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Qacha Fatima Docteur qualifiée en sociologie Membre associée Lisst-Cers ( UMR CNRS 5193) Maison de la Recherche Université de Toulouse Le Mirail II Projet de recherche Migrations transnationales et réseaux : l'exemple des Marocain(e)s Mots clés : migrations, famille transnationale, femmes migrantes, initiatives, compétences, réseaux transnationaux d'allié(e)s, sédentarités/mobilités I. Recherches antérieures/contexte et problématiques Recherche doctorale Recherche postdoctorale II. Proposition de recherche Résumé Axe I. De la porosité des formes migratoires à la construction de réseau(x) internationaux La perspective transnationale en héritage : quelles connexions ? Réseaux, étapes et carrières migratoires Axe II. Forme sociale d'appartenance au pays d'origine et mixités sociales De l' investissement réussi dans la migration à la recomposition des rapports familiaux transnationaux et villageois De la migration en étapes au développement des mariages mixtes III. Méthodologie Le paradigme de la mobilité Les terrains de la recherche Le terrain marocain : deux provinces berbérophones du Moyen-Atlas Les terrains français : Toulouse et Perpignan IV. Échéancier Bibliographie

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Qacha FatimaDocteur qualifiée en sociologie

Membre associée Lisst-Cers ( UMR CNRS 5193)

Maison de la RechercheUniversité de Toulouse Le Mirail II

Projet de recherche

Migrations transnationales et réseaux : l'exemple des Marocain(e)s

Mots clés : migrations, famille transnationale, femmes migrantes, initiatives, compétences, réseaux

transnationaux d'allié(e)s, sédentarités/mobilités

I. Recherches antérieures/contexte et problématiques

Recherche doctorale

Recherche postdoctorale

II. Proposition de recherche

Résumé

Axe I. De la porosité des formes migratoires à la construction de réseau(x) internationaux

■ La perspective transnationale en héritage : quelles connexions ?■ Réseaux, étapes et carrières migratoires

Axe II. Forme sociale d'appartenance au pays d'origine et mixités sociales

■ De l'investissement réussi dans la migration à la recomposition des rapports familiaux transnationaux et villageois

■ De la migration en étapes au développement des mariages mixtes

III. Méthodologie

Le paradigme de la mobilité

Les terrains de la recherche

■ Le terrain marocain : deux provinces berbérophones du Moyen-Atlas ■ Les terrains français : Toulouse et Perpignan

IV. Échéancier

Bibliographie

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I. Recherches antérieures/ contexte et problématiques

La recherche doctorale

Ma démarche comme mes analyses s'inscrivent dans une approche compréhensive et phénoménologique des mouvements migratoires marocains. Ma thèse a porté sur les rôles des femmes et des réseaux familiaux transnationaux dans les migrations internationales, et se situe au croisement de deux courants de recherche sur les migrations : celui qui privilégie l’observation des migrations féminines et celui qui s’intéresse à la dimension réticulaire et familiale des migrations. La famille transnationale (Legall Josiane, 2005 ; Ambrozini Mauricio, 2008 ; Razy Elodie,Virginie Baby-Collin, 20111) est un dispositif fort du redéploiement des individus en Europe et entre les deux rives de la Méditerranée. La famille (traditionnelle), formation souvent décrite comme archaïque, acquiert un caractère de modernité nouvelle du fait de sa configuration (efficience du réseau familial) et de la réappropriation des relations par ses membres ( Sennett Richard, 1980 [1970] ; Barel, 1985).

D'une part, la fermeture des frontières en 1974 et le développement du regroupement familial à partir des années 80 confirment l'installation de populations migrantes là où les politiques pensaient « provisoire » et « retour » ; d'autre part, la crise économique a eu pour effet de renforcer le flux des migrants. Ces migrations récentes d'hommes et de femmes vers certains pays européens du pourtour Méditerranéen, ont évolué en lien avec la première mise en mouvement des migrants pauvres dans le cadre de l'appel à la main d'oeuvre internationale qui touche massivement, dans les années 60-70, les zones rurales du Maroc. S'il existe une tradition migratoire des Marocains vers l'Europe occidentale, ces mouvements de populations revêtent des formes différentes. De la migration-objet, jalonnée de phases clairement identifiables, on assiste depuis quelques décennies à une intensification et complexification des mobilités transnationales qui se caractérisent en partie par des parcours en étapes. La notion d'« étape » n'engage pas un simple passage d'un point à un autre, d'une zone géographique à une autre. Les rapports développés par les migrant(e)s sans-papiers aux espaces-temps des territoires parcourus, traversés, sédentarisés ont du sens au regard des connexions, durables ou temporaires, stratégiquement projetées avant la migration ou au cours de la circulation en Europe. Les réseaux comme les sociabilités développées au cours de ces étapes favorisent la possibilité d'y revenir pour soi ou pour placer un autre membre de son réseau (opportunités d'hébergement, d'emploi, etc., pour soi ou un membre de sa famille). Cette forme migratoire, contemporaine, s'appréhende à travers un triple rapport des migrants : au là-bas d'où ils viennent et avec lequel ils maintiennent des liens forts, à l’ici où ils passent ou résident, à l'entre-deux intensément exploré, expérimenté et qui fait toujours trace. Ce triptyque indique des capacités fortes de mobilisation à la fois individuelle et collective.

La fermeture des frontières a paradoxalement accentué les phénomènes de mobilité et complexifié les rapports entre sédentarité et mobilité (Tarrius, 1992). Désormais, les chercheurs de terrain sur les faits de transnationalité investissent autant sur les passages de frontières que sur les étapes migratoires : les uns comme les autres sont constitutifs des territoires (couloirs...) des circulations.

1 Aujourd'hui encore, l'aspect familial reste peu analysé mais les études du (re)déploiement de ces familles dans l'espace, des pratiques transnationales familiales se multiplient récemment en Europe et au Canada. Toutefois, on trouve une littérature anglo-saxonne très conséquente, Les études sur les réseaux familiaux sont déjà conséquentes dans les années 70-80 aux États-Unis, les chercheurs américains et anglo-saxons, en travaillant très tôt à théoriser les réseaux migratoires, rendent rapidement compte de la qualité des liens de parenté par delà les frontières. Pour en citer quelques-uns : Choldin Harvey ; Boyd Monica ; Massey Douglas S. ; Kritz Mary ; Lin Lean Leam, Zlotnik Hania etc,.

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Les femmes sont parties prenantes de la complexification de ces rapports par leurs implications dans les réseaux familiaux transnationaux.

La recherche doctorale a contribué à éclairer les rôles des femmes et des familles de migrants traditionnels dispersées à travers l’Europe, comme facilitatrices des transmigrations marocaines actuelles2. J’ai recensé et suivi des parcours individuels de femmes au Maroc, en Espagne et en France. Si les processus migratoires des femmes se distinguent, il existe une trame de fond réelle, processuelle : celles des liens entretenus à travers des chaînes d'interactions réciproques à l’échelle transnationale. La continuité des liens entretenus entre femmes sédentarisées, principalement à l'occasion des regroupements familiaux, et circulantes dans l'attente d'une régularisation, est mobilisatrice. Cette recherche a permis de mettre en évidence la construction des rencontres productrices d'influences réciproques entre ces femmes, d'analyser leur logique propre de mobilisation et d'en mesurer les implications en termes de réseaux, de rapport à l'espace et enfin d'autonomie individuelle et collective.

C'est ainsi qu'à l'approche des migrations par des typologies opposant des formes migratoires apparemment antagoniques (formes, phases), je favorise l'étude des processus de changements entre les différentes formes migratoires par un jeu d'actions et de rétro-actions. Ces processus interrogent les rapports entre mobilité et sédentarité : la construction de nouvelles chaînes relationnelles qui viennent s’articuler à de plus anciennes, renforce les liens entre ancrages et mobilités. Pour ces populations, le réseau apparaît comme une ressource forte, et soulève la question de l'autonomie à partir de critères autres que ceux classiquement connus.

Recherche postdoctorale

Les recherches entreprises en qualité de posdoctorante financées par le PUCA (Plan Urbain), sous la direction scientifique d'Alain Tarrius, ont permis d'orienter mes questionnements dans le sens de ces effets de mouvements et de leur recomposition, en particulier sur la dynamique sociale et économique des quartiers populaires. Les transmigrant (e)s s'amalgament de plus en plus aux migrants issus des formes migratoires traditionnelles et ces processus d'influences réciproques entraînent la formation de nouveaux réseaux. Ces configurations suggèrent une certaine labilité des formes migratoires et des mobilités humaines en général puisque la sédentarité ne garantit plus l'attachement à un lieu unique.

Plusieurs missions financées par l'INSHS dans le cadre du PEPS Edmon 2010-113 m'ont sensibilisée à la question de la globalisation des places marchandes (Pliez, 2010). Cette recherche a été l'occasion d'un terrain exploratoire : il s'est agi d'explorer des lieux (souks ruraux du Moyen-Atlas ; centralités commerciales, centre-ville de Casablanca), de repérer des produits, leurs origines, les profils divers des commerçants etc, avec toutefois une attention particulière pour les filières d’approvisionnement, plus simplement les routes par lesquelles les produits sont acheminés vers Casablanca et le Moyen-Atlas au Maroc. Le terrain a été complété de ce côté-ci de la Méditerranée : des accompagnements, de type observation participante, m'ont menés vers les quartiers populaires de la ville de Toulouse. Les observations ont confirmé l’existence de contacts entre descendants de l'immigration traditionnelle et migrants insérés dans ces réseaux commerciaux. J'ai par exemple eu l'occasion d'assister à une vente directe de tenues vestimentaires religieuses (type « réunion tupperware ») en appartement. La jeune femme issue de l'immigration , à l'origine de la vente, s'approvisionnait, grâce à des intermédiaires dans divers pays (Turquie, 2 La caractéristique essentielle de cette migration est liée à l'enchaînement de nombreuses étapes urbaines et

nationales durant les parcours migratoires, commerciaux etc,. D'ailleurs, les transmigrants sont habituellement appréhendés sous la figure du commerçant transnational (Tarrius, 2010), il existe également quelques rares travaux sur la transmigration féminine (Escoffier, 2006). Ils constituent une classe de la migration internationale dont les profils sont désormais particulièrement variés.

3 (Espace discret de la mondialisation) sous la responsabilité scientifique de Pliez Olivier

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Chine etc.) pour répondre à la demande d'un réseau de « sœurs musulmanes » (maillots de bain dernier cri etc).

L'émergence d'une forme migratoire, contemporaine, de la transmigration et les liens, nombreux, qui l'unissent à la précédente4 manifestent un processus d'influences réciproques. Il ne s'agit pas d'analyser l'addition de profils typologiques, mais bien de mettre en évidence des processus d'actions et de rétro-actions. Ces processus nous renseignent directement sur les réseaux, leur densité, leur épaisseur relationnelle et affective. D'une part, l'ensemble de ces recherches révèle les fines imbrications des réseaux villageois, migratoires, familiaux et personnels, de passages et du commerce dont la configuration des chaînes d'interactions va du local au transnational. Mes interrogations portent aussi bien sur les initiatives et compétences5 développés par les circulants le long de leurs parcours, les nouveaux apprentissages générés par la volonté de circuler et la circulation elle-même que sur la construction des réseaux, la qualité des liens, des relations, des interactions sur laquelle reposent l'ensemble des mobilités spatiales, professionnelles, économiques, etc. J'insiste en particulier sur la capacité des différents acteurs à établir ou maintenir des continuités sociales, économiques, informationnelles et mêmes morales par-delà les frontières et les distances géographiques. Ces acteurs (migrants, familles transnationales, passeurs, intermédiaires) participent directement de la structuration de ces mondes sociaux.

La qualité et la permanence des liens entre ces formes migratoires nous amènent aujourd'hui moins à les distinguer qu'à interroger les porosités entre ces formes. Et ce d'autant plus que la perspective transnationale concerne désormais plusieurs niveaux généalogiques.

II. Proposition de recherche

Résumé

La porosité, de plus en plus affirmée, des formes migratoires contribue à la (re)construction de réseaux internationaux qu'il s'agit d'une part d'identifier et d'autres part d'en mettre en évidence les segments imbriqués (réseaux migratoires, de passages, familiaux, commerciaux). Les processus d'influences réciproques entre les formes historiques et contemporaines de la migration marocaine nous permettent d'envisager les connexions entre réseau(x) et population des héritiers de l'immigration. Mais aussi d'analyser les renouvellements dont font l'objet les migrations contemporaines à travers la construction de nouvelles chaînes relationnelles. La densité des réseaux migratoires révèlent la construction de carrières migratoires en étapes. Enfin, l'investissement réussi dans la migration recompose les rapports familiaux transnationaux et villageois dans le pays d'origine et ce d'autant plus que nous assistons à l'émergence d'un phénomène nouveau, celui des mariages mixtes.

Axe I. De la porosité des formes migratoires à la construction de réseau(x) internationaux

A l'issue de mes recherches de doctorat, j'identifiais principalement deux rencontres entre les logiques migratoires historiques et contemporaines marocaines. Ces rencontres se situent au cœur des processus d’influences réciproques qui précisément font réseau entre ces formes de la

4 Migration classique de l'appel international à la main d'œuvre, regroupement familial.5 En outre, nous cherchons toujours à faire la part entre les compétences sociales acquises dans le pays d'origine et

celles acquises au cours des trajectoires migratoires.

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migration internationale.

La première situe la rencontre entre les familles « immigrées » engagées dans des pratiques transnationales depuis quelques décennies et les migrants-mobiles. Les collectifs de migrants de première génération ont un rôle constitutif des réseaux structurant le champ de la mobilité transnationale (Hilly Marie-Antoinette, Berthomière William, Milhaylova Dimitrina, 2004) . La sédentarité des uns complémente la mobilité des autres et si les migrantes sans-papiers s'inscrivent résolument dans le transnational, les migrantes traditionnelles et leur descendance renforcent à leur tour cette inscription. J'envisage les diverses mobilisations des « sédentaires » en direction des circulants dans la perspective d'alliances pratiques, symboliques et mémorielles (qui dépassent le cadre de la famille).

La seconde rencontre concerne les migrantes sans-papiers : une fois régularisées, elles engagent rapidement des actions favorisant en particulier la mobilité spatiale, économique et sociale, des membres de leurs familles vers l'Europe. En ce sens, elles rejoignent les migrantes sédentarisées et, comme elles, font passer, font circuler.

Nous envisageons le réseau comme une notion incluant une diversité des liens, rôles et situations.

■ La perspective transnationale en héritage : quelles connexions ?

Le rôle des migrants « traditionnels » ou « historiques » ne peut être réduit à une fonction d'accueil, la recherche doctorale a permis d'éclairer les fortes implications des femmes dans les mobilités migratoires des membres de leur parentèle, ce qui participe directement de la recomposition des réseaux familiaux et migratoires. Si ces actions ne sont évidemment pas envisagées stratégiquement, il n'en reste pas moins qu'elles préfigurent la construction de nouvelles chaînes relationnelles de solidarité qui viennent s'articuler aux précédentes. J'envisage ainsi ces réseaux de parentèle féminine dans la perspective d’alliances pratiques et symboliques. La nature de ces échanges donne sens à la réciprocité comme alliance6. La réciprocité n'implique ni une valeur marchande, ni une immédiateté, elle s'inscrit dans le temps et marque une reconnaissance et un lien familial désormais renforcés entre des individus. Dans cette perspective, les « services » ou mobilisations engagés par les femmes dites « immigrées » nous autorisent véritablement à parler de réseaux familiaux à leur avantage. À partir de leurs propres implications, elles se créent dans un monde incertain un réseau transnational d'allié(e)s. Les actions des femmes pour les membres de leurs parentèles produisent selon nous des alliances. C'est cette hypothèse qu'il s'agit d'explorer en s’intéressant à une population particulière : les descendants de la migration traditionnelle .

Du fait de leurs nouvelles relations avec les circulantes, les migrants traditionnels et leurs descendants vivent des transformations continues et profondes dans leurs rapports à l'ici et là-bas. Mais aussi à l'entre-deux puisque les implications dans les mobilités intenses des migrant(e)s sans-papiers leur suggère la vision d'espaces intermédiaires comme autant de continuités. Ces espaces intermédiaires renvoient aux étapes, diverses, des migrant(e)s sans-papiers.

Ainsi, ces groupes, s'ils se distinguent par leurs processus migratoires, s'influencent réciproquement. Alors précisément, que produisent ces frottements de populations issues de processus migratoires différenciés ? Qu'en est-il alors des héritiers de l'immigration (Boubeker, 2003)?

De nombreux travaux ont traité des générations issues de l'immigration sous l'angle de l'intégration

6 Nous pouvons reconnaître là des aspects de la théorie maussienne du don et du contre-don. Or si quelques situations d'échanges relèvent d'évidence du don et du contre-don, cette théorie ne correspond pas à nos analyses.

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dans la société d'accueil (Tribalat, 1995 ; Schnapper, 1991 ; Dubet, Lapeyronnie, 1992). C'est moins le cas concernant ceux qui héritent d'une expérience transnationale : familiers des allers-retours au Maroc depuis l'enfance, leur héritage s'inscrit dans le sillage des pères, longtemps caractérisés ici par leur absence ici (Missaoui, 1995). Un héritage symbolique, référentiel, matériel (immobilier, commerce). Ce qui pose une première question : comment cet héritage est-il réinvesti par les héritiers de l'immigration ? Acquièrent-ils des formes de notabilités dans leurs villages d'origine ?En outre, ces derniers s'inscrivent également dans la famille transnationale (Streiff-Fenart Jocelyne, 1999 ; Hassan Boubakri, Sylvie Mazzella, 2011) et ont souvent par là-même expérimenté, éprouvé la généralisation des migrations internationales, un des phénomènes constitutif de la famille transnationale. Les réseaux migratoires et familiaux se sont densifiés et nous nous interrogeons sur la qualité des relations qui existe entre les héritiers de l'immigration et ces migrants « nouvellement » sédentarisés (Boubeker, 2012) . Nous supposons que les premiers se saisissent des divers ancrages européens des derniers. Comment usent-ils de leurs réseaux ? Ces relations favorisent-elles des opportunités ? De quel type ? Ces réseaux familiaux s'imbriquent-ils avec d'autres, de type commerciaux ? Comment s'imbriquent-ils ? Ces imbrications sont-elles porteuses de ressources particulières ? Ces questions s'appliquent également aux générations issues de l'immigration qui n'ont pas développé le même rapport au pays d'origine, ni connu les mêmes relations avec les circulants mais qui peuvent être tout autant insérés à l'intérieur d'un réseau commercial trans ou international (Ma Mung Emmanuel, Simon Gildas, 1990 ; Boubakri, 1985, 1999 ; Marco Martiniello and Hassan Bousetta, 2008 ; Cesari Jocelyne, 2002 ; ). L'attention sera alors redoublée quant à la question de l'accès au réseau : comment y entre-t-on ?

L'intérêt majeur, transversal à ce point, réside dans le repérage et l'identification des connexions existantes entre les migrants internationaux et les héritiers de l'immigration. Comme se coopte-t-on ? À la faveur de quoi ? Quels sont les réseaux intriqués ? À quelles activités donnent lieu ces entrées ?

Les ville de Toulouse et Perpignan présentent des caractéristiques intéressantes au regard de nos questionnements. On y retrouve massivement une population de primo-arrivants relevant de la forme migratoire classique de l'appel à la main-d'œuvre immigrée d'avant les années 80. De nombreuses familles d'origine maghrébine sont domiciliées dans des habitats sociaux. A Perpignan en particulier, on trouve également des populations marocaines issues de la récente migration.

Nous proposons une entrée par les réseaux commerciaux. D'une part, j'envisage une entrée par les marchés centraux et périphériques de la ville de Toulouse et Perpignan. Ces derniers se localisent dans les quartiers populaires, territoires marqués par la relégation urbaine, dits « en difficultés » voire en « déshérence ». Des observations informelles permettent d'avancer que ces marchés sont composé d'une population importante de commerçants issus des migrations traditionnelles et contemporaines. L'un d'eux, dans le quartier de Bagatelle à Toulouse, est surnommé « marché des cousins ». D'autre part et sur le même registre, une entrée par les réseaux informels, religieux ou autre, dont les membres se réunissent en appartement autour de la vente et l'achat.

Enfin, les contacts que nous serons amenée à développer sur nos terrains, concernant les prochains points de notre développement, pourront également nous permettre d'entrer en relation avec cette population.

■ Réseaux, étapes et carrières migratoires

Ces nouvelles chaînes d'interactions, produits de la densification des réseaux familiaux et migratoires, se développent également en direction de nouveaux candidats à la migration ou à la régularisation.

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Mes recherches antérieures m'ont permis d'éclairer les trajectoires socio-spatiales des migrantes sans papiers. L'analyse de ces trajectoires a fait émerger des parcours migratoires par étapes. Ces derniers sont caractéristiques de la forme de la transmigration. Durant des années ces femmes circulent en Europe : de segments de réseaux en sociabilités nouvelles, elles finissent par régulariser leurs situations administratives.

Au terme de leurs parcours migratoires, leurs places se modifient dans la configuration de ces chaînes relationnelles : elles possèdent un nouveau statut dans les réseaux migratoires transnationaux car on les reconnaît désormais, grâce à leurs expériences, comme des interlocutrices privilégiées de la mobilité. C'est là une compétence reconnue dans les réseaux migratoires. Ces éléments tendent à augmenter là-bas leur poids social, renforcé par leurs implications dans les divers échanges permis par les mobilités.

Durant leurs parcours, les migrantes font l'expérience du nomadisme migratoire, forme contemporaine de la mobilité (Bordes Benayoun, 2012 ; Pécoud Antoine, 2006 ; Tarrius, 1994 ; De Tapia, 2007). D'abord en lien avec les réseaux sociaux et familiaux transnationaux, réseaux le long desquels elles circulent intensivement le temps des parcours migratoires, les migrantes prennent ensuite directement place dans ce paysage, dans la configuration7 (Elias N., E. Dunning, 1994) de ces chaînes relationnelles transnationales pour à leur tour faire passer, faire circuler. Nos recherches antérieures révèlent que les migrantes favorisent, dès que possible, la mobilité des membres de leur parentèle là-bas et vers l'Europe. Les candidats rejoignent alors une première étape, mais d'une part, nous ne savons pas précisément ce qu'il en est de la suite, d'autre part, il s'agit de mieux observer les étapes dans leur rapport à l'espace-temps des migrations, et de les interroger. Cet entre-deux de la migration, principalement constitué d'étapes, requiert de nouvelles investigations pour mieux comprendre les mutations essentielles qui touchent les migrations internationales contemporaines.

En premier lieu, les migrantes, une fois régularisées, se sédentarisent-elles ? Ou construisent-elles de nouveaux projets en lien avec leurs réseaux ? La transmigration ne constitue pas un état stable mais un profil typologique qui peut toujours être réinvesti de façon provisoire. En outre, hormis les membres de leur parentèle, les migrantes nouvellement sédentarisées s'impliquent-elles dans d'autres mobilités ? A partir de leur nouveau statut dans les réseaux migratoires, qui d'autres fait appel à elles et par quel cheminement (ou circuit) à l'intérieur des réseaux ? Quelles sont les formes de cooptations qu'il est possible de reconnaître ? Quelles catégories particulières de l’interaction les sociabilités en réseau8 favorisent-elles ? Ces réseaux sont-ils imbriqués ? La densité et la permanence des réseaux migratoires laissent supposer le développement de carrières migratoires presque de type entrepreneurial. Quelles étapes sont (ré)investies? Comment se (re)construisent les étapes ? Quel est leur rôle ? Peut-on parler de dispositifs d'étapes ?

Ces effets d'imbrications sont particulièrement importants à saisir pour comprendre à la fois les processus migratoires mais aussi les processus de mobilités de toutes ces populations confondues. Travailler à la jonction de ces mouvements migratoires, c'est éclairer les liens qui existent entre eux mais aussi les ressources mises à disposition par les uns et les autres dans la recherche d'une régularisation, d'un hébergement, d'un travail, d'un mariage, d'une entrée dans les réseaux commerciaux etc. Comment ces populations produisent-elles des réseaux de circulations ? Quels

7 Le concept de configuration au sens d'Elias. Elias N. & E. Dunning (1994), Sport et civilisation. La Violence maîtrisée, traduit de l’anglais par Josette Chicheportiche et Fabienne Duvigneau, Paris, Éditions Fayard.

8 Mes observations de terrain m'ont permis de mettre un jour une catégorie de l’interaction particulière, celle de "l'inconnu-familier", elle se manifeste à travers la captation de rencontres opportunes lors des activités quotidiennes des migrants. En premier lieu, cette captation se traduit par leurs capacités d'interpellations de personnes dont elles devinent des origines communes au gré des parcours dans les espaces publics. Les échanges qui suivent favorisent le partage d'expériences migratoires et peuvent fonctionner comme de véritables cooptations. La proximité sociale, géographique, des origines rend légitime toutes interactions parce que l'autre est typifié (Schütz, 1987) comme un « inconnu-familier », celui qui nous reconnaît et que l'on reconnaît. Mais dans une communauté aussi réelle qu'imaginaire, l'interaction ne peut fonctionner que si l'invitation est acceptée. Dès lors, si la reconnaissance communautaire favorise l'entrée en interaction, « l'inconnu-familier » est au fond celui avec lequel on a le sentiment de partager un monde commun et avec lequel on peut éventuellement s'associer.

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en sont les ancrages ? Les formes de ces mobilités, la production et l'imbrication des réseaux soulèvent la question de l'autonomie.

Axe II. Forme sociale d'appartenance au pays d'origine et mixités sociales

■ De l'investissement réussi dans la migration à la recomposition des rapports familiaux transnationaux et villageois

Un vent violent de stigmatisation sociale, ici et là-bas, accompagne le mouvement migratoire des femmes dans les années 90-2000. Elles étaient qualifiées, principalement par des hommes, de « filles des rues » ou « filles des trottoirs » pour désigner des femmes ne répondant plus aux codes traditionnels, religieux, de la famille qui exigent d’elles qu’elles préservent certaines valeurs morales édictées par la communauté d’origine et qu’elles honorent leurs familles. Mais nos terrains, au long cours, nous ont permis d'observer que dès que les femmes commencent à investir au pays et à améliorer le niveau de vie de leur famille, elles passent du stigmate, de la transgression première (le départ « seule ») à la valorisation. L'assignation première est transcendée par l'investissement réussi dans la migration. Cette réussite s'exprime par diverses « actions-retours 9» qui contribuent directement à l'ascension économique de la famille mais aussi à son honneur car ces actions témoignent dans le même temps de la mémoire, de la préservation des liens familiaux et sociaux avec le pays d'origine que n'entament pas les mobilités transnationales. On ne peut donc réduire cette réussite à l'aspect économique même s'il est incontournable. Dès lors, ce n'est pas la migration des femmes, ni son caractère répréhensible qui sont déterminants dans ces processus mais l'investissement réussi dans la migration c'est à dire les « actions-retours ». Dans une société marocaine où les apparences restent de rigueur dans la confrontation aux autres (Ayat, 1994), il y a toujours la place pour les petits arrangements avec la réalité. Pour s'en saisir, la simple relation dialectique entre transgression et conformité est insuffisante: si le modèle de la migration féminine s'est largement répandu au Maroc, il nous semble aujourd'hui observer non pas une valorisation de la migration des femmes en tant que telles mais une valorisation des « actions-retours ».

L'entrée analytique par la migration favorise une autre appréhension de la recomposition de ces rapports : le genre est moins déterminant que les « actions-retours » qui émergent des migrations/mobilités. Et ce point nous paraît majeur car il concerne aussi bien les hommes que les femmes. La violence des propos tenus à l'égard des migrantes voile une réalité commune : les un(e)s et les autres doivent se « manifester » au pays. La « présence-absence » est incontournable. On observe la réversibilité des stigmatisations, les crises paroxystiques qui marquent le départ des femmes ont essentiellement eu pour fonction de masquer les fortes collaborations familiales qui se jouent au sein des espaces domestiques et au-delà, le long du réseau transnational10. La forme imposante du conflit masque toujours des réalités en actes (Simmel, 1992 [1908]).

Précisément, on assiste à une forme de marchandage de la réalité : une femme ayant émigré seule peut (re)gagner sa respectabilité si elle continue à adhérer à certains principes. Ce paradoxe laisse place à l'expression d'appartenances multiples, aussi divergentes voire antinomiques soient-elles, il favorise le renforcement des liens transnationaux et rend possible l'action . La transgression première n'aboutissant pas à une marginalisation définitive, elle ne peut qu'impacter les rapports familiaux et sociaux.

On commence seulement à observer les effets de « la migration en étapes » des femmes dans les zones rurales du Moyen-Atlas Marocain. Nous avons indiqué certaines actions-retours des femmes mais elles restent insuffisantes pour analyser la forme sociale d'appartenance au pays d'origine, le 9 Maintien du contact (appels téléphoniques, internet), envois d'argent à la famille, investissement au pays d'origine

(immobilier, commerce), allers-retours.10 De fait, ces collaborations n'excluent pas les hommes.

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sens de ces va-et-vient identitaires (Charbit Yves, Marie-Antoinette Hily, Michel Poinard Véronique Petit, 1997) et leurs effets sur la recomposition des rapports familiaux et villageois, la façon dont les femmes migrantes « travaillent » l'espace rural matériellement, symboliquement

La place qu'elles ont quittée avant la migration n'est jamais reproduite et investie telle quelle à leur retour. Grâce à la migration,elles remplissent des rôles « normalement » dévolus aux hommes, elles participent directement de l'économie familiale là-bas, prennent en charge leurs familles ; d'autres se substituent à l'absence de leurs frères résidant à l'étranger etc, ce qui constitue un élément perturbateur des hiérarchies familiales.

Les migrantes entretiennent des rapports étroits avec les membres de leur réseau là-bas, reste à déterminer les modalités de ce lien et ses effets sur la reconfiguration des rapports familiaux transnationaux et villageois. Comment alors les actions des migrants se manifestent là-bas ? Comment les perturbations des hiérarchies familiales liées à la migration des femmes sont-elles renégociées ? Comment les uns et les autres reprennent-ils place dans leurs villages ? Quelle forme(s) sociale(s) d'appartenance au pays d'origine ? Qu'est-ce que cela nous dit de leurs mondes ? Ces mondes qui jamais ne se limitent aux villages d'origine.

■ De la migration en étapes au développement des mariages mixtes

La familiarisation et la fréquentation de ce terrain m'ont permis d'apprécier à l'été 2011 l'émergence des effets de la migration des femmes : des familles qui ont évité le seuil de pauvreté, des investissements divers, des mariages ou des unions mixtes, des enfants. Les conjoints « européens » eux-mêmes rencontrés à une étape du parcours migratoire, font l'expérience du lien transnational. Ces mariages mixtes, récurrents, concernent également leurs homologues masculins.

Les mariages mixtes des migrantes, de retour, dans ces zones rurales constituent un phénomène à ceci près que les relations entretenues entre Marocaines et Européens ne sont pas nouvelles. Le tourisme sexuel, par exemple, remonte à l'époque coloniale11. Mais plus près de nous, le mouvement migratoires des femmes dites « seules », amorcé très timidement dans les années 80, s'est accompagné de migrations prostitutionnelles vers l’Andalousie, et dans certaines situations, ces femmes, avant d'entreprendre cette migration, avaient connu des touristes européens au Maroc (Lahbabi, 2003). Nous avons également repéré quelques situations de rencontres entre touristes européens et marocaines se soldant par un mariage. Dans ce cas, la migration des femmes est directement liée au mariage. Ces histoires sont contées dans des réunions de femmes ici et là-bas, elles font également l'objet d'échanges dans la famille transnationale. Et ce, de la même façon qu'on contait, il y a quelques années, les départs des premières femmes migrantes dans cette région rurale. Ces histoires imprègnent, marquent l'atmosphère et semblent comme ouvrir de nouvelles possibilités. Ces histoires sont valorisées lorsque les femmes mettent à mal les hommes ou encore lorsqu’elles engagent des actions transnationales. Ces éléments travaillent les typifications communes (Schütz, 1987) et encouragent les initiatives des femmes12. Comme nous l'avancions plus haut, plus que la migration, ce sont les actions-retours qui sont encouragées.

Hier encore, il était difficilement envisageable que des femmes migrent, aujourd'hui des couples mixtes font partie intégrante de la famille transnationale. Nous souhaitons d'une part interroger les prémices qui ouvrent la voie aux métissages avant même la migration et initient des sociabilités

11 Christelle Taraud « Les femmes, le genre et les sexualités dans le Maghreb colonial (1830-1962) », Clio 1/2011 (n° 33), p. 157-191. Nous pensons en particulier au BMC (Bordels Militaires de Campagne).

12 Schütz parle de typifications pour souligner le caractère non figé de ces cadres de signification.

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mixtes au cours des étapes du parcours. Là-bas influence les étapes de l'entre-deux, étapes propices aux rencontres et aux nouvelles sociabilités. D'autre part, l'émergence de ce phénomène interroge les parcours car cette mixité indique le caractère cosmopolite des réseaux migratoires. Les interactions et sociabilités qui ont cours durant les étapes sont facteurs de mixités voire de métissages.

L'intérêt se porte alors sur les trajectoires de migrantes qui connaissent des mariages mixtes. Il s'agit de faire retour sur ces parcours, de repérer les étapes, particulièrement les dispositions et sociabilités qui favorisent de façon générale des unions mixtes. Enfin, nous souhaiterions également mesurer l'implication des conjoints dans le lien familial transnational et dans les réseaux migratoires (passages, circulations, étapes, régularisation).

III. la Méthodologie

Cette recherche s'appuiera sur un travail bibliographique que j'ai commencé à mener. Elle sera conduite à partir des principales perspectives de recherche de mon travail de thèse mises en évidence dans l'axe I et II.

Le paradigme de la mobilité

Je m'inscris dans une approche compréhensive et phénoménologique13 des mouvements migratoires marocains. Ma méthodologie se fonde sur le paradigme de la mobilité (Tarrius, 1989) qui consiste en un positionnement méthodologique restituant au migrant les dimensions, jusque-là éclatées, de ses appartenances. Parce que ces dernières, en pratique, ont du sens : saisir l'étranger non pas à travers son inscription en nos espaces, non pas dans son pays d'origine mais à travers ses mobilités sociales et spatiales, dans les temporalités et lieux de ces manifestations. L'émigré/immigré, séparé, coupé, éclaté devient « migrant » et recouvre ses facultés de sujet. Le couple immigration/insertion est alors dépassé, au profit du couple migration/territoire. L'acte de mobilité renvoie à trois étages spatiaux temporels constitutifs du parcours du migrant : les rythmes sociaux de quotidienneté, l'histoire de vie qui exprime la trajectoire individuelle et familiale, le temps des successions de générations. Conjuguer dans l'analyse ces trois rapports espace/temps permet de saisir l'être réel du migrant dans ses productions sociales et spatiales et d'accéder aux logiques structurantes des flux migratoires.

La volonté de saisir des interactions vécues par les migrantes au cours de leurs parcours, les situations originales, les cooptations entre migrants et héritiers de l'immigration, nécessite accompagnements, mimétisme, observations en situation de mobilité. Il s'agit donc d'accompagner, d'observer mais aussi de partager des interactions en mobilité puisque nous postulons l'originalité de ces productions sociales. Je compte réinvestir mes terrains du Moyen-Atlas marocain, Perpignan et Toulouse. Mais je pourrais investir d'autres terrains selon les nécessités de la recherche.

La méthode compréhensive et ses techniques d'enquête privilégiées correspondent à ma démarche de recherche. J'aurai recours à l'observation directe, participante et à l'entretien compréhensif.

Les terrains de la recherche

Le terrain marocain : deux provinces berbérophones du Moyen-Atlas

13 Nous nous référons aux travaux de Simmel Georg, Max Weber, Schütz Alfred, Elias Norbert.

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Je souhaiterais poursuivre mes investigations dans les provinces berbérophones de la région de Meknès-Tafilalet (province de Khenifra et de Beni Mellal). Cette région ne fait pas partie des foyers traditionnels (ruraux) de l'émigration nord-africaine vers la France et vers l'Europe, mais des « nouveaux foyers » en milieu rural qui se sont étendus ensuite aux capitales de ces régions rurales. Le mouvement migratoire international s'amorce timidement dans les années 60. Mais l'onde migratoire va rapidement se propager dans toute la région jusqu'alors peu concernée par l'émigration internationale et ce, à la veille de l'arrêt officiel de l'émigration de travail vers la France. Cette région participe dès lors à l'extension du champ migratoire Marocain (Gildas Simon, 1995) .

L'intérêt de cette région, pour notre recherche, réside dans son histoire migratoire puisqu'il s'agit d'un territoire qui a connu, dans les années 70, les départs d'hommes seuls vers la France dans le contexte de l'appel à la main-d'œuvre immigrée suivis des départs de nombreuses familles dans le cadre du regroupement familial et enfin les départs « réorientés », légaux ou clandestins, vers les nouveaux pays d'immigration comme l'Italie mais surtout l'Espagne. Ces mouvements sont devenus particulièrement visibles dans la région à la fin des années 90.

Le maintien des relations avec le pays d'origine, la présence régulière au « pays », la construction ou l'achat de biens immobiliers, la réalisation d'investissements variés caractérisent tous ces migrants et présentent l'intérêt de nous éclairer sur les liens qu'ils construisent et entretiennent avec leur région d'origine, leurs familles, leurs amis, leurs connaissances. Ils nous éclairent également sur les liens qui existent entre des populations redevables de formes migratoires différenciées. Ces liens sont observables sur ce terrain.

La longue fréquentation de ce terrain m'a permis de conserver des contacts de femmes qui avaient migré en 2005 par le moyen des filières migratoires clandestines qui coordonnent la traversée par zodiac à partir de ces zones rurales. Certaines d'entre elles, revues à l'été 2012, sont aujourd’hui régularisées. Je pourrai réaliser des entretiens avec ces femmes et par leur intermédiaire accéder à d'autres. De plus, je pourrai également les accompagner et les observer durant leurs déplacements quotidiens.Le terrain marocain nous donnera l'occasion d'une part d'apprécier les effets de la migration des femmes dans les zones rurales, d'interroger, sous l'angle des étapes, les nouvelles trajectoires migratoires qu'elles favorisent mais aussi les connexions entre elles et les générations issues de la migration traditionnelle.

Les terrains français : Toulouse et Perpignan

La ville de Toulouse présente des caractéristiques intéressantes au regard de nos questionnements. On y retrouve massivement une population de primo-arrivants relevant de la forme migratoire classique de l'appel à la main-d'œuvre immigrée d'avant les années 80 domiciliées dans les habitats sociaux. Ces quartiers connaissent des dynamiques favorisant un « renouvellement » de la population. J'entends par là tous les acteurs sociaux, hommes, femmes, plus ou moins jeunes, qui arrivent là, logés chez des amis ou de la famille pour un certain temps et dans des perspectives variées. Ces individus sont invisibles pour celui qui se contente d’une lecture statistique ou qui ne fait que passer, mais le « quartier » peut aussi être envisagé comme un cadre présentant des caractéristiques dynamiques et des perspectives d’entrées et de sorties nous éloignant de la lecture univoque d’un enfermement spatial. Dans ces quartiers, l'entrée par les marchés centraux et périphériques de la ville de Toulouse et Perpignan sera complétée, autant que possible, par une entrée dans des familles issues des formes migratoires traditionnelles grâce à l'activation de nos propres contacts sur ces quartiers (acteurs associatifs, militants, habitants). Nous chercherons à identifier les familles en lien avec des migrants circulants pour comprendre leurs liens et ses implications.

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Perpignan est une ville du Sud où l'on observe la présence de populations similaires à celles que l'on retrouve à Toulouse mais on y trouve également des populations marocaines issues de la récente migration. C'est une ville dont la caractéristique frontalière est intéressante au regard de nos questionnements. On y trouve des populations issues de divers processus migratoires. Nous y avons récemment rencontré des migrant(e)s Marocains résidant en Espagne mais, qui face à la crise économique, tendent à remonter vers le Nord à la recherche de nouvelles opportunités de travail. On peut supposer que cette « remontée » est liée à l'activation de nouveaux contacts ou à des formes de cooptations et d'associations. D'où la nécessité des accompagnements pour comprendre ces logiques de mobilités. De même que pour le terrain toulousain, nos investigations porteront d'une part sur les marchés, d'autre part, nous chercherons à entrer en contact avec l'ensemble des populations qui nous intéressent par le biais de notre réseau personnel.

IV Echéancier des missions et écritures : du 1er janvier au 31 décembre 2013

Phase exploratoire.

Janvier (1 mois)

- Construction de la bibliographie

Etat des lieux de la production universitaire sociologique, anthropologique et géographique. Cette bibliographie sera complétée tout au long de l'année.

L'intérêt de cette bibliographie sera de construire un corpus suffisamment riche et divers sur le terrain des migrations transnationales encore mal balisé par les sciences-sociales en France. La bibliographie devra participer de la construction d'une sociologie du transnational au carrefour de la sociologie des migrations, de la sociologie du genre, de la sociologie de la famille ; de l'anthropologie urbaine et rurale.

- Premiers repérages des acteurs sur le terrain français et prises de contact.

Repérages sur les marchés de Toulouse en périphérie et au centre-ville (marchés de Bagatelle, Reynerie, Bellefontaine, Saint Sernin), Perpignan (marchés de la Place Cassanyes en centre-ville et reprages des marchés "périphériques".

Prises de contacts par les marchés et de façon générale, par le biais de notre propre réseau de connaissances dans les quartiers dits de la Politique de la Ville de Toulouse (acteurs associatifs, militants, habitants) et à Perpignan (réseau personnel).

Février : missions de terrain exploratoires

► Technique d'enquête : l'observation (observations, entretiens informels et exploratoires)

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- 15 jours : Terrain français

Poursuite du terrain français.Premiers entretiens exploratoires.Éventuels accompagnements à envisager. Ouverture possible du terrain français.

- 15 jours : Terrain marocain

Des contacts sur place me permettront dans un premier temps de repérer et d'identifier les familles de migrant(e)s dans deux villages et un bourg de la région de Meknès-Tafilalet. Je prendrai, dans un second temps, contact avec ces familles afin de mieux cibler les questionnements afférentes aux futures autres missions. Repérer les rythmes d'allers-retours des migrantes pour repérer les périodes propices à leurs rencontres.

Réalisation d'un premier guide d'entretien en direction des familles de migrants et des migrantes.

Mars (1 mois)

Exploitation des premières données des terrain marocains et français. Faire le point sur les pistes de recherche.

Réalisation de guides d'entretiens en direction des migrant(e)s, des familles de migrant(e)s, des héritier(e)s de l'immigration.

* Préparation à la campagne de recrutement 2013 des maîtres de conférences.

Phase intermédiaire : retour sur le terrain et premiers résultats pertinents

►Technique d'enquête : entretien compréhensif (individuels et collectifs) , observations,

accompagnements

Avril (1 mois) : Mission terrain marocain

Exploitation intensive : observation et entretiens

Mai (1 mois) : Mission terrain français

Exploitation intensive : observation et entretiens

Juin/juillet (1 mois et 15 jours) : rapport intermédiaire

► Rédaction du rapport intermédiaire

- Retranscription des entretiens- Exploitations des données des deux terrains- Enrichir la bibliograhie- Premiers résultats : rapport intermédiaire− Pistes à approfondir, compléter etc,. ; nouveaux questionnements.

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Missions terrain français et marocain : derniers retours

►Technique d'enquête : entretien compréhensif (individuels et collectifs), observation,

accompagnements

1er aout- 15 septembre : dernier retour sur le terrain marocain

- Période propice à la rencontre de l'ensemble des acteurs qui nous intéressent : migrants récents installés généralement dans les nouveaux pays d'immigration et ceux issus de la migration traditionnelle de l'appel à la main d'ouevre. Prise en compte période de ramadan.

- Entretiens compréhensifs/observation

15 septembre-30 septembre : dernier retour sur le terrain français

- Entretiens compréhensifs/observation

Phase d'analyse et de la rédaction finale

► Rédaction

Octobre ( 1 mois 15 jours )

- Retranscription des entretiens- Analyse des entretiens

Novembre/décembre ( 1 mois 15 jours)

- Rédaction, finalisation de la bibliographie- Remise du rapport final

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