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QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux Jouer avec la réalité Un article de Reed Berkowitz , traduit par Anne-Sophie Ronvaux pour Fact And Furious © 2019 Tony Webster “Ask Me Q — QAnon” — CC BY 2.0 Je suis créateur de jeux, et mon expérience s’est développée dans une niche très spécialisée. Je crée et je fais des recherches sur les jeux destinés à être joués dans la réalité. J’ai travaillé sur des jeux en réalité alternée (JRA), des jeux de rôle grandeur nature ( GN ) , l’ experience fiction , le théâtre interactif , et « les jeux sérieux ». Des histoires et des jeux qui peuvent débuter sur un ordinateur et se terminer dans le monde réel. Des fictions élaborées pour paraître aussi réalistes que possible. Des jeux qui vous apprennent des choses. Des énigmes qui prennent vie tout autour des joueurs. Des jeux où plus vous creusez profondément, plus vous trouvez de choses. Des jeux avec des terriers de lapin qui vous invitent au Pays des merveilles et vous incitent à passer de l’autre côté du miroir.

QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

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Page 1: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

QAnon : l’analysed’un créateur de jeux

Jouer avec la réalité

Un article de Reed Berkowitz, traduit par Anne-Sophie Ronvaux pour Fact And Furious

© 2019 Tony Webster “Ask Me Q — QAnon” — CC BY 2.0

Je suis créateur de jeux, et mon expérience s’est développée dans une niche très

spécialisée. Je crée et je fais des recherches sur les jeux destinés à être joués dans la

réalité. J’ai travaillé sur des jeux en réalité alternée (JRA), des jeux de rôle

grandeur nature ( GN ) , l’ experience fiction , le théâtre interactif, et « les jeux

sérieux ». Des histoires et des jeux qui peuvent débuter sur un ordinateur et se

terminer dans le monde réel. Des fictions élaborées pour paraître aussi réalistes

que possible. Des jeux qui vous apprennent des choses. Des énigmes qui prennent

vie tout autour des joueurs. Des jeux où plus vous creusez profondément, plus vous

trouvez de choses. Des jeux avec des terriers de lapin qui vous invitent au Pays des

merveilles et vous incitent à passer de l’autre côté du miroir.

Page 2: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Quand j’ai commencé à m’intéresser à QAnon, j’ai compris exactement à quoi j’avais

affaire, et comment la mouvance fonctionnait. Pour moi, c’était du déjà vu. J’avais

presque déjà conçu ce type de jeu auparavant. C’était le jumeau maléfique des

jeux. Un jeu où les pions sont des personnes. (ajouter ici une musique inquiétante)

QAnon a souvent été comparé aux JRA et aux GN, et cette comparaison est

justifiée. La mouvance utilise beaucoup des mécanismes et récompenses

présents dans les jeux. L’impression qu’on a affaire à un jeu est évidente

pour qui a déjà joué à un JRA, à un jeu de rôle en ligne ou à un GN. Les

similarités sont si frappantes que la mouvance a souvent été qualifiée de GN

ou de JRA. Pourtant, ce phénomène est très, très différent d’un jeu.

Ce sont les différences qui donnent un éclairage sur le fonctionnement de

QAnon. Beaucoup d’entre elles sont difficiles à repérer si on ne participe pas

au développement de jeux. QAnon peut être comparé au reflet d’un jeu dans

un miroir ; on dirait exactement un jeu, mais où tout est inversé.

Une apophénie guidée

Au cours d’une des toutes premières experience fictions (XF) élaborées par

mes soins, les joueurs devaient explorer une cave glauque pour y trouver des

indices. L’objet qu’ils cherchaient était à peine caché et l’indice était simple.

C’était du niveau d’un épisode de Scooby Doo. Je ne m’attendais pas au

moindre problème dans cette partie du jeu.

Mais il y a eu un problème. Je ne le savais

pas à l’époque, mais ce problème a un nom,

l’APOPHÉNIE.

L’apophénie, c’est :

« la tendance à percevoir un lien ou un

motif qui a du sens entre des choses sans

relations entre elles ou prises au hasard

(comme des objets ou des idées) ».©Art Jonak 2012 — Coolest cloud ever! — CC BY-NC 2.0

Page 3: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Quand les participants se sont mis à chercher l’objet caché, il y avait des

petits morceaux de bois disposés au hasard sur le sol en terre battue.

Comment cela aurait-il bien pu poser le moindre problème !?

C’était un problème parce que trois des morceaux formaient une flèche parfaite qui

pointait droit vers un mur vide. C’était troublant. Il fallait forcément que ce soit un

indice. Les enquêteurs se sont arrêtés et se sont mis à fixer le mur. Ils étaient bien

décidés à élucider la signification de l’indice et n’allaient pas bouger d’un pouce

jusqu’à ce qu’ils y soient parvenus. Tout le jeu est sorti des rails. Ensuite, les choses

ont empiré. Puisqu’il n’y avait pas d’indice, à l’évidence, le groupe a décidé que

l’indice qu’ils cherchaient se trouvait DANS le mur. La pièce contenait des outils

ordinaires, disposés un peu partout. Pratique, non ? Voilà qui a semblé renforcer

leur conclusion qu’ils suivaient la bonne direction. La flèche pointait vers l’indice et

les outils permettraient d’atteindre celui-ci. C’était évident, non ?J’observais tout ça

se dérouler avec horreur, parce que tout s’imbriquait tellement parfaitement. C’était

bien meilleur, et plus évident, que l’indice que j’avais caché. Je m’en rendais bien

compte. Tout cela était complètement dû au hasard, mais je pouvais voir que les

connexions qui avaient été établies étaient toutes parfaitement logiques. J’avais un

plan de rechange sommaire et je l’ai vite utilisé avant que ces joueurs bien

intentionnés ne commencent à démolir le mur de la cave au pied de biche, à la

recherche d’indices qui n’existaient pas.

Ces gens étaient normaux, leurs suppositions étaient normales et logiques. Mais

complètement fausses.

Dans la plupart des jeux de type JRA, l’apophénie est le fléau des concepteurs et des

joueurs. Elle conduit parfois les participants à s’éloigner de plus en plus de l’intrigue

et oblige les concepteurs à se démener pour les récupérer ou (mieux encore) à

intégrer leurs idées. Dans les jeux de rôle, les JRA, les jeux vidéo et, en fait, partout

où les joueurs ont de l’autonomie, l’apophénie va poser problème.

Page 4: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

C’est le cas parce que les vrais jeux comportent des solutions réelles à des énigmes

réelles, et une vraie intrigue créée par les concepteurs. Il est facile de s’écarter de la

piste parce qu’il y a une piste. Un bon meneur de jeu (qu’on appelle souvent un

marionnettiste) peut utiliser l’une ou l’autre de ces spéculations pour améliorer le

jeu, mais seulement dans la mesure où l’intrigue peut être ajustée en temps réel ou

planifiée à l’avance. L’apophénie peut donner naissance à des moments de jeu

extraordinaires, mais n’est pas facile à canaliser. Par exemple, j’aurais voulu

pouvoir enterrer instantanément quelque chose dans ce mur de cave, parce que ça

aurait tellement bien fonctionné, mais je n’ai pas eu de chance !

Si vous êtes concepteur ou conceptrice, que vous utilisez des énigmes et une

intrigue, alors l’apophénie est un élément inattendu que vous devez constamment

garder à l’esprit.

QAnon est le reflet inversé de cette dynamique. Ici, l’apophénie est le but de

tout le reste. Il n’y a pas d’intrigue préparée à l’avance. Les concepteurs du jeu n’ont

pas inventé d’énigmes à résoudre. Il n’y a pas de solutions.

QAnon se développe à partir d’une interprétation fantasque de données aléatoires,

présentées de façon évocatrice dans un milieu conçu pour aider les utilisateurs à

parvenir à la méprise visée. Peut-être pourrait-on décrire cela comme une

« apophénie guidée ». Guidée parce que ceux qui tirent les ficelles s’impliquent

directement en suggérant les conclusions souhaitées. Ils ont semé les conclusions à

l’avance. Ils font en sorte que le joueur se perde constamment en mettant en

évidence des événements aléatoires sans rapport entre eux et en leur donnant une

signification qui s’aligne avec le message de propagande transmis par Q.

Il n’y a pas de réalité ici. Aucune solution tangible dans le monde réel. Au lieu de

cela, cette piste de miettes de pain conduit à S’ÉLOIGNER de la réalité. On s’éloigne

des solutions réelles pour se rapprocher d’une dangereuse euphorie psychologique.

Ça fonctionne très bien parce que quand vous avez « compris quelque chose par

vous-même », vous vous l’appropriez. Vous vivez le frisson de la découverte,

l’excitation de passer de l’autre côté du miroir, l’acceptation d’une communauté qui

vous aime et vous respecte. Parce qu’on vous a convaincu de « relier les points par

vous-même », vous pouvez en voir la logique absolue. C’est la conclusion à

laquelle vous êtes arrivé·e. Nous en reparlerons plus tard.

Page 5: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Tous les autres participants sont d’accord avec vous, parce qu’il est hautement

probable qu’ils vous ont dirigé dans cette direction exactement dans cet objectif

(nous y reviendrons plus tard).

« Hé, qu’est-ce que c’est que ça ?! »

« On dirait une flèche qui pointe vers le mur. »

« Pourquoi pensez-vous qu’elle est là ? Est-ce que les gens laissent des

flèches traîner comme ça, en les faisant pointer vers des choses au

hasard ? Qu’est-ce que votre bon sens vous dit là-dessus ? »

« Mon bon sens me dit qu’il doit y avoir quelque chose par là. »

« Oui. Vous avez raison. Peut-être devriez-vous regarder ça de plus

près ? »

© 2019 Marc Nozell — QAnon in red shirt — (CC BY 2.0)

Page 6: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Chaque nuage a une forme qui peut ressembler à quelque chose d’autre. Tout ce qui

clignote peut aussi être un message en morse dans le désordre. Plus il existe

d’informations disponibles, plus il devient facile de laisser l’apophénie nous guider

vers n’importe quoi. C’est comme quand on regarde le ciel et que quelqu’un nous

montre les constellations.

La différence : ces connexions préfabriquées mènent aux conclusions souhaitées

par ceux qui manipulent Q. Quand les joueurs parviennent aux réponses

« correctes », ils sont couverts d’adoration, de respect et de reconnaissance sociale.

Comme dans un jeu de rôle pour ados, la réponse « correcte » est celle que le

groupe respecte le plus, et qui rend l’histoire plus agréable. C’est l’idée qui renforce

la théorie. La réponse correcte est celle qui donne le plus de crédit à celui qui la

partage. C’est comparable à un laboratoire de fiction darwinien, où les meilleures

histoires et les mauvaises interprétations les plus engageantes et satisfaisantes sont

sélectionnées et servent à élaborer la version suivante.

Il fut un temps où QAnon n’était qu’un « anon » parmi d’autres, dont FBIanon,

CIAanon, etc. La théorie Q s’est hissée au sommet, donc elle a eu ses propres

chaînes YouTube. Comme ça fonctionnait, elle a commencé à apparaître sur

Reddit. Les théories qui ne fonctionnaient pas ont disparu tandis que d’autres ont

été approuvées par leur audience. Ce système est ingénieux. C’est une intelligence

artificielle dotée d’un moteur de réflexion collective. Le groupe, dirigé par les

marionnettistes, choisit l’explication la plus divertissante et la plus captivante, et

celle-ci est amplifiée. C’est un jeu de Slender Man qui s’est emballé.

Revenons à cette flèche sur le sol.

Ce n’était pas une flèche sur le sol. Elle ne pointait pas vers un indice dans le mur.

C’était juste des morceaux de bois qui étaient là par hasard. Les joueurs n’ont

pas découvert de flèche. Ils l’ont créée. Ils ont vu des morceaux de bois disposés au

hasard, ont mis leur intelligence en marche, et voilà tout.

Il est facile pour les gens d’oublier qu’ils ne sont pas en train

de découvrir l’histoire, mais en train de la créer à partir d’éléments

aléatoires.

Page 7: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Propagande et manipulation

Une autre différence majeure entre QAnon et un véritable jeu, c’est que Q fait de la

propagande presque à l’état pur. Tel est son SEUL objectif. Q ne fait pas la

promotion d’un produit, le but n’est pas de divertir et il ne s’agit pas d’un projet

artistique. Il n’y a aucun doute sur la nature politique de la propagande. Allant des

vieux clichés sur les juifs et les démocrates qui mangeraient des bébés (une

réinvention des accusations de meurtre rituel) à l’hystérie anti-science, on retrouve

bien tous les marqueurs de l’autoritarisme. Ce sont les antiques classiques de la

haine, recyclés sur Internet. La communication est parfaite. Les « drops » sont un

méli-mélo de posts antisémites, misogynes et grotesques implantés sur des forums

qui, en fait, ont été impliqués dans de nombreuses activités dont le faux complot est

censé être coupable !

De plus, Q opère de concert avec de nombreuses initiatives, comme l’ont révélé d’autres

sources et d’autres développeurs. Cette coordination est cohérente.

Un jeu aide les joueurs à construire un monde intérieur qui les sert au mieux. Q aide

les joueurs à développer un monde intérieur qui sert au mieux les

initiatives de Q.

Voyons comment ça marche.

Expérience de jeu

Q est un personnage fictif.

J’ai bien peur qu’il ne faille le préciser. Q n’est pas une personne réelle, mais un

personnage fictif.

QAnon utilise le plus ancien des clichés de tous les polars. Un mystérieux

inconnu arrive et révèle un indice étrange qui mène à des secrets cachés depuis

longtemps et que ses indices, et vos qualités d’investigation permettent de révéler.

Arrêtons-nous là-dessus une minute. Quel est le nombre de super films, de livres et

de séries télévisées qui auraient été gâchés à jamais si l’inconnu mystérieux avait

tout dévoilé aux protagonistes dès la première rencontre ?

Page 8: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

« Jim l’a fait. C’est Jim. Il fait du blanchiment d’argent pour la mafia. Vérifiez ses

relevés bancaires. Ça tombe bien, je les ai ici avec moi. » La série X-Files serait

beaucoup plus courte si l’homme à la cigarette s’était simplement mis à bavarder !

Ce n’est pas comme ça que ça marche.

Dans les fictions, ces mystérieux

inconnus connaissent déjà la réponse,

mais au lieu de vous donner la

solution dans les dix premières

minutes, ils vous donnent des indices.

Des indices difficiles à suivre. Des

indices ambigus. Ils disent des choses

comme « Suivez l’argent. Ne les

laissez pas vous duper. Il faut

remonter jusqu’au sommet.

Il n’y a aucune raison pour que cela se

déroule de cette manière dans la

réalité. Mais dans une fiction, c’est ce

qui crée toute l’intrigue, l’atmosphère

mystérieuse et toutes les choses

palpitantes qui vont suivre. C’est le lapin blanc poursuivi par Alice. Ce sont les

miettes de pain semées par le Petit Poucet pour retrouver son chemin hors de la

forêt.

Les choses ne fonctionnent pas comme ça dans la réalité. Quand de vraies

personnes du gouvernement doivent diffuser des informations importantes, elles le

font aussi vite qu’elles le peuvent, généralement en une seule fois Elles ne

s’amusent pas à vous faire résoudre des énigmes. Elles essaient d’être aussi

spécifiques que possible. Ce sont des personnes qui lancent l’alerte. Daniel Ellsberg

(les Pentagon Papers). Edward Snowden. Chelsea Manning. Etc.

Q n’est PAS un lanceur d’alerte. Q est un « élément scénaristique ». Q est fictif et

agit exactement comme le ferait un personnage de fiction. C’est parce que

le but de Q n’est pas de divulguer des informations réelles, mais de créer une

fiction.

William B. Davis, L'homme à la cigarette, dans The X-Files Copyright Fox Broadcasting Company

Page 9: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

fAitEs vOS prOPRes rEcHErCHes

La raison fictive pour laquelle Q ne révèle pas tout simplement ce qu’il sait au

monde entier serait que Q veut que vous « fassiez vos propres recherches » et que

vous arriviez à vos propres conclusions.

Quelle obligeance…

Ce n’est pas une vraie raison. Q ne veut pas que vous arriviez à vos propres

conclusions. Q vous souffle les conclusions. C’est TRÈS important. Voici quelques

raisons pour lesquelles on retrouve cela dans les boniments de presque toutes les

théories du complot fictives qui aient existé.

1 : Suivez les miettes de pain

Quand on dit aux gens ce qu’ils doivent penser, et comment ils doivent penser, ceux-

ci ont tendance à résister. Des idées qui nous interpellent peuvent, au lieu de nous

convaincre ou de nous éclairer, avoir l’effet inverse et enraciner davantage nos

anciennes idées. Même en nous confrontant à des preuves factuelles.

« Il est bien connu que les gens sont souvent réticents à modifier leurs

convictions quand celles-ci sont directement remises en cause, en

particulier si ces croyances sont au cœur de leur identité1,2,3,4,5,6. Dans

certains cas, l’exposition à des preuves du contraire peut même

renforcer la confiance d’une personne en la véracité des convictions qui

lui sont chères7,8. »

https://www.nature.com/articles/srep39589

Les convictions fortes font littéralement partie de nous. En ce sens, des attaques

envers nos convictions profondes sont perçues comme des attaques contre notre

personne. Elles peuvent parfois être ressenties aussi violemment qu’une attaque

physique.

Page 10: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

« La responsabilité primordiale du cerveau est de veiller sur le corps, de

protéger le corps », m’explique Jonas Kaplan, psychologue à l’Université de

Californie du Sud. « Le moi psychologique en est l’extension. Quand notre

moi se sent attaqué, notre [cerveau va] mettre en œuvre les mêmes défenses

que celles qu’il utilise pour protéger le corps. »

Pourquoi nous réagissons aux vérités dérangeantes comme s’il s’agissait

d’insultes personnelles (en anglais)

De Brian Resnick

Par contre, si ces idées sont générées par nous, alors ce sont ces idées-là que nous

défendons. Quand nous « créons » des idées dans nos propres esprits, celles-ci se

fondent bien plus efficacement dans notre personnalité. Ce sont NOS idées. Il n’y a

aucune friction. Guider des personnes pour qu’elles arrivent à VOS conclusions,

c’est la technique parfaite pour qu’elles acceptent une nouvelle idéologie qui entre

en conflit avec ce qu’elles pensaient auparavant.

C’est un peu délicat de faire en sorte qu’elles arrivent à destination. Il faut les guider

étape par étape, un petit pas à la fois. Dans le jargon de QAnon, ces étapes sont

appelées des miettes de pain, comme les repères qui vous guident dans la forêt. Q

disperse des petites bouchées, faciles à digérer, qui mènent les joueurs vers l’endroit

où Q veut les guider. Une petite bouchée à la fois.

Mais ces miettes de pain ne sont pas des faits, ce sont des questions. Des énigmes et

des indices que les « enquêteurs » doivent découvrir.

Ceci nous amène à une autre raison pour laquelle Q aimerait vraiment que vous

fassiez vos propres recherches.

2 : L’effet eurêka

L’apprentissage par résolution d’énigmes enregistre les informations dans le

cerveau d’une manière différente que les autres modes d’apprentissage. Les

énigmes et les connaissances obtenues par nos propres moyens sont

incroyablement gratifiantes. Elles sont récompensées par une dose de dopamine, la

drogue du plaisir du cerveau.

Page 11: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Depuis 1978 déjà, on sait qu’avoir un « déclic » améliore la rétention des souvenirs.

Récemment, un rapport publié en 2018 dans la revue Human Brain Mapping a

montré que ces déclics activent également les systèmes de récompense du cerveau.

Les déclics sont caractérisés par une hyperactivation du (a) noyau

accumbens, qu’on sait impliqué dans la sensation de soulagement,

de confort et de joie, (b) de l’ATV, lié à l’enregistrement de

la certitude par rapport à une décision, (c) de l’hippocampe

postérieur, responsable de la réorganisation de la mémoire après

une découverte, et à un encodage sémantique grossier associé au (d)

sillon temporal supérieur/gyrus temporal supérieur.

[…]Comme toutes ces structures font partie d’une voie

dopaminergique associée à la consolidation, nous faisons

l’hypothèse que le déclic serait une forme particulière d’un processus de

remémoration rapide, de combinaison et d’encodage.

https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdfdirect/10.1002/hbm.24073

Pour faire simple, ce « déclic » quand on résout une énigme (même si on a tout

faux) est très agréable et pourrait aussi aider à encoder ce qu’on apprend d’une

nouvelle manière.

Ce déclic contribue aussi à renforcer le désir de rechercher et de résoudre de

nouvelles énigmes.

En d’autres mots, la résolution d’énigmes est extrêmement gratifiante d’un point de

vue biochimique et nous tenons aux idées que nous obtenons de cette

manière.

Page 12: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

3. Les Merdias

Une autre « raison » extrêmement importante qui explique pourquoi les

propagandistes poussent les gens à « faire leurs recherches », c’est qu’ils veulent

instiller une méfiance naturelle envers la société et les compétences des autres.

Il n’est pas nécessaire que les membres de QAnon fassent leurs recherches parce

que les faits sont là : les recherches ont déjà été effectuées et elles ont été menées

par des milliers de professionnels qualifiés. Le FBI, la CIA et d’innombrables

organisations à but non lucratif, qui se consacrent à régler les problèmes du trafic

de personnes et de la maltraitance, travaillent déjà sur ces questions depuis des

décennies. Si les Anons voulaient vraiment faire de la recherche, ils pourraient

s’informer sur les moyens d’obtenir une licence en travail social, en psychologie, en

droit pénal, ou tout ce qui pourrait être réellement considéré comme de la

recherche.

Faites vos propres recherches signifie : « Ne faites pas confiance aux autres. Ne

faites pas confiance aux institutions. Écoutez-moi. »

L’intrigue du complot suit toujours la même logique. Personne n’est au courant du

complot ? C’est à cause du complot. Mais ce n’est pas parce que le complot n’existe

pas.

Ensuite, les initiés reçoivent les outils pour arriver à « leurs propres

conclusions » qui sont, à tous égards, bien plus fascinantes, intéressantes et

résolvent plus de problèmes que les conclusions traditionnelles. Parce qu’elles sont

erronées et fictives.

4 : La communauté

Le fait de résoudre des énigmes ensemble est un excellent moyen de rejoindre ou de

former une communauté. Les JRA sont connus pour ça. Chacun·e doit se concentrer

sur quelque chose, partage un intérêt commun et a quelque chose à faire. Les

énigmes ne représentent souvent qu’un prétexte pour se réunir. Quand Q lâche des

indices, vous avez quelque chose à faire, et des personnes avec qui le faire. Ça

renforce les liens. C’est la raison pour laquelle les énigmes sont utilisées dans les

exercices de team building en entreprise et les jeux pendant les fêtes.

Page 13: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

C’est particulièrement le cas si ces personnes se trouvent là dans l’intention de vous

faire vous sentir d’une certaine manière et de vous faire penser une chose

spécifique. Si ces personnes ont pour but de se lier d’amitié avec vous et de vous

faire vous sentir exceptionnel·le. Travailler ensemble sur quelque chose est une

excellente façon de faire en sorte que cela se produise.

Exemple d’expérience de jeu :

Plusieurs messages Q drops insinuent que les occultistes qui nous dirigent doivent

se signaler à leurs semblables en utilisant le symbolisme. Il s’agirait même d’une

exigence.

C’est une façon de créer une vaste collection d’informations aléatoires qui peuvent

être reliées par la réflexion collective afin de soutenir la théorie principale. C’est

simple, irrésistible et c’est une idée qui a fait ses preuves. Tout le monde « sait » que

des symboles sont associés à la magie, à l’occultisme et aux sociétés fermées.

Comme le compas des francs-maçons et le pentagramme. En fait, QAnon fait partie

des groupes qui adorent utiliser des symboles pour avertir les autres qu’ils en sont

membres, donc cette pratique leur est familière. #wwg1wga

Voici quelques messages « drops » dans la même veine.

Leur besoin de symbole sera leur perte.

Suivez la Chouette et le Y dans le monde entier.

Identifiez-les et faites des listes.

Ils ne le cachent pas.

Ils n’ont pas peur de vous.

Pour eux, vous n’êtes que des moutons.

Vous êtes des réservoirs.

Le Parrain III.

Q

Page 14: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Voici un autre exemple.

Repérez le symbolisme (Chouette/Y)

Quels sont les artistes/célébrités qui ont soutenu Hillary Clinton pendant

l’élection ?

Qui a joué pendant ses rassemblements ?

Quels bijoux et/ou tatouages portaient-ils ?

À quels autres événements ont-ils participé ensemble ?

Que représente Hillary Clinton pour eux ?

Quelles sont les célébrités qui ont des symboles de chouette/Y ?

Quelles sont les personnalités politiques qui ont des symboles de

chouette/Y ?

Quelles personnes puissantes ont-elles des symboles de chouette/Y ?

Quels groupes puissants ont-ils des symboles de chouette/Y ?

Pourquoi sont-ils portés/montrés ouvertement ?

Leur besoin de symbole sera leur perte.

Chaque miette de pain représente un sujet d’écriture créative. Une théorie du

complot relie des éléments disparates entre eux.

Elle donne aux joueurs une tâche réalisable sur laquelle ils peuvent collaborer.

Est-ce réel ? Les célébrités d’Hollywood et les politicien·ne·s envoient-ils vraiment

des messages en utilisant des chouettes et des yacks ? Les « enquêteurs » se rendent

sur Google pour le découvrir. Voilà ce qu’ils ramènent de leurs recherches.

(Selon des théories du complot passées, Beyoncé serait à la tête des Illuminatis. Voir plus bas.)

Page 15: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux
Page 16: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Les membres de QAnon

ont été creuser et ont

trouvé des centaines

d’images. Peut-être que

vous ne l’aviez pas

remarqué avant, mais

maintenant vous ne pouvez

PAS vous empêcher de le

remarquer.

Ce n’est pas non plus le

premier ou le dernier des

mèmes sur le symbolisme.

Certains mèmes sont de

QAnon, d’autres sont

antérieurs. Ils ne sont

certainement pas difficiles

à trouver une fois que vous

commencez à « faire vos

recherches ».Guy de Rothschild et la baronne Marie-Hélène de Rothschild

Page 17: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Voici le « symbole 666 ».

Page 18: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Ici nous avons le symbole « un œil » ou « œil de la providence » des Illuminatis,

comme celui sur la pyramide.

Page 19: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Maintenant, comme dans les JRA traditionnels, les participants ont l’occasion de

voir le monde un peu différemment. Ils peuvent aller sur les forums, regarder les

vidéos, poser des questions. Ils peuvent soumettre le résultat de leurs propres

« recherches » et recevoir des félicitations, des commentaires d’encouragement et

se faire des amis. Ils ne doivent pas forcément croire à tout, mais maintenant,

quand ils regardent un nouveau clip musical, peut-être vont-ils se mettre à

remarquer toutes les choses bizarres qui s’y trouvent ? Se pourraient-ils qu’elles ne

soient pas de simples détails sans importance, mais qu’elles aient une vraie

signification ?

De la fiction à la réalité

À ce stade, les mécanismes du jeu ont commencé à titiller les participant·e·s.

Les participant·e·s s’amusent à regarder ce qui les entoure et à « résoudre » des

devinettes, motivé·e·s par les doses de dopamine et l’impression de faire partie d’un

secret que personne ne connaît. Ces personnes font aussi désormais partie d’une

communauté active, amicale, et en pleine croissance. Tout ce qu’ils et elles voient ou

entendent contribue à créer de nouveaux doutes par rapport aux gens et aux choses

qui suscitaient déjà leur méfiance. Chaque nouvelle théorie est facile à comprendre,

irrésistible et développée grâce à leur propre capacité de raisonnement.

Dorénavant, si ces personnes mettent certaines idées en doute, ça veut dire qu’elles

doivent douter de leur aptitude à voir la vérité, de leur communauté, voire du

monde autour d’elles. Ce jeu crée rapidement une vision alternative du monde, très

gratifiante d’un point de vue psychologique, et qui semble être considérée de toute

part comme étant la vérité. Des célébrités, des sénateurs et même le Président

encouragent cette vision du monde.

Les sous-entendus des messages de Q sont unilatéraux, conçus pour créer le doute

et non pour avancer des preuves. Une fois qu’on a créé le doute, il est

incroyablement difficile de le dissiper.

Page 20: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

C’est très difficile de prouver que quelque chose n’existe pas. Par exemple, vous ne

pouvez pas prouver que les extraterrestres n’existent pas. D’un point de vue

scientifique, les extraterrestres pourraient exister, donc vous n’arriverez jamais à

prouver qu’ils n’existent pas. De même, vous ne pouvez pas prouver que

quelqu’un ne fait pas partie d’une secte. Peu importe ce qu’ils disent. Les doutes ne

peuvent pas être dissipés facilement. Par contre, il est facile de les alimenter.

Il suffit d’images sinistres de célébrités qui font le signe des cornes ou habillées de

robes sanglantes.

Imaginez les participants parcourir des

centaines d’images de personnes dont elles

se méfient, en train de se

comporter exactement comme si elles

faisaient partie d’une secte.

Les stars du rock sont constamment en

train d’essayer de choquer les gens. Elles

font le signe des cornes tout le temps.

Leurs vidéos sont remplies de crânes de

bœufs, de tatouages bizarres et des

références délibérées à l’occultisme.

« Je ne sais pas si j’y crois, mais C’EST

bizarre, non ? C’est vrai qu’on dirait

qu’ils font partie d’une secte. Moi, je ne

porte pas de tête de chèvre ! Qui

s’amuserait à faire ça ? Se pourrait-il que

certaines de ces personnes fortunées soient en fait des monstres ? J’ai entendu

tellement de choses sur les Rothschild… »

Lady Gaga

Page 21: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Ensuite, cette idée est multipliée sur des milliers de sites, dans des vidéos sur

YouTube, des publicités, des commentaires, par des influenceurs sur Instagram, des

tweets, etc. Cette idée est partout, et partout où vous vous rendez (dans votre bulle), on

vous dit qu’elle est vraie. Même quand vous sortez de votre bulle, on vous dit que c’est

vrai (parce que ainsi que la publicité fonctionne).

Il se peut que les gens déterrent tous les articles qui disent que Beyoncé est à la tête

des Illuminatis avec Jay-Z qui fait le signe des Illuminatis. Et après, vous apprenez

que Jay-Z EST réellement intéressé par les Illuminatis et qu’il fait leur signe depuis

six ans.

Je veux dire, ça ne peut pas être vrai, n’est-ce pas ?

Ensuite, il y a la triste réalité. Il y a des agresseurs à Hollywood. Il y a aussi des juifs

riches et bizarres à Hollywood. Harvey Weinstein. Epstein. Pourquoi pas les

Rothschild ? Pouvez-vous vous sortir de la tête cette image d’un vieux mec riche et

louche et de sa femme déguisés avec une tête de diable ?

Beyoncé en train de faire le signe des Illuminatis

Page 22: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

À chaque jour qui passe, le doute grandit.

Jusqu’à ce que ne ce soit plus un doute.

Jusqu’à ce que vous soyez « presque certain·e ».

Bien sûr, les créateurs de Q savent que ces images existent et il sait qu’elles sont

hors de leur contexte (il s’agissait d’un bal costumé surréaliste). C’est pareil pour

l’imagerie occulte en abondance dans les clips musicaux modernes. Q vous mène

vers des informations sans liens entre elles, qui correspondent à leur récit. Qui

collent avec leur histoire.

Qu’en est-il de ces images ?

Est-ce que QAnon

enquête sur les liens de

Trump avec Epstein ?

Avec Satan ?

Peut-être, mais il faudra

attendre le prochain Q drop

pour avoir des explications.

Samuel Corum dans The New York Times

Page 23: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

« Pourquoi les docteurs se trouvent-ils toujours près des malades ? Pourquoi la

police est-elle toujours dans les parages des criminels ? Quel est le type de police la

plus efficace ? Quelle est la meilleure façon d’attraper un criminel ? À quoi servent

les espions ? Est-ce que toutes les forces de l’ordre révèlent leur identité aux

criminels ? Quel est le bénéfice pour les médias traditionnels de donner cette

image de Trump ? »

Tout ce qui tourne autour de Q semble intéressant, et même si Q se trompe sur

certains sujets, c’est plus proche de ce que ressentent vraiment les gens.

Le marketing et les relations publiques travaillent d’arrache-pied. Il y a des

influenceurs qui postent tous les jours. Ce sont des gens qu’ils apprécient, comme

Q. Q s’en assure. Cette communication n’a pas lieu dans les recoins obscurs

d’Internet, mais sur Facebook, TikTok, Instagram et YouTube. Il ne faut pas

forcément que les gens croient à tout, il faut juste les faire douter un petit peu.

Il faut qu’ils se lancent à la poursuite du lapin blanc, et tapisser le terrier d’épines

toutes couchées dans le même sens, pour qu’ils ne puissent pas faire demi-tour.

Si ces personnes font l’objet de moqueries ou d’insultes, elles se rabattent

simplement vers des forums familiers, où elles sont rassurées et encouragées. Elles

se retranchent de plus en plus dans leurs croyances.

Tout est QAnon

Maintenant que ces personnes ont été endoctrinées dans la mouvance

QAnon, elles peuvent continuer à jouer seules, sans avoir besoin de

beaucoup d’encouragement. Le jeu est partout.

Il suffit qu’une des personnes qui tire les ficelles lance une théorie du

complot sur Internet pour que Q s’en empare quelques semaines plus tard.

Les terriers du lapin blanc ont des entrées partout.

Page 24: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Cet article (en anglais) montre avec des cartes de hashtag la façon dont Q s’est

complètement emparé de la théorie du complot sur Wayfair. Tout ce qui existe fait

maintenant partie du jeu. Chaque coïncidence étrange est une énigme à résoudre. Il

existe maintenant une communauté pour multiplier et renforcer chaque signal, tout

en attirant de nouveaux membres.

QAnon cherche à s’insérer partout ! C’est un lieu de rassemblement. Un café du

commerce pour les théories du complot. C’est aussi une excellente façon

d’endoctriner les gens, ou de leur faire avaler la « pilule rouge ».

QAnon permet de démultiplier l’impact de n’importe quel événement. Une armée

avide « d’énigmes » à résoudre, avec une orientation claire et largement accro à la

communauté du complotisme. Anti-Covid, antivax, 5G et qui sait quoi d’autre

encore ?

Pour l’instant, QAnon est en train d’accaparer le hashtag #savethechildren. Les gens

veulent bien sûr s’impliquer pour sauver des enfants, et se demandent peut-être, de

façon innocente, pourquoi certains des slogans disent #thestormiscoming ou

#wwg1wag.

Il devient de plus en plus difficile de distinguer Q de ceux qui s’inquiètent de la

fraude des votes par correspondance ou qui se méfient de Bill Gates. La mouvance

se raccroche à n’importe quoi.

Page 25: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Endoctrinement

À l’évidence, l’endoctrinement ne fait pas partie des mécanismes de jeu.

Il faut distinguer le fait de « devenir viral » du fait de recruter et de former

activement. Le but d’une publicité est d’être tellement divertissante, utile ou

motivante que les gens transmettent l’information à leurs amis. L’objectif d’un jeu

est d’être si attrayant que les gens ont envie d’y jouer, et veulent y jouer avec leurs

amis.

C’est ce qui se passe, dans une certaine mesure, car Q a des qualités virales. Mais il

se passe aussi autre chose, quelque chose d’extrêmement troublant. Q enseigne aux

adeptes de QAnon comment faire du prosélytisme.

Q donne des instructions qui, à la fois, pointent vers les théories de QAnon tout

en cachant aux autres qu’il s’agit de QAnon jusqu’à ce que ces personnes aient été

endoctrinées. C’est la réplication des terriers du lapin blanc et des miettes de pain

du Petit Poucet.

Sur les forums où se développe QAnon, il y a des listes de mèmes et des

instructions sur comment et où les partager, ainsi que des invitations à en créer et à

en récolter. Il existe des listes de ressources techniques pour apprendre comment

suivre des individus à travers leur présence sur les réseaux sociaux, pirater des

informations pour révéler la localisation des personnes qui publient, et utiliser une

large gamme d’outils afin de recueillir des « informations ».

Q donne également des instructions spécifiques sur la façon de faire avaler une

« pilule rouge » aux amis et à la famille. Comme faire en sorte que les gens leur

posent des questions. Comment répartir les terriers de lapin, faire en sorte que les

gens leur posent des questions, lancer des pistes de miettes de pain et comment

diffuser les idées de Q sans faire de lien direct avec Q.

Ça ressemble fort à des pratiques sectaires. C’est un indice très clair de pratiques

dangereuses.

Page 26: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Beaucoup d’excellents articles se penchent sur ce phénomène, notamment sur la

façon dont Q se répand :

Sur Instagram

Dans les communautés chrétiennes

Dans les petites villes

QAnon n’a pas pris son essor spontanément

« C’est probablement juste un gars qui a partagé quelques trucs sur 4Chan et ça a

décollé, tout simplement ! » ou « Ce truc est sorti de nulle part ! C’est devenu

viral ! » On a tendance à penser que QAnon se développe de manière virale et

spontanée parce que c’est ce que QAnon veut qu’on pense. Ça fait partie de sa

propre histoire et de sa propagande.

Comme je produis des JRA, je sais à quel point il est difficile de produire ces jeux,

de les entretenir et de garder l’intérêt des joueurs. Je le répète : le fonctionnement

de QAnon va à l’opposé de celui d’un JRA normal.

En général, quand un JRA indépendant ou une histoire interactive deviennent

viraux de façon inopinée, ça marque le début des ennuis pour ses créateurs. Ils ont

moins d’argent, qu’ils doivent dépenser pour plus de gens, davantage d’interactions

et leur histoire est consommée de plus en plus vite. Ils n’ont plus de temps,

d’argent, ni de personnel. Finalement, ils finissent par mettre fin à l’aventure.

Même les JRA commerciaux, qui sont financés par la publicité, sont épuisants à

gérer. C’est un sprint dès le coup de départ et, quelle que soit sa durée, on a

l’impression de courir un marathon. (Bon, ça vaut pour moi, je suis sûr qu’il existe

de meilleurs producteurs)

Ce truc va dans le sens inverse. Plus il y a de personnes qui le rejoignent, plus il y a

d’argent dedans. Il y a de plus en plus d’efforts, de relations publiques et de plus en

plus de contenus.

Page 27: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Plus on essaie de l’arrêter (Google, FB, Reddit, Instagram, fournisseurs de services,

TikTok, etc.), plus ceux qui tirent les ficelles de Q augmentent les enjeux et

reçoivent les soutiens de plus en plus importants de personnalités politiques de

premier plan du monde entier.

Il y a de l’argent derrière tout ça. Cet essor ne vient pas de la base. On ne parle pas

de sommes énormes, mais il s’agit d’un véritable système. Facebook dit avoir

supprimé

« 790 groupes, 100 pages et 1500 publicités liés à QAnon. Le groupe a

également bloqué plus de 300 hashtags sur Facebook et sur Instagram

et a restreint 1950 groupes et 440 pages sur Facebook et plus de

10 000 comptes sur Instagram. »

- The Verge

La semaine où Facebook a mené ces actions, le Président Trump a exprimé son

soutien au mouvement devant les caméras d’une conférence de presse. Il l’a qualifié

de mouvement populaire en plein essor et a dit qu’il les appréciait. Quand on lui a

demandé s’il croyait à la thèse de base, à savoir qu’il « travaillait en secret à sauver

le monde d’une secte satanique de pédophiles et de cannibales », il a répondu

« Est-ce que c’est censé être une mauvaise chose ? Si je peux aider à sauver le

monde de certains problèmes, je suis prêt à le faire, je suis prêt à m’impliquer. Et

c’est ce que nous faisons, en fait. Nous sommes en train de sauver le monde d’une

philosophie de gauche radicale qui va détruire ce pays. »

Il ne s’agit pas ici d’une personne solitaire sur Internet, qui s’est mise à partager

quelques messages et est tout à coup devenue virale. J’ai rencontré de telles

personnes. J’ai travaillé sur ces projets. Les choses ne se passent pas ainsi.

C’est une campagne médiatique. C’est une campagne de propagande coordonnée.

800 groupes ? Un JRA qui reçoit le soutien du Président ? Un JRA avec des

manifestations dans le monde réel, organisées dans de nombreux pays et plus de

200 endroits physiques. Il n’y a rien de « spontané » là-dedans.

Page 28: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Il existe même un long-métrage, financé directement et distribué GRATUITEMENT

pour faire passer le message. Des centaines de publications sont en vente sur

Amazon. Tout cela représente un travail considérable. Les jeux ne fonctionnent pas

comme ça. Rien ne fonctionne comme ça, sauf des campagnes médiatiques, de

publicité ou de propagande.

QAnon a besoin de saturer les médias de cette façon PARCE QUE ce n’est pas un

mouvement spontané. Il faut que les gens en soient entourés de toutes parts. Il faut

que la mouvance ait l’air populaire, même quand ce n’est absolument pas le cas. Il

faut qu’on ait l’impression que tout le monde en parle. Il faut que les gens voient

Qanon sur YouTube, TikTok, dans les journaux, dans les infos, et qu’ils entendent

leurs ami·e·s en parler. Tout est fait pour que le phénomène soit perçu comme

« réel ».

Ceci n’est pas un jeu (TINAG)

TINAG est l’acronyme de This Is Not A Game (ceci n’est pas un jeu), souvent

associé à la méthode de gestion de jeux comme les JRA. Ces jeux ont une dimension

théâtrale qui peut distraire si elle est perturbée. C’est similaire à la façon dont un

acteur réagit quand il lui manque un accessoire : il essayera de faire avec, parce

qu’interrompre la pièce et sortir cherche une nouvelle fausse épée gâcherait

l’immersion des spectateurs. Vous êtes censé·e vous trouver dans le monde de la

pièce, et non dans le monde réel. On pourrait facilement dire la même chose de la

plupart des fictions.

Mais toutes les personnes qui jouent à ces jeux, tout comme les personnes qui

regardent un film ou utilisent la réalité virtuelle savent que ce n’est pas réel même

quand elles sont complètement immergées dedans.

C’est ça qui est amusant. Oui, des jeux comme les JRA (the Beast), créé pour

promouvoir le film A.I., et ilovebees cherchaient à sembler« réels » mais il s’agissait

aussi de jeux qui se déroulaient dans le futur et ne pouvaient pas être pris pour la

réalité. Savoir ce qui « fait partie du jeu » est une priorité importante pour les

concepteurs de jeu comme pour les joueurs, peu importe le réalisme du jeu. Au

minimum, si les gens ne savent pas si un indice fait partie du jeu ou non, le résultat

ne doit pas pouvoir causer de dommages.

Page 29: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Les gens appelleraient la vraie police s’ils pensaient se trouver en présence d’un vrai

crime, donc il faut que vos joueurs sachent qu’ils jouent un jeu, sinon ça causerait

des problèmes.

Bien sûr, je le répète, ceci est l’opposé de l’objectif déclaré de QAnon.

« Ceci n’est pas un jeu » est pris au pied de la lettre.

Qanon cherche à révéler la véritable histoire. C’est la raison pour laquelle des

gens appellent réellement la police, des membres de la Chambre des représentants

ou des lignes d’assistance téléphonique contre la traite des êtres humains. On vit

une grande euphorie quand on résout une énigme difficile dans un jeu. Avec Q, c’est

encore davantage le cas, car C’EST RÉEL. On écrit des articles sur vous dans tous

les magazines. On parle de vous aux infos. Les participants n’ont pas résolu un jeu,

ils ont élucidé la réalité ! Mais comment en arrive-t-on à la conviction que les

fausses connexions établies par les adeptes de Q sont RÉELLES ?

Ce n’est pas si étrange que ça. En fait, ce qui fait la différence entre l’apophénie et la

science, c’est que cette dernière s’appuie sur la méthode scientifique et sur

les preuves. Les gens font des connexions avant d’être certains qu’il s’agit d’une

réalité factuelle. Peut-être à cause de l’apophénie, peut-être pas. C’est une

hypothèse. ENSUITE IL FAUT LA TESTER. Les faits déterminent le résultat et

ensuite vous l’acceptez, que ça vous plaise ou non. Il arrive que même des

scientifiques ne souhaitent pas abandonner une bonne théorie qui ne se vérifie tout

simplement pas. La sensation d’avoir raison est plus forte que tout. C’est la raison

d’être de la revue par les pairs. Il faut que des confrères et consœurs soient en

mesure de reproduire les résultats. Les solutions doivent être testées, les faits

doivent être exploités.

Avec Q, en fait de preuves, tout ce qu’on obtient, c’est encore plus d'apophénie !

Une nouvelle flèche sur la terre battue, un cycle qui revient inlassablement à la

propagande centrale. Il faut que cela se passe ainsi parce que ce n’est pas la vérité.

La réponse, c’est ce qui convient le mieux, ce qui a le plus de sens et ce qui soutient

l’histoire. Chaque vérité ne fait qu’alimenter la propagande et renforcer les

conclusions de l’apophénie et du récit central.

Page 30: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

On a l’impression que c’est vraiment ce qui se passe. C’est particulièrement

convaincant quand une fausse « communauté », sélectionnée avec soin, vous

acclame, vous donne des accolades et vous dit que vous êtes héroïque à chaque fois

que vous faites un saut radical dans le vide. Quand vous commencez à perdre la foi, ou

à vous désintéresser de la cause, il vous suffit de zapper sur Fox News pour que des

sénateurs, des personnalités publiques, et même le Président des USA vous

encouragent nommément à continuer vos efforts pour produire un récit crédible et

intrigant à partir des informations aléatoires tout autour de vous. Tout comme le récit

l’avait prédit.

En fait, la notion de « réalité alternative » est parfaitement appropriée dans cette

situation.

Qanon est une tentative de créer une nouvelle réalité. Une réalité à partir de

laquelle on pourrait agir, dans laquelle on pourrait faire semblant de vivre, et qu’on

pourrait manipuler. Mais cette réalité ne correspond pas à la réalité factuelle. S’ils

arrivent à créer cette réalité, ceux qui en tirent les ficelles peuvent faire tout ce qu’ils

veulent et choisir un élément fictionnel de l’intrigue à blâmer pour les conséquences

de leurs actions. Il s’agit d’une ramification d’une attaque sur plusieurs fronts

impliquant le mouvement boogaloo, les adeptes de QAnon, les anti-masques, les

fake news, Alex Jones, etc. Des programmes disparates, tous avec le même message

et le même objectif. Nous faire douter de la réalité. Créer le brouillard de la guerre,

sans la guerre. Créer une réalité collectivement partagée qu’ils peuvent contrôler

directement.

Est-ce difficile de vivre dans un monde imaginaire ?

En fait, c’est plutôt facile. Amour, civilisation, honneur, bien/mal, religion, argent,

etc. Qu’est-ce qui relève de la réalité ? Qu’est-ce qui relève d’une fiction que nous

avons créée, sur laquelle nous nous sommes mis d’accord pour vivre comme si elle

existait vraiment ? Peut-être croyez-vous que votre religion n’est pas une fiction,

mais qu’en est-il des religions des autres ? Sont-elles toutes pareillement réelles ?

Le fait d’être capables de partager et de croire en nos fictions, d’agir comme si elles

étaient réelles pourrait même être l’un de nos avantages évolutifs.

Page 31: QAnon : l’analyse d’un créateur de jeux

Une fois que vous acceptez que les dogmes de QAnon sont réels, ou presque tous

réels, la mouvance peut tout aussi bien devenir une religion qu’une secte, un

mouvement politique ou autre. Mais ce n’est absolument pas un jeu !

Ça vous semble tiré par les cheveux ?

Je ne sais pas dans quelle mesure le ressenti actuel des adeptes de Q est différent

de celui des membres d’une religion. On remarque déjà la présence d’éléments

légèrement religieux.

« Je suis QAnon/catholique/juif·ve et j’apprécie la communauté et les activités,

mais je ne suis pas sûr·e de vraiment croire à TOUT littéralement. Mais je suis

d’accord avec les idées de base. »

Soyons honnêtes, il se pourrait que je sois moi-même en train de faire l’expérience

de l’apophénie.

Terminons avec les mots de Q lui-même sur la manière d’endoctriner de nouveaux

membres.

Combien de personnes ignorent-elles la « vérité » à cause de la mainmise

des puissants ?

Comment fait-on pour que les gens prennent conscience de l’existence d’une

réalité alternative ?

Quelles miettes ont-elles été semées (pensez à Hollywood/Washington DC)

Définissez « introduction » (pensez aux jeux)

Que s’est-il passé récemment ?

Il faut planter le décor.

Les miettes sont faciles à avaler.

[…]

Q