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QAnon : l’analysed’un créateur de jeux
Jouer avec la réalité
Un article de Reed Berkowitz, traduit par Anne-Sophie Ronvaux pour Fact And Furious
© 2019 Tony Webster “Ask Me Q — QAnon” — CC BY 2.0
Je suis créateur de jeux, et mon expérience s’est développée dans une niche très
spécialisée. Je crée et je fais des recherches sur les jeux destinés à être joués dans la
réalité. J’ai travaillé sur des jeux en réalité alternée (JRA), des jeux de rôle
grandeur nature ( GN ) , l’ experience fiction , le théâtre interactif, et « les jeux
sérieux ». Des histoires et des jeux qui peuvent débuter sur un ordinateur et se
terminer dans le monde réel. Des fictions élaborées pour paraître aussi réalistes
que possible. Des jeux qui vous apprennent des choses. Des énigmes qui prennent
vie tout autour des joueurs. Des jeux où plus vous creusez profondément, plus vous
trouvez de choses. Des jeux avec des terriers de lapin qui vous invitent au Pays des
merveilles et vous incitent à passer de l’autre côté du miroir.
Quand j’ai commencé à m’intéresser à QAnon, j’ai compris exactement à quoi j’avais
affaire, et comment la mouvance fonctionnait. Pour moi, c’était du déjà vu. J’avais
presque déjà conçu ce type de jeu auparavant. C’était le jumeau maléfique des
jeux. Un jeu où les pions sont des personnes. (ajouter ici une musique inquiétante)
QAnon a souvent été comparé aux JRA et aux GN, et cette comparaison est
justifiée. La mouvance utilise beaucoup des mécanismes et récompenses
présents dans les jeux. L’impression qu’on a affaire à un jeu est évidente
pour qui a déjà joué à un JRA, à un jeu de rôle en ligne ou à un GN. Les
similarités sont si frappantes que la mouvance a souvent été qualifiée de GN
ou de JRA. Pourtant, ce phénomène est très, très différent d’un jeu.
Ce sont les différences qui donnent un éclairage sur le fonctionnement de
QAnon. Beaucoup d’entre elles sont difficiles à repérer si on ne participe pas
au développement de jeux. QAnon peut être comparé au reflet d’un jeu dans
un miroir ; on dirait exactement un jeu, mais où tout est inversé.
Une apophénie guidée
Au cours d’une des toutes premières experience fictions (XF) élaborées par
mes soins, les joueurs devaient explorer une cave glauque pour y trouver des
indices. L’objet qu’ils cherchaient était à peine caché et l’indice était simple.
C’était du niveau d’un épisode de Scooby Doo. Je ne m’attendais pas au
moindre problème dans cette partie du jeu.
Mais il y a eu un problème. Je ne le savais
pas à l’époque, mais ce problème a un nom,
l’APOPHÉNIE.
L’apophénie, c’est :
« la tendance à percevoir un lien ou un
motif qui a du sens entre des choses sans
relations entre elles ou prises au hasard
(comme des objets ou des idées) ».©Art Jonak 2012 — Coolest cloud ever! — CC BY-NC 2.0
Quand les participants se sont mis à chercher l’objet caché, il y avait des
petits morceaux de bois disposés au hasard sur le sol en terre battue.
Comment cela aurait-il bien pu poser le moindre problème !?
C’était un problème parce que trois des morceaux formaient une flèche parfaite qui
pointait droit vers un mur vide. C’était troublant. Il fallait forcément que ce soit un
indice. Les enquêteurs se sont arrêtés et se sont mis à fixer le mur. Ils étaient bien
décidés à élucider la signification de l’indice et n’allaient pas bouger d’un pouce
jusqu’à ce qu’ils y soient parvenus. Tout le jeu est sorti des rails. Ensuite, les choses
ont empiré. Puisqu’il n’y avait pas d’indice, à l’évidence, le groupe a décidé que
l’indice qu’ils cherchaient se trouvait DANS le mur. La pièce contenait des outils
ordinaires, disposés un peu partout. Pratique, non ? Voilà qui a semblé renforcer
leur conclusion qu’ils suivaient la bonne direction. La flèche pointait vers l’indice et
les outils permettraient d’atteindre celui-ci. C’était évident, non ?J’observais tout ça
se dérouler avec horreur, parce que tout s’imbriquait tellement parfaitement. C’était
bien meilleur, et plus évident, que l’indice que j’avais caché. Je m’en rendais bien
compte. Tout cela était complètement dû au hasard, mais je pouvais voir que les
connexions qui avaient été établies étaient toutes parfaitement logiques. J’avais un
plan de rechange sommaire et je l’ai vite utilisé avant que ces joueurs bien
intentionnés ne commencent à démolir le mur de la cave au pied de biche, à la
recherche d’indices qui n’existaient pas.
Ces gens étaient normaux, leurs suppositions étaient normales et logiques. Mais
complètement fausses.
Dans la plupart des jeux de type JRA, l’apophénie est le fléau des concepteurs et des
joueurs. Elle conduit parfois les participants à s’éloigner de plus en plus de l’intrigue
et oblige les concepteurs à se démener pour les récupérer ou (mieux encore) à
intégrer leurs idées. Dans les jeux de rôle, les JRA, les jeux vidéo et, en fait, partout
où les joueurs ont de l’autonomie, l’apophénie va poser problème.
C’est le cas parce que les vrais jeux comportent des solutions réelles à des énigmes
réelles, et une vraie intrigue créée par les concepteurs. Il est facile de s’écarter de la
piste parce qu’il y a une piste. Un bon meneur de jeu (qu’on appelle souvent un
marionnettiste) peut utiliser l’une ou l’autre de ces spéculations pour améliorer le
jeu, mais seulement dans la mesure où l’intrigue peut être ajustée en temps réel ou
planifiée à l’avance. L’apophénie peut donner naissance à des moments de jeu
extraordinaires, mais n’est pas facile à canaliser. Par exemple, j’aurais voulu
pouvoir enterrer instantanément quelque chose dans ce mur de cave, parce que ça
aurait tellement bien fonctionné, mais je n’ai pas eu de chance !
Si vous êtes concepteur ou conceptrice, que vous utilisez des énigmes et une
intrigue, alors l’apophénie est un élément inattendu que vous devez constamment
garder à l’esprit.
QAnon est le reflet inversé de cette dynamique. Ici, l’apophénie est le but de
tout le reste. Il n’y a pas d’intrigue préparée à l’avance. Les concepteurs du jeu n’ont
pas inventé d’énigmes à résoudre. Il n’y a pas de solutions.
QAnon se développe à partir d’une interprétation fantasque de données aléatoires,
présentées de façon évocatrice dans un milieu conçu pour aider les utilisateurs à
parvenir à la méprise visée. Peut-être pourrait-on décrire cela comme une
« apophénie guidée ». Guidée parce que ceux qui tirent les ficelles s’impliquent
directement en suggérant les conclusions souhaitées. Ils ont semé les conclusions à
l’avance. Ils font en sorte que le joueur se perde constamment en mettant en
évidence des événements aléatoires sans rapport entre eux et en leur donnant une
signification qui s’aligne avec le message de propagande transmis par Q.
Il n’y a pas de réalité ici. Aucune solution tangible dans le monde réel. Au lieu de
cela, cette piste de miettes de pain conduit à S’ÉLOIGNER de la réalité. On s’éloigne
des solutions réelles pour se rapprocher d’une dangereuse euphorie psychologique.
Ça fonctionne très bien parce que quand vous avez « compris quelque chose par
vous-même », vous vous l’appropriez. Vous vivez le frisson de la découverte,
l’excitation de passer de l’autre côté du miroir, l’acceptation d’une communauté qui
vous aime et vous respecte. Parce qu’on vous a convaincu de « relier les points par
vous-même », vous pouvez en voir la logique absolue. C’est la conclusion à
laquelle vous êtes arrivé·e. Nous en reparlerons plus tard.
Tous les autres participants sont d’accord avec vous, parce qu’il est hautement
probable qu’ils vous ont dirigé dans cette direction exactement dans cet objectif
(nous y reviendrons plus tard).
« Hé, qu’est-ce que c’est que ça ?! »
« On dirait une flèche qui pointe vers le mur. »
« Pourquoi pensez-vous qu’elle est là ? Est-ce que les gens laissent des
flèches traîner comme ça, en les faisant pointer vers des choses au
hasard ? Qu’est-ce que votre bon sens vous dit là-dessus ? »
« Mon bon sens me dit qu’il doit y avoir quelque chose par là. »
« Oui. Vous avez raison. Peut-être devriez-vous regarder ça de plus
près ? »
© 2019 Marc Nozell — QAnon in red shirt — (CC BY 2.0)
Chaque nuage a une forme qui peut ressembler à quelque chose d’autre. Tout ce qui
clignote peut aussi être un message en morse dans le désordre. Plus il existe
d’informations disponibles, plus il devient facile de laisser l’apophénie nous guider
vers n’importe quoi. C’est comme quand on regarde le ciel et que quelqu’un nous
montre les constellations.
La différence : ces connexions préfabriquées mènent aux conclusions souhaitées
par ceux qui manipulent Q. Quand les joueurs parviennent aux réponses
« correctes », ils sont couverts d’adoration, de respect et de reconnaissance sociale.
Comme dans un jeu de rôle pour ados, la réponse « correcte » est celle que le
groupe respecte le plus, et qui rend l’histoire plus agréable. C’est l’idée qui renforce
la théorie. La réponse correcte est celle qui donne le plus de crédit à celui qui la
partage. C’est comparable à un laboratoire de fiction darwinien, où les meilleures
histoires et les mauvaises interprétations les plus engageantes et satisfaisantes sont
sélectionnées et servent à élaborer la version suivante.
Il fut un temps où QAnon n’était qu’un « anon » parmi d’autres, dont FBIanon,
CIAanon, etc. La théorie Q s’est hissée au sommet, donc elle a eu ses propres
chaînes YouTube. Comme ça fonctionnait, elle a commencé à apparaître sur
Reddit. Les théories qui ne fonctionnaient pas ont disparu tandis que d’autres ont
été approuvées par leur audience. Ce système est ingénieux. C’est une intelligence
artificielle dotée d’un moteur de réflexion collective. Le groupe, dirigé par les
marionnettistes, choisit l’explication la plus divertissante et la plus captivante, et
celle-ci est amplifiée. C’est un jeu de Slender Man qui s’est emballé.
Revenons à cette flèche sur le sol.
Ce n’était pas une flèche sur le sol. Elle ne pointait pas vers un indice dans le mur.
C’était juste des morceaux de bois qui étaient là par hasard. Les joueurs n’ont
pas découvert de flèche. Ils l’ont créée. Ils ont vu des morceaux de bois disposés au
hasard, ont mis leur intelligence en marche, et voilà tout.
Il est facile pour les gens d’oublier qu’ils ne sont pas en train
de découvrir l’histoire, mais en train de la créer à partir d’éléments
aléatoires.
Propagande et manipulation
Une autre différence majeure entre QAnon et un véritable jeu, c’est que Q fait de la
propagande presque à l’état pur. Tel est son SEUL objectif. Q ne fait pas la
promotion d’un produit, le but n’est pas de divertir et il ne s’agit pas d’un projet
artistique. Il n’y a aucun doute sur la nature politique de la propagande. Allant des
vieux clichés sur les juifs et les démocrates qui mangeraient des bébés (une
réinvention des accusations de meurtre rituel) à l’hystérie anti-science, on retrouve
bien tous les marqueurs de l’autoritarisme. Ce sont les antiques classiques de la
haine, recyclés sur Internet. La communication est parfaite. Les « drops » sont un
méli-mélo de posts antisémites, misogynes et grotesques implantés sur des forums
qui, en fait, ont été impliqués dans de nombreuses activités dont le faux complot est
censé être coupable !
De plus, Q opère de concert avec de nombreuses initiatives, comme l’ont révélé d’autres
sources et d’autres développeurs. Cette coordination est cohérente.
Un jeu aide les joueurs à construire un monde intérieur qui les sert au mieux. Q aide
les joueurs à développer un monde intérieur qui sert au mieux les
initiatives de Q.
Voyons comment ça marche.
Expérience de jeu
Q est un personnage fictif.
J’ai bien peur qu’il ne faille le préciser. Q n’est pas une personne réelle, mais un
personnage fictif.
QAnon utilise le plus ancien des clichés de tous les polars. Un mystérieux
inconnu arrive et révèle un indice étrange qui mène à des secrets cachés depuis
longtemps et que ses indices, et vos qualités d’investigation permettent de révéler.
Arrêtons-nous là-dessus une minute. Quel est le nombre de super films, de livres et
de séries télévisées qui auraient été gâchés à jamais si l’inconnu mystérieux avait
tout dévoilé aux protagonistes dès la première rencontre ?
« Jim l’a fait. C’est Jim. Il fait du blanchiment d’argent pour la mafia. Vérifiez ses
relevés bancaires. Ça tombe bien, je les ai ici avec moi. » La série X-Files serait
beaucoup plus courte si l’homme à la cigarette s’était simplement mis à bavarder !
Ce n’est pas comme ça que ça marche.
Dans les fictions, ces mystérieux
inconnus connaissent déjà la réponse,
mais au lieu de vous donner la
solution dans les dix premières
minutes, ils vous donnent des indices.
Des indices difficiles à suivre. Des
indices ambigus. Ils disent des choses
comme « Suivez l’argent. Ne les
laissez pas vous duper. Il faut
remonter jusqu’au sommet.
Il n’y a aucune raison pour que cela se
déroule de cette manière dans la
réalité. Mais dans une fiction, c’est ce
qui crée toute l’intrigue, l’atmosphère
mystérieuse et toutes les choses
palpitantes qui vont suivre. C’est le lapin blanc poursuivi par Alice. Ce sont les
miettes de pain semées par le Petit Poucet pour retrouver son chemin hors de la
forêt.
Les choses ne fonctionnent pas comme ça dans la réalité. Quand de vraies
personnes du gouvernement doivent diffuser des informations importantes, elles le
font aussi vite qu’elles le peuvent, généralement en une seule fois Elles ne
s’amusent pas à vous faire résoudre des énigmes. Elles essaient d’être aussi
spécifiques que possible. Ce sont des personnes qui lancent l’alerte. Daniel Ellsberg
(les Pentagon Papers). Edward Snowden. Chelsea Manning. Etc.
Q n’est PAS un lanceur d’alerte. Q est un « élément scénaristique ». Q est fictif et
agit exactement comme le ferait un personnage de fiction. C’est parce que
le but de Q n’est pas de divulguer des informations réelles, mais de créer une
fiction.
William B. Davis, L'homme à la cigarette, dans The X-Files Copyright Fox Broadcasting Company
fAitEs vOS prOPRes rEcHErCHes
La raison fictive pour laquelle Q ne révèle pas tout simplement ce qu’il sait au
monde entier serait que Q veut que vous « fassiez vos propres recherches » et que
vous arriviez à vos propres conclusions.
Quelle obligeance…
Ce n’est pas une vraie raison. Q ne veut pas que vous arriviez à vos propres
conclusions. Q vous souffle les conclusions. C’est TRÈS important. Voici quelques
raisons pour lesquelles on retrouve cela dans les boniments de presque toutes les
théories du complot fictives qui aient existé.
1 : Suivez les miettes de pain
Quand on dit aux gens ce qu’ils doivent penser, et comment ils doivent penser, ceux-
ci ont tendance à résister. Des idées qui nous interpellent peuvent, au lieu de nous
convaincre ou de nous éclairer, avoir l’effet inverse et enraciner davantage nos
anciennes idées. Même en nous confrontant à des preuves factuelles.
« Il est bien connu que les gens sont souvent réticents à modifier leurs
convictions quand celles-ci sont directement remises en cause, en
particulier si ces croyances sont au cœur de leur identité1,2,3,4,5,6. Dans
certains cas, l’exposition à des preuves du contraire peut même
renforcer la confiance d’une personne en la véracité des convictions qui
lui sont chères7,8. »
https://www.nature.com/articles/srep39589
Les convictions fortes font littéralement partie de nous. En ce sens, des attaques
envers nos convictions profondes sont perçues comme des attaques contre notre
personne. Elles peuvent parfois être ressenties aussi violemment qu’une attaque
physique.
« La responsabilité primordiale du cerveau est de veiller sur le corps, de
protéger le corps », m’explique Jonas Kaplan, psychologue à l’Université de
Californie du Sud. « Le moi psychologique en est l’extension. Quand notre
moi se sent attaqué, notre [cerveau va] mettre en œuvre les mêmes défenses
que celles qu’il utilise pour protéger le corps. »
Pourquoi nous réagissons aux vérités dérangeantes comme s’il s’agissait
d’insultes personnelles (en anglais)
De Brian Resnick
Par contre, si ces idées sont générées par nous, alors ce sont ces idées-là que nous
défendons. Quand nous « créons » des idées dans nos propres esprits, celles-ci se
fondent bien plus efficacement dans notre personnalité. Ce sont NOS idées. Il n’y a
aucune friction. Guider des personnes pour qu’elles arrivent à VOS conclusions,
c’est la technique parfaite pour qu’elles acceptent une nouvelle idéologie qui entre
en conflit avec ce qu’elles pensaient auparavant.
C’est un peu délicat de faire en sorte qu’elles arrivent à destination. Il faut les guider
étape par étape, un petit pas à la fois. Dans le jargon de QAnon, ces étapes sont
appelées des miettes de pain, comme les repères qui vous guident dans la forêt. Q
disperse des petites bouchées, faciles à digérer, qui mènent les joueurs vers l’endroit
où Q veut les guider. Une petite bouchée à la fois.
Mais ces miettes de pain ne sont pas des faits, ce sont des questions. Des énigmes et
des indices que les « enquêteurs » doivent découvrir.
Ceci nous amène à une autre raison pour laquelle Q aimerait vraiment que vous
fassiez vos propres recherches.
2 : L’effet eurêka
L’apprentissage par résolution d’énigmes enregistre les informations dans le
cerveau d’une manière différente que les autres modes d’apprentissage. Les
énigmes et les connaissances obtenues par nos propres moyens sont
incroyablement gratifiantes. Elles sont récompensées par une dose de dopamine, la
drogue du plaisir du cerveau.
Depuis 1978 déjà, on sait qu’avoir un « déclic » améliore la rétention des souvenirs.
Récemment, un rapport publié en 2018 dans la revue Human Brain Mapping a
montré que ces déclics activent également les systèmes de récompense du cerveau.
Les déclics sont caractérisés par une hyperactivation du (a) noyau
accumbens, qu’on sait impliqué dans la sensation de soulagement,
de confort et de joie, (b) de l’ATV, lié à l’enregistrement de
la certitude par rapport à une décision, (c) de l’hippocampe
postérieur, responsable de la réorganisation de la mémoire après
une découverte, et à un encodage sémantique grossier associé au (d)
sillon temporal supérieur/gyrus temporal supérieur.
[…]Comme toutes ces structures font partie d’une voie
dopaminergique associée à la consolidation, nous faisons
l’hypothèse que le déclic serait une forme particulière d’un processus de
remémoration rapide, de combinaison et d’encodage.
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdfdirect/10.1002/hbm.24073
Pour faire simple, ce « déclic » quand on résout une énigme (même si on a tout
faux) est très agréable et pourrait aussi aider à encoder ce qu’on apprend d’une
nouvelle manière.
Ce déclic contribue aussi à renforcer le désir de rechercher et de résoudre de
nouvelles énigmes.
En d’autres mots, la résolution d’énigmes est extrêmement gratifiante d’un point de
vue biochimique et nous tenons aux idées que nous obtenons de cette
manière.
3. Les Merdias
Une autre « raison » extrêmement importante qui explique pourquoi les
propagandistes poussent les gens à « faire leurs recherches », c’est qu’ils veulent
instiller une méfiance naturelle envers la société et les compétences des autres.
Il n’est pas nécessaire que les membres de QAnon fassent leurs recherches parce
que les faits sont là : les recherches ont déjà été effectuées et elles ont été menées
par des milliers de professionnels qualifiés. Le FBI, la CIA et d’innombrables
organisations à but non lucratif, qui se consacrent à régler les problèmes du trafic
de personnes et de la maltraitance, travaillent déjà sur ces questions depuis des
décennies. Si les Anons voulaient vraiment faire de la recherche, ils pourraient
s’informer sur les moyens d’obtenir une licence en travail social, en psychologie, en
droit pénal, ou tout ce qui pourrait être réellement considéré comme de la
recherche.
Faites vos propres recherches signifie : « Ne faites pas confiance aux autres. Ne
faites pas confiance aux institutions. Écoutez-moi. »
L’intrigue du complot suit toujours la même logique. Personne n’est au courant du
complot ? C’est à cause du complot. Mais ce n’est pas parce que le complot n’existe
pas.
Ensuite, les initiés reçoivent les outils pour arriver à « leurs propres
conclusions » qui sont, à tous égards, bien plus fascinantes, intéressantes et
résolvent plus de problèmes que les conclusions traditionnelles. Parce qu’elles sont
erronées et fictives.
4 : La communauté
Le fait de résoudre des énigmes ensemble est un excellent moyen de rejoindre ou de
former une communauté. Les JRA sont connus pour ça. Chacun·e doit se concentrer
sur quelque chose, partage un intérêt commun et a quelque chose à faire. Les
énigmes ne représentent souvent qu’un prétexte pour se réunir. Quand Q lâche des
indices, vous avez quelque chose à faire, et des personnes avec qui le faire. Ça
renforce les liens. C’est la raison pour laquelle les énigmes sont utilisées dans les
exercices de team building en entreprise et les jeux pendant les fêtes.
C’est particulièrement le cas si ces personnes se trouvent là dans l’intention de vous
faire vous sentir d’une certaine manière et de vous faire penser une chose
spécifique. Si ces personnes ont pour but de se lier d’amitié avec vous et de vous
faire vous sentir exceptionnel·le. Travailler ensemble sur quelque chose est une
excellente façon de faire en sorte que cela se produise.
Exemple d’expérience de jeu :
Plusieurs messages Q drops insinuent que les occultistes qui nous dirigent doivent
se signaler à leurs semblables en utilisant le symbolisme. Il s’agirait même d’une
exigence.
C’est une façon de créer une vaste collection d’informations aléatoires qui peuvent
être reliées par la réflexion collective afin de soutenir la théorie principale. C’est
simple, irrésistible et c’est une idée qui a fait ses preuves. Tout le monde « sait » que
des symboles sont associés à la magie, à l’occultisme et aux sociétés fermées.
Comme le compas des francs-maçons et le pentagramme. En fait, QAnon fait partie
des groupes qui adorent utiliser des symboles pour avertir les autres qu’ils en sont
membres, donc cette pratique leur est familière. #wwg1wga
Voici quelques messages « drops » dans la même veine.
Leur besoin de symbole sera leur perte.
Suivez la Chouette et le Y dans le monde entier.
Identifiez-les et faites des listes.
Ils ne le cachent pas.
Ils n’ont pas peur de vous.
Pour eux, vous n’êtes que des moutons.
Vous êtes des réservoirs.
Le Parrain III.
Q
Voici un autre exemple.
Repérez le symbolisme (Chouette/Y)
Quels sont les artistes/célébrités qui ont soutenu Hillary Clinton pendant
l’élection ?
Qui a joué pendant ses rassemblements ?
Quels bijoux et/ou tatouages portaient-ils ?
À quels autres événements ont-ils participé ensemble ?
Que représente Hillary Clinton pour eux ?
Quelles sont les célébrités qui ont des symboles de chouette/Y ?
Quelles sont les personnalités politiques qui ont des symboles de
chouette/Y ?
Quelles personnes puissantes ont-elles des symboles de chouette/Y ?
Quels groupes puissants ont-ils des symboles de chouette/Y ?
Pourquoi sont-ils portés/montrés ouvertement ?
Leur besoin de symbole sera leur perte.
Chaque miette de pain représente un sujet d’écriture créative. Une théorie du
complot relie des éléments disparates entre eux.
Elle donne aux joueurs une tâche réalisable sur laquelle ils peuvent collaborer.
Est-ce réel ? Les célébrités d’Hollywood et les politicien·ne·s envoient-ils vraiment
des messages en utilisant des chouettes et des yacks ? Les « enquêteurs » se rendent
sur Google pour le découvrir. Voilà ce qu’ils ramènent de leurs recherches.
(Selon des théories du complot passées, Beyoncé serait à la tête des Illuminatis. Voir plus bas.)
Les membres de QAnon
ont été creuser et ont
trouvé des centaines
d’images. Peut-être que
vous ne l’aviez pas
remarqué avant, mais
maintenant vous ne pouvez
PAS vous empêcher de le
remarquer.
Ce n’est pas non plus le
premier ou le dernier des
mèmes sur le symbolisme.
Certains mèmes sont de
QAnon, d’autres sont
antérieurs. Ils ne sont
certainement pas difficiles
à trouver une fois que vous
commencez à « faire vos
recherches ».Guy de Rothschild et la baronne Marie-Hélène de Rothschild
Voici le « symbole 666 ».
Ici nous avons le symbole « un œil » ou « œil de la providence » des Illuminatis,
comme celui sur la pyramide.
Maintenant, comme dans les JRA traditionnels, les participants ont l’occasion de
voir le monde un peu différemment. Ils peuvent aller sur les forums, regarder les
vidéos, poser des questions. Ils peuvent soumettre le résultat de leurs propres
« recherches » et recevoir des félicitations, des commentaires d’encouragement et
se faire des amis. Ils ne doivent pas forcément croire à tout, mais maintenant,
quand ils regardent un nouveau clip musical, peut-être vont-ils se mettre à
remarquer toutes les choses bizarres qui s’y trouvent ? Se pourraient-ils qu’elles ne
soient pas de simples détails sans importance, mais qu’elles aient une vraie
signification ?
De la fiction à la réalité
À ce stade, les mécanismes du jeu ont commencé à titiller les participant·e·s.
Les participant·e·s s’amusent à regarder ce qui les entoure et à « résoudre » des
devinettes, motivé·e·s par les doses de dopamine et l’impression de faire partie d’un
secret que personne ne connaît. Ces personnes font aussi désormais partie d’une
communauté active, amicale, et en pleine croissance. Tout ce qu’ils et elles voient ou
entendent contribue à créer de nouveaux doutes par rapport aux gens et aux choses
qui suscitaient déjà leur méfiance. Chaque nouvelle théorie est facile à comprendre,
irrésistible et développée grâce à leur propre capacité de raisonnement.
Dorénavant, si ces personnes mettent certaines idées en doute, ça veut dire qu’elles
doivent douter de leur aptitude à voir la vérité, de leur communauté, voire du
monde autour d’elles. Ce jeu crée rapidement une vision alternative du monde, très
gratifiante d’un point de vue psychologique, et qui semble être considérée de toute
part comme étant la vérité. Des célébrités, des sénateurs et même le Président
encouragent cette vision du monde.
Les sous-entendus des messages de Q sont unilatéraux, conçus pour créer le doute
et non pour avancer des preuves. Une fois qu’on a créé le doute, il est
incroyablement difficile de le dissiper.
C’est très difficile de prouver que quelque chose n’existe pas. Par exemple, vous ne
pouvez pas prouver que les extraterrestres n’existent pas. D’un point de vue
scientifique, les extraterrestres pourraient exister, donc vous n’arriverez jamais à
prouver qu’ils n’existent pas. De même, vous ne pouvez pas prouver que
quelqu’un ne fait pas partie d’une secte. Peu importe ce qu’ils disent. Les doutes ne
peuvent pas être dissipés facilement. Par contre, il est facile de les alimenter.
Il suffit d’images sinistres de célébrités qui font le signe des cornes ou habillées de
robes sanglantes.
Imaginez les participants parcourir des
centaines d’images de personnes dont elles
se méfient, en train de se
comporter exactement comme si elles
faisaient partie d’une secte.
Les stars du rock sont constamment en
train d’essayer de choquer les gens. Elles
font le signe des cornes tout le temps.
Leurs vidéos sont remplies de crânes de
bœufs, de tatouages bizarres et des
références délibérées à l’occultisme.
« Je ne sais pas si j’y crois, mais C’EST
bizarre, non ? C’est vrai qu’on dirait
qu’ils font partie d’une secte. Moi, je ne
porte pas de tête de chèvre ! Qui
s’amuserait à faire ça ? Se pourrait-il que
certaines de ces personnes fortunées soient en fait des monstres ? J’ai entendu
tellement de choses sur les Rothschild… »
Lady Gaga
Ensuite, cette idée est multipliée sur des milliers de sites, dans des vidéos sur
YouTube, des publicités, des commentaires, par des influenceurs sur Instagram, des
tweets, etc. Cette idée est partout, et partout où vous vous rendez (dans votre bulle), on
vous dit qu’elle est vraie. Même quand vous sortez de votre bulle, on vous dit que c’est
vrai (parce que ainsi que la publicité fonctionne).
Il se peut que les gens déterrent tous les articles qui disent que Beyoncé est à la tête
des Illuminatis avec Jay-Z qui fait le signe des Illuminatis. Et après, vous apprenez
que Jay-Z EST réellement intéressé par les Illuminatis et qu’il fait leur signe depuis
six ans.
Je veux dire, ça ne peut pas être vrai, n’est-ce pas ?
Ensuite, il y a la triste réalité. Il y a des agresseurs à Hollywood. Il y a aussi des juifs
riches et bizarres à Hollywood. Harvey Weinstein. Epstein. Pourquoi pas les
Rothschild ? Pouvez-vous vous sortir de la tête cette image d’un vieux mec riche et
louche et de sa femme déguisés avec une tête de diable ?
Beyoncé en train de faire le signe des Illuminatis
À chaque jour qui passe, le doute grandit.
Jusqu’à ce que ne ce soit plus un doute.
Jusqu’à ce que vous soyez « presque certain·e ».
Bien sûr, les créateurs de Q savent que ces images existent et il sait qu’elles sont
hors de leur contexte (il s’agissait d’un bal costumé surréaliste). C’est pareil pour
l’imagerie occulte en abondance dans les clips musicaux modernes. Q vous mène
vers des informations sans liens entre elles, qui correspondent à leur récit. Qui
collent avec leur histoire.
Qu’en est-il de ces images ?
Est-ce que QAnon
enquête sur les liens de
Trump avec Epstein ?
Avec Satan ?
Peut-être, mais il faudra
attendre le prochain Q drop
pour avoir des explications.
Samuel Corum dans The New York Times
« Pourquoi les docteurs se trouvent-ils toujours près des malades ? Pourquoi la
police est-elle toujours dans les parages des criminels ? Quel est le type de police la
plus efficace ? Quelle est la meilleure façon d’attraper un criminel ? À quoi servent
les espions ? Est-ce que toutes les forces de l’ordre révèlent leur identité aux
criminels ? Quel est le bénéfice pour les médias traditionnels de donner cette
image de Trump ? »
Tout ce qui tourne autour de Q semble intéressant, et même si Q se trompe sur
certains sujets, c’est plus proche de ce que ressentent vraiment les gens.
Le marketing et les relations publiques travaillent d’arrache-pied. Il y a des
influenceurs qui postent tous les jours. Ce sont des gens qu’ils apprécient, comme
Q. Q s’en assure. Cette communication n’a pas lieu dans les recoins obscurs
d’Internet, mais sur Facebook, TikTok, Instagram et YouTube. Il ne faut pas
forcément que les gens croient à tout, il faut juste les faire douter un petit peu.
Il faut qu’ils se lancent à la poursuite du lapin blanc, et tapisser le terrier d’épines
toutes couchées dans le même sens, pour qu’ils ne puissent pas faire demi-tour.
Si ces personnes font l’objet de moqueries ou d’insultes, elles se rabattent
simplement vers des forums familiers, où elles sont rassurées et encouragées. Elles
se retranchent de plus en plus dans leurs croyances.
Tout est QAnon
Maintenant que ces personnes ont été endoctrinées dans la mouvance
QAnon, elles peuvent continuer à jouer seules, sans avoir besoin de
beaucoup d’encouragement. Le jeu est partout.
Il suffit qu’une des personnes qui tire les ficelles lance une théorie du
complot sur Internet pour que Q s’en empare quelques semaines plus tard.
Les terriers du lapin blanc ont des entrées partout.
Cet article (en anglais) montre avec des cartes de hashtag la façon dont Q s’est
complètement emparé de la théorie du complot sur Wayfair. Tout ce qui existe fait
maintenant partie du jeu. Chaque coïncidence étrange est une énigme à résoudre. Il
existe maintenant une communauté pour multiplier et renforcer chaque signal, tout
en attirant de nouveaux membres.
QAnon cherche à s’insérer partout ! C’est un lieu de rassemblement. Un café du
commerce pour les théories du complot. C’est aussi une excellente façon
d’endoctriner les gens, ou de leur faire avaler la « pilule rouge ».
QAnon permet de démultiplier l’impact de n’importe quel événement. Une armée
avide « d’énigmes » à résoudre, avec une orientation claire et largement accro à la
communauté du complotisme. Anti-Covid, antivax, 5G et qui sait quoi d’autre
encore ?
Pour l’instant, QAnon est en train d’accaparer le hashtag #savethechildren. Les gens
veulent bien sûr s’impliquer pour sauver des enfants, et se demandent peut-être, de
façon innocente, pourquoi certains des slogans disent #thestormiscoming ou
#wwg1wag.
Il devient de plus en plus difficile de distinguer Q de ceux qui s’inquiètent de la
fraude des votes par correspondance ou qui se méfient de Bill Gates. La mouvance
se raccroche à n’importe quoi.
Endoctrinement
À l’évidence, l’endoctrinement ne fait pas partie des mécanismes de jeu.
Il faut distinguer le fait de « devenir viral » du fait de recruter et de former
activement. Le but d’une publicité est d’être tellement divertissante, utile ou
motivante que les gens transmettent l’information à leurs amis. L’objectif d’un jeu
est d’être si attrayant que les gens ont envie d’y jouer, et veulent y jouer avec leurs
amis.
C’est ce qui se passe, dans une certaine mesure, car Q a des qualités virales. Mais il
se passe aussi autre chose, quelque chose d’extrêmement troublant. Q enseigne aux
adeptes de QAnon comment faire du prosélytisme.
Q donne des instructions qui, à la fois, pointent vers les théories de QAnon tout
en cachant aux autres qu’il s’agit de QAnon jusqu’à ce que ces personnes aient été
endoctrinées. C’est la réplication des terriers du lapin blanc et des miettes de pain
du Petit Poucet.
Sur les forums où se développe QAnon, il y a des listes de mèmes et des
instructions sur comment et où les partager, ainsi que des invitations à en créer et à
en récolter. Il existe des listes de ressources techniques pour apprendre comment
suivre des individus à travers leur présence sur les réseaux sociaux, pirater des
informations pour révéler la localisation des personnes qui publient, et utiliser une
large gamme d’outils afin de recueillir des « informations ».
Q donne également des instructions spécifiques sur la façon de faire avaler une
« pilule rouge » aux amis et à la famille. Comme faire en sorte que les gens leur
posent des questions. Comment répartir les terriers de lapin, faire en sorte que les
gens leur posent des questions, lancer des pistes de miettes de pain et comment
diffuser les idées de Q sans faire de lien direct avec Q.
Ça ressemble fort à des pratiques sectaires. C’est un indice très clair de pratiques
dangereuses.
Beaucoup d’excellents articles se penchent sur ce phénomène, notamment sur la
façon dont Q se répand :
Sur Instagram
Dans les communautés chrétiennes
Dans les petites villes
QAnon n’a pas pris son essor spontanément
« C’est probablement juste un gars qui a partagé quelques trucs sur 4Chan et ça a
décollé, tout simplement ! » ou « Ce truc est sorti de nulle part ! C’est devenu
viral ! » On a tendance à penser que QAnon se développe de manière virale et
spontanée parce que c’est ce que QAnon veut qu’on pense. Ça fait partie de sa
propre histoire et de sa propagande.
Comme je produis des JRA, je sais à quel point il est difficile de produire ces jeux,
de les entretenir et de garder l’intérêt des joueurs. Je le répète : le fonctionnement
de QAnon va à l’opposé de celui d’un JRA normal.
En général, quand un JRA indépendant ou une histoire interactive deviennent
viraux de façon inopinée, ça marque le début des ennuis pour ses créateurs. Ils ont
moins d’argent, qu’ils doivent dépenser pour plus de gens, davantage d’interactions
et leur histoire est consommée de plus en plus vite. Ils n’ont plus de temps,
d’argent, ni de personnel. Finalement, ils finissent par mettre fin à l’aventure.
Même les JRA commerciaux, qui sont financés par la publicité, sont épuisants à
gérer. C’est un sprint dès le coup de départ et, quelle que soit sa durée, on a
l’impression de courir un marathon. (Bon, ça vaut pour moi, je suis sûr qu’il existe
de meilleurs producteurs)
Ce truc va dans le sens inverse. Plus il y a de personnes qui le rejoignent, plus il y a
d’argent dedans. Il y a de plus en plus d’efforts, de relations publiques et de plus en
plus de contenus.
Plus on essaie de l’arrêter (Google, FB, Reddit, Instagram, fournisseurs de services,
TikTok, etc.), plus ceux qui tirent les ficelles de Q augmentent les enjeux et
reçoivent les soutiens de plus en plus importants de personnalités politiques de
premier plan du monde entier.
Il y a de l’argent derrière tout ça. Cet essor ne vient pas de la base. On ne parle pas
de sommes énormes, mais il s’agit d’un véritable système. Facebook dit avoir
supprimé
« 790 groupes, 100 pages et 1500 publicités liés à QAnon. Le groupe a
également bloqué plus de 300 hashtags sur Facebook et sur Instagram
et a restreint 1950 groupes et 440 pages sur Facebook et plus de
10 000 comptes sur Instagram. »
- The Verge
La semaine où Facebook a mené ces actions, le Président Trump a exprimé son
soutien au mouvement devant les caméras d’une conférence de presse. Il l’a qualifié
de mouvement populaire en plein essor et a dit qu’il les appréciait. Quand on lui a
demandé s’il croyait à la thèse de base, à savoir qu’il « travaillait en secret à sauver
le monde d’une secte satanique de pédophiles et de cannibales », il a répondu
« Est-ce que c’est censé être une mauvaise chose ? Si je peux aider à sauver le
monde de certains problèmes, je suis prêt à le faire, je suis prêt à m’impliquer. Et
c’est ce que nous faisons, en fait. Nous sommes en train de sauver le monde d’une
philosophie de gauche radicale qui va détruire ce pays. »
Il ne s’agit pas ici d’une personne solitaire sur Internet, qui s’est mise à partager
quelques messages et est tout à coup devenue virale. J’ai rencontré de telles
personnes. J’ai travaillé sur ces projets. Les choses ne se passent pas ainsi.
C’est une campagne médiatique. C’est une campagne de propagande coordonnée.
800 groupes ? Un JRA qui reçoit le soutien du Président ? Un JRA avec des
manifestations dans le monde réel, organisées dans de nombreux pays et plus de
200 endroits physiques. Il n’y a rien de « spontané » là-dedans.
Il existe même un long-métrage, financé directement et distribué GRATUITEMENT
pour faire passer le message. Des centaines de publications sont en vente sur
Amazon. Tout cela représente un travail considérable. Les jeux ne fonctionnent pas
comme ça. Rien ne fonctionne comme ça, sauf des campagnes médiatiques, de
publicité ou de propagande.
QAnon a besoin de saturer les médias de cette façon PARCE QUE ce n’est pas un
mouvement spontané. Il faut que les gens en soient entourés de toutes parts. Il faut
que la mouvance ait l’air populaire, même quand ce n’est absolument pas le cas. Il
faut qu’on ait l’impression que tout le monde en parle. Il faut que les gens voient
Qanon sur YouTube, TikTok, dans les journaux, dans les infos, et qu’ils entendent
leurs ami·e·s en parler. Tout est fait pour que le phénomène soit perçu comme
« réel ».
Ceci n’est pas un jeu (TINAG)
TINAG est l’acronyme de This Is Not A Game (ceci n’est pas un jeu), souvent
associé à la méthode de gestion de jeux comme les JRA. Ces jeux ont une dimension
théâtrale qui peut distraire si elle est perturbée. C’est similaire à la façon dont un
acteur réagit quand il lui manque un accessoire : il essayera de faire avec, parce
qu’interrompre la pièce et sortir cherche une nouvelle fausse épée gâcherait
l’immersion des spectateurs. Vous êtes censé·e vous trouver dans le monde de la
pièce, et non dans le monde réel. On pourrait facilement dire la même chose de la
plupart des fictions.
Mais toutes les personnes qui jouent à ces jeux, tout comme les personnes qui
regardent un film ou utilisent la réalité virtuelle savent que ce n’est pas réel même
quand elles sont complètement immergées dedans.
C’est ça qui est amusant. Oui, des jeux comme les JRA (the Beast), créé pour
promouvoir le film A.I., et ilovebees cherchaient à sembler« réels » mais il s’agissait
aussi de jeux qui se déroulaient dans le futur et ne pouvaient pas être pris pour la
réalité. Savoir ce qui « fait partie du jeu » est une priorité importante pour les
concepteurs de jeu comme pour les joueurs, peu importe le réalisme du jeu. Au
minimum, si les gens ne savent pas si un indice fait partie du jeu ou non, le résultat
ne doit pas pouvoir causer de dommages.
Les gens appelleraient la vraie police s’ils pensaient se trouver en présence d’un vrai
crime, donc il faut que vos joueurs sachent qu’ils jouent un jeu, sinon ça causerait
des problèmes.
Bien sûr, je le répète, ceci est l’opposé de l’objectif déclaré de QAnon.
« Ceci n’est pas un jeu » est pris au pied de la lettre.
Qanon cherche à révéler la véritable histoire. C’est la raison pour laquelle des
gens appellent réellement la police, des membres de la Chambre des représentants
ou des lignes d’assistance téléphonique contre la traite des êtres humains. On vit
une grande euphorie quand on résout une énigme difficile dans un jeu. Avec Q, c’est
encore davantage le cas, car C’EST RÉEL. On écrit des articles sur vous dans tous
les magazines. On parle de vous aux infos. Les participants n’ont pas résolu un jeu,
ils ont élucidé la réalité ! Mais comment en arrive-t-on à la conviction que les
fausses connexions établies par les adeptes de Q sont RÉELLES ?
Ce n’est pas si étrange que ça. En fait, ce qui fait la différence entre l’apophénie et la
science, c’est que cette dernière s’appuie sur la méthode scientifique et sur
les preuves. Les gens font des connexions avant d’être certains qu’il s’agit d’une
réalité factuelle. Peut-être à cause de l’apophénie, peut-être pas. C’est une
hypothèse. ENSUITE IL FAUT LA TESTER. Les faits déterminent le résultat et
ensuite vous l’acceptez, que ça vous plaise ou non. Il arrive que même des
scientifiques ne souhaitent pas abandonner une bonne théorie qui ne se vérifie tout
simplement pas. La sensation d’avoir raison est plus forte que tout. C’est la raison
d’être de la revue par les pairs. Il faut que des confrères et consœurs soient en
mesure de reproduire les résultats. Les solutions doivent être testées, les faits
doivent être exploités.
Avec Q, en fait de preuves, tout ce qu’on obtient, c’est encore plus d'apophénie !
Une nouvelle flèche sur la terre battue, un cycle qui revient inlassablement à la
propagande centrale. Il faut que cela se passe ainsi parce que ce n’est pas la vérité.
La réponse, c’est ce qui convient le mieux, ce qui a le plus de sens et ce qui soutient
l’histoire. Chaque vérité ne fait qu’alimenter la propagande et renforcer les
conclusions de l’apophénie et du récit central.
On a l’impression que c’est vraiment ce qui se passe. C’est particulièrement
convaincant quand une fausse « communauté », sélectionnée avec soin, vous
acclame, vous donne des accolades et vous dit que vous êtes héroïque à chaque fois
que vous faites un saut radical dans le vide. Quand vous commencez à perdre la foi, ou
à vous désintéresser de la cause, il vous suffit de zapper sur Fox News pour que des
sénateurs, des personnalités publiques, et même le Président des USA vous
encouragent nommément à continuer vos efforts pour produire un récit crédible et
intrigant à partir des informations aléatoires tout autour de vous. Tout comme le récit
l’avait prédit.
En fait, la notion de « réalité alternative » est parfaitement appropriée dans cette
situation.
Qanon est une tentative de créer une nouvelle réalité. Une réalité à partir de
laquelle on pourrait agir, dans laquelle on pourrait faire semblant de vivre, et qu’on
pourrait manipuler. Mais cette réalité ne correspond pas à la réalité factuelle. S’ils
arrivent à créer cette réalité, ceux qui en tirent les ficelles peuvent faire tout ce qu’ils
veulent et choisir un élément fictionnel de l’intrigue à blâmer pour les conséquences
de leurs actions. Il s’agit d’une ramification d’une attaque sur plusieurs fronts
impliquant le mouvement boogaloo, les adeptes de QAnon, les anti-masques, les
fake news, Alex Jones, etc. Des programmes disparates, tous avec le même message
et le même objectif. Nous faire douter de la réalité. Créer le brouillard de la guerre,
sans la guerre. Créer une réalité collectivement partagée qu’ils peuvent contrôler
directement.
Est-ce difficile de vivre dans un monde imaginaire ?
En fait, c’est plutôt facile. Amour, civilisation, honneur, bien/mal, religion, argent,
etc. Qu’est-ce qui relève de la réalité ? Qu’est-ce qui relève d’une fiction que nous
avons créée, sur laquelle nous nous sommes mis d’accord pour vivre comme si elle
existait vraiment ? Peut-être croyez-vous que votre religion n’est pas une fiction,
mais qu’en est-il des religions des autres ? Sont-elles toutes pareillement réelles ?
Le fait d’être capables de partager et de croire en nos fictions, d’agir comme si elles
étaient réelles pourrait même être l’un de nos avantages évolutifs.
Une fois que vous acceptez que les dogmes de QAnon sont réels, ou presque tous
réels, la mouvance peut tout aussi bien devenir une religion qu’une secte, un
mouvement politique ou autre. Mais ce n’est absolument pas un jeu !
Ça vous semble tiré par les cheveux ?
Je ne sais pas dans quelle mesure le ressenti actuel des adeptes de Q est différent
de celui des membres d’une religion. On remarque déjà la présence d’éléments
légèrement religieux.
« Je suis QAnon/catholique/juif·ve et j’apprécie la communauté et les activités,
mais je ne suis pas sûr·e de vraiment croire à TOUT littéralement. Mais je suis
d’accord avec les idées de base. »
Soyons honnêtes, il se pourrait que je sois moi-même en train de faire l’expérience
de l’apophénie.
Terminons avec les mots de Q lui-même sur la manière d’endoctriner de nouveaux
membres.
Combien de personnes ignorent-elles la « vérité » à cause de la mainmise
des puissants ?
Comment fait-on pour que les gens prennent conscience de l’existence d’une
réalité alternative ?
Quelles miettes ont-elles été semées (pensez à Hollywood/Washington DC)
Définissez « introduction » (pensez aux jeux)
Que s’est-il passé récemment ?
Il faut planter le décor.
Les miettes sont faciles à avaler.
[…]
Q