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QUALITÉ, EFFICIENCE ET EFFICACITÉ DE L'ADMINISTRATION NUMÉRIQUE À L'ÈRE DES RÉSEAUX : L'EXEMPLE QUÉBÉCOIS Christian BOUDREAU E.N.A. | Revue française d'administration publique 2009/3 - n° 131 pages 527 à 539 ISSN 0152-7401 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2009-3-page-527.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- BOUDREAU Christian, « Qualité, efficience et efficacité de l'administration numérique à l'ère des réseaux : l'exemple québécois », Revue française d'administration publique, 2009/3 n° 131, p. 527-539. DOI : 10.3917/rfap.131.0527 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour E.N.A.. © E.N.A.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.19.233.81 - 06/12/2013 12h15. © E.N.A. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.19.233.81 - 06/12/2013 12h15. © E.N.A.

Qualité, efficience et efficacité de l'administration numérique à l'ère des réseaux : l'exemple québécois

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QUALITÉ, EFFICIENCE ET EFFICACITÉ DE L'ADMINISTRATIONNUMÉRIQUE À L'ÈRE DES RÉSEAUX : L'EXEMPLE QUÉBÉCOIS Christian BOUDREAU E.N.A. | Revue française d'administration publique 2009/3 - n° 131pages 527 à 539

ISSN 0152-7401

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------BOUDREAU Christian, « Qualité, efficience et efficacité de l'administration numérique à l'ère des réseaux : l'exemple

québécois »,

Revue française d'administration publique, 2009/3 n° 131, p. 527-539. DOI : 10.3917/rfap.131.0527

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QUALITÉ, EFFICIENCE ET EFFICACITÉDE L’ADMINISTRATION NUMÉRIQUE À L’ÈRE

DES RÉSEAUX : L’EXEMPLE QUÉBÉCOIS

Christian BOUDREAU 1

Docteur en management, professeur à l’École nationale d’administration publique,Université du Québec

RésuméPeu d’études examinent la contribution conjuguée des technologies de l’information et descommunications et des nouveaux modes d’organisation à l’amélioration du fonctionnement del’État. S’appuyant sur cinq programmes ou services publics mis en ligne par l’État québécois,l’auteur montre que l’utilisation conjointe des technologies de l’information et d’un moded’organisation en réseau permet aux organisations publiques d’améliorer à la fois l’efficience deleur fonctionnement interne, la qualité des services qu’elles offrent et l’efficacité de leurspolitiques et programmes. L’auteur conclut que, même à l’ère des réseaux et de la gestionhorizontale, les organisations publiques reproduisent certains traits bureaucratiques qui, parailleurs, ne les empêchent pas d’être performantes.

Abstract– The quality, efficiency and effectiveness of e-government in the network era : the example ofQuebec – There are few studies on how a combination of ICTs and new forms of organisation canbe used to improve the performance of the State. This article, which looks at five e-governmentprogrammes and services in the Province of Quebec, shows that the joint of use of ICTs andnetworked governance enables the State to improve its day-to-day operations, the quality of itsservices and the effectiveness of its policies and programmes. Despite the proliferation ofnetworks and flat management structures, public organisations still have a number of bureau-cratic features, but these do not stop them from performing effectively.

Les nouvelles technologies de l’information (NTI) sont devenues un moteur essentielde développement économique et social. Elles seraient, selon plusieurs économistes, laprincipale cause de l’augmentation de la productivité, particulièrement depuis le milieu des

1. Université du Québec, École nationale d’administration publique, 555 boulevard Charest Est, Québec(Québec) Canada G1K 9E5, [email protected]

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années 1990 2. Les organisations publiques ont profité, elles aussi, des gains d’efficience etde productivité que procure l’utilisation des nouvelles technologies de l’information 3. Avecl’automatisation des traitements et le recours à des services en ligne, il est devenu possiblepour les organisations publiques de traiter rapidement un grand nombre de demandes sanspour autant augmenter leurs effectifs, donc de « faire plus avec moins » 4. Dans un contextede vieillissement de la population et de resserrement budgétaire, il n’est pas surprenant queplusieurs gouvernements à travers le monde préconisent la migration des clientèles vers lesmodes de prestation moins dispendieux, comme le Web, ainsi que vers la mise en placed’infrastructures communes 5. Les gains d’efficience et de productivité sont d’ailleursparmi les éléments de justification les plus souvent évoqués pour promouvoir legouvernement électronique 6.

La qualité des services est aussi mise de l’avant pour justifier les projets degouvernement numérique. Avec les nouvelles technologies de l’information, il devientpossible non seulement de « faire plus avec moins », mais aussi de « faire mieux » 7. Eneffet, grâce à l’internet, le citoyen n’a plus à se déplacer physiquement pour obtenir uneinformation ou un service. De plus, les mécanismes de gestion de la relation clientèlepermettent d’organiser les informations et les services selon les besoins et profils descitoyens. Enfin, les nouvelles technologies de l’information rendent possible l’intégrationdes services (ex : portails nationaux et guichets uniques) et des modes de prestation(ex : internet, téléphone, comptoir et poste) afin de mieux servir les clientèles.

Cependant, les nouvelles technologies de l’information, aussi puissantes soient-elles,ne peuvent, à elles seules, optimiser les opérations dans les organisations et améliorer laqualité et l’efficacité de ce qu’elles produisent 8. Pour profiter pleinement des avantagesstratégiques des nouvelles technologies de l’information, l’État, comme l’entreprise privée,doit revoir en profondeur ses pratiques organisationnelles plutôt que d’automatiser lesprocessus existants 9. Si plusieurs auteurs soulignent l’importance de l’alignement entre les

2. Pour une recension récente de travaux d’économistes traitant de cette question, voir Atkinson (Robert)et McKay (Andrew), Digital Prosperity. Understanding the Economic Benefits of the Information TechnologyRevolution, The Information Technology & Innovation Foundation, Washington (DC), 2007.

3. Voir, entre autres, Danziger (John N.) et Andersen (Kim V.), « The Impacts of Information Technologyon Public Administration : an Analysis of Empirical Research from the "Golden Age" of Transformation »,International Journal of Public Administration, 25, 5, 2002, p. 591–627.

4. Kaneda (T.), « Informatization Experience of Japanese City Governments During the 1980s : ThePeriod When the Widespread use of Personal Computers Forced City Governments to Change their InformationProcessing », Informatization and the Public Sector, 3, 2, 1994, p. 149-161 ; Clarke (Roger), « ComputerMatching by Government Agencies : The Failure of Cost-Benefit Analysis as a Control Mechanism »,Information Infrastructure and Policy, 4, 1, 1995, p. 29-65.

5. West (Darrell), Digital Government : Technology and Public Sector Performance, Princeton, NewJersey, Princeton University Press, 2005.

6. Yang (Kaifeng) et Rho (Seung-Yong.), « E-Government for Better Performance : Promises, Realities,and Challenges », International Journal of Public administration, 30, 2007, p. 1197–1217.

7. Dans la dernière étude d’étalonnage des Nations-Unies (2008), on insiste sur le fait que la qualité desservices (faire mieux) est intimement liée à la performance des organisations publiques (faire plus avec mois) :Nations-Unies, United Nations e-Government Survey 2008. From E-Government to Connected Governance,Department of Economic and Social Affairs, Division for Public Administration and Development Manage-ment, 2008. Voir aussi : Kakabadse (Andrew), Kakabadse (Nada K.) et Kouzim (Alexander), « Reinventing theDemocratic Governance Project through Information Technology ? A Growing Agenda for Debate », PublicAdministration Review, 63, 1, 2003, p. 44-60.

8. Fountains (Jane E.), Building the Virtual State. Information Technology and Institutional Change,Washington D.C., Brookings Institution Press, 2001.

9. Dedrick (Jason), Gurbaxani (Vijay) et Kraemer (Kenneth L.), « Information Technology andEconomic Performance : A Critical Review of the Empirical Evidence », ACM Computing Surveys, 35, 1, 2003,p. 1-28.

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solutions technologiques et les pratiques organisationnelles (ou processus d’affaires), peud’études explicitent l’apport des nouvelles technologies de l’information et des nouveauxmodes d’organisation à l’amélioration du fonctionnement de l’État 10. Cet article vise àcombler cette lacune. Plus précisément, nous tentons de montrer en quoi l’utilisation desnouvelles technologies de l’information et l’adoption d’un mode d’organisation en réseaupar les organisations publiques peuvent améliorer l’efficience des processus d’arrière-boutique (back offıce), la qualité des services offerts (front offıce) et l’efficacité dans lagestion des politiques et des programmes. Nous soutenons aussi que les organisationspubliques, même à l’ère des réseaux et de la gestion horizontale, continuent à reproduirecertains traits bureaucratiques qui, par ailleurs, ne les empêchent pas d’être performantes.

L’ENTREPRISE EN RÉSEAU

La théorie de M. Castells sur la société en réseaux constitue une base intéressante pouraborder la performance des organisations à partir des dimensions technologiques etorganisationnelles 11. Pour Castells, les gains de productivité dans l’économie de marché destrente dernières années sont l’effet conjoint des nouvelles technologies de l’information, enparticulier le déploiement de la micro-informatique et des réseaux informatisés à largebande, et d’un nouveau mode d’organisation qu’il nomme l’entreprise en réseau. Misant surles nouvelles technologies de l’information, l’entreprise en réseau privilégie un système deproduction flexible de haut volume qui combine la production de masse et le « sur mesure »,les économies d’échelle et la personnalisation de l’offre. Selon M. Castells, l’entreprise enréseau se distingue de l’organisation bureaucratique par la souplesse de ses processus deproduction (flexibilité du procédé) ainsi que par sa capacité à s’adapter aux demandesfluctuantes du marché (flexibilité du produit). Elle serait devenue la forme organisationnellela mieux adaptée pour répondre à une diversification croissante de la demande dans unmarché de plus en plus imprévisible, contribuant ainsi à la désintégration du modèlebureaucratique fondé sur l’intégration verticale et la gestion hiérarchique et fonctionnelle.

Bien que l’entreprise en réseau soit apparue avant le déploiement des réseauxinformatisés, son développement est de plus en plus lié aux nouvelles technologies del’information, notamment depuis l’avènement d’internet. Les nouvelles technologies del’information offrent la base matérielle nécessaire à l’essor de l’entreprise en réseau enpermettant une coopération simultanée et interactive entre les organisations et leurs unitésopérationnelles. Elles constituent aussi les fondements matériels de la nouvelle économiedite informationnelle fondée sur un savoir qui est généré, traité et appliqué par ces mêmestechnologies. De plus en plus incorporées dans l’exécution du travail, les nouvellestechnologies de l’information constituent non seulement des instruments de productionefficace, mais aussi une source de connaissances qui permet d’innover et d’apporterrapidement des améliorations dans les processus de travail et dans l’offre des produits ouservices.

Si les nouvelles technologies de l’information accroissent la capacité des organisa-tions à innover et à s’adapter, l’entreprise en réseau l’opérationnalise grâce à la

10. Yang (Kaifeng) et Rho (Seung-Yong), « E-Government for Better Performance : Promises, Realities,and Challenges », op. cit.

11. Les propos théoriques rapportés ici sont puisés principalement dans le tome I de la fameuse trilogiede Manuel Castells sur l’ère de l’information, intitulé La société en réseaux (1998), dans lequel il montrenotamment les avantages liés aux nouvelles technologies de l’information et aux modes d’organisation enréseau.

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participation des travailleurs et autres utilisateurs à l’amélioration des processus deproduction. Dans l’entreprise en réseau, l’amélioration de la productivité ne passe pas tantpar la spécialisation des tâches que par le partage de l’information et des connaissancesainsi que par une plus grande autonomie des unités de production. M. Castells voit dansl’automation du travail des dernières décennies une forme d’autonomisation qui se traduitpar un accroissement de l’apport du cerveau humain au processus de travail. Quant auxtâches routinières et répétitives, susceptibles d’être codées en séries programmables, ellesauraient tendance à disparaître au profit d’une automation complète, faisant ainsi de lachaîne de montage tayloriste une relique du passé. En revanche, « les emplois de bureaunon supprimés sont qualifiés, sous l’effet d’une intégration des tâches dans des postespolyvalents et multifonctionnels capables d’une souplesse et d’une adaptation plus grandesaux besoins changeants d’un secteur toujours plus diversifié » 12.

En somme, la performance des organisations dépend de la souplesse des réseaux et dela capacité des unités de travail à innover et s’ajuster en fonction d’une demande de plusen plus diversifiée et imprévisible. Bien que M. Castells cherche à décrire la nouvelleréalité économique des entreprises privées, nous croyons que plusieurs traits organisa-tionnels de l’entreprise en réseau se reflètent dans le fonctionnement de l’État. C’est ce quenous verrons maintenant.

MÉTHODOLOGIE

Afin d’étayer de façon empirique l’influence des nouvelles technologies de l’infor-mation et des modes d’organisation en réseaux sur le fonctionnement opérationnel etstratégique de l’État, nous avons examiné l’informatisation et la mise en ligne de cinqprogrammes ou services publics déployés dans la province de Québec (Canada), à savoir :l’impôt sur le revenu des particuliers administrés, le régime québécois d’assuranceparentale, le système de gestion de la destination touristique BonjourQuébec.com, leregistre foncier en ligne et le régime d’assurance médicaments. Pour réaliser l’étude de cescas, nous nous sommes appuyés tout d’abord sur l’analyse de documents internes qui nousont été fournis ainsi que sur la consultation de documents publics présents sur les sites enligne des organisations responsables des programmes et services à l’étude. Nous avonsensuite mené une trentaine d’entretiens semi-dirigés auprès de gestionnaires et deprofessionnels impliqués dans le développement ou la mise en opération de ces pro-grammes ou services en ligne afin d’approfondir certains éléments de l’analyse documen-taire. Ces personnes ont été rencontrées entre le mois de décembre 2006 et le mois de mai2007. L’analyse des documents et des entretiens a permis de rédiger cinq études de cas. Lecontenu de chacune de ces études a été validé par les personnes rencontrées en entretien.Ces cinq cas ont ensuite été analysés de façon plus particulière en mettant en exergue lacontribution des nouvelles technologies de l’information et des nouveaux modes d’orga-nisation à l’efficience des processus d’arrière-boutique (back offıce), à la qualité desservices offerts et à l’efficacité dans la gestion des politiques et des programmes.

12. Castells (Mannel), La société en réseaux, Paris, Fayard, 1998.

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EFFICIENCE DES PROCESSUS D’ARRIÈRE-BOUTIQUE

Économie de saisie et diminution des erreurs

Concernant les activités de collecte, le fait que les clientèles utilisent de plus en plusde façon autonome les services en ligne permet aux organisations publiques de diminuer lescoûts de transaction. Dans le cas du programme d’impôt des particuliers de RevenuQuébec, le coût par transaction est passé de 1,61 dollars canadiens pour les déclarationsremplies de façon manuelle sans l’aide de logiciel à 0,05 dollars canadiens avec le serviceen ligne « ImpôtNet » et à 0,54 dollars canadiens avec le système de codes à barres 13. Unedes conséquences de l’informatisation des technologies de collecte est la diminution deseffectifs assignés aux tâches de saisie manuelle. Une autre conséquence est la diminutiondes erreurs de saisie par les employés et des rejets par le système. Lorsque combinés à dessystèmes de validation de données, les formulaires en ligne peuvent aussi contribuer à ladiminution des erreurs. Le programme d’impôt sur le revenu des particuliers ainsi que lerégime d’assurance parentale font appel à de tels systèmes de validation en ligne pouraméliorer la qualité de l’information recueillie auprès des clientèles.

Augmentation des volumes de transactions

Dans la mesure où les données saisies sont informatisées, il devient possible pourl’État de les traiter de façon automatisée. Un des principaux gains de l’automatisation destraitements est la capacité d’absorber d’importantes augmentations dans les volumes detransactions. Ce gain a été particulièrement profitable pour la Régie de l’assurance maladiedu Québec qui, grâce à son système informatisé de communications et de transactions avecles pharmacies, a su répondre à la croissance constante du nombre de demandes depaiement à traiter dans le cadre du régime d’assurance médicaments, passant de 50 millionsen 1997 à 122 millions en 2007, sans pour autant augmenter ses effectifs. Ce système aaussi permis de répondre à d’importantes pointes de transactions durant la journée sanssurcharger le travail du personnel : « 40 % à 50 % des transactions se font entre 10 h 30 et11 h 30 du matin [...] On ne serait pas capable de suivre ces fluctuations avec deshumains ». L’utilisation d’un site internet peut, quant à elle, contribuer à augmenterl’achalandage tout en diminuant le recours aux modes de prestation traditionnels. Depuisla création du site touristique officiel du gouvernement du Québec, BonjourQuébec.com, lenombre de visites sur se site est passé de 1 million en 2000 à plus de 12 millions en 2006,alors que le nombre de préposés aux renseignements est demeuré stable.

Simplification de la mise à jour des dossiers et des accès

Avec l’informatisation des dossiers et leur mise en réseau, les employés n’ont plus àse déplacer pour consulter des documents, ni à manipuler ceux-ci physiquement. L’im-pression, la photocopie, le tri, le rangement, la distribution ou l’expédition par la poste

13. Le système de codes à barres s’adresse aux contribuables qui utilisent des logiciels d’impôt certifiéset qui préfèrent envoyer leur déclaration de revenus par la poste plutôt que par Internet. Ces logiciels génèrentdes codes à barre qui contiennent l’ensemble des renseignements saisis par les préparateurs d’impôt ou lesparticuliers. Les codes à barres sont ensuite numérisés par Revenu Québec.

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deviennent de plus en plus des vestiges du passé. Les techniques de récupération et de miseà jour des données deviennent du coup beaucoup plus performantes. Cette évolution sereflète dans le travail des préposés aux renseignements de Tourisme Québec qui peuventconsulter plus de 14 000 fiches touristiques informatisées et repérer rapidement l’informa-tion qu’ils cherchent à partir d’un moteur de recherche. Auparavant, ces mêmes préposésdevaient tourner les pages de leurs classeurs à l’aide d’une grille et d’un index. « Souvent,ils y allaient de mémoire ». Ils devaient également changer régulièrement des pages de leurclasseur. Aujourd’hui, une telle opération se fait automatiquement. L’informatisation et lamise en réseau des dossiers permettent aussi d’assurer un suivi continu auprès desclientèles, indépendamment des modes de communication (ex : internet, téléphone, poste etcomptoir) que celles-ci utilisent. Ainsi, grâce à cette intégration des canaux, les employésqui gèrent les demandes relatives au régime d’assurance parentale ont accès à un dossierde l’assuré qui est toujours à jour, même si celui-ci utilise plus d’un mode decommunication.

Des activités à valeur ajoutée

La migration des clientèles vers les solutions en ligne et l’automatisation destraitements libèrent le personnel de première ligne de tâches administratives souventrépétitives tout en les conviant à réaliser des tâches plus polyvalentes. Cette polyvalence estnotamment présente parmi les 120 agents du régime d’assurance parentale qui sont toushabilités à effectuer différentes tâches : accueil téléphonique, assistance sur le Web ettraitement de dossiers. Elle est aussi présente chez les employés de Tourisme Québec quivont jusqu’à « clavarder » ou discuter en ligne avec les clientèles. Les employés depremière ligne peuvent aussi se voir confier des fonctions autres que des activités derenseignement et d’accompagnement. Par exemple, l’informatisation des fiches touristiqueset la migration des clientèles vers le site BonjourQuébec.com ont permis à TourismeQuébec d’alléger le travail des préposés aux renseignements et d’amener ceux-ci à offrir laréservation par téléphone de chambres d’hôtel et de forfaits touristiques tout en faisant lapromotion des attraits touristiques du Québec.

Délocalisation du travail

Comparativement au dossier papier, l’informatisation des dossiers et leur mise enréseau assure une plus grande souplesse dans l’organisation du travail. Comme l’a signaléun des gestionnaires du régime d’assurance parentale, « notre centre d’appels à Rouynaurait pu être n’importe où au Québec ». Avec les dossiers informatisés intégrés,l’information sur les clientèles peut désormais être accessible en tout temps à partir d’unemultitude d’endroits. « Un employé situé à Québec peut faire des activités dans le dossierd’un assuré [...] alors que le prochain utilisateur peut être un agent de Rouyn ». Cettedélocalisation du travail peut aussi répondre à des préoccupations de nature politique. C’estce qui s’est produit lors de l’implantation du Registre foncier. À la suite de pressionsexercées par certains politiciens préoccupés par la situation des emplois en région, legouvernement du Québec a décidé de maintenir les opérations d’inscription au Registreailleurs qu’à Montréal et à Québec, comme il avait été initialement prévu. Chacune des huitrégions administratives du Québec est aujourd’hui pourvue d’un centre d’opérations où ytravaillent des employés chargés de valider les inscriptions au Registre. Ainsi, l’expertisedans le traitement des actes notariés demeure dans les régions.

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Optimisation des charges de travail

En plus de contribuer à la délocalisation des tâches, l’informatisation des dossiers etdes réseaux permettent d’ajuster la charge de travail d’employés situés dans différents lieuxen fonction de leur disponibilité. Il devient dès lors possible de faire disparaître les« périodes creuses » de travail tout en portant secours aux employés débordés. Le systèmeinformatique du Registre foncier traduit bien cette flexibilité dans la distribution de lacharge de travail en dirigeant les demandes d’inscription au Registre selon les volumes detravail des centres d’opérations. « Quand les gestionnaires d’un centre d’opérations voientque ça commence à déborder à leur bureau, il y a un appel qui est fait aux autresgestionnaires du Québec [...] On utilise les disponibilités de l’un pour soutenir lesdifficultés de l’autre ». Le lieu de traitement des inscriptions au Registre n’a plusd’importance. L’affectation de la charge de travail peut aussi se faire de façon automatiquegrâce à des systèmes informatisés de flux de travaux (workflow). C’est le cas du régimequébécois d’assurance parentale où « la machine répartit le travail en fonction del’achalandage et des disponibilités [...] Il n’y a jamais de temps mort ». Une telleoptimisation dans l’utilisation des ressources est difficile à atteindre dans un mode deprestation de service de type comptoir où il est nécessaire d’assurer une présence humaine,y compris lorsqu’il n’y a aucun client.

Gestion transparente de la performance

Si les réseaux et les dossiers informatisés sont respectivement l’ossature et la chair dutravail flexible, les systèmes d’information de gestion en sont l’intelligence. Grâce auxinformations de gestion, l’historique des transactions devient plus accessible et lesconduites des employés et des clientèles plus transparentes. Un des effets de cettetransparence consiste à mieux cibler les ajustements à apporter dans l’organisation dutravail. Dans le cas du Registre foncier, le système d’information de gestion en placefavorise une évaluation continue de la performance en fournissant des données précises surles volumes d’affaires. Il est désormais possible de savoir « qui consomme quoi, à quelmoment, quelles sont les difficultés particulières dans le traitement des processusd’affaires ». Ainsi, les gestionnaires peuvent anticiper les périodes de pointe à partir del’historique des transactions et organiser les ressources en conséquence. Une autre façon degérer de façon efficiente les périodes de pointe consiste à diriger le traitement des dossiersen fonction de la performance respective des employés. Le système d’information degestion du Registre foncier permet à « chaque directeur de centre d’opérations de connaîtreles temps de production de ses employés par nature d’actes [...] Quand tu es en période depointe, tu renvoies les gens dans leur créneau de force pour débourrer le système ».

QUALITÉ DE L’OFFRE DE SERVICES

Accès rapide et étendu

L’un des principaux avantages des services en ligne sur les services offerts aucomptoir est d’éviter aux clientèles d’avoir à se déplacer. Les notaires et autresprofessionnels du droit foncier du Québec en savent quelque chose : avant la mise en lignedu Registre foncier, ils pouvaient se déplacer vers les bureaux de publicité des droits

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fonciers jusqu’à trois fois pour une même transaction immobilière ; depuis la mise en lignede ce Registre, ils n’ont plus à le faire pour examiner des titres ou des plans de cadastre etpour inscrire de nouveaux contrats dans le Registre. « Publier en Gaspésie aujourd’hui,c’est aussi simple que de le faire pour un immeuble à côté de son bureau ». De plus, leRegistre est accessible en dehors des heures d’ouverture des bureaux. Certains services enligne, comme le régime québécois d’assurance parentale, vont jusqu’à offrir aux usagers lapossibilité de connaître l’état d’avancement d’une demande en traitement et de visualiserle contenu de leur dossier. Le Web permet aussi d’offrir un éventail étendu d’informationset de services au même endroit. Pour les personnes intéressées à visiter le Québec,BonjourQuébec.com constitue le guichet le plus complet sur l’offre touristique de cetteprovince. On peut y réaliser le cycle complet d’une démarche touristique, de la recherched’informations à la réservation d’une chambre ou à l’achat d’un forfait. C’est le principedu guichet unique.

Personnalisation de masse

Une autre façon de faciliter l’accès à l’information par les clientèles consiste à leurprésenter de l’information pertinente en fonction de leur statut ou de leur préférence. À cetégard, le particulier ou l’entreprise qui utilise un des formulaires numériques disponiblessur le site de Revenu Québec ne voit que les sections des formulaires qui se rapportent àson statut. Une fois l’utilisateur authentifié, les formulaires peuvent être pré-remplis.L’information sur le Web peut aussi s’adapter aux caractéristiques linguistiques etgéographiques des internautes. C’est ce que propose Tourisme Québec en créant desmicrosites par marché géographique. « À la page d’ouverture de Bonjour Québec.com,l’internaute est invité à identifier son pays d’origine. Cela le conduit à une page d’accueiloù il a accès à des promotions spécifiques à son pays ».

Réduction de la durée des traitements

En dépit de l’accroissement des volumes de transactions, la durée moyenne destraitements tend à diminuer avec l’utilisation des nouvelles technologies de l’information.Diminuer la durée de traitement d’une demande permet d’accélérer l’inscription d’uncitoyen à un programme d’aide et l’obtention d’un premier versement. Dans le cas duRégime québécois d’assurance parentale, on s’engage à traiter une demande et à rendre unedécision en moins de sept jours ouvrables. Les nouvelles technologies de l’informationpeuvent aussi contribuer à diminuer les délais d’attente d’un remboursement par l’État.C’est le cas du remboursement d’impôt des particuliers où le délai moyen de rembourse-ment est deux fois plus court par la voie numérique que par la poste. Le remboursement parl’État peut même se faire en direct et, ainsi, alléger la charge financière des citoyens. Celaapparaît particulièrement approprié pour les personnes à faible revenu qui bénéficient durégime d’assurance médicaments. Sans le système de communication interactive entre laRégie de l’assurance maladie et les pharmacies du Québec, les assurés auraient été obligésd’assumer la totalité des coûts des médicaments parfois dispendieux, le temps que lerégime en rembourse une partie ou la totalité. Avec ce système, les assurés n’ont qu’à payerleur cote part, le reste étant payé par la Régie d’assurance maladie. Ainsi, on évite que desassurés se privent de médicaments essentiels en raison d’une incapacité de payer aumoment de l’achat.

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Allègement administratif

Dans un mode de prestation traditionnel, les démarches des citoyens pour se procurerles documents officiels requis lors de l’inscription à un programme s’avèrent souventlongues et ardues. Les échanges informatiques entre les organisations peuvent alléger cesdémarches administratives. Par exemple, les échanges et appariements de fichiers entre leministère de l’emploi et de la sécurité sociale et le directeur de l’état civil évitent auxdemandeurs d’assurance parentale de se procurer le certificat de naissance de leur enfant etde l’envoyer lors de la demande. Les systèmes informatiques peuvent aussi prendre encharge les nombreuses règles qui régissent le fonctionnement de certains programmes etfaire en sorte que la complexité administrative ne repose plus sur les épaules desfonctionnaires et encore moins sur celles des usagers. Seul le résultat des calculs et desvérifications nécessaires à la décision administrative leur est transmis. Il en est ainsi dusystème de communication interactive mis en place par la Régie de l’assurance maladie quiprend en charge les nombreux calculs relatifs au paiement des pharmaciens et à lacontribution financière des assurés dans le cadre du régime d’assurance médicaments. Lepharmacien peut alors « se concentrer sur son rôle de pharmacien et s’occuper des conseilspharmaceutiques ».

EFFICACITÉ DE LA GESTION DES POLITIQUESET DES PROGRAMMES

Gestion en temps réel de programmes publics complexes

Qu’il s’agisse de fiscalité, d’assurance santé ou d’assurance parentale, les programmespublics se sont complexifiés depuis leur création, notamment par le nombre accru de règleset par une modulation de celles-ci au regard des caractéristiques des usagers. « Équité rimeavec complexité. Si vous voulez un régime qui tienne compte de la richesse des gens, c’estnécessairement complexe ». On s’imagine difficilement comment des organisations quioffrent des services publics à une large clientèle pourraient le faire aujourd’hui, sans l’aided’infrastructures technologiques performantes, à moins d’y ajouter d’importantes res-sources humaines. L’informatisation des systèmes et leur mise en réseau se sont imposéesdans le cas du régime d’assurance médicaments où le législateur a exigé dès le départ unegestion en temps réel du programme. Grâce au système de communication interactive, laRégie de l’assurance maladie peut, au moment même où l’assuré achète ses médicamentsà la pharmacie, autoriser les réclamations des pharmaciens en les confrontant à des fichiersde validation et à des règles de facturation, transmettre l’information sur le montant qu’ellepaiera au pharmacien ainsi que sur la contribution financière immédiate de l’assuré, sur lemontant cumulé de ses contributions pour la période en cours et sur ce qu’il lui reste à payeravant d’atteindre le plafond. Tout se fait en quelques secondes.

Interdépendance des programmes publics et des systèmes

En plus de se complexifier, la gestion des programmes publics tend à être de plus enplus interdépendante. Des organisations, comme Revenu Québec et la Régie d’assurancemaladie du Québec, échangent de l’information avec plusieurs autres organisations afin deles soutenir dans l’administration de leurs programmes. Par exemple, le programme

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d’impôt des particuliers, en particulier le revenu des particuliers, est à la base del’admissibilité de plusieurs programmes publics ainsi que des calculs pour fixer lesmontants à octroyer ou à exiger à des administrés. L’informatisation et la mise en réseaudes données favorisent aussi des relations d’affaires avec de nouveaux partenaires. C’estainsi que des organismes publics et des entreprises privées se sont intéressés aux donnéesinformatisées du Registre foncier en y voyant une valeur ajoutée à leur système. « Si autourde toi, les organisations s’informatisent, ta donnée devient plus intéressante [...] Avecl’informatisation des données du Registre, on élargit nos partenaires et nos clients ».

Amendements des programmes et adaptabilité des systèmes

Dans le cadre de plusieurs programmes publics, les règles sont souvent appelées àchanger sur une base régulière, ajoutant un autre élément de complexité dans la gestion desprogrammes. C’est le cas du programme d’impôt sur le revenu des particuliers dont leministère des finances du Québec modifie chaque année les paramètres lors du « discourssur le budget » ainsi qu’en cours d’année à la suite d’annonces dans ses bulletinsd’information. Les modifications fiscales requièrent une mise à jour rapide des systèmesd’information que seules les nouvelles technologies de l’information permettent de faire.La flexibilité des systèmes informatiques s’avère aussi essentielle pour le régimed’assurance médicaments qui voient plusieurs de ses paramètres changer régulièrement,comme les ententes de rémunération avec les professionnels de la santé et la liste desmédicaments assurés et leur prix de vente. Les changements peuvent être d’autant plusnombreux qu’ils sont la conséquence d’amendements apportés dans d’autres programmes.Par exemple, dans un contexte où la politique fiscale du Québec est harmonisée avec celledu Canada, des changements à la politique canadienne oblige Revenu Québec à apporterdes amendements dans ses programmes et, par conséquent, dans ses systèmes.

Contrôle administratif

La capacité d’adaptation des systèmes informatisés permet à l’État de resserrer lescontrôles à l’égard de clientèles qui chercheraient à contourner certaines règles. La Régiede l’assurance maladie a su d’ailleurs en tirer profit pour contrer deux stratégies decontournement privilégiées par des assurés afin de diminuer leurs contributions financièresau régime d’assurance médicaments, soit le renouvellement hâtif 14 et la prescription devoyage 15. Des ajustements ont été apportés au régime puis intégrés au système informa-tique afin de faire cesser de telles pratiques. Le croisement des banques de données oucouplage des fichiers contribue aussi à resserrer les contrôles administratifs. En ce quiconcerne le régime d’assurance parentale, « la comparaison de fichiers [...] vient conforterqu’on a un bon dossier, un vrai client, une vraie naissance, que les déclarations faites sontles bonnes [...] S’il y a des écarts entre la déclaration et nos banques, un agent va alors enprendre charge ». Quant à la Régie de l’assurance maladie, elle exerce un contrôle sur lesprofessionnels qui la facturent en détectant les profils de conduite déviants desditsprofessionnels à partir de leurs demandes de paiement informatisées. Elle peut aussi,

14. Les assurés qui effectuaient plusieurs renouvellements dans le même mois et aucun le mois suivantéconomisaient un mois sur deux de franchise et de coassurance.

15. Les assurés qui réclamaient de leur médecin des ordonnances pour une durée de traitementéquivalente à leur séjour à l’extérieur du Québec contribuaient financièrement le premier mois, mais ilsn’avaient plus à défrayer le coût de la franchise et de la coassurance les mois suivants.

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toujours à partir des demandes de paiement, surveiller les profils de consommation desassurés et, dans le cas d’une consommation anormale, lui assigner un pharmacien chez quiil devra dorénavant se procurer ses médicaments assurés.

Évaluation des impacts des programmes

L’analyse des données de transactions informatisées ne servent pas uniquement à desfins de contrôle administratif. Elles peuvent aussi servir à évaluer l’impact des programmessur les clientèles. Grâce aux nombreuses données administratives et cliniques qu’elledétient sur l’utilisation des ressources en santé, la Régie de l’assurance maladie dispose dela capacité d’évaluer les impacts de ses programmes et d’exercer une gestion stratégique enrevoyant certains paramètres au regard des impacts. Par exemple, le régime d’assurancemédicaments, depuis son instauration le 1er janvier 1997, a fait l’objet de nombreux travauxde suivi et d’évaluation afin de « déceler les effets non souhaités, pouvant porter préjudiceaux personnes, et à effectuer des ajustements au régime au fur et à mesure de sa mise enapplication » 16. Pour réaliser la dimension plus stratégique de son mandat, la Régie del’assurance maladie a fait l’acquisition d’une « infrastructure technologique permettant degérer la première base de données relationnelles au gouvernement du Québec » 17. Par cetteacquisition, la Régie peut, comme le suggère la loi, conseiller le ou la ministre de la santéet des services sociaux sur l’évolution des programmes et sur des mesures à prendre pourles améliorer.

DISCUSSION

L’utilisation des nouvelles technologies de l’information par des organisationspubliques du Québec montre que l’État peut prendre les traits d’une entreprise en réseautelle que définie par M. Castells. En effet, la poursuite de l’efficience, de la qualité et del’efficacité par l’État se fonde de plus en plus sur un savoir qui est généré, traité et mise enapplication par les nouvelles technologies de l’information. Celles-ci constituent nonseulement des instruments de production, mais aussi une source de connaissances qui,grâce à leurs capacités de collecte, de traitement et de communication de l’information,permettent aux organisations publiques de repérer des éléments de fonctionnement àaméliorer. Comme nous venons de le voir, les nouvelles technologies de l’informationrendent davantage transparents les processus de travail (exemple : performance desemployés au regard des tâches à réaliser), l’offre de services (besoins et préférences desclientèles et fluctuation des demandes dans le temps et dans l’espace) et la mise en œuvredes politiques et des programmes (détection des fraudes et impacts des politiques et desprogrammes sur les clientèles). Ainsi, elles s’avèrent être des outils de suivi et d’évaluationqui viennent appuyer la planification d’activités opérationnelles et stratégiques de l’État.

En plus de constituer un outil de transparence et de réflexivité organisationnelle, lesnouvelles technologies de l’information offrent aux organisations publiques la souplessepermettant d’apporter rapidement les modifications nécessaires dans leurs processus detravail (orienter les charges de travail vers les unités de production disponibles ou vers les

16. Ministère de la santé et des services sociaux, Évaluation du régime général d’assurancemédicaments, 1999, p. 3.

17. RAMQ, Rapport annuel 1996-1997, p. 4-5.

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employés les plus compétents), dans leur offre de service (ajuster ou personnaliser l’offredes services en fonction des préférences des clientèles ou de leur statut) et dans la gestionde leurs politiques et de leurs programmes (intégrer les modifications législatives ouréglementaires dans les systèmes d’information qui assurent la gestion des programmes ouresserrer les contrôles administratifs envers les clientèles). Cette souplesse organisa-tionnelle, autre trait de l’entreprise en réseau, apparaît stratégique dans un contexted’interdépendances administratives où les modifications réglementaires peuvent êtrenombreuses. Les nouvelles technologies de l’information offrent aussi aux organisationspubliques la capacité de s’adapter à des volumes de transactions qui fluctuent dans le tempsainsi qu’à une diversification croissante de la demande. Enfin, la souplesse organisa-tionnelle que procurent les nouvelles technologies de l’information peut se traduire par unecapacité à délocaliser de façon efficiente le travail et à répondre à des préoccupationspolitiques, telles que la création ou le maintien des emplois en région, ou à despréoccupations professionnelles et familiales, comme la possibilité de travailler à partir deson domicile ou d’un autre bureau.

Le modèle de l’entreprise en réseau se reflète également dans le rehaussement et lapolyvalence des tâches accomplies par les employés de première ligne. L’ajout des modesde prestation informatique amène ces employés à acquérir diverses compétences quidébordent la simple communication de renseignements généraux. La consultation et lasaisie de l’information par les clientèles et l’automatisation des traitements, en libérant lesemployés de tâches souvent routinières, permettent d’orienter leur travail vers des tâches àvaleur ajoutée. Quant aux tâches peu qualifiées, elles ont tendance à disparaître sous l’effetde leur automation complète ou partielle. C’est ce qui est arrivé aux tâches d’entrée dedonnées qui se sont vues graduellement remplacer par les formulaires informatiques etautres outils de saisies intelligents mis à la disposition des clientèles.

Cependant, le concept de l’entreprise en réseau demande à être nuancé dans uncontexte d’administration publique. Si l’entreprise en réseau participe à la désintégration dumodèle bureaucratique dans le secteur privé, il semble en être autrement dans le secteurpublic. À l’instar de J.E. Fountains 18, nous croyons que l’organisation bureaucratiquedemeure à bien des égards une forme administrative toujours bien ancrée au sein de l’État.Les organisations publiques examinées dans la présente étude continuent à fonctionnercomme des hiérarchies autonomes, même si elles échangent de plus en plus de donnéesavec divers partenaires et que leurs unités de production se montrent de plus en plus soupleset interdépendantes. L’entreprise en réseau tend ici à se superposer aux bureaucraties plutôtqu’à les faire disparaître. Le gouvernement numérique accentue même certains traitsbureaucratiques dont la standardisation et formalisation des processus de travail. Quant auxlois et aux règles formelles sur lesquelles se fondent l’autorité bureaucratique, elles sonttoujours au cœur de l’administration des programmes publics. Elles peuvent se complexi-fier en raison d’une modulation plus fine des paramètres des programmes et des servicesselon le statut et le revenu des usagers. S’il y a allègement réglementaire, il n’estqu’apparent. Étant prise en charge par les nouvelles technologies de l’information, lacomplexité des programmes n’est plus nécessairement un poids pour les employés et lesclientèles qui, le plus souvent, ne voient que le résultat des calculs et des vérifications d’uneprocédure administrative de plus en plus automatisée.

Malgré une complexité administrative croissante et en dépit de l’absence des forces dumarché, les organisations publiques n’en sont pas moins soumises à des pressions

18. Fountains (Jane E.), Building the Virtual State. Information Technology and Institutional Change,op. cit.

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économique (dette publique), politique (privatisation et impartition des services et desinfrastructures) et démographique (vieillissement de la population) qui les incitent à êtretoujours plus performantes. Les nouvelles technologies de l’information jouent une fois deplus un rôle stratégique en permettant à l’État de répondre aux exigences bureaucratiqueset aux impératifs politiques inhérents à l’administration publique tout en tirant profit decertains avantages de l’entreprise en réseau. Grâce aux nouvelles technologies del’information et au recours à des modes de gestion plus horizontaux, l’organisationpublique peut être performante dans un univers hautement réglementé et politisé.

Avec le déploiement des services en ligne, les organisations publiques sont appeléesà travailler en réseau et à collaborer avec une diversité d’organisations au sein d’infras-tructures et de services de plus en plus intégrés. La mise en commun des ressources et desexpertises est d’ailleurs devenue le leitmotiv du gouvernement numérique. Comme nousl’avons vu, les nouvelles technologies de l’information offrent la base matérielle pour unecoopération simultanée entre les organisations publiques et leurs unités opérationnelles.Cependant, elles ne peuvent seules instaurer les conditions nécessaires à une tellecollaboration. Le plus souvent, une révision des conditions institutionnelles (commel’imputabilité des dirigeants, la reconnaissance et la rémunération des gestionnaires, lefinancement des organismes publics, la protection des renseignements personnels) s’imposesi l’on veut faciliter le fonctionnement en réseau au sein de l’État. Un fonctionnement enréseau suppose aussi un changement de culture, notamment dans les styles de gestion quepréconisent les dirigeants d’organisation publique. Ceux-ci doivent être prêts à desserrer lecontrôle qu’ils exercent sur les ressources stratégiques de leur organisation en vue d’unemise en commun ou d’un transfert d’une partie de ces ressources vers d’autres organisa-tions. La collaboration volontaire ne peut être décrétée par une autorité quelconque. Ellerepose sur la confiance qui, elle, s’acquiert avec le temps et s’installe graduellement au furet à mesure que les organisations publiques et leurs membres apprennent à travaillerensemble, d’abord à l’intérieur de leurs propres frontières, puis avec d’autres organisations.

Jusqu’à la fin des années 1990, les principales collaborations entre les organisationspubliques se sont surtout limitées à l’échange d’information et au couplage de fichiers. Lesenjeux du gouvernement numérique portaient alors sur l’automation des tâches etl’interopérabilité entre les données et les systèmes. Avec l’avènement des portailsgouvernementaux, des guichets uniques et des centres de services partagés, les technologiesoccupent toujours une place prépondérante. Cependant, les principaux défis du gouverne-ment numérique ne sont plus d’ordre technologique, mais d’ordre organisationnel. Alorsque la majorité des pouvoirs centraux voient dans ces nouvelles formes d’organisation enréseau des gains évidents au plan de l’efficience des processus d’affaires, de la qualité desservices et de l’harmonisation des politiques et des programmes, les dirigeants d’organi-sation publique les perçoivent souvent comme une menace à leur autonomie de gestion.Pour concilier ces deux groupes d’acteurs, il est devenu impératif d’aller au-delà d’unevision gouvernementale essentiellement optimiste et d’analyser de façon rigoureuse nonseulement les gains réels des nouvelles formes d’organisation en réseau, mais aussi lesrésistances qu’elles suscitent. Une fois ces résistances comprises, il deviendra plus aisé deles gérer de manière à susciter une collaboration volontaire de l’ensemble des partenairesgouvernementaux à l’amélioration du fonctionnement d’un État de plus en plus en réseau.

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