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    Luc LaurentinThierry Pirard

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    Le jour o la pub sest arrte

    Luc Laurentin est co-fondateur de Limelight-Consulting, institut dtudes

    et cabinet de conseil spcialis sur le march de la communication et

    professeur Sciences Po Paris.

    Thierry Pirard est journaliste dentreprise et fondateur dEffiText, agence

    de communication rdactionnelle.

    Plus une annonce, plus une affiche, plus un spot...

    Lasse de se voir maltraiter par le gouvernement et

    pressurer financirement par ses clients, du jour au

    lendemain la pub sest mise sur off . Le monde

    politique, le monde des affaires, lopinion publique sont pris de

    court, et le paysage conomique est totalement boulevers.

    Plaidoyer grinant pour une profession mal considre, ce

    scnario de fiction tire le signal dalarme et donne rflchir

    sur lurgence dun changement des mentalits et, pourquoi pas,

    dune vritable ngociation.

    Enfin un livre original, drle et plein de vrit sur notre industrie ! Il se lit comme un thriller. Jai ador linsolence avec laquelle Luc enfonce le clou l o a fait mal !

    Michle Ferrebeuf Prsidente de McCann Worldgroup France

    Luc Laurentin est un spcialiste de la communication en mme temps quun vrai honnte homme de notre sicle. A travers un rcit plein dhumour et de moments savoureux il construit un raisonnement par labsurde particulirement convaincant : la publicit, trop souvent dcrie, est un des piliers de notre conomie, de notre dmocratie et de notre vie quotidienne.

    Laurent Habib PDG Euro RSCG C & O

    No pub, no medias, no conomie de march... une dmonstration amusante pour dcouvrir les coulisses des agences et des annonceurs lheure o les deux cherchent se rinventer. On y retrouve les principaux acteurs de ce mercato avec leurs obsessions ainsi que leurs talents et enjeux.

    Anne-Marie Gaultier-Dreyfus Prsidente du Club des Annonceurs

    Code

    dite

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    Le jour o la pub sest arrte

  • Groupe Eyrolles61, bd Saint-Germain75240 Paris cedex 05

    www.editions-eyrolles.com

    Le Code de la proprit intellectuelle du 1

    er

    juillet 1992 interditen effet expressment la photocopie usage collectif sansautorisation des ayants droit. Or, cette pratique sest gnra-lise notamment dans lenseignement, provoquant une baissebrutale des achats de livres, au point que la possibilit mmepour les auteurs de crer des uvres nouvelles et de les fairediter correctement est aujourdhui menace. En applicationde la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intgrale-

    ment ou partiellement le prsent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sansautorisation de lditeur ou du Centre Franais dExploitation du Droit de copie,20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

    Groupe Eyrolles, 2009ISBN : 978-2-212-54176-2

    Avertissements :

    En aucun cas les personnages cits nont tenu les propos quonleur prte dans cet ouvrage et nont prt leur concours sardaction.

  • Luc Laurentin

    Thierry Pirard

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    Le jour o la pub sest arrte

  • Merci Laurent Habib davoir trouv le titre de ce livre.

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    Sommaire

    Chapitre 1

    Un jogging qui finit mal

    ...................... 1

    Chapitre 2

    Cinq jours plus tt

    ............................... 11

    Chapitre 3

    Brainstorming

    llyse

    .................... 21

    Chapitre 4

    La pub : combien de divisions ?

    .......... 31

    Chapitre 5

    Drles de rveils

    ................................. 41

    Chapitre 6

    Un signal fort de quelques jours

    ... 49

    Chapitre 7

    Leon de pub sous les lambris

    ............ 55

    Chapitre 8

    Concert de

    fado

    rue de Lisbonne

    ........ 73

    Chapitre 9

    Une grve en cache une autre

    ............. 85

    Chapitre 10

    Une journe dmoralisante

    ................ 97

    Chapitre 11

    Chronique dune rupture annonce

    .... 107

    Chapitre 12

    Un maire en colre

    .............................. 119

    Chapitre 13

    Tristes gondoles

    ................................. 131

    Chapitre 14

    Sinistrose

    ......................................... 137

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    VIII

    Chapitre 15

    Ici Londres, les Franais parlentaux Franais

    .................................. 147

    Chapitre 16

    La pub sur un plateau

    ......................... 157

    Chapitre 17

    Une grand-messe pour la ngo

    .......... 171

    Chapitre 18

    Sortie de tunnel

    .................................. 175

    Chapitre 19

    pilogue

    .............................................. 189

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    Chapitre 1

    Un jogging qui finit mal

    Exceptionnellement, le Prsident avait mal, trs mal dormi.Un texto aussi laconique que tardif de son fils Il semblequils aient enclench le processus, on va morfler avaitgnr un malaise qui ne stait pas dissip. Lui gnrale-ment si prompt agir dans linstant avait dcid que, la nuitportant conseil, il prendrait le lendemain les dcisions quisimposaient ! Mettre llyse feu et sang aprs minuitnapporterait rien.

    Entre 3 heures et 4 heures du matin ne cessant de se retour-ner dans son lit en qute de ce sommeil rparateur ce soiraux abonns absents o il puisait dhabitude une partie deson nergie, il se leva sans bruit, dcid rejoindre sonbureau sans dranger son pouse.

    Quelques minutes plus tard, la voiture franchit lentement lagrille du coq sous le regard perplexe du planton. Cette arriveinusite du patron laube tait un fait rare et nauguraitrien de bon. Bougon, celui-ci sortit prestement du vhicule,sans laisser quiconque le soin douvrir la portire, escaladale perron et annona son garde du corps quil allait courir.

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    1. Lexpression est de Franois Mitterrand.

    Encore transpirant de ses deux tours du parc de llyse,Nicolas Sarkozy aprs une nuit blanche a du mal assimiler lanouvelle. videmment, les deux gendarmes qui laccompa-gnent dans son jogging quotidien sont au courant. La rgle,durant ces vingt minutes de mise en forme avant la furie dunemploi du temps immanquablement surcharg, est quon yparle de tout en petites foules et sans retenue. Ces garonssont patants. Discrets, efficaces, ils ont vite compris que lePrsident attendait deux plus quune simple surveillance rap-proche. Ils sont pour lui un canal de communicationrapproche . Un canal qui shunte la soixantaine de collabora-teurs directs du chteau quand ils lui racontent sans fiori-tures ce qui les a intresss dans

    Le Parisien

    ou la tlvision,ce que leurs femmes leur rapportent sur leurs missions deradio prfres ou ce que leurs gosses bricolent sur le Net.Prcieux.

    Et ce petit matin, il se sent vraiment dbarqu dans un drlede binz , limage de lexpression culte de son copainChristian Clavier, se retrouvant malgr lui, la fin du film

    LesVisiteurs

    , tltransport dans une autre poque. Ou plu-tt, il se sent trahi. Cest cela. Trahi. La com, il en a fait lundes fondements de sa prsidence. Cinq ans de campagnemthodique, de 2002 2007, pour pouvoir courir comme cematin sur les alles sablonneuses des jardins dessins parGabriel. Et mme vingt-cinq ans, lorsquil sest empar de lamairie de Neuilly, en 1983, au nez et la barbe de ce terribleM. Pasqua

    1

    . Depuis quil a accd la magistrature suprme,il a peaufin sa

    maestria

    dutilisation de tous les mdias possi-bles pour valoriser la fonction prsidentielle au service de la rupture , assist dun

    staff

    de professionnels quil croyait

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    imbattables. Et ce matin, ces deux gendarmes du GSPR

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    confir-ment ce qui avait t voqu la veille au soir et avait donn lieu cette horrible nuit. Dire que mme ses propres conseillersnont pas t capables de lui annoncer avec un minimumdanticipation. Un comble !

    Sous la douche, il peste contre cette nouvelle qui va sansaucun doute affecter limage internationale de la nation et lasienne propre. La com, il lui a tout donn. Laurait-elle quittaprs plus de trente ans de bons et loyaux services ?

    Les arbres du parc le protgent, aucune rumeur ne parvientdans sa chambre ni ne vient troubler sa rflexion. Il lui semblequil a du mal merger. Comme un gros coup de fatigue danscette course effrne quil mne depuis des annes, poursa campagne dabord, pour rformer ce fichu pays, ensuite,au pas de charge et malgr tous les bien-pensants et contretoutes les lourdeurs accumules depuis si longtemps. Ce quilvient dapprendre le dpasse compltement. Mais, bordel,comment en est-on arriv l ?

    Alors quil se rhabille, Emmanuelle Mignon, sa chef de cabi-net, lappelle sur le portable qui ne le quitte jamais. Elle estdj son bureau, dans une des ailes qui donne sur la courdhonneur. Alpiniste chevronne, cette Chamoniarde dadop-tion sait faire court quand cest ncessaire. Planter un pitonet accrocher un mousqueton pour assurer la corde ne nces-site pas de longs commentaires. Cest ce quil apprcie chezelle. Avec le ton presque rogue quil prend pour lui rpondre,son ton des mauvais jours, elle a compris quil sait dj. Pour-tant, ce quelle lui commente plus en dtail est proprementincroyable.

    1. Groupe de scurit de la prsidence de la Rpublique.

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    Maurice Lvy, Vincent Bollor, Jean-Claude Decaux et les pr-sidents des grandes chanes de tlvision nationales sont lheure quil est en

    conference call

    avec tous les syndicats lisaux mdias et aux mtiers de la communication. Ils viennentdannoncer pour les uns, dapprendre pour les autres, unegrve illimite de la publicit : cration, production, achatdespaces, rservation, diffusion, tout. Et toute tentative dengociation semble dans le contexte prsent inenvisageable,si ce nest explosive et pire que tout !

    Emmanuelle Mignon a eu Olivier Bouygues au tlphone il y a peine cinq minutes. Il souhaitait informer personnellementle Prsident de cette tuile qui lui tombait dessus et venaitdintimer lordre Nonce Paolini, directeur gnral de TF1 etlun des premiers subir ds ce matin les prmices domma-geables de cette stupfiante nouvelle, den tirer immdiate-ment les conclusions. TF1 se mettrait ds 7 heures au serviceminimum. Pas de pub ? Pas de programmes !

    Quelques minutes plus tard, ngligeant comme son habitudelascenseur install par Franois Mitterrand, Nicolas Sarkozyquitte les appartements privs o il vient de se changer. Il des-cend quatre quatre le majestueux escalier et traverselancien appartement dEugnie de Montijo, affect ses prin-cipaux collaborateurs, pour rejoindre le Salon dor, bureauprsidentiel depuis le gnral de Gaulle, hormis lintermdegiscardien.

    Un nouveau

    flash

    angoissant traverse son esprit : Tous lessouverains ou grands qui ont vcu ou sjourn ici ont bienmal fini : Murat, Napolon, le roi de Rome, Napolon III etEugnie Lui qui a conquis sa prsidence tambour battant,comme l autre au pont dArcole, va-t-il aussi tre prcipitdans la chute, tout tant possible avec cette effroyable affairedont il a du mal cerner les contours, mais dont son esprit

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    extraordinairement rapide chafaude dans le dsordre lesconsquences dsastreuses ?

    Pntrant dans le Salon dor, il se saisit machinalement de latlcommande qui pilote lcran plasma, discrtement ins-tall afin de ne pas dnaturer la somptueuse pice. Entendantle 21

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    concerto pour piano de Mozart, il est saisi dun momentdeffroi quand son regard dcouvre sur TF1, comme au tempsde sa petite enfance, la mire

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    comme unique image. Maisje ne suis pas mort !

    Effectivement, la coutume veut que, lors du dcs dun Prsi-dent en exercice, les programmes soient immdiatement inter-rompus pour laisser place un programme de musiqueclassique. Au demeurant, cela ntait arriv que pour GeorgesPompidou ! Son esprit en bullition lui envoie ce commentaire : Et si, sans communication, jtais, nous tions morts ?

    une vitesse hallucinante, mille scnarios dfilent dans sonesprit. La mobilisation de toutes les tlvisions trangrespour pallier en peu de temps la carence des chanes nationaleset de toutes les autres, encore plus dpendantes de la publi-cit. De toute vidence, Al Jazeera, la BBC, CNN ou dautresauront les moyens dagir en un temps record. La Belgique, laSuisse francophone, iront encore plus vite et, compte tenu dunombre de riches Franais partis l-bas ces dernires annes,ceux-ci nhsiteront pas financer des solutions alternativesprofitant leurs affaires. Mme chose pour les journaux,Internet permettant une ractivit phnomnale et donnantaccs tout immdiatement.

    1. lpoque de la tlvision publique et avant que les chanes ne diffu-sent en continu (aprs 1970), la mire, qui reprsentait une bande auxcouleurs de larc-en-ciel, occupait lcran afin que celui-ci ne soit pasnoir quand il ny avait pas dimages.

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    Mais, dans son esprit, cest aussi la rvolte, plus que lincom-prhension. Laffichage dehors, quest-ce quils vont enfaire ? et la radio, tous leurs spots ? et Martin ? Quest-ce quilva faire avec sa chane ? Et avec son tlphone ? Et Vincent, lafois oprateur avec Havas et industriel, donc client ? Maisquest-ce qui leur prend ? Tous ces mdias qui participentavec tant dempressement au nouveau tempo prsidentiel quila inaugur depuis son lection. Si la pub ne les nourrit plus,que vont-ils devenir ? Avec le dficit galopant, inutile despreravoir recours ltat providence. Donc, ils le lcheront. Cesta. Ils le lcheront. Impossible ! Pas de com, pas de rupture ! Etpuis, un pays de la taille de la France sans pub, a nest pasimaginable, non plus. On va encore se f de nous !

    Ce bureau lui est soudain insupportable. Son prdcesseur ya pass douze ans. Et voil quun nouveau brlot se dclare. Douze ans ! Quand je pense tout ce que jai lanc commerformes, moi, en quatorze mois ! Merde ! Et l, personne narien vu venir. Personne ne ma rien dit. Pas vu, pas pris ! Lesimbciles !

    Rageusement, il teint lcran et descend au rez-de-chaussepour rejoindre le Salon des portraits. Une demi-douzaine dechefs dtats trangers lpoque du Second Empire. Pasvraiment chaleureux, mais leurs regards vides lui rappellent laprennit toute relative de sa fonction. Il y a fait emmnagerun deuxime bureau prsidentiel, plus intimiste et pratiqueque le Salon dor o il reoit ses visiteurs de manire offi-cielle. Ici, la vue est tout aussi splendide, sur les jardins et lafontaine. Le mobilier, contemporain, lui convient davantage.Dailleurs, il y travaille sans cravate.

    Emmanuelle Mignon est l, qui lattend. En fait, elle-mmenest au courant que depuis tard la veille au soir. La soudai-net de lvnement, apparemment imprvisible ou li la

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    msestime du monde conomique et politique face une pos-sible fronde des mtiers de la publicit allait lui donner unedimension beaucoup plus grande que si on avait pu grer ,selon le mot la mode, le conflit en anticipant des ngocia-tions. Leffet de surprise allait rendre beaucoup plus difficilele pilotage des oprations selon le principe vident quil vautmieux tre acteur que spectateur. Prenant les devants, elle luiconfirme lampleur des dgts.

    Ce quil entend le projette dans un monde apocalyptique en lerenvoyant ses penses noires dil y a quelques instants.Comment poursuivre les rformes sans mdias, envoyer desmessages de fond sans outils de communication ? Et au-del,comment administrer les consquences conomiques qui vontdcouler dune grve comme on nen a encore jamais vue ?Ceux qui ont lanc linformation ont t clairs : plus aucunecommunication publicitaire, de quelque nature que ce soit, nepourra voir le jour pour une priode dont il est impossibledenvisager lchance.

    Et alors, que va-t-il advenir de la consommation et surtoutde lamlioration du pouvoir dachat, si souvent invoque etproclame depuis son lection, comme une grande causenationale ? Et lconomie, comment va-t-elle maintenir sesobjectifs de croissance ? Et la grande distribution ?

    Cette communication que tout le monde maltraite depuisdes annes, dont on se gausse si facilement parce quon laconfond trop souvent avec la peopolisation sans douteparce que lui, mieux quun autre, sait sen servir, cest quandmme le moteur de croissance de la consommation, la bous-sole dans le maquis des possibles qui permet aux uns et auxautres de choisir une marque, un produit, dtre inform desactions commerciales, promotionnelles. Surtout, mieux quunautre, il sait combien elle a contribu llection du sixime

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    prsident de la V

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    Rpublique ! Pour convaincre ces Franais siversatiles qui, depuis des mois, font jouer du yoyo aux sonda-ges, il sait quil faut aller sur le terrain et que les runionsdinformations relayes par la presse sont incontournables etfondamentales.

    Un sourire sesquisse la commissure de ses lvres et uneimage lui traverse lesprit, celle dun garde champtre, tam-bour et baguettes vigoureuses, traversant les rues dun vil-lage ou dune petite ville et haranguant le bon peuple pourannoncer la venue du Prsident ou de lun de ses ministres auPalais des Congrs. Qui est-ce qui lui a racont a ? Ah oui !Cest Jacques Chirac. La ville, ctait Ussel, dans la Corrzechrie de lancien Prsident. Arrte Nicolas, ressaisis-toi !Ce nest pas le moment de te laisser impressionner par lepass, toi qui tes toujours projet dans le futur.

    Il sest laiss dpasser ne frquenter que le dessus dupanier : Bollor, un modle dintelligence et stratge indus-triel ; son pote Martin qui exploite si bien lhritage de papaBouygues entre le BTP, sa chane de tlvision, et son rledoprateur dans le mobile. Et tous ces publicitaires qui lontgav dtudes et de reco

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    , comme ils disent, pendant desmois et des mois avant, pendant et aprs les prsidentielles.Il les connat tous et il apprcie leur compagnie. Mais a devaittre insuffisant. Il lui manque des billes pour comprendre. Uneaffaire pareille, a naurait jamais d arriver !

    La France qui avait invent le TGV tait-elle reste, au niveaude ses institutions publicitaires et de leur mode de fonction-nement, au temps de la locomotive charbon. Au fait, qui lui

    1. Recommandation faite par une agence son client dans le cadre dunappel doffres.

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    avait fait cette remarque ? Il se souvient parfaitement desmots, lhomme lui avait dit ronger son frein, mais oui, bien sr,ctait le prsident de Publicis ! Si je lavais cout plussrieusement au lieu de me satisfaire de mes

    press books

    toujours plus pais dune semaine lautre, nous aurionspeut-tre pu influer sur le cours des choses.

    Aujourdhui le TGV lanc grande vitesse avait draill etpersonne ne savait quand il sarrterait et ce ntaient pas lesnarques qui allaient lui apporter la solution. Dire quuntrain draille, ils sont capables de le constater. Mais calculero quand et comment on va larrter, a, il ne faut pas rver,ils en sont incapables. Cest Jacques Chirac qui lui avait unjour rapport cette mauvaise blague raconte par le Premierministre anglais. Sil ne lavait pas vraiment apprcie, le grand Jacques savait quil navait pas tort le Tony , luiqui avait su acclrer le mouvement aprs que MargaretThatcher eut remis son pays sur les rails. Avant mme la fin dela matine, on serait au courant dans toutes les chancellerieseuropennes, comme ailleurs. La honte !

    Dans quatre heures, jai conseil des ministres et il faut quejaie compris, que je puisse leur dmontrer que ce nest paseux, mais moi qui ai encore cette longueur davance qui fait ladiffrence.

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    Chapitre 2

    Cinq jours plus tt

    Cinq jours plus tt, Martin Bouygues, debout, face la fentrede son bureau de Challenger, sentait monter ladrnaline.Dlaissant les bureaux de lavenue Hoche, le nouveau sigesocial du groupe, trop expos son got la visibilit mdia-tique (mais pour combien de temps encore, si les mdiastaient mis au rgime sec ?), il stait repli Guyancourt,derrire les faades mtallises de Challenger qui nabritaitplus, depuis 2006, que le sige de Bouygues Construction. Lyattirait surtout le lien affectif qui le rapprochait de Francis, sonpre, fondateur du groupe, qui avait imagin lpoquece grandiose sige social, pas plus haut que le chteau deVersailles voisin (25 mtres), mais tout aussi expressif de lavolont de puissance et de rayonnement de son btisseur depropritaire. Cest l que le fils du gnial entrepreneur du BTPtrouvait, mieux quailleurs, la ressource intrieure lheuredes grandes dcisions, quelles fussent stratgiques ou impo-ses par la crise, comme aujourdhui. Par la fentre de sonbureau, il apercevait, entre deux bosquets du parc quenaurait pas reni Le Ntre, les ruches rapatries du premier

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    sige du groupe, Clamart. En mai 1968, au plus fort desgrves, alors quelles taient dj installes sous ses fentres,Francis Bouygues les montrait en exemple ses visiteurs : Vous voyez ces sympathique butineuses. Elles, au moins,elles ne font pas grve. Pas une qui ne soit affaire une tchepour la collectivit. Eh bien, ce sont sans doute les seulesouvrires de France tre au travail aujourdhui. Aujourdhui,justement, tout aussi excd que son pre quarante ans aupa-ravant par cette grve quon lui annonait et qui le rvulsaitlittralement, Martin Bouygues cherchait comprendre.

    Il tait lun des premiers oprateurs de la publicit. Enparticulier son chouchou, TF1, tendard emblmatique dunediversification entreprise, et russie, en 1987, compltedepuis par Bouygues Telecom qui avait durement bataill poursimposer comme le troisime oprateur national dans la tl-phonie mobile, sans oublier les nombreuses autres activitsdu groupe, videmment toutes consommatrices dactions decommunication. Premier mdia tl pour le chiffre daffairesde TF1 Publicit avec prs de 54 % de part de march, plus decent millions deuros investis en achat despaces pour la tl-phonie mobile. Assurment il tait un poids lourd pour lapub en France. la fois annonceur et mdia. Il avait cr sapropre rgie pour la vente despaces sur TF1 aux agences quivoyaient avec plaisir sagrandir le choix des points de passageobligatoires pour cette prestation quelles avaient peu peuperdu depuis 1993, date de promulgation de la loi Sapin1.Mais, incroyable ! Aujourdhui, ctaient ces mmes agencesqui prparaient un mauvais coup. La ruche de la pub devenait

    1. Vote en 1993, la loi Sapin a retir aux agences la commission de15 % sur lachat despaces quelles prescrivaient aux annonceurs.Voir plus loin, le chapitre 6, Un signal fort de quelques jours .

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    compltement folle. Ses ouvrires avaient perdu la tte ouquoi ? Et lui, il se sentait flou, rejet de ce monde de la pubqui lui devait tant, dont il tait devenu lun des vecteurs incon-tournables avec sa chane grand public aux prime times lesplus rentables (mais aussi les plus chers) de tous les cransde langue franaise. Pire. Il se sentait trahi. Et, surtout, il necomprenait pas.

    Au mme moment, rue de Presbourg, Arnaud Lagardresinterrogeait pareillement. Le groupe lgu par le flamboyantJean-Luc (cest ainsi quil appelait son pre en public) taitdirectement menac.

    Une onde dangoisse le traversa. Ctait lui, Arnaud, que Jean-Luc avait envoy se former chez Grolier, sa filiale presse lpoque, aux tats-Unis, le premier responsable du grandvirage stratgique irrversible impos Matra, la socit dori-gine, vers les mdias et leur contenu. prsent, ne restait dela dimension industrielle proprement dite de lex-missilier etex-fabricant dautomobiles que la participation de Lagardredans EADS. Mais celle-ci tait rgulirement mise en doutepar les mdias et lui-mme ntait plus trs sr de ce quildevait en faire. Ce quil ambitionnait clairement, en revanche,ctait de faire de son groupe un Bertelsmann la franaise, ouplutt leuropenne, voire au-del, prsent dans la presse,dans le livre, dans la distribution, dans le sport et danslaudiovisuel. Mme Jean-Luc, avant sa disparition brutale,tait daccord l-dessus. Patiemment, il avait dvelopp sesmagazines, dclinant intelligemment les titres phares dansles pays cibles, assur sa prsence dans la radio autourdEurope 1, puis cr de nouvelles antennes (RFM, plus dunecentaine de rgionales, les thmatiques pour les autoroutes,etc.). Sans oublier de laver laffront de lchec de La Cinq, en1992, en tant dsormais prsent sur le cble et la TNT via des

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    chanes thmatiques. Au total, prs de 150 marques, quilcomptait bien optimiser en les grant comme autant de facet-tes dun groupe multimdia part entire. Cent cinquante mar-ques qui dpendaient videmment et totalement de la pub.

    Aujourdhui, le grand chantier, ctait la complmentaritpapier/Web quil mettait en uvre, et il savait quil avait unebonne longueur davance sur ses concurrents, en dveloppantnotamment le e-commerce sur les sites de ses grands titres. Le hic , cest que, comme son compre Martin Bouygues, luiaussi se trouvait tre la fois annonceur, support et rgiedachat despaces. Mais il ntait pas une agence. Hormis chezLagardre Active qui venait de racheter Nextedia, une webagency avec laquelle il comptait bien devenir un acteur majeurdu marketing interactif.

    Si les agences se mettaient en grve, comment le public allait-il ragir ? Et surtout, comment son groupe allait-il supportercette crise ? Car lenjeu tait norme. Le risque, majeur. Cequon venait de lui apporter comme nouvelle avait de quoi lefaire frmir. Hormis sa participation dans EADS, il voulait deve-nir un pure player1 dans la production et la diffusion de contenuarticules autour de son portefeuille de marques. Toute la stra-tgie visait dvelopper fond cette synergie entre ses maga-zines et les sites Web de Lagardre Active, en proposant auxannonceurs un package de supports et de mdias les pluscomplmentaires qui soient. La lectrice dElle (2,30 euros)devait tre intelligemment pousse consulter le mmenumro en ligne (1,50 euro) pour dcouvrir une offre publi-citaire multiplie au moins par deux, y dcouvrir un universinteractif qui lui soit entirement ddi, un catalogue de pro-duits presque sans fin tellement les liens y taient nombreux

    1. Entreprise dont lactivit se droule exclusivement sur le Net.

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    vers les offres dessais, vers les conseils dutilisation, lestmoignages, les recettes de maquillage, les promos, les repor-tages sur les produits en situation, etc. Dans ce contexte, com-ment rsister longtemps aux achats coup de cur ou raisonns(quimporte la motivation) et, surtout, comment rsister cli-quer furieusement et passer de nombreuses commandes. Suf-fisamment pour attirer une offre publicitaire aussi inpuisableque lengouement des lectrices. Et voil que ces mecs de la pubvoulaient faire grve. Voulaient faire grve ! La pub en grve ?Mais a nexistait pas ! a ne pouvait pas exister ! Ctait unnon-sens complet ! Ctait du suicide ! Cest cela. Du suicide.

    Mais a le suicidait avec.

    Ce mme jour, encore, mais plus lest, dans le XIXe arrondis-sement, de son bureau qui surplombe le canal de lOurcq lelong duquel il va rgulirement sen griller une, un autre pr-sident, lui-mme fils dun ancien prsident (mais dans unautre domaine), calculait mentalement et avec effroi ce querisquait de lui coter le scoop de la matine.

    Le P-DG de Publicis venait dinformer le prsident du Club Medde limminence dun mouvement de contestation indit de laprofession, dcide mettre une fois pour toutes les pointssur les i avec les chers annonceurs . Une grve, donc, soushuitaine a priori ( Vous comprenez, on nest quand mme pasdes sauvages comme ces gars de Sud-Rail, qui vous bloquentles trains de banlieue sans pravis ), qui se traduirait par unreport, pour linstant non quantifiable, de la campagne de sonclient, initialement prvue sous huit jours. ( Mais a ne devraitpas durer longtemps, vous imaginez bien. Cest juste un coupde semonce, ou plutt un appel ngocier enfin srieusementsur cet ternel sujet qui nous empoisonne. Mais si, vous savezbien, nous en avons dj parl, la rmunration ).

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    Certes, la campagne tait mondiale et le budget en cons-quence (lors de la compt, les professionnels voquaient unchiffre entre 25 et 30 millions deuros net), et cette impro-bable grve ne concernait que la France. Mais la stratgie deloprateur historique dans le sjour de loisir avait beau treinternationale, elle vendait avant tout un concept qui portaitune marque typiquement hexagonale : la french touch du Club,cest--dire la capacit des Franais profiter de la vie, yexceller encore et tre reconnus comme tels malgr la globa-lisation qui poussait lunification des comportements. Cetteunification, Henri Giscard dEstaing ny croyait que pour autantquelle ft dcline autour dun concept trs fdrateur, le pluspetit commun multiple en quelque sorte, capable dattireraussi bien le Japonais grgaire et le Russe nouveau riche, quelAmricain qui arrose tout au Coca light ou lAllemand quiraffole de la danse des canards entre deux chopes ! Avecson slogan Tous les bonheurs du monde , il tait certainde dcliner le bonheur lamricaine pour les Amricains, lachinoise pour les Chinois, la russe pour les Russes.

    Pour la France, la situation se rsumait vite : affichage, pressequotidienne et magazines, plus le Web. Ce dernier pour la pubmais aussi pour la vente. Surtout pour la vente. Donc, sil avaitbien compris le message de son interlocuteur, il pouvait mettreune croix sur les trois premiers et esprer que le troisimeserait prserv. Et on rglerait les comptes aprs avec Publicis,de toute faon. Encore fallait-il que Fullsix, lagence interac-tive, ne prenne pas le train en marche. Parce que, tout comptefait, ces web agencies, ctait de la vente despace avant toutechose. Donc de la pub. Tout cela tait plus que fcheux.

    Aussi nen revenait-il pas. Une furieuse envie den griller une,l, tout de suite, le dmangea. Lide de se jeter dans le canalde lOurcq leffleura galement. Mais, trop bien lev pour

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    transgresser linterdiction de fumer dans ses propres bureaux,comme de se donner en spectacle sur la voie publique, il serepassait en boucle les consquences dsastreuses pourlimage du Club. La french touch, qui tait quand mme largu-ment le plus abondamment cit dans la notorit du Club Med,allait en prendre un srieux coup. La France absente des star-ting blocks en pleine relance dune campagne mondiale duClub Med, on navait jamais vu a. Lquation tait simple : silne restait que le Web (et encore !) pour vendre aux clientshexagonaux alors quapprochait lhiver et que ctait lapriode o les images de soleil et de plage faisaient un tabac,comment les attirer vers son site Web ? Comment les blouir etles faire bronzer rien qu contempler tous les bonheurs dumonde en images si les destinations de rve placardes surla grisaille urbaine et sur les doubles fond perdu1 danstous les hebdos se prenaient des vacances ?

    lUDA2, le vice-prsident, homme daction, avait mis tout lemonde sur le pont ds les premiers frmissements annonantle conflit. Lui, dhabitude si emprunt de certitudes, ne savaitque penser. Il tait partag entre lide quil ne sagissait quedun magistral coup de bluff et une sournoise angoisse luilaissant supposer que ces inconscients pouvaient effecti-vement mettre la pagaille. Cette angoisse ntait pas ne parhasard. Ils savaient bien, lui et toute son quipe, que la situa-tion tait devenue extrmement proccupante. Les relationsentre les annonceurs et leurs prestataires en communication

    1. Publicit sur deux pages, sans bordure autour du visuel.2. Union des annonceurs : organisation reprsentative des annonceurs

    en France regroupant plus de 300 entreprises, 3 200 correspondantsrguliers dont la vocation est de reprsenter les intrts des annon-ceurs auprs de leur environnement conomique, social et politique.

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    stant dgrades de manire sournoise depuis plusieursannes. Dans les annes 2000, le ton tait la dispute, chacunse renvoyait dos dos, refusant de reconnatre que, pour rus-sir en communication, il fallait tre deux : un bon annonceur etune pas trop mauvaise agence ! Mais aujourdhui il en allaitautrement, mme si les uns et les autres, dans un contexteconomique difficile, avaient fait des efforts.

    LUDA avait dailleurs t un acteur de cette dynamique, cedont il se flicitait, mais hlas en profondeur les choses nestaient pas arranges. Les annonceurs reprochaient leursagences de ne pas tre la hauteur de leurs attentes et lesagences rpondaient qu force de mal rmunrer leurs pres-tations, il tait normal quelles aient baiss le niveau desinterlocuteurs faute de pouvoir recruter et payer les bons ! Leprsident dun groupe de communication avait assez bienrsum la situation par ces mots quelque temps avant lacrise : Depuis quinze ans, plus personne na envie de fairece mtier puisque les annonceurs nont pas compris quil fautpayer une industrie pour quelle se dveloppe. Que les annon-ceurs qui se plaignent davoir des singes se posent les bonnesquestions. Ils ont donn des cacahutes.

    Un des principaux dsaccords portait sur la rmunration de lavaleur de lide. LUDA refusait catgoriquement celle-ci et ilnavait pas lintention de changer de point de vue. Ils voulaientfaire les malins ? Eh bien, tant pis pour eux, la faim ferait sortirle loup du bois ! En attendant, il allait lui falloir expliquer auconseil dadministration, qui se runissait en session extraor-dinaire dans quelques heures, quelle attitude adopter et, l, ilne savait pas trop comment il allait faire. Naturellement, ilavait envie dopter pour une position ferme et rigide, ce quicorrespondait la stratgie quil dfendait depuis des annes.Son organisation tant puissante et en position dominante.

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    Pourtant le doute tait l, sournois. Et sils persistaient,quadviendrait-il de lconomie ? Malgr ses prises de posi-tion, il savait bien que la communication tait un des moteursde la croissance et que, quelquefois, ses adhrents allaient unpeu loin, demandant beaucoup cette profession et ntantpas forcment, eux, toujours la hauteur. L encore lui reve-nait lesprit une conversation un peu houleuse, quil avaiteue avec un des patrons dagence, les plus couts et les plusen vue de la place : La communication veut tout et rien dire la fois. Cest le mot de lalpha et de lomga. Limage nedpend pas que de la communication ! Mais de lhomme quia travaill, rflchi, rsolu les problmes, fait changer leschoses, fond des valeurs, bref, qui a fait son mtier dindus-triel et qui sest fait accompagner par des professionnels de lacommunication pour le faire savoir. Le public reoit alors desrponses satisfaisantes et cest de l que nat limage. Il y aune focalisation sur la communication, or ce nest pas ce pointcentral qui doit occuper les industriels de nos jours. Il fautquils fassent bien leur mtier ! Ils doivent savoir sentourerdes bonnes personnes pour se faire accompagner, avoir unbon pilotage et les payer au juste prix, pas au rabais, commecest devenu la norme. La communication accompagne, maisce nest pas la queue qui remue le chien. Alors, ne noustrompons pas de combat ! Que chacun fasse son travail, sinonles boucs missaires poseront les armes.

    Cet entretien lavait marqu car, finalement, il savait que soninterlocuteur avait raison.

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    Chapitre 3

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    Trs discrtement, un huissier vient dposer un jus dorangesur le bureau et, aprs en avoir aval une gorge, NicolasSarkozy sapprte recevoir ses premiers collaborateurs quilsait prsents aux imperceptibles bruissements filtrant au tra-vers de la porte.

    Depuis mai 2007, il ne leur a rien pargn de sa boulimie detravail ni de cette hyperactivit qui est la marque indiscutablede la nouvelle prsidence. Le palais de Lzard Ier 1 estdevenu, en lespace d peine huit mois, une war room, unQG, un centre oprationnel, un Pentagone de la politique fran-aise, bref, un endroit o lon sagite beaucoup, travaille duret sans rpit au service des projets prsidentiels. Pourtant,Nicolas Sarkozy est toujours impressionn par la ractivit deson cabinet. Bien que le jour ne soit pas encore lev, ils sonttous l, fidles au poste, et, malgr la mauvaise nouvellede laube, il prendra sur lui pour les saluer avec presque plus

    1. Appellation irrespectueuse dont la blogosphre a affubl JacquesChirac lors de linauguration du muse des Arts premiers, au quaiBranly. Lauteur de lexpression nest pas connu ce jour.

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    de chaleur que dhabitude. Car il va avoir besoin deux, ettrs vite mme, pour tablir une stratgie de rponse afin decontrer le sale coup qui se prpare. Dfinitivement, il se sentproche de ces personnes qui partagent son quotidien et quilapprcie sincrement.

    Soudain, une ide lui traverse lesprit. Et sil les impliquait,au-del des protocoles traditionnels, pour laider trouverdes embryons de solutions et dcoder les rouages de ces pro-fessions que sont les mtiers de la communication, quil saitcomplexes, chargs dun pass lourd de frustrations et derancurs lies une succession de lgislations pnalisantes,mais qui psent lourd dans lconomie ? Il constate soudainquil ne connat pas grand-chose ces mtiers. Il a beau cher-cher au fond de sa mmoire, aucun souvenir sur un article defond ou un Que sais-je ? expliquant comment a marche.trange ! Pourquoi ? Il faudra que je demande Saussez.

    Ouvrant machinalement la porte de son bureau en suivant lefil de ses penses, il va, chose exceptionnelle, leur demanderindividuellement de le rejoindre. Pas la peine dapporter unsige, ces runions impromptues sont limage du matre deslieux. Rapides, sans formalisme, concrtes sur le fond etdirectes dans lexpression. Les rares fauteuils quil proposesont donc vite pris. Comme lors des comits de rdaction quo-tidiens du journal Le Monde, une majorit des participantsreste debout. Lui-mme a pris une simple chaise, une jambereplie lhorizontale et quil tient par la cheville, une attitudedont il est coutumier. Nerveux et impatient comme il est, celalui permet, au moins, de matriser deux membres sur quatre.Une fois runis dans le salon de taille moyenne, il leur exposerapidement les faits et pose cette seule question, assezbrutalement : Est-ce que quelquun veut bien mexpliquerce qui leur prend, dans la pub ? Un lourd silence sensuit. Le

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    ton et la formulation du quelquun veut bien sont sansquivoque. Nicolas Sarkozy vient dapprendre par la bandece quon na pas eu le courage, ou pire, la possibilit de luicommuniquer, faute de dtenir linformation.

    Thierry Saussez, sest fait excuser. Le chef dquipe de lacommunication lysenne est au charbon, activant ses rseauxet prparant en catastrophe les commentaires rciter par lesministres la sortie du conseil. Franck Louvrier, son conseilleren communication qui sest gliss dans les derniers (un mau-vais point pour lui, il le sent) la mine chiffonne, et qui jusque-l regardait ses pieds, lve le menton. larrive du patron, il avite peru que celui-ci nest pas content du tout et que le tutoie-ment de rigueur, en priode normale , serait malsant. Lui-mme a t inform en dbut de nuit que cette rumeur dune bisbille entre agences et annonceurs samplifiait dans lemonde de la communication et que les relations staient cepoint envenimes quelles allaient se concrtiser par quelquechose de compltement fou : une grve ! Pris en dfaut, il cher-che vite une solution pour rpondre la demande de NicolasSarkozy. Il sait que celui-ci prfre de loin une explicationdirecte et sans fioriture un dossier dnarque trop bien tourndont la marque de fabrique sera de gommer en dinterminablescirconlocutions toute lurgence et lacuit du problme trait.Sous les lambris de llyse, le parler-vrai si souvent voqupar le candidat lors de sa campagne, est largement prfr auxrapports insipides :

    Monsieur le Prsident, la situation est effectivement in-dite et on peut sattendre une raction forte de lopinion,sans aucun doute notre dtriment, car elle ne compren-dra pas que le gouvernement se trouve pris au dpourvu(toujours commencer par le pire, Nicolas apprciait. Aumoins, on ne se dorait pas la pilule et a permettait

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    dembrayer rapidement vers des brainstormings informelso les pistes de solutions samoraient tout naturelle-ment). Le mouvement quon nous annonce, et qui devraitdbuter en fait aujourdhui, semble avoir pris corps au seindagences moyennes mais dont plusieurs sont des filialesde grands groupes. Comme elles sont pressures par lesmaisons mres, elles se trouvent coinces entre le mar-teau et lenclume pour produire du rsultat dun ct etcontracter leurs cots de lautre. Le march stant durci etla concurrence tant rude, elles se voient contraintes devendre moins cher leurs conseils et leurs crations. Dansce contexte

    Attends, Franck, cest quand mme formidable, linter-rompt Nicolas Sarkozy, utilisant une de ses expressionsfavorites lorsquil argumente, au cours de ses interviewsaux journalistes, pour prendre lopinion publique tmoindu bon sens de ses dcisions. Tu connais tout le mondedans la pub, des gens qui jai fait totalement confiancedepuis toujours, mme la mairie de Neuilly, pour me driver en com, et voil quils nous glissent une peau debanane sous les pieds sans pravis, sans mme nous avoirprvenus. Cest quand mme fort de caf tu avoueras.

    Puis, balayant tous les visages autour de lui :

    Bon, coutez. Moi je veux savoir exactement ce qui sepasse dans ce marigot pour que les crocodiles se mettent se taper dessus sans se soucier de nous clabousser.Pas la peine den discuter avec les patrons. Ceux-l sau-ront toujours nous emberlificoter avec des arguments trs macros . Mais ce nest pas a qui nous fera comprendrecomment a se passe sur le terrain. Trouvez-moi ce matinune ou deux personnes qui travaillent en agence, descadres ou ce que voulez, pour clairer ma lanterne. Cest

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    moi qui interviewerai, cette fois-ci. Franck, tu me les trou-ves, ou si quelquun une ide, je suis preneur.

    Mise en confiance par la proposition, Claire, lune des secrtai-res du staff prsidentiel, propose sa nice, Estelle, qui, aprsdes tudes de philosophie et de sociologie, a fait une cole decommunication o les hasards des stages lavaient amene rejoindre un institut dtudes spcialis dans lobservation etlanalyse des volutions du march de la communication. Ellesavaient dn ensemble quelques jours auparavant et la jeunefemme, qui tait passionne par ce quelle observait, lvolu-tion, les enjeux, mais galement le malaise de cette profession,lui avait dit tre trs inquite sur lissue de relations conflic-tuelles entre les grands acteurs. Claire avait en tout cas retenuque laberration de modles conomiques risquait de mener la faillite beaucoup dentreprises, des agences en loccurrence,que leurs clients, force de rogner sur leurs rmunrations,avaient rendues exsangues.

    Faites-la venir ! Mais en attendant, qui peut men dire plus ?

    Un silence un peu lourd sinstalle. Il ntait pas dans la cou-tume de se retrouver ainsi runis et que le patron demandtleur avis lensemble de ses collaborateurs. Gnralement ille faisait de manire individuelle, mais surtout appelait sesmultiples conseillers ou amis, puis consultait la synthse desdossiers qui avaient t rdige par des experts du domaineconcern. Aujourdhui les choses taient diffrentes, latta-que tait tellement soudaine !

    Vous, Aurlien, dit-il en pointant du doigt un jeune hommequi venait de rejoindre lquipe de Frank Louvrier, vous enpensez quoi ? Cest votre monde et si ma mmoire estexacte, vous avez fait un master en communication. Alors,racontez-moi et ne prenez pas de gants.

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    Aucun hasard sil a dsign ce grand escogriffe la crinirenoire de jais un peu bouriffe. Il se souvient lavoir crois plusieurs reprises son QG de campagne, rue dEnghien. Iltait arriv quelques semaines plus tt au service de presse dela prsidence, sans doute recrut par Franck ou par Franoisde La Brosse, un des conseillers pour les mdias pendant lacampagne et crateur dune agence, chez qui cet Aurlienavait pass plusieurs mois de stage. Celui-ci se promenaittoujours un volume de Victor Hugo la main et, ds quil avaitcinq minutes de rpit, louvrait pour lire ou relire un passage.Le Prsident, qui, lui, navait plus trop le temps de lire, lavaitremarqu et lavait questionn quelques jours plus tt. Lejeune homme, bravant sa timidit lui avait expliqu quavantdentrer Sciences-Po, il avait suivi des tudes de lettres etstait passionn pour le grand homme, sans pour autant sedcider se lancer dans lenseignement ou envisager, dumoins pour le moment, une thse :

    Premier point, monsieur le Prsident, la communication estun pan important de lconomie ; elle pse 1 500 milliardsde dollars sur le plan mondial et presque 33 milliardsdeuros en France. Deuximement, les mutations au coursdes dernires annes ont t fulgurantes. Au mme titre,me direz-vous, que celles de notre socit et de lindustrie,avec toutefois une diffrence notoire lie une perte derevenu assez considrable des entreprises de conseil quiuvrent dans ce secteur. Mais galement une complexifi-cation croissante des techniques et de leur imbrication.Hier, les choses taient assez simples. Pour agir sur latti-tude, on utilisait les cinq grands mdias que sont la tl-vision, laffichage, la presse, la radio et le cinma. Pour agirsur le comportement et faire acheter, on faisait appel des techniques plus directes : la promotion, la distribution

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    de prospectus, des coupons de rduction. Mais je ne suispas l pour vous drouler ce que jai appris en cours,dautant que je ne suis pas un spcialiste. Larrive desmdias interactifs, dcoulant dInternet, a boulevers lepaysage et la profession est passe dune logique dirons-nous cartsienne, une logique systmique, o tout estinterconnect. Troisime lment, sur le plan historique, lapublicit a toujours domin le march, mais, depuis quel-ques annes, les autres mtiers de la communication sesont imposs, entre autres ceux que lon appelle les mar-keting services, issus de la promotion, du marketing directet de tout ce qui concerne les systmes de fidlisation.Ajoutez cela une monte en puissance trs importantedes agences mdia, autrefois appeles centrales dachatdespaces qui, de brokers, de ngociateurs, sont devenusde vritables conseils en stratgies mdia et ont pris unrel ascendant sur la profession. Rajoutons galementlexplosion des agences Internet qui contribue brouillerles cartes. Dans ce contexte, les grandes agences de publi-cit ont perdu du pouvoir, chacun voulant sattribuer lalgitimit de conseil auprs des annonceurs. Last but notleast, depuis la promulgation en 1993 de la loi Sapin rela-tive la prvention de la corruption et la transparence dela vie conomique, plane sur la profession un doute quenous pourrions appeler le pch originel, doute qui a terri-blement durci les relations entre les annonceurs et leursagences. La consquence induite est une baisse des reve-nus considrable pour ces dernires. Paralllement, commedans tous les secteurs, de fortes concentrations ont vu lejour : cinq grands groupes contrlent aujourdhui 70 % dumarch mondial de la communication, tous mtiers confon-dus. Pour conclure sur ce qui arrive aujourdhui, je dirais

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    que si le volume des investissements en communicationdes entreprises en France na pas dcru au cours des der-nires annes, le march tant devenu mature, il apparatclairement que la profession na pas russi imposer unnouveau modle lui permettant dassurer un maintien demarges suffisant pour fournir un niveau de prestation cor-respondant aux attentes des annonceurs, qui, dans cecontexte, ont profit de la situation. Par ailleurs, aucuneaction de fond na t mene sur le plan lgislatif pourdfendre ses intrts, le lgislateur ayant toujours lgifr contre les mtiers de la communication depuis la loiSapin. La tension est monte progressivement, les tentati-ves de dialogue et de reconstruction inities par les diff-rents syndicats professionnels des deux cts ayant tvaines. Depuis quelques semaines, les esprits se sontchauffs, personnes na vu la gravit dun ventuel conflitni cru quil tait raliste. Or les professionnels ont visible-ment dcid de frapper fort, de manire subite, en blo-quant le systme.

    Nicolas Sarkozy est bluff. Cest vident ! Ce jeune homme atout compris. Sa rponse est tout sauf improvise. Cest--dire quil a tout organis. Comme llyse est le royaume de lanote, il a d se prparer en pondre une au cas o et il adonc rapidement potass le problme pour prparer sa copie.Pour lui, cest bingo ! En fait de note qui aurait t rcuprepar un autre et dont lui, lauteur, serait rest anonyme, locca-sion est inespre : un expos devant le Prsident lui-mmeet tout son staff runi.

    La mimique de Nicolas Sarkozy, qui secoue la tte dun airhilare en regardant alternativement les communicants deson quipe comme pour les prendre tmoin de la qualitde la prestation, atteste de sa satisfaction davoir demand

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    Aurlien de sexprimer. Ce petit ira loin, pense-t-il, son pro-pos est clair, structur, digne de la formation quil a reue Sciences-Po.

    Dans la foule de linvitation lance par le Prsident la nicede Claire, et encourag par laccueil de Nicolas Sarkozy sonexpos, Aurlien se permet alors dvoquer une de ses amies,Juliette, discrte et intelligente qui, aprs un troisime cycleen marketing, est partie en Asie travailler dans une agencecharge de lachat mdia. Elle est Paris pour quelques jourset il lui semble que sa vision pourrait tre intressante. Le Pr-sident demande aussitt Aurlien de lappeler et dorganiserun deuxime ramassage par une voiture de llyse. Il estenchant. Ces jeunes gens vont certainement lui en apprendreencore davantage.

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    Chapitre 4

    La pub :combien de divisions ?

    Confortablement installe dans la 607 gris anthracite qui vientde la prendre en bas de chez elle, Juliette prend conscience dudsastre. Elle sait trop limportance de la publicit et de lacommunication en gnral dans la vie conomique. Pour sonpremier retour dAsie aprs un peu plus de six mois en agence Shanghai, elle analyse le monde de la pub franaise avec unprisme dsormais international. Jamais elle ne les en auraitcr capables. Ils se mettent en grve ! Encore une exception la franaise ! Comment un problme purement sectoriel na-t-ilpu se rsoudre simplement ? Visiblement on a fait lautruche.Une fois de plus les politiques se sont retrouvs en dcalageavec la vie , par manque dcoute et dimplication et lesentreprises nont pas su dialoguer. Maintenant, cest devenuune affaire dtat. La preuve ? a atteint directement les hautessphres du pouvoir. Le prsident de la Rpublique lui-mmedemande en savoir davantage. Dans lheure mme. Et cestelle, Juliette, quun copain de Sciences-Po vient de rveiller encatastrophe, qui va clairer sa lanterne et lui parler du malaise

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    de la profession. Quel dcalage mon Dieu ! Il faudrait affrterdes charters et envoyer tout ce petit monde voir comment ase passe en Asie ou ailleurs. Ont-ils seulement lombre duneide du fonctionnement de ces socits asiatiques, de leurpuissance de travail et surtout de leur envie de nous dmon-trer leurs normes potentiels et capacits ?

    Un point lintrigue. Comment tous les prsidents des grandesentreprises franaises, qui eux conduisent en temps rel lesmutations ncessaires au pilotage de leurs botes, ont-ils pulaisser ainsi la situation se dgrader dans leur propre pays ?Elle sait que leurs proccupations sont mondiales, quils ontparfaitement organis leurs groupes pour y rpondre, que lemtissage des comptences y a nourri et enrichi la culture.Alors pourquoi ? Certes la pression des analystes financiers,la crainte des drapages suite aux interviews tendancieusesdes journalistes conomiques, les ont pousss concentrerleurs efforts sur la communication institutionnelle, les rela-tions presse, linterne, afin dexpliquer leurs projets. Et ils ontindniablement dlgu plus que de raison ce quils appellentla communication technique la publicit et tous lesautres mtiers auxquels, de rares exceptions prs, ils nesintressent pas, bien que conscients de limportance detous ces outils qui, au final, font vendre et donnent accsau profit. Mais quand mme ! Lui revient la mmoire la cita-tion dun prsident du CAC 40 lors dun colloque auquel elle aassist Beijing : La base de lconomie nest pas la produc-tion mais la vente. Linnovation est une production qui estdevenue vente, et une invention sans vente, a meurt. Ellese souvient quun de ses profs Sciences-Po, assez fru sur laquestion, leur avait dit trois ans auparavant : Les grandspatrons sont trop distants du cur des stratgies de communi-cation de leurs entreprises, avec la fragmentation des mdias

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    et la complexification des systmes, ils vont devoir oser sesaisir de sujets nouveaux, mme sils ne les matrisent pas, cequils dtestent.

    En sortant de chez elle, elle avait entraperu la couverture deLibration quun marchand de journaux, qui ouvrait son kios-que, tait en train dafficher : Le bug de la pub . Sans mmeattendre sa monnaie, elle lui avait quasiment arrach unexemplaire quelle feuilletait prsent fbrilement. Ctaitfou. Le quotidien annonait rien moins quune grve totale etillimite de lensemble des professions de la publicit enFrance, qui se traduisait le jour mme par la disparition dansses propres pages de prs de la moiti des annonces payes,au moins pour celles dont les ordres avaient pu tre annulsavant le dmarrage des rotatives. La suspension serait totale partir du lendemain. Laurent Joffrin, dans un dito intitul Grosse dprime , annonait effectivement des lendemainsqui ne chanteraient pas pour le journal. Il en comptait dail-leurs trs exactement une dizaine, et gure plus, avant depasser au format bihebdomadaire faute de ractivation desordres dinsertions. Et a ne serait, prvenait-on, quun pis-aller au cas o les choses ne samlioreraient pas, parce quevu la faiblesse des abonnements, le cot du papier, les salai-res de la rdaction, les frais dimpression, la diffusion, etc.,Libration se verrait contraint de se contenter dun feuilletunique imprim sur papier recycl. Pas vraiment rjouissant.

    peu prs au mme moment, Estelle qui a du mal mergeraprs le rveil brutal quelle vient de subir, se remmore,compltement berlue, le coup de fil impratif de sa tanteClaire, secrtaire au cabinet du Prsident llyse. Elle adabord cru, vu lheure, une mauvaise farce, mais ce nestpas le style de tante Claire et aucun de ses amis ne la connaitau point de pouvoir limiter. Celle-ci linformait quune voiture

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    de la prsidence serait en bas de chez elle dans un quartdheure, quil convenait quelle soit prte et surtout bienrveille. Quelques mots sur le contexte avaient suffi luifaire comprendre le pourquoi de lurgence de la convocation.Dfinitivement, la tatie resterait toujours la mme, imp-rieuse et dlicieuse la fois. Sa vocation avait t le servicepublic et toutes ces annes passes dans lombre de lhommeSarkozy et dans les coulisses du pouvoir avaient faonn unpersonnage tout en paradoxes quEstelle apprciait, mais dontle ton ne laissait place aucune alternative. Tout compte fait,elle ntait qu moiti surprise. Depuis deux jours, elle avaitcompris, la fivre qui stait empare du staff du cabinetdtudes quelle avait rejoint quelques mois auparavant, quun coup assez fumant se prparait. Mais elle aurait t centlieues dimaginer cette ampleur.

    Le discret chauffeur aux cheveux courts (un militaire des ser-vices spciaux, pense-t-elle navement) a allum la radio sademande. Il a d parcourir la bande passante plusieurs fois desuite pour quils en aient tous deux le cur net. Pratiquementtoutes les radios se retrouvent formates faon FranceCulture ou Radio Notre Dame : musique et parlotte, point final.Aucune pub. Tout simplement incroyable ! Tous les commen-taires, en revanche, traitent du fait du jour, avec une prcau-tion vidente qui trahit la fois ltonnement et surtoutlangoisse de ceux qui sexpriment. Aux premires loges pourprendre de plein fouet les effets immdiats de cette grve, lesradios nont pas besoin den rajouter pour faire comprendreque a ne va pas tre triste.

    Ils purent cependant entendre Jean-Pierre Elkabbach, inter-venant pour une interview tlphonique exceptionnelle endirect sur Europe 1, questionner insidieusement Maurice Lvy,le reprsentant aussi srieux quemblmatique du premier

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    groupe franais de communication sur la lgitimit dune tellegrve et sur ses consquences conomiques. Le prsident dePublicis ne se laissa pas dmonter :

    Je vous rappelle que la culture de la grve est quand mmebien ancre dans notre inconscient collectif. Cest presqueune institution nationale. Et comme par hasard, ce sont leplus souvent les services publics qui sont en premireligne ! La SNCF, lducation nationale, la RATP, les ferriescorses et jen oublie. Et les pouvoirs publics, surtout silsagit de protagonistes issus des services du mme nom,finissent toujours par lcher la manne exige, quitte lais-ser les usagers senfoncer encore un peu plus dans ladprime. Alors, si cest un droit inscrit dans la Constitution,quil nest lapanage de personne, et surtout pas un mono-pole rserv aux dits services publics, pourquoi pas unegrve de la pub ? On verra bien si, dans ce domaine, lesFranais se contentent du service minimum !

    Et Maurice Lvy enfona le clou, cette fois avec plus de vh-mence :

    La vocation de la publicit, cest dtre au service des ser-vices, de la grande distribution, des loisirs, des entreprises,et de bien dautres activits. Cest--dire en fait de toutelconomie. Cest mme le premier de tous les services, dslors quelle sadresse tous les publics.

    Jean-Pierre Elkabbach linterrompit :

    Maurice Lvy, vous vous souvenez peut-tre comment Sta-line se moquait du pouvoir temporel du pape. Le Vatican,cest combien de divisions ? Dites-moi, la pub, en France,combien de divisions ?

    Cest un secteur de lconomie part entire. Et qui plusest un formidable rservoir dinnovation et de crativit,

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    qui fait appel des dizaines de mtiers : 65 000 entreprises,agences, socits de ventes despaces, socits de mdias,prestataires de services ; prs de 400 000 emplois directs etindirects, Jean-Pierre Elkabbach !

    Pourtant, les anti-pub nont pas chm, ces dernierstemps. Je me souviens quil y a quelques mois, jen avaisparl sur cette antenne, un collectif des dboulonneurs tait all barbouiller des affiches en plein Paris, et il y avaitdu monde autour deux pour les applaudir. Il na tcondamn qu une amende dun euro symbolique par lacour dappel de Paris. Ils doivent quand mme avoir quel-ques bonnes raisons.

    Attendez, Jean-Pierre Elkabbach, soyons srieux ! Est-ceque vous imaginez simplement la couleur de nos villessans la pub ? Jirai mme plus loin. Supprimer la pub,comme le veulent certains, cest revenir au manteau grisdes dmocraties populaires o ne saffichait que la propa-gande. Pire encore, cest donner raison toutes sortesdutopies intgristes, des religieuses comme des politi-ques, qui veulent tout simplement nier la beaut du corps,les plaisirs de la vie, la gaiet des villes et mme celle descouloirs du mtro ! Tous ces anti-pub sont de vrais tali-bans. Cest exactement cela ! Des talibans ! Sils pouvaientdtruire nos affiches et nos spots coups de mortiers,comme les bouddhas dAfghanistan, il y a dix ans, ilsnhsiteraient pas ! Croyez-moi, la crise couve depuis suffi-samment longtemps pour quon veuille enfin ouvrir lesyeux. Mais vous faites bien de poser la question : cesteffectivement autant un dbat de socit quun dbat co-nomique. Aujourdhui, en France, les modles conomiquesdes entreprises de la communication ne sont plus viables.Chaque jour on nous demande de faire plus avec moins,cest simplement impossible. Si nos groupes ntaient pas

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    internationaux, si nous navions pas investi dans la diver-sification, notamment dans Internet, mais aussi en nousinstallant dans les pays forte croissance en accompagne-ment de nos grands clients mondiaux, nous ne pourrionssubsister. On ne peut pas acheter les prestations intellec-tuelles comme on achte des matires premires, il ny apas de places de march pour lintelligence !

    Enfin, Maurice Lvy mentionna lautisme coupable des pou-voirs publics qui intervenaient toujours contre et jamais pour la publicit. Comme sil sagissait dune activit hon-teuse quil fallait encadrer sans faiblir :

    Regardez comme laction de ltat est perverse a maintsgards. Toutes ses lois successives, la loi Royer, la loi vin, laloi Sapin, la loi Raffarin nont servi qu nous ligoter sans rpit.Prenez la loi Raffarin : sous le prtexte de limiter lintrusiondes grands discounters allemands, elle a brid stupidementle dveloppement du commerce. Rsultat, elle a confort laposition monopolistique des grands distributeurs franais etlimit dautant lapport de nouveaux budgets publicitaires quiauraient dynamis la concurrence, ce dont les consommateursauraient t les premiers bnficiaires ! Je vous rappelle cetgard quil a quand mme fallu attendre le 1er janvier 2007pour voir les premiers spots publicitaires de la grande distribu-tion sur nos crans de tlvision. Cest un comble, alors quele concept mme de lhypermarch a t invent en France,ctait mme un Carrefour, en 1963 ! Dans tous ces exemples,vous voyez bien que la publicit est l pour promouvoir uneconcurrence saine accompagner le dveloppement conomi-que. Et que fait-on ? On bride, on lgifre, on contrle, onrabiote, et dexprience, cela se fait rarement dans lintrt duconsommateur. Mais revenons la publicit. Vous savez,ajouta-t-il, cest une question de mentalit. Selon la manire

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    dont on agit et dont on parle, le rsultat nest pas le mme.Ltat dira : Fumer, cest dangereux ! Le publicitaire dira :Arrter de fumer, cest facile ! Quest-ce que vous choisissez ?Ne croyez-vous pas quil faille mieux actionner une motivationpositive quappuyer sur le frein comme un malade ? Je nemtendrai pas sur les lois rcemment promulgues pourlencadrement de la publicit, des produits alimentaires, ni surce qui va se passer avec la suppression de la publicit surFrance Tlvisions, car sans vouloir tre devin, cest grandeurnature que nous allons dcouvrir ce que a donne la vie sans lapublicit.

    Sur ce, concluant linterview, il signala incidemment quilsenvolait dans lheure suivante pour la Chine, o son rseaudagences locales ngociait des plans mdias avec quelque5 000 journaux, 4 000 magazines et un nombre non mesu-rable de radios1.

    Vous savez, Jean-Pierre Elkabbach, la propension bien fran-aise se trouver des boucs missaires en dehors de chez elleest bien facile. Les Chinois ne nous attendent pas et les dlo-calisations ne comptent que pour 5 % des pertes demplois.Alors, cessons de considrer la publicit comme un malncessaire et de croire quelle ne sert rien sinon enrichirune profession. Le vritable patriotisme conomique serait aucontraire de la considrer comme une arme de contre-offen-sive face la pression conomique trangre !

    Jean-Pierre Elkabbach en resta coi. Lui, dhabitude si prolixeen questions et excellant pousser ses interlocuteurs dansleurs retranchements, comprit cet instant quil vivait endirect un raz-de-mare aussi indit quimprvisible, qui allaitsecouer la plante mdiatique toutes institutions confondues,

    1. Confrence de Maurice Lvy au CPA, 19 janvier 2005.

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    dune manire quil envisageait avec effroi, en vieux routier dusecteur quil tait.

    Rien ny fit. Sitt Maurice Lvy disparu, la prophtie annoncese droula comme prvu : pas un seul spot ne vint gayer lerestant du trajet. Dmotion, les animateurs en avaient perduleur voix. Exit la pub, ses sketchs, ses jingles, ses trmolosbien typs pour les forfaits fixes illimits hors numros sp-ciaux avec lInternet deux mgas , ses motions non feintespour les crdits tout, tout de suite, pour faire plaisir vosenvies , ou ses irrsistibles appels tester sans dlai uneonctuosit si lgre au got si subtil, quils pardonneront votregourmandise . Non, rigoureusement rien. Des explicationsemberlificotes ou pire encore, de la musique et rien dautre.Incroyable !

    Toute leur grille doit tre bouleverse. Et sans solution derechange, pense Estelle. La cata La jeune femme est pr-sent compltement tasse dans le fond de son sige. Elleprend peu peu conscience des dgts. Mais comment va-t-elle intervenir devant le Prsident ? Que va-t-il lui demander ?Et sil lui pose des questions techniques, saura-t-elle luirpondre ? Elle regrette vivement de ne pas avoir pris le tempsdavaler son caf avant de partir pour se donner un peu detonus, ni davoir russi joindre lun de ses patrons pourrecueillir leurs conseils. Elle ne se sent pas vraiment intimi-de, mais trs perplexe. Pourquoi elle ?

    Certes, elle sest passionne pour lobservation et lanalysede cette profession depuis quelle travaille dans cette socitdtudes spcialise sur le secteur. Et lors dun rcent dneravec tante Claire, elle se souvient stre emballe sur le sujet,impressionnant celle-ci en lentranant dans la dcouverte dunmonde dont elle ne connaissait, ni nimaginait limportancecomme moteur de la croissance et de la valeur des entreprises.

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    Avec recul, Estelle ralise que lcoute inhabituelle de sa tanteet le fait quelle ne lui ait pas coup systmatiquement laparole taient la preuve quelle avait compris et expliquaienttrs certainement la raison du moment incroyable quellevivait.

    Plonge dans ses rflexions, elle ne voit pas que la voiturevient de longer le bout du parc, sur lavenue Gabriel, enfilelavenue Marigny et, aprs quelques secondes de rpit, sen-gage dans la cour mythique borde dorangers plants dansleurs bacs et sarrte devant le perron. Un huissier en queue-de-pie avec chane et gilet rouge lui ouvre dj la portire.

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    Chapitre 5

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    La France qui se lve tt commence merger. Nathalie, mati-nale par ncessit il faut bien mettre les machines en route etranger le bazar que fille et mari ne manquent jamais de laisser rentrant dans sa salle de bain branche comme chaque matinla radio, sintroduit rapidement dans la douche et sent avecbonheur leau bouillante la dtendre et finir de la rveiller.Femme daction, la phase toilette se passe de manire effi-cace et structure comme le reste de sa vie. Pas de fioritures,de lefficacit. Son esprit vagabonde et le bruit de leau aidantelle na pas prt attention aux infos. Les infos, mais au fait,quelles infos ? Seule une musique dascenseur schappe delappareil. Agace, elle cherche une frquence en fustigeant leservice public visiblement une nouvelle fois en qute derevendications et passe sur Europe 1 o elle entend la fin delinterview de Maurice Lvy. Cest alors quelle comprend !

    Putain ! Ils ont os. Parfois, lors de situations indites oudsagrables, les restes dune enfance marseillaise, pourtantdans la bonne socit, ressortent. videmment, elle qui dirigelinstitut dtudes o travaille Estelle ne peut ignorer lten-due du conflit opposant ses clients et si, depuis quelques

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    semaines, la tension est dangereusement monte, jamais ellenaurait imagin que cela aboutisse, les intrts individuelsprimant sur le collectif. Sortant prcipitamment de sa salle debain, elle descend pour rcuprer son BlackBerry et constate 24 appels en absence . Elle sen veut presque de cettehabitude prise, couper la sonnerie ds quelle franchit la grillede son jardin. La voix de Miss SFR lagae profondmenten gnral, mais l elle lui parat insupportable. Le premiermessage mane de son associ, ternel insomniaque, quilaconiquement aprs un Bonjour ! ne stend pas au-deldun Voil, cest fait, tu vois, nos pronostics ntaient paserrons, bon rappelle moi si tu en as envie. Suit Estelle,trois fois, mais sans message, puis David, mentor de bonnombre de patrons dagences et lhomme le mieux inform dumicrocosme : Nat trsor, rappelle-moi ds que tu as ce mes-sage, je viens davoir Vincent (comprenez Bollor), il va falloirque tu le vois. Quel merdier cest gnial ! Dabord, elledteste quon lappelle trsor et ensuite, gnial, cest vitedit. Quand va-t-on intgrer quon parle dune industrie et pasde la pub, la com comme sil sagissait dun monde part,que des milliers demplois sont en jeu et queffectivement simerdier il y a, il va falloir des mois, voire des annes pour senremettre. Elle passe rapidement sur les autres messages ma-nant de ses collaborateurs et de deux journalistes. Le dernierprovient encore dEstelle, la voix terriblement angoisse : Nathalie, jarrive llyse, jai t appele par ma tanteClaire, le Prsident veut quon lui explique, jaurais vouluvotre avis. Wouahhh alors l, les choses vont peut-trebouger ou se bloquer, heureusement que son entreprise sestdiversifie et nest pas sous le joug de cette profession. Enremontant dans la salle de bain pour finir de se brosser lescheveux, elle coupe rageusement la radio, la soupe diffuse

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    1. Appareil permettant de mener des audioconfrences ou confren-ces tlphoniques avec plusieurs interlocuteurs.

    lincommode. Si a doit durer, il faudra que je passe chercherun nouveau support diPod pour la salle de bain.

    Marseille, Frdric a t rveill laube par la sonnerie peucivilise de son poste fixe. Le cur battant un peu la chamade plus personne nappelle par ce canal, cette heure-l, saufpour les mauvaises nouvelles il sest rapidement entretenuavec sir Martin Sorell, prsident du premier groupe de commu-nication mondial, qui, ne parvenant pas obtenir de rponseaprs six tentatives sur son cellulaire a dcid de laisser sabonne ducation au placard, quitte rveiller la maisonne.

    Compltement interloqu par ce quil vient dapprendre, Fredse demande sil ne rve pas veill. Mais comment est-cepossible ? Il descend dans son bureau et appelle simultan-ment Richard et Didier, respectivement prsident et directeurfinancier du groupe HighCo. Il faut dire que ces trois-l ontvcu une success story formidable, en crant, dveloppantpuis faisant coter au second march une trs belle affaire cou-vrant beaucoup de mtiers lis lactivation marketing. Leurforce est davoir toujours investi dans linnovation, crant ainsiune entreprise dont la coloration stratgique et techniqueavait amen WPP donc sir Martin Sorell acqurir une par-tie du capital quelques annes plus tt.

    Fred avait laiss depuis dj plusieurs annes les rnes delentreprise Richard, afin de se consacrer des projets per-sonnels, mais les liens quil avait tisss avec sir Martin expli-quaient cet appel matinal.

    La pieuvre1 qui trne sur sa table de travail prend ce matinune connotation angoissante. Elle savre matrialiser une

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    drle de chose incongrue, imposante, sortie don ne sait o,capable de dtruire de ses tentacules tout un systme, limage de ce quil vient dapprendre. Deux Allo ! endormissortent du haut-parleur deux secondes dintervalle.

    Tas pt un cble pour appeler cette heure-l ! laneDidier.

    Cest grave ? demande Richard.

    Grave oui, mais rien de perso et non je ne suis pas dingue,rassurez-vous, quoique, avec ce que je viens dentendre, jeme demande Sorell ma sorti du lit il y a un quart dheure.Vous savez que ses services dinfo valent ceux de la CIA etil vient de mexpliquer que des hackers sont rentrs danspresque tous les fichiers source des bases de donnesclients de ses grands clients et visiblement aussi chezHighCo, que a va tre une merde, mais une merde quenous ne pouvons imaginer.

    H Fred, tes pourtant pas un adepte de la dope, lanaDidier.

    Cest de lintox, dit Richard. Ok, la profession a dcid delancer un coup de semonce lattention des annonceursen se mettant en grve, mais faut pas pousser, personnenest suicidaire au point de mener des actions qui courtterme mneraient au chaos !

    Je suis moins sr que toi, renchrit Fred. Martin ma dit clai-rement que des mecs en poste dans des agences Web ontvoulu jouer les apprentis sorciers et se sont transforms enhackers fous ! Je sais que je nai plus de rle oprationneldans le groupe, mais votre place je vrifierais immdiate-ment ce quil en est. Pour ma part, je pars en qute dinfos.

    Pierre a mis les nouvelles de 7 heures sur Europe 1, plus pourle fond sonore qui accompagne sa squence douche, rasage,

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    pompes, que par intrt vritable pour la conjoncture interna-tionale ou les chiens crass. Il nentend donc pas vraimentMaurice Lvy, le P-DG de Publicis, confirmer que lensemble dela profession publicitaire en France met larme au piedjusqu ce quon finisse par sentendre .

    Un bon moment aprs avoir allum sa mini-chane, il snervecontre Europe 1. Ctait quoi cette musique soap, depuis plusde dix minutes ? Il tripote nerveusement le tuner. a ne res-semble rien, ce matin ! Ou plutt si. un programme mini-mum. Comme ceux quon vous balance parfois sur RadioFrance en raison de larrt de travail de certaines catgoriesde personnel . Il passe sur RTL, puis sur France Info (mais l,ctait normal) et sur quelques autres frquences : de la musi-que et rien dautre ! Cest dingue ! Dhabitude, au moins, ilspassent des pubs ! Il ne comprend pas. Il teint rageuse-ment le poste, prend son petit djeuner en grommelant et fileau bureau, pas content du tout quon lui ait sucr sans pravisson ambiance matinale habituelle.

    Cette menace de grve qui dboule sans coup frir, tout lemonde en avait entendu parler, sans trop y prter attention.Dhabitude, une grve, a sannone dans les formes. Les syn-dicats sindignent des promesses non tenues, crient au ras-le-bol des travailleurs, rappellent limpatience des gens et rcla-ment plus de moyens. Jean-Claude Mailly secoue sa crinireaussi argente que fournie et qui passe plutt bien la tlvi-sion, tandis que le tremblement du collier de barbe de FranoisChrque traduit son impatience ouvrir une ngociationconstructive dans les plus brefs dlais . Le Premier ministre,quant lui, vient froncer ses sourcils et temporiser sur le per-ron de Matignon.

    Ici, rien de tout cela. Le rituel ny est pas. Et prs de soixantemillions de Franais sont pris au dpourvu. Cela a commenc de

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    manire aussi insidieuse que brutale, sans quon comprennerellement ce qui se passait, ni quon prenne totalement cons-cience des effets. Le pays tait sidr. Pas vraiment perturb.Pas encore.

    La pub tait quelque chose de trop banal, trop prsent dans lavie quotidienne, un peu comme llectricit ou les transportspublics, pour que sa grve indite ne laisst pas les gens quel-que peu atterrs. Seulement voil, la pub en grve, on ny avaittout simplement jamais pens. a ne stait encore jamais vu.Dabord, on ny comprenait pas grand-chose. Certes, il y avaiteu quelques avertissements de gens quon savait plus oumoins impliqus dans la profession et qui staient fendus degrandes dclarations emphatiques dans les mdias.

    Le projet de rforme de France Tlvisions et de privatisation deLa Poste grand ordonnateur de la diffusion de mailings1 diverset varis avait quelque peu agit les syndicats, mais pas dequoi bouleverser les immuables grands-messes du 20 heures etde leurs non moins immuables officiants. Maurice Lvy, JacquesSgula, Vincent Bollor (qui tait entr depuis peu dans lemtier avec sa vision dindustriel) taient bien des noms pluttconnus du grand public, mais leurs interventions navaientgure mu. Mme la trs visible inquitude de Mme la secr-taire dtat auprs de la ministre de lconomie, des Finances etde lEmploi, charge de la Consommation et du Tourisme, appe-lant une concertation entre annonceurs et agences, un soirque Laurence Ferrari la titillait sur la rumeur qui samplifiait,navait pas russi lectriser les commentateurs.

    On ne savait mme pas qui lon avait affaire et, part quel-ques journalistes spcialiss, on ne comprenait pas ce qu ils voulaient. linstar dun Nicolas Sarkozy dsorient, le monde

    1. Le mailing est du publipostage.

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    de la publicit tait somme toute mal connu et lon manquaitde repres. Personne navait rien faire de ce qui tait devenuune simple facette de la vie quotidienne, hormis les profes-sionnels. Mais aujourdhui, on se rveillait un peu perdu. Etcomme personne ny tait vraiment prpar, la premire grveau monde de la publicit, en cette douce France un peumorose de lan 2008, fut comme un vritable cataclysme.

    Ce pays, en mal de reconnaissance intellectuelle, politique ouartistique depuis quelques annes dj, tonna soudaine-ment le monde entier en produisant la cra du sicle, celleque jamais aucun annonceur ou aucune agence naurait osimaginer, ni quaucun mdia naurait mme rv dans sespires cauchemars : un blackout de la pub qui dura prs desix semaines !

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    Chapitre 6

    Un signal fortde quelques jours

    Dans quelques heures, les rouages de la belle mcanique quepersonne ne savait plus contrler allaient tous commencer gripper les uns aprs les autres : le grand collapse de la publi-cit pouvait commencer.

    Au cur du dispositif de la pub, lachat despaces, comparable une gigantesque salle de march, mais aussi centre de dis-patching pour lensemble des lments permettant tout unchacun de voir et dentendre la publicit. Cest l, depuis quel-ques annes, quavait migr largent, aprs quil eut dsertles agences de publicit.

    Dans les annes 1980, les frres Gross avaient eu lide de crerun nouveau mtier celui pour parler la langue daujourdhui de trader (entendez grossiste) en achat despaces. Le principetait simple, ils invitaient les annonceurs passer par eux pourbnficier de remises substantielles dues aux volumes achets.Seule ombre au tableau, lensemble des mdias, radio, tlvi-sion, presse, qui acceptrent ce nouveau systme qui leur per-mettait daugmenter leurs taux de remplissages, acceptrentgalement des pratiques peu avouables de marges arrire

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    1. Pratique commerciale consistant vendre un produit sur un marchtranger en dessous de son cot de revient ou un prix infrieur celui qui est pratiqu sur son march dorigine.

    que se partageaient centrales et agences, sans que lentre-prise mandataire en voie lombre dun bnfice.

    La loi Sapin, loi anti-corruption , mit fin ces pratiques le29 janvier 1993. Mais les centrales dachat despaces quetous les grands groupes de communication avaient crespour rpondre loffensive des frres Gross restrent ma-tresses du jeu. Pour dmontrer de manire trs intelligenteleur valeur ajoute, elles avaient su, au fil du temps, dvelop-per une palette de services autour de la connaissance duconsommateur, puis des nouveaux mtiers technologiques.Leur puissance financire tait devenue telle quelles inci-taient les rgies publicitaires des grands mdias investirdans une multitude dtudes dont la compilation et lanalyseleurs permettaient dapporter un conseil trs apprci deleurs clients annonceurs. Toutefois, lvolution des comporte-ments dachats initis par la prise de pouvoir des analystesfinanciers ne jurant que par le court terme, chacun en voulanttoujours plus pour moins cher, avait eu pour rsultante unebaisse de revenu considrable de ces centrales. Leurs commis-sions tant passes de 15 % plus ou moins 1,5 % !

    Cela faisait longtemps quon ne voyait plus trs bien commentse sortir de la spirale infernale de la baisse des prix autrementque par un hypothtique blocage pur et simple du systme.Mais cette utopie, laquelle tout le monde pensait, paraissaittout bonnement inapplicable. Autant se faire hara-kiri !

    Pourtant, la dcision prise ntonna qu demi les profession-nels. Entre les francs-tireurs de la profession qui taient prts exercer du dumping1 sauvage rien que pour dvelopper leur

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    structure et la pression insupportable des annonceurs qui ser-raient la vis sans tats dme, les agences mdias se voyaientbientt comme le scorpion prisonnier dun cercle de feu : ilchappe la menace en se sacrifiant avec son propre dard.

    Lapplication de la loi Sapin navait fait quanticiper les choses : Moins cher, encore moins cher, toujours moins cher ! Ctait peu prs le seul mot dordre en ngo que se voyait infliger unsecteur qui stait dj restructur lextrme pour sadapter lvolution du march et qui entrevoyait mal comment il pour-rait en faire davantage. Cest--dire toujours plus pour encoremoins ! Mythe ou ralit, la concurrence tait telle que pourrcuprer le budget mdia dune grande marque automobile,lun des nouveaux entrants, parmi les plus agressifs, avaitmme accept une rmunration taux zro la premireanne ! prsent, ctait en fait les flux financiers manipulspar ces centrales qui gnraient leurs revenus, largent verspar les annonceurs ntant dpens quau fil des rservationsdfinitives dans les mdias slectionns. Foin de linventivit,de lexpertise, dtudes et des recherches sur les volutions dela socit et du consommateur mutant, dune organisation dutrafic impeccable. Le bnfice des centrales relevait dsormaisuniquement de leur capacit grer de la trsorerie !

    Dautres mauvaises nouvelles saccumulaient par ailleurs,noircissant encore davantage lhorizon. Voil que des mdiasdcidaient de reprendre en main la publicit. TF1, LagardreActive avaient dj cr leurs propres centrales pour commer-cialiser leurs supports, tl pour lun, presse et Web pourlautre. lautomne 2007, on avait annonc la cration duneplate-forme de commerce en ligne despaces publicitairesautour dun noyau constitu dun afficheur et de plusieursgroupes de presse. Google venait de crer en France une cel-lule de planning stratgique constitue de 15 personnes. Bref,

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    nimporte quel annonceur pourrait bientt acheter son spotradio, sa pub ou sa campagne daffichage directement surInternet. Trs dmoralisant pour le business.

    Une fois prise la dcision de dclencher la grve nationale dela publicit par les groupes de communication, les centralesdachat, qui leur taient toutes affilies, avaient donc lanc leprocessus dannulation. Chez Carat, Havas Media, KR, MPG,vingt-quatre heures avant le jour J (quand ce ne fut pas le jourmme), les services trafic suspendirent les envois des l-ments techniques des nouvelles publicits (les cassettesvido des spots tl, les fichiers dannonces presse, les misesen ligne de contenus Internet, etc.) en mme temps quilsannulrent les ordres dinsertion. Sur les tableurs de MediaManager, le logiciel phare de gestion de la profession, lescellules comportant les ordres se vidrent les unes aprs lesautres tandis que les fax dannulations pour des planningsvalids depuis plusieurs semaines dboulrent dans les rgiescatastrophes des diffrents supports, tous mdias confon-dus. Les achats de dernire minute (le floating), qui venaientrgulirement combler les creux des crans publicitaires deschanes, se tarirent tout aussi soudainement. Des centainesde millions deuros matrialiss par des fichiers numriquescontenant les lments techniques en images, en sons, entextes, et destins aux tls, aux journaux, aux imprimeurs,aux radios, svaporrent en quelques heures des planningsde tous ces supports. Et puis, une fois les annulations pas-ses, le personnel des centrales se retrouva bientt sans plusrien avoir faire tandis que, dans les mdias, la stupeur fitplace langoisse.

    Maurice Lvy, qui allait tre relay un peu plus tard dans la mati-ne par Bercy (pas trs au fait du problme et qui balbutierait

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    sans trop savoir que dire, sinon pour appeler la traditionnelleet ncessaire concertation entre les protagonistes ), avaitparl sur Europe 1 dun signal fort de quelques jours . Dusymbolique, en somme. Un peu comme le roi des Belges quiavait fait la grve de la monarchie pendant une journe pourslever contre une dcision parlementaire1. Les plannings derservation despace, les plans de trsorerie, les lancementsde campagnes, les organisations logistiques, les vnemen-tiels, tout cela saccommoderait sans trop de dgts dun peude dcalage et les ventuelles compensations pour les dditsdevraient pouvoir se ngocier ultrieurement sans trop de dif-ficults non plus. LAACC2 se runirait en catastrophe, le Medefitou, et les commentaires la sortie des runions prvues dansla journe allaient vraisemblablement tre tous trs compr-hensifs et mme raisonnablement optimistes.

    1. Le roi Baudoin, le 5 avril 1990, contre la lgalisation de lavortement.2. Cre en 1972, lAACC est le Syndicat professionnel des Agences-

    Conseils en Communication, regroupant aujourdhui prs de 200 agen-ces-conseils en Publicit, Marketing Services, Communication Interac-tive, Corporate, vnementielle, dition Publicitaire et CommunicationSant. Toutes ces agences remplissent les critres de slection etacceptent de respecter lensemble des rgles professionnelles. Le labelde lAACC est un gage de crdibilit reconnu par lensemble du march.

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    Chapitre 7

    Leon de pubsous les lambris

    Quelques minutes aprs Juliette, Estelle fut introduite dans leSalon des portraits, aprs avoir dpass la vole de marchesqui conduit du vestibule dhonneur ltage prsidentiel, ettravers de nombreuses pices toutes somptueusementdcores, surcharges de dorures et de moulures impres-sionnantes. Le mobilier moderne de bois clair la rassura plu-tt et elle se flicita dtre en pantalon, car le bureau duPrsident ne comportait pas de table de runion ( a me per-mettra de dcroiser les jambes , pensa-t-elle). Dailleurs, lePrsident, qui avait accueilli la jeune femme par des excusespour avoir ainsi mont cet enlvement matinal avec la compli-cit de sa tante Claire, la mit rapidement laise en annonanttout de go : Ici, la rgle, cest que chacun parle et puisseminterrompre. Sinon, cela ne sert rien. Il lui proposa sansfaon une tasse de caf, ce qui acheva de la dtendre. OutreClaire, qui lui avait fait la bise, la prsence de Juliette etdAurlien, que le prsident lui avait familirement prsentsen leur