Lefait de lui proposer d’autres orientations possibles et de res-pecter ses doutes, tout en lui affirmant sa possibilité à se réa-liser quelque part, dans une branche qu’il lui reste à trouver,lui permet à nouveau d’avancer.

Cette période est aussi celle de la préparation de sa sortie

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des « 13/17 », moment toujours difficile, réclamant de longsmois de préparation, entraînant souvent un mouvementrégressif. Théo n’échappe pas à cette dynamique douloureuse.Durant tout ce troisième trimestre, il exprime son désarroi parun certain repli, des attitudes lymphatiques accrues et unegrande fatigue. Son ancienne symptomatologie réapparaît :malaises épileptiques, pertes ou oublis de ses objets personnels,comme si Théo n’était déjà plus là, fuyait face au deuil. Cepen-dant, il s’appuie sur l’équipe pour se renarcissiser progressive-ment : « Passe-moi de la pommade », demande-t-il souvent àqui est là, pour n’importe quel bobo, et le voilà allongé, avecson grand corps musclé qui se laisse masser, et revaloriseraussi. C’est un peu comme s’il avait reculé pour mieux sauter.

Depuis peu, il a affirmé son désir d’aller en internat, effec-tué différents stages dans les trois structures où il a été immé-diatement accepté après entretien, et se tient davantageérigé, comme s’il avait trouvé un statut, résistant aux dévalo-risations maternelles qui se poursuivent avec un peu moins devéhémence, mais surtout beaucoup moins d’efficacité.

Sur un plan psychopathologiqueIl est clair que l’épilepsie avait une place prépondérante

lors de son entrée, au point de faire aussi un peu peur àl’équipe des « 13/17 » (la neuropédiatre est donc venue nousparler de Théo et dédramatiser sa pathologie, tout en don-nant des conseils utiles en cas de crise) ; elle reste aujourd’huiune sorte d’indicateur... Elle s’est rapidement stabilisée aprèsl’entrée de Théo à Rungis (alors qu’il faisait environ une crisepar jour juste avant). Puis elle est réapparue timidement àdes moments clés de la prise en charge (divorce officiel desparents, décision de sortie annoncée et prise de conscience deThéo qu’il ne veut pas retourner chez sa mère mais doit allerdans un autre internat, alors que son père affirme qu’il nepeut pas le reprendre avec lui, etc.).

Alors comment vit Théo aujourd’hui ? C’est un grand gar-çon, sympathique et docile. Mais où est-il vraiment ? Pas réel-lement dans un affrontement, pouvant se distancier del’adulte et affirmer, encore fragilement certes, ses positions.Parfois, il peut se mettre en colère : il claque les portes, peutêtre grossier. Mais cette colère reste un peu artificielle, comme

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s’il lui fallait « entrer en colère », et que sa violence ne« tenait » pas. Dans ces fugitifs moments-là, on a l’impressionqu’il veut écraser l’autre. Puis il tourne les talons : « Allez,va ! », crie-t-il. Dans ce paroxysme, il coupe court à l’échange,il se débarrasse de l’autre, comme si c’était la seule solutionpour lui de se dégager de l’emprise, et de rester « entier ».

Il peut aussi parfois avoir une attitude renfrognée. On nepeut l’aborder : contrarié, bougon, il dit « qu’il n’y a rien ».La seule solution est de le laisser reposer, se reposer, pourqu’ensuite il puisse parler très authentiquement de ses peurs(les filles, la sexualité, son choix professionnel, etc.). Ce sontdes moments forts et très intenses pour tous les membres del’équipe.

Théo a aussi investi une activité graphique durant sonséjour : il aime dessiner, souvent juste avant de se mettre aulit. C’est comme s’il cherchait à retrouver un espace transi-tionnel construit à la force du poignet, face à une mère capta-trice, mère qu’il a encore du mal à quitter dans sa tête aumoment de sombrer dans le sommeil (pendant toute unepériode, après avoir cessé ses balades nocturnes dans la mai-son, ou ses essais de rallumer la télévision, il s’endormait, lewalkman sur les oreilles)... Ses productions sont de deuxordres : d’abord, des dessins de missiles et d’avions, qui ontinauguré sa passion graphique. Ce sont des dessins de « petitgarçon », un peu plaqués, dessins qu’il a aujourd’hui aban-donnés, même s’il continue à aimer l’aviation. Ensuite, depuisquelques mois, il copie et recopie des fresques hip-hop, cultureadolescente de nos années 1990, culture à laquelle Théo« colle » comme à la musique qui l’accompagne. Ces fresques,particulièrement difficiles à déchiffrer, sont un mélange esthé-tisé entre tags noirs et blancs, et couleurs. Le dessin y estenchevêtré dans quelque chose qui semble ne pas arriver à sedire, comme si cela s’écrivait et se rompait en même temps.Comment « être », et ne surtout pas être, en même temps ?Serait-on démasqué dans son désir si on « était » vraiment ?Quelle mère archaïque nous traquerait alors ? À ce moment dela cure, Théo semble rester prudent à ce sujet.

Mais que manque-t-il à Théo pour être vraiment lui-même ? C’est vrai qu’on a encore l’impression qu’il faut lenourrir, pas en le gavant, mais en étant là pour le soutenir,

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acquiescer, confirmer ses actions. Notre présence semble affir-mer la sienne autonome.

À certains moment, il apprécie la compagnie d’un infir-mier de l’équipe. Le prenant souvent à part, il s’anime, faitpart d’enthousiasme. Il échange souvent autour de petitsdétails du quotidien, dans l’anecdote, le « faire rire ». Il peutplaisanter au sujet d’un copain, d’une fille qu’il a remarquée,avec laquelle il aimerait bien sortir. Mais dans son discours,on sent qu’il veut, dans le partage, vérifier la réaction del’adulte, sa position en ce qui concerne un événement qui luitient très à cœur. Il aime aussi raconter un film de façon trèsprécise, un peu trop parfois, comme pour tenter de partager« tout », chaque émotion, avec celui à qui il raconte. Même sicela confine au fastidieux, dans ces tentatives d’échange Théocherche à préserver son identité, tout en voulant partagerauthentiquement quelque chose. Tous ces moments sontautant « d’accroches » importantes avec lui.

En revanche, la dimension du jeu semble totalementéchapper à Théo, comme s’il n’avait pu l’expérimenterenfant : il reste dans la difficulté à mettre en jeu des situa-tions, et à se positionner, en même temps, en « Je ». Théo estdonc démuni dans la solitude, cherchant un espace transition-nel qui semble encore fragile. D’ailleurs la présence de sa mèrereste actuellement angoissante pour lui : certes, elle lui pro-met des aventures sentimentales (ce qui a bien changé car,jusqu’à peu, devant son magnifique garçon de 17 ans, elletenait un discours castrateur au possible à ce sujet), mais elleles repousse encore : « Ce sera pour plus tard, avant, il y a lesétudes », dit-elle ; elle est là, présente, pensant à lui acheterdes vêtements seyants et adaptés à sa croissance (elle n’ajamais été en défaut en cela), mais elle est aussi en surface, etsous cette surface il y a comme un gouffre. Alors, les vête-ments sont là avant tout pour cacher le corps, même s’ils lemettent aussi en valeur... un peu comme un supplice de Tan-tale. D’ailleurs, il y a encore quelques mois Théo faisait àl’équipe la faveur de ses plus belles tenues dans lesquelles ilpouvait paraître un peu emprunté, comme « tiré à quatreépingles » : il les exporte maintenant progressivement dans savie extérieure et commence à les habiter davantage, portantson grand et solide corps d’athlète autrement.

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C’est aussi un peu comme si le discours de sa mère étaittrop court. Et du coup, le sien a également du mal à débou-cher. Il est là, avec l’autre ; l’échange fonctionne ; mais c’estquand même l’autre qui doit le guider sur le chemin qui mèned’un point à un autre, d’un rebondissement à un autre. Etdans cette construction « ensemble » d’un discours plein,l’adulte vient confirmer les fugitifs ponts que Théo tente demettre en place lui-même. Il suffirait d’une interrogation,d’un regard un peu négatif pour que tout semble s’écrouler,surtout quand il s’agit des « aventures sentimentales » deThéo. Mais ce chemin construit ensemble, articulé et riche,finit souvent par prendre vie et faire rire, ensemble, dans leplaisir. Le plaisir est partagé et Théo acquiesce, il est là, pro-fite, recherche ces moments comme autant de points d’appui.Plus qu’un étayage, c’est que Théo se sent ici reconnu parl’autre, et peut ainsi se reconnaître lui-même. Il trouve plaisiret existence, enfin, dans un échange ludique.

Cette difficulté du jeu, alliée à celle du « Je », on laretrouve bien dans des dessins récents de Théo, des dessins depersonnages féminins issus de BD, sortes de Betty Boops auxformes suggestives. Les vêtements de ces demoiselles ne mas-quent plus du tout leur corps, moulés dans des corsages auxlarges décolletés, et des shorts minuscules. Pourtant, ces per-sonnages semblent figés, morts, ils ne sont pas mis en scène,alors que Théo dit pourtant qu’ils lui évoquent une jeune filledu groupe représentant son idéal féminin. Ces femmes ontdonc tout ce qu’il faut, mais elles restent incapables des’animer, figées dans une pose désincarnée, érotisme sansâme. Il est vrai qu’il est parfois difficile d’imaginer une cer-taine humanité, une douce sollicitude, derrière l’image écra-sante d’une mère archaïque, et Théo sait de quoi il estquestion.

Théo a longtemps accroché ces dessins dans sa chambre,mais, depuis peu, ils peuplent la porte de celle-ci, au milieudes fresques hip-hop, elles, abandonnées. Un message pour lesautres et pour lui-même... quelle pourrait bien être la femmeà aimer ? Il est vrai que Théo est en grande difficulté par rap-port aux femmes, mais il reste enthousiaste, désirant. Les fil-les, elles ont de jolis yeux, de jolis cheveux, il aime les décrire,et faire partager aux soignants ses transports émotionnels

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face à l’élaboration de ses premiers sentiments amoureux.Mais il y a la difficulté de l’accomplissement du désir : com-ment aborder l’autre. Aborder une jeune fille, c’est aussiinventer une histoire, histoire qui inclut l’autre, l’autre sexeen l’occurrence. La dynamique familiale n’aide pas Théo dansce domaine !

Par exemple, la place de la demi-sœur de Théo et du pèrede celle-ci, beau-père de Théo, reste très compliquée. La mèrede Théo semble tout décider, du prénom de l’enfant, à celuide son nom (elle porte celui de sa mère). Mais cela peut aussifaire penser au père de Théo, à sa fuite permanente, un pèrequi ne tient pas face à la femme (il n’a pas reconnu l’enfantqu’il a eu avec sa deuxième femme).

Non seulement il fuit, mais il « coule » aussi, comme cebateau qu’il a fabriqué dans son jardin. Ce bateau, il le desti-nait à naviguer en famille, avec Théo et sa mère. Il leur auraitfait faire un tour du monde, revenant ainsi à ses origines(Madagascar) et à ses pères et grands-pères, des voyageursinvétérés, toujours entre découvertes et fuite... Mais cebateau ne peut pas arriver à prendre la mer tant le père deThéo a peur qu’il prenne l’eau ! Du coup, il abandonne le pro-jet, et l’embarcation vestige, fantôme, pourtant presquevivante, reste là, abandonnée, entre deux eaux. Théo a biendu mal à s’y retrouver au milieu de ces personnages paren-taux : comment tenir quand son père et son beau-père s’y cas-sent les dents ?

Professionnellement, après avoir retrouvé une placedevant laquelle il semblait avoir capitulé avant d’arriver aux« 13/17 » (celle d’un élève efficient), il s’oriente vers un choixà valence paternelle, la cuisine. Son père pourtant l’avait pré-venu : « C’est un mauvais métier », lui avait-il dit. AlorsThéo travaille un peu en dilettante dans la cuisine, un peucomme son père, qui vit « en amateur », touche à tout, puisfait sa valise et repart ailleurs, avec un physique qui n’enimpose pas : il est incapable d’un réel positionnement. Lesinvestissements de Théo vont au gré du vent : si son père ledéçoit, et c’est ce qui se passe en ce moment, Théo désinves-tit. Quand il râle (« J’en ai marre de la cuisine », dit-il), c’estun peu comme si Théo affirmait à son père : « Ta cuisine, tesintrigues, ce que tu magouilles, j’en ai vraiment marre. »

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Un peu plus tard, il pense à travailler dans l’aéronau-tique. Il aime les avions, les photos et les images les concer-nant, mais sans chercher à savoir « comment ça marche ».Ses envies de mécanique vont dans le même sens : il n’est pasquestion de plonger dans un moteur, cela reste superficiel, unpeu à distance, si bien qu’on est parfois tenté de minimiserson réel intérêt.

Le handicap d’avoir un père jamais réellement posé etfiable, père que Théo ne semble jamais pouvoir vraiment ren-contrer au sens plein du terme (le voilà maintenant, après laprovince et Paris, sur le départ pour un lieu proche de seslieux de vacances), il le porte face à une mère qui se situe dansl’emprise et la crainte de l’abandon : « En Bretagne, vousvoulez l’envoyer en Bretagne, mais c’est loin ça ! », a-t-elledit au cours d’un entretien. Mais c’est que la Bretagne, cen’est pas loin des lieux fétiches de Théo, ce qui n’a paséchappé au jeune homme qui semble privilégier cette solutiondans les trois internats qui l’ont accepté... Ce serait un boncompromis... Théo pourrait y avancer entre mère, père etmer, cuisine, aviation et peinture.

Mais Théo sera-t-il lui aussi toujours un amateur ? Oupourra-t-il s’autoriser à devenir un amateur au sens positif duterme : amateur de dessins, de voyages, de bons plats et demécanique ? de femmes ?

Ses derniers dessins peuvent alors ouvrir comme une voienouvelle. Ce sont des trains, des métros, RER, avec la froideurmécanique et métallique de ces rames impersonnelles reco-piées dans La vie du rail. Mais du sens commence à entrerdans ces planches : on est comme sur le départ, les portes sontfermées, les voyageurs attendent. Cela pourrait devenirune BD et l’infirmier avec qui il dessine souvent lui suggèrequ’une histoire puisse exister derrière ces vitres. Ce train de lasortie de Théo, il le reproduit et n’arrive pas encore à l’habitertout à fait. Ce serait un peu comme un plat cuisiné danslequel il manquerait la véritable cuisine : celle qui lie lesingrédients les uns aux autres, de façon subtile, pour le délicede convives qui partageront ce repas, un peu plus tard, avecles conversations qui seront égaillées par un bon vin. Cesmots semblent encore un peu manquer à Théo.

Alors, face au non-sens, parfois Théo s’endort. Dans le

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métro qui le ramène du lycée, il rate l’arrêt, et le voilà dansl’impossibilité de rencontrer son père qui doit venir en rendez-vous aux « 13/17 »... mais pouvait-il être sûr qu’il viendrait ?Cette anticipation de l’absence est tellement douloureusepour Théo qu’elle l’inhibe, qu’elle l’endort. D’ailleurs, le pèrene viendra pas ce soir-là, Théo rentrera angoissé et seraencore une fois déçu. Sommeil, crises d’épilepsie, court-circuitface à l’absence, la non-reconnaissance, qui laissent face à lamère, chaleureuse et nourricière il est vrai, mais toujours pos-siblement effrayante, mère qui garde absorbe, engouffre.

Les entretiens avec les parentsLes entretiens avec les parents ont aussi évolué cette der-

nière année. Est-ce la sortie annoncée qui a permis à chacunde se mobiliser un peu plus ? Toujours est-il que, récemment,père et mère se détendent un peu plus pour nous livrer des élé-ments essentiels de leur vie.

Le père fait, au nouveau médecin de l’unité qui l’étayebeaucoup, une révélation qui éclaire largement l’histoire deson couple et donc celle de Théo. Cet entretien se déroule sixmois après le décès de son propre père, deuil très douloureux,vécu dans l’abandon, et deux mois après la prononciation deson divorce d’avec Mme P.

Il explique qu’il se met assez jeune en ménage avecMme P. Elle est très jolie femme, et il est d’emblée persuadéqu’elle va le tromper. Et le drame ne manque pas de se pro-duire. Il tient un restaurant et travaille beaucoup. Elle aimesortir et s’amuser. Il la soupçonne d’avoir un amant et, dou-tant sans cesse de lui, il semble ne pouvoir affirmer réellementsa virilité que dans un travail acharné. Alors que Théo asix ans et se trouve en vacances aux Antilles, que sa femmeest sortie, un soir, un homme sonne à la porte. En ouvrant, ilreconnaît un de ses amis à elle, et exaspéré, referme la porte.Un coup de feu retentit : l’homme s’est suicidé sur le paillas-son. Il se demande encore s’il était venu pour la tuer, elle... Lecouple tente alors de se reconstruire tant bien que mal, encachant soigneusement tout cela à Théo qui débute alors sonépilepsie, alors même que son père lui donne à ce moment sonnom. Mais rien n’y fait, et à peine deux ans plus tard M. etMme P. se séparent.

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La mère elle aussi s’ouvre davantage, en exprimant sondésarroi dans la nouvelle famille qu’elle a constituée. Elle a eneffet eu une petite fille avec son nouveau compagnon (petitequi a 1 an et demi actuellement). Elle est ravie de pouvoir« jouer à la poupée » en donnant, avec elle, libre cours à sapassion des vêtements. Mais, après ce premier temps deréserve optimiste, elle nous parle d’une période dépressiveaprès son accouchement où elle se sent seule à assurerl’éducation de sa fille, prête à rejeter le père à nouveau. Elleest désemparée face à ce bébé fille qui ne supporte pas la sépa-ration d’avec elle, pleure dès que quelqu’un d’autre s’enoccupe. Son compagnon tente alors de prendre une certaineplace, sans pourtant la soulager de ses angoisses d’être« ligotée à sa fille ». Voyant se profiler là une répétition, il luiest proposé une consultation avec un médecin du réseau bébé.Après une acceptation de surface, elle ne donne pas suite,mais tout récemment, alors que ses difficultés conjugalessemblent résolues et qu’elle est « tout à la joie » de s’occuperde sa fille, elle confie, les larmes aux yeux, l’exaspération etl’angoisse suscitée par cette petite fille qui, dit-elle en conclu-sion, « est trop comme moi ». Il est vrai que Stéphanie a uncaractère aussi affirmé que sa mère et ne veut pas céder auxvolontés de celle-ci, et rien n’y fait. Mme P. commence àredouter sa propre violence, sans pouvoir souscrire aux réas-surances de son compagnon qui dédramatise et lui dit decéder « car c’est encore une enfant ». La perspective de lasortie prochaine de Théo, avec tout ce qu’elle comported’inquiétudes à son sujet, se vit pour elle également commeune séparation d’avec les « 13/17 », une séparation difficileavec ce qu’elle a toujours continué d’appeler « le foyer »,foyer accueillant pour Théo, mais aussi pour elle. Lors d’undernier entretien où elle arrive en avance, nous la surprenonsassoupie dans le fauteuil de l’entrée, sereine. Elle parleensuite avec un éducateur et lui confie, à lui qui a la mêmevoiture, qu’elle a définitivement décidé de ne plus remplacerses enjoliveurs qu’on lui vole toujours. Nous constatons queMme P. est plus authentique et que, du coup, elle est plustouchante et plus clairement désespérée par moments. Ellevoit son fils se détacher d’elle, et pas facilement puisque lastructure éducative où il doit entrer l’année prochaine néces-

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site un financement par l’aide sociale à l’enfance à laquelleMme P. et M. P. ont donc accepté de confier Théo un temps.Alors Mme P. accompagne Théo dans ses visites, désemparéeparfois par les questions des nouveaux intervenants locaux :une psychologue interroge Théo sur sa fratrie et il répondqu’il a « une sœur », oubliant à la fois que c’est une demi-sœur et que son père a aussi un autre enfant. Une éduca-trice de l’équipe qui l’accompagne rectifie : « Théo, c’est tademi-sœur... » et alors là, Mme P. explose : « Mais enfin, c’estsa sœur, ils sortent bien du même ventre ! »... Où sont lespères ?

C’est vrai que Mme P. doit accepter de perdre le soutienchaleureux du « foyer » que l’équipe des « 13/17 » lui offrait,et c’est sûrement très angoissant pour elle, comme si elle seretrouvait à coup sûr dans le spéculaire. Pour l’aider dans cetravail de deuil et aussi pour poursuivre le soutien de Théo,un suivi avec le médecin qui avait adressé Théo aux « 13/17 »et qui est responsable de l’unité a été proposé et accepté parMme P.

POUR CONCLURE

Finalement, la prise en charge de Théo a été une véritableréanimation : celle de la pensée, du corps, du désir, du père, dutiers. Il y a eu des effets : Théo est aujourd’hui un grand gail-lard, beau et respirant la santé, lui qui avait débuté une épi-lepsie dans une période où la mort était présente, dans le secret(secret des tromperies de sa mère ; secret du meurtre possiblede celle-ci par son amant ; secret du suicide de celui-ci devantla porte de la maison familiale). Mais Théo est un adolescentencore mal assuré. C’est un peu comme s’il avait encore besoindu plateau technique de la réanimation légère, après la lourdetechnicité des premiers temps. Il est indépendant parmoments du respirateur, mais il doit pouvoir le retrouverencore, quand il en sent le besoin. Il est encore parfois impuis-sant, plongé dans l’entre-deux : entre deux parents, entredeux séparations. Mais il a su choisir délibérément d’être, pour

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un temps, entre deux institutions, dans ce dernier mois où il avisité et effectué des observations dans plusieurs autres inter-nats, avant de s’inscrire vraiment dans l’un d’eux, et pour-suivre son processus d’adolescence. Dernièrement sur le pas dela porte des « 13/17 », Mme P. regarde son fils : « Mais tu t’esrasé ? » « Ben oui », répond-il avec une nouvelle tranquillitédu ton « C’est pas la première fois ! »...

Se situer dans l’entre-deux à cet âge, c’est plus que nor-mal, c’est physiologique. Souhaitons à Théo de se sortir de cehiatus parfois déstabilisant. L’équipe sera aussi là pourl’écouter à distance, le téléphone, aux « 13/17 », au cours del’année qui suit la sortie, c’est un bon compromis pour seséparer tout en vérifiant que chacun existe toujours.

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Pr. Catherine EpelbaumFondation Vallée7, rue Benserade94250 Gentilly

Automne 1999

306 Catherine Epelbaum et al.

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