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Quelle est la conception juive de l’étranger ? Quel est le jugement que la tradition juive porte sur quelqu’un qui vit en dehors, de l’autre côté ou en marge de la communauté d’Israël ? Que pense un Juif d’un non-juif qui vit dans sa proximité ?
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Sujet de la séance (1ère partie) :
Ger, nokhri, zar : l'étranger dans la tradition juive
Quelle est la conception juive de l'étranger ? Quel est le jugement que la tradition
juive porte sur quelqu'un qui vit en dehors, de l'autre côté ou en marge de la
communauté d'Israël ? Que pense un Juif d'un non-‐Juif qui vit dans sa proximité ? Il
semble que la Bible et les corpus de la tradition rabbinique aient été très attentifs à cette
tension entre la condition de l'humain et l'incondition d'étranger. Dans la Bible, l'étranger
se décline sous plusieurs appellations : ger, nokhri et zar.
Dans le contexte biblique, ger et nokhri indiquent une situation juridique et géographique,
tandis que zar relève du domaine exclusif des considérations spirituelles et religieuses.
Autrement dit les deux premiers termes ont une application sociale et politique tandis
que le troisième suggère le religieux. Zar désigne ce qui est étranger au point d'apparaître
radicalement hétérogène, incompatible : ainsi la avoda zara désigne l’idolâtrie, la liturgie
et le rite sans aucun lien avec la avodat haqodesh : le service saint. C'est très précisément
un service étranger. Avoda zara est le fait, pour un juif, de se détourner de son propre
enseignement pour glisser vers un dévoiement de la finalité de l'ensemble des
commandements. Ces trois notions subissent des transformations notables dans la
littérature talmudique.
Le ger vit parmi le peuple d'Israël : en terre juive, dans un environnement juif et une
ambiance juive. Il n'a pas embrassé la foi juive, mais il se conforme à certaines coutumes
et respecte certaines valeurs.
Le nokhri, en revanche, c'est un ger qui tient à demeurer différent, séparé, replié sur lu
imême.
Collège des Bernardins, Séminaire sur l’Altérité
Département Judaïsme et Christianisme
Séance du 10 février 2011
Intervenant et compte rendu : David Banon
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Alors que le ger s'adapte et va même jusqu'à s'intégrer librement, le nokhri se veut
étranger. Il n'est pas hostile, comme le zar, mais il ne se sent pas partie prenante de la
société et il tient à ce que cela se sache.
En résumé, ger et nokhri désignent également l'étranger mais en tant qu'objet des
sollicitudes de la Torah. Celle-‐ci se montre, en revanche, extrêmement sévère envers le
zar, faisant même preuve d'agressivité à son encontre car le terme zar ne s'applique qu'au
Juif qui se livre à un culte étranger. C'est le juif qui décide de se rendre étranger à lui-‐
même et à ses coreligionnaires. Il sera ici question du ger et plus particulièrement du ger
toshav de l'étranger-‐résidant, différent du ger tsédèq, du converti de justice ou à la justice.
C'est donc un individu qui se trouve en voie d'intégration culturelle à la suite d'une
résidence prolongée dans le pays d'Israël. Son statut social se situe, de ce fait, entre celui
du citoyen désigné indifféremment par le vocable ezrah' ou ah' et celui de l'étranger
appelé nokhri ou ben nékhar (de la racine noun, kaf, rèch : aliéné, attaché à son Dieu, à sa
culture)
Le ger toshav
Ce qui caractérise le ger, l'étranger de la Bible, et partant tout étranger en tout temps et
en tout lieu, c'est qu'il est démuni. L'étranger est un indigent, sans ressources, manquant
des choses les plus nécessaires à la vie. Sans aide donc, il ne saurait subsister. C'est
pourquoi la Bible insiste sur le devoir de venir en aide à l'étranger en lui donnant du pain à
manger et un vêtement pour se couvrir (Gn 28,20), et en « ne le laissant pas dormir
dehors » (Job 31,32).
Cette aide est, en fait, calquée sur une imitation de Dieu qui témoigne de « son amour
pour l'étranger, en lui assurant le pain et le vêtement » (Dt 10,18). Mais cet élan de
solidarité ne doit pas s'exprimer ponctuellement et une fois pour toutes. Il est
recommandé de l'insérer dans le tissu économique et professionnel et, partant, de lui
accorder le repos shabbatique (Ex 20,
9-‐10) Toutefois, étant donné qu'il manquait du strict nécessaire, l'étranger constituait une
main d’œuvre facilement exploitable. Et le roi David ne s'en est pas privé. « Il ordonna de
grouper les étrangers établis dans le pays d'Israël et en fit des carriers pour extraire des
pierres de taille en vue de la construction de la maison de Dieu. » (1Chr 22, 1).
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Le Talmud enseigne par la bouche de Rabbi Eliézer le grand « Par trente-‐six fois la Torah
nous met en garde à propos de l'étranger – d'autres disent par quarante-‐six fois. ».
Maïmonide dans son Code établit que Dieu a prescrit l'amour de l'étranger comme Il a
prescrit de L'aimer
Lui-‐même1 . Il convient de souligner ici qu'il ne s'agit pas d'un amour-‐sentiment,
d'affection ou de concupiscence mais d'un amour-‐obligation, c'est-‐à-‐dire de
responsabilité vis-‐à-‐vis de l'étranger. D'avoir souci de lui. De prendre en charge un tant
soit peu de son dénuement. De partager son pain avec lui. C'est un amour-‐responsabilité.
Le prophète Ezéchiel a instauré en faveur de l’étranger un véritable droit de la
citoyenneté, un droit à la naturalisation. En évoquant, en diaspora, le partage de la terre
entre les tribus, lors de la Rédemption, il déclare « Et vous aurez à attribuer en héritage à
vous et aux étrangers séjournant parmi vous, qui auront engendré des enfants parmi
vous. Ils seront, pour vous, comme le citoyen autochtone parmi les enfants d'Israël ; avec
vous, ils participeront à l'héritage au milieu des tribus d'Israël. Et ce sera dans la tribu
même où l'étranger sera domicilié que vous lui donnerez sa part d'héritage, dit YHVH
Dieu.» (Ez 47,22-‐23).
Le noachide
Si la naturalisation évoquée par Ezéchiel octroie des droits à l’étranger, elle requiert des
devoirs, notamment le fait de délaisser l'idolâtrie et d'appliquer les sept lois noachides.
Comment se présentent-‐elles ? Un commandement positif et six autres négatifs :
_ « L'obligation d'édicter des lois/dinim ou selon une autre lecture d'établir des
cours de justice, de nommer des magistrats/dayanim [pour arbitrer les conflits
surgissant dans la société entre les personnes].
_ L'interdiction du blasphème, de l'idolâtrie, de l'inceste, du meurtre, du brigandage
et de la consommation d'un membre retranché d'un animal vivant2.»
1 « Règles des moeurs 6, 3 et 4 » Car Dieu « rend justice à la veuve et à l'orphelin et il aime l'étranger au point
de lui donner pain et vêtement » (Dt 10,18)
2 Sanhédrin 56 b
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C'est une sorte de législation minimale à laquelle doit accepter de se soumettre l’étranger
résidant au milieu des enfants d’Israël. Cette législation est nécessaire et indispensable à
la préservation de l'état de droit et à la possibilité du vivre ensemble. Le noachide n'est
pas croyant mais citoyen de l'Etat. Il n'est pas obligatoire de l'associer à la communauté
religieuse pour qu'il fasse partie de la communauté civile.
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Intervenant et compte rendu : Rafic Nahra
Sujet de la séance (2ème partie) :
Le rapport du Juif au non-‐Juif
D’après Yaïr Zakovitch3, aucune occurrence du mot ger dans la Bible juive ne se
rapporte à ce qu’on appelle dans le langage postbiblique ger tsédèq (terme désignant le
non-‐juif qui s’est converti au judaïsme). Lorsque la Bible parle de ger, c’est d’ordinaire
pour définir le statut social et juridique de l’étranger vivant au milieu des enfants d’Israël,
sans se référer à son identité religieuse. Une seule occurrence fait exception, à savoir Ex
12,48-‐49, où la dimension religieuse est évoquée de façon indirecte, puisque la
participation du ger à la Pâque juive est conditionnée par la circoncision de tous les mâles
de sa famille.
Dans la littérature talmudique, on distingue clairement entre ger toshav (étranger
résident) et ger tsédèq (converti de justice). L’évolution sémantique du terme ger vint de
ce que la situation du peuple juif a changé radicalement, surtout après la destruction du
Temple. N’étant plus souverains, la notion classique de ger devenait moins pertinente –
sinon comme un sujet d’étude – puisque les Juifs même ceux qui demeurèrent sur leur
propre terre, se trouvaient désormais sous domination étrangère.
Nous avons abordé la question de savoir s’il y avait une forme de prosélytisme juif au
début de l’ère chrétienne, tel que Mt 23,15 le laisse entendre. Cette question divise les
chercheurs. Marcel Simon4 (Verus Israel, p. 482-‐488) croit à l’existence d’une certaine
forme de prosélytisme juif à l’époque du NT, même s’il n’y avait pas de plan missionnaire
bien organisé.
3 Yair Zakovitch est professeur de Bible à l'Université hébraïque et doyen de la Faculté des sciences humaines de
Jérusalem.
4 Marcel Simon (1907-‐1986) était historien des religions ; spécialiste des relations entre le christianisme et le
judaïsme dans le christianisme primitif.
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La tradition rabbinique affirme que quelques uns de ses anciens Maîtres étaient des
convertis ou issus de convertis, comme Chemayah et Avtalyon (Gittin 57b), R. Akiva
(Berakhot 27b, et Rambam), Onqelos.
Rapport au converti (Ger tsédèq)
Deux figures bibliques non Juives qui, d’après la tradition juive, se seraient converties au
Judaïsme sont : Jéthro et Ruth.
Ruth est quelque peu semblable à Abraham par le fait qu’elle a quitté père et mère et
patrie pour partir vers un peuple qu’elle ne connaissait pas (Rt 2,11), sachant qu’Abraham
est considéré comme le premier des gerim ( תחילה לגרים ) (Sukka 49b). Le Talmud
babylonien (Yevamot 46a-‐47b) décrit sa démarche de conversion à partir des versets
bibliques Rt 1,16-‐18, et ces mêmes pages du Talmud décrivent les étapes de la conversion
au judaïsme au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne.
La transformation de Jéthro, beau-‐père de Moïse, en ger traduit probablement la volonté
de montrer que l’épouse de Moïse, une madianite5 qu’il avait légitimement épousée avant
le don de la Loi, était devenue elle-‐même giyyoret (s’était convertie) après le don de la Loi.
Concernant l’intégration du ger tsédèq, après sa conversion, au sein de la communauté
d’Israël: certains textes (targ. Yon. Ex 12,48 ; Mekhilta) assimilent entièrement le ger au
Juif de naissance, alors que d’autres textes sont beaucoup plus réticents.
Rapport à l’autre qui n’est ni Juif ni ger
On distingue entre fils de Noé (qui observent les sept commandements noachiques, dont
fait partie l’interdiction de l’idolâtrie) et idolâtres :
-‐ En ce qui concerne les fils de Noé, se référer au résumé de la conférence de David Banon
(en précisant que, d’après le Maïmonide, les fils de Noé ont part au monde à venir).
-‐ En ce qui concerne les idolâtres, La tradition rabbinique, dans le prolongement de la
tradition biblique vétérotestamentaire, crée une barrière vis-‐à-‐vis d’eux pour empêcher
5Médianite : relatif à la tribu descendant de Madian évoquée dans la Bible et le Coran, installée à l'Est du
Jourdain, entre la mer Morte et la péninsule du Sinaï.
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toute contamination idolâtrique. Toutefois, les Maîtres ne se considèrent pas investis de
la mission de détruite les traces de l’idolâtrie dans le monde. Dans la Mishna, il n’y a aucun
commandement de détruire les lieux des cultes païens.
On explique que, de toute manière, il n’y a pas moyen d’extirper l’idolâtrie de ce monde
(Mishna Avoda Zara 4,7). Au lieu de détruire les lieux de culte païens, il suffit d’en
détourner les yeux.
Concernant le rapport aux chrétiens, la position de la tradition juive n’est pas uniforme.
En France, particulièrement à partir du Moyen-‐âge (Méïri, les tossafistes), les chrétiens
sont considérés comme des fils de Noé.