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Gymnase Auguste Piccard ; Alessia Merulla ; 3M4 ; maîtresse responsable Marie-Eve Tschumi ; 26.10.2015 Quand les contes de fées rencontrent le féminisme

Quand les contes de fées rencontrent le féminisme · viennent à l’esprit de la plupart d’entre nous lorsqu’on parle des contes de fées. Mais c’est avant tout un genre

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Gymnase Auguste Piccard ; Alessia Merulla ; 3M4 ; maîtresse responsable Marie-Eve Tschumi ; 26.10.2015

Quand les contes de féesrencontrent le féminisme

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RÉSUMÉ

Ce travail a pour but de lier féminisme et contes de fées. Il est construit en deux par-ties, une analytique, l’autre créative. La première est basée sur plusieurs versions de La belle au bois dormant, qu’elles soient littéraires ou cinématographiques. La liste des personnages féminins a été dressée et quatre d’entre eux ont été retenus pour l’analyse : la Belle, la belle-mère ogresse, les fées et Maléfique. Ils sont, tour à tour, analysés dans la perspective de démontrer quels sont leur rôle, leur place et leur condition à travers du texte et donc, des époques. Ainsi l’on découvre comment ces femmes, notamment la Belle, passent de passives à actives.

La deuxième partie est un texte créatif, toujours basé sur La Belle au bois dormant, intitulé Roses de la Justice, que j’ai écrit. Il relate l’histoire d’un tueur en série qui ne s’attaque qu’à des hommes d’une vingtaine d’années, qui ont, d’une manière ou d’une autre, agressé une femme. Le conte de La Belle au bois dormant se mêle donc à cette enquête policière qui est, bien-sûr, menée par une femme et où la pensée féministe et la culture du viol sont mises en avant à travers le personnage du criminel.

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION 4

PRÉSENTATION DU SUJET 4

ANALYSE 7

PERSONNAGES FÉMININS 7

PRÉSENTATION DES PERSONNAGES FÉMININS ANALYSÉS 7

La Belle 7

La belle-mère ogresse 8

Les fées 8

Maléfique 8

PLACE, RÔLE, CONDITION DES PERSONNAGES FÉMININS 8

La Belle 8

La « femme-objet » du XVIIe siècle 9

Grimm et la culture du viol 11

La Belle devient active 12

Un second plan important 14

La Belle-mère ogresse 15

Les fées 16

Maléfique 17

SYNTHÈSE : IMAGE VÉHICULÉE 19

TEXTE CRÉATIF : ROSES DE LA JUSTICE 20

CONCLUSION 28

BIBLIOGRAPHIE 30

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INTRODUCTION

PRÉSENTATION DU SUJET

Trop souvent, le conte de fées est associé aux enfants. En effet, les dessins animés viennent à l’esprit de la plupart d’entre nous lorsqu’on parle des contes de fées. Mais c’est avant tout un genre littéraire, qui n’est pas toujours destiné aux plus petits.

Un conte est un récit de faits imaginaires qui est, en général, court.1 Dans le conte de fées, on ajoutera les éléments surnaturels.2

Les contes de fées possèdent des codes, qui ne sont bien-sûr pas toujours respectés. On aura tendance à commencer le récit par « Il était une fois » ; il sera donc intem-porel. Les animaux parlants, les fées, les princesses ou la forêt sont des exemples d’éléments récurrents des contes. On retrouvera toujours des épreuves qu’un per-sonnage devra surmonter. Si l’on fait référence au schéma actanciel de Greimas, on dira qu’un héros ou une héroïne poursuit la quête d’un objet, commanditée par un émetteur, pour un destinataire. Ce héros/cette héroïne se retrouve à un moment face à des opposants, des adversaires, mais également face à des adju-vants qui l’aideront dans sa quête.3

1 Dictionnaire Larousse, « Conte », in Larousse, http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/conte/18551?q=conte#18449, consulté le 23.08.2015

2 Dictionnaire Larousse, « Conte de fées », in Larousse, http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/conte/18551/locution?q=conte#169783, consulté le 23.08.2015

3 Wikipédia, « Schéma actanciel », in Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Sch%C3%A9ma_actantiel, consulté le 23.08.2015

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Mais derrière ce côté féérique et héroïque, une lecture plus approfondie peut lais-ser paraître des morales, des allusions sexuelles ou encore du sexisme.

Le but de ce travail est de revoir plusieurs versions du conte de La Belle au Bois Dormant d’un point de vue féministe et d’y étudier la place, le rôle ainsi que la condition des personnages féminins ; mais avant d’entrer dans le vif du sujet, po-sons-nous une question : qu’est-ce que le féminisme ? Beaucoup de gens diront que les féministes veulent que la femme devienne supérieure à l’homme ou qu’ils/elles considèrent que les hommes sont inutiles. C’est ce que les médias peuvent faire comprendre également lorsqu’un scandale se crée autour d’un groupe fémi-niste, par exemple. C’est en tout cas l’image du féminisme que j’avais avant de commencer ce travail. Mais après avoir lu de nombreux articles, ma vision du mou-vement a changé.

Le féminisme, c’est se battre pour que les femmes et les hommes soient égaux, non seulement sur le papier (Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes,4 par exemple), mais dans la réalité ; l’exemple le plus flagrant étant certainement les différences salariales entre les deux sexes. Le féminisme, c’est aussi se battre pour le respect des femmes, notamment en luttant contre la culture du viol. Faire des films où une personne abuse d’une femme ivre, violer une femme et publier des photos sur les réseaux sociaux, faire des caméras cachées où l’on mime, par surprise, des actes sexuels sur des femmes5 sont des éléments qui alimentent la culture du viol. Autrement dit, on rend le viol, ou toute autre agression, normal. C’est ce qui va nous faire dire que la fille qui avait une jupe trop courte avait cherché, voire mérité, l’agression dont elle a été victime. Et cela n’est pas normal.

Mais le féminisme, c’est également se rappeler que ce qui est valable pour une femme l’est aussi pour un homme. Le cas d’un homme qui se fait violer n’est pas moins grave que celui d’une femme ; une femme sobre qui abuse d’un homme ivre est aussi une agression.

Ce travail est construit en deux parties. Dans la première j’ai voulu montrer com-ment un conte qui a bercé l’enfance de millions d’enfants, peut regorger d’élé-ments discriminatoires envers les femmes ; comment il peut contribuer à la culture du viol sans que personne ne s’en rende compte. Nous verrons aussi qu’à travers les époques, le point de vue des auteurs sur les femmes a changé, les faisant passer de passives à actives.

J’ai choisi trois récits et un film datant d’époques bien distinctes, mais traitant toujours de la même histoire, soit, La Belle au bois dormant de Charles Perrault,6

4 Assemblée fédérale de la Confédération suisse, « Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes », in admin.ch, https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19950082/index.html, consulté le 21.10.2015

5 BODOC, Clémence, « Rémi Gaillard et les agressions sexuelles banalisées », in Madmoizelle.com, http://www.madmoizelle.com/remi-gaillard-dog-agression-sexuelle-381919, consulté le 12.10.2015

6 PERRAULT, Charles, La Belle au bois dormant in Contes, Édition critique de Jean-Pierre Collinet, édition Gallimard, 1981, collection Folio Classique

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La Belle au Bois Dormant des frères Grimm,7 La dame de la maison d’amour d’An-gela Carter 8 et Maléfique, réalisé par Robert Stromberg.9 Je commencerai donc par présenter brièvement les personnages féminins retenus pour l’analyse qui sont la Belle, la belle-mère ogresse, les fées et Maléfique ; puis nous verrons quels sont leur place, leur rôle et leur condition dans chacune des histoires où elles appa-raissent. Une conclusion intermédiaire résumant l’image de la femme véhiculée dans ces contes viendra conclure cette première partie.

La seconde est composée d’un texte créatif basé sur La Belle au bois dormant et mettant en avant la pensée féministe et la culture du viol.

7 GRIMM, La Belle La Belle au Bois Dormant (ou la Princesse Fleur-d’Épine) (titre original : Dornröschen) in Les Contes, Tome 1, traduit de l’allemand par Armel Guerne, éditions Flammarion, 1967, collection Gf

8 CARTER, Angela, La dame de la maison d’amour (titre original : The Lady of the House of Love) in La Compagnie des Loups, traduit de l’anglais par Jacqueline Huet, éditions du Seuil, 1985, collection Points roman

9 STROMBERG, Robert, Maléfique (titre original : Maleficent), 2014, USA, 97 minutes

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ANALYSE

PERSONNAGES FÉMININS

Voici un tableau montrant les personnages féminins apparaissant dans les contes et film étudiés :

Perrault Grimm Carter Stromberg

La Belle

La Reine (mère de la Belle)

Les fées (ou sages-femmes)

La méchante fée

La fée qui « sauve la situation »

La mère du prince

L’ogresse (= mère du prince)

La vieille dame qui file

La gouvernante de la Belle

Dans ce travail, j’analyserai les personnages de la Belle, de la belle-mère ogresse, des fées (ou sages-femmes) et de la méchante fée (Maléfique).

PRÉSENTATION DES PERSONNAGES FÉMININS ANALYSÉS

La BelleLa Belle est le personnage au cœur des trois textes étudiés ; dans le film Maléfique, elle passe au second plan. Dans La Belle au Bois Dormant de Perrault et des frères Grimm, ainsi que dans le film Maléfique, c’est une princesse qui sera condamnée à un mauvais sort dès son plus jeune âge. Chez Angela Carter, dans La dame de la maison d’amour, la Belle est un vampire ; elle est donc en quelque sorte également vouée à une malédiction. Dans tous les cas, elle est dotée d’une beauté surnaturelle.

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La belle-mère ogresseLa belle-mère ogresse n’apparaît que dans le conte de Perrault. C’est la mère du prince charmant. Elle est de race ogresse et veut manger la Belle et ses enfants.

Les féesLes fées sont des être surnaturels, dotés de pouvoir magiques. Elles donnent, dans les contes de Perrault et Grimm, ainsi que dans Maléfique, des dons à la Belle lors de son baptême.

MaléfiqueMaléfique est le personnage principal du film éponyme. C’est la fée qui jette le mauvais sort à la Belle, mais aussi celle qui la sauve de la malédiction.

PLACE, RÔLE, CONDITION DES PERSONNAGES FÉMININS

La BelleCommençons cette analyse par le personnage au cœur du conte : la Belle.

Tout d’abord, notons que dans les trois versions écrites étudiées, la Belle n’a pas de nom. Elle sera désignée par le pronom « elle », par son rang royal : « la Princesse » (qui prend une majuscule chez Perrault et non chez Grimm) ou « la jeune Reine », par le nom que « la légende et les gens » lui ont donné : « Fleur d’Épine » ou par des termes plus spécifiques à sa condition : « la belle somnambule », « la belle reine des vampires » (Carter). Cette absence de prénom va permettre au lecteur de s’iden-tifier au personnage et à l’auteur de faire passer son message. Au contraire, dans le film Maléfique, la Belle s’appelle Aurore (comme l’enfant de la Belle de Perrault). Elle est donc un personnage auquel on s’identifie moins, mais, dont on va observer les actes et sur lequel on va porter un jugement plus critique.

Les Belles de Perrault et de Grimm sont essentiellement basées sur la beauté. Elles sont le parfait modèle du « sois belle et tais-toi » qui n’a pas besoin de savoir faire autre chose que des enfants. Cependant, elles diffèrent sur certains points. La Belle d’Angela Carter est l’antithèse des deux premières puisque c’est elle qui va chan-ger son destin. La Belle de Maléfique, Aurore, n’est pas celle qui est la plus mise en avant, mais certains éléments nous montrent néanmoins qu’elle ne vient pas du XVIIe siècle.

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La « femme-objet » du XVIIe siècleCommençons avec la Belle de Perrault. Prenons tout d’abord les dons offerts par les fées :

« La plus jeune lui donna pour don qu’elle serait la plus belle personne du monde, celle d’après qu’elle aurait de l’esprit comme un Ange, la troisième qu’elle aurait une grâce admirable à tout ce qu’elle ferait, la quatrième qu’elle danserait parfaitement bien, la cinquième qu’elle chanterait comme un Rossignol, et la sixième qu’elle jouerait de toutes sortes d’instruments dans la dernière des perfection. »

(Contes, Perrault, p.132)

Ces dons ne lui serviront à rien dans son aventure et ne sont que les valeurs que les femmes de qualité en âge de se marier devaient avoir au XVIIe.10 La place de la femme est donc dans un corps magnifique, dénué de connaissance et elle est « [sensée] savoir entretenir agréablement [son] mari et la société noble sans se mêler de leurs affaires » (idem, p.213). La Belle sera d’ailleurs ignorante quant à sa malédiction. En effet, ses parents, ou plutôt son père, ne jugent pas utile de la mettre au courant de son avenir (idem, p.210). Il n’était pas concevable qu’une femme puisse réfléchir, analyser ; plus simplement dit, utiliser son cerveau. Un autre exemple illustre ceci. Dans la deuxième partie de l’histoire, le prince, après avoir trouvé la Belle et l’avoir réveillée, cache leur relation au monde durant deux ans. N’a-t-elle pourtant pas tout ce que l’on peut lui demander ? Ou est-ce peut-être pour la protéger ? Ce n’est certainement pas pour cette raison car, lorsqu’il part à la guerre, il laisse la régence à sa mère, sachant qu’elle est de race Ogresse11. De plus, il ne juge, lui non plus, pas utile de mettre au courant sa femme, avec qui il a eu deux enfants, de la vraie nature du sa mère (idem, p.215). On ne donne à la Belle aucun moyen de se défendre. Pourtant, on remarque bien qu’ici, jouer l’homme qui fait tout pour protéger la future héritière (en la laissant dans l’ignorance) ne sert à rien. Et future héritière, c’est bien le rôle qu’avaient les filles de rois et, par consé-quent, qu’avait la Belle. On le comprend lorsque la jeune fée « améliore » le sort de la princesse. En effet, elle dit bien que c’est « le fils d’un Roi [qui] viendra la réveil-ler » (Contes, Perrault, p.132). Par conséquent, elle va se marier avec ce prince et deviendra reine, ce qui permettra de maintenir la lignée royale (Des Fata aux fées : regards croisés de l’Antiquité à nos jours, Heidmann, p.212).

10 HEIDMANN, Ute, Tisserandes fatales (Apulée) et fées de Cour (Perrault) : le sort difficile d’une Belle « née pour être couronnée » in Des Fata aux fées : regards croisés de l’Antiquité à nos jours, étude de lettres, édité par HENNARD-DUTHEIL DE LA ROCHÈRE, Martine et DASEN, Véronique, p.212

11 Dans les contes, les Ogres mangent les enfants.

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La Belle est, ici, également un modèle de la « femme-objet. » Tout d’abord, lorsqu’on dresse la liste des mots associés à la Belle, on remarque que les éléments descriptifs sont pratiquement tous basés sur son physique. On lira, par exemple, que c’était une « belle enfant » (Contes, Perrault, p.133), avec des « lèvres comme du corail » (ibidem), qu’elle était « la plus belle du monde » (idem, p.135) ou qu’elle était « tout habillée et fort magnifiquement » (idem, p.136). Deuxièmement, lorsque le prince trouve la Belle, c’est « le plus beau spectacle qu’il eût jamais vu » (idem, p.135) et une fois la princesse réveillée, il est

« charmé de ces paroles, et plus encore de la manière dont elles étaient dites, [et ne sait] comment lui témoigner sa joie et sa reconnaissance ; il [lui assure] qu’il l’[aime] plus que lui-même. »

(idem, p.136)

Il ne la connaît pas, mais elle est si belle qu’il en tombe éperdument amoureux, l’épouse et en a deux enfants. L’équation est simple : elle est magnifique, elle se réveille lorsque le prince arrive et donc, elle lui appartient.

À ce stade, deux lectures peuvent être faites. Premièrement, on peut penser que la Belle est si naïve qu’elle se soumet au destin qu’on lui a écrit, sans même tenter de s’en écarter et d’écrire sa propre histoire. Elle se jette donc dans les bras d’un inconnu qui n’a rien fait pour espérer la mériter et qui, en plus, a une mère de race Ogresse. Mais l’écriture de Perrault est plus subtile. En effet, si l’on se base sur Psy-chanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim,12 le sommeil de la Belle peut être représenté comme une tentative pour les parents d’empêcher l’éveil sexuel de l’enfant (Psychanalyse des contes de fées, Bettelheim, p.346). Mais cet éveil arrivera bel et bien un jour et, dans le cas de la Belle, elle se jette sur le premier venu comme pour rattraper le temps perdu.

Pour conclure avec la Belle française, prenons la dernière phrase du conte : « Le Roi ne laissa pas d’en être fâché : elle était sa mère ; mais il s’en consola bientôt avec sa belle femme et ses enfants. » (Contes, Perrault, p.140). Sa mère avait beau être une Ogresse, elle reste sa mère et il l’aimait ; sa perte le touche, ce qui est normal. Mais il n’a que faire de cette tristesse étant donné qu’il a une femme qui est là pour le consoler ; la princesse est donc considérée comme un objet jusqu’à la fin, elle n’est là que pour satisfaire les besoins de son mari.

12 BETTELHEIM, Bruno, « La Belle au Bois Dormant » in Psychanalyse des contes de fée (titre original : The uses of enchantement), traduit de l’américain par Théo Carlier, éditions Robert Laffont, 1976, Paris, collection Pocket

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Grimm et la culture du violVoyons maintenant ce qu’il en est de la Belle des frères Grimm. Les dons des fées allemandes ne sont pas plus utiles que ceux des françaises :

« […] les fées revêtirent l’enfant de leurs dons merveilleux : de l’une la vertu ; de l’autre, la beauté ; de la troisième, la richesse ; et ainsi de suite pour tout ce qu’on peut souhaiter et avoir au monde. »

(Contes I, Grimm, p.284)

D’ailleurs, on prend la peine de n’en citer que trois alors qu’il y a douze fées.

Fleur d’Épine est, elle aussi, essentiellement décrite en fonction de sa beauté : elle est « tellement jolie » (ibidem), c’est « une princesse d’une beauté merveilleuse » (idem, p.286), « la belle princesse Fleur d’Épine » (ibidem),… On dit toutefois que les gens se sentaient obligés de l’aimer parce qu’elle était devenue belle, vertueuse, gracieuse et intelligente ; tellement intelligente qu’elle est tombée dans un sommeil de cent ans et s’est mariée avec le premier venu. Ici encore, la Belle est un objet de beauté qui est pratiquement considéré comme stupide : il semble toujours inutile de la prévenir du mauvais sort. De plus, alors que chez Perrault, la fée endort tout le château, sauf le roi et la reine, afin que la princesse ait du monde à son service à son réveil, chez Grimm, les premiers à s’endormir sont bel et bien ses parents. On ne la juge donc pas capable de vivre sans papa-maman. Ou seraient-ce les parents qui ne pourront vivre sans leur objet de beauté qui maintiendra leur famille ?

Parlons de sa rencontre avec le fameux prince. Comme dans la version de 1697, ce dernier n’a rien à faire pour atteindre la princesse, c’est comme si tout lui était dû :

« Quand le prince avança vers la haute roncière, il ne trouva plus rien devant lui que de belles et grandes fleurs épanouies, qui s’écartaient d’elles-mêmes pour lui ouvrir le passage et qui se resserraient derrière lui en refermant leur masse épaisse. »

(idem, p.287).

Lui aussi, la trouve « si merveilleusement belle qu’il ne pouvait pas en détourner les yeux » (ibidem). Mais ce qui le différencie du prince français, c’est qu’il se permet, parce qu’elle est endormie, sans défense et parce qu’elle est belle, de l’embrasser. Embrasser une personne (femme ou homme) sans son consentement, et qui plus est, une personne endormie (donc, qui ne peut pas donner son consentement) est une agression. Ce type de scène, dans les livres ou les films, par exemple, contribue

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à alimenter ce que l’on appelle la culture du viol13. On banalise cet acte au point que la majorité le trouvera normal. Intégrer ceci dans un conte adressé aux enfants est terrible. En effet, leur éducation se fera là-dessus comme ils apprendront à re-connaître le danger de ne pas traverser la route sur un passage à piétons. Ce sera pour eux une évidence.

Même si quinze ans se sont écoulés entre les deux versions, la Belle fait toujours office d’objet ; on ne la connaît que pour sa beauté, on l’embrasse alors qu’elle dort, on l’épouse parce qu’on l’a réveillée.

La Belle devient activeCent soixante-sept ans séparent La Belle au Bois Dormant des frères Grimm et La dame de la maison d’amour d’Angela Carter. Et il s’en est passé des choses pendant cent soixante-sept ans : les pantalons ont rejoint la garde robe des femmes, leurs jupes se sont raccourcies, elles ont obtenu le droit de vote,… Tous ces événements ont fait qu’en 1979, nous sommes face à une Belle totalement métamorphosée.

Son destin semble être le fruit du tarot qui lui révèle toujours les trois même cartes : La Papesse, la Mort et la Tour Abolie jusqu’au jour où arrive le cycliste Anglais et que la Belle retourne la carte des Amoureux. Mais, c’est elle qui, dans ses rêves « vou-drait être humaine » (La compagnie des loups, Carter, p.174), elle ne sait juste pas si c’est faisable ou pas. Le fait que le jeu de cartes lui ait donné la carte des Amou-reux n’était peut-être qu’une réponse à sa question. Dans ce conte, c’est elle la maîtresse, c’est elle qui fait tomber les hommes à ses pieds, sans les agresser, du moins jusqu’à ce que l’heure du repas arrive. Mais cette agression-là, le fait de tuer quelqu’un, tout le monde la connaît et sait dire que c’est mal, contrairement aux agressions sexuelles. En effet, nombre de témoignages attestent que la plupart des agresseurs ne sont pas au courant que ce qu’ils ont fait est mal. Par exemple, lors du viol collectif de Steubenville où deux adolescents ont abusé d’une fille incons-ciente, publié des photos et vidéos sur les réseaux sociaux et transporté leur victime dans plusieurs lieux. Au lieu de se rendre compte de la gravité de leurs actes, ils trouvent cela drôle14.

Contrairement aux deux Belles au Bois Dormant dont nous avons discuté plus haut, la reine des vampires est active. En effet, lorsque l’on dresse la liste des verbes utilisés pour le personnage de la Belle dans chaque conte, on remarque plusieurs éléments intéressants. Pour ce qui est de Perrault et Grimm, premièrement, autant chez l’un que chez l’autre, on retrouve les verbes être et avoir, qui sont, quand ils ne font pas office d’auxiliaires, la plupart du temps suivis d’une description de la beauté de la jeune fille : « la Princesse eût […] toutes les perfections du monde » (Contes, Perrault, p.131), « elle était si merveilleusement belle » (Contes I, Grimm, p.287). Ensuite, il n’y a aucun verbe d’action, sauf au moment où la Belle se pique le doigt. Finalement, la Belle endormie est totalement passive, comme l’atteste la

13 BOINET, Carole, « De Rémi Gaillard au slut-shaming : la culture du viol, c’est quoi ? », in Les Inrocks, http://www.lesinrocks.com/2015/06/18/actualite/de-remi-gaillard-au-slut-shaming-la-culture-du-viol-cest-quoi-11754653/, consulté le 12.10.2015

14 Valérie, « Comprendre la culture du viol », in Crêpe Georgette, http://www.crepegeorgette.com/2013/03/20/comprendre-culture-viol/, consulté le 12.10.2015

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grammaire des phrases : elle ne se réveillera pas seule, mais grâce à un prince : « le fils d’un Roi viendra la réveiller » (Contes, Perrault, p.132) ; la fée n’a pas été avertie que la Belle a eu un accident, elle apprit « l’accident [qui] arriva à la princesse » (idem, p.133) ; ce n’est pas la princesse qui ne sera pas plongée dans la mort, c’est « dans la mort que [ne sera pas plongée] la princesse » (Contes I, Grimm, p.284) ; la Belle ne va pas dans un vieux donjon, c’est « sa promenade [qui l’y] conduisit » (idem, p.285). Le vampire d’Angela Carter n’a rien à voir avec cela. Tout d’abord, on remarque une importante quantité de verbes différents. La première informa-tion que l’on a est que « la belle somnambule perpétue, sans y pouvoir mais, ses crimes ancestraux » (La compagnie des loups, Carter, p.171). On voit immédiate-ment la différence entre les deux générations de personnages ; en effet, la Belle d’il y a plus de cent cinquante ans était tellement passive qu’elle n’avait rien à per-pétuer. Le vampire fait énormément de choses : elle « possède » (idem, p.172), elle « distribue » (idem, p.173), elle « s’étend » (ibidem), elle « lave » (idem, p.174) ou elle « frisonne » (idem, p.177). Certaines actions peuvent paraître inutile, insignifiantes, mais, lorsqu’on compare avec les autres textes, on se rend tout de suite compte qu’ici, le personnage est au devant de la scène. On s’intéresse à ce qu’il fait et à ce qu’il ressent. Mais s’il y a un verbe à mettre en évidence, c’est bien le verbe penser.

« Souvent, je suis si silencieuse que je pense que moi aussi j’oublierai bientôt comment on fait »

(idem, p.184)

« Il m’a semblé que vous étiez sorti de la carte pour entrer dans mon obscurité et, l’espace d’un instant, j’ai pensé que, peut-être, vous alliez l’illuminer de votre rayonnement »

(idem, p.185)

Ces deux phrases en elles-mêmes peuvent paraître sans importance, mais ce qu’il faut voir ici, c’est que dans la tête de l’auteure, il est concevable que cette femme puisse penser.

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Le narrateur se demande comment elle peut « supporter la douleur de devenir humaine » (idem, p.190). Il la juge parce qu’elle a fait un choix, elle a pris une déci-sion et elle est passée à l’acte. Elle se maudissait de sa malédiction, et c’est elle qui s’en est libérée. Et contrairement à la Belle au Bois Dormant, elle ne reste pas avec son « sauveur », elle part vivre sa vie, elle va écrire sa propre histoire.

Un second plan importantNotre Belle la plus jeune est celle du film Maléfique. Comme nous l’avons dit au début, elle s’appelle Aurore. Notons tout d’abord que, comme ses prédécesseurs, elle n’est pas mise au courant (du moins pas immédiatement) de sa malédiction et que les mesures prises par son père (saisir tous les métiers à filer, les brûler et les mettre dans la pièce la plus sombre du donjon ; envoyer Aurore vivre dans les bois pendant seize ans et un jour avec les fées) sont inutiles.

Elle n’est pas l’objet principal du film, mais elle a tout de même quelques aspects intéressants. Premièrement, après avoir passé du temps dans la Lande avec Malé-fique, Aurore exprime le souhait de vivre dans ce pays. Maléfique la soutient et lui propose d’en parler à ses tantes (les fées). Il n’aurait certainement pas été possible d’écrire ceci au temps de Perrault étant donné que la femme devait être au ser-vice de l’homme et, par conséquent, ne pouvait pas être indépendante. Ensuite, on peut remarquer que, contrairement à l’Aurore du film d’animation de 195915, elle n’a, a priori, pas l’interdiction de parler à des étrangers vu qu’elle ne se gêne pas d’indiquer le château au petit prince qui passe par là et de lui dire de revenir. On peut en déduire qu’on la juge aujourd’hui capable de différencier le bien et le mal et de savoir ce qu’elle doit ou ne doit pas dire à un étranger. Pourtant, lorsque, le jour de ses seize ans, elle apprend toute l’histoire (le fait qu’elle connaisse exac-tement la nature du mauvais sort reste néanmoins floue) et qu’elle part en direc-tion du château, personne ne la retient. A la place, on s’active à retrouver le jeune homme qu’elle avait rencontré. L’explication que peuvent nous fournir les images du film est qu’elle ne peut pas aller à l’encontre de son destin. En effet, dès qu’elle arrive au château, elle n’arrête pas de toucher son index, quelque chose la dé-mange. L’accomplissement du mauvais sort semble tout simplement porté par la magie ; c’est comme si elle devient tout à coup possédée : au courant ou non, la princesse se serait piquée.

Son réveil est une scène fascinante. Le baiser d’amour sincère, tout le monde pense le trouver chez le jeune prince. Celui-ci est pourtant moins agressif que ses prédécesseurs puisque, lorsque les fées lui disent d’embrasser Aurore, qui est endor-mie, il dit : « Je ne m’y autoriserai pas, je la connais à peine. » (Maléfique, Stromberg, 01: 13: 58). Mais malheureusement, les fées insistent tellement qu’il cèdera, pour au final, ne pas la réveiller. Tout comme dans le conte des frères Grimm, cette scène alimente la culture du viol. C’est d’autant plus marquant vu que le garçon est poussé par trois témoins.

Aurore, lors de la bataille entre Maléfique et le roi, fait tout de même plus que n’importe lequel des princes puisque c’est elle qui délivrera les ailes de sa marraine.

15 GERONIMI, Clyde, La Belle au bois dormant (titre original : Sleeping Beauty), 1959, USA, 75 minutes

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Elle finira par devenir reine de la Lande, sans aucun roi à ses côtés, scène qui, elle aussi, n’aurait pas été imaginable au XVIIe siècle.

On apprend à la toute fin du film que la femme qui narre l’histoire est en fait Aurore. « Comme vous le voyez, mon histoire n’est pas tout à fait celle que l’on vous a racontée. Je suis bien placée pour le savoir, c’est moi que l’on appelait la Belle au Bois Dormant. » (Maléfique, Stromberg, 01:27:15). Non seulement c’est elle qui tient l’histoire en main, mais en plus, elle nous dit que les autres histoires n’étaient pas justes. En effet, si l’on fait abstraction du baiser du prince, cette version de La Belle au Bois Dormant met les femmes en avant et contredit tous les messages qui ont pu être passés dans les versions de Perrault et de Grimm.

La Belle-mère ogresseParlons maintenant d’un personnage qui n’apparaît que dans la version de Perrault : la mère du Prince Charmant.

Elle joue, dans la deuxième partie du conte, le rôle de la méchante belle-mère (que l’on retrouve souvent dans les contes). En effet, sa nature d’ogresse n’est qu’une métaphore de sa jalousie envers sa belle-fille. Elle est à un stade de la vie où elle voit son fils adoré, unique qui plus est, grandir et se détacher d’elle, ce qui la pousse vers la méchanceté ; comme le dit Bruno Bettelheim : « la jalousie de la reine n’est pas due à la trahison de son mari, mais elle se présente comme la mère œdi-pienne qui est si jalouse de la jeune fille dont son fils est tombé amoureux qu’elle veut la tuer » (Psychanalyse des contes de fées, Bettelheim, p.343).

Voyons maintenant ce personnage en tant que femme. Prenons tout d’abord cette citation : « […] elle était de race Ogresse, et le Roi ne l’avait épousée qu’à cause de ses grands biens ; […] » (Contes, Perrault, p.137). Premièrement, le roi n’est pas amoureux de sa femme. Deuxièmement, malgré sa nature et les risques qui l’accompagnent, il l’a tout de même épousée car elle avait une fortune. Sa place est donc auprès de son mari, le roi ; on peut imaginer que le mariage avait été arrangé, pour créer des alliances notamment. Tout comme la Belle, elle est là pour faire des enfants au roi et, par conséquent, maintenir la lignée royale. Quant à sa condition, on la fait passer pour la méchante reine.

Méchante, certes, mais pas plus respectée que la Belle. Prenons par exemple la tromperie que lui fait son maître d’hôtel. Elle lui donne un ordre à trois reprises et, malgré son statut de reine et d’ogresse, l’homme la trompe. La question qu’il faut se poser ici est la suivante : si la situation était inversée, si ce n’était pas la reine qui était un ogre, mais le roi, le maître d’hôtel l’aurait-il trompé ? La réponse est certai-nement non. Elle n’est donc pas prise au sérieux malgré la crainte qu’elle inspire.

De plus, elle n’est pas dotée de plus d’intelligence que sa belle-fille puisqu’au final, elle est l’unique victime de son vice. En effet, au lieu d’assumer ses actes, de se monter contre son fils, elle choisit de sauter dans le chaudron où devaient mourir la Belle, ses enfants ainsi que le maître d’hôtel et sa femme. Elle finit donc avec une étiquette de méchante et de lâche et, ainsi, le lecteur n’a aucune pitié pour sa disparition.

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Les féesÀ présent, intéressons-nous à un groupe de personnages particuliers : les fées. Même si elles ne prennent pas beaucoup de place dans les récits de Perrault et de Grimm, elles ont tout de même un rôle important. En effet, elles ont la lourde tâche de constituer le destin de la Belle. Dans le dessin animé La Belle au Bois Dormant de 1959 et dans Maléfique, ce sont même elles qui vont élever l’enfant. Elles ont donc un rôle maternel, protecteur ; la fée qui adouci le mauvais sort et évite la mort à la Belle étant la meilleure illustration de ce rôle. Elle apparaissent d’ailleurs à la naissance de la princesse. Il est donc intéressant de noter que, dans la version des frères Grimm, on peut trouver le terme de « fée » ou de « sage-femme » selon les traductions. Ce dernier terme renforce cette idée de maternité, de protection étant donné que les sages-femmes sont celles qui accouchent les enfants depuis des milliers d’années.

Un article paru dans le journal La Liberté en décembre 201116 nous informe que seuls trois hommes font partie de la fédération suisse des sages-femmes. A cette date, ils ne seraient en tout que cinq ou six dans tout le pays. C’est une profession qui était et qui est toujours considérée comme féminine ; de ce fait, les fées des contes sont des femmes. Et, si l’on continue sur cette idée de rôle maternel, il est dur d’imaginer un personnage masculin car les femmes ont un lien totalement dif-férent avec les enfants de par le fait que ce sont elles qui portent leur enfant durant neuf mois, l’allaitent, etc. Ce qu’elles ressentent ne peut, très probablement, être imaginé par des hommes.

Cyrille François dit que « [les] fées de Perrault [réfléchissent] comme toute personne douée de raison17 ». En effet, la « gentille fée »

« jugeant que [la vieille fée] pourrait donner quelque fâcheux don à la petite Princesse, alla dès qu’on fut sorti de table se cacher derrière la tapisserie, afin de parler la dernière, et de pouvoir réparer autant qu’il lui serait possible le mal que la vieille aurait fait. »

(Contes, Perrault, p.132).

Contrairement à la Belle, les fées peuvent apparemment réfléchir. Peut-être doit-on justement cela à leur statut de fée, d’être surnaturel, magique ? On pourrait donc croire qu’elle ne sont pas considérées comme des femmes à part entière.

Concernant les fées de Perrault et de Grimm, malgré leur courte apparition, elles sont, de par les dons qu’elles offrent, des représentations de leurs époques respectives.

16 ROULEAU, Chantal, « Être homme et sage-femme », in La Liberté, http://www.hopital-broye.ch/etre_homme_et_sage-femme_le_21.11.11.pdf, in Hôpital Intercantonal de la Broye, consulté le 12.10.2015

17 FRANÇOIS, Cyrille, Fées et Weise Frauen les faiseuses de dons chez Perrault et les Grimm, du merveilleux rationnalisé au merveilleux naturalisé in Des Fata aux fées : regards croisés de l’Antiquité à nos jours, étude de lettres, édité par HENNARD-DUTHEIL DE LA ROCHÈRE, Martine et DASEN, Véronique, p.275

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Les fées de Maléfique sont, elles, un peu moins crédibles. Tout d’abord, malgré leur souhait de répandre la paix et la bonne humeur, l’atmosphère est lourde lorsqu’elles arrivent au baptême d’Aurore : le roi n’a pas l’air très ravi de les voir et elles semblent le craindre. Ensuite, elles sont impuissantes face à Maléfique. En effet, elle les chasse du berceau d’un coup de main et elle ne peuvent rien pour l’empêcher de jeter son sort. D’ailleurs, la troisième fée, qui n’avait pas eu le temps de donner son don, ne fera rien, contrairement aux fées de Perrault et Grimm. Enfin, elles perdent toute crédibilité lorsqu’elles partent dans les bois avec la prin-cesse. En effet, elles sont incapables de s’occuper de l’enfant sans magie. Elles ne comprennent pas qu’il faut la nourrir, ni comment le faire ou elles la laissent sans surveillance au bord d’une falaise, trop occupées à se chamailler ; et à chaque fois, c’est Maléfique qui rattrape leurs erreurs.

De personnages au rôle primordial, elles ont passé à celui d’incapables, laissant toute la place à Maléfique de s’attirer la sympathie du spectateur et de briser son image de méchante.

MaléfiqueSi les fées ne font pas l’objet principal des contes de Perrault et de Grimm, elles sont mises sur le devant de la scène dans Maléfique puisque l’on nous raconte l’histoire du point de vue de la « méchante fée ». Et ce n’est pas seulement une fée qui est mise en avant, mais également une femme. Tout d’abord, elle a le rôle de protectrice de la Lande. Elle a donc des responsabilités, il n’y a pas d’homme à ses côtés et elle se fait respecter. Paradoxalement, dans le royaume des humains, il y a un couple royal, mais la reine est quasiment inexistante, il n’y a de place que pour le roi.

Cependant, Maléfique sera rapidement persécutée par les humains, plus précisé-ment par le roi et ses chevaliers (des hommes donc). La raison ? Elle est très simple : ils veulent son territoire pour agrandir leur royaume. Comme il en a continuellement été le cas dans l’histoire, l’être humain veut conquérir et dominer toujours plus. Dans le film, en plus d’être des humains, les soldats qui vont tenter d’attaquer la Lande sont des hommes, il n’y a pas de femmes ; c’est la parfaite représentation d’une société patriarcale. Mais Maléfique se bat et protège ses terres, jusqu’à ce qu’un homme l’utilise et la trompe pour prouver au roi qu’il est digne de lui succéder. La preuve qu’il amène au roi, ce sont les ailes de Maléfique ; et la manière dont il les a prise est la pire qui soit. En effet, après être revenu au près d’elle, lui avoir fait un discours pour l’attendrir et avoir obtenu son pardon, il l’a droguée et, alors qu’elle dormait, a coupé ses ailes. C’est exactement la même démarche que le violeur qui séduit une jeune fille en discothèque, met du GHB dans son verre et abuse d’elle ensuite. Cette scène est donc une métaphore du viol. Cet acte transformera complètement Maléfique, la rendant méchante et la faisant haïr encore plus les hommes. Mais en attendant, cet homme (son agresseur) deviendra roi.

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Mais au baptême d’Aurore, elle met le roi Stéphane à ses pieds lorsqu’elle lance le mauvais sort :

« j’aime quand tu me supplies, continue »

(Maléfique, Stromberg, 00: 32: 00)

lui dit-elle, l’obligeant à se mettre à genoux. En effet, il est face aux conséquences de l’erreur qu’il a commise, sa soif de pouvoir est responsable de cette horreur, et il est prêt à tout pour en atténuer le résultat. Dans cette scène, c’est clairement Maléfique qui a le dessus.

Après que Maléfique a lancé la malédiction, le roi confie son enfant aux trois « gen-tilles » fées pour qu’elles l’élèvent jusqu’à ses seize ans dans les bois. Pendant ce temps, Maléfique jouera le rôle de la mère qu’Aurore n’a jamais eu en devenant sa bonne fée, ce qui est assez paradoxal étant donné que c’est elle qui l’a maudite ; elle lui sauvera la vie plusieurs fois notamment. Mais lorsqu’elle se rend compte de son « erreur », elle va essayer de défaire le mauvais sort : « Je révoque mes pa-roles, je révoque le mauvais sort. » (Maléfique, Stromberg, 00: 53: 29) ; sans succès puisqu’aucune magie ne peut briser l’enchantement. Le geste peut paraître mi-nime dans l’ensemble, mais au fond, c’est la première fois que quelqu’un tente quelque chose de sensé contre le mauvais sort ; Maléfique agit.

Mais la scène de ce film qu’il faut vraiment retenir, c’est le réveil de la Belle. Car ce n’est pas un prince charmant qui parvient à briser l’ensorcellement, mais Malé-fique : une femme. Nous ne sommes plus face à un homme qui ne fait rien pour mé-riter la princesse, mais face à une femme, qui a veillé sur la Belle durant seize ans et qui a tout essayé pour réparer ce qu’elle avait fait. Elle est placée au premier rang, au rang d’héroïne. En effet, contrairement au prince qui embrasse la Belle parce qu’elle est magnifique et qui en tombe amoureux en un instant, Maléfique dépose un baiser sur le front d’Aurore car elle l’a connue véritablement, elle l’aimait ; et ce baiser a non seulement réparé l’erreur de Maléfique, mais aussi sauvé Aurore. Les rôles sont totalement inversés.

De plus, le combat final entre humains et fées, entre les hommes et Maléfique, sera mené et gagné par cette dernière. Elle est donc doublement l’héroïne de l’histoire.

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SYNTHÈSE : IMAGE VÉHICULÉE

Nous pouvons voir que l’image de la femme qui est véhiculée est très différente selon les époques. Dans deux premières versions du conte, la femme est un ob-jet, sans droit, sans intelligence. Même lorsqu’elle a du pouvoir, une autorité, elle n’est pas respectée (la belle-mère ogresse). Le seul moyen pour la femme d’être considérée différemment est d’être surnaturelle, d’avoir des pouvoirs magiques (les fées). Les femmes sont des êtres passifs, qui dépendent d’un prétendu prince char-mant qui est glorifié alors qu’il ne fait rien.

Plus tard, les femmes deviendront un modèle d’indépendance, qui prennent leur vie en main et sont maîtresses de leur destin ; elles ont le pouvoir de mettre les hommes à leurs pieds (La dame de la maison d’amour).

Enfin, elle est considérée comme une héroïne. Une femme peut sauver une situa-tion, elle peut être maîtresse de l’histoire (Maléfique). Elle n’est plus dépendante de l’homme, ni à son service.

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TEXTE CRÉATIF

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Roses de la Justice

La scène de crime était, une fois de plus, parfaitement agencée, propre, précise. Les rideaux étaient ouverts afi n de faire entrer le plus de lumière possible, le lit était placé au centre de la chambre ; une magnifi que couverture blanche, brodée de motifs dorés le recouvrait. Une épaisse barrière de rosiers l’encerclait : des roses ma-gnifi ques, rouges comme le sang, et des épines, pointues comme des hallebardes. Et sur le lit, le corps. Un homme d’une vingtaine d’années. Comme les autres, il por-tait un costume : chemise blanche, gilet, veste cintrée et pantalon noirs, chaussures brillantes comme si on les avait polies, le tout lui seyant habilement. Sa tête reposait sur un gros oreiller, assorti à la couverture. Il était coiffé, son expression était sereine, il avait l’air maquillé tant son teint était lisse. Il était beau. Un seul bémol venait trou-bler ce spectacle : une dague traversait son cœur. Mais elle était si belle, ornée de gravures gothiques, qu’au lieu de gâcher la scène, elle la rendait poétique.

En six mois, c’était le cinquième corps que l’équipe de Kate Beckett retrouvait et, mis à part la mise en scène et le fait que ce soient des hommes, ils n’avaient aucun élé-ment qui permettait de faire un lien entre les victimes. L’auteur de ces crimes était un tueur en série, ils en étaient sûrs maintenant ; il choisissait ses victimes : ces hommes avaient certainement autre chose que leur sexe et leur âge en commun, mais quoi ? Il était méticuleux, il jouait sur les apparences, tout était parfait. Jamais on n’avait retrouvé une trace ou une empreinte ; pas même un poil ou encore un cheveux.

— La victime s’appelle Brad Jones, 21 ans. Il étudiait le droit à l’Université de New York, il est le fi ls unique de Christina et Jackson Jones. Il était le seul héritier de l’en-treprise familiale Jones Sweet Home, annonça Kimball Cho.

— Encore un autre point commun avec les victimes précédentes… Tous des fi ls de riches infl uents. Notre tueur serait jaloux ? Il se bat pour un monde meilleur, sans sys-tème capitaliste ? Cette enquête va me rendre folle, soupira Beckett.

***

— Est-ce que votre fi ls avait un comportement anormal ces temps ? questionna Steve McGarett.

— Non, répondit Mme. Jones en pleurs, il allait à la fac, les cours se passaient bien, il était passionné.

— Y a-t-il des gens qui pourraient lui vouloir du mal ?

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— Pas à ce que je ne sache. Il était toujours avec son groupe d’amis. Ils se connaissent depuis qu’ils sont gosses. C’était un gentil p’tit gars, discret. Contraire-ment à d’autres jeunes qu’on peut voir, ou contrairement à moi à son âge, il n’était pas du tout du genre à se vanter de notre entreprise ou de notre importance, expli-qua M. Jones.

Au bureau, comme on s’en était douté, rien ; pas un indice utile, même pas une bribe. Pareil du côté de la scientifique : impossible de savoir d’où venait la dague, aucune empreinte n’avait pu être relevée ; à ce stade de l’enquête, on aurait dit que le tueur était un fantôme... Cho et Reese partirent interroger les amis de Brad, mais ils avaient perdu espoir, ils savaient que cela ne les mènerait nulle part.

***

Les quatre premiers interrogatoires n’avaient rien donné ; les deux agents étaient désespérés.

— Je sais même pas si ça vaut la peine d’aller voir le cinquième, se lamenta John.

— Ouais, mais on peut pas penser ça, on se doit d’investiguer au maximum, même si c’est sans espoir, rétorqua Cho.

Ils arrivèrent devant une grande demeure. Harry était le meilleur ami de Brad, ils se connaissaient pratiquement depuis la naissance. Les quatre jeunes qu’ils avaient déjà interrogés avaient juré aux agents que personne ne connaissait Brad mieux que lui et que s’il y avait quelqu’un qui pouvait être au courant de quelque chose qui tourmentait Brad, c’était bien lui.

— Honnêtement, je ne sais pas comment vous aider… On était dans une période relativement tranquille par rapport aux cours, sans examens, on sortait…

— Réfléchissez-bien s’il-vous-plaît. Vous être peut-être notre seul espoir, s’impatien-ta l’agent spécial McGarett.

Harry resta silencieux pendant plusieurs minutes.

— Peut-être… Non… rien.

— Le moindre détail peut compter, Harry.

— Il y a deux semaines environ, on est sorti en boîte. On était avec des gens de nos classes. Ça faisait pas mal de monde dans le groupe, mais pendant un moment, impossible de trouver Brad. Jusqu’à ce qu’une fille en pleurs arrive de nulle part, sui-vie de Brad. Elle lui hurlait de la laisser tranquille et bousculait tout le monde jusqu’à la sortie. Je me suis dit qu’il avait sûrement dû être un peu trop lourd sur la drague.

— Où était-ce ? Vous souvenez-vous de la fille ?

***

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— Oui, j’ai vu cet homme il y a quelques semaines… Il y a un souci ? s’inquiéta la jeune fille.

Mary Mills devait à peine avoir dix-huit ans ; elle était jolie, svelte et paraissait sym-pathique.

— Madame Mills, Brad Jones a été retrouvé mort hier, annonça Beckett. Un de ses amis nous a dit qu’il vous avait vue quitter le club en pleurant et en criant sur M. Jones. Pouvez-vous nous raconter ce qu’il s’est passé ? Vous être notre seule chance de trouver celui qui a tué Brad et les quatre autres victimes.

L’étudiante resta figée à l’annonce de la mort de Brad. Sa respiration semblait s’être arrêtée ; jamais elle n’avait été confrontée à la mort.

— Il… Il est mort ? Non… Oh mon Dieu, cela veut dire que je suis soupçonnée ? questionna-t-elle la voix tremblante de panique.

— Commencez par nous expliquer ce qu’il s’est passé.

— Et bien… Il me collait un peu trop et au bout d’un moment, j’en ai eu marre. Il s’est énervé, alors je lui ai crié dessus, répondit doucement Mary, tentant à tout prix de fuir le regard des agents.

Elle paraissait tendue. Pas comme quelqu’un qui était coupable d’un crime et qui essayait de le cacher, mais comme une victime qui avait peur de témoigner. Dans sa tête, c’était le brouhaha. Elle savait qu’elle pouvait les aider, mais elle avait tel-lement honte. Elle pensait déjà à ce que se diraient les autres. Mais, après tout, elle était une victime, elle aussi.

— Vous êtes sûre de vous ? demanda Reese.

— Non… En réalité… J’avais remarqué qu’il me regardait, pratiquement depuis que j’étais arrivée. Son regard était oppressant. Puis il est venu me parler. Ca allait très bien les vingt premières secondes, avant qu’il « aille directement au but » et me propose de rentrer avec lui pour… Je ne vais pas répéter ça. Mes amis étaient plus loin, il y avait beaucoup de monde et on ne s’entendait pas parler : je n’avais aucun moyen de leur faire signe. Alors j’ai essayé de me dégager comme j’ai pu, mais j’étais déboussolée et au lieu de me diriger vers la sortie, je me suis retrouvée devant la porte des toilettes.

Ses paroles semblaient vouloir rester au fin fond d’elle ; au fur et à mesure qu’elles sortaient de sa gorge, non sans peine, sa respiration s’accélérait. Elle était devenue blanche, paniquée. Ses mains se mirent à trembler.

— Je suis tellement bête !

— Tenez, buvez un peu d’eau, lui dit doucement Beckett en lui tendant un verre d’eau. Prenez quelques instants, nous ne sommes pas pressés.

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— Je… Je suis entrée dans les toilettes. J-j’ai voulu m’enfermer mais… mais c’était trop tard, raconta-t-elle en fondant en larmes, ses explications devenant de moins en moins intelligibles. Il est entré dans le… dans la cabine, m’a enlacée... J’avais mal. Il a commencé à me… me… m’embrasser. C’était horrible ! Je me débattais… Je devais avoir l’air ridicule ! Et lui… Il était tellement violent. Jusqu’à ce qu’il… en-enlève ma… ma robe et… Oh mon Dieu…

— Est-ce que… ?

John ne put finir sa phrase. Mais Mary, acquiesça. Tout le monde dans la pièce savait de quoi il s’agissait, mais personne n’osa prononcer la phrase ; Brad Jones avait violé cette étudiante.

— Ensuite, il m’a regardé me rhabiller, reprendre mes esprits. J’ai essayé de sortir de ces toilettes le plus vite possible, mais il m’a suivie. C’est là qu’on a dû me voir lui crier dessus. Lorsque j’ai atteint la sortie, j’étais seule.

***

Tout le bureau était mobilisé. Il fallait reprendre toute l’enquête de ces six derniers mois à zéro, en ajoutant cet élément : une agression. Il fallait réinterroger tous les proches des victimes, trouver toutes les personnes qu’elles avaient fréquentées les jours précédant leurs morts.

Après quarante huit heures d’appels téléphoniques, de trajets à travers l’État, de rencontres, il était temps de se réunir et de résoudre cette affaire.

— J’ai revu les parents de Roger, notre première victime, commença Kate, il m’ont dit qu’il avait une copine qu’il amenait régulièrement à la maison, jusqu’à ce qu’ils ne la voient plus. Ils avaient pensé à une simple rupture, mais la fille nous a dit qu’elle avait arrêté de le voir parce qu’il la forçait à faire des jeux sadomasochistes. Quelques jours avant sa mort, il l’avait retrouvée, avait commencé à l’agresser jusqu’à ce qu’un passant l’arrête. J’ai vérifié, la fille a un alibi pour le jour du meurtre.

— J’ai réinterrogé les modèles de l’agence où travaillait la deuxième victime, conti-nua McGarett, sans résultats. Mais en épluchant le registre des employés, j’ai remar-qué qu’il y avait une fille qu’on n’avait pas rencontrée. Elle avait quitté l’agence quatre jours avant la mort de Patrick. Je suis allé l’interroger, elle m’a appris que notre photographe avait pour habitude de la photographier, à son insu, lorsqu’elle se changeait entre les shootings. Elle avait passé la nuit précédant sa démission avec Patrick. Elle avait trouvé des photos d’elle endormie, à moitié nue, dans son appareil photos ; c’est ce qui l’avait décidée à démissionner. Elle a un alibi.

— Je crois que je commence à comprendre… Cho ?

— La troisième victime, Graham, était un coureur de jupons. Son frère m’a avoué l’avoir vu s’engueuler avec trois filles deux jours avant son meurtre. Il avait mal cal-culé son coup et les trois adolescentes se sont retrouvées chez lui au même mo-ment. Autant dire qu’elles ont découvert la vraie identité de leur Don Juan. Le frère nous a aussi dit qu’une des filles avait voulu lui donner une baffe et que Graham

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l’avait bloquée et lui avait tordu le bras. Je suis allé la voir, elle fait encore de la physio. Le soir du meurtre, elle animait une émission de radio pour promouvoir un projet de son école.

— Reese, ne me dites pas que…

— Si. En refouillant l’ordinateur de Mason, j’ai trouvé une série de faux profils sur dif-férents réseaux sociaux. Il est à la tête d’un groupe antiféministes. Il incitait ses par-tisans à discriminer les femmes, à les insulter gratuitement dans la rue et à continuer sur le web et a publié plusieurs fois des photos de filles de qui il abusait.

— Comment on a pu rater ça ?! s’énerva Beckett.

Elle était furieuse. Pas contre cette enquête qui semblait impossible, mais contre ces victimes qui avaient commis ces atrocités. Comment des jeunes du XXIe siècle pouvaient encore être capables de tels actes ? Et comment pouvait-elle, elle, en avoir après ces jeunes hommes alors qu’ils étaient morts. Elle était perdue, sa tête se mit à tourner. Mais au moment où elle allait succomber à son malaise, elle eut comme un flash.

— La Belle au Bois Dormant !

— Pardon ?! s’exclamèrent les trois agents, incrédules.

— Une légende dit qu’une jeune femme fut un jour condamnée à dormir durant cent ans, et qui, ce temps écoulé, aurait été réveillée par un jeune homme char-mant. Les cent ans passèrent et un très beau garçon trouva la Belle Endormie. Il l’embrassa sur les lèvres, des lèvres qui l’avaient appelé, disait-il, et la fille ouvrit les yeux. Elle avait des yeux noirs comme les ténèbres ; tout à coup, il fit froid, des éclairs illuminèrent le ciel, le tonnerre fit trembler la Terre et la fille dit : « Comment oses-tu ? Comment peux-tu être aussi égoïste ? Comment te permets-tu de m’em-brasser alors que je suis inconsciente ? Un jour, je me vengerai ! ».

Tout le monde la regardait bouche bée. Ils ne savaient pas si elle était sérieuse ou si elle délirait. Cela était insensé.

— Ne me regardez pas comme ça et réfléchissez. Dans la légende et dans les contes qui en ont découlé, la Belle subit une agression par un homme ; nos victimes ont toutes agressé une, voire plusieurs, femmes. Et regardez, dit-elle en affichant les photos des scène de crime, cela ne vous fait penser à rien ?

— Le lit sur lequel est exposée la Belle pendant son sommeil de cent ans, lança Cho.

— Exactement !

— Tu ne crois tout de même pas qu’on a affaire à un personnage sorti d’un livre, venant d’un autre monde ou je ne sais quoi ? interrogea John.

— Sorti d’un conte de fées ou se faisant passer pour tel, le schéma est le même. Et c’est notre seule piste.

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— Admettons. Mais comment veux-tu arrêter quelqu’un dont on ignore l’identité et l’apparence ? demanda Steve, perplexe.

— On va la provoquer !

***

Le lieutenant Beckett faisait son jogging matinal dans Central Park. Le souffle au-tomnal commençait à brunir les feuilles des arbres, rendant cet oasis de verdure encore plus magique. Kate s’arrêta pour faire quelques pompes mais, a peine eut-elle posé ses mains sur le sol que l’agent McGarett lui sauta dessus. Il la tira derrière un gros arbre contre lequel il la plaqua et commença à l’embrasser dans le cou.

Steve finit son affaire et laissa sa supérieure là, par terre. Elle fit semblant de pleurer pendant quelques minutes, au cas où quelqu’un l’avait vue, puis elle partit supervi- ser la surveillance de son meilleur agent. Tous les hommes que l’on avait sous la main étaient mobilisés, certains cachés dans les armoires de l’appartement de celui-ci.

Pendant deux jours, la vie continuait, comme si de rien n’était. Jusqu’à ce que Steve se retrouvât dans sa cuisine, face à la femme la plus belle qu’il n’eût jamais vue. Elle avait une longue chevelure dorée, le visage d’un ange et l’allure d’une reine. Pourtant, son regard était empli de haine, de tristesse, et de honte. Elle serrait une dague, identique à celles qui avaient tué les cinq victimes, dans sa main. Elle semblait déterminée, mais si frêle en même temps. Elle s’approcha de l’agent.

— Police ! Lâchez cette dague ! s’exclama Kate.

Des policiers arrivèrent de partout. Elle ne résista pas.

***

Beckett se chargea de l’interrogatoire, elle savait ce qu’il fallait faire.

— Racontez-moi votre histoire, Belle, dit-elle compatissante et sincère.

— A quoi bon ? J’avoue les meurtres de ces cinq idiots. C’est tout ce dont vous avez besoin, non ?

— Si un de mes collègues était à ma place, il vous dirait oui. Mais vous savez quoi ? Je suis une femme. Une femme qui a subi de la discrimination à l’école de police. Une femme qui a dû en faire cent fois plus pour obtenir le poste qu’elle occupe. Une femme que bon nombre de criminels qu’elle a arrêtés ont traité de salope. Une femme qui, même si ce n’était qu’une simulation, a eu peur lorsqu’elle vous a tendu un piège car elle s’est rendue compte que, même si elle avait voulu, elle n’aurait rien pu faire. Alors, je vais vous parler franchement. Je me ferais peut-être virer mais, aussi horribles puissent être vos crimes, je ne peux nier le fait que vous avez agencé ça pour toutes ces femmes qui subissent ces barbaries, pour dénon-cer cette société où un jeune de vingt ans ne sait pas que violer une fille un peu pompette est un crime atroce. Pour tout ça, je trouve que votre histoire mérite d’être entendue.

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En face d’elle, la Belle avait les larmes au yeux. Derrière la vitre sans teint, Cho, Reese, McGarett et le capitaine Carter n’en revenaient pas.

— Je crois que vous connaissez mon histoire. Ce soi-disant « Charmant »… Je l’ai senti s’approcher de moi. Quand ses lèvres se sont posées sur les miennes, c’était pire que de subir la malédiction. Alors je me suis exilée. Et j’ai pensé à ces femmes qui subissaient des agressions, au fond, pire que la mienne. J’ai donc décidé qu’il fallait agir. J’ai essayé de m’intégrer dans des groupes féministes, mais j’ai vite com-pris que cela ne servirait à rien. Dans le monde d’aujourd’hui, il faut des actes pour faire réfléchir les gens et, dans le meilleur des cas, les faire changer de mentalité, les éduquer. Alors je suis passée à l’acte. Une force à l’intérieur de moi me menait aux victimes, puis au coupable. Je le suivais pendant quelques jours. Le dernier vivait sa vie, comme si de rien n’était, alors que la vie de cette fille était détruite. J’espère d’ailleurs que vous l’avez félicitée de vous avoir raconté son histoire. Vous savez ce qui est le pire ? C’est que ces jeunes, ils ne sont même pas conscients que ce qu’ils font est mal et pire, on finira pas les victimiser ! Ces pauvres petits fils à papa, ils n’étaient pas au courant, on ne peut pas les accuser. Ca me met hors de moi. Alors comme il semble impossible de les raisonner et de faire entrer quelque chose dans leur petite cervelle, j’ai décidé qu’ils devaient juste être hors d’état de nuire. A chaque fois que j’ai planté une dague dans un cœur, j’ai pensé à sa vic-time et à celles qu’il aurait pu faire encore si je n’avais pas agi. Je me sentais telle une héroïne.

— Pourquoi la mise en scène ?

— On m’a transformée en femme-objet. Mes propres parents ont fait cela. Alors je leur ai fait la même chose. Les scènes étaient belles d’ailleurs. Ils étaient presque beaux.

Cette fois, c’était le lieutenant Beckett qui avait les larmes aux yeux. Elle ne pou-vait plus se retenir. Elle remercia silencieusement la jeune femme et quitta la salle d’interrogatoires aussi vite qu’elle le put. A peine eut-elle atteint les toilettes qu’elle fondit en larmes.

***

« La police devient un conte de fées » titrait le Daily Planet, une semaine après l’arrestation de la Belle. L’affaire avait fait couler beaucoup d’encre, notamment au sujet de Kate et de sa position concernant les convictions de la coupable. Mais celle-ci en était ressortie plus forte, elle avait redécouvert la passion qui l’avait poussée à devenir flic et cette rage de vaincre l’inégalité des sexes qui la suivait depuis son entrée à l’école de police. Elle aussi se sentait telle une héroïne.

Cho reposa le journal sur son bureau.

— Les journalistes ne savent plus quoi inventer !

— Ouais, mais en même temps, on ne sait toujours pas si cette Belle vient de notre monde ou si elle sort tout droit d’un livre ! lança McGarett.

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CONCLUSION

J’ai choisi ce travail de maturité, premièrement parce qu’il me tenait à cœur de faire une analyse en français, mais surtout car mon âme d’enfant m’y a menée. En effet, j’ai été bercée aux dessins animés Disney (parfois au point d’user la VHS) et aux contes des frères Grimm et j’ai eu envie de voir plus loin que la simple histoire d’amour que l’on nous vend. De plus, le fait qu’une partie créative soit demandée a été la cerise sur le gâteau.

L’approche féministe m’a tout d’abord été proposée et conseillée par Mme. Tschumi. Après avoir lu de nombreux articles sur la question et avoir fait quelques liens avec les contes de fées, j’ai été charmée par l’idée.

Le choix du conte de la Belle au bois dormant s’explique notamment par le fait que j’aime beaucoup cette histoire, mais également parce que c’est un des seuls contes que l’on peut retrouver chez Charles Perrault, chez les frères Grimm et chez Angela Carter et dont il existe un film qui s’éloigne du classique, ce qui était impor-tant pour moi.

Ce travail m’a permis d’avoir un regard nouveau sur le féminisme. En effet, il y a quelques mois, les premiers éléments qui me venaient en tête à l’évocation du mot « féminisme » étaient « groupes extrémistes », « scandale », ou encore « la femme doit être supérieure à l’homme ». J’ai très vite appris que mon image du féminisme était totalement fausse. J’ai aussi eu l’occasion de remettre en question certaines actions du quotidien, mêmes insignifiantes, qui pourraient contribuer à alimenter la culture du viol.

Enfin, la partie créative, même si ça n’a pas été la plus simple, est celle qui me rend fière du travail accompli. En effet, ma démarche au niveau de l’écriture n’était pas très glorieuse jusqu’à l’été. J’étais sur le point de mettre des textes peu aboutis, qui ne me plaisaient pas vraiment, lorsque j’ai eu l’idée de Roses de la Justice. Je l’ai écrit pratiquement d’une traite et j’en suis très contente.

Je profite également de cette conclusion pour remercier toutes les personnes qui, de près ou de loin, m’ont apporté leur aide ou m’ont donné leur avis sur ce travail.

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BIBLIOGRAPHIE

OuvragesBETTELHEIM, Bruno, « La Belle au Bois Dormant » in Psychanalyse des contes de fée (titre original : The uses of enchantement), traduit de l’américain par Théo Carlier, éditions Robert Laffont, 1976, Paris, collection Pocket

CARTER, Angela, La dame de la maison d’amour (titre original : The Lady of the House of Love) in La Compagnie des Loups, traduit de l’anglais par Jacqueline Huet, éditions du Seuil, 1985, collection Points roman

FRANÇOIS, Cyrille, Fées et Weise Frauen les faiseuses de dons chez Perrault et les Grimm, du merveilleux rationnalisé au merveilleux naturalisé in Des Fata aux fées : regards croisés de l’Antiquité à nos jours, étude de lettres, édité par HENNARD-DUTHEIL DE LA ROCHÈRE, Martine et DASEN, Véronique

GRIMM, La Belle La Belle au Bois Dormant (ou la Princesse Fleur-d’Épine) (titre original : Dornröschen) in Les Contes, Tome 1, traduit de l’allemand par Armel Guerne, éditions Flammarion, 1967, collection Gf

GRIMM, La Belle au Bois Dormant (titre original : Dornröschen) in Hänsel et Gretel et autres contes, traduit de l’allemand par Marthe Robert et Yanette Delétang-Tardif, éditions Gallimard, 1976, collection Folio

HEIDMANN, Ute, Tisserandes fatales (Apulée) et fées de Cour (Perrault) : le sort difficile d’une Belle « née pour être couronnée » in Des Fata aux fées : regards croisés de l’Antiquité à nos jours, étude de lettres, édité par HENNARD-DUTHEIL DE LA ROCHÈRE, Martine et DASEN, Véronique

PERRAULT, Charles, La Belle au bois dormant in Contes, Édition critique de Jean-Pierre Collinet, édition Gallimard, 1981, collection Folio Classique

FilmographieGERONIMI, Clyde, La Belle au bois dormant (titre original : Sleeping Beauty), 1959, USA, 75 minutes

STROMBERG, Robert, Maléfique (titre original : Maleficent), 2014, USA, 97 minutes

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BOINET, Carole, « De Rémi Gaillard au slut-shaming : la culture du viol, c’est quoi ? », in Les Inrocks, http://www.lesinrocks.com/2015/06/18/actualite/de-remi-gaillard-au-slut-shaming-la-culture-du-viol-cest-quoi-11754653/, consulté le 12.10.2015

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RICHE, Sophie, « ‹ Je connais un violeur ›, le Tumblr qui noue la gorge », in Madmoizelle.com, http://www.madmoizelle.com/violeurs-tumblr-poignant-semaine-196448, consulté le 20.10.2015

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Wikipédia, « Schéma actanciel », in Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Sch%C3%A9ma_actantiel, consulté le 23.08.2015

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Illustrations : Coralie BinderImprimé par Le Village de l’image à Pully en 4 exemplaires.

Octobre 2015