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- 1 - Collection Cultures et Mémoires Vivantes Que font les armées étrangères en Afrique? Réflexions autour des interventions militaires internationales dans les pays africains en crise : Cas de la Centrafrique, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Nigéria, de la RDC, de la Somalie et du Soudan du Sud Actes du colloque international organisé par Pole Institute Goma (RDC), du 1er au 4 juillet 2014

Que font les armées étrangères en Afrique?

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Page 1: Que font les armées étrangères en Afrique?

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Collection Cultures et Mémoires Vivantes

Que font les armées étrangères en Afrique? Réflexions autour des interventions militaires

internationales dans les pays africains en crise : Cas de la Centrafrique, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Nigéria, de la

RDC, de la Somalie et du Soudan du Sud

Actes du colloque international organisé par Pole Institute

Goma (RDC), du 1er au 4 juillet 2014

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POLE INSTITUTE Pole Institute est un Institut Interculturel dans la Région des Grands Lacs. Son siège est basé à Goma, à Est de la RDC. Il est né du défi que s’est imposé un groupe de personnes du Nord et du Sud-Kivu (RDC) de croiser leurs regards dans un contexte de crise émaillé de beaucoup d’événements malheureux, caractérisé par des cycles de violences, de pauvreté, de mauvaise gouvernance, et de l’insécurité. En conséquence, Pole Institute se veut un espace de :

- analyse et recherche autour des grands défis locaux et leurs implications nationales, régionales et internationales (pauvreté exacerbée, violences sociales, fractures ethniques, absence de repères, culture de l’impunité, etc.)

- analyse et renforcement des stratégies de survie des populations dans un contexte de guerre et de crise prolongée

- analyse des économies de guerre pour dégager des pistes de renforcement des populations locales et de leurs activités économiques

- recherche-action-lobbying en partenariat avec des organismes locaux, régionaux et internationaux.

Finalité et but : Faire évoluer des sociétés dignes et non exclusives dans lesquelles agissent des personnes et des peuples libres en vue de contribuer à :

- la construction d’une SOCIETE dans laquelle chacun trouve sa place et redécouvre l’autre par le développement d’une culture de négociation permanente et l’identification des valeurs positives communes ;

- la formation d’un type nouveau de PERSONNE indépendante d’esprit enracinée dans son identité tout en étant ouverte au monde.

Politique :

- Initier, développer, renforcer et vulgariser les idées avant-gardistes en matière de paix, de reconstruction et de cohabitation des populations vivant en zones de crise.

- Initier l’émergence d’une culture de négociation (contre une culture de la mort) basée sur les intérêts des uns et des autres.

Collection Cultures et Mémoires Vivantes Editeur responsable : Pole Institute Directeur de publication : AloysTegera Rédacteur en chef : OnesphoreSematumba Comité de rédaction : AloysTegera

Jean-Pierre Kabirigi OnesphoreSematumba

Pole Institute

Avenue Alindi n°289, Quartier Himbi I Ville de Goma / Nord-Kivu

B.P. 72 Goma (RDC) / B.P. 355 Gisenyi (Rwanda) Tél.: (00243) 99 86 77 192 / (00243) 99 72 52 216 / (00250)788 51 35 31

Web site: www.pole-institute.org E-mail : [email protected]

© Pole Institute, 2014. Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous les pays

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SOMMAIRE

Synthèse ................................................................................................................................... 5

Mot d’ouverture du Vice-Président de l’Assemblée Provinciale du Nord Kivu ...................... 19

L’ingérence étrangère et les interventions militaires des grandes puissances en Afrique ..... 21

Dimensions du problème et enjeux de fond .......................................................................... 21

La guerre internationale contre l’Internationale Djihaddiste: aujourd’hui la Somalie, demain le Nigeria, et après? ................................................................................................................ 41

Les forces externes en Afrique, une histoire ancienne. .......................................................... 51

#bringbackourgirls. Les interventions médiatiques en zones de crise en Afrique : soutien solidaire ou mise en scène narcissique ? ................................................................................ 75

Qu'est-ce qui rend possibles les interventions armées extra- continentales sur l’Afrique ? .. 79

Situation politique, sécuritaire et humanitaire de la fin du règne Séléka à ce jour et rôles des différents intervenants armés ainsi que l’impact de leurs actions sur le devenir de la RCA .. 85

Eléments de compréhension de la crise malienne: Perspectives après la libération des zones occupées par les groupes rebelles et djihadistes ................................................................... 93

La « question touareg » aujourd’hui au Mali : rappel des faits et mise en perspective ....... 101

Kidal, la France et les Touaregs des Ifoghas ......................................................................... 117

De l’ingouvernabilité aux aspirations concurrentes : l’Etat Malien pris à partie .................. 121

Les interventions des troupes des Nations –Unies au Congo : une longue histoire ............. 133

La MONUSCO: une mission de maintien de paix en trouble ? .............................................. 139

Si l’uniforme pouvait parler… ............................................................................................... 153

Etat des lieux de la réforme du secteur de sécurité en République Démocratique du Congo .............................................................................................................................................. 165

La crise de l’Etat et les interventions de l’armée belge et des troupes de l’ONU au Congo en 1960 ...................................................................................................................................... 175

Mot de clôture de l'Honorable Président de l'Assemblée provinciale du Nord-Kivu ........... 199

Liste de participants au colloque 2014 ................................................................................. 203

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Synthèse

1. Cadre et contexte du colloque

Dans le cadre de la commémoration de l’indépendance politique de la République démocratique du Congo, Pole Institute, Institut interculturel dans la Région des Grands Lacs a organisé un colloque international autour des enjeux de l’Etat en Afrique subsaharienne postcolonial.

Ce colloque a réuni une cinquantaine de participants du monde politique, scientifique, des acteurs de la société civile, des journalistes et des experts de diverses provenances dont ceux des pays sous étude.

Le colloque a été l’occasion de poser de façon générale la problématique des interventions militaires internationales dans les pays africains en crise. De façon spécifique, le colloque s’est penché sur les cas de la Centrafrique, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Nigéria, de la RDC, de la Somalie, et du Soudan du Sud.

En effet, tous ces pays se caractérisent par la fragilité de leurs institutions et aussi par la complexité des menaces auxquels ils sont confrontés. Ces dernières années, on a assisté à la montée de l’islamisme radical notamment en Somalie avec la nébuleuse Al Shabaab et en Afrique occidentale où des groupes comme BokoHaram et Aqmi constituent des facteurs importants de déstabilisation.

L’ultime recours contre ces « ennemis de la paix » consiste généralement à faire appel aux pays frères et amis, en tête desquels se trouve opportunément l’ex- puissance coloniale qui dispose des bases militaires dans le voisinage ou qui a signé des accords de défense avec l’ancienne colonie. Outre l’ex-puissance coloniale, certains autres pays africains, voisins ou éloignés, se mêlent de l’affaire, à travers des montages diplomatiques complexes qui leur permettent d’aller faire le coup de feu chez les autres sous la bannière de l’Union africaine ou de l’Union Européenne, la croix de la CEDEAO ou le casque bleu et généreux de l’ONU avec la bénédiction

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du Conseil de Sécurité basé à New York.

2. Approche méthodologique

La thématique principale du colloque portant sur les interventions militaires internationales dans les pays africains en crise a été déclinée en quatre sous-thèmes :

1. La guerre internationale contre l’Internationale Djihaddiste : aujourd’hui la Somalie, demain le Nigeria, et après ?

2. « Licorne, Serval, Sangaris » : la France, dernier rempart de l’Etat en Afrique ?

3. La RDC au cœur des interventions étrangères 4. Les réformes du secteur de la sécurité (RSS) en Afrique,

réformer ou former ? Le colloque a été articulé autour des activités suivantes :

1. Une session introductive qui a questionné le rôle des armées étrangères en Afrique dans le contexte du XXIème siècle. Cette session a également été l’occasion d’analyser l’historique des interventions étrangères, de la lutte contre l’esclavage à la première guerre mondiale, en se focalisant sur le cas de la RDC ;

2. La présentation de 15 communications à partir des cas du Mali, de la Centrafrique, de la Côte d’Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de la Somalie, du Soudan du Sud, et du Nigéria ;

3. Des travaux en carrefours, permettant aux participants d’échanger sur des thèmes spécifiques et d’y apporter des résultats à la suite de débats ;

4. La restitution des résultats des travaux en carrefours en séance plénière, occasionnant un round de discussions sur les résultats présentés.

3. Recommandations générales

A l’issue du colloque les recommandations suivantes ont été formulées :

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En matière de gouvernance :

• Appuyer l’émergence de leaderships « visionnaires » (politiques, associatifs, etc.), capables d’impulser le changement, de mobiliser l’ensemble de citoyens autour des réformes nécessaires et légitimes ;

• Construire des équilibres sociaux, afin d’assurer la représentativité et la participation de la « diversité » des groupes à la gestion des différents domaines des affaires publiques.

En matière de politique et de réforme institutionnelle :

• Engager des réformes profondes, susceptibles d’apporter des transformations qualitatives de l’Etat et de ses institutions, afin de les rendre légitimes et efficients ;

• Apporter une réponse durable au sort des ex combattants et des officiers illettrés qui sont dans l’armée nationale ;

• Soutenir la conception inclusive et participative d’une politique nationale de défense et de sécurité et faire un plaidoyer pour son adoption par l’Assemblée nationale.

En matière de coopération militaire :

• Mettre en place une coopération militaire multipartite avec les pays voisins, afin de lutter contre les menaces complexes et transfrontalières à savoir : le terrorisme, l’islamisme, le narcotrafic, etc. ;

• Renégocier la coopération avec les puissances intervenant dans le pays afin d’harmoniser la formation des militaires et rendre pertinente la lutte contre les menaces nationales et transfrontalières.

En matière de défense du territoire :

• Adapter la formation des militaires à la diversité et à la complexité des menaces sécuritaires dans le pays ;

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• Etablir la cartographie des zones de tensions et y poster des forces spéciales bien formées et aguerries, capables d’intervenir et d’anticiper la résurgence des conflits armés ;

• Accélérer l’établissement de « African Standby Force » pour des interventions rapides mais aussi la prévention des crises en Afrique.

En matière de transparence et de lutte contre la corruption :

• Créer un fonds commun africain de soutien aux opérations de paix ;

• Renforcer les mécanismes de contrôle des budgets de l’armée, dans le cadre d’une stratégie globale de lutte contre la corruption.

En matière d’information et de communication :

• Initier des campagnes médiatiques et de mobilisation sociale pour lutter contre le tribalisme militaire et son articulation avec les acteurs politiques au niveau national ;

• Initier des campagnes d’information et de sensibilisation des populations sur les principaux enjeux sécuritaires afin de susciter leur adhésion aux grandes décisions de la nation.

En matière d’éducation, de dialogue social et démocratique :

• Construire une fierté nationale autour des militaires, en les rapprochant de la population et en travaillant sur le plan social et communicationnel à changer leur image négative au niveau local, national et international. Dans ce contexte, il faudra penser à bâtir l’efficacité de l’armée et la confiance de la population en son action ;

• Mettre en œuvre le travail de mémoire (capitalisation socioculturelle et éducative) de la crise afin de bâtir durablement une conscience collective ;

• Repenser le système éducationnel, afin de le rendre performant et d’en faire le lieu d’apprentissage de la paix et de construction de la nation.

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4. Leçons tirées du colloque à la lumière des discussions et des travaux en carrefours

Les communications présentées en plénière ainsi que les travaux en carrefours ont fait émerger des points essentiels liés à la thématique principale. Voici les constats majeurs, les défis et les propositions relevés par thème.

Thème 1 : Les armées étrangères, partie des problèmes ou des solutions aux crises en Afrique ?

Constats majeurs

• Les armées étrangères intervenant dans les crises africaines sont perçues à la fois comme une solution face aux crises qui menacent les Etats, et comme un problème du fait de leur caractère hégémonique, etc.;

• Les armées étrangères sont donc soupçonnées d’avoir des ambitions inavouées, leurs attitudes face à certains groupes armés n’étant pas toujours conformes aux attentes placées en elles par les populations locales ;

• Les interventions étrangères se substituent souvent à l’Etat dans certains secteurs de la vie publique, entretenant et justifiant leur présence dans la durée.

Défis

• Effectuer le monitoring (régulier) des forces étrangères et faire des audits sur la pertinence de leurs interventions dans les pays ;

• Encourager les peuples à élire des dirigeants légitimes et capables de gouverner leurs Etats, avec le soutien et sous le contrôle démocratique des organisations de la société civile ;

• Sensibiliser/ éduquer les populations afin de leur permettre de mieux maîtriser les mandats des armées étrangères, dès lors que celles-ci sont amenées à durer dans les pays d’intervention.

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Propositions

• Eclaircir et influer dès le départ sur le mandat des forces étrangères à travers des lobbyings auprès des acteurs devant mobiliser ces armées (Communauté internationale, Conseil de sécurité de l’ONU, UA, etc.) ;

• Susciter un débat démocratique au plan national afin de faire connaître le mandat des armées étrangères intervenant dans le pays ;

• Engager les institutions démocratiques et les organisations de la société civile à réaliser un monitoring et une interpellation de ces armées étrangères intervenant dans le pays.

Thème 2 : Développer des mécanismes de coopération civilo-militaire

Constats majeurs

• Le manque de formation politique des militaires en Afrique est un handicap, qui a pour conséquence de compliquer les rapports entre militaires et civils ;

• Les mandats assignés aux missions intervenant dans les crises en Afrique sont à la base de beaucoup d’incompréhensions. Ce qui est en cause c’est le décalage entre les attentes des pays en crise et le mandat assigné aux forces étrangères. Car en général, leur mandat ne leur permet pas d’anticiper sur des menaces sécuritaires;

• Le manque d’enthousiasme des citoyens vis-à-vis des forces armées nationales est une tare que le manque de confiance explique en partie.

Défis

• Forger une alliance entre les “hommes en uniformes” perçus comme une société plus ou moins disciplinée et la population pour renforcer la démocratisation du secteur de la sécurité ;

• Informer les populations sur les mandats des forces armées étrangères et veiller à une collaboration entre elles. Dans ce

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cadre, il demeure nécessaire de faire des restitutions à la base (au niveau local) sur les principaux enjeux de l’heure;

• Créer une base de confiance entre citoyens et militaires, à travers une stratégie efficace et durable.

Propositions

• Créer un comité civilo-militaire doté d’une représentation et d’expertises requises. A ce comité, il pourrait être associé un groupe de contact composé d’experts capables, chargés de produire des analyses de situation, de déclencher l’alerte précoce et de mener des plaidoyers pour influencer les règles d'engagement auprès des institutions mandatées;

• Incorporer la société civile dans les missions conjointes de maintien de la paix;

• Faire participer la société civile dans les missions conjointes d’évaluation des interventions des armées étrangères;

• Renforcer les capacités de la société civile en termes de collecte et d’analyse des situations sécuritaires.

Thème 3 : Dimension transfrontalière des crises africaines : quels intérêts communs autour desquels construire ? Constats majeurs

• L’immensité et la porosité des frontalières étatiques de nombreux pays les rendent vulnérables à la criminalité transfrontalière, au trafic des êtres humains, au narcotrafic, etc. ;

• L’artificialité des frontières étatiques africaines pose la problématique des communautés situées à cheval sur les frontières. Face à cette situation, la manipulation politique des « identités transfrontalières » entraîne de façon récurrente des crises entre Etats voisins ;

• La régionalisation des crises et des menaces sécuritaires montre l’incapacité d’un seul Etat à lutter efficacement contre

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ces menaces. Cela pose la nécessité des interdépendances entre les Etats frontaliers dans le cadre de leur sécurité.

Défis

• Construire un cadre de partenariat efficace et efficient entre pays voisins pour faire face aux menaces sécuritaires ;

• Encourager et soutenir les plaidoyers des organisations de la société civile dans le cadre de la mise en œuvre des mécanismes transfrontaliers de lutte contre la sécurité entre Etats voisins ;

• Soutenir l’action des Etats africains en vue du financement des opérations de maintien de paix en Afrique. Cela pose la problématique de leur autonomie financière pour mener facilement des opérations de maintien de paix.

Propositions

• Encourager la coopération entre Etats voisins à travers les échanges et la coordination des services de renseignements ;

• Alléger la législation pour faciliter l’intégration sous régionale des peuples « déracinés ». Dans ce contexte, il conviendrait de sensibiliser les populations civiles sur leur appartenance nationale, de faciliter les échanges interculturels et transfrontaliers entre les populations voisines et de construire des consensus sous-régionaux sur les enjeux communs ;

• Disséminer et encourager le respect de la Charte Africaine de Droits Humains et de Peuples ;

• Créer au sein de chaque sous-région des groupes de contact (de ± 10 personnes ressources) pour analyser régulièrement les situations de crises transfrontalières et pour relayer les plaidoyers des problèmes de sécurité auprès des instances de prise de décision.

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Thème 4 : Le DDR3 et la RSSJ en RDC: penser le contenu et proposer les stratégies

Constats majeurs

DDR 3 :

• Le désarmement des ex combattants n’est pas effectif; toutes les armes ne sont pas remises comme si les miliciens préparaient un plan B au cas où la réinsertion serait un flop ;

• La démobilisation ne s’effectue pas dans de bonnes conditions de dignité susceptibles d’inciter les ex- combattants à la reddition ;

• La réinsertion et la réintégration sont souvent manquées à cause de l’impréparation et de l’improvisation qui les caractérisent.

• Le DDR 3 n'a pas pris en compte les autres dynamiques environnantes qui fonctionnaient et dont les développements étaient encourageants ;

• En RDC, le processus DDR est personnalisé au détriment d'une institution UEPNDDR.

RSSJ :

• Il y a une absence de plan clair pour réformer le système de renseignement et les services de migrations

• Il y a un déficit de formation systématique des agents des services de renseignement ;

• Les services de sécurité sont confrontés à un manque de moyens financiers, ce qui limite leur efficacité.

Défis

DDR 3 :

• Procéder au désarmement effectif des ex-combattants, en s’assurant de les avoir dépourvu de toutes leurs armes ;

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• Repenser les modalités de réinsertion des ex-combattants en fonction de leur milieu d'origine et des réalités socioculturelles;

• Eviter la personnalisation du processus de DDR au détriment d'une institution, comme c’est le cas de l’UEPNDDR.

RSSJ :

• Finaliser les textes et cadres juridiques, afin d’accélérer la mise en œuvre de la reforme du secteur de la sécurité et de la justice.

• Doter les services de renseignement de moyens financiers conséquents et renforcer la transparence dans la gestion de ces moyens.

Propositions

DDR 3 :

• Eviter la partialité et le décalage temporel dans le traitement des groupes armés pour réduire le dilemme sécuritaire ;

• Demander au Gouvernement d'identifier, de contraindre et de récupérer des armes avec la collaboration des anciens alliés ;

• Soigner les conditions de traitement des ex-combattants dans les centres de Réinsertion et de réintégration.

RSSJ :

• Renforcer le dispositif législatif (la loi de programmation pour l'armée) ;

• Renforcer le processus de la maîtrise de la base des données ; • Doter les services des renseignements des moyens suffisants

et renforcer la transparence dans la gestion des moyens ; • Renforcer la capacité des agents des services de

renseignement à travers leur recyclage permanent.

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Thème 5 : Que faire après les interventions militaires étrangères ?

Constats majeurs

• Le contexte post intervention des armées étrangères dans les pays est toujours un moment délicat de reconstruction lente et de consolidation des acquis. A cet effet, il convient d’adapter la communication institutionnelle au contexte et aux réalités du moment afin qu’elle soit efficace et susceptible de mobiliser l’ensemble des citoyens autour des enjeux communs ;

• Le travail de mémoire (capitalisation socioculturelle et éducative) de la crise vécue demeure souvent très faible et ne permet pas de bâtir durablement une conscience collective autour des efforts fournis par les militaires, ou autres acteurs ayant consentis d’innombrables efforts pour la paix dans le pays, etc.;

• Le dialogue social inclusif et participatif n’est généralement pas priorisé comme un instrument pertinent de résolution des crises, de pardon, etc.

• Le manque de leadership au plan politique, associatif, culturel, etc. au niveau local et national demeure la cause du ralentissement des reformes et aussi des processus de consolidation de la paix;

• La plupart des pays africains se caractérise par leur diversité, à cet effet dès lors que la gestion des affaires publics exclut certaines composantes de la nation, cela débouche en général sur des tensions, sources de conflits communautaires ou de rebellions.

Défis

Adapter la communication institutionnelle au contexte et aux réalités du moment afin qu’elle soit efficace et susceptible de mobiliser l’ensemble de citoyens pour la construction du pays ;

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Mettre un accent particulier sur préparation du travail de mémoire (capitalisation socioculturelle et éducative) de la crise en vécue ;

Repenser le système éducationnel, afin de le rendre performant et d’en faire le lieu d’apprentissage de la paix et de construction de la nation.

Propositions

Renforcer la justice, la rendre efficace et accessible aux citoyens ;

Discuter des vrais tabous des crises en instituant un cadre de dialogue national inclusif pour aboutir à des solutions collectives ;

Bâtir des relations de « bon voisinage » avec les pays frontaliers en vue de renforcer les relations bilatérales, les relations économiques et scientifiques ; cela doit être pensé comme une stratégie de prévention des crises entre Etats frontaliers ;

Mettre en place des réformes profondes des institutions et dans les principaux secteurs : domaine foncier, réformes administratives, économiques, éducationnel, etc.

Thème 6 : Scénario pour l’armée congolaise après le départ de la MONUSCO

Objectif du scenario à court terme : une armée capable d’intervenir rapidement et efficacement sur tout le territoire national

1. Etablir la cartographie des zones de tensions et y poster des forces spéciales bien formées et aguerries capables d’intervenir et d’anticiper la résurgence des conflits armés ;

2. Amener les différents intervenants étrangers à s’engager dans une initiative commune de formation des militaires afin de créer la cohérence et de la cohésion au sein de l’armée et de prémunir contre les divergences qui seraient liés aux différences d’écoles ;

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Objectif du scenario à moyen terme : des réformes initiées et ayant pour but de lutter contre la corruption et de changer l’image de l’armée

1. Soutenir la conception inclusive et participative d’une politique nationale de la sécurité et faire un plaidoyer pour son adoption à l’assemblée nationale ;

2. Lutter contre le tribalisme militaire et son articulation avec les acteurs politiques au niveau national ;

3. Soutenir la mise en place d’une gouvernance économique qui favorise la distribution des richesses et l’équité sociale ;

4. Amener les acteurs sociaux et autres à faire des plaidoyers pour réduire l’emprise des politiques sur l’armée congolaise.

Objectif du scenario à long terme : une armée républicaine, respectée avec une dimension sous régionale capable de lutter contre toute les menaces

1. Mettre l’accent sur les critères de recrutement des éléments des forces armées et assurer une formation pertinente qui puisse transformer le rapport entre soldats et populations dans le cadre de la construction d’une armée républicaine et au service de la nation. Au nombre de ces critères, la professionnalisation préalable des candidats recrues afin de garantir leur utilité dans l’armée en tant que société organisée et d’éviter l’entrée dans l’armée des rebus de la société.

2. Construire une fierté nationale autour des militaires, en les rapprochant de la population. Dans ce cas, il faudra penser à bâtir l’efficacité de l’armée et la confiance de la population en son action ;

3. Bâtir une coopération militaire solide et efficace avec les pays voisins ;

4. Bâtir une coopération militaire, basée notamment sur la formation et l’appui aux renseignements de façon coordonnée et structurée avec les puissances étrangères.

Fait à Goma (RDC), le 4 juillet 2014 17

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Mot d’ouverture du Vice-Président de l’Assemblée Provinciale du Nord Kivu

Mesdames et Messieurs les participants,

Distingués invités,

Nous tenons à vous remercier d’avoir bien voulu accepter de venir participer à ce colloque, le quatrième du genre, organisé dans la ville de Goma, chef-lieu du Nord Kivu. Chers sœurs et frères africains venus de la Centrafrique, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Nigéria, de la Somalie, du Sud-Soudan et ceux venus d’autres pays à travers le monde, votre présence ici constitue pour nous, les Congolais, un signe manifeste de soutien et de confiance. Nous vous disons bienvenue et sentez-vous ici chez vous.

Le thème de ce colloque organisé aujourd’hui par Pole Institute s’inscrit dans l’actualité de nos pays, nous les Africains. « Que font les armées étrangères en Afrique ? Réflexions autour des interventions militaires internationales dans les pays africains en crise ».

En effet, alors que la plupart de ces pays ont dépassé depuis quelques années le cap du demi-siècle d’indépendance, des crises violentes et des guerres sont le lot quotidien de leurs populations. Notre Province du Nord Kivu vit dans ce contexte depuis maintenant plusieurs années ; des rébellions s’y sont succédé et à l’heure où nous parlons, nos Forces armées font toujours face à la rébellion de l’ADF dans la partie septentrionale de notre Province. Les pays pris comme cas d’étude dans le cadre de ce colloque sont donc en proie à diverses formes d’insécurité qui ont contraint leurs gouvernements, parfois dépassés par les événements à recourir à des armées étrangères, africaines ou internationales, pour rétablir l’ordre. Plus de cinquante ans après les indépendances, il est légitime de se poser des questions par rapport à ces interventions étrangères, leur légitimité et surtout par rapport à comment se sortir de cette dépendance. Ce qui pose la grande question de la consolidation de l’Etat en Afrique.

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Nous croyons que les profils qui sont dans ces assises ont la capacité de réfléchir sur ces questions essentielles et de proposer des pistes concrètes et réalistes susceptibles d’influencer les pouvoirs. Ce colloque devrait être donc un lieu de cogitation mais aussi un espace de propositions.

Nous ne saurions terminer ce mot sans remercier Pole Institute pour avoir pensé à organiser, depuis maintenant quatre ans, cette importante activité internationale dans la ville de Goma, malgré tous les défis que cela comporte. Nous lui assurons tous les encouragements de l’Assemblée Provinciale du Nord Kivu qui a toujours apprécié le travail de cette institution.

Nous vous souhaitons une excellente semaine de travail et un agréable séjour aux bords du merveilleux lac Kivu, et déclarons ouverte la session 2014 du Colloque international organisé par Pole Institute.

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L’ingérence étrangère et les interventions militaires des grandes puissances en Afrique Dimensions du problème et enjeux de fond Par Kä Mana

Professeur des universités Chercheur à Pole Institute

J’entreprends de réfléchir ici sur le problème que pose à l’Afrique l’ingérence étrangère et les interventions militaires des grandes puissances dans ses affaires internes et dans les crises multiples qui la secouent depuis les indépendances de 1960 jusqu’à nos jours. Je voudrais mettre en relief la préoccupation profonde que ce problème révèle et pouvoir regarder avec lucidité l’état de vulnérabilité éthique du monde dans les mécanismes politiques, économiques et culturels qui le régulent actuellement. En même temps, je mets en lumière la fragilité de l’Afrique dans ce monde et l’exigence de penser l’avenir en changeant globalement de cap et d’orientation, en promouvant consciemment et fermement des rêves, des croyances, des intérêts, des règles, des valeurs, des passions, des visions et des dynamiques de sens communs capables de donner au continent africain une place fertile dans la construction d’un nouveau monde possible, enjeu ultime de toutes les quêtes positives qui embrasent l’humanité aujourd’hui.

Position du problème

Dans l’allant oratoire et le mordant rhétorique dont il a le secret, le président américain Barack Obama a parlé un jour du monde actuel en distinguant les pays qui sont du bon côté et ceux qui se trouvent du mauvais côté de l’histoire. Si l’on se souvient qu’avant lui, ses prédécesseurs dans la fonction présidentielle, Ronald Reagan et George W. Bush, divisaient aussi le monde selon d’autres images fortes, celle de l’axe du mal contre l’axe du bien, et celle des Etats voyous contre les Etats civilisés, on peut dire que nous ne sommes

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pas là dans l’univers des flagrances littéraires, mais dans des schèmes de perception des rapports de force à partir desquelles il convient de voir comment le continent africain est perçu dans les réalités géostratégiques actuelles. Toutes ces métaphores devraient être aussi considérées non seulement comme des représentations du monde, mais surtout comme des jugements de valeur en fonction desquelles certaines nations se donnent la responsabilité historique de configurer l’ordre mondial selon certaines normes, certains intérêts, certaines utopies dont elles ont la clé. Pour peu qu’une nation éprouve cette responsabilité, elle se sent le devoir de définir la voie selon laquelle les autres pays doivent être soit du mauvais côté soit au bon côté de l’histoire, soit dans l’espace des Etats voyous soit dans celui de la sphère de civilisation, de l’axe du mal ou de l’axe du bien.

Les raisons pour lesquelles un pays étranger ou une armée étrangère intervient sur un autre territoire national sont toujours liées à la représentation de soi et au rôle que l’on se donne dans la configuration de ces rapports de force au sein du monde. Il y a des pays qui ont une haute idée d’eux-mêmes et qui parlent de leur être en termes de responsabilité face aux autres nations. Dans le discours américain par exemple, la nation américaine s’exalte elle-même autour des valeurs qu’elle croit incarner et qu’elle doit répandre partout : la liberté, la démocratie, les droits humains, la rationalité et la moralité. Ces valeurs sont vues comme universelles, et le bon côté de l’histoire, le côté civilisé d’un Etat ou le souci du bien pour une nation consiste à entrer dans cette universalité. Tous ceux qui s’en écartent, tous ceux qui veulent en remettre en question les valeurs, tous ceux qui en menacent les intérêts, les Etats-Unis considèrent qu’ils ont la mission sacrée de les changer et de les ciseler selon les belles normes universelles.

Il y a quelques années, la France, autour de Bernard Kouchner, avait lancé le débat sur le devoir d’ingérence humanitaire, à partir d’une mission de civilisation qui présupposait qu’il y a des pays de barbarie et de sauvagerie dont il faut sauver les populations martyrisées et des pays de rationalité et de valeurs qui ont l’impératif d’éclairer la planète. Evidemment, dans la vision de Kouchner, la France est du

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côté de ceux qui guident le monde et les barbares ne peuvent que subir la voie tracée par le guide.

Récemment, le président Vladimir Poutine, a affirmé haut et fort que son pays avait à proposer au monde une nouvelle orientation politique et économique, à l’instar de ce que fut l’Union soviétique avec sa puissante idéologie d’antan dont le chef d’Etat russe a manifestement la nostalgie. Ce qu’il veut mettre en relief dans cette ambition planétaire de la Russie, c’est le fait qu’on ne peut pas être un grand pays aujourd’hui si on n’a pas une vocation grandiose face aux autres pays qui n’auront qu’à accepter ce que l’on veut leur donner. On ne peut pas assumer la grandeur mondiale si on ne se donne pas les moyens idéologiques, politiques, économiques et militaires d’imposer ce que l’on croit en fonction de ce que l’on est.

Le monde réel dans lequel nous vivons, c’est celui-là. Il exige une realpolitik pour bien savoir qui on est comme pays et de quel côté de l’histoire on se trouve. L’expert congolais en géostratégie, Philippe BiyoyaMakutu présente ce monde autour de trois dialectiques dont il pense que l’Afrique devrait s’imprégner si elle ne veut pas être l’objet éternel de l’ingérence étrangère dans ses affaires intérieures et des interventions militaires extérieures pour résoudre ses problèmes vitaux.

La première dialectique est celle de la puissance et de l’impuissance. Elle concerne le choix du pragmatisme de la puissance contre l’idéalisme des rêves d’un monde meilleur, qui serait animé par des valeurs d’humanité pure et conviviale. Aux yeux du géo-stratège congolais, il serait ruineux pour les pays africains de ne pas voir que le monde actuel est dominé par la logique de la quête de puissance et d’hégémonie. Les puissants cherchent à y développer au jour le jour leur puissance et n’arrêteront jamais d’écraser les faibles tant que ceux-ci continueront de s’engluer dans leurs faiblesses et leur impuissance. Jusqu'à nos jours, l’Afrique ne donne pas l’impression d’avoir compris que son problème politique et géostratégique majeur est de sortir de ses faiblesses pour penser la puissance comme volonté et comme réalité. Il est temps que les pays africains comprennent cette vérité essentielle pour le présent et pour l’avenir.

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La deuxième dialectique est celle de la richesse et de la pauvreté. Philippe BiyoyaMakutu s’en sert pour faire comprendre aux Africains que leur complaisance à croire qu’ils sont riches et qu’ils constituent un réservoir inépuisable des matières premières stratégiques ne mène nulle part. En réalité, l’Afrique sera toujours un continent pauvre tant qu’elle n’aura pas développé le génie créateur des richesses humaines capables de valoriser les richesses naturelles et de les transformer en chances de vie. Aujourd’hui, l’Afrique est du mauvais côté de la dialectique « richesse-pauvreté ». Il faut qu’elle inscrive sa politique et sa géostratégie dans le pragmatisme économique où seule la richesse humaine et matérielle crée les conditions pour se faire respecter comme peuple dans le monde. Sans ce choix de la richesse, elle nagera toujours dans la marre de ses faiblesses et de ses impuissances, désespérément. Les Maîtres du monde, pour parler comme Jean Ziegler, pourront toujours intervenir dans les pays africains à leur guise, en fonction de leur idée des réalités stratégiques et des intérêts qu’ils ont à défendre.

La troisième dialectique est une réalité aujourd’hui décisive : il y a d’une part des peuples qui veulent inscrire leur destinée dans le développement créateuret le sens inventif pour résoudre leurs problèmes et affronter les problèmes du monde, et d’autre part, des peuples qui donnent l’impression de n’avoir aucune ambition de ce genre. L’Afrique appartient aujourd’hui à ce camp problématique et absurde. Son problème est de sortir de cet enfermement dans le non-sens pour tout miser sur le renouveau et le rayonnement de ses forces créatrices dans le monde.

Quand on se propose de réfléchir sur le sens de l’ingérence extérieure et de l’intervention des armées étrangères en Afrique, il est bon de savoir que le problème est en réalité celui du poids et de la place du continent dans la configuration du monde en termes des rapports de force. Si le monde est tel qu’il est, de quel côté des dialectiques puissance-impuissance, richesse-pauvreté, génie créateur de sens-effondrement dans le non-sens les Africains se trouvent-ils ? De quel côté de l’histoire telle qu’elle se déroule aujourd’hui les Africains se situent-ils : côté voyou ou côté civilisation, dans l’axe du mal ou dans l’axe du bien ? Dans sa

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gouvernance et sa gestion des affaires intérieures, le continent africain pousse-il lui-même les puissances du monde à l’ingérence humanitaire sur ces terres ou non ? A-t-on l’impression qu’elle a un grand projet pour la planète ou qu’elle se contente de vivoter dans l’aliénation et la dépendance ?

A ces questions, la réponse est tellement claire qu’il faut maintenant la transformer en question pour l’émergence d’une Afrique nouvelle. Je voudrais m’atteler à cette tâche.

Enjeux de fond

En prenant comme grille de lecture de la situation mondiale actuelle le clivage et le partage qu’instaurent les visions dialectiques que j’ai mises en lumière, il apparaît qu’un double enjeu se dessine dont les significations sont importantes pour l’avenir du continent africain.

En premier lieu, il existe une construction idéologique des configurations signifiantes du monde que les puissances dominantes exaltent pour justifier et légitimer leurs interventions à l’extérieur de leurs propres territoires. Elles le font sans s’interroger sur leur propre rôle dans les problèmes qu’elles se décident de régler après coup par les interventions militaires.

En RDC, par exemple, la présence de la plus importante mission humanitaire et militaire des Nations unies est justifiée sans

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qu’aucune traçabilité du drame congolais dans ses causes et dans ses effets ne soit considérée comme importante pour comprendre ce qui est arrivé à ce pays. Le Congo est aujourd’hui placé du mauvais côté de l’Histoire, dans le camp des Etats faillis et des nations manquées qu’il faut sauver par les interventions étrangères alors que c’est de l’étranger qu’est venu le vaste programme de renaissance africaine. Programme qui a mis au-devant de la scène politique de nouveaux acteurs comme Yoweri KagutaMuseveni et Paul Kagame, pour une reconfiguration idéologique et politique conçue au temps de l’administration Clinton aux Etats-Unis. De même, l’irresponsabilité des Nations Unies et des puissances comme la France dans la tragédie du génocide des Tutsi au Rwanda est souvent oubliée dans ses effets boule de neige en RDC, pour tout concentrer sur le désordre des groupes armés et des rebellions au Congo, avec l’intervention des Nations Unies comme solution radicale. Le jeu du pompier-pyromane ainsi masqué, les Maîtres du monde continuent de penser que les problèmes de l’Afrique ne peuvent se régler que de l’extérieur, alors que plusieurs dynamiques internes étaient possibles, comme celles qui furent initiées directement par les présidents Joseph Kabila et Paul Kagame dans des opérations conjointes entre l’armée congolaise et l’armée rwandaise en RDC, les opérations « Umojawetu1 » et « Amanileo2 » qui garantirent trois ans de paix à une région en pleines turbulences meurtrières. On ne sait pas par quelle mauvaise magie cette initiative fit long feu pour être remplacée dans la reprise en main de la situation par les Nations Unies et leurs propres mécanismes et processus de paix : Accord-cadre d’Addis-Abeba, rencontres de Nairobi, percée diplomatique de Mary Robinson dans toute la région des Grands Lacs et dynamique bulldozer de Martin Kobler, tout-puissant chef de la Monusco.

Autre exemple : l’Union africaine et plusieurs présidents africains, dont le Tchadien Idriss Deby Itno, avaient déconseillé toute intervention militaire étrangère en Libye. Avec lucidité, ils avaient mesuré tous les effets domino qu’une telle intervention pouvait déclencher en Afrique de l’Ouest : un désordre implacable susceptible de déstabiliser des pays comme le Mali, d’envenimer

1Notre unité, en swahili. 2La paix aujourd’hui, dans la même langue.

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devieilles querelles identitaires et d’ouvrir la boîte de Pandore du terrorisme international. L’Afrique ne fut pas écoutée. Les Nations Unies votèrent la résolution d’intervention en Libye. La France mit sa puissance de feu en jeu. Les résultats sont là maintenant : la Libye est un chaos, le Mali est une poudrière, les mouvements terroristes ont un espace précieux d’intervention dans une vaste zone difficile à contrôler et à maîtriser. C’est dans ce désordre qu’elles ont elles-mêmes créé que les grandes puissances de la communauté internationale se mobilisent maintenant pour intervenir dans le brasier ouest-africain. Leurs intentions sont louables : remettre les pays déstabilisés du bon côté de l’histoire, empêcher qu’ils deviennent des Etats voyous et tout faire pour éviter qu’ils entrent dans l’axe du mal. N’aurait-il pas été plus judicieux d’écouter la voix de l’Afrique dans cette histoire ?

Le cas centrafricain est aussi très éclairant. Une batterie d’experts expliquent actuellement ce qui se déroule dans ce pays, avec des clés de lecture toujours plus savantes les unes que les autres. Un peuple qui a vécu de longues décennies sans clivages religieux conflictuels est présenté maintenant comme un enfer des identités meurtrières idéologiquement formatées par les religions, avec musulmans d’un côté et chrétiens de l’autre, qui s’entretuent dans des barbaries indicibles dont seule une intervention étrangère des forces « civilisées » peut sauver les nègres fous. En plus, on découvre seulement maintenant que des configurations ethniques ont structuré une politique économique incohérente et incompétente, qui a abandonné le Nord du pays à son sort misérable alors que toutes les richesses étaient entre les mains des tribus des chefs d’Etat successifs. Le tribalisme devient une clé de lecture commode, le mal endémique d’une Afrique barbare qui n’est jamais entrée dans la logique des rationalités modernes de la justice et des droits humains. Certains experts vont jusqu’à dire que le pays n’a jamais maîtrisé la culture d’une nation moderne fondée sur des lois et des normes qui s’imposent à tous. Il est resté dans les archaïsmes ancestraux d’où ne peut les tirer qu’une nouvelle dynamique internationale de construction d’un Etat moderne dans un espace aujourd’hui dominé par le chaos d’un non-Etat.

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Tout le monde a oublié que la République centrafricaine, au cours de toute sa période d’indépendance, a été sous la coupe de la France, avec des présidents doublés par des Français comme le célèbre colonel Mantion ; avec des conseillers dans tous les ministères, qui s’occupaient de la véritable politique économique et financière ainsi que du plan de développement de la nation. Tout le monde a oublié l’amitié « éternelle » entre Jean Bedel Bokassa et Valéry Giscard d’Estaing, l’opération Barracuda qui remit en selle David Dacko en renversant l’empereur local, les frasques d’Ange Félix Patassé sous la coupe de ses conseillers de « l’Hexagone ». Dans les turbulences actuelles du pays, l’ancienne puissance coloniale brille dans une virginité exquise et n’a aucune responsabilité au cœur du chaos centrafricain. Elle est même maintenant la clé de la solution, avec ses « amis » présidents des pays voisins de la Centrafrique, le Tchad de DébyItno et le Congo de SassouNguesso, qui nomment, imposent et dégomment les autorités centrafricaines à leur guise, pour qu’advienne un nouveau processus d’immaculée conception d’un Etat situé du bon côté de l’histoire.

La façon dont s’est dénouée la crise postélectorale ivoirienne est encore dans toutes les mémoires. Ce pays qui fut le modèle de la réussite de la France en Afrique au temps d’Houphouët-Boigny est tout d’un coup devenu un univers cruellement dantesque. Sans l’intervention de la France et de la communauté internationale, le chaos aurait continué et des milliers de vies humaines seraient sacrifiées aux ambitions de quelques personnalités aux « ego » surdimensionnés et absurdes, qui ont mis leur pays à feu et à sang. Mais de quel moule politique, intellectuel et moral viennent toutes ses personnalités : Guéi, Gbagbo et Ouattara ? De l’houphouëtisme et de la Françafrique comme idéologie et espace vital soutenus, encouragés, guidés et fertilisés par l’appui français aux potentats africains, sans que ce pays colonisateur ait pensé un seul instant que les valeurs de liberté, de démocratie, des droits humains étaient aussi des valeurs pour le continent africain. La phrase du président français Jacques Chirac est toujours souvent citée par les intellectuels d’Afrique jusqu’à nos jours: « La démocratie est un luxe pour les Africains. » Une autre phrase du même président, dans le même style et le même timbre revient souvent sous la plume des intellectuels du

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continent : « Il faut que nous aidions les présidents africains à gagner les élections, sinon ils ne les organiseront plus. » Quand on a un parrain qui pense et parle ainsi, pourquoi les potentats locaux qu’il protège dans son pré-carré pourront-ils ne pas imaginer qu’on peut sacrifier les vies humaines à ses ambitions personnelles sans encourir aucunement des sanctions fermes de la part de la France ? Comment ne pas penser aussi, comme l’a fait Gbagbo, qu’on peut s’opposer au parrain français avec les mêmes méthodes de sauvagerie que la France a toujours soutenue dans son pré-carré ?

Aujourd’hui, poser ainsi la question suscite l’ire de ceux qui ne veulent pas que l’on parle de la responsabilité des Maîtres du monde dans les tragédies africaines. Ils refusent toute remise en question de ces puissants, sous prétexte que cette remise en question entretient le complexe de victimisation de l’Afrique et gomme à peu de frais l’irresponsabilité d’un continent habitué à se tirer d’affaire en accusant les grandes puissances d’être la source de ses malheurs, sans assumer ses propres responsabilités et ses propres turpitudes.

Les responsabilités et les turpitudes africaines, il y en a à l’envi. Mais ce que montrent les exemples de la RD Congo, de la Libye, de la République centrafricaine et de la Côte d’Ivoire, c’est à quel point le problème de l’ingérence extérieure et de l’intervention militaire étrangère en Afrique est indissociable des problèmes de l’ordre mondial et des rapports de force qui le structurent à travers les schèmes de perception théorique des réalités et les intérêts pratiques et idéologiques des grandes puissances. Dans ce rapports de force, le manichéisme à la mode entre ceux qui sont du bon côté de l’histoire et ceux qui se trouvent du mauvais côté, ceux qui œuvrent pour le bien et ceux qui sont au service du mal, ceux qui ont le devoir d’ingérence et ceux qui ne peuvent que bénéficier de ce devoir, est un masque commode. Il cache la forêt des problèmes communs de la planète et l’urgence de les affronter en mettant ensemble les intérêts communs de l’humanité et les moyens que toutes les nations peuvent mettre ensemble comme communauté de destinée. Au lieu de s’enfermer dans les manichéismes « puissance-impuissance », « richesse-misère », « génie créateur-absurdité anthropologique », on gagnerait à voir le monde comme destin

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commun et village planétaire dont les valeurs qui comptent seraient celles qui mettent en lumière, sur tous les problèmes, les capacités de l’humanité à agir ensemble pour un autre monde possible. Le défi est éthique et cette éthique ne peut être que planétaire, avec des institutions planétaires que les Maîtres du monde ne puissent ni dominer ni manipuler. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. En fait, l’humanité a dans son ensemble le devoir de construire un ordre mondial fondé sur les valeurs de l’humain dont il faut garantir le déploiement partout. Ce fut le sens de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Ce fut le sens de la création de l’Organisation des Nations unies. C’est encore le sens de l’émergence de toutes les organisations humanitaires et de toutes les missions de paix dans le monde. Mais pour que tout cela réussisse, il faut qu’un fondement éthique sûr puisse donner à l’humanité des valeurs, des intérêts et des utopies communautaires qui rendent tous les pays responsables de la vie de toute l’humanité dans les domaines économique, politique, culturel, écologique et géostratégique, pour une civilisation de la prospérité communautaire et de l’altruisme mondial. Même si cet idéal peut paraître aujourd’hui comme un vœu pieux face aux réalités de la planète, il est l’horizon véritable de l’humain.

Malheureusement, les Maîtres du monde n’ont pas encore cette vision du monde et ils ne semblent pas savoir que les logiques d’hégémonie qu’ils mettent en œuvre dans leurs relations avec les autres pays font partie des problèmes de la planète plus qu’ils ne constituent des solutions crédibles. Ils ont beau intervenir en Afrique dans les opérations de maintien de la paix, de la stabilisation des pays en guerre ou de l’imposition des remèdes conçus ailleurs, on peut craindre qu’il ne s’agisse que des pis-aller là où seule la remise en question de l’ordre du monde et la reconfiguration des logiques du monde seraient une solution vraie aux vrais enjeux d’avenir du monde. Ce qu’il y a au fond de la réflexion sur l’intervention étrangère en Afrique, du point de vue humanitaire comme du point de vue militaire, c’est le refus de se conformer au monde tel qu’il est, pour rêver et construire un autre monde possible. C’est même là l’enjeu majeur autour duquel toutes les intelligences du monde devraient faire tourner les propositions pour que le monde dans son ensemble devienne un monde humain : un monde d’inter-solidarités

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politiques, économiques, sociales et culturelles pour le bonheur partagé à l’échelle planétaire, hors des déterminismes de la violence et des hégémonies destructrices qui ont conduit l’humanité tout droit dans le mur des dominations, des guerres, des carnages et des génocides.

Derrière le problème de l’ingérence étrangère et des interventions militaires extérieures dans les pays africains, c’est de l’état éthique du monde qu’il s’agit et de la manière dont il faut conduire l’économie, la politique, la culture et la géopolitique pour qu’un autre monde soit possible, avec les valeurs de l’humain comme fondation, levier et pierre d’angle.

L’Afrique dans cet enjeu de fond

« Tu rêves », m’a dit Philippe Biyoya, avec qui je discutais de tout cela dans un restaurant de Kinshasa au beau nom de L’orangeraie, sur le boulevard du 30 juin, où il m’avait invité à déjeuner. Il ajouta : « Même au ciel, les armées d’anges se battent et les archanges sont en guerre. »

Dans cette objection, je compris que l’enjeu reste toujours de bien distinguer le monde tel qu’il est et le monde tel que nous souhaiterions qu’il soit. Et le monde tel qu’il est, il faut faire de choix radicaux pour y vivre. Il faut y choisir des voies sûres que l’Afrique n’a pas pu faire efficacement.

Dans le cas de la RD Congo, par exemple, le pays a, depuis l’indépendance, refusé de faire le choix de la puissance, le choix de l’enrichissement utile et le choix du génie créateur innovant. Il s’agit d’un véritable refus parce que le pays a tout pour orienter autrement sa destinée. Tout le monde sait, tout le monde dit qu’il a des richesses naturelles fabuleuses : le sol, le sous-sol, le soleil et de merveilleux écosystèmes nécessaires pour devenir une grande puissance, un pays prospère et un moteur du développement pour toute l’Afrique. Ce qui lui a manqué, ce sont les qualités des richesses humaines et des ressources d’imaginaire pour une gouvernance féconde. Le développement de ses ressources humaines ne dépend pas de l’étranger. Il est une dynamique endogène que le pays n’a pas

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voulu déclencher par la production des rationalités, des valeurs et des utopies nouvelles. A l’échelle politique, au lieu de s’engager dans le déploiement du génie démocratique et de donner un gigantesque essor aux droits humains comme garantie de l’indépendance, le Congo a choisi d’être une dictature désastreuse. En plus : il n’a vu le monde que selon une grille de la dépendance, de l’extraversion et du soutien étranger, dans un tropisme nuisible dont les puissances étrangères ont encouragé le dévoiement pour plomber les forces inventives d’un pays appelé pourtant à un grand destin de liberté. Le chaos congolais a été entretenu par l’incompétence congolaise et par l’irresponsabilité des élites congolaises. Celles-ci ont choisi un mode de vie et un style de gouvernance qui les rendaient esclaves et improductives. Leurs choix ont été une véritable catastrophe pour la nation. C’est avec ces choix qu’il aurait fallu rompre et le Congo a été incapable de le faire. Par manque des forces endogènes de construction d’un grand dessein, d’une grande ambition, d’une grande destinée, on a laissé aux puissances étrangères l’opportunité de penser le Congo à la place des Congolais, de trouver des solutions extérieures là où il fallait des réponses congolaises aux problèmes du Congo. Quand un pays n’a pas l’intelligence nécessaire pour être du bon côté des dialectiques vitales telles que Biyoya les a définies, d’autres pays décident de s’emparer de son espace. De multiples intérêts entrent en jeu et le dépouillent de son pouvoir créateur. Il est victime non des autres, mais de lui-même et de son manque de discernement historique sur les enjeux du présent et de l’avenir : les enjeux de puissance, d’enrichissement et de production d’un sens créateur à la vie. Dans le monde actuel, le problème est de faire ce choix, de se donner les moyens de l’assumer et de mobiliser toutes les forces vives de la nation dans cette perspective. Cela s’appelle : être maître de son propre destin. Dans l’organisation de sa politique, de son économie, de sa culture et de sa géostratégie, la RDC ne s’est pas engagée dans cette voie. On peut donc, de l’extérieur, décider de ce qu’il doit être, selon les intérêts de ceux qui ont une certaine idée de ce pays et de ce qu’il peut devenir. Ainsi se justifient et se légitiment les ingérences étrangères et les interventions militaires extérieures dans un pays dont les puissances du monde ont des projets de présence et d’exploitation, sauf les Congolais eux-mêmes.

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« L’Afrique ne devrait jamais oublier ce qui est arrivé au Congo », dit Philippe Biyoya. Il a raison : pour empêcher les ingérences étrangères et les interventions militaires des grandes puissances en Afrique, on doit constamment réfléchir à tout moment sur l’exemple de la RDC. Ce pays montre, grandeur nature ou de manière caricaturale, ce qu’il ne faut pas du tout faire.

La Libye de Mouammar Al-Kadhafi avait longtemps compris que dans le monde des fauves, il faut être fauve avec les fauves. Dans le monde des aigles, il faut être aigle parmi les aigles. Dans le monde des vampires où l’on règne par la peur que l’on inspire et la terreur que l’on sème partout, il faut semer partout la terreur et la peur. Ce choix avait conduit le président libyen à développer et à déployer une politique de puissance et d’enrichissement, dans une ambition de folie de grandeur et de domination où des pratiques comme les guerres de conquête, la vassalisation de certains petits Etats voisins et le recours au terrorisme étaient devenus comme un label et une marque déposée. Mouammar Al-Kadhafi conçut même le projet de disposer de l’arme atomique et mit d’immenses moyens pour y parvenir, mais en vain. Quand, par fatigue, par dépit ou par usure du pouvoir, il cessa de suivre cette voie et qu’il céda aux chants de sirènes de l’ordre mondial régnant et des propositions alléchantes des relations paisibles avec les Maîtres du monde ; quand il cessa d’être résolument du côté de ceux qui résistent à ce monde et font peur aux puissants, le tigre africain perdit ses griffes. Mouammar Al-Kadhafi cassa la branche sur laquelle était assis son pouvoir. Les Maîtres du monde en firent petit à petit un caniche inconscient de nouveaux enjeux de la domination de la planète. Le seul pays africain qui pouvait faire peur aux puissants fut happé par le tourbillon de l’Histoire. Al-Kadhafi y perdit sa vie. La Libye devint le chaos qu’il est maintenant, entraînant dans sa chute toute une région aujourd’hui en pleine turbulence des identités meurtrières et du terrorisme destructeur.

« L’Afrique, dit Biyoya, ne devrait jamais cesser de réfléchir sur le sort funeste de Kadhafi quand il cessa d’orienter sa politique en termes de puissance, de richesse, de volonté de domination et de l’ambition de faire peur aux autres ». Théophile Obenga, dans une célèbre

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conférence à l’université de Kinshasa, avait affirmé : « le problème pour l’Afrique, c’est de cesser d’être un pot de terre pour devenir un pot de fer. » Al-Kadhafi n’aurait jamais dû oublier cette vérité.

Tout au long de son histoire comme Etat, la République Centrafricaine, sauf sous la houlette de Barthélémy Boganda à l’aube de l’indépendance n’a jamais compris cela : qu’elle doit devenir pot de fer. Elle n’a jamais su ce que la puissance, la richesse et le pouvoir de créer son propre destin signifie. Les élites de ce pays n’ont jamais fait le choix ni du développement endogène, ni de la liberté créatrice, ni du rayonnement mondial. Le pays ne s’est pas donné des reins solides et des nerfs d’une nation qui veut compter dans le monde. Aux premières difficultés plus ou moins graves de son existence, il s’est défait comme un château des cartes : on s’est rendu compte qu’il n’était qu’un caniche dans le système de la Françafrique et que seul le maître du système néocolonial pouvait intervenir pour éteindre l’incendie qui ravage la RCA. Quand on refuse de se donner des moyens d’exister par soi-même et de compter sur ses propres forces, l’ingérence étrangère et les interventions militaires extérieures deviennent inévitables. Sans pouvoir de liberté et force d’affirmation de soi dans le monde d’aujourd’hui, on n’est rien. L’avenir est aux pots de fer, à la construction d’un être-ensemble fondé sur l’imaginaire de puissance, d’enrichissement et de grandeur créatrice. La RCA paie aujourd’hui son incapacité à entrer dans cette logique.

L’Afrique, dirait Biyoya, devra désormais avoir l’intelligence rivée sur ce qui est arrivé à la Centrafrique pour imaginer, penser et construire son avenir, pour devenir une puissance mondiale.

Mais n’est pas puissant qui veut. Il faut de l’intelligence, du savoir sûr et un certain doigté politique. La Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo n’a pas compris cela. Elle a cru que la puissance est dans l’achat des chars et dans la confiance aux mystiques délirantes des prophètes charlatans. Elle a cru qu’il suffit de rouler les mécaniques et de gonfler le torse contre la Françafrique pour se hisser au plus haut de l’échelle des nations qui comptent dans le monde. Son chef, au lieu d’unir toute la nation dans un grand projet démocratique et une grande ambition d’enrichissement communautaire qui mobilise

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toutes les forces vives de la société, a plutôt fait le choix de la division et de l’émergence d’une classe prédatrice coupée des quêtes populaires essentielles. Le verbiage sur la liberté n’a fait que masquer cette triste réalité d’un pays qui refuse les logiques du rassemblement autour d’un vaste sursaut pour réussir une politique, une économie et une culture de la vraie grandeur dans le monde. En faisant de son pays un royaume divisé contre lui-même, le régime de Laurent Gbagbo l’a affaibli dans une guerre des chefs qui a perdu son chef et l’a conduit à La Haye où il réfléchit sans doute sur la politique qui convient à l’Afrique actuelle. La logique de la Françafrique l’a brisé complètement, Laurent Gbagbo. Et c’est l’intervention étrangère qui a remis de l’ordre dans un pays dont le FMI et la Banque mondiale veulent de nouveau faire, comme au temps de Félix Houphouët-Boigny, le « miracle » de l’Afrique, selon la logique ultralibérale qui se venge ainsi des velléités faussement libertaires de Laurent Gbagbo. Alassane Dramane Ouattara, précieux produit des institutions financières internationales, incarne maintenant le néo-houphouëtisme dans l’ambition de construire une nouvelle Côte d’Ivoire avec les moyens, intelligemment gérés, qu’offre la communauté internationale. Il offre le modèle du bon usage de l’ingérence étrangère et des interventions militaires en Afrique.

« Aujourd’hui, il ne faut jamais que l’Afrique oublie la fin lamentable de Gbagbo, il faut qu’elle en tire toutes les conséquences en matière de construction de la puissance, de la richesse et du pouvoir créateur de l’esprit », affirme Biyoya.

Actuellement, si l’on veut éviter les interventions étrangères humiliantes en Afrique et les actions militaires des grandes puissances dans nos pays, une double orientation de la vie s’impose à chaque pays africain :

- ou décider de jouer à fond la carte d’autres choix politiques et économiques, centrés sur la capacité d’être du bon côté des dialectiques de la vie moderne, en misant sur la liberté qui s’investit dans la puissance, la richesse et le génie créateur endogène capable d’être le centre de sa propre histoire ;

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- ou développer le pouvoir du bon usage de la néocolonisation, dans l’esprit du néo-houphouëtisme qui se sert de la puissance des Maîtres du monde pour construire son propre pays.

Si l’on s’en tient à ce qui se dévoile dans les messes grandioses comme les sommets Etats-Unis-Afrique, Chine-Afrique ou Japon-Afrique, la deuxième tendance s’imposera peu à peu. Elle s’inscrit dans l’ordre de la mondialisation et l’Afrique y gagnera sans doute une sécurité et une paix sous chapiteau international, avec de larges marges d’action pour chaque pays. Cela s’appelle s’ajuster à l’ordre du monde ou s’intégrer à la logique actuelle du village planétaire, avec une certaine acceptation de l’ingérence extérieure et les interventions militaires étrangères pour une certaine garantie de stabilité en l’Afrique. Plus exactement : une certaine garantie de stabilité pour chaque pays africain qui décidera, dans le cadre des frontières actuelles issues de la colonisation, de jouer son propre développement, sa propre prospérité et son avenir avec les actuels maîtres du monde. Cela serait conforme à l’attachement des populations à la configuration géographique actuelle de l’Afrique. Cela serait aussi conforme à l’attachement aux identités postcoloniales des citoyens dans leurs pays tels qu’ils sont.

Changer de cap, ouvrir de nouvelles orientations

Mais un autre choix est possible. Il est fondé sur une certaine conscience qui lie les fragilités africaines actuelles à une cause essentielle que Nkrumah dans les années 1960, Al-Kadhafi dans les années 2000 et aujourd’hui Théophile Obenga ont mis en relief : la lutte contre l’émiettement du continent en de petites entités incapables, chacune en particulier, de bâtir un vrai ordre du pot de fer. L’exigence serait maintenant de casser avec cet émiettement et de réinventer le projet panafricain en vue de la puissance, de la richesse et du pouvoir créateur de l’Afrique dans son ensemble, comme communauté de destin et force d’action historique dans le monde.

Les fragilités africaines, on sait qu’elles sont aussi liées à l’absence d’une élite continentale consciente de ses responsabilités de faire du

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continent un grand acteur dans la construction de l’avenir. Ni en matière de gouvernance, ni en matière d’ambitions collectives, ni en matière de vision de l’avenir, l’Afrique ne donne l’impression d’avoir des leaders qui ont décidé d’être un grand levier pour une grande Afrique. Les logiques des identités ethniques ou nationales priment sur le lancement des réalisations grandioses qui furent le rêve de Mouammar Al-Kadhafi : une puissante banque africaine, une grande structure de communication et d’information appartenant aux Africains, une armée africaine, une politique étrangère commune pour l’Afrique, bref : les Etats-Unis d’Afrique.

Pour arriver à un tel stade, il convient que l’Afrique ne soit pas l’Afrique des hommes politiques seulement, mais l’Afrique de tous les peuples d’Afrique. Il faut un imaginaire des peuples unis. Un tel imaginaire se crée, se construit, se diffuse dans une vaste idéologie qui exalte les normes, les intérêts et les rêves de vie dans l’ensemble de la société. Il manque à notre continent un système éducatif qui s’engage dans « l’invention des mythes, des héros de référence, des symboles collectifs », comme dirait Martin Kalulambi Pongo. Une nouvelle culture africaine, au-delà des frontières issues de la colonisation, peut s’imposer partout si l’on se dote d’un nouvel imaginaire, avec des rêves, des croyances, des intérêts, des règles, des valeurs, des passions, des visions et des dynamiques de sens communs pour un nouveau destin à l’échelle de tout le continent.

La puissance, la richesse et le pouvoir créateur dépendent, pour l’Afrique, de ce que les Africains feront pour unir le continent, le doter d’une élite consciente et inventive, et y promouvoir une éducation et une culture d’un nouvel-être ensemble fertilisé par l’imaginaire d’une destinée commune.

Où sont les nouveaux Africains pour incarner ce projet ? Tel est le problème de fond pour l’émergence de l’Afrique nouvelle.

Mais répondre à cette question ne concerne pas que l’Afrique. En contexte actuel de mondialisation, la puissance, la richesse et le pouvoir créateur exigent des Africains un véritable projet de refondation du monde sur des valeurs, des intérêts et des rêves d’un nouveau monde possible. Il faut un pouvoir africain de remise en

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question des logiques du monde tel qu’il est pour l’avènement d’un autre monde possible. Dans ce nouveau rêve de monde, être du bon côté de l’histoire ne revient pas à laisser les Maîtres du monde continuer à imposer leurs logique de domination politique, d’exploitation économique et d’aliénation culturelle, pour reprendre les expressions de Paulo Freire. Cela ne revient pas non plus à laisser les puissants définir ce qu’est l’axe du bien ou ce qu’est l’axe du mal, ce qu’est un Etat voyou et ce qu’est un Etat civilisé. L’important, c’est de faire émerger un nouveau rêve de monde aujourd’hui, en regardant vers l’avenir, quand bien même cet avenir paraîtrait une pure utopie. Même si l’Afrique semble maintenant sans grand poids politique, économique, culturel, militaire et géostratégique, rien n’indique que les valeurs d’avenir soient celles de l’ordre mondial actuel ni que les quêtes humaines seront toujours dominées par les normes féroces d’aujourd’hui. Ceux qui rêvent d’un autre possible construisent un avenir en rupture avec les logiques actuelles du monde. L’Afrique, dans la situation qui est la sienne dans notre monde, a le devoir d’ouvrir de nouveaux horizons. C’est son devoir majeur dans les temps actuels.

En même temps, il est indispensable de savoir qu’il faut se donner les moyens et les possibilités d’être entendu et respecté, si l’on tient à peser sur la marche de l’histoire. Pour l’Afrique, c’est la construction de l’unité qui est le secret de la puissance, de la richesse et du pouvoir créateur.

Conclusion

Aujourd’hui, il n’y a pas de doute que ce sont les rêves d’un nouveau monde possible et le souci d’une grandeur véritable (puissance, richesse et génie créateur), qui permettront à l’Afrique de ne plus être la proie de l’ingérence extérieure et de l’intervention des armées étrangères pour résoudre ses problèmes. Tant que les élites africaines et les peuples d’Afrique n’auront pas été éduqués à comprendre cette vérité, ils auront fait le choix de refuser de donner un sens fécond à leur avenir. Rien de grand, rien de nouveau, rien d’utile ne sortira d’un continent sans conscience de ce qu’il veut être dans les affaires du monde. Mais l’Afrique, dans les meilleures de ses intelligences et de ses génies, a déjà compris dans quelle direction il

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convient d’aller : elle se construira, en regardant vers un avenir de grandeur. C’est sa nouvelle voie de vie.

Pour conclure cette réflexion, parlons net : nous Africains d’aujourd’hui, nous avons à engager notre continent dans une double direction dont dépend notre destin maintenant : la bataille pour une profonde mutation éthique de l’humanité et la bataille pour l’émergence des Nouveaux Africains capables de rassembler l’Afrique dans un grand projet de grandeur. Toute la réflexion que vous venez de lire a tourné autour de cette double bataille.

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La guerre internationale contre l’Internationale Djihaddiste: aujourd’hui la Somalie, demain le Nigeria, et après?

Par Dominic Johnson Journaliste au Taz Chercheur senior à Pole Institute

Il n'y a plus une seule semaine sans qu'une nouvelle atrocité attribuée aux extrémistes islamistes ne soit rapportée de l'Afrique: rien que la semaine passée (du 23 au 29 juin 2014), un attentat à la bombe a fait 21 morts dans un centre commercial de la capitale nigériane, Abuja, tandis que de nouvelles attaques sur la côté kenyane faisaient des victimes après les tueries qui avaient fait 60 morts dans la ville de Mpeketoni une semaine avant. Les guerres contre les Shebab en Somalie, BokoHaram au Nigeria et la nébuleuse islamiste du Mali jusqu’à la Libye dominent la politique africaine.

L'Afrique vit une ère de la terreur, semblable à celle qui a secoué l'Europe il y a 10 ans avec les attentats de Madrid et de Londres et les effets-contagions de la guerre en Irak. Pendant ce temps, le discours dominant sur l'Afrique est tout autre: on parle depuis quelques

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années de l’Afrique émergente, « Africa Rising », qui serait sur le point enfin de trouver les recettes d’une croissance élevée, de faire reculer la pauvreté et la misère, de faire émerger une classe moyenne susceptible de porter des changements de société et de politique.

Pour les investisseurs du monde, l'Afrique représente la dernière région sous-exploitée du monde, une région frontière encore à découvrir. Les symposiums et conférences internationales sur la croissance en Afrique sont presque aussi fréquents et réguliers que les attentats de BokoHaram et des Shebab. Pour la communauté internationale, cela représente un défi. L'irruption de nouvelles formes d'insécurité tombe au mauvais moment, justement quand l'Afrique avait commencé de changer d'image sur le plan international. Maintenant les stratèges de l'Afrique doivent encore repenser la croissance du PIB – Produit Intérieur Brut – comme croissance d'un autre PIB – Problème International Brutal. Est-ce que c'est une contradiction ou même une opposition? Est-ce qu'une Afrique émergente est peut-être simplement un leurre? Est-ce que la vague de militantisme islamiste est peut-être une réaction contre cet essor? Non.

L'essor économique et l'essor terroriste ont un point fondamental en commun: ils sont tous les deux l'œuvre d'acteurs privés qui se moquent de leurs gouvernements ou n'ont plus confiance dans leurs États. Ils montrent tous les deux les limites du pouvoir et de l'autorité de l'État - les acteurs économiques en cassant le monopole étatique du développement, les acteurs terroristes en cassant le monopole étatique de la violence. Jamais dans leur histoire les états post-coloniaux de l'Afrique n’ont été autant sur la défensive qu'aujourd'hui, dépassés de tous bords par des individus et acteurs mieux équipés et mieux organisés. Pour l'Africain moyen, une entreprise africaine qui s'impose dans le marché mondial est beaucoup plus attrayant que la fonction publique. Un poste dans une telle entreprise offre en général de bons salaires payés régulièrement, des avantages sociaux, des possibilités de crédit bancaire et de voyages internationaux, un statut social élevé et envié et le sens d'appartenir à l'avant-garde de la mondialisation

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transfrontalière – tout le contraire d'un poste de l'État. Cela représente un défi énorme pour la prétention des gouvernements de vouloir guider et orienter le développement économique de leurs pays.

Bien sûr, bon nombre d'activités dites économiques sont aussi l'œuvre de politiciens et/ou d'acteurs étatiques qui utilisent leur pouvoir pour gagner de l'argent, pour accaparer des marchés et pour supprimer des concurrents. Mais c'est justement cette tendance de plus en plus visible de faire du pouvoir politique un business qui sape encore plus l'autorité et la légitimité du pouvoir politique. Si ce pouvoir ne sert que des intérêts privés, il se met sur le même niveau que les intérêts particuliers du secteur privé et ne peut plus s'arroger le monopole du droit.

Les groupes islamistes et toute la nébuleuse de bandes armées qui ont surgi autour d'eux offrent une attraction d'une autre sorte: une sorte de clarté morale, une idéologie et une identité qui s'érigent en contre-identité à l'identité nationale et qui donnent un sens à la révolte de certains marginalisés, surtout ceux sans réussite dans le système éducatif. Comme l'entreprise privée, ces groupes offrent aussi des possibilités de gagner de l'argent, de voyager, de rencontrer des gens d'autres pays et de se sentir membre d'une communauté globale.

Avant que tout ça n'apparaisse trop comme éloge des groupes armés et du business global, il faut souligner que ces deux phénomènes ne profitent en général qu'à de petites minorités au sein de la population. Ce n’est pas tout le monde qui a un bon poste dans une banque africaine ou dans une grande entreprise privée, et c'est encore moins tout le monde qui se joint aux islamistes. Par contre, la majorité écrasante des populations est constituée de laissés-pour-compte et en subit les effets. L'économie privatisée qui réussit sur le plan global travaille en Afrique selon le principe de l'exclusion: on construit des îlots de prospérité et parfois on fait des activités qui nuisent à la société, et en général les besoins des entreprises priment sur ceux des citoyens quand il s'agit de prioriser l'action publique. Le terrorisme islamiste, par sa nature, s'impose en faisant mal aux autres et en répandant la violence et la peur. Tout ça déstabilise les

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sociétés dans leur profondeur – parce que les États, fragilisés et affaiblis, sont incapables de protéger leurs citoyens.

Un phénomène des plus répandus et aussi des plus méconnus en Afrique aujourd'hui est la prolifération de mouvements citoyens contre les mauvaises conditions de vie. Cela peut se diriger contre le manque d'électricité un jour et contre le manque de sécurité l'autre, contre le manque d'hygiène dans les villes aussi bien que contre l'accaparement des terres dans les zones rurales. Chaque fois, il s'agit de dénoncer de mauvaises conditions de vie et de revendiquer une vie vivable. BokoHaram qui enlève des enfants et les autorités qui ne garantissent pas le courant électrique sont les deux faces d'une même médaille: les forces qui empêchent une vie digne. C'est tout cela qu'il faut comprendre avant de prôner des stratégies d'intervention et de lutte contre l'extrémisme islamiste en Afrique.

Parlons maintenant des stratégies d'intervention. En général, les interventions militaires des puissances non-africaines en Afrique sont de trois types: i) soutien militaire à un État contre une agression ou une attaque extérieure; ii) soutien militaire à un État contre une contestation ou une rébellion intérieure; iii) soutien militaire à un processus politique visant à imposer une solution négociée à un conflit armé. Pour le premier cas, en nous limitant aux interventions non-africaines, citons le Cuba qui est venu en aide à l'Angola fraîchement indépendante contre l'Afrique du Sud après 1975. Pour le deuxième cas, citons l'appui britannique pour le gouvernement de la Sierra Leone contre les rebelles RUF ou l'appui français au gouvernement élu de la Côte d'Ivoire contre le pouvoir sortant de Laurent Gbagbo. Pour le troisième, citons la majorité des interventions onusiennes dans des processus de paix.

Les interventions contre les islamistes relèvent de la 2ème catégorie – soutien militaire à un État contre une contestation ou une rébellion intérieure. Au Mali aussi bien qu'en Somalie, les armées étrangères sont venues à la rescousse du pouvoir reconnu internationalement contre une rébellion islamiste armée en position de force et, au moins selon les analyses officielles, sur le point de prendre le pouvoir. Mais en même temps, dans ces cas pertinents, il y a un problème: le pouvoir reconnu internationalement ne l'est pas au sein du pays.

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Au Mali, avant l'intervention française de début 2013, le pouvoir à Bamako se caractérisait par une administration très faible, objet de contestation surtout des militaires putschistes du colonel Sanogo (2012) et sans une vraie autorité. En Somalie, l'intervention de la force africaine AMISOM pour soutenir le gouvernement de transition à Mogadiscio soutenait d'abord un régime dont le pouvoir réel s'arrêtait à quelques centaines de mètres devant le palais présidentiel; la plus grande partie du pays restait et reste encore sous l'autorité de chefs de milices, chefs traditionnels, gouvernements autonomistes et sécessionnistes.

Donc les interventions militaires n'étaient pas seulement dirigées contre les islamistes, mais elles prenaient aussi parti pour une faction particulière du pouvoir politique contre d’autres. C'étaient donc des interventions à double tranchant. Et on a vu dans ces deux cas que parallèlement aux efforts militaires contre les islamistes il fallait mener des efforts politiques pour la stabilisation des pouvoirs politiques. Pour cela il fallait inventer des processus politiques mais aussi, et surtout, renforcer le pouvoir politique bénéficiant du soutien extérieur sur le plan militaire.

En Somalie, on a vu une série de „Conférences sur la Somalie“ visant à établir un système fédéral, à désigner un nouvel exécutif et à mener des réformes de fond, comme accompagnement politique d'un effort massif de formation militaire pour bâtir une armée somalienne qui n'existait pas encore.

Le programme européen de formation EUTM-Somalie, qui vient cette année de déplacer son programme de formation de Bihanga (Uganda) à Mogadiscio, est le volet le plus visible de cet effort. Pendant que les Européens construisent une armée somalienne, les Africains avec la force AMISOM continuent de se substituer à cette même armée en faisant la guerre aux Shebab – une guerre très couteuse y compris sur le plan humain, avec des morts par centaines parmi les troupes d'intervention. Le nouveau gouvernement central est progressivement renforcé sur le plan militaire sans que ce renforcement soit conditionné à des progrès politiques réels. Les engagements pris lors des Conférences sur la Somalie peuvent être reniés à tout moment dès que le pouvoir se sent suffisamment fort

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pour s'affranchir du soutien international – un phénomène que nous connaissons ici en RDC.

Au Mali, on a vu les élections de 2013 permettant l’élection d’un président et la mise en place d’un gouvernement , et aussi un processus de dialogue politique au moins sur le papier avec les forces touarègues du Nord – plus précisément, avec une partie de ces forces, comme accompagnement politique d'un effort massif de formation militaire pour bâtir une armée malienne qui, elle, existait bien avant mais était minée par des divisions. L’effet que le programme européen de formation EUTM-Mali aura sur les divisions et rivalités internes parmi les officiers et unités des forces armées du Mali n’est pas du tout clair. Pendant cet effort dont l'effet est douteux, les Français et les Africains continuent à faire la guerre aux islamistes. Mais cette guerre ne marche pas ; les rebelles touarègues viennent de reprendre pied en prenant le contrôle de la ville de Kidal ; le processus politique est au point mort tandis que le président IBK s'enfonce dans une série de scandales. IBK a aussi pensé pouvoir s'affranchir des forces d'intervention étrangères après son élection, et dans cette ligne il avait le soutien des anciens putschistes de 2012 et leurs relais nationalistes. Mais cela reviendrait à replonger le Mali dans la même crise politique qu'avant, sinon pire.

Le cas brûlant actuel est celui du Nigeria où l'insurrection armée de BokoHaram a rendu ingouvernables de vastes étendues du territoire. Encore plus que dans les cas de la Somalie et du Mali, au Nigeria l'islamisme militant est fortement enraciné dans le paysage politique, s'il n'est même pas une émanation des rivalités politiques. Il est connu que depuis 2009, quand une action meurtrière des forces de sécurité a chassé BokoHaram de son fief de Maiduguri, une ville de plus d'un million d'habitants dans le Nord-Est du Nigeria au carrefour des chemins de commerce transsahéliens, le gouverneur de l'Etat de Borno à l'époque utilisait BokoHaram pour essayer de se faire réélire en 2011. Sans succès d'ailleurs parce qu'il a été évincé par son parti avant même l'élection, et que depuis, BokoHaram a réussi à établir un réseau de sanctuaires et de bases militaires imprenables dans les montagnes et forêts vers la frontière du Cameroun. Des généraux de l'armée nigériane sont soupçonnés d'avoir alimenté BokoHaram en

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armes, et il est remarquable que les attaques imputées à BokoHaram dans les villages sont le plus souvent le fait d'hommes armés non autrement identifiés, en tenue militaire, utilisant les motos et camions de l'armée. Leur seule identification est le cri d“Allahu Akbar“, dont on pense qu'ils pourraient facilement se passer et qui, d'ailleurs, peut être crié par n'importe qui. BokoHaram est censé être mieux organisé et équipé aujourd'hui que les unités de l'armée nigériane dans le Nord-Est du Nigeria. Il comprend des combattants locaux tandis que l'armée envoie au front des recrues du sud du pays qui ne connaissent pas le terrain et ne parlent aucune langue locale. Le plus efficace contre BokoHaram n'est pas l'armée mais les milices locales d'auto-défense, elles aussi – tout comme BokoHaram – financées et alimentées par des intérêts locaux. Il s'agit donc d'une guerre civile classique avec l'État comme spectateur impuissant. Dans le contexte des élections de février 2015 qui s'annoncent les plus difficiles depuis le rétablissement du multipartisme en 1999 et où tout le monde est déjà en train de battre le rappel des troupes, de se constituer des caisses électorales et des milices de tout genre pour peser sur la campagne électorale, tout cela est de très mauvais augures.

Mais quelle est la stratégie internationale dans ce contexte? Contrairement à la Somalie et au Mali, personne ne songe à une intervention militaire extérieure, étant donné que le Nigeria dispose d'un État avec un appareil militaire performant. Mais donc encore plus qu'en Somalie et au Mali, la stratégie est de renforcer un État faible et discrédité pour en faire le fer de lance de la reconquête des territoires perdus. La communauté internationale investit massivement dans l'aide militaire au Nigeria tout en sachant que les frontières entre armée et BokoHaram sont poreuses. Elle a mis sur pied une coalition régionale avec le Tchad et le Cameroun comme partenaires du Nigeria, mais ces trois pays ne s'aiment pas et n'ont aucune expérience de collaboration militaire. Une stratégie semblable est en train de se mettre sur pied au Kenya, pays qui est de plus en plus déstabilisé par les attaques des Shebab somaliens. Mais là, la crainte grandit que le pouvoir et l'opposition politique pourraient utiliser l'insécurité grandissante à des fins politiciennes pour rallumer la guerre civile en veilleuse qui avait déjà secoué le

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pays en 2008. On pourrait analyser les cas de la Centrafrique et de la traque des LRA ougandais comme d'autres illustrations de l'échec de la stratégie internationale d'intervention contre les groupes armés en général, mais cet exposé se limite au cas des islamistes.

Pour conclure :

- L'islamisme prend son essor dans un contexte de fragilisation des États qui ne sont plus un modèle de progrès dans leurs pays.

- La communauté internationale, pour combattre les islamistes, mise d'abord sur le renforcement de ces États alors qu'ils constituent le maillon faible.

- Ceci conduit à exacerber des conflits locaux car les États nouvellement renforcés utilisent leur pouvoir aussi contre d'autres concurrents. Les islamistes peuvent se retrouver marginalisés mais en échange d'une instabilité plus générale.

Au lieu de simplement dénoncer cette stratégie comme erronée, il faut comprendre l'idée derrière. La grande crainte des stratèges européens et américains est de voir basculer un pays africain en „Afghanistan de l'Afrique“, avec des amis d'Al-Qaida au pouvoir. C'était le mobile derrière les interventions massives en Somalie et au Mali. La petite crainte est de voir des amis d'Al-Qaida ne pas prendre le pouvoir mais prendre le contrôle des territoires comme zones de non-droit transfrontaliers, comme pourraient le faire les islamistes du Sahel, comme pourraient le faire BokoHaram et les Shebab. Un cas d'école ici, qui donne à méditer pour ce qui pourrait se passer avec d'autres groupes, est le LRA ougandais qui a réussi avec quelques centaines de combattants à mettre à feu et à sang des zones entières de la RDC, du Sud-Soudan, de la Centrafrique. Une force régionale des armées de ces trois pays et de l'Ouganda avec appui de la Monusco et de forces spéciales des Etats-Unis est à pied d’œuvre pour traquer le LRA et spécialement son leader Joseph Kony, recherché pour crimes contre l'humanité par la CPI. Mais cette traque a échoué. Pour deux raisons:

Un: Les armées des 4 pays africains concernés ont toutes d'autres priorités plus urgentes – la RDC avait retiré ses troupes pour

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combattre le M23, le Sud-Soudan et le Centrafrique ont préféré faire la guerre civile, l'Ouganda est venu à la rescousse du pouvoir sud-soudanais.

Deux: Tout le monde sait que Joseph Kony se trouve non pas dans la zone d'opérations de la force régionale mais au Soudan, dans l'enclave de Katia Kingi dans le triangle Soudan-Sud-Soudan-Centrafrique. Il y a été localisé et il y bénéficie de la protection du Soudan. Comme le Soudan ne fait pas partie de la force régionale, cette dernière n'est pas autorisée à y pénétrer; comme son président lui aussi est recherché pour crimes contre l'humanité par la CPI, les Etats-Unis ne collaborent pas avec lui et l'Union Africaine le défend et ne veut pas l'affaiblir.

Donc les forces régionales préfèrent chercher Joseph Kony ailleurs tout en sachant qu'il n'est pas là, tout en dépensant des sommes colossales avoisinant 100 millions de dollars américains par an. Attendons voir si les leaders de BokoHaram et des Shebab vont s'inspirer de cet exemple.

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Les forces externes en Afrique, une histoire ancienne.

Par AloysTegera Directeur de la Recherche Pole Institute

La traite des esclaves : une catastrophe pour l’Afrique.

L’histoire se passe en 1441. Un jeune capitaine portugais, AntamGoncalvez, à la tête de 9 hommes armés attaque un village de la côte ouest africaine (pas loin de l’actuelle Mauritanie), tuent 7 hommes et emprisonnent 10 autres. Les captifs sont acheminés au Portugal et offerts au Prince Henri le Navigateur. Un des captifs parvint à apprendre le portugais et promit au Prince Henri le Navigateur que s’il était libéré et retournait en Afrique, sa communauté lui livrerait en retour 5 à 6 esclaves. Dans sa magnanimité, Henri ordonna son capitaine AntamGoncalvez de ramener 3 des captifs en Afrique. De retour au Portugal, il amena avec lui 10 esclaves, les œufs d’Autriche et les pipettes d’or. Le prince Henri comprit l’intérêt que pouvait représenter la côte ouest africaine. Trois ans plus tard, six navires caravelles commandés par Lancarote accostent à Lagos et au retour au Portugal, ils amènent avec eux 230 esclaves. La traite des esclaves devenait le commerce le plus important et le plus rentable des Portugais et d’autres Européens.

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Faire d’un non- chrétien un esclave était somme toute un acte normal et légalement reconnu par le pape Nicolas V dans sa bulle « Romanuspontifex » du 8 janvier 1455. Cependant, dans sa bulle, le pape Nicolas V avait pris la précautiond’interdire auPortugal la vented’armes à feu aux ennemis de la foi.3

Ce besoin d’une main-d’œuvre moins chère arrachée de force en Afrique était une réponse à une autre crise, voire une catastrophe.

La peste noire (Black death) qui avait sévi en Europe entre 1347 et 1351 avait tué un tiers de la main-d’œuvre agricole en Europe, créant une forte demande d’esclaves dans le sud de l’Europe et la Méditerranée où les croisades musulmanes avaient introduit la culture de la canne à sucre.

Cette importation de la main-d’œuvre bon marché en Afrique avait été rendu possible par une passion devenue une obsession du prince Henri le Navigateur de maîtriser l’Océan Atlantique par les navires à la hauteur du défi. Sa réussite technologique lui ouvrit les côtes africaines, que le Portugal domina du 14èmejusqu’à la moitié du 17èmesiècle avant d’être évincé par les Hollandais en 1650 et finalement par les Britannique au 19ème siècle.

3READER, John, Africa, A biography of the continent, Hmish Hamilton Ltd, London, 1997 et Vintage Books, New York, 1998.

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Entre 1451 et 1870, 9 millions d’Africains ont été faits esclaves et exportés aux Amériques : 42% aux Caraïbes, 38 % au Brésil et 5% aux Etats-Unis ; 10 à 20% d’entre eux sont morts pendant la traversée de l’Atlantique. 4 Les historiens qui ont travaillé sur les sources d’approvisionnement d’esclaves en Afrique estiment à 13 millions le nombre d’esclaves arrachés à l’Afrique pour les Amériques.

L’ironie de la traite des esclaves, c’est qu’une Afrique à l’époque sous-peuplée a exporté ses fils et ses filles contre les produits (chevaux, fusils, produits manufacturés) destinés à renforcer le pouvoir d’une élite locale. 5 Aujourd’hui, les contrats léonins de plusieurs élites africaines à la tête de leur pays perpétuent malheureusement cette ironie, plusieurs siècles plus tard.

Innovations agricoles.

Lors de ces conquêtes brutales de nouveaux espaces géographiques, certaines innovations agricoles ont été introduites. Au 16èmesiècle, les navires portugais transportant les esclaves au Brésil ont ramené en Afrique le maïs et le manioc pour constituer des réserves de nourriture moins chères et faciles à stocker pendant la traversée de l’Atlantique. Deux siècles plus tard, les deux produits avaient contribué à booster l’économie rurale en Afrique.

Avec la tendance actuelle des interventions externes, le gros du budget finance le transport des véhicules et autres engins que les pays intervenants louent à la mission, une autre grande portion couvrant les salaires des agents commis à la mission. Les retombées de la manne dans l’économie locale sont maigres, à part la location immobilière dont profitent quelques individus. Certains pays africains ont compris les avantages que de telles missions peuvent offrir et le business semble avoir un avenir prometteur.

4CURTIN, Phili D., The Atlantic Slave Trade : a census, Madison, University of Wisconsin Press, 1969 ; LOVEJOY, Paul E., « The impact of the Atlantic slave trade on Africa : a review of the literature », in Journal of African History, vol, 30, pp 365 – 394, 1989. 5ILIFFE, John., Africans. The history of a continent, Cambridge University Press, Second Edition, 2007.

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L’hygiène à l’épreuve.

Ces forces externes à la conquête de nouveaux espaces ont aussi parfois amené avec elles la désolation. En 1889, la peste bovine a été introduite en Afrique par les troupes italiennes qui occupent à l’époque Massawa, un port d’Ethiopie. Pour leur approvisionnement, elles avaient amené du bétail de l’Inde, d’Aden et du sud de la Russie, une région de steppe réputée comme un réservoir de la peste bovine. Le bétail local en Afrique fut contaminé et décimé à 95%. L’élevage qui jusqu’alors constituait la richesse des Africains pasteurs et le socle de leur organisation socio-politique était par terre. La famine, l’errance, la destruction du tissu social firent de l’Afrique une terre de désolation. Selon le témoignage d’Oscar Baumann en 1891, deux tiers de la population Massaï furent décimés. Mais le malheur des uns fait le bonheur des autres, dit-on. Le capitaine FredericLugard nommé pour établir la colonie britannique en Afrique de l’Est trouva dans la catastrophe causée par la peste bovine une brèche facilitant la conquête et la soumission de la région. Il dit : « En quelque sorte, la peste bovine a favorisé notre entreprise. La fierté de redoutables et puissantes populations pasteures est diminuée et notre progression est facilitée par cette terrible maladie ». 6 Une observation partagée par le gouverneur allemand TheodorvonLeutwein chez les Herero de Namibie.

Le contrôle des ressources.

Les ressources conquises sont à la base de conflits violents entre forces externes sur la terre africaine. Le contrôle des mines d’or du Transval (Witwatersrand) découvertes en 1885 opposa les Anglais et les Boers d’origine hollandaise entre 1899 et 1902. Les Anglais mobilisèrent près d’un demi-million de soldats (448.000) dont 22.000 furent tués et les Boers de leur côté, mobilisèrent 88.000 dont 7.000 furent tués. Les Boers, vaincus, entreprirent une guérilla à laquelle les Anglais ripostèrent en organisant des camps de concentration dans lesquels plus de 27.927 Boers périrent des mauvaises conditions de vie.

6READER, J., op.cit. pp 591 54

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Ces combats atroces entre Anglais et Boers sur le sol africain rappellent un autre contexte plus récent, quand les forces ougandaises et rwandaises se sont affrontées dans la ville congolaise de Kisangani en 2002, faisant des morts parmi les civils pris en étau.

Au cœur de la sécession du Katanga en 1960 dans laquelle 180 casques bleus furent tués et 190 autres blessés, il y avait une volonté à l’origine belge et aujourd’hui revendiquée par les Katagais de garder pour eux- mêmes les richesses minières de cette province.

Ces velléités sécessionnistes rebondissent à chaque fois qu’une occasion propice s’offre et attirent toujours des interventions externes. Dans les années 1970 Français et Marocains sont intervenus pour secourir l’armée de Mobutu face aux attaques des gendarmes katangais. Récemment, les Bakata-Katanga (« ceux qui veulent détacher le Katanga ») ont investi la ville de Lubumbashi sans coup férir, avant de se rendre à une force externe présente sur les lieux, la Monusco, qui les a par la suite amenés à Kinshasa.

L’impact colonial.

La colonisation de l’Afrique s’est dans l’ensemble faiteavec une féroce brutalité et elle était motivée par l’instabilité économique que connaît l’Europe vers la fin du 19èmesiècle. En effet, l’industrie britannique était en déclin, mais les industries française et allemande connaissent une croissance. La compétition des produits manufacturés entre Européens les poussa à protéger leurs marchés respectifs et leurs sources des produits bruts africains. Les mesures de protection des tarifs sont introduites en France (1881), en Allemagne (1879), et au Portugal (1880). Cette compétition économique entre puissances européennes se traduit en Afrique par des disputes territoriales auxquelles la conférence de Berlin de 1885 mit fin en traçant des lignes droites sur une carte africaine dont les régions intérieures ne sont pas connues. Le sort de 190 groupes culturels africains était scellé en leur absence et sans que personne ne les ait consultés.

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Résistance et rébellions.

La résistance des Africains fut farouche mais vaine. Les armes à feu utilisées par les forces européennes firent la différence. L’émir de Sokoto capitulavite face à l’armée britannique, ce qui fit du Nord Nigeria le premier laboratoire de l’ « Indirect Rule », un mode de gestion territoriale que les Britanniques allaient étendre sur d’autres colonies et qui inspira certaines puissances européennes. Le fondateur de l’empire Mandingue, Samori Touré, a affronté les Français pendant 8 ans avant de capituler. Le chef Ndebele Lobengula opposa aux Britanniques une résistance farouche et préféra s’exiler et mourir dans la solitude plutôt qu’être capturé. Les Baoulé combattirent les Français village par village jusqu’en 1911. Les Igbo du Nigeria combattirent les Britanniques jusqu’en 1920, et les Dinka du Sud-Soudan jusqu’en 1927.

L’ampleur de ces résistances africaines et leurs conséquences humaines peuvent se décrypter dans les collines de Matumbi à 200 km au sud de l’actuel Dar-es-Salaam. La région avait été choisie pour les plantations de coton de l’industrie textile allemande. La mobilisation de la main-d’œuvre gratuite pour les champs de la colonie provoqua un soulèvement de la population.

Un prophète local, Kinjikitile Ngwale, vivant dans le village de Ngarambe, et reputé pour ses pouvoirs spirituels, mobilisa la population sous le message : « Unissez-vous et chassez les Allemands ». Pour leur protection, Kinjikitile leur distribua de l’eau magique censée les protéger contre les balles allemandes.

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La rébellion MajiMaji compensant les faiblesses des troupes par la magie tire ses origines dans les collines de Matumbi en 1905.

La population s’attaqua aux plantes de coton, tua 15 soldats allemands et 389 africains attachés aux forces allemandes. L’eau magique ne parvint pas finalement à protéger les rebelles qui furent tués par les balles allemandes sans reculer ni fuir etle gouverneur von Götzen décida d’affamer les plus intransigeants en détruisant tous les champs agricoles. Les sources allemandes parlent de 75.000 morts, mais les témoignages et les données collectées en 1960 estiment entre 250.000 et 300.000 le nombre des morts.7

D’autres répressions post-indépendance ne sont pas moins meurtrières. Dans le pré-carré français de Jacques Foccart, la répression des Bamileke est estimée à 20.000 morts et son intervention dans la guerre de Biafra causa 2 millions de morts.

Comment inverser la tendance ?

Le choix d’hommes forts et non pas d’institutions fortes par les Africains se solde par un échec cuisant plus de 50 ans après l’indépendance. L’exemple le plus frappant c’est le Zaïre de Mobutu qui avait juré de laisser derrière lui un déluge. Sa prophétie se révéla juste. La crise congolaise depuis les années 1990 jusqu’aujourd’hui a fait plusieurs millions de morts suite aux guerres à répétition dans lesquelles plusieurs pays africains se sont affrontés sur le sol

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congolais, entraînant la plus grande mission onusienne de maintien de la paix, la MONUC, devenue par la suite la MONUSCO, renforcée par une Brigade Internationale offensive toujours à l’œuvre.

L’absence de l’Etat dans plusieurs secteurs de la vie nationale, couplée avec l’incapacité de voir une élite politique congolaise à la hauteur des défis, font de la RDC un malade assisté à la bombonne d’oxygène et dont on ne sait quand il pourra s’en remettre.

En conclusion, la percée technologique dans deux domaines, la construction navale et les armes à feu, ont ouvert les possibilités de conquête de nouveaux espaces géographiques en Afrique. Les ressources identifiées, d’abord humaines, puis l’or, l’ivoire, la terre, les mines et le pétrole dans les zones conquises ont offert aux conquérants de nouveaux marchés commerciaux. La maîtrise des zones conquises a toujours été rendue possible par les forces armées. La tendance des Etats africains, une fois l’indépendance acquise, de promouvoir l’émergence des hommes forts au lieu d’ériger des institutions fortes fragilise le continent et retarde son décollage économique.

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Intervention de l’AMISOM en Somalie: premiers succès et inévitable impasse

Par Abdirashid Hashi, Directeur adjoint de Heritage Institute for Policy Studies (HIPS) -Mogadiscio

Je tiens à exprimer ma gratitude à l'organisateurde cet événement -Pole Institute – pour m'avoir invité àpartager mon expérience et mon analyse de la situation en Somalie, dans le contextede l’intervention extérieure et des interventions militaires internationales en particulier. C'est un sujet de discussion très pertinent du fait que de nombreux Etats africains post-conflit ont connu le même sort. Avec un groupe aussi diversifié que les participants à cette importante rencontre, nous espérons améliorer notre compréhension collective de ce qui fait souffrir notre continent. Notre présence ici aujourd'hui montre aussi, entre autres, nos engagements collectifs à la recherche de la paix dans cette partie du monde.

Le sujet que je vais développer concerne le rôle des acteurs externes en Somalie, en portant une attention particulière sur le rôle de l'AMISOM- la Mission de maintien de la paix de l'Union africaine et celui des pays de la sous-région.

Contexte: l'effondrementde la Somalie

L'État somalien, l'un des états les plus prometteurs de l'Afrique dans les années 1960 et 70, s'est effondré en 1991. Deux décennies de dictature – de 1969 à 1991 - ont fait place à plus de vingt ans de troubles et d'instabilité. En 1991, un tiers de la Somalie - connu sous le nom de Somaliland (dans la partie nord du pays) - a déclaré sa sécession du reste du pays. En 1992-1993 les États-Unis et l'ONU sont intervenus en Somalie à cause de la famine consécutive aux seigneurs de la guerre. Cette intervention s'est terminée par un échec colossal

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en 1993 avec l’ignoble incident de Black Hawk Down où vingt militaires américains et près de deux mille Somalien sont été tués. S’en sont suivies sept années de désintégration supplémentaire, caractérisées par le « seigneur- de-guerrisme », l'émergence d'enclaves claniques et des conférences de réconciliation infructueuses tenues dans la régionsous les auspices de l'IGAD et de l'Ethiopie.

L’instabilité prolongée dans n'importe quel pays comporte un potentiel de débordements pour ses voisins. L'effondrement de l'Etat somalien avait donc le potentiel d'affecter négativement à la fois la paix régionale et la sécurité internationale. Le fait que la Somalie était devenue une base pour Al-Qaïda et une plaque tournante des pirates prédateurs démontre que tel était le cas. En raison de l'intervention coûteuse et inutile des États-Unis et de l'ONU, l’Occident en général a abandonné la Somalie à son triste sort, le sentiment commun étant que les Somalien savaient mordu la main qui était venue pour les nourrir.

En bref, l'Occident a abandonné la Somalie et le pays est devenu le terrain de jeuex clusif de ses voisins, en particulier de l'Ethiopie qui est devenue, à partir de 1991, l'acteur le plus important dans les affaires somaliennes.

Le contexte régional-l'Ethiopie et le Kenya

Il est très difficile de comprendre l'état actuel de la Somalie ainsi que ses perspectives d'avenir, sans prendre en comptele contexte régional, en particulier les relations de la Somalie avec ses voisins immédiats. Pendant des siècles, l'Ethiopie et la Somalie ont eu des relations mal saines et dans un passé récent, les deux pays se sont livrés deux guerres sanglantes en 1964 et 1977. De même, les rebelles qui, en 1990 ont été le fer de lance de l'effondrement de l'Etat somalien avaient leur base en Ethiopie. Les groupes rebelles éthiopiens et érythréens dirigés par Meles Zenawi et Afawerki qui a également détrôné le colonel Mengistu Haïlé Mariam d'Ethiopie ont également été hébergés, financés et armés par le gouvernement somalien du feu dictateur Mohamed Siad Barre. Les deux groupes rebelles-combattants somaliens et éthiopiens - ont réussi à déposer

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les dictateurs respectifs à Addis et à Mogadiscio, mais en 1991, la Somalie s’est enfoncée dans une guerre civile catastrophi que tandis que la communauté internationale, en particulier le gouvernement américain, aidait l'Ethiopie à se stabiliser. Deux ans plus tard, l'Ethiopie était sur le chemin d’une relative stabilité et de la reprise économique.

Le Premier Ministre Meles : l'arbitre

Depuis que la communauté internationale a abandonné la Somalie (ou depuis que la Somalie est devenue trop toxique pour l'Occident), à partir du milieu des années 1990 jusqu'en 2012, l'Éthiopie dirigée par feu le Premier Ministre Meles Zenawia émergé comme l'arbitre le plus important dans les affaires somaliennes. Utilisant sa connaissance de la Somalie(car il a étudié à l'université nationale de Mogadiscio et a passé du temps là-bas comme un commandant rebelle) et en se servant du nomde son pays et de celui de l'organisme régional IGAD, le Premier Ministre Meles devient l'interlocuteur le plus important de tout en Somalie - l'organisation des conférences de réconciliation pour les seigneurs de guerre, l'armement des chefs de guerre rivaux, les attaques contre des groupes islamistes et la médiation entre les politiciens qui se chamaillent et se disputent des enclaves tribales.

Affaiblir et diviser la Somalie : l'option souhaitée Addis-Abeba a cruqu’un État faible en Somalie signifiait une sécurité à long terme pour l'Ethiopie ; en 1964 et en 1977 la Somalie et l'Ethiopie s’étaient fait la guerre pourun territoire somalien habité que les puissances coloniales avaient donnéà l'Ethiopie. Une méfiance similaire existait entre le Kenya et la Somalie. La partie Nord-Est du Kenya - une région somalienne habitée que la Grande-Bretagne a remise au Kenya en 1963 a été la source des conflits et des tensions frontalières entre les deux pays dans les années 1960. Même s'il n'y avait pas eu de combat majeur entre le Kenya et la Somalie et que les Accords d'Arusha de 1967 ont normalisé les relations, le Kenya, tout comme l’Ethiopie, a toujours été agacé par les revendications somaliennes sur certaines parties de son territoire. Pour faire face à ce problème stratégique et contenir la

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Somalie, le Kenya et l'Ethiopie ont signé un pacte de défense mutuelle en 1967 qu’ils ont renouvelé en 1979 et 1989 ; il est encore en vigueur à ce jour. L’intermède djiboutien et la naissance des gouvernements successifs de transition en Somalie En 2000, le président Ismaïl Omar Guelleh du voisin Djibouti, a convoqué une conférence de réconciliation nationale pour la Somalie à Arta. Djibouti est en grande partie habité par des ethnies somaliennes et entre 1960 et 1977, la Somalie a dirigé la libération de ce minuscule cité-État côtier du joug de la France. Une grande affinité existe donc entre les Somaliens et les Djiboutiens et les deux partiesse considèrent comme des frères. A la Conférence d'Arta, le Président Guelleh ainvité, non pas les seigneurs de guerre, mais les chefs traditionnels, des personnalités religieuses et la société civile. Le premier gouvernement national de transition (TNG) pour la Somalie qui en a émergé avait un large soutien parmi la population somalienne, mais il fut de courte durée, à cause des régimes des seigneurs de la guerre organisés par les Ethiopiens. Une coalitionde chefs de guerre soutenus par l'Ethiopie empêcha le Gouvernement national de transition d’émerger comme un gouvernement viable. En 2004, l'IGAD/Ethiopie facilita la conférence de Mbaghati au Kenya qui aboutit au remplacement du Gouvernement national de transition par un Gouvernement fédéral de transition dominé par des seigneurs de guerre sous la direction de feu le colonel Abdullahi Yusuf Ahmed. M.Yusufa été le premier officier militaire/ commandant rebelle à créer une milice clanique en 1978 et le premier à mettre en place une base en Ethiopie. La guerre totale de l'Ethiopie en Somalie

À la mi-2006, une coalition d'islamistes basés à Mogadiscio, connue comme l’Union des tribunaux islamiques, a défait les chefs de guerre financés par les États-Unis qui avaient servi comme un réseau de lutte contre le terrorisme pour le compte de la CIA dans la capitale somalienne. Ils menacèrent également le faible gouvernement du

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président Yusuf – qui, à l'époque, était basé à Baydhabo, près de la frontière éthiopienne. Sous prétexte que l'IGAD avait chargé l’Ethiopie de protéger le Gouvernement fédéral de transition (TFG), l'Ethiopie envahit la Somalie avec une force militaire totale. Elle écrasa les islamistes et reprit Mogadiscio. Mais, ce fut pour une courte durée et une résistance violentes’en suivit.

La Résistance

L'intervention éthiopienne suscita une indignation nationale et un mouvement de résistance fait d’islamistes, de nationalistes, de politiciens laïcs, des Somaliens de tous les clans, de la diaspora somaliennne ; AlShabaab émergea en force. L'Alliance de la Re-libération de la Somalie (ARS) établit sa base à Asmara, en Érythrée. En 2007, il était clair pour tous, en particulier pour l'Occident (qui avait soutenu l'incursion militaire éthiopienne) que la présence éthiopienne en Somalie était problématique, car de nombreux civils mouraient et le Gouvernement fédéral de transition qu’il était venu pour soutenir, était en train de perdre sa crédibilité. Un changement de cap était urgent, vu que l'intervention était en train de produire le contraire de l'effet recherché.

Nombre dejeunes Somaliens étaient en train de seradicaliser et l'idéologie d'Al-Qaïda prenaitracine, sous la forme d'Al Shabaab. Des étrangers, en particulier des musulmans de l'Occident, se joignaient à AlShabaab pour, à leur avis, libérer la Somalie musulmane d'un ennemi historique, l’Ethiopie.

L’accord de paixde Djibouti sous l’égide de l’ONU

Commela résistanceanti-Ethiopie augmentait, que la mort et la destruction s’intensifiaient et qu’Alshabaab devenait plus fort et de mieux en mieux organisé, un changement de plan était nécessaire. Le Premier Ministre somalien pro-éthiopien Ali Ghedi (2007) et le Président Yusuf (2008) subissaient des pressions d’Addis-Abeba pour qu’ils démissionnent. Les futurs dirigeants du TFG entamèrent des négociations avec l’ARS. En 2009, un accord de paix entre le mouvement de résistance dirigé par les Islamistes et le reste du gouvernement fédéral de transition parrainé par l'ONU est signé. Il

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consacre le retrait des troupes éthiopiennes de la Somalie et la mise en place d’un gouvernement d'union nationale dirigé par des islamistes à Mogadiscio. Cependant, le résultat inattendu de l'initiative de paix de l'ONU a été l'émergence d'AlShabaab allié à Al-Qaïda, si ce n'est pas Al-Qaïda en Afrique de l'Est.

Une sanglante insurrection d’Al Shabaab

AlShabaab, qui à cette époque était l’affilié d’Al-Qaïda, refusa de se joindre à l'accord de paix et commença une violente campagne contre le gouvernement d'union. Il réussit à s’emparer de la plupart des régions Sud et Centre de la Somalie, y compris 80% de la capitale, Mogadiscio. Pour réduire cette menace, la communauté internationale commença à renforcer son appui à l'AMISOM.

Une compétition totale entre AlShabaab et l'AMISOM pour le contrôle de la Somalie commença en 2009-10 et elle se pour suit jusqu'à maintenant, sept ans ans plus tard.

De quoi AlShabaab est-il le nom ?

À son apogée, AlShabaab dirigé par des Somaliens inspirés par Al-Qaïdaa attiré, enplus des milliers de jeunes combattants somaliens, des centaines de sympathisants d'Al-Qaïda étrangers. Dans ses rangs se retrouvaient un bon nombre de combattants somaliens avec un agenda national, mais avec un leadership ayant clairement un agenda djihadiste international.

Malgré des divisions internes et en dépit des contraintes imposées par la présence de l'AMISOM à partir de 2009, AlShabaab réussit à lancer des attaques terroristes en Ouganda et à Djibouti; il a également mené une insurrection puissante en Somalie, contrôlant la plupart des petites villes et des villages. Les deux dernières années, il a réussi à monter des raids audacieux dans les bureaux du président somalien, dans les locaux du pouvoir judiciaire, de l'ONU et du Parlement. Il encercle également la plupart des grands centres urbains contrôlés ou protégés par l'AMISOM. AlShabaaba également exporté la guerre au Kenya dans une tentative de faire peur aux touristes occidentaux et de détruire l'économie kenyane.

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AMISOM Comme AlShabaab devenait de plus en plus hardi, l'Occident (dont les citoyens sont apparus en grand nombre en Somalie se battant à ses côtés) et la région, notamment l'Ouganda, l'Ethiopie et le Kenya ont conclu qu’il constituait une grave menace à la paix internationale et à la sécurité régionale. L'AMISOM, qui en 2007 a commencé comme un petit contingent avec un mandat limité de 6 mois, fut transformé en 2014 en une mission d'imposition de la paix forte de 22000 hommes. Actuellement, l'AMISOM est composée de 6223 soldats ougandais, 5432 troupes du Burundi, 4395 soldats de l'Ethiopie, 3664 soldats du Kenya et 1000 et 850 troupes respectivement de Djibouti et de la Sierra Leone.

AMISOM – un examen plus attentif Le côté luisant

• AMISOMa écrasé la structure organisationnelle d'Al-Shabaab et a porté un coup majeur à la capacité de l'organisation à contrôler le territoire et d'agir en tant que gouvernement. AMISOM a effacé Al Shabaab de plus de 20 grands centres urbains et de ses sources de revenus.

• AMISOM fournit un soutien vital au gouvernement somalien et aux partenaires internationaux. Il leur permet d'opérer dans un environnement relativement tolérable. Avant l'AMISOM, la Somalie

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était un « no-go-zone », une zone où il ne fallait pas aller ; aujourd’hui elle est ouverte au public; 49 ambassadeur sont présenté leurs lettres de créance les 18 derniers mois. Des vols partent quotidiennement de Mogadiscio et Turkish Airlines en provenance d’Europe et d’Amérique du Nord est plein jusqu’en septembre - en raison du nombre des Somaliensde la diasporaqui reviennent.

• Pour la plupart, les forces (originales) de l'AMISOM sont considérées comme neutres dans le conflit. C'est le cas des Ougandais et des Burundais. Pendant des années, ils ont assuré la survie des gouvernements somaliens successifs.

L’autre face de l’AMISOM

• Le gouvernement somalien s'appuie fortement sur l'AMISOM pour ses dispositions de sécurité les plus basiques. Ceci empêche la construction de services de sécurité nationaux crédibles. AMISOM croit que si elle se retirait de Mogadiscio, Al Shabaabs’empareraitde la capitale en moins de 24 heures; AMISOM croit aussi que plus de 3000 combattants potentiels d'Al Shabaab ont infiltré la capitale etpourraient lancer une grave attaque terroriste à tout moment.

• D'autre part, le rôle des forces non-traditionnelles d’AMISOM est discutable. Le Kenya est intervenu unilatéralement et sans le consentement de la Somalie, de l'ONU ni de l’UA. Il a par la suite demandé une couverture internationale après avoir capturé Kismayo. Le Kenya est considéré comme confondant ses propres intérêts de sécurité nationale avec ceux de l'AMISOM.

• L'Ethiopie est similaire au Kenya. Comme un Etat de première ligne, il est considéré comme avançant ses propres intérêts de sécurité nationale, à l’intérieur de la rubrique plus large de l'AMISOM. L'Ethiopie a une histoire longue et mouvementée des interventions en Somalie.

• En outre, Al-Shabaab utilise la présence de l'Ethiopie et du Kenya en Somalie comme outil de recrutement

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• De nombreux Somaliens ordinaires considèrent les deux pays comme des intrus si pas carrément comme des envahisseurs et certainement pas comme des soldats de la paix.

• Un autre problème pour l'AMISOM est le manque de stratégie de sortie. Sans un plan clair pour transférer la sécurité aux forces de sécurité somaliennes, l'AMISOM va continuer à jouer le rôle des forces nationales somaliennes. Cette situation est problématique à la fois pour le gouvernement somalien, l'Union africaine, et les bailleurs de fonds parce qu’elle n’est pas durable.

La situation actuelle

AMISOM contrôle les grands centres urbains; AlShabaab erre dans les petites villes, les villages et la campagne qu’il contrôle; la politique clanique de la Somalie est plus trouble qu'elle n'a jamais été auparavant. La lassitude des donateurs est clairement visible (et d'autres points chauds plus stratégiques, de l'Ukraineau Sud-Soudan, de l'Irak à la Syrie font leur apparition et prennent la priorité). L’influence et les intérférences éthiopiennes et kényannes sont à leur apogée; le peuple somalien est très pessimiste à cause des querelles internes de leurs politiciens, AlShabaab est devenu plus en hardi et est en train d’essayer d’intensifier sa campagne de terreur plus minitieusement en Somalie et dans la région ; la «fin demandat» de l'actuel gouvernement fédéral en 2016 approche rapidement ; le vote promis – selon le principe une personne, une voix - n'est pas réalisable ; il n'y a pas d'accord convenu de la fin de la feuille de route de transition ; AMISOM sussure qu’il pourrait commencer à se désengager de Somalie dès 2016 et d’en sortir définitivement en 2020, mais il n’y a pas eu beaucoup d'efforts pour reconstruire l'armée nationale somalienne, condition sine qua nonde toute sortie de l'AMISOM.

Pour conclure, en 2010-2012, l'Ouganda et le Burundi, les deux pays « neutres », ont contribué à la stabilisation partielle de la Somalie. AMISOM a offert un peu de répit au gouvernement somalien. Le Kenya et l'Ethiopie ont rejoint la mêlée. Même sieux aussiont augmentéla pression sur AlShabaab, ils avaient leurs propres agendas; les pays voisins ont également créé d'énormes problèmes

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pour eux-mêmes (comme le Kenya qui connaît actuellement de sérieuses campagnes terroristes d’AlShabaab); Al-Shabaab se sert de la présence des troupes de ces pays comme un outil de recrutement. En d'autres termes, les objectifs à court terme du Kenya et de l'Éthiopiene consistent pas à la stabilisation à long terme de la Somalie.

AMISOM vient de totaliser 7 ans et la Somalie est loin d'être stabilisée. Au lieu de cela, l'impasse entre l'AMISOM, les voisins de la Somalie et AlShabaab ne fait que commencer.

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Pourquoi Musevenia-t-il envoyé l'UPDF au Soudan du Sud ?

Frederick Golooba-Mutebi Ecrivain et chercheur en politique et affaires publiques basé à Kampala et à Kigali.

Introduction et contexte

Le 15 décembre 2013, la violence a éclaté au Sud-Soudan entre deux parties en conflit, l'une soutenant l'ancien Vice-Président Riek Machar, l’autre, le gouvernement du Président Salva Kiir. Les tensions au sein du gouvernement du Sud-Soudan s’étaient de plus en plus exacerbées depuis un certain temps, suscitant des inquiétudes et des craintes d'une possible violence parmi les observateurs de l'évolution du pays depuis sa rupture d’avecle reste du Soudan deux ans auparavant. Toutefois, lorsque la violence a éclaté, nombreux ont été surpris, alors que la vitesse avec laquelle elle se répandait et son ampleur ont envoyé des ondes de choc dans toute la région et au-delà. Quelques jours plus tard, comme le reste du monde avait du mal à donner un sens à ce qui se passait, le président de l'Ouganda, Yoweri Museveni, a déployé des troupes des Forces de défense du peuple ougandais (UPDF), estimées à 45 000 au début, à l'intérieur du jeune pays.

Le public réagit, Museveni défend ses actions

Selon les rapports des médias, des sources au sein du gouvernement de l'Ouganda ont laissé entendre que sans la décision rapide de Museveni de déployer l'UPDF, le gouvernement Kiir se serait effondré en quelques jours, et que le bain de sangaurait été plus terrifiant. La faction pro-gouvernementale de l'Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) n’aurait jamais été capable d'empêcher Riek Macharet ses alliés de s’emparer du pouvoir.

Ironie du sort, et dans une évolution qui a laissé les observateurs intrigués, le gouvernement du Soudan, ennemi de longue date du gouvernement Museveni, est également venu à la rescousse du

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gouvernement assiégé de Salva Kiir. Quel intérêt commun les deux rivaux ont-ils d’aider à prévenir l’effondrement du gouvernement Kiir?

En Ouganda, les réactions du public à ce déploiement étaient généralement critiques, habitués pour la plupart au modus operandus maintenant bien établi que Museveni utilise quand il est amené à déployer l'UPDF à l'extérieur du pays dans la pour suite des intérêts nationaux tels que définis par la branche exécutive du gouvernement. C’est maintenant une pratique courante pour l'exécutif- dans ce cas-ci Museveni - de déployer des troupes et en suite obtenir l'approbation rétrospective du Parlement. C’était arrivé lorsque l'UPDF a été déployée en République démocratique du Congo dans les années 1990, quand elle a ensuite été déployée en Somalie dans le cadre de l'AMISOM, et depuis quelque temps au Sud-Soudan.

En expliquant sa décision à un public et un Parlement largements ceptiques et soupçonneux, le président Museveni a justifié l'intervention au motif que l'UPDF était allée au Sud-Soudan pour sauver les milliers d'Ougandais qui y vivaient et qui y travaillaient. Peu de temps après, la version a changé : l’UPDF était là à l'invitation du gouvernement du Sud-Soudan. Les critiques ont été prompts à condamner ce qui était pour eux une prise de parti claire par le gouvernement de l'Ouganda dans une lutte interne qui, comme certains l’ont affirmé, avait ses origines dans des problèmes qui ne pouvaient pas être résolus par la violence, surtout pas par la victoire d’une partie sur l'autre sur le champ de bataille. Parmi les principaux partisans de ce point de vue, l’universitaire de renom Mahmood Mamdani, pour qui la solution à la crise réside dans la capacité du gouvernement d’accepter d’intégrer la nécessité d’une démocratie interne au sein du Mouvement populaire de libération du Soudan et au sein du gouvernement, plus généralement, et l’urgence d’une réforme politique. Les points de vue de Mamdani, qu'il a mis en avant plutôt avec force lors de la retraite annuelle du Mouvement de résistance nationale de Museveni le 11 février2014, peuvent être débattus entre experts de la reconstruction d'après-guerre, mais ils reflètent une large opinion dans les milieux intellectuels de

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l'Ouganda, qui sont largement d’accord que l'Ouganda n’aurait pas dû être impliqué.

Quoi qu'il ensoit, une partie importante des forces que Museveni a envoyées dans le Sud-Soudan étaient membres du Groupe des Forces Spéciales commandé par son propre fils, le brigadier Muhoozi Kainerugaba. Cette fois, cependant, ils étaient sous le commandement du général de brigade Kayanja Muhanga, ancien commandant des forces ougandaises en Somalie. Selon la rumeur, le brigadier Muhanga avait reçu des instructions claires d’«aller casser Riek Machar ».

Comme à l'accoutumée, les critiques internes ont été superbement ignorées. En peu de temps, les nouvelles ont commencé à tomber selon lesquelles les troupes ougandaises étaient aux prises avec les forces de Riek Machar aux côtés de ce qui restait de l'Armée de libération des peuples du Soudan. Comme le temps passait, les analystes ont pris le temps de réfléchir sur les véritables raisons pour lesquelles le président Museveni avait envoyé l'UPDF dans le Sud-Soudan.

Alors, pourquoi l’a-t-il fait ?

Il y a plusieurs possibilités.

Les inquiétudes au sujet de l'influence ougandaise dans le Sud: il est très probable que, compte tenu de l'histoire du soutien mutuel à leurs insurgés respectifs, le président ougandais ait été motivé par le désir de s’assurer que le gouvernement du Soudan n’allait pas avoir une emprise dans le Sud, d’où il pourrait menacer la sécurité de l'Ouganda et d'autres intérêts. Des sources au sein du gouvernement ougandais ont laissé entendre en effet que si un gouvernement pro-Soudan émergeait dans le Sud, il pourrait ouvrir la porte à l'émergence d'une insurrection anti-Museveni plus puissante que l'Armée de Résistance du Seigneur que le gouvernement Bashir avait soutenue de nombreuses années et dont il est par fois soupçonné de continuer le soutien.

Les liens historiques avec le SPLM: les liens de Museveni avec la direction du SPLM datent des années 1970, lorsque lui et feu le Dr

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John Garang, qui avait été à la tête du Mouvement, étaient étudiants à l'Université de Dar es Salaam. Les liens tissés pendant ce temps firent des mouvements politiques que les deux hommes ont fondés plus tard des alliés naturels. A part l’amitié avec Garang, Museveni a soutenu le SPLM parprincipe. Il avait vu les Noirs du Sud Soudan lutter à l'époque de la guerre civile pour se libérer de la domination et du chauvinisme «arabes». Comme c’était une guerre de libération, il était tout naturel que Museveni, qui se perçoit lui-même comme faisant partie des révolutionnaires, la supporte. L'intervention de Museveni aurait donc été animée par le désir de préserver le SPLM et d'empêcher son effondrement et sa désintégration, parce qu’un tel résultat mettrait en péril l'existence même du nouveau pays à un moment où des leaders tels que lui prônent l'intégration régionale et la stabilité politique qui devrait en résulter.

Les développements ultérieurs dont l’obtention par le Soudan du Sud du statut d'observateur et des rôles spécifiques dans les processus visant à accélérer l'intégration entre les pays du Corridor Nord de la Communauté d'Afrique de l'Est fournissent des indicateurs des considérations plus larges qui sous-tendent les actions de Museveni et les calculs derrière elles. Pourle SPLM en général, même à la suite de la mort de Garang, Museveni est resté un allié engagé. Et ici, il est important de rappeler que Riek Machara eu une histoire mouvementée avec ou au seindu SPLM, et qu’une fois il l’aquitté et a rejoint le gouvernement de Khartoum, avant de rentrer au bercail. En conséquence, il a été considéré avec suspicion, non seulement au sein d'un large éventail de membres du SPLM, mais aussi par les hommes de Museveni. Compte tenu de l'histoire de Machar avec Khartoum et des rumeurs selon lesquelles il avait une fois fourni du matériel et de l'aide à l’Armée de Résistance du Seigneur, Museveni ne pouvait pas s'asseoir et le regarder prendre le pouvoir par un coup d'Etat pour, éventuellement, menacer la sécurité de l'Ouganda.

L'influence des grandes puissances : Il y a eu des rumeurs dans le passé, encore en circulation même actuellement, que certaines grandes puissances étaient derrière la tentative de Riek Machar de prendre le pouvoir. Si cela est vrai, en effet, en bloquant les visées de Machar sur le pouvoir, Museveni a saboté leurs machinations.

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Le commerce transfrontalier: Le commerce très important entre l'Ouganda et le Soudan du Sud aurait été un facteur important. Le pays est un marché d'exportation et de re-exportation pour les biens produits et échangés en Ouganda pour plusieurs millions de dollars américains. L'envoi de troupes ne servirait pas seulement à la protection de ce marché, il servirait également à garantir les moyens de subsistance de millions d'Ougandais, y compris les agriculteurs qui produisent la nourriture exportée vers le Soudan du Sud, les transporteurs qui l’acheminent là-bas, et les commerçants qui l’achètent et la vendent.

Panafricanisme: aider à sauver l'Afrique - des solutions africaines pour les problèmes de l'Afrique - « prêt à intervenir et à mettre son argent là où sa bouche est ». Il est important de souligner, toute fois, que quels qu’aient été les intentions et les calculs de Museveni, sa décision d'intervenir aurait été rendue plus difficile en l'absence de certains facteurs favorables.

Lesfacteurs favorables

Peut-être le catalyseur le plus important, sous lequel Museveni pourrait facilemen ttrouver un abri, est la position ferme de l'Union africaine sur les changements anticonstitutionnels des gouvernements. Ceci, combiné avec la demande d'aide du gouvernement assiégé à Juba, a fourni les justifications nécessaires dont il avait besoin pour éviter ou minimiser la condamnation internationale.

Ensuite, il y a la faiblesse du Parlement de l'Ouganda vis-à-vis de la branche exécutive du gouvernement. La faiblesse provient de deux sources. Tout d'abord, les députés du parti au pouvoir sont plus nombreux que leurs homologues de l'oppositionet de loin, presque un rapport de 4 à 1. Deuxièmement, le parti au pouvoir, le Mouvement de résistance nationale, a une grande capacité de s’assurer que ses députés suivent la ligne officielle sur toutes les questions d'importance pour labranche exécutive du gouvernement. Ces deux facteurs se combinent pour assurer que toutes les mesures que l'exécutif veut faire passer à travers le Parlement vont effectivement passer. Cela inclutle déploiement des forces armées du

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pays à l'extérieur du pays, n’importe où et n’importe quand l'exécutif décide de les déployer.

Comme déjà indiqué, les déploiements de l'UPDF en RDC et en Somalie se sont faits sans autorisation préalable du Parlement. À bien des égards ils ont fourni à l'exécutif les précédents nécessaires pour le déploiement de l'armée au Sud-Soudan sans l'approbation du Parlement.

Est également importante la relation du président Museveni avec les Forces de défense populaires de l'Ouganda. Il a fondé l'armée et conserve un contrôle serré surelle, et la plupart des Ougandais sont prêts à accepter que c’est son armée dont il peut faire ce qu'il veut. Le résultat de ceci est que les Ougandais sont généralement enclins à accepter avec une certaine sérénité qu'il peut déployer l'armée comme il l'entend. Enfin, il y a la proximité géographique du Sud-Soudan avec l'Ouganda, ce qui permet le déploiement rapide des troupes à un coût relativement faible et sans problèmes logistiques complexes.

Les raisons pour lesquelles Museveni a envoyé les Forces de défense populaires de l'Ouganda au Soudan du Sud suite au déclenchement des hostilités peuvent donc se résumer comme étant d’ordre politique, idéologique, économique, géopolitique, et personnel. Une combinaison de facteurs internes et externes ont rendu possible le déploiement avec une relative facilité.

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#bringbackourgirls. Les interventions médiatiques en zones de crise en Afrique : soutien solidaire ou mise en scène narcissique ?

Par Christiane Kayser Membre de Pole Institute

Comme par magie le monde entier se solidarise avec l’Afrique. Euh, non. Pas tout à fait… Des célébrités et demi-célébrités, souvent féminines, se soucient du sort des femmes et filles africaines (Angelina Jolie, Michelle Obama, Valérie Trierweiler, Yamina Benguigui pour ne nommer que quelques- unes). En juin 2014 une conférence a lieu à Londres sur la violence contre les femmes en zone de crise. Résultat essentiel : plein de citations et de photos de et avec Angelina Jolie. Depuis le rapt scandaleux de deux cents écolières nigérianes par le groupe terroriste BokoHaram, une vague de tweets avec le hashtag (#)bringbackourgirls (ramenez nos filles) est devenue virale sur twitter.

Au Trocadéro à Paris, de nombreuses célébrités et post-célébrités ont manifesté en mai 2014 sous ce slogan. Résultat essentiel : on parle de nouveau d’eux et d’elles dans les média.

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Bien sûr beaucoup de personnes de bonne volonté, à juste titre scandalisées par les violences contre les femmes et filles ont soutenu ces actions bien pensantes. Selon Naunihall Singh, dans un article dans la revue US américaine The New Yorker7 le seul résultat de cette campagne dont le zénith est retombé vite serait d’avoir forcé le gouvernement nigérian à réagir tant soit peu. Mais c’est un effet mitigé car les civils de toute cette région négligée du nord du Nigéria souffrent non seulement des violences de BokoHaram mais aussi des brutalités de l’armée nigériane qui se comporte comme en territoire occupé. 8 Un certain nombre de prises d’otages et de violences attribuées à BokoHaram ont en réalité été effectuées par des groupes mercenaires notamment au Cameroun. Tout ceci ne réduit en rien le danger terroriste et fondamentaliste mais attire notre attention sur le fait que les racines de ces problèmes ne sont pas réglables par des interventions militaires et des campagnes médiatiques globales.

De façon similaire la réduction du problème des viols en RDC à la réduction de toutes les femmes congolaises en victimes impuissantes et de tous les hommes congolais en violeurs fait plus de mal que de bien. Les violences contre les civils en RDC perdurent depuis vingt ans et sont commises par toutes les parties au conflit y compris – et non en dernier lieu – par les troupes gouvernementales. Les viols d’hommes sont hélas également légion, mais on en parle moins. Une culture de la violence s’est installée sur base d’un Etat criminel qui n’assure pas de services mais fait fort sur la collection de taxes de plus en plus élevées qui n’ont presque jamais d’effets sur les infrastructures publiques. Les casques bleus de la MONUSCO ont jusqu’ici, en dépit d’annonces tonitruantes, échoué dans leur tentative de pacifier l’Est du pays. Plus de 50 groupes armés y sévissent toujours. Les FDLR rwandais à l’idéologie génocidaire viennent d’obtenir par la grâce de sympathisants dans plusieurs gouvernements africains, avec l’acquiescement de la MONUSCO, six

7Naunihall Singh, How to bring back the Nigerian schoolgirls, three months on, 10 juillet 2014, http://www.newyorker.com/online/blogs/newsdesk/2014/07/how-to-bring-back-the-nigerian-schoolgirls-three-months-on.html 8voir entre autres les rapports de Amnesty International sur les violences de l’armée nigériane contre les civils

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mois pour théoriquement désarmer, mais en pratique selon de nombreux observateurs se regrouper, se réarmer, se donner d’autres noms…

Les bien-pensants et les stars qui se mettent en lumière n’aiment pas les analyses différenciées et les réalités complexes. Réduire toute situation au cliché le plus simpliste : Occident bien-pensant contre terroristes fondamentalistes, humanitaires contre Africains violeurs, etc…

Donc ici aussi l’Afrique n’a pas la main : non seulement dans un nombre de pays des troupes étrangères font la loi et des décideurs étrangers règnent, mais même au niveau de l’image médiatique ce sont encore et toujours les autres qui déterminent ce que l’opinion mondiale sait et pense de l’Afrique.

Alors faut-il se détourner et ignorer ce qui se passe ?

Evidemment non. Mais un premier pas serait de réaliser que ces problèmes ne peuvent être résolus que par les Africains eux-mêmes. Il faut donc soutenir les initiatives locales dans leurs tentatives d’avancer et prendre au sérieux leurs analyses et propositions.

Comme dit Singh à propos de la situation des écolières nigérianes :

« Les citoyens du monde concernés doivent travailler vers la libération des jeunes filles ensemble avec des associations nigérianes. Ils doivent protéger les activistes locaux des tracasseries de la part du gouvernement… Si tous nos tweets et messages Instagram partaient vraiment du désir d’aider ces jeunes filles, nous devrions épauler les populations nigérianes longtemps après que ce soit à la page et cool de le faire. »9

9 Singh 2014, « Instead, concerned global citizens have to work for the release of the girls with Nigerian groups. They have to shield local activists from government harassment, …. If all our tweets and Instagram posts were truly driven by a desire to help these girls, then we have to stand with the people of Nigeria long after it is fashionable or trendy to do so. »

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Pour les collègues des pays concernés y compris les journalistes, il s’agira de faire connaître les opinions et revendications des premiers concernés, même si elles n’entrent pas dans les schémas simplistes des célébrités et média sociaux globaux. Qui va dominer le discours sur ce qui se passe dans les pays africains ?

Il est temps de travailler sur ces problèmes structurels sans préjugés et sans perdre haleine.

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Qu'est-ce qui rend possibles les interventions armées extra- continentales sur l’Afrique ?

Par Hilaire HAMEKOUE Journaliste camerounais

Le 23e Sommet de l’Union Africaine (UA) s'est tenu à Malabo du 20 au 27 juin 2014. Ce sommet devrait avoir pour thème central l’agriculture et la sécurité alimentaire en Afrique. Le continent africain étant le théâtre de trop nombreuses situations de violence et de conflits dont les plus récentssont le coup d'Etat en Côte d'Ivoire qui a duré huit ans et a connu son accélération avec le conflit post électoral de 2010, la guerre en Libye qui a fait des milliers de tués dont le président Kadhafi, la montée de l’extrémisme religieux au Nigeria, au Mali et en Centrafrique et les conflits qui perdurent au Soudan du Sud, en Somalie et dans la région des Grands Lacs. Prenant en compte ces faits, certains chefs d'Etat ont souhaité que la question de la sécurité soit mise également à l’ordre du jour de cet événement. Il devient impératif dès lors de se poser la question suivante : quelles sont les causes de cet instabilité?

Les causes intérieures.

L’instabilitétrouveessentiellement ses racines dans l’inégalité économique et le désespoir. La misère des populations fait naître la tentation d'une réponse violente de la part des victimes de l'injustice. Les populations exclues d'un partage équitable des biens originellement destinés à tout le monde se demandent pourquoi et tentent d'apporter une réponse par cette voie.

Par ailleurs, la démocratie faisant partie des conditions nécessaires pour la promotion du développement durable et de la paix, le peuple à qui on ne laisse pas le choix d’être artisan de son propre devenir comme l’exige la dignité inaliénable de la personne humaine cherche les moyens pour se libérer et rêve de vivre dans un espace de promotion de la bonne gouvernance, du respect des droits humains.

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On citera enfin les relations sociales brisées du fait des résidus des problèmes entre compagnons qui se sont crus cohéritiers du pouvoir à eux laissé par le colonialisme d'une part, et d'autre part, entre ces tenants du néocolonialisme et les tenants du changement. Le problème de distribution des richesses, le système politique de rotation avec toutes sortes de frustrations crée les ingrédients pour faire prospérer ces mouvements.

Les causes extérieures

Les pays occidentaux se développent sur la base de l'exploitation. Pour eux, l'Afrique est un enjeu important parce qu'assigné à la production des matières premières, mais aussi sa position devient un terrain de multiples expérimentations des grandes puissances militaires. Une fois les nationalistes éliminés, ils ont installé à la tête de nos "républiquettes" des valets à leur dévotion, qui n'ont pas été démocratiquement élus. Quand ils sont vieillissants, ils les éliminent par tous les moyens et n'hésitent pas à utiliser les groupes armés pour arriver à leurs fins.

Leur stratégie en la matière n'a pas changé et a toujours consisté à diviser notre continent pour mieux y régner. Ils ne se gênent pas à utiliser certains de leurs ennemis d'hier, alors que ceux-ci cherchent à renverser les régimes en place, les pays occidentaux les encouragent pour créer le chaos dans les régions riches et trouver les prétextes pour intervenir. C'est pourquoi nous pensons que ces "sollicitudes" de Paris, Londres et autre Washington ne sont que des opérations médiatiques visant à pénétrer le système opérationnel qui pourrait être mis en place par certains éléments patriotes, et en profiter pour avoir des troupes sur le terrain.

Les forces étrangères sur le continent

Au cours de ce 23esommet de l'UA, un Chef d’État a exprimé le souhait que les problèmes intérieurs de l’Afrique soient résolus pas les Africains eux-mêmes, et que l’impuissance de l’Union africaine dans les crises récentes en Égypte, en Libye, en Centrafrique, au Mali, en Somalie ou au Nigeria n’ouvre pas systématiquement la porte à

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l’intervention des puissances occidentales. A la bonne heure, dirons-nous !

Sous des prétextes plus ou moins visibles, les armées étrangères investissent notre continent. l'actualité la plus récente et digne d'intérêt reste incontestablement marquée par les débats relatifs à la convocation à Paris par le président français, de cinq chefs d'Etat de la sous région Afrique centrale, pour discuter du problème de la sécurité et prendre un engagement à lutter contre la secte islamique Bokoharam.

Le fait est loin d'être un épiphénomène puisqu'il nous donne l'impression que la stabilité et la sécurité de nos institutions autant que notre propre sécurité en dépendent. Au-delà des discours hypocrites véhiculés, cette convocation sur le territoire français par le président d'un pays européen, des présidents des pays souverains pour leur imposer un débat remet sur la sellette le sempiternel problème de l’indépendance des pays africains. On se pose la question de savoir quel intérêt a le président français à être si soucieux de la sécurité des Africains; savoir si ces fora permettront un jour de régler les antagonismes observés dans nos micro-Etats et favoriser un climat de paix.

Nous restons dubitatifs quand on sait comment, pourquoi et par qui ces antagonismes sont arrivés. Ils ne sont que la conséquence de mauvais virages pris en 1963 quand certains chefs d'Etats, valets de l'impérialisme ont refusé de suivre OssaguifoKwame N'Krumah dans sa proposition de réaliser l'Unité politique et économique de l'Afrique.

La question cruciale reste posée : dans la situation actuelle de notre continent, sommes-nous capables par nous-mêmes d'assurer notre sécurité ? La réponse évidente est non.

Nos dirigeants, obnubilés par leur égoïsme, sont pour la plupart incapables de prendre la décision du panafricanisme. Aveuglés par la parcelle de pouvoir qu'ils croient détenir, ils ne se rendent même pas compte qu'ils sont face à des mouvements qui ignorent les frontières.

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La faillite de l'Union Africaine (UA), successeur de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) n'est plus à démontrer. La coopération entre les Etats reste souvent embryonnaire, le projet de Force africaine d'intervention rapide reste en attente depuis des années. Elle devrait certes voir le jour en 2015, mais sa mise en œuvre reste chaotique, notamment pour des motifs financiers: elle repose sur les contributions volontaires des Etats, aux capacités financières très inégales.

Que faire ?

Les démocrates et patriotes africains doivent, sans délai s'organiser pour chasser du pouvoir tous les dirigeants qui font obstruction à l'avancée de l'Afrique. Ces valets de l'impérialisme empêchent notre continent de réaliser pleinement son potentiel, briser les chaînes de l’esclavage économique et de la stagnation au plan démocratique. Leur mise à l'écart nous permettra de lever le voile pour être face à l'impérialisme.

Il est nécessaire de repenser la notion de souveraineté nationale surtout quand celle-ci s'appuie sur "les frontières issues de la colonisation". Si la souveraineté suppose l'existence d'un pouvoir avec l'exercice des compétences sur un territoire, on constate que nos "républiquettes" qui aujourd'hui subissent les diktats des institutions financières, les injonctions de la soi-disant communauté internationale etc. ne peuvent que revendiquer une souveraineté de pacotille. L’appel ou l'acceptation des troupes étrangères sur nos territoires en est une illustration.

L'intégration politique de l'Afrique, une nécessité

Il est temps que les Africains prennent conscience du désastre causé par la balkanisation du continent. Au moment où tout le monde parle de grands ensembles, nous devons travailler à la concrétisation de l'unité politique de l'Afrique. Notre division nous rend incapables de faire face aux menaces armées d'où qu'elles viennent. Nos dirigeants qui pour la plupart, n'ont pas été désignés par leur peuple, se croient obligés de s'appuyer sur des accords issus de la colonisation pour

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faire intervenir les troupes étrangères, celles-ci trouvent là la voie facile pour renforcer leur hégémonie.

C'est ainsi qu'au lieu de réfléchir sur le comment garantir l'avenir de la jeunesse, ils passent leur temps à donner un coup de main à l'Occident pour combattre l'immigration clandestine.

Nous devons réapprendre à construire et à vivre ensemble. Le peuple africain doit se battre pour que nos micro-Etats mènent résolument une politique panafricaine en même temps qu’il prendra des initiatives pour promouvoir la lutte pour l'avènement des Etats Unis d'Afrique. A défaut de cela, on produira des analyses pertinentes certes, mais on ne touchera pas aux vrais problèmes.

Les exemples du Burkina et de la Libye, pour ne citer que ceux-là, sont là pour démontrer que : même avec des gros moyens économiques, même avec des dirigeants démocratiquement élus et authentiquement patriotes, aucun pays africain ne se libérera seul.

Au Cameroun, des groupes plus ou moins organisés ont réfléchi sur le problème et ont fait des propositions concrètes. En 2001, l'Union des Populations du Cameroun (UPC), le mouvement de libération qui a posé pour la première fois l'idée d'indépendance, a avancé douze propositions : "Pour que l'UA relance vraiment le Panafricanisme pour aller vers les Etats-Unis d'Afrique" lors du remplacement de la défunte OUA par l'UA.

La proposition n° 6 préconisait la construction des Forces Armées Panafricaines (FAPA) ayant pour tâche de permettre à l'UA :

• De protéger l'Afrique contre les agressions extérieures ; • De conserver ou rétablir la paix dans une région quelconque

du continent où elle est menacée, en s'interposant entre les belligérants ;

• De permettre à l'Union de faire exécuter ses décisions et d'accomplir sa mission de réalisation de l'Unité Africaine.

La proposition n°7 préconisait un travail pour aller vers une monnaie africaine unique.

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Nous terminerons cette brève intervention par une citation du regretté Dr Samuel Mack-Kit, ancien président de l'UPC justement, qui disait, en 2004, dans sa profession de foi de candidat à la présidence de la République du Cameroun (il faut préciser que cette candidature a été refusée par l'administration) : "Le salut le plus inattaquable est dans la constitution des Etats Unis d'Afrique qui donneront aux Etats africains la taille critique grâce à laquelle ils pourront faire face aux enjeux politiques et économiques du monde moderne".

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Situation politique, sécuritaire et humanitaire de la fin du règne Séléka à ce jour et rôles des différents intervenants armés ainsi que l’impact de leurs actions sur le devenir de la RCA Par Madame Félicité KO Conseillere nationale representante au Conseil National de Transition (CNT), déléguée de la Vice-Présidente du CNT RCA

Introduction générale

La RCA a connu, au cours de son histoire, une série de coups d’Etat qui ont conduit à des changements de régime politique. Les crises à caractère militaro-politique devenues récurrentes depuis les deux dernières décennies ont créé une instabilité quasi-permanente, entraînant une déliquescence des institutions de l’Etat.

Malgré les mesures préconisées par les gouvernements successifs de la transition, la situation ne semble guère s’améliorer; on assiste à un regain de la violence avec la multiplication des actes d’exécution sommaire par des groupes armés incontrôlés.

La détérioration du climat politique, sécuritaire et humanitaire même après le départ de l’ancien régime Séléka, ajoutée à la recrudescence des violences à l’égard de la population tant nationale qu’expatriée a été à l’origine de l’arrivée des forces internationales de l’Opération SANGARIS (française), de la MISCA (forces de l’Afrique Centrale) et de l’Eufor (forces européennes).

Brève présentation de la RCA

La République Centrafricaine (RCA) est un vaste pays, enclavé. Faiblement peuplée et située au centre d’une région instable sur le plan de la sécurité (persistance des conflits au Darfour, exactions de

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la LRA, etc.) Elle a une superficie de 623.000 km² et compte 4,7 millions d'habitants.

Analyse des problèmes générateurs de crise en RCA

Les différentes crises survenues en RCA ont été provoquées en majeure partie par des problèmes liés essentiellement à une mauvaise gouvernance politique, économique et sociale.

• absence d’un véritable dialogue politique - entrave à l’alternance politique - non-respect des droits de l’homme et la culture de l’impunité - incapacité de l’Etat à assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire – porosité des frontières – banditisme transfrontalier.

• crises sociales - pauvreté massive aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain - baisse des cours des produits d’exportation - difficultés d’approvisionnement en produits de première nécessité - dégradation des infrastructures de soutien à l’économie.

• pratique du népotisme dans la désignation aux postes de responsabilité - absence de toute culture du mérite - développement de la méfiance des populations – absence de la cohésion sociale.

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Situation à la fin du règne de la Séléka

Situation politique et sécuritaire

Le régime de la Séléka qui avait eu à conduire la première phase de la transition démocratique à savoir la mise en place du Conseil National de Transition, d’un Gouvernement d’Union Nationale de Transition ainsi que d’autres institutions de transition, a complètement failli à sa mission.

En cause, la poursuite des violences à l’égard des paisibles populations centrafricaines, souvent victimes de pillages, de vols, de viols, de séquestration, et de toutes formes violences.

Le conflit s’est transformé au fil du temps en conflit communautaire car il était entretenu et instrumentalisé en grande partie par la classe politique. Aussi, le pays est sous la menace d’une fraction sociale. C’est une grave menace de conflit entre musulmans identifiés ou associés aux ex-rebelles de la Séléka d’une part et des chrétiens organisés en milices d’autodéfense dénommés « Anti-Balaka» d’autre part.

Situation socioéconomique

La destruction massive des outils de production tant à Bangui qu’à l’intérieur du pays, le saccage des biens publics et privés occasionnés au moment de la prise du pouvoir par la coalition Séléka ont totalement réduit les capacités de production avec des conséquences négatives notamment sur l’emploi et la croissance économique.

La dégradation des infrastructures de soutien à l’économie (route, transport, énergie et télécommunications) et les tracasseries administratives ont contribué à rendre difficiles les échanges économiques internes et externes.

Ces crises qui n’en finissent pas ne permettent pas de préserver l’intégrité du territoire, d’assurer une vie communautaire sécurisée et humanisée et une meilleure animation de la vie politique, ni d’assurer le bon fonctionnement de l’administration territoriale.

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Situation humanitaire

Après la prise du pouvoir par la coalitionSéléka, la poursuite des exactions contre les populations civiles dans toutes les préfectures a fini par déclencher une réaction de révolte parmi la frange la plus jeune de la population.

C’est ainsi qu’est née la milice Anti-balaka qui, en décembre 2013, tout en s’en prenant aux éléments de la Séléka, participent également aux pillages, aux vols. L’esprit de vengeance qui anime les deux groupes armés a débouché sur une tension communautaire et créé une fraction sociale au sein des populations.

Face à cette situation, les populations désorientées cherchent à se protéger où elles peuvent; ainsi, plus d’un million cinq cent mille (1 500 000) déplacés internes et 650 000 réfugiés vivent dans des conditions dramatiques sur les sites de déplacés ou de réfugiés. Malgré le secours porté aux nécessiteux par les ONGs internationales et locales, la situation humanitaire ne cesse de se dégrader.

Points saillants de la situation

Depuis le départ des Séléka du pouvoir, l’insécurité va crescendo marquée par des tueries massives des personnes civiles et militaires, des viols, des vols à mains armées, les braquages, se perpétuent et s’accroissent au quotidien. Malgré les efforts et l’implication des forces internationales en présence, la situation d’insécurité et de non-droit semble perdurer dans l’espace et dans le temps.

Aujourd’hui, les tueries, dont sont victimes les populations des deux communautés, se poursuivent, au point que l’ONU évoque un risque de génocide. Toutes les institutions du pays sont fragilisées: les formations sanitaires et scolaires ne parviennent pas à fonctionner normalement. En outre le Gouvernement est confronté au manque de moyens nécessaires pour faire face à ses dépenses.

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Les différents intervenants armés en République Centrafricaine

a) Les forces externes

Les forces de la Misca (Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique) initiée dans le cadre des opérations de maintien de la paix dans la CEEAC.

L’opération française « Sangaris » a été déclenchée (résolution 2127 des Nations Unies, déc. 2013) pour désarmer par la force les milices non conventionnelles.

Les forces de l’Eufor sont constituées, pour la plupart, de soldats des pays de l’Europe pour appuyer les efforts de l’opération Sangaris dans les opérations de restauration de la sécurité en Centrafrique.

b) Les forces internes

Les éléments des ex-Séléka, sont des bandes armées, constituées pour la plupart des éléments musulmans. Force non-conventionnelle errante, elle menace la sécurité du pays avec des intentions de partition.

Les Anti-Balaka, forment une milice armée en riposte aux exactions et exaspérations perpétrées par les ex-Séléka sur la population. Cette milice se déclare plus proche de la population et est considérée comme une milice chrétienne.

Les impacts des intervenants armés sur le pays et ses institutions

L’opinion publique nationale est très critique sur le rôle et les actions de ces forces internationales tout comme sur les milices. Même si les opinions divergent sur l’efficacité de leur action de maintien de la paix et de la sécurité dans le pays, ces forces internationales (Misca, Sangaris et Eufor), ont été assez dissuasives et permis de stabiliser la sécurité à Bangui, et progressivement à l’intérieur.

On note cependant que malgré la présence de ces forces, les tueries de masse se sont intensifiées (Boguila dans le nord; Fatima dans la capitale et plus récemment Bambari dans le centre).

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Beaucoup de personnalités tant nationales qu’internationales ainsi que l’opinion publique considèrent les Ex-Séléka et les Anti-Balaka comme responsables de la persistance des malheurs et des souffrances de la population animiste, chrétienne, musulmane, etc. Ils sont considérés comme les ennemis de la paix.

Les ex-Séléka constituent un creuset où se développe le mercenariat, le djihadisme, les extrémistes de tout bord qui sèment la désolation dans le pays, pillent, tuent, violent, enlèvent les personnes, etc. Et les Anti-Balaka sont transformés en grands braqueurs à mains armées, en criminels.Le Gouvernement et la Communauté internationale envisagent leur désarmement, démobilisation, réinsertion et leur rapatriement (pour quelques-uns).

Impacts futurs des intervenants armés sur le pays et ses institutions

La situation actuelle telle qu’elle se développe en RCA nécessite des mesures appropriées et mieux ciblées pour mettre un frein aux exactions des bandes armées liées aux milices Séléka et Anti-Balaka.

Les forces internationales doivent prendre leurs responsabilités et devoirs liés à leur mission pour rétablir le peuple centrafricain dans ses droits et lui assurer les meilleures conditions de retour à une vie normale.

La Misca, la Sangaris et l’Eufor doivent appliquer à la lettre la résolution 2127 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies sur la crise centrafricaine, afin de préparer un climat de sécurité propice au retour effectif de la paix et à l’organisation des consultations populaires et à la relève par les casques bleus.

Conclusion et Recommandations

La Communauté internationale doit aider le Gouvernement à éradiquer le phénomène des Ex-Séléka et des Anti Balaka. Pour ce faire, elle doit appuyer le Gouvernement à la réalisation du programme DDR-R (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion et Rapatriement).

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Le conseil national de transition que j’ai l’honneur de représenter ici à ce colloque remercie Pole Institute et compte sur cette Institution pour son plaidoyer relatif à l’applicabilité de la résolution 2127 dans son intégralité afin d’assurer un climat de sécurité et le retour à l’ordre constitutionnel en RCA.

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Eléments de compréhension de la crise malienne: Perspectives après la libération des zones occupées par les groupes rebelles et djihadistes

Nana Alassane TOURE Sociologue malienne

Plus d’une année après l’intervention militaire française (11 janvier 2013) et celle de la MINUSMA intervenue après le vote par le Conseil de sécurité de la Résolution 2100, le 25 avril 2013, les Maliens continuent toujours de se poser certaines questions d’incertitude comme : Pourquoi une telle situation d’impasse pour notre vieille nation ?A qui faire confiance ?Pourquoi des interventions étrangères dans notre pays ?Quel chemin faut-il prendre pour s’en sortir ?

Bref, beaucoup de questions à se poser, mais peu de réponses. En effet, il faut souligner que le Mali a fait face à une crise multidimensionnelle: politico-institutionnelle, sécuritaire, humanitaire, sociale, etc.

1. Les dimensions de la crise malienne

1.1. Crise politico-institutionnelle

Les « événements » de mars 1991 ont emporté la vie des centaines de Maliens en quête de démocratie et de liberté. L’ouverture démocratique occasionnée à travers cette révolution populaire a favorisé la naissance de nombreux partis politiques qui concourent désormais pour l’exercice du pouvoir.

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Malheureusement, tout porte à croire que ce grand sacrifice pour la démocratie a tendance a être oublié par la classe politique actuelle car, après dix ans de gestion politique par le président Alpha Oumar Konaré (1992-2002), bien animée par le parti au pouvoir (ADEMA-PASJ10) et l’opposition (COPPO11), les Maliens ont été témoins d’un vide politique durant les 10 années suivantes avec le régime du président Ahmadou Toumani Touré.

En 2002, plusieurs partis politiques de la place ont renoncé à leur mission de conquête du pouvoir politique pour s’allier au candidat Amadou Toumani Touré, qui s’est présenté aux élections en candidat indépendant et ancien militaire dont la démission a fait l’objet de débats à l’époque. Dès lors, le risque d’ « assommer » les partis politiques s’est étalé. Pour reprendre l’expression d’Abdou Traoré dit Diop (2011 : 16) : « le Mali vit dans un désert politique ». Désert ! Oui, car les acteurs politiques ont abandonné leur rôle de dénonciation et de jeu politique en laissant le pays entre les mains d’une seule personne au nom du « consensus ». Mamadou Fanta Simaga, observateur politique malien n’a t-il pas dit que : « le consensus est une arme sociale et non politique car dans la gestion d’un pays, on ne peut pas tout accepter ni tout tolérer » ! Cette gestion se base sur des règles et des lois qu’il faut forcement respecter pour le bon fonctionnement de la vie démocratique.

Le coup d’Etat perpétré dans la nuit du 21 au 22 mars 2012 a révélé au peuple malien et à la communauté internationale que la démocratie malienne, qualifiée d’être meilleure, n’était pas « solide ». Cependant, malgré la présence d’un nombre important de partis politiques, de représentants de la société civile, des masses média, des multiples aides au développement, des bons indicateurs de croissance économique, la mise en place des programmes de développement pour les régions du nord, etc. le monde entier et même la plupart des Maliens ont été surpris de voir des hommes de rang de l’armée malienne à la télévision nationale sans aucun officier supérieur pour traiter le régime du président Amadou Toumani Touré d’ « incompétent » et annoncer la fin dudit régime. Pourtant

10 Parti Africain pour la Solidarité et la Justice 11 Le collectif des Partis Politiques de l’Opposition

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visiblement, ce président bénéficiait de toute une légitimité auprès de bon nombre de Maliens. Au regard de ces « évènements », on peut soutenir que la classe politique et la société civile malienne ont failli à leurs rôles. Ils ont manqué de capacité d’anticipation, d’alerte afin d’attirer l’attention des populations sur la gestion hasardeuse du président Amadou Toumani Touré.

A la suite de la classe politique et de la société civile, les institutions de la république ne répondent pas assez aux aspirations de la population locale, d’autres parleront ici d’une inadéquation de ces institutions avec la réalité malienne ou d’une mauvaise volonté des acteurs institutionnels.

Un autre défi auquel le Mali fait face aujourd’hui, demeure le problème de légitimité. Dans nos processus électoraux, l’accent est beaucoup plus mis sur la légalité que sur la légitimité des élus. Les candidats aux élections sont élus sur la base de l’argent et non sur la présentation de projets de société pertinents. De tels actes ont pour conséquence d’éloigner les citoyens de l’intérêt public et de discréditer le politique.

1.2. Crise sociale

A la dimension politico- institutionnelle, il faut ajouter la dimension sociale pour comprendre l’envergure de la crise malienne.

Sur le plan social, le Mali est en perte d’éducation tant au niveau familial qu’au niveau scolaire. Durant ces vingt dernières années, notre pays s’est caractérisé par une absence de l’école causée par les implications politiques de l’AEEM, l’abandon des écoles publiques par les autorités étatiques, le non suivi du parcours scolaire des enfants par les parents, la formation des enseignants de niveau bas etc. Dans une telle situation où le système éducatif est en perte de contenu, quelle qualité de dirigeants comptons-nous avoir pour le Mali de demain ?

L’histoire vieille du Mali s’adosse sur la mobilisation des valeurs socio-culturelles, qui se caractérisaient par l’honnêteté, le courage, la dignité, la solidarité, l’intelligence collective et la crédibilité des dirigeants et des groupes sociaux constitués et intervenants dans

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lagestion des biens publics. De l’intervention de Ousmane Sy lors de la 9èmeséance de l’Espace Djèmu de l’Institut du Local12, en réponse aux jeunes sur la question des valeurs, nous avons tiré ceci :

« Les repères commencent d’abord par le nom de famille donc, chacun de nous a un repère. Ces repères existent mais les gens ne se donnent pas le temps de les répertorier et de les valoriser. Si nous voulons continuer à exister dans ce monde de globalisation, la référence à la culture ancienne est obligatoire. Autrement dit, il faut que nous sachions d’où nous venons, sinon, on finira par se perdre ».

Cependant, même si ces repères existent, nous assistons à la perte des valeurs anciennes du jour au jour sans une réelle volonté de la part des familles et des autorités publiques pour une restauration des bonnes habitudes en voie de disparition.

1.3. Crise humanitaire

En plus de la crise politico-institutionnelle et sociale, le conflit a également occasionné une crise humaine obligeant plus de 400 000 personnes à se mettre à l’abri dans les zones du sud et dans les pays voisins (Algérie, Burkina Faso, Mauritanie et Niger) comme des réfugiés. Le conflit a également entraîné des pertes en vies humaines, des civils et des militaires. Ce conflit dans le nord a mis le Mali dans un vaste cycle de graves violations des droits humains tels que les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées et les tortures notamment, commises par les forces de sécurité. Quant aux groupes armés, ils se sont livrés à des exactions, dont des violences sexuelles, (des viols, viols collectifs), des homicides délibérés et arbitraires, des châtiments corporels, des amputations, des lapidations, des recrutements d’enfants soldats et des destructions massives des mausolées et des sites culturels. Ces affrontements entre le MNLA et les groupes Islamistes d’un coté et de l’autre l’absence totale de l’administration a occasionné la crise alimentaire, les problèmes d’accès au logement, à la santé, à l’éducation et au travail.

12 L’Espace Djèmù est un espace mensuel de débats et d’échanges qu’organise l’Institut du Local pour permettre aux jeunes d’acquérir des expériences auprès des personnes âgées.

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1.4. Crise sécuritaire

L’occupation des régions du nord du Mali par les groupes armés doit être comprise suivant une approche globale des rebellions qui ont secoué la vie de la nation malienne depuis 1963.

En effet, de 1963 à nos jours, les différents présidents de la république du Mali ont tous été confrontés à la rébellion touareg et ont tous adopté leurs stratégies de gestion de cette crise du nord. Entre stratégie militaire et solution pacifique, lesquelles stratégies ont permis à l’Etat Malien de connaître des périodes longues de répit sans la menace de la rébellion. Aujourd’hui, malgré le contexte politique et institutionnel stable, il demeure toujours de réelles menaces (terrorisme, trafic d’armes, trafic de drogue, présence des mines, etc.) sur la sécurité des personnes et de leurs biens sur toute l’étendue du territoire national. A cela s’ajoute le caractère spécifique de la ville de Kidal occupée par des rebelles touareg.

L’urgence actuelle pour de nombreux Maliens est la reconquête de la ville de Kidal, qui est devenue « une question de fierté nationale pour les Maliens ».

La question sécuritaire demeure en effet pertinente, notamment à la suite de la nouvelle débâcle de l’armée malienne le 21 mai 2014 dans la ville de Kidal. Cette déroute repose le débat sur la reconstruction d’une armée républicaine et sur le processus de négociation qui peine à prendre corps depuis les accords pré-électoral de 2013 signé à Ouagadougou entre l’Etat malien et les groupes rebelles.

2. Les défis actuels qui se posent dans le contexte de post- libération des zones occupées au Mali

Les défis qui se posent au Mali sont :

• Veiller à la stabilité continue du climat socio-politique et institutionnel, afin de favoriser la conception et la mise en œuvre des reformes d’envergure après la crise de 2012 ;

• Repenser et refonder la coopération entre le Mali et ses principaux partenaires dont la France, la MINUSMA, mais

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aussi envisager une coopération plus efficace avec les pays frontaliers dans le cadre de la lutte contre les menaces terroristes ;

• Lutter contre l’insécurité et le banditisme résiduel dans les localités libérées du nord du pays (Tombouctou, Gao et Kidal). Après la libération de ces zones, de nombreux groupuscules armés se sont formés et sont très actifs dans le vol de bétails, l’attaque des forains, etc. ;

• Accompagner les autorités communales à réguler les tensions inter et intra- communautaires qui deviennent de plus en plus nombreux dans les localités nord du pays et aussi la région de Mopti : exemple des communes de Hombori, Hairé, Mondoro, région de Gao, etc. ;

• Soutenir et mieux organiser le retour effectif des réfugiés et des déplacés dans leurs localités ;

• Renforcer le système judicaire dans les localités post-crise afin d’éviter les frustrations de certaines communautés ;

• Démultiplier et renforcer les initiatives visant le dialogue communautaire comme moyen de restauration de la confiance et de la paix.

3. Recommandations

Au regard de la situation politico-sécuritaire, sociale et humanitaire du Mali, nulle part, le constat n’est satisfaisant. Pour une meilleure sortie de crise, nous proposons :

Dans l’immédiat :

• rebâtir la confiance entre le Mali et ses principaux partenaires et travailler à la sécurisation commune des frontières avec les pays voisins ;

• accélérer le processus de négociation entre l’Etat malien et les groupes rebelles éligibles au dialogue ;

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• accélérer le démarrage des reformes territoriales visant à mettre les acteurs locaux au cœur du développement de leur propre territoire. Cette reforme doit renforcer le processus de décentralisation mis en œuvre depuis les années 1993 ;

• mettre en place un cadre de confiance afin que les communautés puissent se parler de façon ouverte, sincère et honnête ;

• créer des conditions pour le retour des personnes déplacées et des personnes refugiées ;

• assurer la présence des forces de l’ordre sur toute l’étendue du territoire national.

A long terme :

• construire une armée républicaine, capable d’assurer la défense du territoire national ;

• renforcer la représentativité et la démocratisation dans le pays afin de garantir la légitimité des élus et des dirigeants maliens ;

• assurer l’accès à la justice pour tous, plus particulièrement dans les zones post- conflit ;

• refonder l’éducation et la formation socioculturelle des jeunes.

Bibliographie

Amnesty International (2013), Agenda pour les droits Humains au Mali.

Amnesty International (2012), Les civils paient un lourd tribut au conflit.

BOILLEY, Pierre, La démocratisation au Mali : un processus exemplaire. Relations Internationales et Stratégiques, 14, Summer, 1994, pp. 115-144.

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BOURGEOT, André « Rebellions et djihadisme dans le septentrion malien », In : Doulaye Konaté, Le Mali entre doutes et espoirs, Réflexions sur la Nation à l’épreuve de la crise du Nord, p.p. 23-45, Alger : éditions Tombouctou, 2013.

SANGARE, Boukary (2013). Conflit et dynamiques sociales chez les peuls du Hayré. Mémoire de Master II : Sociologie, FLSH, UCAD.

SIDIBE, Ousmane Oumarou « La déliquescence de l’Etat : Un accélérateur de la crise malienne ? », In Doulaye Konaté (dir.), Le Mali entre doutes et espoirs, Réflexions sur la Nation à l’épreuve de la crise du Nord, Alger : éditions Tombouctou, 2013.

TRAORE Abdou, Comment meurt l’autre moitié du Mali ?, Bamako : la Sahélienne, 2011.

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La « question touareg » aujourd’hui au Mali : rappel des faits et mise en perspective

Par Jean-Pierre OLIVIER de SARDAN Anthropologue au LASDEL (Laboratoire d’études et recherches sur les dynamiques sociales et le développement local) Niamey, Niger Directeur de recherche émérite au CNRS Directeur d’études à l’EHESS

Préambule : l’emmêlement de 4 questions au moins…

Une des complexités du « problème du Mali du Nord », ou plus généralement du «problème du Mali» tel qu’il se pose à partir des évènements de ces dernières années, est qu’il se compose en fait de diverses questions emmêlées et se recouvrant partiellement l’une l’autre : la « question touareg », la « question de la gouvernance au Mali », la « question de la drogue » et la « question du jihadisme ».

1. C’est la « question touareg », autrement dit la « question de l’indépendantisme touareg » que nous analyserons ici, car elle fait l’objet d’innombrables malentendus et de fortes polémiques. Nous n’évoquerons donc ci-dessous les trois autres questions que pour mémoire, elles sont bien connues, et ne sont guère l’objet de controverses.

2. La « question de la gouvernance au Mali » est évidemment centrale pour comprendre toutes les péripéties actuelles. L’accroissement de la corruption à tous les niveaux, la démission ou la léthargie de la classe politique incapable de proposer une alternative au système ATT (et à la crise qui a suivi), le deuxième mandat catastrophique d’ATT (tolérant ou facilitant un affairisme tout azimut tout en délaissant politiquement et militairement le Nord), la décomposition de l’armée malienne (des recrutements basés sur un système de faveurs et de privilèges généralisé, plus de 80 généraux nommés par ATT et se livrant à tous les trafics, etc.) en sont les signes les plus manifestes.

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3. La « question de la drogue » (dure), conséquence en particulier des phénomènes ci-dessus, s’est greffée sur diverses formes de contrebande préexistantes (cigarettes, immigrés clandestins, armes) et a « fédéré », autour des revenus qu’elle générait le long du circuit de transit, une partie des « élites » traditionnelles et modernes du Nord (chefs de tribus arabes et touaregs, hauts-gradés de l’armée, barons du régime, leaders indépendantistes), auxquelles se sont ajoutés les jihadistes (qui y ont trouvé là non seulement une source de revenus complémentaire au commerce d’otages mais aussi une base d’alliances locales).

4. Quant à la « question jihadiste », on connait déjà la responsabilité du régime ATT, comme les conséquences désastreuses de la guerre contre Kaddafi ; mais on peut aussi évoquer la vague wahabistequi, depuis une vingtaine d’années, grâce aux financements saoudiens et qataris, déferle en Afrique de l’Ouest, aux dépens des formes confrériques et soufies de l’islam qui y prévalaient, caractérisées par leur tolérance ; elle crée un climat théologique et idéologique hostile à la modernité, tourné vers le passé médiéval, le ritualisme, l’intolérance, la régression des droits de la femme, etc., qui fournit un terrain propice au salafisme en général et au salafisme fanatique et violent en particulier13.

La « question touareg » : rappel de quelques éléments historiques

Un détour par l’histoire est nécessaire pour mieux comprendre la situation pré- sente.

Avant la colonisation

L’hégémonie touareg sur l’actuel Mali du Nord (comme sur l’actuel Nord du Niger), et les multiples groupes sédentaires qui y vivaient déjà, était à l’époque incontestable. Elle s’est établie progressivement, au cours des 18ème et 19ème siècles. Mais cette hégémonie était très particulière. Elle n’était ni centralisée, ni

13 Bien évidemment, on ne saurait confondre le wahabisme, le plus souvent pacifique, et le jihadisme. Quant au terme de jihad, il est pris ici dans l’acception exclusive et restrictive de « guerre sainte » que lui ont donné les groupes extrémistes et terroristes, et non dans le sens plus large d’effort sur soi-même qu’il a pour la plupart des musulmans.

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uniforme, et était dépourvue de tout projet politique commun, de type étatique ou impérial. Aucune administration, même indirecte, des régions et populations soumises à cette hégémonie n’était mise en place. Il s’agissait fondamentalement d’une économie de prédation, fondée sur les razzias, ou le prélèvement de tributs, menés par des groupes touaregs non coordonnés.

Certes, il existait au-dessus des multiples « tribus », clans ou fractions touaregs, constituant les unités politiques et militaires de base, des « confédérations », ensembles plus vastes placés sous l’autorité d’un « aménokal ». Plus d’une dizaine se partageaient l’espace sahélo-saharien. Non seulement aucune structure englobante ne les reliait entre elles, mais encore chacune d’elles constituait un ensemble instable, fait de liens d’inféodation lâches, et de rivalités multiples14.

Autrement dit, les sociétés touraregs étaient caractérisées dès avant la colonisation par un très grand fractionnement horizontal, qui s’est évidemment amplifié sous la colonisation, avec la perte de leur hégémonie militaire, les mouvements modernes de population, et la création de frontières et de nouvelles unités administratives. Les groupes touaregs de Tombouctou, de Kidal, de Ménaka, de Tchintabaraten ou d’Iferouane, au Mali et au Niger, s’ils partagent bien sûr la même langue et une même culture globale, n’ont ni les mêmes traditions, ni les mêmes référents historiques, ni les mêmes relations avec les populations au sein desquelles ils vivent, et chacun a de fortes spécificités culturelles.

Mais en outre les sociétés touaregs ont hérité de la période pré-coloniale un très grand fractionnement vertical. Elles sont fortement clivées entre castes/ classes, en particulier entre les groupes aristocratiques (imajerhen), minoritaires, et les groupes vassaux (imrad) et les groupes esclaves (iklan)15. Les relations de sujétion, et en particulier les discriminations dont sont victimes les anciens esclaves, sont encore fortes.

14 On peut en dire autant des sociétés arabes locales, comme les Berabiche ou les Kunta. 15 Respectivement appelée en songhay (langue largement pratiquée au Nord Mali par les sédentaires) : Surgey, Daagey, et Belley.

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Sous la colonisation

Dans un premier temps, les relations entre les Français et les groupes touaregs ont été souvent tendues. Les colons se méfiaient des anciens maîtres du pays (les imajerhen), dont certains ont collaboré certes avec eux, mais dont d’autres ont figuré parmi les principales figures résistantes16. Les administrateurs coloniaux, après l’abolition officielle de l’esclavage (1904), ont appuyé la sédentarisation des anciens esclaves en vue de rompre le lien qu’ils avaient avec leurs anciens maîtres, et ils ont mis ces derniers sous surveillance.

Mais une fois la domination coloniale solidement établie et affermie (disons après la première guerre mondiale et surtout les années 1930) les Touaregs n’ont fait l’objet d’aucun traitement particulier, et ont été intégré au même titre que les autres populations dans le système politique colonial. Au nord de la limite officielle séparant l’agriculture (les zones sédentaires) et l’élevage (les zones nomades), les « chefs de tribus » et les « chefs de groupements » (chez les Peuls, les Arabes et les Touaregs), nommés et appointés par l’administration coloniale, étaient l’exact équivalent des chefs de village et des chefs de canton pour les populations sédentaires. Toutes les « ethnies » étaient soumises aux mêmes prélèvements (collecte de l’impôt, travail forcé, conscription), et recevaient les mêmes services (lutte contre les grandes endémies, implantation de centres de santé et d’écoles).

Il est vrai que, dans un premier temps, les Touaregs ont été moins scolarisés, non seulement parce que, comme chez les autres groupes nomades, la transhumance se prête mal à l’éducation formelle (malgré les écoles nomades créées par le colonisateur), mais aussi parce que l’aristocratie touareg a dans une première période refusé d’inscrire ses enfants à l’école des Blancs.

Mais cette attitude a commencé à changer après la seconde guerre mondiale et, lors des indépendances, de nombreux cadres touaregs étaient en poste.

16 On se rappelle les résistances de Firhoun (confédération Oulliminden de l’Ouest, établie à Ménaka), et surtout de la révolte de Kaocen, dans l’Aïr, en 1916. Par contre les Ifoghas (centre des mouvements indépendantistes et jihadistes) ont dès le début collaboré avec les Français.

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Après les indépendances

Trois caractéristiques de la situation actuelle des groupes touaregs doivent être rappelées, car ils contredisent divers stéréotypes fréquents à leur sujet.

1. Un vaste processus de sédentarisation a eu lieu. Aujourd’hui la majorité des Touaregs sont sédentarisés, dans des campements fixes, des villages, ou des villes. Les Touaregs qui pratiquent encore l’élevage mobile le font le plus souvent autour d’un terroir d’attache, ou par bergers interposés. L’image des Touaregs comme peuple fondamentalement nomade n’estplus vraie.

2. Les Touaregs sont partout mélangés aux autres groupes, et la très grande majorité des villages sont multiculturels et multi-ethniques. Seule l’extrême Nord-Est du Mali, (dont l’Adrar des Ifoghas, bastion jihadiste), au-delà de Kidal, est à très forte domination touareg (mais avec une présence arabe non négligeable), un peu comme le massif de l’Aïr au Niger. L’image d’un vaste « pays touareg » au Nord Mali ou au Nord Niger est donc fausse.

3. L’enseignement de base se fait au Mali dans les langues maternelles, et le tamashek, langue touareg, est systématiquement enseigné à l’école primaire au même titre que toutes les langues du pays (la situation donc très différente de celle de l’amazigh, qui est l’objet de nombreuses revendications des Berbères en Afrique du Nord) ; de même, les émissions de radio en tamashek sont fréquentes ; d’autre part les Maliens d’origine touareg sont très normalement intégrés dans les élites, le jeu politique et les institutions de l’Etat, y compris au plus haut niveau (directeurs, ministres, premier ministre). L’image de Touaregs victimes d’une discrimination spécifique dans l’espace politique malien ne correspond pas à la réalité.

Mais alors, pourquoi cette succession de rébellions indépendantistes touaregs (cinq après l’indépendance du Mali) ? On peut dégager cinq facteurs :

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1. Il est indéniable qu’au sein des couches aristocratiques circulent depuis long-temps certaines nostalgies de l’hégémonie touareg pré-coloniale. Celles-ci ont parfois été entre tenues par des représentants français 17, en particulier du côté des Ifoghas, qui, au nom de leur alliance à longterme avec la puissance coloniale, ont, à l’indépendance, pu croire que la France recyclerait à leur profit le projet un temps car essé d’OCRS (Organisation commune des régions sahariennes), autrement dit d’un Etat saharien fondamentalement touareg. C’est cette nostalgie et cette illusion qui sont entre autres à l’origine de la première rébellion indépendantiste, celle de 1963, qui est partie des Ifoghas et de Kidal.

2.La répression très brutale de la rébellion de 1963 par l’armée malienne, venue pour l’essentiel du Sud, a laissé des traces douloureuses dans la mémoire collective, en particulier dans la région de Kidal, et a nourri un ressentiment profond au sein des très nombreuses familles de cette zone touchée par les massacres qui eurent lieu.

3.La grande famine de 1973 a entraîné la migration de très nombreux Touaregs vers des camps ou des pays voisins (Niger, Burkina Faso, Algérie, Lybie) et la constitution d’une couche de jeunes chômeurs désœuvrés et coupés de leur milieu, qui seront les recrues des futures rébellions. Cette famine a provoqué une profonde déstructuration des sociétés touaregs. Autrement dit, contrairement à une autre idée reçue, la rébellion n’est pas un produit « naturel» (ou « culturel ») de la société traditionnelle touareg mais au contraire un produit de sa déstructuration !

4.Le rôle de Khaddafi a été très important : il a appelé les jeunes Touaregs maliens et nigériens des camps et des campements à le rejoindre, et les a enrôlés en grand nombre dans sa « légion islamique » (qui ira se battre au Liban), il a développé chez eux une culture de la violence armée, il a promis d’accorder à tout Touareg

17Il a souvent été fait état de liens privilégiés et de longue date entre certains « services » français et les responsables indépendantistes touaregs, ceci est fortement plausible, mais bien sûr rien ne permet de le prouver.

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qui le souhaite la nationalité libyenne, et a lui aussi contribué à entretenir l’illusion d’un Etat saharien (mélange d’OCRS et de Kaddafistan). !)

5.Enfin, on ne saurait passer sous silence certaines formes de sujétion, de délaissement ou de mépris dont le Nord a été parfois victime de la part de l’Etat malien, et de certains cadres du Sud. On peut distinguer trois formes :

• Le délaissement économique est surtout un enclavement et une inaccessibilité dramatiques du Nord (très peu de routes, des pistes en très mauvais état, etc.). Ceci pénalise toutes les populations du Nord, et non les seuls Touaregs. Si les quelques villes du Nord ne sont pas démunies d’infrastructures (Kidal est autant équipé que bien des villes analogues du Sud), les vastes espaces ruraux sont en général dépourvus de services de base. Le Nord est nettement moins dynamique économiquement que Bamako ou les zones cotonnières, et dispose de moins d’écoles ou de centres de santé que les zones à forte densité. Par ailleurs, de nombreux financements (certes souvent détournés, tant par des élites du Nord que par des proches du pouvoir), se sont déversés sur le Nord, suite à la famine de 1973, mais aussi dans le cadre d’accords de retour à la paix après chaque rébellion.

• Pour les fonctionnaires bambaras, soninkés ou sénoufos, être affecté au Nord est une punition ou un exil, et ils s’y comportent souvent avec dédain ou arrogance envers les autochtones (Touaregs et non Touaregs), imposant la langue bambara dans les interactions quotidiennes, et ne cherchant guère à s’intégrer au milieu local.

• Enfin, une forte tendance, dans les discours publics ou les médias au Mali, à construire les symboles de l’identité malienne sur la seule histoire et langue malinké/bambara (geste du Mali médiéval, charte de Kouroukanfouga, etc.) est aussi vécue comme un déni des histoires et des traditions spécifiques du Nord du Mali, qui sont totalement différentes (geste du Songhay, venue des Marocains, commerce

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caravanier, écriture tifinar, etc.). Là aussi, ce sont toutes les populations du Nord, et non les seuls Touaregs, qui sont concernées par cette domination symbolique du Sud.

Le cycle des rébellions touaregs

Il s’agit bien d’un cycle, et l’attaque conjointe des indépendantistes et des jihadistes en janvier 2012 n’est que la dernière étape d’un processus commencé en 1963, et qui est passé par la rébellion de 1990, puis ses répliques de 2006 et 2009.

Toutes ces rébellions ont leur source autour de Kidal, au sein de la grande confédération des Ifoghas (en particulier les tribus KelAntessar, Idnan et Chamanamasse), même si, parfois, elles ont pu mobiliser certains éléments touaregs d’autres groupes, ainsi que des Arabes Kuntas, alliés des Ifoghas. C’est au sein de l’aristocratie des Ifoghas et de la vaste famille de l’amènokal que se sont constitués les entrepreneurs ethniques qui ont tenté depuis plus de 40 ans de structurer la revendication indépendantiste, de lui construire une identité culturelle et idéologique, et surtout de lui donner non seulement une expression politique, mais surtout une expression militaire.

Aucun mouvement ethnique, nulle part, n’est en effet « spontané » ou « naturel ». Tous sont des constructions sociales. Le fait de mettre en avant des référents collectifs ethniques (parmi les diverses identités de chacun), de privilégier une interprétation ethnique de la politique (parmi les autres déchiffrages possibles), de cristalliser des mécontentements, des frustrations, des dépendances ou des discriminations sous la forme de revendications ethniques (parmi les autres structurations possibles) passe nécessairement par des acteurs privilégiés ou éminents, des leaders plus ou moins charismatiques, autrement dit des entrepreneurs ethniques qui réorganisent le passé et le présent sous forme d’un « grand récit » ethnique donnant une direction au futur (restauration ou révolution). Tous les entrepreneurs politiques (fondateurs de groupuscules, de partis, de mouvements, de dynasties, ou de régimes) produisent de tels « grands récits » (ou « référentiels »), qui ont plus ou moins de succès. Mais seuls les entrepreneurs ethniques donnent à ces récits une base indissociablement raciale et culturelle. Peu importe que les

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récits soient vrais ou faux, l’essentiel est que, grâce à eux, les entrepreneurs ethniques trouvent des adhérents qui y croient et les suivent, et que naisse ainsi un minimum de mobilisation collective.

Mais, dans le cas de l’indépendantisme touareg, comme dans d’autres cas en Afrique ou dans le monde, les entrepreneurs ethniques sont devenus des entrepreneurs ethnico-militaires. Autrement dit, non seulement ils ont voulu ériger le fait ethnique comme un élément structurant de la vie politique (comme en Guinée…), mais surtout ils ont privilégié le recours à la violence comme son expression naturelle (comme en Casamance ou dans l’Est de la RDC).

Comme c’est souvent le cas pour les rébellions à base ethnique, les entrepreneurs ethnico-militaires ont surtout roulé pour leur propre compte ou celui de leur cercle de fidèles, sautant d’une alliance à l’autre, utilisant leur capacité de nuisance pour leur promotion personnelle, et s’installant dans les chaînes de corruptions et de détournements que la « rente post-rébellion » a suscitées.

En effet, le cycle des rébellions a fonctionné, à partir de 1990, comme une machine à produire des avantages en faveur des entrepreneurs ethnico-militaires et leurs clients: après la première rébellion, les accords de paix ont permis le recyclage (avec des promotions spectaculaires) des rebelles (ou des proches des chefs rebelles, quand bien même ils n’avaient jamais combattu) dans les corps en tenue, et le déversement de fonds importants officiellement destinés à la réinsertion, à l’aide humanitaire, et au développement, dont une partie a été accaparée par les dirigeants de la rébellion, mais aussi par les notables du Nord et les barons civils et militaires du régime ATT. Au bout d’un moment, certains leaders mécontents de leur sort ou de celui de leurs affiliés décidaient de reprendre les armes, faisant ainsi monter les enchères, et relançant un nouveau cycle de rente post-rébellion à leur profit.

En outre, le « pacte national » signé en 1992, entérinait le retrait de fait des forces armées du Nord du pays, livré aux rebelles et autres milices. Car des milices songhays étaient aussi apparues en retour (sous le nom de ganda koy, que l’on peut traduire par « les maîtres du pays ») pour défendre les intérêts d’une autre « ethnie » majeure

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du Nord du Mali. En effet le succès d’entrepreneurs ethniques (ou ethnico-militaires) suscite toujours l’apparition d’autres entrepreneurs ethniques (ou ethnico-militaires) pour prendre en charge les intérêts d’autres ethnies concurrentes, selon un processus de réaction en chaîne bien connu. Plus récemment, le mouvement ganda-ize (« les enfants du pays ») est ainsi apparu, avec sa milice, regroupent cette fois surtout des jeunes Peuls.

L’importante rente post-rébellion s’est intégrée dans les autres flux financiers, tout aussi importants, générés par la contrebande, la drogue et le commerce d’otages, pour construire paradoxalement au Nord du Mali des poches de très grande richesse. Certes, cette richesse ne concernait guère la grande majorité des populations, agriculteurs, éleveurs, petits commerçants, fonctionnaires locaux, qui n’en recevaient dans le meilleur des cas que quelques miettes. Elle était concentrée dans les mains de ce qu’on pourrait appeler une étrange « alliance prédatrice », où figurent divers chefs de tribus touaregs ou arabes, les dirigeants de milices, de fronts, et de groupes indépendantistes, les généraux de Bamako et les gradés affectés au Nord, et, bien sûr, les dirigeants jihadistes. Les produits en étaient affectés aux classiques dépenses de prestige (à Gao tout le monde connait le quartier dit des « villas de la drogue »), mais aussi aux achats d’armes, ou de pick-up 4 × 4 (quand ceux-ci n’étaient pas simplement volés).

C’est cette « alliance prédatrice » qui gérait de fait les affaires et la sécurité dans un Nord du Mali abandonné par Bamako, sa police et son armée. C’est dans ce contexte que s’est préparée la rébellion de 2012, facilitée par l’arrivée des troupes touaregs de Kaddafi étrangement laissées libres par les Français de quitter la Lybie avec des stocks d’armes modernes considérables. Mais cette nouvelle rébellion indépendantiste a vite pris une tournure radicalement nouvelle, du fait de son alliance avec les jihadistes, et surtout en raison de la prise de pouvoir très rapide de ceux-ci. Après l’attaque combinée entre indépendantistes (MNLA) et jihadistes (AQMI, Ansa

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Eddine, Mujao) 18 , les premiers allaient se faire complètement marginaliser.

Il faut aussi souligner que les frontières entre ces diverses organisations sont quelque peu poreuses. En particulier, du côté des Touaregs des Ifoghas (parmi lesquels de nombreux membres de la tribu des Idlan, dont beaucoup faisaient partie de l’armée de Kaddafi), les va-et-vient entre les deux groupes presque exclusivement touaregs, le MNLA (indépendantistes) et Ansar Eddine (jihadistes)19, ont été incessants : les troupes du MNLA sont en grande partie passées du côté d’Ansar Eddine aux débuts de la conquête du Nord Mali par les jihadistes; puis après l’intervention française et la reprise des villes, le mouvement s’est fait en sens inverse, redonnant ainsi des troupes à un MNLA qui n’en avait plus20. Plus généralement, dans tout le Nord Mali, de nombreux jeunes ont adhéré à tel ou tel groupe armé, non tant pour des motifs idéologiques profonds, mais parce qu’ils y gagnaient une solde, des armes, un statut, du pouvoir, préférant la culture rémunératrice de la violence à la culture frustrée du désœuvrement, ou simplement voulant régler des comptes. Par exemple de nombreux Peuls ont rejoint le MUJAO moins par enthousiasme salafiste que par sentiment « anti-MNLA », en raison des nombreuses exactions dont

18 Cette alliance entre le MNLA est allée assez loin. Le MNLA a revendiqué la prise d’Aguelhoc, où près d’une centaine de soldats maliens ont été égorgés par les islamistes. Il a aussi, une fois le pouvoir jihadiste établi sur tout le Nord du Mali, tenté de négocier avec lui, y compris en acceptant la charia comme base d’une action commune. 19On peut rappeler qu’Iyad Ag Ghali, le dirigeant d’Ansar Eddine, est un ancien dirigeant indépendantiste, cousin des dirigeants du MNLA, et membre comme eux de la famille de l’aménokal des Ifoghas. C’est aussi un exemple remarquable des personnages qui ont constitué l’alliance prédatrice du Nord : il a été tour-à- tour chef rebelle, conseiller d’ATT, ami de Blaise Compaoré, négociateur pour des libérations d’otages, lié à de hauts dirigeants au Qatar et en l’Algérie, notoirement impliqué dans de nombreux trafics, à nouveau rebelle, et enfin jihadiste déterminé… 20Contrairement à ses déclarations, le MNLA n’a libéré aucune ville des jihadistes. Il s’est simplement précipité pour entrer à Ménaka et à Kidal une fois que les jihadistes en étaient partis pour fuir l’avancée des troupes françaises..

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ce mouvement s’est rendu coupable dans la vallée du Niger au début de la rébellion.

Les pièges de la question touareg

Ayant ainsi précisé le contexte ancien et récent dans lequel se situent les rébellions touaregs, nous pouvons maintenant, dans cette perspective, rappeler deux vérités incontestables, mais parfois oubliées.

1.Les populations touaregs sont très minoritaires dans le Mali du Nord. Les estimations oscillent entre 5 et 10%21. Les autres populations du Nord (assez peu mentionnées dans les médias occidentaux) sont les Songhoy, Arma, Arabes, Peuls, Gabéro, Bozo, etc., auxquels il faut ajouter des résidentsoriginaires du Sud mais installés au Nord depuis parfois deux ou trois générations.

2.Les indépendantistes touaregs (aujourd’hui le MNLA) sont une toute petite minorité chez Touaregs ; au-delà du noyau de l’aristocratie des Ifoghas (aujourd’hui divisée entre indépendantistes et jihadistes) voire des aristocraties des autres tribus de la confédération des Ifoghas, ils ne touchent que quelques très rares éléments épars des aristocraties des autres confédérations. Partout, la grande masse des imrad (anciens vassaux) et des Bellas (anciens esclaves), qui constituent la majorité des populations kel tamashek (« ceux qui parlent le tamasheq », nom générique que se donnent eux-mêmes les Touaregs) est très hostile aux thèmes indépendantistes (il suffit d’aller les rencontrer dans les camps de réfugiés au Burkina Faso ou au Niger pour s’en convaincre)22.

21Il n’y a pas de recensement à base ethnique, d’une part, et, d’autre part, de nombreux ressortissants du Nord vivent en partie ou en totalité à Bamako, ce qui complique encore les estimations. 22De nombreux imrad de la confédération des Ifoghas avaient toutefois participé activement à la rébellion de 1990, mais de violents combats les ont opposés en 1994 au Mouvement populaire de l’Azawad (regroupant l’aristocratie des Ifoghas et dirigé par Iyad Ag Ghali) et ils sont aujourd’hui très hostiles au MNLA (cf. le lieutenant-colonel Gamou).

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Dans ces conditions, on peut comprendre l’exaspération des Maliens lorsqu’ils constatent que, bien souvent, les médias occidentaux font la double confusion entre Nord du Mali et pays touareg, et entre Touaregs et indépendantistes, relayant ainsi l’ahurissante prétention du MNLA de représenter les populations du Mali du Nord, territoire dont il a proclamé l’indépendance sous le nom d’une dérisoire « République de l’Azawad »23, avant de s’en faire partout expulser en quelques jours par ses alliés jihadistes. De tels propos ont parfois trouvé en Europe et en France, de façon surprenante, des relais complaisants ou naïfs chez divers commentateurs, hommes politiques, militants associatifs, voire anthropologues, au mépris de toute réalité.

L’assimilation du MNLA aux Touaregs et des Touaregs aux populations du Nord, et le fait, qui en découle, de présenter le MNLA comme interlocuteur privilégié produit trois effets très négatifs : (a) ceci constitue une prime aux entrepreneurs ethnico-militaires et à la reproduction du cycle des rébellions et des rentes post-rébellion ; (b) ceci hypothèque la nécessaire réconciliation de toutes les composantes du Mali du Nord, et la libre expression des populations concernées ; (c) et enfin ceci ré-active l’ethnicisation du problème (et les risques de stigmatisation des Arabes et des Touaregs), dont il faut au contraire absolument sortir !

Le fait que les troupes françaises cautionnent jusqu’à ce jour le refus du MNLA de laisser entrer à Kidal (capitale d’une des trois régions du Nord) tout représentant de l’Etat malien est à cet égard un signe très inquiétant24.

23 Ce qui signifie « nord » en tamashek 24On peut certes interpréter cette complaisance comme liée au souci de bénéficier de l’aide du MNLA pour retrouver les otages, ou comme la crainte (probablement fondée) qu’une armée malienne encore peu fiable, désorganisée et sans réelle chaîne de commandement ne se livre dans cette zone à des représailles, mais ces arguments ne justifient en rien que les représentants civils de l’Etat malien (gouverneur, préfets) ne puissent reprendre leur service à Kidal, avec une présence simplement symbolique de l’armée malienne ! La France cautionne ainsi de facto l’établissement d’un territoire autonome géré par les indépendantistes, ce qui hypothèque l’avenir.

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Mais, d’un autre côté, la situation catastrophique de l’armée malienne (encore aggravée par le putsch militaire), qui est loin d’être encore reconstruite sur des bases saines (la chaîne de commandement a été détruite, le moral et la compétence des troupes sont mauvais) augmente les risques – bien réels – de représailles aveugles, et donc la poursuite du processus d’ethnicisation de la question touareg. Comme souvent dans de tels cas, les deux camps « ethnicisés » (MNLA d’un côté, revanchards anti-touaregs de l’autre) s’alimentent mutuellement.

Conclusions pour l’avenir

Il nous semble que deux conclusions importantes ressortent clairement de cette analyse.

1. Le processus de reconstruction et de réconciliation doit s’engager avec toutes les composantes du Nord Mali

Contrairement aux années précédentes, c’est avec toutes les communautés du Nord qu’il faut engager un dialogue, entreprendre une réconciliation nationale, reconstruire le Nord. En particulier, il faut intégrer à ce processus les élus et la société civile (grands oubliés des négociations du passé) et éviter de reproduire les échecs du passé par des négociations en tête à tête avec des groupes armés très minoritaires et très déconsidérés25. Il faut engager un processus de dé-ethnicisation de la « question du Nord », tant du côté des groupes touaregs (en refusant les surenchères indépendantistes ethniques) que du côté des autorités maliennes (en réprimant toutes représailles ethniques).

2. La priorité doit être donnée à la délivrance des biens et services publics aux populations du Nord

Cette problématique de la délivrance des biens et services publics correspond d’abord et surtout aux aspirations des populations du

25 Cette question de l’absence de représentativité du MNLA (au-delà de l’aristocratie des Ifoghas) est évidemment décisive : si l’on prend pour argent comptant les prétentions du MNLA à représenter « les Toua- regs », et, au-delà, le Nord Mali, alors on conclura qu’il faut en faire des interlocuteurs privilégiés. S’il s’agit d’un petit groupe d’entrepreneurs ethnico-militaires qui tente de revenir dans le jeu dont les jihadistes (à qui ils avaient ouvert la porte) l’avaient exclu, et qui fait tout pour ré ethniciser la situation, alors il faut exiger qu’il dépose les armes pour pouvoir participer au dialogue inclusif.

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Nord quelles que soient leurs communautés d’origine. Elle a aussi l’énorme avantage de transcender les identités « ethniques » ! En outre, elle évite de concevoir la reconstruction sous forme d’un arrosage de subventions et d’une distribution de « rente post- rébellion ». Il s’agit de multiplier les infrastructures, de construire (enfin !) des routes, de bâtir des écoles et des centres de santé et d’y affecter des personnels compétents, de creuser des puits et des forages, d’apporter des services vétérinaires aux éleveurs, de fournir une sécurité de proximité (contre le brigandage et les rackets), etc.

Certes, il faut absolument que l’Etat malien revienne enfin au Nord du Mali, et le plus vite possible. Mais de quel Etat s’agit-il ? Il faut un Etat « délivreur » (de services), et non un Etat militaire et répressif26. Il existe une large « demande d’Etat » (une demande de services envers l’Etat malien) au sein des populations du Nord, dont tous les entretiens témoignent, que tous les acteurs locaux expriment, sur laquelle il faut s’appuyer et qu’il faut satisfaire.

C’est le meilleur moyen de régler enfin la « question touareg ». Sans doute le seul.

26 L’arrivée (enfin !) des troupes de le CEDAO permettrait de leur déléguer la sécurisation militaire, et d’éviter que l’armée malienne assume directement cette fonction tant qu’elle n’a pas été reconstruite sur des bases saines. Les exactions ou représailles dont certains éléments se rendent coupables au détriment de Touaregs ou d’Arabes sont imputables à cette situation déliquescente de l’armée malienne.

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Kidal, la France et les Touaregs des Ifoghas

Par Jean-Pierre OLIVIER de SARDAN

L’assassinat des deux journalistes de RFI à Kidal a révélé à quel point Kidal est une zone de non-droit. D’un côté l’Etat malien n’y a aucune réelle présence et aucune autorité. D’un autre côté, le mouvement indépendantiste touareg est incapable de gérer la ville et d’y assurer une quelconque sécurité, bien que Kidal soit son « fief », et qu’il y ait quartier libre. Quant aux forces françaises, elles avaient de fait donné les clés de la ville au MNLA lors de la libération du Nord-Mali par Serval. Mais pourquoi Kidal connait-elle une situation si particulière ? Il faut pour comprendre remonter dans le temps.

Il est vrai que Kidal (ancien bagne colonial) est au centre de la vaste zone où nomadisaient traditionnellement les diverses tribus touaregs regroupées dans la confédération des Ifoghas. Le chef (Amenokal) de cette confédération réside à Kidal. Il est vrai aussi que cette même confédération des Ifoghas est au cœur depuis 50 ans de l’indépendantisme touareg. La révolte de 1963 est partie de Kidal et des Ifoghas. Or c’est elle qui a semé les germes de l’idéologie indépendantiste (avec sa nostalgie de l’hégémonie pré-coloniale des Touaregs dans le Nord-Mali). La féroce répression de cette révolte par les troupes envoyées de Bamako a renforcé et durci cette idéologie, qui s’est réinvestie dans la série de rébellions qu’a connues cette région depuis les années 1990. Or, toutes ces rébellions sont parties de la région de Kidal. Aujourd’hui même, les deux mouvements indépendantistes touaregs (MNLA et HCUA) sont chacun dirigé par des proches parents de l’Aménokal. Il est vrai enfin que l’un des trois mouvements jihadistes qui avaient pris le contrôle du Nord Mali (avec AQMI et le MUJAO), Ansar Eddine, essentiellement composé de Touaregs, est aussi issu de Kidal, avec pour chef Iyad Ag Ghali, ancien dirigeant indépendantiste, et lui aussi membre de la famille de l’Aménokal (beaucoup d’élément d’Ansa Eddine ont rejoint récemment le HCUA).

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Mais cette imbrication historique profonde entre l’indépendantisme touareg et Kidal ne doit pas faire oublier quelques autres vérités. La première est que le peuplement touareg du Nord Mali ne se réduit ni à Kidal ni aux Ifoghas, et que, même si les mouvements indépendantistes ont pu recruter quelques cadres au-delà de la région de Kidal, l’essentiel des autres tribus et confédérations touaregs du Nord Mali (autour de Tombouctou, Gao ou Ménaka) est resté largement indifférent ou hostile aux revendications du MNLA. La seconde est que dans la région et la ville de Kidal même, les Touaregs indépendantistes sont loin d’être aussi hégémoniques qu’on le croit. Des populations touarègues locales importantes sont hostiles au MNLA et au HCUA. C’est le cas des Imghad des Ifoghas (anciennes tribus libres tributaires), avec à leur tête le colonel loyaliste Gamou. C’est le cas aussi de nombreux groupes d’anciens esclaves touaregs (Bellas), dont beaucoup se sont enfuis au loin. De leur côté les groupes arabes (qui nomadisaient également autrefois dans la région) se positionnent essentiellement dans des stratégies opportunistes et selon les rapports de force mouvants, avec un mouvement spécifique, le MAA, tantôt en guerre ouverte contre le MNLA, tantôt en alliance avec lui. Quant à la ville de Kidal même, c’était avant l’occupation jihadiste une capitale régionale cosmopolite. Lors des élections municipales avant la crise, la liste soutenue par l’Aménokal et les indépendantistes avait même été battue dans son fief !

Mais un nouveau « pourquoi » surgit. Pourquoi les militaires français, qui, dans chaque ville libérée du Nord Mali, amenaient avec eux les représentants de l’Etat malien et des troupes maliennes, ne l’ont-ils pas aussi fait à Kidal ? Pourquoi ont-ils concédé la ville au MNLA ? La question est d’autant plus troublante que le MNLA, à ce moment-là, n’était plus une véritable force militaire et politique. La plus grande partie de ses troupes avait été « siphonnée » par Ansar Eddine, et était donc passée du côté des jihadistes, les quelques éléments fidèles étant repoussés aux frontières. Le seul atout du MNLA était de s’être précipité dans la ville avant l’arrivée des Français, en profitant de ce que les jihadistes avaient fuit Kidal et laissé la ville ouverte, et d’avoir récupéré quelques éléments d’Ansar Eddine qui sentaient que le vent avait de nouveau tourné.

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L’attitude française est d’autant plus surprenante qu’elle s’opposait non seulement aux autorités maliennes de l’époque (régime de transition, soutenu par la France), non seulement à l’ensemble de la classe politique malienne (soucieuse de l’unité nationale et excédée par le fait que le MNLA avait ouvert la porte aux jihadistes et à l’occupation du Nord Mali), mais aussi aux avis de ses partenaires africains comme le président du Niger Mamadou Issoufou ou les partis africains membres de l’Internationale socialiste. Tous faisaient pression pour qu’on ne donne pas un régime spécial à Kidal. La France ne les a pas entendus. Pourquoi ?

On peut avancer quelques hypothèses. La première est la crainte des représailles qu’aurait pu exercer l’armée malienne sur les populations touarègues dans le fief des rébellions. Elle n’était pas totalement infondée, vue la désorganisation de l’armée malienne, mais pouvait être aisément contre-balancée par une présence dissuasive de Serval à Kidal ou l’affectation à Kidal par l’état-major malien de soldats d’origine touarègue (paradoxalement, alors que des représailles contre des personnes d’origine maure, arabe ou touarègue ont eu lieu dans d’autres régions du Mali, à Kidal ce sont des personnes d’origine bambara ou songhay qui ont été victime de représailles de la part d’éléments du MNLA). Une autre hypothèse est que les forces françaises comptaient sur le MNLA pour mener la bataille dans les montagnes des Ifoghas et surtout pour y récupérer leurs otages. Elle semble avérée. Mais le MNLA n’a servi à rien dans ce domaine. Une troisième hypothèse est que les Français surestimaient beaucoup les forces et les capacités du MNLA, succombant ainsi aux réelles capacités d’ « intoxication » des indépendantistes. Cette hypothèse, qui semble par ailleurs plausible, est très répandue chez les cadres politiques maliens et nigériens, mais elle recouvre en fait deux autres hypothèses sous-jacentes très différentes sur le pourquoi de cette « complaisance » française envers les indépendantistes. L’une relève de la théorie du complot et n’a pas de fondement sérieux : la France voudrait favoriser un Etat touareg à sa botte pour mettre la main sur les ressources minières de cette région. L’autre est plus crédible : les « services » français entretiennent depuis longtemps de bonnes relations avec les leaders touaregs indépendantistes et se font en quelque sorte « enfumer »

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par eux. A l’appui de cette hypothèse, le fait les troupes touarègues de Kaddafi, en désertant, ont pu entrer librement au Mali avec des centaines de véhicules bourrés d’armes : on soupçonne un deal conclu avec les « services » pour à la fois affaiblir Khaddafi, et utiliser les Touaregs contre AQMI. Ce fut l’inverse qui survint !

Quoi qu’il en soit, la situation de non-droit à Kidal ne peut plus durer. Il ne s’agit pas seulement d’y envoyer plus de troupes françaises, le temps des prochaines élections législatives, il s’agit surtout que Kidal redevienne une ville malienne, multi-ethnique, administrée par un maire élu, et que le dialogue s’y ouvre, comme ailleurs, avec toutes les composantes de la population, et non en tête à tête avec tel ou tel mouvement armé s’auto-proclamant son représentant.

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De l’ingouvernabilité aux aspirations concurrentes : l’Etat Malien pris à partie

Ambroise Dakouo Institut du Local/ ARGA-Mali

La construction de l’Etat en Afrique au lendemain des indépendances procède d’une « greffe » exogène, ou encore d’un « mimétisme » de l’Etat occidental. Dominique Darbon souligne à cet effet, que l’une des tares congénitales de la construction de l’Etat dans les « pays pauvres », est celle de la perception de l’Etat liée à sa capacité de régulation, de direction, de gestion ou d’anticipation des modes d’organisation politique et sociale, alors que ces Etats ne disposeraient pas de capacités requises (Dominique Darbon 2008 :148).

Depuis leur accession à l’indépendance majoritairement acquise dans les années 1960, c’est l’ensemble des États ouest-africains qui sont dans des situations de fragilité permanente. Cette situation des Etats ouest-africains se caractérise notamment par : des coups d’Etats « à répétition », les rebellions liées aux revendications indépendantistes à l’intérieur des pays, la contestation de la régularité des élections

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débouchant sur des crises postélectorales, la mal gouvernance dans les secteurs liés aux services publics de base, etc.

La crise malienne de 2012 est révélatrice de la défaillance de l’Etat. L’analyse de cette crise offre plusieurs points de vue non moins pertinents les uns face aux autres. Dans ce texte, nous aborderons i) la problématique de la construction de l’Etat malien et les facteurs d’ingouvernabilité ayant provoqué « l’accélération de la crise », ii) les revendications conflictuelles et concurrentes de l’intérieur, iii) les disputes liées à la présence des forces armées étrangères, et enfin iv) nous formulerons des suggestions dans la perspective de la refondation de l’Etat et de la lutte contre les menaces sécuritaires.

1. De la problématique de la construction de l’Etat

Dès le début des années 90 en vue de la transformation globale du modèle politique et administratif hérité de près d’un siècle de colonisation et de trois décennies de centralisme politique, institutionnel et économique, l’Etat a consenti de nombreux efforts. L’examen de différentes reformes montre un effort de décentralisation, de démocratisation et de modernisation de l’administration en vue d’asseoir la crédibilité de l’Etat et de renforcer la gouvernance au niveau local et national, notamment dans les secteurs de la sécurité. Qu’à cela ne tienne, l’Etat malien reste de plus en plus confronté à des défis immenses qui ne cessent de mettre en cause à la fois sa crédibilité et sa légitimité (Ousmane Sy 2010 :3). Or, la conception wébérienne de l’Etat confie à celui-ci l’exercice de trois fonctions essentielles qui sont censées exprimer sa légitimité : sécurité, représentation et protection sociale (Severine et all., 2010 :19). En effet, la crise complexe qu’à vécu le Mali en 2012 a révélé le caractère « fragile » de l’Etat malien et son incapacité à assumer ces fonctions « régaliennes » à savoir la sécurité territoriale, la protection des personnes et de leurs biens.

En réalité, depuis l’indépendance la « croissance » de l’Etat malien est ralentie par de nombreux facteurs dont la régularité de l’instabilité politico-sécuritaire et institutionnelle. Le Mali a vécu trois coups d’Etat militaire, suivis de trois périodes d’exception. Cependant les constats récurrents liés à la problématique de la construction de

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l’Etat malien ont aussi pour nom : le discrédit social, le manque de légitimité et l’inefficience de l’appareil d’Etat face aux innombrables défis dont la faible délivrance des services sociaux de base ; la faiblesse des forces défense et de sécurité caractérisée par l’incapacité de faire face aux exigences de défense des frontières et de sécurisation des personnes et de leurs biens, car minées par le clanisme, démoralisées par leur sous-équipement et encouragées dans leurs travers par un leadership politique faible et corrompu ;l’indifférence manifeste des citoyens face à la violation de l’article 121 de la Constitution malienne, (votée à 98,35 %, lors du Référendum du 12 janvier 1992) ; la dé-légitimation sociale des acteurs politiques, de la société civile et des médiateurs sociaux, incapables de dialogue, de compromis, encore moins de transcender les clivages partisans et corporatistes ; la déliquescence de l’éducation nationale, accompagnée par une déperdition des valeurs civiques et de citoyenneté dans l’espace public27.

Il convient également d’interroger la pertinence des choix politico-institutionnels, opérés par les gouvernants successifs du Mali. A cet effet, l’interrogation porte sur :

• le modèle d’Etat-Nation unitaire qui a beaucoup de mal à accepter et à gérer la diversité humaine et territoriale qui caractérise la nation et le territoire ;

• le système politique (les partis uniques et le modèle de démocratie représentative) mettant en évidence la faible légitimité des institutions et des dirigeants élus ;

• l’administration publique toujours engluée dans la logique et dans les pratiques d’autoritarisme, de clientélisme et d’unilatéralisme ;

• l’armée et les forces de sécurité présentes dans les sphères politiques et minées par le clanisme et la corruption depuis le coup d’Etat du 19 novembre 1968 ;

• les politiques économiques inadaptées aux exigences de construction d’une nation dont les principales caractéristiques

27 Cf. Atelier de cadrage Forum multi-acteurs sur la gouvernance démocratique au Mali (FMA), les 7 et 8 février 2013, Bamako/ Mali.

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sont la diversité des communautés et l’étendue et la disparité des territoires.

C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender les facteurs d’ingouvernabilité ayant facilité l’établissement des groupes armés dans les régions nord du Mali (bande sahélo-saharienne). Dans l’étude portant sur “Les espaces ingouvernés des regions du nord”, Mohamed Al Moustapha Touré (2012:10) propose de saisir le phénomène à travers trois points d’entrée : 1) les conditions sociales, géographiques, économiques et politiques favorables à l’attraction des groupes armés pour certaines populations locales. Ces conditions vont probablement continuer à exister ; 2) les gouvernements locaux n’ont pas les moyens de contrôler leurs régions sahariennes (services, sécurité, justice) ; et 3) Les différentes crises dans la région ont renforcé les groupes armés au Nord du Mali.

En effet, l’analyse des variables d’ingouvernabilité au Mali montre un niveau de pénétration sociale de l’Etat qui se manifeste par l’insuffisance d’infrastructures physiques, une prévalence de l’économie informelle (narcotrafic, commerce d’armes, enlèvements d’otages, etc.) et aussi par une résistance historique, sociale et culturelle des populations locales face l’administration d’Etat.

Enfin, une autre variable caractéristique de l’ingouvernabilité des régions nord du Mali demeure l’effritement du monopole de la violence (par l’Etat). La présence des groupes armés organisés et établis dans la bande sahélo-saharienne, la multiplication des réseaux criminels, la circulation massive des armes légères et leur accès facile par les populations locales et les interférences étrangères (directement dans ces régions), ont réduit la mainmise de l’Etat sur ces territoires.

2. Revendications et aspirations concurrentes : un Etat disputé et mercantilisé

L’analyse des rapports à l’Etat révèle trois revendications que Patrice Gourdin (2012 :8) appelle des « aspirations concurrentes ». On note en premier lieu une aspiration légitime de construction d’un Etat unitaire, en deuxième lieu des velléités indépendantistes Touaregs,

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et en troisième lieu des aspirations d’établissement d’une gouvernance islamiste.

Contrairement à la lecture que propose Gourdin, la division des aspirations concurrentes n’est pas celle d’une confrontation entre les principaux groupes ethniques du Mali. Il faut plutôt y voire la confrontation d’enjeux qui s’enchevêtrent, qui s’allient ou qui se désallient au gré des intérêts et des rapports de force avec l’Etat central.

L’Etat disputé de l’intérieur et mercantilisé

Si la construction d’un Etat unitaire et le « développement » du Mali constituent la trame du discours officiel, il n’en demeure pas moins que la mise en pratique de ce discours laisse à désirer.

La gouvernance étatique revèle une administration publique inefficiente, mercantile et distante des populations. C’est que les inombrables initiatives de lutte contre la corruption sont défaites de l’intérieur et accompagnées par des discours politiques qui entérinent une conception “ambiguë” des rapports à la chose publique.

Le manque de veritable alternative politique, malgré l’avènement de la démocratie en 1991 revèle un “captage” des affaires publiques par une certaine élite politique. Par exemple, à travers leur assise territoriale l’ADEMA-PASJ, l’URD, le RPM, le MPR, le PARENA, etc. comptent dans leurs rangs la majorité des députés, soit 54 pour l’ADEMA, 34 pour l’URD, 11 pour le RPM, 8 pour le MPR, 7 pour le CNID, et 4 pour le PARENA, ce qui représente environ 80% des élus à l’Assemblée nationale pendant la législature 2007-2012. De 1992 à 2002 le président de la République du Mali a été issu des rangs de l’ADEMA-PASJ, de 2002 à 2012, un candidat indépendant Ahmadou Toumani Touré a dirigé le pays, il avait été soutenu lors des élections de 2007 par une plate forme de 33 partis politiques parmi lesquels l’on retrouve l’ADEMA-PASJ, le MPR, le CNID, etc. Les élections de 2013 ont permis l’accession d’un “transfuge” de l’ADEMA au pouvoir en la personne d’Ibrahim Boubacar Keita. (Ambroise Dakouo 2013:7).

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Le quasi- monopole de l’espace politico-administratif et institutionnel par les grandes formations politiques empêche l’émergence des « petits » partis du fait de leur inexpérience, de la faiblesse de leur assise nationale et de leurs ressources financières. Dans un tel contexte, les appels au changement se multiplient et l’opportunité qu’offre le « bouleversement politico-institutionnel » avec le coup d’Etat de mars 2012 n’est pas loin d’être perçue comme une « occasion ». Les problèmes liés à la gestion des “diversités” au Mali résultent donc en partie d’un décalage entre les discours politiques et institutionnels et les réalités de la gouvernance des affaires publqiues.

Les velléités indépendantistes Touaregs

Depuis l’époque coloniale, cinq révoltes surgissent et traversent la construction de l’Etat après l’accession à l’indépendance en 1960. De 1916-1917, la « confédération des Iwllimidden » s’oppose à la conquête militaire française ; de 1963-1964, prétextant de l’OCRS, les KelAdagh manifestent des velléités indépendantistes quelques années seulement après la proclamation de l’indépendance du pays ; de 1990-1995 un vaste mouvement de l’Adagh se révolte face au « pouvoir dictatorial » du Général Moussa Traoré ; à la veille des élections de 2007, un mouvement armé se manifeste en 2006 et obtient la signature des « Accords d’Alger » ; en 2012 à la suite des révolutions dans le Maghreb et dans la foulée de la chute du régime libyen de Mouammar Kadhafi, une rébellion éclate dans le nord Mali et a pour principale revendication l’indépendance territoriale de l’Azawad (Bourgeot 2013 :28-29).

D’abondantes analyses rappellent le « projet » de création d’un Etat Touareg dans le nord du Mali. En effet, le 10 janvier 1957, la loi N°57-27 votée par l’Assemblée nationale française créait l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (l’OCRS). Ce « bluff français », demeure pour de nombreux Touaregs le point de fixation de revendication politique.

La proclamation de l’indépendance de l’Azawad le 6 avril 2012 n’est alors qu’une velléité historique de création d’un Etat réunissant les trois régions du nord Mali. Si ce projet indépendantiste ne mobilise

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pas tous les Touaregs, il n’en demeure pas moins qu’il mobilise dans son argumentaire une critique sévère de la gouvernance politique de Bamako.

Terrorisme et velléité d’instauration d’une gouvernance islamiste

Le nord Mali est devenu le principal théâtre de la criminalité et du terrorisme en Afrique de l’Ouest ces dernières années. Cette situation a atteint son paroxysme avec la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. En effet, la présence accrue de Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), qui organisait des opérations sur le territoire malien depuis 2003, l’atterrissage d’un cargo rempli de cocaïne dans la région de Gao en 2009, ont révélé l’une des principales plaques tournantes de la drogue en direction de l’Europe, et ont exaspéré un peu plus la situation sécuritaire dans le nord Mali (Holder 2013 :7).

C’est dans ce contexte que Judith Scheele rappelle la nécessité d’une approche historique de la criminalité au nord Mali. La contemporanéité des échanges économiques que décrit l’auteur montre que des activités commerciales, transsahariennes voire transcontinentales, se sont greffées sur des infrastructures transfrontalières dans le Sahara : des cigarettes d’abord, puis des armes et des stupéfiants. Ce commerce, en s’appuyant sur une main-d’œuvre locale, a entraîné la restructuration d’une partie des réseaux commerciaux régionaux et remis en cause d’anciennes hiérarchies sociales locales et régionales (Scheele 2013 :12). La fragilité de l’autorité d’Etat doublée de son manque d’impact sur la « gouvernance informelle » dans le nord du pays a rendu le terreau favorable à l’investissement dans l’économie criminelle. En effet, en 2012 quand les groupes terroristes attaquent les régions du nord, l’administration d’Etat abandonne les populations à leur sort face aux « nouveaux maitres des lieux » : MNLA, MUJAO, Ançar dine, AQMI. Le mouvement Ansar Eddine (“Combattants de la foi“), conduit par Iyad Ag Ghali en est le principal acteur qui dispute à l’Etat l’instauration de la « charia » sur l’ensemble du territoire malien.

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3. Disputes autour des alliances de l’Etat

L’intervention rapide de la Force Serval le 11 janvier 2012 a permis de stopper l’avancée des groupes armés au Mali. La Force Serval a été rejointe quelques mois plus tard, par les forces de la MINUSMA28 pour assurer la stabilisation du pays.

Pourtant des interrogations demeurent quant au rapport entre ces forces armées et l’Etat malien, dont l’état de stabilisation non achevée empêche d’imposer sa volonté quant à la construction post-crise du pays. Face à cette situation complexe, l’Etat malien est investi dans des stratégies de re-légitimation de soi, à travers des discours inopérants, caractérisés par un manque de « gouvernail » de façon générale dans la conduite des affaires publiques.

Dans son processus de « stabilisation-normalisation » l’Etat se trouve confronté à une opposition politique revigorée au lendemain des élections présidentielles de juillet 2013 ; l’opinion publique malienne est (elle aussi) devenue de plus en plus regardante sur la gouvernance publique et ne manque pas de manifester son désaccord ou son soutien à l’Etat. L’Etat malien fait aussi face à la présence des acteurs internationaux dont le soutienà été déterminant dans le pays ces dernières années. Ces acteurs internationaux, forts de cet apport, jouent un rôle accrû dans la

28MINUSMA : Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unis pour la Stabilisation au Mali,

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construction du Mali post-crise à la fois sur le plan politique, institutionnel, social et économique.

Les récents évènements qui ont secoué la ville de Kidal à l’occasion de la visite du Premier Ministre le 17 mai 2014 démontrent en effet, la fragilité de l’Etat, l’insuffisance d’organisation des forces armées et les divergences de vues autour de la présence des forces armées dans le pays. Mais aussi les alliances « opportunes » et à géométrie variable. Michel Goya (2013 :6) rappelle à cet effet que la France coopère ouvertement avec le MNLA, pendant que ce mouvement est en conflit armé avec l’Etat malien pour être le déclencheur de la crise en janvier 2012.

C’est dans ce contexte qu’il faut saisir les évènements liés à la visite du Premier Ministre dans la ville de Kidal. Cette visite de Moussa Mara accompagné de plusieurs membres de son gouvernement, a révélé au grand jour les enjeux « supranationaux » liés à la crise malienne. C’est dans ce sens que l’opinion publique malienne s’est interrogée : « Pourquoi les soldats français ni ceux de la MINUSMA ne sont intervenus pour appuyer leurs frères d’armes du Mali aux prises avec les assaillants du MNLA le 17 mai à Kidal ? »29.

Ces « disputes » ont fait émerger le débat rhétorique sur le mandat des forces étrangères (MINUSMA) et surtout sur le rôle « ambiguë » de la France dans le pays. En effet, c’est dans ce contexte que la France annonce la fin de la mission Serval et la mise en place d’une nouvelle opération appelée « Barkhane » devant intervenir dans cinq pays de la bande sahélo-saharienne : Mali, Mauritanie, Niger, Burkina, et Tchad. Force est de reconnaître que cette « transmutation stratégique » repose de plus belle la problématique de la présence des armées étrangères dans les contextes africains.

4. Eléments de perspective

Il est avéré que les menaces terroristes sont dévastatrices des Etats dès lors que ces Etats sont affaiblis de l’intérieur et leur armée minée par la corruption et par des enjeux politiques instables. Eu égard à la nature et à la complexité des menaces auxquelles sont confrontés les

29 Journal Indépendant, 21 mai 2014. 129

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Etats, notamment ceux de la bande sahélo-saharienne, il convient d’envisager la refondation de ces Etats, sur la base de la légitimité et aussi de construire de nouvelles réponses aux menaces. Nous formulons à cet effet, ces quelques suggestions :

• Mettre en place une « Constituante » pour refonder la République en rédigeant une nouvelle Constitution, pour renforcer la démocratie, la légitimité des institutions et des élus, la solidarité et la justice sociale ;

• Construire une armée nationale républicaine, dont le professionnalisme est renforcé, à travers sa bonne formation et son équipement ;

• Construire des dispositifs sous-régionaux et mutualiser les efforts entre Etats pour faire face aux menaces complexes et transfrontalières ;

• Reformer l’administration publique, la moderniser et la motiver ;

• Reformer la justice, la moderniser, renforcer son indépendance et la rendre accessible aux citoyens ;

• Renforcer la reforme de la décentralisation, en impulsant de nouvelles phases (exemple de la régionalisation), afin d’accélérer le développement économique des territoires, et favoriser l’émergence de leaderships locaux et régionaux.

Bibliographie

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Paris: 2012, Darbon Dominique, 2008, « Etat pouvoir et société dans la gouvernance des sociétés projetées », in SeverinaBellina, Hervé Margo et Violaine de Villemeur, (dir), La gouvernance démocratique : un nouveau paradigme pour le développement ?, Paris : Karthala, Goya Michel, (2013), Mali : l’intervention militaire française en perspectives, Paris : Diploweb, Gourdin Patrice, (2012), Géopolitique du Mali: un Etat faille ?, Paris: Diploweb, Holder Gilles, (2013). « Mon pays S.A. : un certain retour sur la démocratie exemplaire du Mali et sa déraison islamique », in : Le Sahel dans la crise malienne, Dossier du CERI, Paris Scheele Judith, (2013). « Trafic ou commerce ? Des échanges économiques au Sahara contemporain » in : Le Sahel dans la crise malienne, Dossier du CERI, Sy Ousmane, (2010), Le Mali une nation qui cherche encore un Etat, www.ousmanesy.net. Toure Mohamed al Moustapha, (2012), What Is The Extent of Al Qaeda in the Islamic Maghreb and Where Does It Derive Its Strength in the Sahelian-Saharan Region: A Case Study of Northern Mali, A thesis presented to the Faculty of the U.S. Army Command and General Staff College, Fort Leavenworth, Kansas.

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Les interventions des troupes des Nations –Unies au Congo : une longue histoire

Par Onesphore Sematumba Directeur de l’Information et du Plaidoyer Pole Institute

Aujourd’hui, les Casques bleus, l’armée des Nations Unies, font partie du décor congolais. On les voit partout, on les sollicite pour tout et on s’en prend à eux lorsque les choses ne marchent pas. Mais la présence des troupes onusiennes de maintien de la paix n’est pas une nouveauté dans cet immense pays qui a commencé à s’effondrer dès le lendemain de l’Indépendance.

Pour ceux de nos amis qui viennent de loin, voici quelques chiffres pour comprendre le Congo, ce pays qui a connu plusieurs dénominations, à chaque fois par la volonté d’un seul homme. Lorsque Léopold II de Belgique, trop à l’étroit dans son petit royaume, parvient à se tailler un empire à la mesure de ses ambitions (2 345 000 km2, 80 fois plus vaste que la Belgique) au cœur de l’Afrique, il l’appelle Etat indépendant du Congo. Nous étions donc déjà indépendants en 1885. Lorsque, en 1908, il est contraint de céder sa propriété à son royaume, le pays s’appelle Congo Belge ; nous devenons en quelque sorte binationaux ! A l’indépendance, le 30 juin 1960, le pays s’appelle la République du Congo-Léopoldville, puis Congo-Kinshasa, puis République démocratique du Congo –pour nous démarquer du voisin de l’autre côté du Fleuve, le Congo-Brazzaville- avant de devenir, sous Mobutu, la République du Zaïre (1967, les 3Z : Zaïre Notre Pays, Zaïre Notre Monnaie, Zaïre Notre Fleuve), une appellation qui sera promptement évacuée par Laurent-Désiré Kabila à sa prise de pouvoir en 1996 pour reprendre celle de l’indépendance, RDC.

La RDC, c’est une population estimée en 2013 à 75,5 millions d’habitants. C’est aussi 19 815 effectifs des forces de maintien de la paix, 1,4 milliards de dollars américains affectés annuellement à la

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MONUSCO et 140 millions de dollars comme coût supplémentaire du fonctionnement de la Brigade d’intervention, la FIB.

Arrêtons-nous là, pour les chiffres et revenons à l’histoire des interventions onusiennes en RDC

1. L’ONUC (14 juillet 1960-30 juin 1964) ; résolution 143

L’opération des Nations Unies au Congo (ONUC) intervient moins d’un mois après la célébration de l’Indépendance pour aider le gouvernement de Patrice-Eméry Lumumba à rétablir et à maintenir l’indépendance et l’intégrité territoriale. En effet, quelques jours seulement après l’indépendance, la Belgique intervient militairement dans son ex-colonie à la suite des mutineries des militaires congolais contre les officiers blancs. A la demande du gouvernement Lumumba, le Conseil de sécurité déploie rapidement une force de maintien de la paix composée essentiellement d’Africains et d’Asiatiques choisis pour leur non-alignement par le Secrétaire Général Dag Hammarskjold. Ces forces seront engagées dans des combats contre l’armée sécessionniste katangaise de Moïse Tshombe, qui avait proclamé l’indépendance du Katanga le 11 juillet 1960. A son apogée, l’ONUC comptait près de 20 000 militaires et civils. Parmi les pays africains contributeurs nous pouvons citer le Ghana, l’Ethiopie, la Guinée, le Libéria, le Mali, le Maroc, le Nigeria, la Sierra Léone, le Soudan, et la Tunisie.

La présence des troupes onusiennes au Congo n’empêcha pas la capture et l’assassinat du Premier Ministre Patrice Lumumba en janvier 1961 et le Secrétaire Général des Nations Unies d’alors, le suédois Dag Hammarskjold fut tué dans le crash de son avion dans la nuit du 17 au 18 septembre 1961 dans une forêt zambienne à une dizaine de kilomètres de Ndola, où il se rendait pour rencontrer Moïse Tshombé.

2. La MONUC (30 novembre 1999- 30 juin 2010) ; résolution 1279, 1291

La Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo a pour mandat de surveiller l’application de l’Accord de cessez-le-feu entre les belligérants après la guerre

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déclenchée en 1998 par la rébellion du RCD (Est), qui va susciter d’autres rébellions telles que le RCD-K-ML (N-E ) et le MLC (N-O). Ce conflit qui dura plus de 2 ans a impliqué plusieurs armées nationales africaines, non pas pour maintenir la paix, mais pour semer la pagaille, chaque puissance intervenant pour défendre les intérêts de son poulain congolais et les siens propres (politiques, économiques, stratégiques, etc). Le Rwanda et l’Ouganda, et dans une moindre mesure le Burundi, appuyaient les rébellions de l’est et du N-O; l’Angola, le Zimbabwe et la Namibie assurant la défense du gouvernement central. C’est ce que la presse appelé « la première guerre mondiale africaine ».

La MONUC a vu son mandat réajusté pendant sa longue présence en RDC, pour essayer de répondre à des défis toujours renouvelés. Contribuer à l’amélioration des conditions de sécurité, faciliter le DDR des combattants congolais et étrangers, contribuer au bon déroulement des opérations électorales, formation et accompagnement des FARDC, etc.

3. La MONUSCO (1er juillet 2010-31 mars 2015) résolution 2053et la Brigade d’Intervention, résolution 2098

La Mission des Nations-Unies pour la stabilisation de la RDC a pour mission de soutenir le Gouvernement de la RDC dans ses efforts de stabilisation et de consolidation de la paix ; la Brigade d’Intervention étant une sorte de bras armé dont la responsabilité est de neutraliser tous les groupes armés étrangers ou nationaux qui mettent en péril l’autorité de l’Etat et la sécurité des citoyens.

• L’ONU et la vie politique, un Etat dans l’Etat avec armée, administration, police, etc

Avec un mandat si robuste, la MONUSCO est de facto un Etat dans l’Etat congolais, avec une meilleure capacité logistique et d’organisation que ce dernier. Il n’y a qu’à suivre les agissements de l’actuel patron de la force onusienne, l’allemand Martin Kobler, pour évaluer le pouvoir réel de la MONUSCO. Alors que les autorités de Kinshasa regardaient de loin les combats qui opposaient à l’Est les rebelles du M23 aux FARDC appuyées par la Brigade de la MONUSCO,

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le diplomate allemand visitaient les blessés de guerre dans les hôpitaux, passaient les troupes en revue et proclamait des « héros » ! A la libération du territoire de Rutshuru dde cette rébellion fin octobre 2013, Martin Kobler a été la première « autorité » à se rendre sur les lieux, avant d’y amener le Gouverneur à bord de son hélicoptère. L’Etat-MONUSCO dispose de tout ce qui manque à l’Etat-RDC : un système de transport aérien et terrestre bien fourni, une force armée très bien équipée et très bien payée, une adminitration qui marche, etc. Et c’est de là que naît le paradoxe onusien et le malentendu dans ses rapports avec la population congolaise. Avec tous les moyens humains, matériels, logistiques et militaires dont il dispose, l’Etat-MONUSCO ne parvient pas à assurer efficacement son mandat de sécurisation des populations civiles. Pour preuve, la ville de Goma est tombée entre les mains des rebelles du M23 en novembre 2012 sans qu’aucun Casque bleu n’ait cillé. Mais n’est-ce pas là, justement, un malentendu ? Pourquoi les Congolais croient-ils que les forces de l’ONU vont se comporter en 2012 différemment de 1960 ? Il est extrêment naïf de croire qu’une force étrangère, plutôt que des forces étrangères juxtaposées, parfois gangrénées par des conflits historiques dans leurs pays d’origines, peuvent être un rempart pour les Congolais.

• L’Etat déresponsabilisé

La principale conséquence de la présence prolongée des Casques bleus en RDC est la déresponsabilisation de notre propre Etat. Ce dernier, heureux de refiler ses responsabilités à un acteur externe, ne fournit pas d'effort « pour s’en sortir ». Cela fonctionne dans plusieurs secteurs de la vie nationale.La desserte en eau potable, les soins de santé en milieu rural, sont assurés par les ONG. Maintenant que même des domaines de souveraineté comme la sécurité ou la défense soient de facto sous-traités par la MONUSCO, c’est un comble que l’Etat congolais ne devrait pas se permettre sur la durée. Les Congolais, eux, semblent s’y être déjà accomodés ; à chaque fois qu’il y a un couac sur le plan de la sécurité, ils s’en prennent à la MONUSCO qui, pour se défendre, s’empresse à préciser que la sécurité des populations relève d’abord et avant tout de la police

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nationale congolaise et de son armée. Sans parvenir véritablement à lever le malentendu de départ.

• Le couvercle sur la marmite de nos problèmes et la Brigade (axes Est-Sud) avec des paradoxes

L’autre effet pervers de la présence prolongée de la MONUSCO est le pourrissement des problèmes non-résolus et l’économie des débats en interne en RDC. Il arrive souvent qu’on me pose la question suivante : « Que se passerait-il demain matin, si la MONUSCO pliait ses bagages aujourd’hui ? » Au fait, qu’est-ce qui se passerait ? Poser la question, c’est déjà y répondre. Et la réponse est qu’on reviendrait à la case de départ, c’est-à-dire à la nécessité de faire revenir la MONUSCO, parce qu’aucun des problèmes que la force onusienne permet de couvrir n’a véritablement été résolu. Au lieu de chanter avec angoisse « La MONUSCO, le jour d’après », nous devons nous préparer dès maintenant, en faisant face, courageusement à tous les défis de l’édification d’un pays où l’Etat-RDC travaille au bien-être total de tous les Congolais. Cela passe par la formation d’une véritable armée nationale et la construction d’un Etat doté d’institutions assez solides pour porter lesdits défis.

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La MONUSCO: une mission de maintien de paix en trouble ? Christoph Vogel Université de Zurich Longtemps critiquée pour son inaction sur le terrain – surtout à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) – la MONUSCO contient désormais depuis début 2013 une brigade d’intervention (FIB) mandatée pour poursuivre activement les nombreuses forces armées irrégulières œuvrant dans cette région. Depuis, certains succès militaires ont été obtenus par les casques bleus, souvent en conjonction avec les Forces Armées de la RDC (FARDC).

La défaite militaire du mouvement du 23 mars (M23) représente le moment-clé de cette dynamique. Cible principale de la FIB lors de sa création et ennemi le plus recherchépar Kinshasa, ce mouvement rebelle s’était créédans la foulée du RCD-Goma et du CNDP, deux rébellions qui ont occasionné d’importantes répercussions militaires dans les Kivus ensuite sur les élections présidentielles fin 2011. Malgré sa faible force et son soutien populaire limité par rapport à ses prédécesseurs, le M23 fut capable de s’emparer de la ville de Goma pendant quelques semaines en novembre 2012. Les FARDC en débandade vers Minova (lieu où se sont commis de nombreux viols suite à la fuite des soldats congolais), la MONUSCO reste spectatrice pendant que les miliciens du « Brigadier Général» SultaniMakenga prennent la ville. Un rebondissement énorme de critique médiatique contre la MONUSCO provoque de nombreuses discussions au siège des Nations Unies (ONU) – reprises par le Conseil de Sécurité (CSNU) dans sa résolution 2098 qui installe la FIB composée d’environ 3000 soldats sud-africains, tanzaniens, et malawites.

Après avoir abordé les défis politico-logistiques (chaque déploiement onusien dure beaucoup de mois), la FIB s’était lancée pour combattre le M23. En soutenant des unités FARDC sous commandement des généraux Olenga et Bahuma, puis du Colonel Mamadou Ndala, la

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MONUSCO s’est mise à la chasse des rebelles pour une première fois depuis longtemps (en 2004, les casques bleus avaient montré une attitude proactive en assistant l’opération Artémis en Ituri). Grâce aux chaînes de commandement améliorées et au déploiement d’unités de réaction rapide (URR) du côté des FARDC, la FIB se retrouva avec un partenaire national bien plus discipliné et mieux équipé que le gros de l’armée congolaise et devint un atout gagnant dans une guerre conventionnelle qui amenait de l’artillerie lourde et des hélicoptères d’attaque vers les collines du territoire de Rutshuru où le M23 s’était réfugié pendant les dernières semaines de son activisme.

A la suite de l’opération anti-M23, la coalition FARDC-FIB a désigné les rebelles ougando-islamistes des Forces Alliées Démocratiques (ADF) puis les l’Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain (APCLS) du chef maï-maï Janvier Karairi comme cibles militaires. Les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) continuent à jouir d’une exception suite aux enjeux politico-diplomatiques au niveau international, régional, et national. Les délibérations au niveau des sommets conjoints entre la SADC et la CIRGL ainsi que les efforts de démobilisation qui ont produit deux vagues de redditions en juin 2014 sont les preuves d’une activité accrue et la MONUSCO semble – malgré les déficiences opérationnelles de la FIB dans des opérations de contre-insurrection – déterminée à s’en prendre aux FDLR, à condition que Kinshasa donne le feu vert ; les capacités de contingence sont réunies au niveau de son effectif et des FARDC.

Tandis que « l’Opération Sokola » contre les ADF en début 2014 fut relativement positive dans le sens que lesdits rebelles ont presque disparu de la scène politico-militaire congolaise, les opérations contre APCLS ont connu plusieurs problèmes. Avant tout, la concentration sur l’un des nombreux groupes armés du territoire de Masisi reste fortement questionnable lorsque cette mission est encore en cours en août 2014. Guidé par un choix politique et par la limite des capacités au niveau des FARDC et de la FIB, le ciblage d’un seul groupe risque d’influencer sévèrement la balance fragile au plan politico-ethnique de cette zone. Pire encore, l’utilisation du soutien

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militaire d’un sous-groupe des milices Nyatura dans le cadre de ces opérations met sérieusement en cause l’impartialité de l’ONU à l’est de la RDC vu que ces milices sont coupables de graves pillages parmi les populations proches de l’APCLS.

Au niveau général, la performance de la MONUSCO – deux ans avant son départ annoncé – reste mitigée. La restauration de l’autorité de l’Etat et la protection des civils demeurent les piliers centraux dans chaque résolution du CSNU depuis 2008, malgré le fait que ces deux objectifs ne sont pas automatiquement complémentaires. Les FARDC, partenaires naturels de la MONUSCO, restent une force responsable pour une grande partie de violations commises par des acteurs armés, ainsi que – dans un moindre degré – la police (PNC). Même si la MONUSCO s’est imposé une politique de « vetting » dans le sens d’un appui conditionné à la performance dans le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire, cela ne semble pas toujours être appliqué à cent pour cent. En outre, la MONUSCO elle-même reste complice implicite de certains actes de violence de masse comme le prouve le massacre de Mutarule en juin 2014. Basés à quelques kilomètres, au niveau de Sange, les casques bleus pakistanais ne sont pas intervenus alors qu’ils avaient été informés bien avant par leurs assistants de liaison avec les communautés (CLA). Des évènements pareils se sont aussi produits dans les camps de réfugiés autour de la ville de Goma, par contre avec des bilans moins néfastes. Tandis que la MONUSCO grâce aux CLA et à d’autres réformes opérationnelles a réussi à améliorer son système de protection physique, six ans après le massacre de Kiwanja (qui a provoqué l’introduction de la protection civile dans les piliers du mandat) le bilan reste bien mitigé à propos de cette tâche.

De même, la stabilisation et la conséquente restauration de l’autorité de l’Etat congolais restent un défi majeur – pour l’Etat ainsi que pour la mission onusienne chargée de le soutenir. Inclus en 2010 dans le mandat et le nom de la MONUSCO (auparavant MONUC), l’aspect de la stabilisation devint un nouveau mantra des efforts internationaux de maintien de la paix. En 2014, d’autres missions onusiennes l’ont repris, notamment la MINUSMA au Mali et la MINUSCA en République Centrafricaine.

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Avant tout, la notion de stabilisation porte une idée d’Etat et de chose publique importée de l’Occident. Des institutions transparentes et redevables forment une arène dans laquelle la consolidation de la paix et la réconciliation des populations peuvent se négocier et s’établir. Une vision tout à fait concevable et admirable s’il ne s’agissait pas d’un contexte où, d’un côté la paix n’est pas encore arrivée (cependant, un continuum de ni paix ni guerre demeure) et, de l’autre côté une historique d’influence néfaste de l’Occident qui met en cause toute imposition des valeurs en provenance des anciens pouvoirs coloniaux. Cette politique de stabilisation – manifeste dans l’International Security and Stabilisation Support Strategy (ISSSS) en appui à l’initiative pour la Stabilisation et Reconstruction des Zones de Conflit Armé (STAREC) du gouvernement congolais – comprend de nombreuses initiatives louables, surtout sur le plan de la réhabilitation des infrastructures. Suite à l’inefficacité de l’Etat congolais, les efforts de la MONUSCO et d’autres acteurs internationaux contribuent à cette fin, mais la question de durabilité et le danger de remplacer l’Etat ne sont guère abordés dans le cadre de ces activités. Dans le territoire de Fizi comme dans d’autres entités, des bâtiments administratifs ont été construits dans la première phase de l’ISSSS mais le fonctionnement quotidien des institutions qui les habitent n’est nullement assuré.

Dans la quinzième année de son existence, la MONUSCO se trouve désormais confrontée à la question de sa finalité. Les avancées au niveau de sa performance ont été mitigées depuis sa transformation en mission de « stabilisation » tout en poursuivant sa trajectoire alors que des vagues cycliques d’insécurité secouaient l’est de la RDC. Une incertitude politique liée à la lutte pour le pouvoir central et des alliances et loyautés variables du niveau local jusqu’au régional n’ont jamais facilité la tâche de la mission onusienne.

Au plan diplomatique, les tensions transfrontalières entre la RDC et certains de ses voisins, ainsi que des opinions divergentes à propos des efforts de maintien de paix entre le département des opérations de maintien de paix (DPKO), le CSNU et les pays contributeurs de troupes ont rendu les efforts encore plus difficiles.

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Lorsque les prochaines élections s’annoncent par des débats agités et que le nouveau plan de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) se dirige vers un échec à cause de l’ignorance de la communauté internationale et des raisonnements politisés de la politique congolaise, le rôle de la MONUSCO reste un casse-tête. Limitée en moyens et par des impératifs venant de New York (et des capitales de certains pays membres), la plus grande mission onusienne est coincée.Elle lutte pour remplir son mandat dans un contexte parfois hostile à certains de ses objectifs, qui – en plus – ne sont pas toujours adaptés à la réalité complexe de son champ d’action. Au moins en dehors des villes, elle jouit d’une excellente réputation en tant que fournisseur des « MONUC-biscuits ».

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DDR 3 : Inquiétudes et interrogations AloysTegera Directeur de la Recherche Pole Institute

Le nouveau programme de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR III) des ex-combattants du gouvernement congolais vient de démarrer les travaux de sa première phase. Trois centres de triage, ainsi nommés par le document officiel, et qui accueillent les ex-combattants du Kivu sont à l’ouest à Kitona (Bas- Congo), au nord-ouest àKotakoli (Equateur) et au sud-est à Kamina (Katanga). Les ex-combattants des groupés armés du Nord-Kivu qui s’étaient regroupés à Bweremana au bord du lac Kivu au lendemain de la défaite du M 23 en novembre 2013 sont déjà arrivés dans ces centres de triage et d’autres qui ne se sont pas encore rendus doivent suivre selon la logique de ce plan global approuvé lors de la 10ème réunion ordinaire du conseil des ministres le 26 décembre 2013.

Ce programme présenté en deux documents différents, le premier détaillant le plan global de ce programme30et le second articulant le plan des opérations31reflète la volonté du gouvernement congolais de désarmer, démobiliser et réinsérer les ex-combattants du Kivu selon sa propre conception et sa propre logique qui puisent dans les échecs des programmes de désarmement de 2004 et de 2009. Le ton et l’esprit sont clairement articulés par le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende quand il dit : « DDR 1 et 2 ont échoué parce que nous avons accepté d’intégrer les mauvais éléments dans notre armée suite au conseil des amis, des voisins et des bailleurs. Dans ce nouveau programme DDR III, nous

30 République Démocratique du Congo. Ministère de la défense nationale et des anciens combattants. Plan global de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR III), Décembre 2013. 31 Ministère de la défense nationale et des anciens combattants. Plan des opérations conjointes de désarmement et de démobilisation pour le DDR III. décembre 2013.

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n’accepterons jamais, jamais encore dans notre armée ces criminels »32.

Dans ce « plan global » la supervision et l’orientation politique de DDR III sont confiées à un comité interministériel composé de dix ministres : celui de la défense nationale qui le préside, du budget, de la justice et les Droits de l’Homme, de l’initiation à la nouvelle citoyenneté, de l’emploi et le travail, de l’agriculture et développement rural, des affaires foncières, du genre , famille et enfant, et des affaires sociales.

Les ex-combattants à démobiliser sont évalués à 12.205, dont 7.321 hommes, 1.221 femmes et 3.663 enfants. Notons que le nombre des enfants à démobiliser représente 30 %. Faut-il encore ajouter à ces efforts de démobilisation plus ou moins 2.600 combattants des groupes armés étrangères qui relèvent de la responsabilité de la MONUSCO33.

Le « plan global DDR III » prévoit trois espaces d’opérationnalité pour son programme, à savoir, les trois centres de triage connus (Kitona, Kotakoli et Kamina), le centre de préparation à la réinsertion (CPR) jusque-là inconnu où les ex-combattants sont supposés passer au moins trois mois et enfin un espace encore imaginaire ou les ex-combattants doivent faire l’apprentissage de leur insertion socio-économique dans lequel il y aura un volet des activités de démarrage à la réinsertion et un second volet des activités de consolidation.

Dans les centres de triage, les ex-combattants doivent faire leur identification biométrique, le secreening médical, le vetting et la démobilisation. Dans le centre de préparation à la réinsertion, les ex-combattants doivent avoir une éducation civique, à la citoyenneté et à la culture de la paix ainsi qu’un apprentissage aux métiers et une orientation professionnelle. La durée prévue de réinsertion est de 12 mois y compris le séjour dans le CPR34. Enfin, la réintégration socio-économique des ex-combattants devra se faire dans une

32 IRIN Briefing : « DDR in eastern DRC-try, try again », Kampala/Nairobi, 4 mars 2014. 33 Plan global DDR III, op.cit. p. 9 34 Plan global DDR III, op.cit. p. 18

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communauté civile. S’agit-il de leur communauté d’origine ou la communauté civile autour des centres de triage ?

En toute vraisemblance, les trois activités de ces trois espaces d’opérationnalité vont sans doute se réaliser dans les trois centres de triage au regard des difficultés de logistique entre les points de ramassage des ex-combattants dans les deux Kivu et leur transport dans les centres de triage. D’autant plus que le point 7 des principes du DDR III stipule que « la réintégration d’un démobilisé offre le bénéfice du programme à un membre de la communauté d’accueil (1 démobilisé = 1 MCA) »35. Ainsi le bénéfice va à la communauté d’accueil et non à la communauté d’origine des ex-combattants.

Une phase de sensibilisation durant laquelle les ex-combattants et la population devraient avoir l’information détaillée de tout ce processus était prévue 36 , cependant l’opacité autour de ce programme soulève des inquiétudes et des interrogations.

Pourquoi un triage à des milliers de kilomètres ?

D’aucuns se demandent pourquoi il a fallu amener les ex-combattants à des milliers de kilomètres loin de leurs familles, villages et communautés d’origine pour les opérations de triage alors que l’on sait pertinemment que parmi ces ex-combattants 30 % sont des enfants, que la plupart d’entre eux ne remplissent pas les conditions d’intégration dans l’armée 37 . Un tel triage aurait logiquement pu se faire dans les points de regroupement et permettre aux non-éligibles de rejoindre leurs communautés ou villages tout en envisageant un accompagnement adéquat pour leur insertion à la vie civile. Le coût serait moindre et les résultats meilleurs. A moins bien sûr qu’un tel calcul ne cache une opération semblable à la déportation ou à la relégation naguère pratiquées par l’administration coloniale belge.

35Plan global DDR III, op. cit. p. 8 36 Compte rendu de la 10ème réunion ordinaire du conseil des ministres du 26 décembre 2013, p. 2. Voir aussi IRIN Briefing, op.cit. 37 Les critères d’intégration dans l’armée devraient être : une bonne conduite, des études secondaires jusqu’en 2ème année, être célibataire et avoir entre 18 et 25 ans.

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Pire encore, les ex-combattants qui se sont rendus dans les points de regroupement sont persuadés qu’ils seront intégrés dans l’armée à l’issu de ce programme de démobilisation. Quelle information a-t-on donné à ces ex-combattants au moment où le porte -parole du gouvernement dit clairement que : « …très peu auront l’option de s’intégrer dans l’armée nationale. La plupart vont être intégrés dans la vie civile »38 ?

Les dépendants des ex-combattants ont été encouragés à ne pas suivre leurs maris et pères comme ils en ont l’habitude moyennant quarante dollars américains. Ils sont aussi sous-informés quant à ce qui attend les ex-combattants dans les centres de triage et aucun de ces deux documents du gouvernement ne s’est prononcé sur les perspectives de leur gestion dans le court et le long terme. Comment vont-ils survivre ?

Un des critères d’éligibilité du combattant contenu dans les documents est celui de 1 combattant = 1 arme. On sait très bien que beaucoup de seigneurs de guerre qui se sont présentés dans les points de regroupement n’ont livré que peu d’armes par rapport au nombre des effectifs qu’ils ont amenés avec eux. Pas plus tard que fin mars 2014, aucun de 36 ex-combattants de Lafontaine qui se sont rendus à Beni n’a présenté d’arme. Les armes laissées dans les caches sont toujours là et utilisables le moment voulu. Ne serait-il pas plus important de lier la reddition dans les points de regroupement à l’intransigeance que les effectifs recueillis correspondent aux armes remises avant même de penser à les délocaliser dans les centres de triage ?

Le compte rendu des ministres39 estime que la réintégration durable se ferait sur un site que les combattants choisiraient eux-mêmes à l’issue du processus de démobilisation. Ceci suppose que ces derniers sont la priorité nationale et que tous les moyens financiers et les ressources humaines seront mis à leur disposition pour amener chacun dans le village de son choix. Nous avons vu combien de temps il a fallu pour mobiliser les avions de transport ramenant les ex-

38IRIN Briefing, op. cit. 39Op.cit. p. 2

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combattants dans les centres de triage. Nous savons combien il est difficile pour le gouvernement de créer les conditions de vie décente dans ces centres de triage. Au regard des autres priorités nationales en quoi ces démobilisés à mille lieux de leurs villages d’origine vont représenter une priorité ? La mémoire est encore vive pour le camp de Kapalata au lendemain de la victoire de l’AFDL dans la province Orientale. Les cantonnés du camp de Kapalata qui s’en sont sortis vivants sont toujours hantés par les drames qu’ils ont vécus. Comment éviter un tel désastre ?

Les essais de démobilisation : un échec annoncé

Les résultats maigres voire les échecs des autres programmes de démobilisation ont prouvé combien la réforme du secteur de sécurité est difficile et complexe. Chaque processus d’intégration dans l’armée nationale correspondait à un tournant important dans l’histoire de la RD Congo. La démobilisation et réintégration de 2004 a surfé sur le momentum des accords de Sun City qui finalement avaient conçu les enjeux nationaux comme un gâteau à partager entre belligérants et au nom de la paix, il a fallu intégrer tous les combattants de chaque rébellion. Il n’y a jamais eu aucun effort de trier le bon grain de l’ivraie. Certains parmi ces combattants qui avaient excellé dans les pires des massacres étaient récompensés par les grades d’officiers « au nom de la paix » et aujourd’hui certains sont généraux de l’armée nationale.

Le processus de mixage de 2008 entre la rébellion du CNDP et les FARDC fut un interlude qui a été vite étouffé par la reprise des combats. Ce concept emprunté à la chimie industrielle aurait de toute façon eu du mal à fédérer les groupes armés disparates en une armée monocolore ayant une même idéologie et les mêmes aspirations.

D’entrée de jeu, la démobilisation et la réintégration de 2009 négociées entre les pouvoirs de Kinshasa et de Kigali a été la cible de toutes sortes de critiques. Ce processus a été critiqué pour son opacité dans les négociations entre les deux capitales et surtout pour avoir donné accès aux ex-combattants du CNDP de se déployer dans les autres parties du Kivu qu’ils n’avaient jusqu’alors pas occupées.

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L’incapacité d’expliquer à l’opinion congolaise et internationale le bien-fondé de ce qui avait été négocié entre les deux capitales a exacerbé le rejet de ce processus et finalement la reprise des hostilités trois ans plus tard avec la rébellion du M 23. Bien que le timing de cette rébellion au lendemain des élections présidentielles et législatives contestées au niveau national et international puisse donner une autre clef de lecture, il n’empêche que le dénouement de cette crise par la défaite du M 23 et l’exil de ses combattants en Ouganda et au Rwanda complique davantage la nouvelle donne de démobilisation et d’intégration de tous ces ex-combattants.

Les fausses certitudes ambiantes.

Ces essais de démobilisation et de réintégration conçus comme un mode de partage de pouvoir entre belligérants ont plutôt perpétué et renforcé une économie de guerre autour de seigneurs de guerre, des conflits identitaires au sein même des FARDC et son délitement.40

Cependant, plutôt que d’en tirer des leçons pour une meilleure approche de ce secteur délicat de la réforme de la sécurité, les tentatives de faire du nouveau avec du vieux de plusieurs coopérations militaires, Belges, Américains, Chinois et autres veulent nous faire croire que nos hommes en uniforme sont nos hommes du présent et de l’avenir et qu’une armée en puissance est en train de se construire lentement mais sûrement. La récente défaite du M 23 par les FARDC aidées et encadrées par la MONUSCO renforce cette illusion et justifie les millions des contribuables enfouis dans ces programmes.

Oser une solution idoine radicale.

Ceci dit, il est impératif de revisiter la notion même de la reforme du secteur de la sécurité. Doter la RD Congo d’une armée républicaine capable de défendre la souveraineté territoriale et de sécuriser les personnes et leurs biens est un souhait partagé par tous les Congolais qui ont subi les violences et les souffrances indescriptibles de ces

40 ERIKSSON BAAZ M., et VERWEIJEN J, « The volatility of a half-cooked bouillabaisse : Rebel-military integration and conflict dynamics in the eastern DRC », African Affairs, 112/449, pp. 563 - 582

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vingt dernières années. Une telle armée ne peut jamais se recruter sur le tas des forces disparates qui se sont battues les unes contre les autres. Les échecs enregistrés par les différents programmes de démobilisation dégagent une telle évidence mais il n’y a aucune volonté politique d’oser imaginer une solution radicale. Il faudra carrément envisager le recrutement de la nouvelle armée congolaise au sein d’une nouvelle jeunesse qui n’a pas trempé dans ces violences à répétition aux résultats maigres et sur des nouvelles bases idéologiques et sur des valeurs démocratiques. Un tel revirement radical suppose aussi des solutions idoines radicales. La question cruciale c’est ce qu’on fait des effectifs de l’armée actuelle. La réponse à une telle question va au-delà de la seule capacité du gouvernement congolais mais devrait impliquer la communauté internationale au chevet de la RD Congo avec la plus grande force d’interposition au monde aux résultats maigres et dans beaucoup de cas sans résultats du tout. Il est impératif d’oser imaginer :

La création d’un fonds de retraite permettant la démobilisation de tous les effectifs de l’actuelle armée nationale.

La mise sur pied d’un « plan Marchal » pouvant financer les grands travaux publics générateurs de la haute intensité en main d’œuvre comme les routes nationales reliant l’est à l’ouest, le nord au sud et raccordées aux grandes villes du pays.

La récupération au sein de l’armée actuelle des instructeurs techniques qui pourraient se faire aider par les coopérations militaires bilatérales.

La mise à la retraite des effectifs ayant atteint plus de 45 ans.

La récupération des effectifs valides et leur reconversion en génie civil pour les grands travaux d’intérêt national.

La création d’un programme de routes en pavé dans les villes et centres urbains qui absorberait les jeunes sortis des centres de rééducation et autres effectifs au chômage.

De telles propositions sont d’abord et avant tout des priorités nationales portées par un gouvernement national. Cependant elles

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esquissent une feuille de route pour la reforme du secteur de la sécurité et une piste vers un développement durable de la RD Congo pour tous ceux qui sont soucieux de voir ce pays sortir de sa longue crise. Dans l’entre-temps, quelques actions pratiques peuvent être menées :

Développer des passerelles de communication autour de ce programme entre les candidats à la démobilisation, ceux regroupés aux points de ramassage et ceux qui sont dans les centres de triage. Il est important que tous ces concernés aient une information fiable sur ce processus.

Faire un lobbying auprès des organisations humanitaires pour une assistance aux dépendants des ex-combattants en formation.

Utiliser ce programme de DDR III comme une opportunité pour ramasser les armes qui pullulent dans les villages en insistant que chaque combattant se présente avec une arme et en développant d’autres stratégies pour un environnement sain et sans armes.

Initier des projets pilotes des routes en pavé en milieux urbains construites par les ex-combattants comme un exemple d’une démobilisation et réintégration rémunérées et utiles aux communautés locales.

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Si l’uniforme pouvait parler…

Par Maryse Grari Politologue belge Enseignante à l’Université de Goma

Bien qu’épouse d’officier, je n’avais jamais vu autant de militaires dans une ville qu’en arrivant à Goma. Hommes de troupe en patrouille, observateurs militaires, membres d’Etat Major… circulant en uniformes, armés ou non, dans de gros 4X4 blancs. En 2010, j’ai pris une photo du personnel du quartier général de la MONUC à Goma : 20 officiers de 8 nationalités. Tous dans des tenues de camouflage aux couleurs et motifs différents. Leur point commun ? De visu : un simple écusson bleu clair. Mais aussi, je l’ai découvert, des souhaits et des frustrations…

La guerre a toujours existé. Ma famille m’avait raconté l’entrée des Allemands chez nous, leur attitude de propriétaire, la colère tue de ceux qui vivaient comme un outrage leur présence sur leurs terres, dans leurs maisons. Puis la joie ressentie à l’arrivée des Alliés, des libérateurs. Désormais et ici, le vocabulaire a changé. Ainsi que la réalité. Les militaires de l’UN ou de l’OUA sont là pour le maintien ou le rétablissement de la paix, la protection des civils, la stabilisation. Ils ne libèrent pas mais soutiennent les efforts d’une armée dépassée ou divisée et d’un Etat, au mieux, blessé. Ils sont UN des maillons de la chaîne, de la machine déployée. Car il y a aussi une armada d’ONG et des centaines de civils. Si tous ces acteurs parachutés parfois pendant des années voire des décennies prétendent contribuer de loin ou de près au même objectif - l’amélioration de la situation -, ils ne se perçoivent pas entre eux comme des collaborateurs.

On m’a dit un jour « une mission de l’ONU est une mission dirigée par les civils. Les militaires en sont les serviteurs. » Or, les humanitaires ont comme tradition de se tenir éloignés des uniformes de peur que leur soi-disant image de neutralité en soit affectée. Les civils de l’UN

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les méprisent souvent. La collaboration, quand elle existe, se fait sur coup d’informations échangées… ou non.

Mais tous vont s’attendre à être convoyés ou sauvés par ces uniformes, le jour où ça va exploser !

Si l’uniforme pouvait parler, encore faudrait-il vouloir l’écouter.

Nous sommes des acteurs de seconde ou de troisième zone, me disait un officier. Pour nous, pas de semaine de repos toutes les 6 semaines et, alors qu’une voiture blanche de l’UN est octroyée à 2 civils, il y en a une de prévue pour 4,5 militaires. Et il riait… Qui est en effet le « demi-militaire » pour le fonctionnaire new-yorkais qui a pondu cette règle ? On peut se le demander.

Pourtant, ce n’est pas sur cela que les hommes enfin en tenue décontractée discutent avec ferveur, sobres ou ivres, en soirée. S’ils se sentent frustrés, ce n’est pas tant à cause de leurs conditions : ils sont formés à connaître bien pire et pour nombre d’entre eux, une telle affectation est une véritable opportunité financière ou de carrière.

La frustration… c’est ne pas pouvoir faire leur boulot.

Un Français me disait…

Nous, on est formés pour exécuter une mission. Il y a un problème ? On le résout et on s’en va. On n’a pas intérêt à rester quelque part, à s’enliser. Une guerre, ça se gagne. Ca ne se regarde pas.

Et d’autres d’ajouter que le problème dans ces missions, ce sont les intérêts divergents.

Un Roumain disait :

Moi, j’ai un travail chez moi. Mon Etat ne fait que me prêter à l’ONU. Quand je rentrerai au terme de mon contrat, je serai réintégré dans mon unité.

Mais la plupart des gens d’ici, si ca va mieux, ils risquent de se retrouver sans boulot. Quant à l’Etat où nous sommes envoyés, il

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n’a pas non plus intérêt à nous laisser agir comme on l’entend, sinon c’est la preuve flagrante de l’inefficacité de sa propre armée. Et puis, avec nous, s’en irait une partie l’argent…

Lorsque l’uniforme parle, « le politiquement correct » lui passe souvent au-dessus de la tête.

Les droits de l’Homme aussi parfois…

Lors d’une soirée bien arrosée, plusieurs amis s’étaient mis à écrire sur une serviette un plan de bataille contre les groupes armés du Nord Kivu. Selon eux il fallait juste 100 hommes expérimentés, qu’ils nommèrent avec humour « Kivu Rangers » (en référence aux Texas Rangers).

Qu’on nous donne les moyens de communication, l’information, le transport et la logistique.

Qu’on se décide enfin sur les cibles.

Et qu’on nous laisse travailler.

En quelques mois il n’y aura plus de groupes armés.

J’ai houspillé : et les droits de l’Homme ? Et la Convention de Genève ? Un officier n’est-il pas formé aussi à tout ça ? Bien sûr, dans beaucoup de pays. C’est au programme de l’Ecole Royale Militaire de Bruxelles, de Saint-Cyr, de West Point et de bien d’autres encore. On y enseigne la guerre, l’histoire, le droit, la survie et aussi… des valeurs.

Un officier Hollandais me disait :

Etre officier, c’est avoir de l’honneur. On apprend à respecter un officier ennemi comme un pompier respecte le feu qu’il tente d’éteindre. Idéalement, on lui reconnaît d’avoir suivi une formation identique à la nôtre. C’est juste qu’on n’est pas dan le même camp à un moment donné. Après le conflit on se saluera, pas par affection, juste par respect.

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Cependant dans ces nouveaux conflits où on les envoie, les choses sont différentes…

Il me disait…

Les chefs des GA sont souvent colonels ou généraux autoproclamés. Ils n’ont pas plus de 30 ans. Ce n’est pas une formation qui les a menés à ce grade mais le fait qu’ils se sont montrés les pires. Or le système n’est pas clair. A la fois on les reconnaît comme belligérants avec lesquels il faut négocier… et on délivre contre eux des mandats internationaux que personne ne fait respecter.

En fait, ces hommes sont des bandits, des criminels mais pas traités comme tels.

Il me raconta aussi qu’un jour, lors d’une réunion, il écrivit un texto à sa femme pour dire :

« Je suis assis à une table où se totalisent au moins 1000 ans de prison… et on prend le café ! »

Je ris… avant de réaliser que, lui, était ému et quand je lui demandais pourquoi, il me parla de ces femmes violées, de ces personnes tuées ou terrorisées, ce des villages pillés ou désertés… et du fait qu’une fois ces « chefs » retournés auprès de leurs groupes, ils donneraient surement l’ordre de recommencer.

Il ajouta…

J’aurais voulu avoir une grenade ou leur mettre une balle dans la tête. Pas contre eux. Juste pour toutes ces vies que j’aurais peut-être sauvées.

Car… sous les uniformes qui ne parlent pas, il y a des hommes aussi et ce qu’on leur impose parfois, ils ne comprennent pas.

Lors d’une formation que j’ai contribué à donner à la MONUSCO sur « Protection des civils : Perspectives militaires », un major sud-africain m’interpela parce qu’on lui avait dit que si, lors d’une patrouille, il tombait sur une femme qui s’était fait violer ou mutiler

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par les membres d’un GA, il ne pouvait pas la faire monter dans sa voiture pour l’emmener se faire soigner.

Non, en effet, c’est une règle édictée par New York. Question de responsabilité.

L’homme se refusait à accepter ça. C’était un Military Observer, chargé plusieurs semaines durant de vivre non loin de ces villages. Sans arme. Sans protection. Avec un carnet où noter les incidents. A faire des rapports que des dizaines de gens de Kinshasa à New York recopieraient, analyseraient… peut-être.

Lui, il était là, ne sachant décider s’il préférait ou non arriver toujours un jour trop tard. Car de toute façon, on lui laissait les mains liées. Face à des hommes d’un GA, ses ordres étaient de négocier la reddition au moins des enfants, et la libération de ces femmes dont il craignait qu’elles vivent l’enfer depuis longtemps. Pour le reste, il n’était pas « habilité ». D’ailleurs, de son propre aveu, les rebelles ne l’avaient jamais menacé. Pourquoi l’auraient-ils fait ? Quand son rapport sur leur présence sortirait, ils seraient déjà loin, eux.

Quand l’uniforme s’exprime… parfois il pleure. En face ou à l’intérieur. De rage, de chagrin ou d’impuissance.

Comme ces hommes du bataillon de Goma à l’arrivée du M23 qui devaient rester immobiles car on ne leur changeait pas leur mandat. Imagine-t-on vraiment qu’ils n’ont rien ressenti face aux regards de peur et de supplication des gens ?...

Un officier me raconta :

J’ai envoyé les hommes vérifier et préparer l’armement, encore et encore, tout en sachant qu’on ne l’utiliserait pas. Mais il le fallait pour qu’ils soient occupés, pour qu’ils s’éloignent des tourelles où ils avaient envie de monter pour voir ce qui arrivait.

Il le fallait parce qu’on n’est pas formés à attendre et à imaginer.

On est formés à être prêts, à bouger, à agir. Rien ne les avait préparé à « ça » et je ne pouvais pas répondre autrement à leur désarroi.

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« Ca », c’est l’obligation de ne rien faire parfois, faute de moyens. Ou l’interdiction de faire, malgré l’existence de moyens.

Comme ce capitaine engagé en RCA avec l’OUA qui explique…

On nous appelle parce que des hommes se font massacrer en pleine rue, à coup de barres de fer et de machettes. Ce n’est pas la première fois. On y est allés une fois la patrouille rassemblée. Mais il ne faut pas se presser… sinon on fait quoi ? On tire en l’air ? La présence de témoins assistant à la scène n’a pas dérangé les hommes armés. Mais nous, si on tire sur celui qui frappe, on sera taxés d’assassins. Victimes et bourreaux sont des civils. Ceux qui étaient là à filmer ces atrocités ne diffuseront pas leurs images mais si un de mes hommes abat de sang froid quelqu’un, tout le monde le verra dans les médias !

Alors on arrive pour sécuriser le périmètre… après. On compte les cadavres. On tente de ne pas penser.

Quelqu’un me dit…

J’ai tué beaucoup d’hommes dans ma carrière.

Seulement un au Rwanda. Pour celui-lui, j’aurais pu perdre mes galons.

Les ordres, pendant le génocide, étaient de ne pas intervenir. « Trop compliqué »… Certaines troupes avaient volontairement été déployées armées lourdement mais sans presque de munitions : les hommes ne devaient pas être tentés alors que les cols blancs ne savaient pas encore quelle attitude adopter.

Donc, on nous avait envoyé comme fantoches. En attendant. Pour nous, aucun danger : on n’était pas visés. Les « bouchers » ne nous regardaient même pas. Les autres nous suppliaient d’emmener leurs enfants…

Même après des années de front, je n’avais jamais vu ça.

Un jour, un homme s’acharna sur une femme enceinte. Il avait déjà décapité le bébé qu’elle portait sur le dos. Il lui trancha le ventre et

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en arracha celui qui devait naître et le jeta… comme on jette les viscères d’un poisson.

Je l’ai suivi de loin jusqu’à son campement. Le lendemain, ses compagnons l’ont trouvé égorgé… « proprement », « silencieusement »…

L’homme se tut. Son regard humide me fixait mais il ne me voyait plus, même quand il ajouta :

Si je ne l’avais pas fait, je ne sais pas comment j’aurais regardé dans les yeux de mes enfants en rentrant.

Quand l’uniforme parle, il crie aussi parfois. Y compris sur sa hiérarchie.

Pense-t-on vraiment que ces militaires sont toujours satisfaits ? Qu’ils se réjouissent de ce qu’ils voient ? On préfère sans doute se le dire, critiquer leur indifférence ou leur inertie, voire leur incompétence. C’est tellement facile puisqu’ils ne se défendront pas. Ils ne répondront pas aux insultes, aux questions ou aux accusations.

Le « militaire », devant le « civil » ou le « politique », il se tait.

Mais il communique pourtant. Sans rien pouvoir faire s’il n’est pas écouté.

Durant le conflit de l’ex-Yougoslavie, un bataillon Hollandais était posté le long d’une route. Leurs sources rendaient compte de la préparation par les Serbes d’un convoi de camions qui transporteraient sans doute des Bosniaques. Mais vers où ?...

Un officier m’explique qu’ils ont fait remonter l’information, demandant un renforcement de leurs munitions et un soutien aérien. Tout leur fut refusé. Ils ont donc regardé les camions remplis d’hommes, de femmes et d’enfants passer. Ils ont re-demandé l’autorisation d’intervenir. On leur a répondu que sans attaque directe, ils n’avaient pas autorité.

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Le monde s’est plus tard ému d’avoir découvert, à quelques kilomètres de là, un immense charnier rempli des cadavres de personnes sommairement exécutées.

Les camions étaient repassés, c’est vrai… sans personne dedans.

Le commandement et les autorités civiles savaient mais quand les médias accusèrent les forces Hollandaises d’inertie, ils se turent aussi.

Facile dans ces conditions de s’indigner de la présence de troupes à proximité de villages ou de lieux de massacre. En parallèle à ce qui s’était passé à Walikale, un officier me dit que là, ils ne savaient pas mais en plus, il m’expliqua…

Si une section est informée ou est témoin d’exactions présentes ou en préparation, elle doit – dans une mission internationale – en informer le peloton qui, lui, informera la compagnie afin que l’info soit transmise au bataillon qui la transmettra à la brigade afin qu’on signale ça au QG. Ce dernier devrait s’en référer aux civils onusiens qui demanderont avis à leurs collègues de NY et qui devront probablement informer ou négocier avec les autorités locales du pays hôte….

Mieux vaut donc que tout le monde parle bien l’Anglais et, pour les civils, que ce ne soit pas la nuit ou un jour férié !

Et que se passe-t-il si l’ordre vient ?

1993. Somalie.

Des troupes étrangères sont déployées en vertu de l’article 6 de la Charte des Nations Unies. A ce stade, elles ne peuvent que sécuriser les villages. Et si elles arrivent trop tard ?... Vu le mandat, tant pis.

Puis on passe à l’article 7.

Trois jours plus tard, les « rebelles » attaquent, reçoivent les sommations d’usage, répétées mais… ne s’arrêtent pas.

En quelques minutes, il y aura 243 morts.

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Un des officiers me dit…

J’ai donné l’ordre. Parfois je vois encore leurs regards ébahis quand on a commencé à tirer. Puis la poussière s’est dissipée, ne laissant que des corps.

Je n’ai ressenti aucune joie, juste le sentiment du travail accompli. Cette fois, au moins, les villageois pourraient vraiment se sentir en sécurité.

Puis on a compté les munitions. Et je me suis enfermé dans mes quartiers. Pour un village qu’on a dû laisser se faire massacrer, quelques lignes dans un rapport suffisent à nos autorités. Mais si on a tué, il faut des tonnes de papier, des auditions devant les instances internationales et aussi nationales. Comme si, tout d’un coup, il fallait vérifier qu’on n’avait pas tué tous ces gens qui ne nous avaient rien fait à nous sans raison. Comme pour s’assurer qu’il était vraiment nécessaire de nous déployer dans la région.

Puis, quand la mission sera déclarée un échec par certains, toutes nos autorités feront semblant de s’excuser ou d’avoir oublié.

Pourtant, quand l’uniforme parle, il ne rend pas toujours compte des mêmes réalités.

A Kinshasa, à l’hôpital militaire, j’ai retrouvé un ami Tunisien. Il se rendait au chevet d’un collègue gravement touché par la malaria. On était chez eux en pleine « révolution du jasmin » et mon ami enrageait…

Je suis juste bon à le regarder crever ici. Alors qu’au pays, son petit frère se bat pour sa famille. Moi aussi j’attends des nouvelles des miens et ici, si mon collègue meurt, aucun Congolais ne lui dira merci !

En RDC, statistiquement, 2,5 militaires internationaux décèdent chaque mois… de maladie, d’accident ou au combat. Ca semble peu. Pourtant, ce sont des dizaines de cercueils renvoyés chez eux dans l’indifférence générale. Aucun journaliste ne se demande qui étaient

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ces hommes. On se cache derrière la pensée que c’était leur boulot, que ça peut arriver, que les locaux aussi disparaissent.

Certains, encore plus cyniques, rappellent qu’un mort à l’ONU, ça rapporte bien à sa famille.

Même les militaires qui l’ont mérité parce qu’ayant péri en sauvant des vies, on n’en fait pas des héros. Ni ici, ni même dans leur pays, de peur que la population là-bas se demande pourquoi, au fond, ses fils vont mourir si loin pour des gens incapables de régler leurs soucis eux-mêmes et alors que, parfois, c’est la même chose chez eux.

Un capitaine pakistanais dut partir en mission alors qu’il venait d’apprendre que son village avait probablement été attaqué. Quand il revint, il m’expliqua avoir dû constater les dégâts causés par des may-may.

Il me dit…

On était en patrouille, armés. On est arrivés juste trop tard. Je me souviens m’être dit « heureusement qu’ils sont Noirs ! ». Parce qu’ils avaient ressemblé à ma sœur, à mon père ou à mon voisin, je n’aurais peut-être pas résisté ce jour-là et j’aurais, en dépit des ordres, poursuivi et abattu ceux qui avaient fait ça.

Cependant, il ajouté…

Après, j’ai fermé les yeux et là, les pleurs et les cris des femmes ne sont plus différents. L’odeur du sang et de la mort non plus.

On est tous pareils au fond.

D’où viennent ces uniformes silencieux et pourquoi ?

C’est leur boulot ! Souvent une année ou quelques mois d’engagement à l’étranger leur garantiront une maison qu’il leur aurait fallu autrement des années pour payer.

Parfois ils y ont cru.

Un ami Camerounais me dit, gêné…

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Toi tu ne seras peut-être pas d’accord, mais nous, quand Kaddafi est mort, on a pleuré. Pour vous, les Occidentaux, c’était un dictateur. Pour nous à l’OUA, c’était la garantie qu’après chacune de ses visites on serait payés. J’ai déjà fait plus de 3 mois sans solde en mission.

Et alors, on fait quoi dans ces cas-là ? Rien.

Parfois parce que c’est pareil qu’au pays : ils sont habitués. Souvent parce que le militaire, lui, ne se plaint pas. En France, il y a quelques années, une compagnie n’a pas été payée pendant deux mois à cause d’une erreur de comptabilité. Ce sont les épouses des soldats qui sont allées manifester.

Dans plusieurs pays d’Afrique, les familles suivent les militaires, faute de recevoir assez de leur Etat pour vivre dans des quartiers de l’armée. Certains accusent même les femmes de contribuer à piller les villages que leurs maris sont censés protéger. Mais il faut bien manger…

Et puis, parfois ce sont ces mêmes soldats que l’on inclut dans les forces régionales ou internationales et qu’on tente d’auréoler soudain de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Leurs collègues commentent alors, cyniques, les attitudes « musclées » de certains.

Un officier Suédois me disait…

Va expliquer à un soldat africain qu’on ne frappe pas un prisonnier alors que lui le fait dans son pays en toute impunité et sans que ça choque vraiment qui que ce soit.

L’uniforme, s’il parle, il ne le fait pas toujours d’une même voix.

Surtout à propos de l’angélisme des Nations Unies où Indiens et Pakistanais doivent collaborer, Serbes et Bosniaques, Russes et Roumains, mais aussi Rwandais et Congolais….

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Tout le monde fait comme si ça se passait dans la meilleure efficacité.

Pourtant, c’est loin d’être le cas.

Alors, qu’est-ce qui ne va pas ?

Est-ce d’être complice lorsqu’on musèle l’armée car on ne veut pas entendre les réalités qui se cachent si bien derrière les analyses des opérations militaires ?

Est-ce l’idée d’envoyer des étrangers sauver des gens sans leur donner les moyens ou l’autorité de le faire, même les fois où ils savent comment ?

Est-ce d’attendre des solutions de soldats pour les critiquer ensuite ou les accuser d’ingérence ou d’inefficacité dès qu’ils ne réussissent pas à faire mieux que ça ?

Pour eux aussi, la « communauté internationale », c’est du blabla.

Mais eux, ils ne peuvent pas le dire…

Merci à tous ceux qui m’ont fait confiance pour être leur voix d’un instant. Merci à Alec, Gerard, Peter, Surin, Radu, Moussa, Abdelhatif, Runo, Dominic, Jean-Luc etc.

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Etat des lieux de la réforme du secteur de sécurité en République Démocratique du Congo

Hon. Juvénal MUNUBO MUBI, Député National élu du Territoire de Walikale, Province du Nord Kivu, RDC Rapporteur de la Sous-commission Forces armées / Commission Défense et sécurité de l’Assemblée Nationale.

Pourquoi réformer le secteur de sécurité en RDC ?

Il existe plusieurs raisons qui justifient la nécessité et l’urgence de réformer le secteur de sécurité en RDC.

- Le secteur de sécurité en RDC est l’héritage de plusieurs régimes et systèmes de Gouvernance (Colonisation, 1ère République, 2ème République, transitions, 3ème République). Ces différents régimes et systèmes de Gouvernance ont eu une incidence négative sur la construction d’un Secteur de sécurité congolais qui protège l’Etat (les institutions) et qui protège aussi les citoyens, mieux les habitants.

- La nécessité pour la RDC d’avoir un instrument efficace susceptible de ramener la paix notamment dans la partie Est, de la consolider et de rebâtir la confiance entre la population et les forces de l’ordre.

-L’avenir de la RDC et spécifiquement la réussite du processus électoral dépendent largement d’un secteur de sécurité réellement transformé, efficace et respectueux des droits humains.

Comment évolue la réforme du secteur de sécurité en RDC ? – Essai d’un état des lieux.

1. L’armée(les FARDC)

Rappel de la mission constitutionnelle de l’armée

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Les forces armées ont comme mission de défendre l’intégrité du territoire national et les frontières. Elles participent en temps de paix, au développement économique, social et culturel ainsi qu’à la protection des personnes et des biens (art. 187, alinéa 2), elles sont républicaines et au service de la Nation toute entière (art. 188, alinéa 2), elles sont apolitiques et soumises à l’autorité civile (article 188, alinéa 2).

En RDC, l’on parle de la réforme de l’armée depuis longtemps (accord de Lusaka de 1999 et Accord global et inclusif, signé à Pretoria en 2002) mais les résultats restent maigres.

Points forts (succès)

-la promulgation de la loi organique (loi n° 11/012 du 11 aout 2011 ;

-la promulgation de la loi n° 13/005 du 15 janvier 2013 portant statut du militaire des FARDC ;

-l’identification biométrique des éléments des FARDC. Cependant, les effectifs ne sont pas à ce jour totalement maitrisés. On estime ce jour le nombre des éléments de FARDC à 145 milles personnes (cfr. Jean-Jacques Wondo in www.desc-wondo.org) ;

- la viabilisation de la chaine de paiement de la solde des militaires. Cependant, il sied d’évaluer l’impact de l’opération de bancarisation et d’augmenter le salaire du soldat.

Défis à relever (au regard notamment de l’Accord-cadre d’AdisAbeba de février 2013 et de la résolution 2098 du Conseil de sécurité des Nations-Unies)

-Mise en place du personnel clé des nouvelles structures des FARDC prévues par la loi organique à savoir les trois Zones de défense prévues à l’article 52 conformément aux articles 32, 33, 98, 105 et 112, de la loi organique ainsi que la mise en place des Régions militaires car la 9ème Région continue à administrer la 32ème région (Ituri et Haut-Uelé), la 10ème continue à enregistrer la 33ème (Bukavu et Kindu) ;

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- Finalisation des textes d’application de la loi organique (cfr les Services d’Education civique, Patriotique et d’Actions sociales, le Service de communication et d’information, le Commandement général des écoles militaires, les Régions militaires, le Groupement Naval, le Groupement aérien, la Garde républicaine et la base militaire).

-Finalisation du Plan de réforme des forces armées (priorités, menaces, actions, moyens humains, matériels et financiers, chronogramme) c'est-à-dire une sorte de Livre Blanc de la réforme de l’Armée ;

-Dépôt par le gouvernement à l’Assemblée Nationale de la loi de programmation de la réforme des FARDC, examen, vote et promulgation de celle-ci. Cette loi est très importante car elle permet de planifier pour plusieurs années les dépenses de fonctionnement et d’investissement des FARDC (art. 15 de la loi organique). Le Gouvernement traîne les pieds.

- Structures de mise en œuvre et de suivi de la réforme des FARDC. Nous sommes restés longtemps sans un Comité de suivi de la réforme de l’Armée à cause du caractère très secret attaché à la Défense en RDC. Ce n’est que le 11 avril 2014 que le Chef d’Etat-Major des FARDC a crée un Comité technique de suivi de la réforme en vue de permettre des échanges avec les pays partenaires de la réforme. Il est composé à 95% des officiers militaires (très militarisé). Le défi de l’élargir à la Société civile. Une réunion préparatoire du Groupe de travail « Armée » s’est tenue en juin 2014, on attend voir si cette structure sera participative.

2. La Police Nationale

Rappel de la mission constitutionnelle de l’armée :

La Police nationale est chargée de la sécurité publique, de la sécurité des personnes et de leurs biens, du maintien et du rétablissement de l’ordre public ainsi que de la protection rapprochée des hautes autorités (art. 182 de la Constitution).

Visage actuel de la Police Nationale congolaise

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La Police Nationale Congolaise se présente aujourd’hui comme une mosaïque des anciens éléments et retraités venus :

-de la Force publique ; -des Polices urbaines coloniales ; -de l’ancienne Police Nationale ; -des ex- Gendarmerie Nationale et Garde civile ; -des éléments issus des polices, milices et forces combattantes des ex-factions belligérantes des différents conflits qui ont déchiré le pays. Cette police est caractérisée par : -l’insuffisance des moyens humains et logistiques ; -le manque d’infrastructures pour le bon fonctionnement ; -de l’absence d’une formation professionnelle homogène en raison des origines diverses de ses composants ; -l’absence des salaires décents et d’une prise en charge sociale ; -les tracasseries sur les automobilistes ; -la dévolution de certaines missions de la Police à de multiples structures non-policières. Le processus de la réforme de la Police Nationale est parti d’un séminaire sur la modernisation de la PNC au mois d’Aout 2005. Le besoin de cette réforme fut alors exprimé par la Police elle-même.

Ceci conduira à la mise sur pied du Groupe mixte de réflexion sur la réforme et la réorganisation de la PNC, GMRRR en sigle le 14 novembre 2005 composé d’experts nationaux et internationaux avec comme mission de procéder à l’état de lieux de l’actuelle PNC, formuler les recommandations et rédiger un avant-projet de loi organique de la PNC.

La conceptualisation de la réforme de la Police a été poursuivie par la création du Comité de Suivi de la Réforme de la Police, CSRP en sigle. On y trouve les membres du Gouvernement, la Société civile ainsi que les partenaires extérieurs de la RDC.

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Projets en cours de réalisation dans le cadre de la réforme de la Police

- Modernisation de la gestion des ressources humaines : collecte des données et constitution du dossier de chaque policier pour avoir une connaissance qualitative et quantitative des effectifs de la Police et créer une base des données informatisées. Les résultats de ce projet sont entre autres l’octroi des numéros matricules, la délivrance des cartes de service sécurisées ainsi que le dégagement des fictifs.

- Expérimentation de la Police de proximité :

La Police de proximité est celle qui est aux contacts des populations, physiquement proche et psychologiquement proche de la population c'est-à-dire à l’écoute de celle-ci qui en est bénéficiaire de ses services. La Police de proximité est donc une Police accessible. Loin d’être une police territoriale ou tribale, la Police de proximité est une nouvelle philosophie qui doit être imprimée.

La Police de proximité est mise en œuvre dans 3 provinces pilotes à savoir le Bas-Congo, le Kasaï-Occidental et le Sud-Kivu avec l’appui de la Coopération britannique (DFID). Elle est mise en œuvre aussi à Kinshasa avec l’appui de la Belgique ; à Bunia et à Goma avec appui du PNUD. C’est à vous de me donner votre appréciation de son implémentation à Goma.

- Construction des nouvelles infrastructures :

Les bâtiments du CSRP (Comité de Suivi de la Réforme de la Police) à Kinshasa ; Le bâtiment administratif du Commissariat Général de la PNC, Les bâtiments administratifs des Commissariats provinciaux du Nord Kivu et du Sud Kivu, Les bâtiments de 2 bases de GMI (Groupe Mobile d’Intervention) à Goma et Bukavu ; Le Centre de formation de Mugunga au Nord Kivu. Signalons néanmoins que plusieurs territoires notamment celui de Walikale n’ont pas bénéficié de ces constructions réalisées dans le cadre du Programme STAREC. Il en est de même des routes. D’où un bilan mitigé de STAREC.

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- La Formation :

Il y a eu des formations organisées mais plutôt conjoncturelles (sur la police de proximité, la formation des recrues à Kapalata et Kasangulu, sur la police de frontières à Bunia et Jules Moke, etc mais pas encore des formations classiques.

Il est prévu aussi l’installation d’un réseau intranet et de VSAT à travers les chefs-lieux de toutes les provinces, la mise en place d’une salle serveur et d’un centre de production des cartes de service biométriques.

Défis et priorités pour les prochains jours

-La Sécurisation du processus électoral (organiser les formations spécifiques) ;

- Amélioration des conditions socioprofessionnelles des policiers (un policier, même formé et bien équipé doit être motivé c'est-à-dire bien payé pour bien travailler, pour donner le meilleur de lui-même;

-Renforcement de la sécurité routière,

- Lutte contre le phénomène Kuluna ou Maibobo (enfants dans la rue) ;

-Terminer la collecte des données dans sa partie analyse ainsi que l’identification des retardataires. On estime ce jour le nombre des policiers de la RDC à 107 mille éléments (cfr. www.desc-wondo.org);

-Intensifier les formations et les rendre classiques (c'est-à-dire permanentes, à travers les écoles et académies, ce conformément aux standards internationaux).

-Construire les Ecoles et autres infrastructures de services de la PNC ;

-Matérialiser l’intégration de la Police judiciaire des Parquets et le BCN-INTERPOL au sein de la Police Nationale (principe de l’unicité pour une meilleure coordination) ;

-Redéployer les éléments de la Police dans les zones libérées par les FARDC ;

-Entamer la réforme de la Direction des Renseignements Généraux ;

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-Mettre en place les cadres de commandement du Commissariat Général et des Commissariats provinciaux de la PNC ;

-Assurer la maintenance du système informatique (actuellement pris en charge par l’Union européenne) ;

-Rajeunir le personnel de la PNC (penser au recrutement en tenant compte du Genre et de la représentativité provinciale). Eviter « la Police des originaires » car la Police doit être le socle de l’unité nationale.

N.B : Quelques progrès sur le plan législatif : loi organique de la Police, loi portant statut du personnel de carrière de la Police et la loi de programmation de la Police 2014-2017 assorti d’un budget de l’ordre de 750. 396. 689.410 ,00 milliards des Francs congolais (plus de 700 millions de dollars américains).

3. Les services de sécurité : les Renseignements et les Migrations.

A ma connaissance, il n’existe pas un plan de réforme des renseignements et des migrations suivi régulièrement de façon concertée. Ces services qui présentent pourtant beaucoup de faiblesses (cas de l’attaque synchronisée de la ville de Kinshasa le 30 décembre 2013 revendiquée par le Pasteur Joseph Mukungubila qui demeure impuni).

Je pense qu’il faut prendre du courage et de la hauteur pour briser les tabous selon lesquels les renseignements et les migrations relèvent du « secret absolu ». Etant des services fournis à l’Etat et aux citoyens, leurs animateurs ne devraient pas continuellement se considérer comme exempts de toute obligation de rendre compte (accountability) de leur gestion devant le Parlement ou devant les citoyens. Un citoyen ou un acteur politique qui s’interroge sur comment fonctionnent les services de sécurité ne devrait pas être pris pour un suspect susceptible d’arrestation. Les agents des services de sécurité surtout ceux des services de renseignement ne devraient pas faire étalage de leurs fonctions au risque de compromettre le bon fonctionnement du secteur (ça ne sert à rien de se proclamer très haut « Agent ANR », ça ne sert à rien d’intimider).

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Les agents de services de sécurité devraient suivre constamment des formations sur les droits humains, le caractère apolitique de leurs fonctions et l’Etat devrait mettre des moyens conséquents pour redorer leur image et les placer dans des bonnes conditions de vie et de travail (ils ne doivent pas se payer sur la tète des bénéficiaires).

4. La justice

La Justice congolaise appelle elle aussi une réforme en profondeur. Que de fois n’avons-nous pas déploré ou entendu déplorer le difficile accès aux juridictions, la lenteur, l’impunité la corruption, le trafic d’influence, la vétusté de l’appareil judiciaire ainsi que les mauvaises conditions de vie des magistrats et personnel judiciaire ? Ces maux gangrènent l’image de la justice congolaise qu’il importe de redorer. L’importance de réformer la justice n’est pas à démontrer car « la justice élève une Nation », affirme les Saintes Ecritures.

Idées essentielles de la réforme

A la lecture de la Constitution, l’on s’aperçoit que l’accent est mis sur 2 points importants à savoir (Exposé des motifs, art. 149, etc) :

-l’indépendance du Pouvoir judiciaire et

-l’efficacité, la spécialité et la célérité.

Indépendance du Pouvoir judiciaire :

Le Pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif (art. 149). Je pense que pour réaliser cette indépendance, il faut :

-Former continuellement le magistrat (un magistrat bien formé est indépendant vis-à-vis de lui-même car il a confiance en lui) ;

- Placer le magistrat dans des bonnes conditions de vie et de travail (un bon salaire) ;

- Garantir un système de recrutement transparent au sein de la Magistrature ;

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- Sévir de façon exemplaire toute immixtion dans le rôle du Procureur ou du juge, qu’elle émane du Gouvernement, du Parlement, de la Société civile ou des milieux économiques.

L’efficacité, la spécialité et la célérité

Pour plus d’efficacité, de spécialité et de célérité dans le traitement des dossiers, les cours et tribunaux ont été éclatés en trois ordres juridictionnels à savoir :

-les juridictions de l’ordre judiciaire placées sous le contrôle de la Cour de cassation ;

- les juridictions de l’ordre administratif coiffées par le Conseil d’Etat

-la Cour constitutionnelle.

Evolution de la réforme de la justice

Il existe un Plan de réforme de la Justice mais qui n’est pas mis à jour. Je pense qu’il sied de l’actualiser en précisant les actions prioritaires, le niveau d’exécution, le cout budgétaire ainsi que le chronogramme d’exécution.

S’agissant des ordres de juridictions, la loi organisant les juridictions de l’ordre judicaire a été adoptée par le Parlement de même que celle sur les juridictions administratives (proposition de loi de l’Hon. Delly Sesanga). La Cour constitutionnelle quant à elle est en cours d’installation. Le Parlement réuni en Congrès vient de désigner pour sa part les 3 de 9 membres devant la composer.

Nous souhaiterions que le Président de la République et le Conseil Supérieur de la Magistrature accélèrent la désignation de 6 membres restants conformément à l’article 158 de la Constitution.

La Cour Suprême de Justice a été tant critiquée dans la gestion des contentieux électoraux issus des élections législative et présidentielle de Novembre 2011 (Elle a ainsi été qualifiée d’« institution privée de Mr. Kabila » par le Président de l’UDPS Etienne Tshisekedi venu 2ème dans les résultats contestés des présidentielles de Novembre 2011), son remplacement par la Cour constitutionnelle, que nous voulons neutre et impartiale ne devrait

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donc pas connaitre un moindre retard, ce dans la perspectives des élections de 2016. Tout comme les autres juridictions de proximité devraient être le plus rapidement possible installées.

Conclusion

Au cours de cette réflexion, nous avons successivement défini les concepts-clés. Nous avons, par la suite, présenté les raisons principales qui nous poussent à exiger la réforme du secteur de sécurité avant de passer en revue les progrès accomplis et les défis restant à relever dans la Réforme du secteur de sécurité en RDC.

Eu égard à ce qui précède, pouvons-nous garder espoir d’un lendemain radieux ? Je pense OUI mais il faut davantage de volonté politique du côté du Gouvernement de la RDC nécessaire pour mobiliser les moyens adéquats (humains, matériels et financiers) et bien les répartir pour la réforme du secteur de sécurité. Le Gouvernement de la RDC doit privilégier la consultation des experts de la Société civile (Réseau RSSJ par exemple) et de la Communauté internationale pour élaborer les Plans d’actions réalistes de réformes.

Beaucoup de partenaires extérieurs nous accompagnent déjà notamment : l’Union Européenne (Missions EUSEC pour la réforme de l’Armée et EUPOL pour la réforme de la Police), la Coopération britannique (DFID) et le PNUD pour la réforme de la Police, les Etats-Unis d’Amérique, la Belgique, la France, la coopération japonaise (JICA) et la Chine dans la formation des militaires des FARDC dans les centres de Kitona, Kamina et Kotakoli ainsi que les Nations-Unis (MONUSCO-UNPOL). Il nous revient d’en tirer profit.

Il convient de préparer sérieusement la Force de Réaction rapide pour préparer l’après-Brigade d’intervention des Nations-Unies.

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La crise de l’Etat et les interventions de l’armée belge et des troupes de l’ONU au Congo en 1960

Prof. Médard KAYAMBA-BADYE Département des Sciences Historiques Université de Lubumbashi

Au seuil de l’an 2000, une quarantaine d’années après l’accession des peuples africains à leur souveraineté, des organismes de l’ONU — que ce soit la Banque Mondiale, le FMI, ou la CNUCED — dont la nécessaire vision globale permettait un jugement sur le sujet, avisaient les responsables africains du fait que, en Afrique subsaharienne, de nombreux pays connaissent une crise qui réside dans l’essence même de l’Etat, dans sa capacité ou mieux dans son incapacité. Ces organismes proposaient en même temps la voie à suivre pour construire la capacité de l’Etat : réorganiser complètement les institutions, affirmer la primauté du droit et lutter de façon crédible contre l’abus de pouvoir.

I. L’Etat

Il sied ici de rappeler que l’Etat moderne se définit, en général, comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire donné, revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. L’histoire universelle indique que, même si elle n’est pas son unique moyen normal, la violence est le moyen spécifique de l’Etat. Depuis la nuit des temps, les groupements politiques les plus divers ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. A l’époque contemporaine, l’Etat passe pour l’unique source du droit à la violence : les autres entités de la société (groupes sociaux, classes, organisations) n’ont le droit de faire appel à la violence que si l’Etat le tolère ou leur en accorde l’autorisation.

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Dans la réalité, l’Etat, compris comme la « force concentrée et organisée de la société » rassemble les institutions et les hommes qui « commandent à tous, ou encore qui exercent les fonctions indispensables à la vie de la collectivité globale » (Raymond Aron).

Autant dans nos Etats anciens (royaume kongo, empire ruund, empire luba¸ royaume zande, royaume kuba, etc.) que dans les Etats modernes, ce que nous appelons Etat est un organe différencié, spécialisé et permanent de l’action politique et administrative. Il requiert un appareil de gouvernement capable d’assurer la sécurité au-dedans et sur les frontières du pays.

L’appellation d’Etat s’applique donc à un territoire — la notion de territoire étant une de ses caractéristiques — où il organise l’espace politique de façon telle que cet aménagement corresponde à la hiérarchie du pouvoir et de l’autorité ; l’Etat assure l’exécution des décisions fondamentales dans l’ensemble du pays soumis à sa juridiction.

De tous temps, cependant, l’Etat se révèle être un moyen de domination tenu par une minorité qui a le monopole de la décision politique. Il se situe ainsi au-dessus de la société, dont il doit pourtant défendre les intérêts communs.

L’Etat, dans sa réalité courante, dans son fonctionnement dynamique, est obligé en permanence de recourir à des stratégies qui maintiennent sa suprématie et l’hégémonie du groupe qui le contrôle.

Mais l’Etat reste un appareil distinct du groupe qui le contrôle. Voilà pourquoi, la politique, c’est-à-dire la lutte pour le pouvoir, se définit comme la direction de l’Etat ou l’influence que l’on exerce sur cette direction ou ce contrôle de l’Etat. C’est l’ensemble des efforts que l’on fait en vue de se maintenir ou de participer au pouvoir, d’influencer la répartition du pouvoir ou d’influencer la répartition du pouvoir, soit entre les Etats, soit entre les divers groupes à l’intérieur d’un même pays.

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On peut, comme le dit Jürgen Habermas, penser que la « politique » ainsi définie constitue un espace public qui ne peut remplir sa fonction que s’il perçoit et formule les problèmes qui affectent la société dans son ensemble. Il doit, dès lors, se constituer à partir des contextes de communications des personnes virtuellement concernées. Le public qui lui sert de support se recrute dans la totalité des citoyens.

Bref, au sein d’un pays, la société dispose d’une force concentrée et organisée, chargée de la sécurité de tous ses membres et de la défense des intérêts communs, mais contrôlée par un groupe social (ou de circonstance) qui détient le monopole de la régulation, de la décision politique, de l’administration et de la violence physique légitime. Cette violence physique légitime, à travers les fonctions de type technique (organisation, administration, défense) qui reviennent à l’Etat, sont dévolues à la police, à l’armée, aux prisons.

II. Les « Evolués» : représentants des intérêts africains en 1960

Au Congo, le groupe constitué des « évolués », qui devait fournir la minorité destinée à tenir le moyen de domination qu’était l’Etat moderne issu de la colonisation, prend forme entre 1940 et 1960. Même si la colonie est déjà considérée comme un pays au cours de la décennie qui précède l’indépendance du Congo, les « évolués » comme groupe social en formation possèdent comme base sociale une population hétérogène de clans et d’ethnies très peu en contact les uns avec les autres.

La révolte dite de Luluabourg en février 1944, indiquera déjà que les « évolués » n’avaient pas de conscience « nationale » claire, puisque non seulement, de cette époque à 1960, ils ne défendaient que leurs intérêts, mais aussi ils travaillaient à marquer une différence et une distance entre eux et les masses qu’ils considéraient comme des « sauvages de la brousse (…) une masse indigène ignorante, arriérée, peu formée ». Leur position était encore plus ambivalente si l’on pense qu’ils devaient se définir constamment par rapport aux colonisateurs.

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Mais, en elle-même, la future classe dirigeante du Congo souffrait d’une faiblesse numérique évidente, pour un pays de 2.345.000km², qui abritait déjà une population gravitant autour de 10.000.000 d’habitants.

Tableau 1 : pourcentage (%) des personnes capables de lire et écrire par province (1955-1957).

PROVINCES Agées de plus de 10 ans Agées de plus de 15 ans H F Total H F Total

Léopoldville 38,73 6,85 22,84 37,54 5,14 21,18 Equateur 27,21 1,76 13,34 26,38 1,36 12,33 Province Orientale 25,43 3,70 14,43 21,62 2,33 11,67 Province du Kivu 28,42 3,02 15,46 24,90 1,94 12,93 Katanga 35,04 5,15 19,64 34,27 3,41 18,00 Kasaï 33,40 3,81 17,72 31,86 1,90 15,46 TOTAL DU PAYS 31,34 4,19 17,45 29,16 2,76 15,36

SOURCE : ROMANIUK, A., Démographie congolaise au milieu du XXe siècle. Analyse des statistiques de l’enquête socio-démographique par sondage des années 1955-1957, Presses Universitaires de Louvain, UCL, 2006.

A l’accession du Congo à l’Indépendance, le Congo devait compter probablement un millier d’individus de niveau supérieur en instruction. Des chiffres connus, on peut citer, peu avant 1960, l’existence de 500 prêtres au moins ; plus de 400 personnes des Services techniques (médecine, agriculture, administration) ayant suivi un enseignement supérieur équivalant au niveau universitaire suivant la classification des USA.

Au niveau de la conscience sociale et nationale, il a été émis l’idée que l’enseignement du cycle fondamental, avec l’emploi systématique des langues africaines vernaculaires et véhiculaires dans les écoles missionnaires a eu des conséquences négatives sur le plan culturel et le plan politique dans un Etat moderne.

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Beaucoup de gens formés dans les écoles rurales sont restés enfermés dans le milieu culturel étriqué de leur localité, avec peu de possibilité d’accéder à un niveau de culture plus élevé. Formulant cette analyse pour l’ensemble des ± 10% de la population atteints par l’enseignement au Congo, Jean Stengers, historien belge, écrit :

« les langues indigènes [variant] d’une région à l’autre, l’accent mis sur ces langues n’a certainement pas favorisé l’unification morale du Congo. L’unification vue sous son aspect linguistique, ne pouvait résulter que de l’extension du français. Moins de français a signifié plus de fractionnement ».

Ce fractionnement ne signifiait pas seulement un creusement plus large de l’écart entre la masse, la minorité des « lettrés » et l’élite des « évolués », il a aussi imposé l’extension du tribalisme, en élargissant l’influence des cultures communautaires claniques et en ralentissant la progression de la culture moderne.

Crawford Young a noté à ce sujet, cinq ans après l’indépendance, que l’un des problèmes majeurs qui met en question l’existence même de l’entité congolaise, c’est le difficile problème du "tribalisme", ou de ce que l’on peut encore appeler "ethnicité".

III. Les intérêts belges et internationaux

La pénible constitution d’une classe dirigeante nationaliste était aussi en concurrence avec l’existence d’un groupe social relativement plus achevé : celui des colons que constituaient les Belges du Congo, ou plus exactement la population européenne de la colonie, qui est passée, entre 1946 et 1958, de 34.000 à 108.000 habitants. Il a été constaté que le groupe social des « Européens du Congo » s’est formé suivant l’accroissement des IDE (Investissements Directs Etrangers) au Congo. A partir de 1880, indiquant le dynamisme de leur économie, les capitalistes belges commencent à orienter la création de leurs entreprises vers l’extérieur : Amérique Latine, Extrême–Orient,

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Moyen–Orient, Russie. Avant 1914, les investissements directs étrangers vers la Russie représentent plus de la moitié des IDE belges. Avec la Révolution de 1917 en Russie et après la Première Guerre mondiale, les actifs russes ayant été confisqués par le nouveau régime, les capitaux belges s’orientent résolument vers le Congo Belge, qui n’a représenté, entre 1891 et 1900, que 9,1 % des IDE belges. A partir des années 1920, 60% des IDE se dirigent vers la colonie. En 1939, la part des flux annuels de capitaux exportés de Belgique formeront 29,8% des stocks de capitaux. Si 47 des 267 entreprises et sociétés belges engagées dans l’Investissement Direct Etranger sont actives au Congo en 1914, en 1939, 129 de ce type de sociétés sur 211, soit 61%, s’y trouvent logés. En 1898, avec l’attraction des capitaux vers la Russie, il y avait dans cet empire 2.253 Belges ; au même moment, il y en avait 1.060 dans l’Etat Indépendant du Congo. En 1939, il y avait dans la Colonie 25.209 non Africains et, parmi ceux-ci, 17.536 Belges. En 1945, le Congo abritait 23.643 Belges et, une quinzaine d’années plus tard, en 1959, 88.913. Si, déjà pendant la guerre de 1939-1945, s’élèvent des voix pour exiger davantage d’autonomie pour la Colonie du Congo Belge, c’est pour le compte de ce groupe social de non Africains, dont la majorité sont engagés dans la petite et moyenne entreprises et beaucoup ont une instruction supérieure. Aux yeux des Belges, les Africains ne peuvent pas être pris en compte dans l’octroi des droits politiques. Ce jugement prévaut jusqu’en 1957. Dans les milieux progressistes belges (socialistes, libéraux), on entend dire que les Belges du Congo trouvent anormal qu’ils soient

« privés de droits politiques, [alors] qu’en Afrique Equatoriale française, même les indigènes ont le droit de vote … ».

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Le « libéral » Robert Godding, qui sera ministre des Colonies entre 1945 et 1947, préconisait, bien avant d’accéder à ce poste, l’instauration d’un conseil législatif permanent avec pouvoirs consultatifs et la participation des Belges du Congo au gouvernement de la colonie. C’est dans ce cadre que s’initient des études d’une réforme des organes consultatifs coloniaux créés en 1914 et réformés en 1933, mais où ne siégeaient jusqu’en 1945 que des « notables » et des fonctionnaires belges. Un décret du 31 juillet 1945, élargira la composition de ces organes à quelques évolués congolais. En 1946, mais toujours au profit des Belges du Congo, Robert Godding parle de « décentralisation » (au Congo même et par rapport à Bruxelles) et d’ « un esprit d’indépendance [qui] s’est développé dans la colonie ». On n’hésite pas à parler de « nation congolaise » et même, à Léopoldville, dans le Courrier d’Afrique, d’un « Etat Indépendant du Congo au sein de l’Union belge ». En 1945, un député libéral, Ernest Demuyter, proposait de modifier le drapeau belge, en combinant le « noir jaune rouge » avec la couleur bleue avec étoile dorée du Congo.

Un frein est cependant mis à ces velléités centrifuges belges.

Sous les feux des critiques animées par « la communauté internationale » naissante (alors le Bloc de l’Est, les nouveaux pays africains indépendants et même les USA) à l’ONU, le gouvernement belge dit s’en tenir à une future souveraineté du Congo et empêcher une forme d’ «apartheid» en barrant la voie à l’émergence d’une « minorité » européenne détenant le pouvoir sur une majorité africaine sans droits politiques comme (alors) en Afrique du Sud.

Cette position officielle s’en tenait aussi à la position largement partagée même dans la Société civile belge, suivant laquelle il restait prématuré d’accorder le droit de vote aux Africains, tant que ne se

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trouvait pas achevé le long processus éducatif devant commencer par la base.

En réalité, le débat ne se trouvait pas clos dans la classe politique belge, parce qu’il fallait absolument trouver un statut pour la population belge habitant le Congo.

C’est comme cela que classe politique et intellectuels belges vont en arriver à concevoir la « communauté belgo-congolaise », concept auquel adhéreront objectivement l’élite des « évolués » de Conscience africaine et même Patrice Lumumba, au moins jusqu’en 1957.

Léon Pétillon, alors Gouverneur Général du Congo, qui popularisera le concept, a reconnu l’avoir tiré des prises de position du « social-chrétien » Pierre Wigny, que nous retrouverons à la Table Ronde de Bruxelles de 1960. La « communauté belgo-congolaise », dont parle explicitement Léon Pétillon en juillet 1952 devant le Conseil de gouvernement à Léopoldville, devait signifier pour Wigny un regroupement de « Blancs et Noirs » entretenant au Congo des rapports de "citoyens belges" dans une unité indissoluble entre la « Belgique d’Europe et d’Outre-mer ».

Le Congo appelé à créer avec la Belgique des liens d’association n’était plus une simple « colonie » mais un « pays » où se créait « une société belge permanente ».

Autour de 1955, ce concept prend corps dans les milieux politiques belges, où elle donne lieu à un débat sur un « régime de diarchie » : Belges de Belgique, Belges et Africains du Congo jouiraient d’une « nationalité unique » sur le plan international, et de deux « sous-nationalités » sur le plan interne. Belges de Belgique et Congolais (= Africains et Belges du Congo) auraient des « nationalités » distinctes, au sein d’une même entité internationale.

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On se rappellera que dans la Société civile belge et congolaise, les années 1955 et 1956, sont connues comme celles des "manifestes" tous liés à l’idée d’un « plan de Trente ans » émise en 1955 par un professeur de l’Institut universitaire des Territoires d’Outre-mer, J. Van Bilsen, à laquelle réagissent, pour ainsi dire différemment, le groupe de Conscience Africaine, l’ABAKO et Patrice Lumumba.

Bien que le Gouvernement belge (avec Paul–Henri Spaak comme ministre des Affaires étrangères) continue à considérer l’idée d’un Congo autonome avec des citoyens belges comme « inopportune », du côté des partis et du Palais royal, l’on n’écartait pas en 1957 l’idée d’une réforme qui verrait un Congo avec Léopold III ou même Albert de Liège (père et frère de Baudouin 1er) nommé Gouverneur ou vice-roi dans la colonie.

Plus symptomatique est la prise de position du très libéral Auguste Buisseret déclarant le 26 juin 1957 à la Chambre des Représentants que :

« l’Européen [reste] le principal facteur de l’évolution de l’Afrique (…) [A] part les Pygmées, il n’y [a] pas d’autochtones en Afrique belge ».

Congolais et Belges avaient des droits égaux au Congo. Ce que ne cessaient de clamer tous les Colons, et particulièrement ceux du Katanga, au cours des années 1950.

Le 16 juin 1945, Jean Sépulchre, célèbre journaliste au Katanga, écrit, dans l’Essor du Congo paraissant à Elisabethville :

« … la solution des questions indigènes est primordiale (…) mais il ne faut pas perdre de vue qu’il est également impérieux de résoudre simultanément le problème de la solide et définitive installation des Belges au Congo ».

Or juste après la guerre de 1939-1945, probablement au-début des années 1950, dans la foulée de l’élaboration des idées autour de la « Communauté belgo-congolaise », le Gouvernement belge avait

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même eu à l’ordre du jour une révision de la Constitution pour y inscrire l’affirmation suivante :

« la Belgique et le Congo constituent un seul et même Etat, leur territoire constitue le territoire national ».

Ce projet de révision avortera.

Dans une déclaration de 1958, les Colons réunis dans un syndicat (Union pour la colonisation — UCOL) et dans le nouveau parti européen, Union Katangaise¸ créé à Elisabethville, réclamaient

« La fédération des territoires congolais avec la Belgique (…) [et] un gouvernement local responsable, pour permettre aux deux fractions de la population de participer, sur un pied d’égalité, en respectant la parité numérique, à la gestion de la chose publique à tous les échelons ».

C’est en fait ce que venait de réaliser, en partie, le Gouvernement colonial, en organisant les élections municipales de décembre 1957. De la société projetée au Congo, devaient, en fait et objectivement, être exclus les Congolais des milieux ruraux, et, dans les espaces modernes pris en compte, il ne devait plus y avoir

« de différence de races mais, comme dans tous les pays du monde, il y aura seulement des différences de classes, celles-ci demeurant ouvertes à tous… »

Dans la réforme projetée, qui sort du Groupe de Travail mis en place par le Ministre du Congo Belge et du Rwanda Urundi, Léon Pétillon, et finalisé du temps de Maurice Van Hemelrijck, en décembre 1958, il est projeté

« un Congo autonome, associé avec la Belgique mais doté d’un régime démocratique avec participation de la population autochtone ».

Il faut, à ce stade, dire un mot du poids de la « communauté internationale ».

Dans les conditions de la fin du 19ème siècle, Léopold II a réussi à créer un grand ensemble territorial autour du fleuve Congo, sous la forme

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équivoque d’un « Etatlibre » ouvert totalement au libre-échange, qui sera vite remis en question. Les grandes puissances économiques de l’époque (Grande-Bretagne, Allemagne, USA, France) garderont longtemps les yeux tournés vers l’Etat Indépendant du Congo et vers, plus tard, la Colonie du Congo Belge. Les richesses du nouveau territoire feront que le Congo jusqu’à aujourd’hui n’a jamais quitté la scène internationale et n’a jamais cessé d’être la convoitise des puissances étrangères.

Durant la première Guerre mondiale (1914-1918), le cuivre congolais fut utilisé pour fabriquer des munitions ; le caoutchouc servait à produire les premiers pneus.

Durant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), le Congo fut astreint à un « effort de guerre » très coûteux, dont, d’ailleurs, le Gouverneur Général Pierre Ryckmans se dira « choqué », en considérant les sacrifices imposés aux Congolais, et « déçu » par la faiblesse des compensations ultérieures.

Plus grave : les Alliés (Grande-Bretagne, USA), en août 1940, avaient envisagé, après la défaite de la Belgique, le maintien du Congo aux côtés des Britanniques si jamais les autorités belges faisaient défaut. Il fallait, à tout prix, faciliter l’organisation de la production et de la fourniture des matières essentielles pour la Grande-Bretagne. Un des prix à payer par la Belgique défaite et envisagé par la Grande Bretagne était alors de se passer de la Belgique et d’instituer "un Congo libre", c’est-à-dire un Congo indépendant.

Au cours de cette période de guerre, il est même question de rumeurs faisant état d’un projet du Pape de faire du Congo une colonie « vaticane ».

L’Etat-major de la Force Publique, qui était pour la poursuite de la guerre aux côtés des Alliés et contre la capitulation, préconisait même de proclamer la neutralité ou « l’indépendance » (sic) du Congo, sous l’autorité du Gouverneur Général.

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Et, c’est, comme universellement connu, l’uranium de Shinkolobwe au Katanga, qui a permis aux Américains de produire la bombe atomique et de mettre définitivement fin à la guerre par les bombardements des villes japonaises de Nagasaki et d’Hiroshima en août 1945.

Après la Deuxième Guerre mondiale, c’est l’ONU, dont Pierre Wigny dénonçait l’idéologie, qui, au début des années 1950, poussait la Belgique à la décolonisation au Congo.

IV. Les interventions étrangères

Dix ans avant l’indépendance, le Congo est un pays, avec un Etat, mais sans Nation. Entre 1945 et 1960, le Congo abrite une société coloniale formée de forces sociales à intérêts totalement contradictoires. La minorité, qui a le monopôle de la décision politique et de la violence physique légitime, est belge.

Les Congolais, même dans la frange des « évolués » qui les représentent socialement, ne perçoivent la possibilité de fournir des efforts en vue de participer au pouvoir ou d’en influencer la répartition qu’à partir de fin 1957.

Que ce soit pour les Belges ou pour les Congolais, les forces sociales déterminantes demeuraient celles qui ont rendu possible la construction d’une économie congolaise solide et robuste : c’est-à-dire les entreprises privées, telles que la Société Générale de Belgique, l’Union Minière du Haut-Katanga, le BCK, la Forminière, etc.

Mais comme tapis dans l’ombre, les Etats-Unis veillaient. Le contexte de la guerre froide aiguisait la vigilance pour le contrôle des ressources minières et surtout des minerais stratégiques du Congo.

La Belgique, comme Nation et comme Etat, en crise à cause de l’affaire royale (Léopold III) et du conflit intercommunautaire, a une influence surfaite et un poids relativement dérisoire au Congo face à toutes ces forces sociales depuis 1945.

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En réalité, s’il est vrai qu’avec ses ressources et sa main-d’œuvre, le Congo a été « mis en valeur » par l’entreprise coloniale, la Belgique elle-même et surtout les sociétés privées minières en ont tiré beaucoup plus de profits.

Comme le note l’historien Guy Vanthemsche :

« … la "mère patrie" [la Belgique] s’est montrée particulièrement avare en moyens publics pour sa "pupille". Le contribuable belge n’a pratiquement rien contribué à l’ « œuvre de civilisation » entreprise outre-mer. C’est le Congo lui-même qui a fourni l’essentiel de ces moyens : travailleurs et habitants congolais soumis à l’impôt, taxes payées par les entreprises ou les autres acteurs économiques présents au Congo, droits de douane, etc. ».

Le Congo pouvait donc, en 1960, « voler de ses propres ailes », mais ce sont les structures et les animateurs politiques autochtones crédibles qui faisaient défaut.

Jean Stengers a déploré l’absence de cette classe dirigeante qui aurait pu naître d’une guerre de libération nationale, si la Belgique avait eu le courage de s’opposer aux leaders politiques congolais exigeant l’indépendance à partir de 1958.

L’indépendance du Congo n’a pas été conquise au terme d’une longue lutte armée, comme en Indonésie, au Vietnam, en Algérie, en Angola, au Mozambique, etc. L’indépendance n’est pas non plus advenue à l’issue d’un long processus de réformes politiques, comme dans les colonies britanniques.

C’est quelques jours avant le dévoilement du plan politique issu des consultations du Groupe de travail mis en place par Pétillon en août 1958 que de graves émeutes éclatent à Léopoldville le 4 janvier 1959. Les événements vont se précipiter. Littéralement, le Congo va, dès cette date-là, naviguer à vue, avec une Nation qui s’improvise et un Etat-fantôme.Le Roi des Belges proclame qu’en ce jour du 13 janvier 1959 — neuf jours après les émeutes populaires de Léopoldville —, sa résolution est de « conduire » les populations congolaises à

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l’indépendance. Baudouin 1ersouhaitait que ce cheminement vers l’indépendance sous son patronage se réalise « sans atermoiements funestes [et] sans précipitation inconsidérée ».

S’adressant au public averti de l’Université Libre de Bruxelles, Baudouin reconnaissait, à la même époque, que :

« Les événements se sont précipités à un rythme que nul n’aurait pu soupçonner. Des forces tumultueuses se sont mises en branle, sans que des élites sages et expérimentées fussent présentes en nombre suffisant pour les encadrer et les diriger ».

L’évolution des événements sera telle que, dès le début de 1960, des concertations sont prévues et se tiennent à Bruxelles sous la forme d’une « Table ronde » politique en janvier, et sous forme d’une « Table ronde » économique en mars, entre coloniaux belges et « évolués » congolais mais sans la participation des « colons » européens. Assistés de leurs conseillers majoritairement belges, les Congolais imposent la date du 30 juin 1960 comme échéance pour la fin de la colonisation belge et le début de la souveraineté du peuple congolais.

Des élections se tiennent sur toute l’étendue de la Colonie en mai 1960.

Les Belges élaborent une loi fondamentale pour une République de régime parlementaire, dans un Etat unitaire fortement décentralisé.Le 30 juin 1960 est évidemment une très grande journée nationale de recouvrement de toutes les libertés pour les Congolais émerveillés.Le plus curieux cependant, c’est que les vrais enjeux engagés par l’événement ne sont perçus que par la minorité des « évolués » de Léopoldville, puisque même le fameux discours de Patrice Lumumba au Palais de la Nation ne sera connu en Province dans les milieux intéressés qu’une semaine plus tard, et dans les masses seulement après quelques mois ou quelques années. Les scènes de liesse et les fêtes en général vont probablement durer une semaine en province. Dès les 4 et 5 juillet 1960, cependant, à partir de Léopoldville, des émeutes éclatent dans la Force Publique devenue Armée Nationale Congolaise. Dans cette armée dont les

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recrutements se faisaient par conscription et rarement par engagement volontaire, le grade le plus élevé ne dépassait pas celui d’adjudant-chef. Diverses frustrations internes, des problèmes de grade et de solde étaient attisés par des considérations ethniques et raciales depuis 1940-1945.

Des rêves diffus de promotion générale le 30 juin 1960 ont été contrariés explicitement par le fameux Général Janssens qui avait proclamé, devant des sous-officiers, craie et tableau noir à l’appui, que « avant l’Indépendance = après l’Indépendance ». Cette funeste équation a fait déborder le vase dans une institution qui a été, pendant plus de soixante-dix ans, l’épine dorsale de l’Etat, et dont les réseaux de communication comptaient parmi les plus efficaces et les mieux organisés.

La mutinerie de l’Armée gagne quasiment tout le pays en moins de trois jours. Entre les 8 et 10 juillet s’opèrent les interventions de l’Armée métropolitaine belge, parfois sans coordination évidente entre le Gouvernement de Bruxelles, l’Etat-Major, le Palais et les derniers représentants de la Belgique au Congo. Et contre les clauses du traité d’amitié signé entre la Belgique et le nouvel Etat.

L’argument invoqué par la Belgique pour justifier son intervention est, au nom du principe d’assistance de personne en danger, celui de la nécessité de sauver des civils belges menacés de mort par des « soudards déchaînés ». Le même argument d’intervention pour des raisons humanitaires sera invoqué en novembre 1964 dans l’opération effectuée à Stanleyville. En l’occurrence, la presse belge a joué un rôle fort néfaste dans l’entretien de la panique qui règne dans les milieux européens au Congo. Il a été, par exemple, établi que la mutinerie à Thysville (= MbanzaNgungu) a conduit des soldats à s’en prendre effectivement à des civils, et qu’à Elisabethville, parmi les cinq personnes abattues par les mutins du Camp Major Massart (= Vangu), se sont retrouvés un ou deux civils belges ; mais, de façon générale, la panique a été provoquée par une surestimation du danger au sein des médias.

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Il est probable que dans cette volonté d’intervenir comptait beaucoup plus une entreprise de récupération de la situation en vue de la préservation des intérêts économiques et moraux de la Belgique dans un Congo longtemps décrit comme une « colonie modèle » entre 1920 et 1960.

Même si cela paraît aujourd’hui relever presque de l’irrationnel, la Belgique, dans sa classe politique la plus conservatrice, reste persuadée que le Congo courait le risque d’être pris par d’autres puissances. Il semble, d’ailleurs, qu’en 1960, Maurice Couve de Murville, alors ministre des affaires étrangères de Charles de Gaulle, aurait rappelé une clause fictive du traité de Berlin prévoyant un « droit de préemption » accordant à la France l’autorisation d’annexer le Congo à ses territoires coloniaux, si la Belgique « refusait l’héritage de Léopold II ou s’avérait incapable de le gérer ».

Revenons aux faits. Le 8 juillet 1960, commence un exode massif des fonctionnaires et techniciens belges. Le Gouvernement central de Léopoldville fut le plus affecté dans ses organes de direction et dans ses moyens de communication, c’est-à-dire de diffusion, de contact et de relation avec les Provinces.

En quelques jours (au Katanga dans une moindre mesure), les secteurs les plus importants de la vie économique et sociale du Congo furent presque complètement paralysés.Les pouvoirs provinciaux furent contraints, là où cela était possible, de s’organiser sur une base autonome, et les tendances centrifuges s’en trouvèrent renforcées. Le départ massif des cadres belges provoqua dans l’administration publique, en quelques jours, une « africanisation » forcée et sans précédent. Selon Benoît Verhaegen, témoin et analyste :

« Même les pays communistes ne connurent pas lors de leur révolution un phénomène de promotion sociale aussi brutal que celui du Congo en juillet 1960. La caste dirigeante (environ 10.000 fonctionnaires étrangers et 1.000 officiers et sous officiers) disparut en 8 jours. Toutes leurs fonctions et

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avantages y afférents furent immédiatement transférés aux cadres administratifs subalternes congolais… ».

Comme si cela ne suffisait pas, profitant de l’intrusion des troupes métropolitaines belges basées à Kamina, le gouvernement installé péniblement au Katanga avec Moïse Tshombé en conflit avec son pourtant « coreligionnaire » méthodiste Jason Sendwe, proclame la sécession de la province, le 11 juillet 1960.

La situation est alors marquée par une grande instabilité et une grande insécurité. Certes, de juillet 1960 à janvier 1963, l’évolution politique du pays dans son ensemble et le comportement des principaux acteurs concernés (Belgique, Lumumba, ONU, Ileo, Mobutu, Kasa-Vubu, USA) vont être conditionnés par le fait de la sécession katangaise. Mais le Congo connaîtra d’autres tentatives de sécession plus ou moins sérieuses, entre août 1960 et mars 1961.Le 8 août 1960, une partie de l’ancienne Province du Kasaï proclame à partir d’Elisabethville son autonomie (Etat autonome du Sud-Kasaï, puis Royaume fédéré du Sud-Kasaï ou empire avec Albert KalonjiDitunga). L’Equateur est le terrain d’une tentative de sécession fomentée par quelques hommes politiques. Laurent-Gabriel Eketebi se rallia cependant au pouvoir central. Avant la fin de l’année 1960, des incidents vont provoquer la mort de plusieurs personnes et entraîner la panique et l’exode massif des Européens. Des 1670 Européens de Coquilhatville, ne demeurèrent que 300 individus. Mais, selon Paule Bouvier, qui a été la conseillère du groupe mongo à la Table Ronde de janvier 1960 :

« Un mouvement, avec à sa tête Jean Bolikango, réclama l’indépendance de l’Equateur dans le cadre d’une alliance avec Moïse Tshombe. Parmi les partisans de cette option, certains se déclarèrent plutôt favorables à la création d’une fédération d’Etats. Quant aux Mongo réunis en congrès début 1961, ils optèrent pour l’instauration d’une province ou d’un Etat anamongo au sein d’un Congo fédéral ».

La Province Orientale bascula dans la sécession, dès que l’on sentit que la situation de Patrice Lumumba ne se résoudrait pas sans guerre

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civile. Seul le Kivu résista un temps aux démons du séparatisme, après les incidents de Goma des 8 et 9 juillet 1960. Curieusement, grâce à Miruho (président du gouvernement provincial) et au lieutenant-colonel Six, l’africanisation des cadres administratifs et militaires s’y est effectuée sans troubles sérieux. Mais sous l’influence d’Anicet Kashamura, le Kivu basculera pendant un temps dans le giron de Stanleyville en sécession.

Tous ces événements surviennent sur un fond de conjoncture marquée par les faits qui affectent tout le pouvoir central à Léopoldville. Par réaction à l’intervention militaire de la Belgique et à la proclamation de l’indépendance du Katanga, le Gouvernement central rompt les relations diplomatiques avec l’ancienne métropole, et, à la même date du 14 juillet 1960, les Nations Unies, auxquelles le Congo a fait appel, décident une intervention des troupes de l’ONU, qui arrivent à Léopoldville à partir du 15 juillet.

Contrairement aux attentes de Patrice Lumumba, l’intervention des Casques Bleus au Congo n’aboutit pas à la mise au pas des provinces rebelles, mais plutôt à la simple mise à nu des rapports de force sur le terrain. Un différend se crée même entre le chef du Gouvernement congolais et la haute hiérarchie des Nations-Unies.En réalité, Lumumba, dès après sa tournée aux USA en juillet 1960, et à cause de ce que l’on considérait comme son rapprochement avec les pays du « Bloc de l’Est » (URSS, Républiques populaires, Ghana, Guinée, Egypte, Bloc de Casablanca …), était considéré comme un « leader dangereux, instable, imprévisible, voire cryptocommuniste ». Il semble qu’en août 1960, le Président des Etats-Unis, Dwight Eisenhower, a décidé l’assassinat du Premier ministre congolais.Quoi qu’il en soit, les événements vont se précipiter.Patrice Lumumba est destitué par le Chef de l’Etat le 5 septembre 1960 ; le colonel Mobutu prend le pouvoir, pour la première fois, le 14 septembre et installe un organe politique extraordinaire (le « Collège des commissaires généraux ») le 24 septembre 1960. Cet organe fonctionnera jusqu’en février 1961. Le 10 octobre 1960, Lumumba est mis en résidence surveillée ; arrêté après une tentative d’évasion, et brièvement incarcéré à Thysville (MbanzaNgungu), Lumumba est transféré par le Gouvernement central au Katanga en sécession, où il est assassiné le

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17 janvier 1961, avec la complicité ou la participation des Services secrets et de quelques notabilités belges. L’effondrement de l’Etat congolais survient dès le 5 juillet 1960, lorsque se disloque l’ossature administrative et militaire de l’ancienne colonie belge.

On a vu que dès le 8 juillet partent du Congo onze mille cadres et techniciens belges ou européens. Là où ils purent être en fonction et opérationnels, il est dit ceci des élus de mai 1960 :

« on trouvait […] dans les institutions provinciales le même genre de difficultés qu’au niveau national. Les partis ne réussirent pas à envisager les problèmes avec cohérence ».

Parmi les premiers symptômes des difficultés parlementaires, on diagnostiquait : cupidité, corporatisme, inefficacité, inertie, absentéisme.

Chez les parlementaires, selon Crawford Young :

« Les traits saillants de leur activité furent l’éclatement en fractions adverses et les dissensions internes ».

De 1960 à 1962, on ne parvint même pas, dans la plupart de ces assemblées, à voter le budget ; ce qui, pourtant, était la tâche fondamentale des élus.Peu avant le 30 juin 1960, le Vice-gouverneur général du Congo Belge, André Schöller, alors gouverneur intérimaire au Katanga avait noté que les personnalités congolaises de « quelque valeur » étaient extrêmement peu nombreuses :

« La médiocrité des actuels leaders politiques et leur désinvolture sont frappantes (…). Dans l’état de maturité politique actuelle du pays et de ses élites, il est bien évident que l’évolution politique radicale et accélérée à laquelle il est procédé est une opération extrêmement difficile et périlleuse (…). Il est plus difficile de faire un pronostic valable quant à l’efficacité de l’administration en général après l’indépendance. Tout dépend en effet de la personnalité des futurs gouvernants, de leur politique et de celle

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de l’Assemblée Législative, du courage qu’auront les autorités responsables pour rappeler au sens des réalités tous ceux, et ils sont très nombreux, qu’obnubile une ambition effrénée ou une vanité puérile ».

En 1960, comme le relève Young, les éléments les plus valables parmi les évolués ont été attirés par le Parlement central. Malheureusement, il était difficile de trouver, du jour au lendemain, 641 individus nécessaires pour occuper les sièges des Assemblées à Léopoldville et en Province. Le niveau moyen des députés provinciaux se ressentait de la médiocrité des leaders disponibles.

Une fois en fonction, le vice-président du « Collège des Commissaires généraux », Albert Ndele, chargé aussi des Finances et des questions monétaires, disait le 9 novembre 1960 :

« Du 1er juillet 1960 au 29 septembre 1960, le pays n’était plus réellement gouverné. Aucune loi, aucune ordonnance, aucune décision importante n’a été prise (…) [A]ucune mesure n’a été prise directement par le gouvernement pour assurer la continuité des approvisionnements et des recettes fiscales. Aucune disposition ne fut arrêtée pour stopper l’hémorragie financière causée par le transfert massif des capitaux et des réserves vers l’étranger ».

Au quotidien, ajoutait Albert Ndele :

« Au sein de l’administration, les fonctionnaires privés de cadres supérieurs et de directives gouvernementales se sont trouvés devant l’impossibilité de faire fonctionner la machine administrative. Les services publics étaient paralysés par l’absentéisme et gangrenés par le favoritisme politique ».

La conséquence pour le pays, c’est que :

« Incapables de maintenir l’ordre et la sécurité, incompétents pour résoudre les problèmes que pose la gestion d’un Etat, les

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anciens gouvernants ont rapidement plongé le pays dans la désorganisation économique et dans le désordre financier ».

A propos de ce dernier point, au sein de l’appareil de l’Etat, les cadres subalternes congolais et la classe politique ont vu leurs revenus multipliés par le « coefficient cinq ». La mise en place des institutions politiques représentait — le Katanga exclu — deux à trois mille fonctions nouvelles. En 1962, on estimait à 205.600 personnes l’effectif rémunéré par l’Etat dans l’administration publique, l’enseignement, l’armée, la police et les institutions politiques. Le traitement de tous ces fonctionnaires et agents subalternes constituait les 85% des dépenses de l’Etat, soit trois fois ses recettes. Le déficit était financé par l’inflation et par l’aide extérieure (Belgique, USA, ONU). La pléthore administrative est accrue fin 1962 avec la création de nouvelles provinces.

Tout à sa légitime admiration pour la personnalité de Patrice Lumumba, le sociologue belge Ludo De Witte a écrit que le héros national

« n’a pas eu le temps ni les moyens de construire au sein du mouvement [son parti] un cadre solide : Bien peu de dirigeants nationalistes ont le jour de l’indépendance une vision et un rayonnement nationaux ».

"Bien peu" est ici un euphémisme.S’étonnera-t-on que les « forces tumultueuses en branle », dont parle Baudouin des Belges, n’aient trouvé personne à la hauteur des événements ?La nature a horreur du vide, dit-on. Les sociétés peut-être davantage.

Pour des raisons d’intérêts économiques et géo-stratégiques en période de « guerre froide », le Congo se trouvait au centre du jeu des grandes puissances, et principalement de la Belgique elle-même, de la France, de la Grande-Bretagne et surtout des Etats-Unis. En 1960, les USA veulent évidemment garder le Congo dans leur sphère d’influence. Pour les Etats-Unis, les sécessions du Katanga et du Kasaï, le « chaos » en général sont « contre-productifs », parce qu’ils pourraient favoriser la pénétration communiste en Afrique.

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Patrice Lumumba est considéré comme un danger pour les intérêts occidentaux. Les troupes belges apparaissaient aux Américains comme un élément perturbateur dans un Congo où les Belges et les entreprises privées (UMHK) voulaient contrôler le Katanga en sécession comme base de repli et de départ d’une reconquête des autres Provinces en déliquescence virtuelle. Par contre, malgré le consentement de l’URSS pour des raisons différentes, l’envoi des troupes de l’ONU était encouragé par les Etats-Unis. La présence des troupes « internationales » avec les CasquesBleus agira effectivement comme "stabilisateur" pour l’Occident, à la fois dans le cas de la Sécession katangaise réduite fin 1962, et dans le cas de Patrice Lumumba assassiné en janvier 1961, mais dont le gouvernement est supprimé après deux mois et quatre jours d’activité. A partir de 1962, une rébellion extrêmement coûteuse en vies humaines et en destruction des biens matériels est déclenchée ; elle durera au moins jusqu’en 1965. Depuis lors, cependant le Congo — comme d’ailleurs la plupart des pays africains — ne s’est pas débarrassé de ses tares originelles. Le Congo est allé de guerre civile en guerre civile, et d’interventions étrangères armées en interventions étrangères armées. Mais surtout, au niveau de l’Etat, la mauvaise gouvernance, la violation des droits des citoyens, l’abus de pouvoir se traduisent par l’incapacité de résoudre les problèmes qui se posent dans la société : misère, malnutrition, maladies, délabrement des infrastructures matérielles, détérioration des secteurs de l’énergie, de la santé, de l’éducation, de l’économie en général. En 1998, Kofi Annan, alors Secrétaire Général des Nations- Unis, estimait que ces « fléaux » ne pouvaient pas éternellement être attribués au « néo-colonialisme ». Dans un texte intitulé « Les Causes des conflits et la promotion d’une

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paix et d’un développement durables en Afrique », Annan plaçait la source des maux dans la nature du pouvoir politique, tel qu’il est exercé en Afrique.Ce sont les conséquences de l’accession ou de la prise du pouvoir et de son maintien qui sont viciées.Conquis par les armes ou par les urnes, le pouvoir est souvent monopolisé par le clan du vainqueur : richesses, ressources, patronage, prestige, influences, prérogatives confisqués de façon arbitraire. Le gouvernement est exercé sous des formes centralisées et personnalisées. Les dirigeants ne se sentent pas tenus de rendre des comptes. Les régimes ne sont pas transparents ; la légalité est à peine respectée ; le pouvoir ne subit aucun contrôle ; les droits sont violés ; l’alternance ne se fait plus par des moyens pacifiques.

Pour Kofi Annan :

« Ce phénomène s’accompagne souvent d’un sentiment d’intérêt (ou de préjudice) collectif […] le contrôle politique prend une importance excessive et les enjeux deviennent dangereusement élevés. Il en est ainsi plus encore lorsque — ce qui est souvent le cas en Afrique — l’Etat est le principal employeur et que les partis politiques ont une base régionale ou ethnique.

En pareil cas, le caractère multi-ethnique de la plupart des pays fait que le risque de conflit est encore plus grand, et l’on constate une politisation violente de l’ethnicité. Dans des situations extrêmes, des collectivités peuvent avoir le sentiment que la sécurité, voire leur survie, ne peut être assurée que si elles contrôlent le pouvoir. Le conflit est alors pratiquement inévitable ».

Avec la mondialisation, un autre facteur s’est ajouté à ce phénomène comme une surdétermination aujourd’hui inévitable, surtout dans les espaces où s’impose ce qu’on a appelé « gemmocratie ».

L’idéologie du profit, qui vise l’omnipotence d’une puissance financière illimitée, veut que les multinationales et leurs filiales contrôlent le pouvoir de ceux qui le détiennent en Afrique.

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Les marchés financiers et les entreprises géantes, même sans recourir à la guerre ou provoquer la guerre civile, agissent sur les élus et les gouvernants et affaiblissent l’Etat. Même avec des régimes prétendument démocratiques, la responsabilité et l’obligation de rendre des comptes au peuple et d’agir pour le bien-être commun deviennent hypothétiques, lorsque les dirigeants élus soumis à la bonne gouvernance n’ont aucune autorité sur les multi-nationales.

La nature de la classe politique, sa pratique dans l’exercice du pouvoir interdisent notamment la coordination des actions des trois pouvoirs classiques (exécutif, législatif, judiciaire) qui ne peuvent être ni égaux ni indépendants. Cela mine la capacité de l’Etat, dont la puissance est subordonnée à celle des Etats étrangers qui dépendent eux-mêmes du bon vouloir des entreprises géantes et des marchés financiers. Il arrive même que de nouvelles formes de droit se créent, dont bénéficient l’Etat et les entreprises privées, en excluant l’appareil judiciaire classique.

C’est donc bien les crises, qui résident dans l’essence et l’incapacité de nos Etats, qui provoquent les interventions armées des puissances étrangères tenues à la défense de leurs intérêts qui se confondent avec ceux des entreprises privées.

La voie de sortie peut être perçue du côté de la mise sur pied des moyens qui autorisent la construction de ce que, sur les traces de Marcien Towa, Achille Mbembe appelle aujourd’hui une « puissance autochtone » en Afrique. C’est cela que Samir Amin a voulu, depuis les années 1980, faire comprendre par la notion de « déconnexion ».

Kipushi, le 22 juin 2014.

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Mot de clôture de l'Honorable Président de l'Assemblée provinciale du Nord-Kivu

Mesdames et messieurs les participants,

Distingués invités

Tout ce qui a un début a une fin, dit-on.

C'est le cas de le dire en ce qui concerne ce colloque dont les travaux, ouverts le mardi dernier, vont se clôturer dans quelques instants.

La bonne mine que vous affichez tous est pour moi un motif de satisfaction légitime et me pousse à adresser mes vives et chaleureuses félicitations à tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à l'organisation et à la réussite des travaux de ce Colloque.

Je pense en premier lieu au POLE INSTITUTE, initiateur, dans la ville de Goma, cette importante activité internationale depuis 4 ans. Que POLE INSTITUTE trouve ici l'assurance des encouragements de l'Assemblée provinciale du Nord-Kivu qui ne cesse d'apprécier ses initiatives.

Au terme de quatre jours de travaux de réflexion et d'efforts intellectuels intenses pendant lesquels les modérateurs et toute l'équipe pédagogique des experts ont été sollicités parfois au-delà de ce qui est tolérable, il y a lieu de leur adresser ma reconnaissance pour avoir réussi à animer avec compétence et doigté les différents exposés pluridisciplinaires qui ont illustré des cas concrets assaisonnés par des débats riches autour des questions de fond qui touchent tous les pays concernés en dépit des quelques particularités et différences.

Je suis donc d'avis que le fruit des différents échanges de ce Colloque reste et restera d'une grande richesse et interpellation pour tous ceux qui ont eu l'occasion d'y prendre part.

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En effet, tout en soulignant la nécessité et l'importance des interventions militaires internationales dans les pays africains en crise, il a été noté, après échange d'expériences, que celles-ci n'assurent pas toujours une paix durable. Malgré ces interventions, on observe la persistance de l'insécurité de tout genre. Par ailleurs, ces interventions ont comme conséquence la dépendance des pays africains et leur soumission vis-à-vis des grandes puissances qui ont tendance à se substituer aux Etats en conflit suite à l'inefficacité et l'incapacité des armées africaines à faire face aux menaces contre la paix.

A la lumière des différentes thématiques débattues lors des travaux en carrefours à travers ce Colloque, l'occasion a été donnée aux participants d'analyser et de comprendre que les interventions militaires internationales ne suffisent pas pour aboutir aux solutions efficaces et durables escomptées mais que les Etats africains doivent à leur tours s'organiser pour sortir de cette dépendance afin de consolider leur souveraineté.

C'est dans cette perspective que des propositions et pistes de solutions concrètes ont été formulées par les participants afin de sortir de cette dépendance continue. Il est aussi important de souligner que les participants à ce colloque ont non seulement décelé les conséquences des interventions militaires internationales mais aussi les vraies causes des conflits qui sont à la base de ces interventions en Afrique.

Mesdames et messieurs,

Distingués invités, chers participants,

Notre attente de ce Colloque, est donc de voir que tout ce que les participants ont eu à partager ici comme réalités des différents pays africains en crise ne restera pas lettre morte mais par contre vont servir de feuille de route vers la sortie de cette dépendance.

De manière synthétique, il faudra éveiller la conscience des leaders africains ainsi que de tous leurs peuples sur la nécessité d'instaurer chez eux la bonne gouvernance, fondement d'une véritable démocratie, le conflits internes étant souvent dégénérés par

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la mauvaise gouvernance avec comme corolaire la violation des droits de l'homme.

C'est à cette condition que les pays africains pourront atteindre la capacité de se prendre en charge pour faire face à toute éventualité de menace de la paix.

Particulièrement en ce qui concerne les conflits qui se sont succédé en République Démocratique du Congo, dans un passé récent ceux-ci ont connu la présence des interventions étrangères comme la MONUC, actuellement MONUSCO mais, il s'observe toujours la persistance de l'insécurité. Ceci est dû à plusieurs raisons notamment la présence des groupes armés étrangers, la convoitise par les grandes puissances des richesses que regorge la RDC.

D'une part, les interventions militaires internationales ont aidé la RDC à rétablir l'ordre à un certain niveau mais il reste encore beaucoup à faire. C'est dans ce cadre que j'invite les acteurs de la machine de l'Etat congolais en particulier ainsi que tous les acteurs qui tiennent la commande des Etats africains en général, là où on signale la présence des forces internationales, de prévenir de manière intelligente le sort de leurs Etats après le départ de ces forces internationales.

C'est sur ces mots que je déclare clos les travaux de la session 2014 du Colloque international organisé par POLE INSTITUTE.

Que Vive la RDC,

Que vive la Province du Nord - Kivu,

Que vive la paix en Afrique.

Je vous remercie.

Honorable HAKIZUMWAMI HABIMANA Jules

Président

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Liste de participants au colloque 2014

1. Mme Félicité Ko Ngana (Centrafrique) 2. Diakalia Ouattara (Côte d’Ivoire) 3. Mlle Nana Alassane Toure (Mali) 4. Ambroise Dakouo (Mali) 5. Kennedy Wema (RDC, Goma) 6. Boubacar Diabira (RDC, Goma) 7. Mme Léonie Abela Sendegeya (Kenya) 8. Jean-Paul Segihobe (RDC, Goma) 9. Gabriel Habimana (Rwanda) 10. P. Didier De Failly (RDC, Bukavu) 11. Nissé Mughendi (RDC, Butembo) 12. Emmanuel NdimubanziNgoroba (RDC, Goma) 13. Mme Christiane Kayser (France) 14. Michel Séguier (France) 15. Dominic Johnson (Allemagne) 16. Naasson Munyandamutsa (Rwanda) 17. Mme Faida Mwangilwa (RDC, Kinshasa) 18. Juvénal MunuboMubi (RDC, Kinshasa) 19. Fidèle Muanda Mikiama (RDC, Boma) 20. Willy Bongolo (RDC, Boma) 21. Mme Rosalie ZawadiMasika (RDC, Goma) 22. Idé Ildefonse Bakulu (RDC, Bukavu) 23. Pierre Kahenga (RDC, Lubumbashi) 24. Evariste Mfaume (RDC, Uvira) 25. Blaise Zahinda (RDC, Kinshasa) 26. Defo Balibuno (RDC, Bukavu) 27. Patient Semuswa (RDC, Kinshasa) 28. Mme Maryse Grari (Belgique) 29. Charles Ndayiziga (Burundi) 30. Thierry Vircoulon (Kenya) 31. Frederick Golooba-Mutebi (Ouganda) 32. Hilaire Hamekoué (Cameroun) 33. Josaphat Musamba Bussy 34. Joséphine Alabi (Nigeria)

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35. Col Diallo Mouctar Kokouma (MONUSCO) 36. Roger Rashid Tumbula (RDC, Goma) 37. Hon Jaribu Muliwavyo (RDC, Goma) 38. Gatera Prudent (Rwanda) 39. Olivier Mpumuro (Rwanda) 40. Abdirashid Hashi (Somalie) 41. Moses Bimanyu Musanganya (RDC, Kinshasa) 42. Lubungo Loba (RDC) 43. Nelson Bagula (RDC, Goma) 44. Paul-ObinNamegabe (RDC, Bukavu)

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