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123 La communauté juive de Mogador-Essaouira Immigrations et émigrations, recherche généalogique et onomastique Sidney S. Corcos Dès l’Antiquité (I er et II e siècles), le site d’Amagdoul 1 ou Mogador 2 , avec ses ate- liers de fabrication de la pourpre et ses gisements de fer, airait des navigateurs phéniciens et romains. Les Grecs et les Byzantins y ont aussi laissé des vestiges 3 . Les Portugais en firent une étape commerciale et y construisirent en 1505 un fort, le Castello Real, qui deviendra Mogador 4 . Il n’est pas exclu qu’antérieurement à la fondation d’Essaouira en 1764 par Sidi Mohammed ben Abdallah, des juifs soient 1. Amagdoul, qui signifie « forteresse » ou « grande muraille », est d’origine hébraïque, racine du mot migdal, que l’on retrouve aussi dans la langue amazighe. 2. Les Européens avaient repris le nom local de Mogador. En arabe, la ville a été rebaptisée Souira, qui signifie également « ville fortifiée ». Le nom de Mogador est tombé en désuétude après l’indépendance. Mais ce nom ne renvoie pas seulement à l’époque coloniale puisqu’il signifie, dans plusieurs langues, « cité fortifiée ». C’est la raison pour laquelle je continuerai à l’utiliser dans cet article. 3. A. Jodin, Les établissements du roi Juba II aux Îles purpuraires (Mogador), Tanger, 1967. 4. Ben Driss Othmani, Une cité sous les alizés. Mogador des origines à 1939, Casablanca, éditions La Porte, 1997. Omar Lakhdar, Sur les traces de Castello Real à Amagdoul, Géographique, 2 e édition.

La communauté juive de Mogador-Essaouira

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La communauté juive de Mogador-Essaouira

Immigrations et émigrations, recherche généalogique et onomastique

Sidney S. Corcos

Dès l’Antiquité (Ier et IIe siècles), le site d’Amagdoul1 ou Mogador2, avec ses ate-liers de fabrication de la pourpre et ses gisements de fer, attirait des navigateurs phéniciens et romains. Les Grecs et les Byzantins y ont aussi laissé des vestiges3. Les Portugais en firent une étape commerciale et y construisirent en 1505 un fort, le Castello Real, qui deviendra Mogador4. Il n’est pas exclu qu’antérieurement à la fondation d’Essaouira en 1764 par Sidi Mohammed ben Abdallah, des juifs soient

1. Amagdoul, qui signifie « forteresse » ou « grande muraille », est d’origine hébraïque, racine du mot migdal, que l’on retrouve aussi dans la langue amazighe.2. Les Européens avaient repris le nom local de Mogador. En arabe, la ville a été rebaptisée Souira, qui signifie également « ville fortifiée ». Le nom de Mogador est tombé en désuétude après l’indépendance. Mais ce nom ne renvoie pas seulement à l’époque coloniale puisqu’il signifie, dans plusieurs langues, « cité fortifiée ». C’est la raison pour laquelle je continuerai à l’utiliser dans cet article.3. A. Jodin, Les établissements du roi Juba II aux Îles purpuraires (Mogador), Tanger, 1967.4. Ben Driss Othmani, Une cité sous les alizés. Mogador des origines à 1939, Casablanca, éditions La Porte, 1997. Omar Lakhdar, Sur les traces de Castello Real à Amagdoul, Géographique, 2e édition.

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venus avec ces navigateurs et colons et qu’ils aient créé une petite colonie juive qui vivait dans le village de Diabat tout près de la ville actuelle. Quelques années après sa fondation, ils étaient toujours là5.

Nous parlerons dans cette contribution de la « nouvelle » communauté juive de Mogador, celle créée au milieu du xvIIIe siècle.

Des recherches généalogiques que nous avons menées pendant de longues an-nées sur des familles mogadoriennes nous ont permis de regrouper leurs noms, de retracer leur histoire, leur statut social leurs trajectoires migratoires, les relations en-tre elles, avec le Makhzen et avec leurs compatriotes musulmans.

La communauté juive de Mogador, aujourd’hui dispersée dans le monde, a connu tout au long de son existence relativement courte (à peine deux siècles) un va-et-vient constant de personnes, de familles et de groupes qui a produit des changements dé-mographiques, économiques et sociaux au sein de la ville et dans la région.

Dynasties de fondateurs : les tujjar-as-SultanUn précieux document, retrouvé dans les archives de la famille Corcos6, révèle

que s’établissent en 1764, à la demande du sultan Sidi Muhammad ben Abdallah et sur les conseils de Samuel Sumbal7, les dix premières familles de marchands juifs dans la ville portuaire que le monarque venait de fonder à proximité du Castello Real, le fort portugais8. Ce fut là le premier noyau de la communauté juive de Moga-dor (voir la liste des familles, tableau n° 1).

5. David Corcos, Studies in the History of the Jews of Morocco, Jérusalem, Ruben Mass, 1976, p. 107-110.6. Ce manuscrit datant de la fin du xIxe siècle, écrit en judéo-arabe par un membre de la commu-nauté juive de Mogador, se trouvait dans un livre de comptes d’une maison anglo-judéo-marocaine. Malheureusement après la mort prématurée de mon père, David Corcos, en 1975, ce document a disparu. Le prof. Daniel Schroeter y fait allusion dans son excellent ouvrage The Merchant of Essaou-ira, Cambridge University Press, 1988, p. 18.7. Samuel Sumbal (un ancêtre des Corcos de Mogador), interprète en plusieurs langues et hom-me d’affaires, était conseiller et émissaire du sultan Sidi Mohamed. Il eut une grande influence sur le sultan et la politique du Maroc à cette époque. voir Ruth Bezalel, Samuel Sumbal, « Un homme politique oublié » (en hébreu), Studies and Reports III, Jérusalem, Ben Zvi Institute.8. Le sultan alaouite Sidi Mohamed ben Abdallah (1757-1790), qu’on peut qualifier de « moder-ne », avait décidé en 1764 de fonder une nouvelle ville portuaire sous contrôle militaire et commer-cial du royaume, et d’ouvrir le Maroc vers l’Europe.

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Ces marchands reçoivent le titre de « marchands du sultan » ou « négociants du roi » (tujjar as-sultan9, au singulier tajjer), généralement confirmé par un dahir ou décret royal, titre qui deviendra parfois héréditaire. Ils bénéficient de privilèges particuliers10 : avances de fonds, logements et entrepôts dans la Casbah, le quartier résidentiel de l’administration et, plus tard, des consulats étrangers11.

L’arrivée des premiers marchands instaure une ère nouvelle, non seulement dans les relations commerciales du Maroc avec l’Europe, grâce à l’ouverture du nouveau port, mais aussi dans les relations du royaume avec les juifs. Dès sa fondation, une classe importante de grands marchands se forme à Mogador, se distinguant par l’importance et l’envergure de ses activités commerciales12.

Ces familles, et quelques familles de marchands musulmans et plus tard euro-péens (anglais, génois13), jouent un rôle prépondérant dans l’économie et la poli-tique locale et nationale et dans le phénomène migratoire interne. Leur présence à Mogador attire d’autres juifs principalement de la région du Souss et de Marrakech. D’abord toute une classe de petits bourgeois, de boutiquiers, colporteurs, artisans, domestiques et courtiers, espérant un avenir meilleur dans une ville en développe-ment et plein essor économique qui serons suivis par d’autres marchands, venant de Taroudant, Safi, Rabat et Tétouan.

9. Sur les tujjar à Mogador, voir Daniel Schroeter, Merchants of Essaouira, op. cit., p. 23-32, « The Jews of Essaouira (Mogador) and the Trade of Southern Morocco », extrait, Communautés juives des marges sahariennes du Maghreb, Jérusalem, Institut Ben-Zvi, 1982, et Michel Abitbol, Tujjar al-Sultan – Une élite économique judéo-marocaine au xIxe siècle, Paris, Maisonneuve et Larose, 1988 ; Jérusalem, Institut Ben-Zvi, 1994.10. Jacob Ohayon, « Les origines des Juifs de Mogador », ms. à l’institut Ben-Zvi, Jérusalem.11. Depuis sa création en 1764 jusqu’en 1929, Mogador a connu l’installation des services consu-laires de différents pays. Elle est devenue une capitale internationale. Dès 1929, date de l’achèvement des travaux du port de Casablanca, le nombre de consulats commence à diminuer.12. David Corcos, Trois documents inédits sur les relations judéo-musulmanes dans le vieux Maroc, Michael, The Diaspora Research Institute, Tel Aviv University, vol. v, 1978, p. 82-97.13. J.-L. Miège, Le Maroc et l’Europe (1830-1894), tome II, p. 27.

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Tableau n° 1 : Liste des premières familles venues s’installer à Mogador

– Sumbal et Delvante de Safi ;– Corcos et De la Mar de Marrakech ;– Aflalo et Pénia d’Agadir ;– Lévy-Yuly, Lévy-Bensoussan, Anahory de Rabat ;– Aboudarham de la ville de Tétouan.Les débuts prometteurs du développement économique de la ville attirèrent vers elle d’autres familles juives venues d’au-delà des mers :– De Lara, d’Amsterdam ;– Akrich, de Livourne ;– Cohen-Solal et Boujnah, d’Algérie.Puis vinrent d’autres familles, dont sont issus les « marchands du sultan » :– les Cohen-Macnin, Sebag, Pinto, Belisha de Marrakech ;– les Hadida et Israël, de Tétouan ;– les Méran de Safi et les Guedalla d’Agadir.

D’après ce document Corcos, en 1770, Mogador comptait 1 875 juifs. Dès cette période, la présence juive est marquante dans la ville, et le restera jusqu’aux années 1960.

L’octroi de privilèges et, plus tard, la protection des grandes puissances accor-dée à certains juifs14 engendrent un processus de stratification sociale très marqué dans la ville15. Ce déséquilibre, qui induit un nouveau mode d’administration de la communauté16, a son explication dans l’histoire de la cité, et dans les circonstances de sa fondation, auxquelles il faut ajouter l’influence européenne (principalement anglaise17). Il se forme ainsi une élite économique et culturelle qui, grâce aux échan-ges commerciaux avec l’étranger, voit le monde s’ouvrir devant elle. L’influence des idées et des tendances occidentales modernes pousse à des départs vers de nou-veaux horizons, ce qui a été une constante de l’histoire de cette communauté18.

14. Sur la question des protégés aux Maroc, voir Mohamed Kenbib, Structures traditionnelles et pro-tection diplomatique dans le Maroc précolonial, Paris, éd. René Gallisot, 1981.15. J.-L. Miège, Le Maroc et l’Europe (1830-1894), tome Iv, p. 398-408.16. Au Maroc jusque-là, le savoir (les rabbins, les hahamim, etc.) était le principal critère de stratifi-cation sociale. voir Haïm Zafrani, Les Juifs du Maroc : vie sociale, économique et religieuse, 1972.17. Daniel Schroter, « Le judaïsme anglais et la communauté d’Essaouira (Mogador) 1860-1900 », Peamim, Institut Ben-Zvi, 1983 (en hébreu).18. Dès que voyager vers l’Angleterre ou la France a été possible par voie maritime et le transfert de

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En revanche, le développement des ports et l’urbanisation19 intensive qu’a connus le Maghreb provoquent des migrations massives de l’intérieur du pays vers les villes côtières, processus qui a culminé au xIxe siècle20 : Mogador en est un exemple carac-téristique. De plus, l’instabilité de la situation politique et l’insécurité, les périodes de sécheresse, les famines et les épidémies qui frappaient la région presque tous les dix ans, ont poussé de nombreux juifs vers la ville.

La première grande vague d’immigration de juifs a lieu en 1774, lorsque le sul-tan soumet Agadir, la ville restée rebelle à son pouvoir. La plupart des habitants, juifs et arabes, sont expulsés et contraints de s’installer à Mogador21. Ils arrivent par groupes et s’installent dans les quartiers qui portent aujourd’hui encore les mêmes noms, comme Darb Ahl Agadir, Bani-Antar ou Shbanat. On estime à 2 000 les per-sonnes juives et musulmanes22 originaires d’Agadir et de ses environs qui s’y instal-lent à cette époque23.

Initialement, la plupart des juifs s’établirent au centre-ville dans la Médina, dans le quartier qu’on appellera plus tard Mellah el-Kedim (vieux mellah) construit en 1804, où les moins nantis seront obligés d’habiter (voir plan, p. 128). Quant aux grands commerçants, ils continuent de résider dans la Casbah, avec l’autorisation du sultan24. C’est parmi eux que celui-ci choisit ses conseillers, ses représentants à l’étranger et ses banquiers25.

capitaux facilité, certaines familles sont venues s’y installer ou y ont envoyé leurs enfants.19. J.-L. Miège, Le Maroc et l’Europe (1830-1894), tome Iv, Urbanisation et bourgeoisie, p. 398-408.20. Michel Abitbol, Le passé d’une discorde. Juifs et Arabes depuis le vIIe siècle, Perrin éditeur, p. 184-211.21. Jacob Ohayon, « Les origines des Juifs de Mogador », op. cit.22. À cette époque, la plupart des premiers habitants musulmans étaient des soldats-colons qui habitaient dans des quartiers spéciaux.23. Daniel Schroeter, Merchants of Essaouira, op. cit.24. Moulay Slimane (1792-1822) avait accepté que les juifs de « la première classe » puissent con-tinuer à résider à la Casbah. voir David Corcos-Abulafia, Sources non hébraïques pour une histoire des Juifs du Maroc, Studies and reports, III, Ben-Zvi Institute, Jérusalem, Mahon Ben zvi, Mehkarim ve peoulot, 3, 1960, p. 18-25 (en hébreu).25. Par exemple, Samuel Yuly, Meir Macnin et Mussa Aflalo représenteront le sultan en Angleterre.

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Sous le règne du sultan Moulay Abderrahman26, en 1846, à la demande de Jacob Corcos27, un nouveau mellah qui sera appelé Mellah Zdid, est ajouté au pre-mier pour remédier à la surpopulation devenue intolérable. En 1869, Sir Moses Montefiore par l’intermédiaire d’Abraham Corcos, finança l’édification d’un hôpital et les rues des deux mellahs furent assainies et pavées28. La même année, le souverain fit construire une nouvelle casbah avec de belles et grandes maisons dans le but d’at-tirer d’autres marchands juifs29.

Ce n’est qu’à partir de 1903 que des juifs du mellah surpeuplé oseront le quitter, pour se loger dans la Médina.

Plan de la ville de Mogador (graphique de l’auteur)

26. Moulay Abderrahman était, à la veille de son avènement, gouverneur de la ville. Il avait lié avec des tujjar des relations personnelles et nombre d’entre eux commerçaient pour son compte.27. David Corcos-Abulafia, Sources non hébraïques pour une histoire des Juifs du Maroc, op. cit., 5, p. 128. Le grand vizir etait l’ami intime des Corcos. C’est grâce a ces relations que le souverain a pu accéder à la demande de Jacob Corcos et que la construction du nouveau Mellah dans le quartier de Chebanat a pu commencer. 28. D’après une lettre de Montefiore a Abraham Corcos du mois de décembre 1869 29. David Corcos-Abulafia, Sources non hébraïques pour une histoire des Juifs du Maroc, op. cit., 5, p. 129.

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Il se crée un dynamisme de coexistence et de coopération entre les juifs, les mu-sulmans et la communauté chrétienne. Cependant, le rôle des négociants juifs reste prépondérant.

Dès l’implantation des premières familles de marchands juifs, des liens se créent entre elles. Ce sont non seulement des relations d’affaires, mais aussi des alliances par mariages qui renforcent la cohésion de ces familles.

Dès le milieu du xvIIIe siècle, l’arrivée de commerçants étrangers, principale-ment européens, nécessite l’établissement de consulats30, où les juifs seront em-ployés comme consuls, vice-consuls, et interprètes31. Avec le mélange de cultures, l’ambiance dans la ville devient cosmopolite.

L’étude généalogique des grandes familles mogadoriennes à travers le temps dé-montre qu’elles étaient toutes liées par des liens de mariage. Ce phénomène engen-dre des clans fermés et de véritables dynasties32.

Cela apparaît dans la généalogie de l’une de ces premières grandes familles de tujjar du sultan, les Guedalla, originaires d’Agadir (voir arbre généalogique p. 130), qui s’adonnent au commerce international.

Ils s’allient aux Pinto, aux Del Mar, aux Aflalo et, en Angleterre, aux Montefiore, aux Sebag-Montefiore et même aux familles De Lara (venue s’installer à Moga-dor vers la fin du xvIIIe siècle) et Cevi d’Amsterdam, qui se lient aux Serfaty. Jacob Guedalla (né vers 1690) fut le premier à recevoir un permis de construire dans la Casbah (Dar Parey) et le seul juif à être accepté dans le Commercio33. Une partie de la famille émigre à Amsterdam en Hollande et une partie en Angleterre.

30. Le premier agent consulaire qui s’établit à Mogador en 1763 fut le consul du Danemark.31. Salomon Corcos fut nommé en 1823 agent consulaire de Grande-Bretagne à Marrakech. En janvier 1862, Abraham Corcos est nommé à Mogador vice-consul d’Amérique et des Indes occi-dentales. Après sa mort en 1883, son fils Meir lui succède. Joseph Elmaleh et son fils Reuben furent vice-consuls de l’Empire austro-hongrois à Mogador.32. Un phénomène connu, qui existait aussi dans d’autres sociétés, était l’absence de mariages entre membres de classes sociales différentes. Au point que de nombreux membres de la communauté, hommes ou femmes, restèrent célibataires toute leur vie. Le poète local rabbi David Elkaïm écrivit à ce sujet un poème virulent où il exprima son indignation. voir Yossef Chetrit, Le mariage juif traditio-nnel au Maroc, université de Haïfa, Faculté des sciences humaines, 2003, p. 84-99.33. Le Commercio fut le premier « tribunal de commerce » fondé par des commerçants européens à Mogador pour régler des conflits qui pouvaient surgir entre eux.

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Une branche de la famille Guedalla

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Une des familles importantes, originaire de Marrakech, est celle des Macnin. Le professeur Daniel Schroeter a consacré à Meir Macnin (décédé en 1835) un excel-lent ouvrage34. Il fut le tajjer-as-sultan le plus important de la fin du xvIIIe siècle au milieu du xIxe siècle. Son frère Salomon et lui étaient associés aux affaires des fa-milles Guedalla et Pinto, et avaient aussi noué avec eux des liens par mariages35 (voir arbre généalogique p. 132).

La famille Aflalo, elle aussi originaire d’Agadir, compte parmi les dix premiers marchands arrivés à Mogador, au service du Makhzen. Moussa Aflalo (décédé en 1828) est l’une des personnalités les plus réputées du Maroc de son temps. Il fut représentant du sultan à la cour d’Angleterre36. Aaron Aflalo (décédé en 1849), sur-nommé el-Gadiri, crée la première synagogue, Slat Aflalo, qui restera en fonction jusqu’aux années 195037. Il amène à Mogador son grand-père, le rabbin Yahia Aflalo, qui est considéré come le premier grand rabbin de la ville. Les Aflalo s’allient aux Guedalla et aux Corcos par le mariage d’Abraham Corcos et de Miriam Aflalo (voir arbre généalogique, p. 133).

vers la fin du xvIIIe siècle, Isaac et Moses Aflalo émigrent en Angleterre. Moses continuera à travailler avec la cour du sultan comme armateur de vaisseaux de guerre pour le combat que celui-ci menait contre les pirates38.

Sous le règne, heureusement court, de Moulay Yazid, à peine deux ans (1790-1792), les juifs subirent des persécutions et des souffrances, notamment des commer-çants et personnalités éminentes qui étaient en relation étroite avec le Palais. Un grand nombre de familles se réfugièrent à Gibraltar et à Londres. Le rabbin Jacob Elmaleh de Mogador publia une lamentation en mémoire de ces événements. Cela montre la vulnérabilité des tujjar, qui dépendaient de la tolérance du pouvoir en place.

34. Daniel Schroeter, The Sultan’s Jew, Stanford, California, Stanford University Press, 2002.35. Meir Macnin avait épousé Zohra Pinto en 1799, fille du grand commerçant et tajjer Meir Pinto, « le Lion de Mogador ».36. J.-L. Miège, Le Maroc et l’Europe (1830-1894), tome Iv, p. 398-408.37. La plupart des synagogues à Mogador étaient des synagogues « familiales » aménagées dans des maisons privées. Une des raisons était que les règles de la dhimma imposaient aux juifs et aux chrétiens une grande discrétion dans l’exercice du culte. En tout, nous avons compté 30 synagogues dans le Mellah et 11 dans la Casbah.38. FO 631/4 (documents des archives du Foreign Office à Londres).

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Deux branches de la famille Macnin de Mogador et de Londres39

39. Reconstitué à partir des donnés de Daniel Schroeter (voir The Sultan’s Jew, op. cit.) avec la colla-boration de Audrey Macnin de Londres, la dernière des Macnin, qui vit en Angleterre.

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Une branche de la famille Aflalo

Une branche de la famille Belisha

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1799 est une année difficile pour Mogador, où sévit une grave épidémie de peste qui frappe des régions entières40. Certaines sources mentionnent 4 500 victimes, parmi lesquelles des membres de familles de tujjar41. On parle d’un départ en masse vers l’Angleterre de marchands juifs, à bord de deux navires. Parmi eux, Meir Mac-nin, Abraham et Salomon Sebag, Abraham et David Pinto, et d’autres négociants avec leurs familles parmi lesquels des Cohen de Lara, Coriat, Abensur, Aflalo et Afriat42. La plupart ne reviendront pas et constitueront la communauté juive de Mo-gador en Angleterre, qui deviendra très importante et influente.

Elijah Halevi BenYuly (1761-1800) est venu de Rabat s’installer à Mogador avec son père, Rabbi Shmuel, qui était l’un des courtisans du roi Sidi Muhammad et parmi les dix premières familles venues à Mogador en 1765. Il lui lègue son titre de tajjer. Eli-jah et son fils Moses (1782-1853) quittent la ville pour échapper à l’épidémie de pes-te : ils s’embarquent à Gibraltar et, en passant par les îles vierges, parviennent à Cuba43.

Leur destination finale sera la Floride. Le fils de Moses, David BenYuly (1819-1886), reprend les affaires de son père, tout en poursuivant une brillante carrière politique. En 1845, il devient le premier sénateur juif des États-Unis et l’un des plus riches résidents de Floride.

Les Corcos44, commerçants déjà prospères à Safi et à Marrakech, répondent à l’appel du sultan Sidi Muhammad ben Abdallah et, plus tard, à celui de Moulay Ab-derrahman.

Le premier membre de la famille qui s’installe dans la ville en 1765 est May-mun45 (décédé en 1799, voir arbre généalogique p. 136). Selon les archives familia-les46, nous connaissons les relations quasiment intimes de la famille avec le sultan

40. Jean Brignon et al., Histoire du Maroc, Hatier, 1968. 41. Le représentant de la famille Corcos dans la ville, Maimon, succomba à la maladie.42. Daniel Schroeter, The Sultan’s Jew, op. cit., p. 47.43. C. S. Monaco, Moses Levy Florida, Jewish Utopian and Antebellum Reformer, Louisiana State Uni-versity Press.44. Sidney Corcos, « The Corcos family : Spain-Morocco-Jerusalem », Sharsheret Hadorot, Journal of Jewish Genealogy, hiver 2000, vol. 14, n° 2. voir aussi J.-L. Miège, Documents d’histoire économique et sociale marocaine au xIxe siècle, Paris, 1969. Arbre généalogique des Corcos, p. 252-254. La branche marocaine de la famille avait compté dans la vie économique et, à divers titres, dans la vie politique de l’Occident musulman pendant près de cinq siècles. 45. C’était Samuel Sumbal son oncle, le conseiller du sultan Sidi Mohamed ben Abdallah, qui l’avait désigné.46. La collection Corcos de Jérusalem, actuellement en notre possession, contient 215 documents remontant aux xvIIIe et xIxe siècles. C’est ce qui reste des correspondances entre le Makhzen et la

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et ses successeurs, la variété et l’im-portance de leur activité commer-ciale47. Cinq générations de Corcos furent au service de sultans successifs jusqu’à l’instauration du protectorat français en 1912.

Les descendants de la famille sont les seuls parmi les familles des fon-dateurs qui continuent à résider à Mogador et à conserver leur place de

grands commerçants jusque dans les années 1950, à l’exception de Messod (1882-1934) et de Salomon (1870-1923), qui émigrent en Angleterre à la fin du xIxe siè-cle, et y représentent les intérêts de la famille.

Le décès de Jacob Corcos48, en 1951, marquera la fin de cette époque. Des mem-bres de la famille comme Nathaniel49 (Monti, 1898-1958), Léon (1868-1946), son fils Ernest (1904-2001) et David50 (1917-1975) s’installent à Agadir, alors en plein développement, et comptent parmi ses pionniers (voir arbre généalogique p. 136)

C’est là une station intermédiaire d’émigration par laquelle passeront bon nom-bre de juifs mogadoriens comme les Bensoussan, les Abisror, les Reboh, les Elma-leh, les Loeub, les Ben-David et beaucoup d’autres.

famille. La partie la plus ancienne des documents est constituée d’une correspondance entre le Makhzen et la famille à l’époque des sultans Sidi Mohamed ben Abdallah, Moulay Slimane et Mou-lay Abderrahmane, de 1757 aux alentours de 1860. Elle a été détruite pendant la Seconde Guerre mondiale suite au Blitz sur Londres. Il nous reste quelques lettres de Moses Montefiore de 1867-1868 destinées à Abraham Corcos. Toute la correspondance qui traite de la préparation du voyage au Maroc de Sir Moses Montefiore par Abraham Corcos a été malheureusement détruite.47. Michel Abtibol, Témoins et acteurs : les Corcos et l’histoire du Maroc contemporain, Jérusalem, Institut Ben Zvi, 1977. 48. Le grand-père de l’auteur. Le dernier des grands commerçants de la famille qui n’avait jamais quitté Mogador.49. Monti était un sujet anglais (marié avec Edna Sassoon de la fameuse famille irako-indienne) qui avait été pilote de guerre dans la RAF durant la Première et la Seconde Guerre mondiale comme Wing Commander. Héros de guerre, il sera décoré.50. En 1959, David Corcos (le père de l’auteur) immigra avec sa famille en Israël et se consacra à la recherche de l’histoire des juifs du Maroc. Il a publié plusieurs articles et est devenu un historien re-connu et apprécié. voir David Corcos, Studies in the History of the Jews of Morocco, Jérusalem, Ruben Mass, 1976, et Encyclopedia of Jews in the Islamic World, Brill, 2010.

La famille Corcos, Mogador vers 1910 (collection archives Corcos)

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Deux branches de la famille Corcos

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Nous avons découvert dernièrement de nouvelles archives familiales, celles ap-partenant à Moses et Stella Corcos, membres d’une autre branche51 : Moses, décédé en 1904, était un grand commerçant très estimé des juifs et des musulmans de Mo-gador. Stella (1858-1948), son épouse, était une Anglaise descendante des Duran d’Algérie et des Montefiore d’Angleterre52 (voir arbre généalogique, p. 140).

C’est elle qui fonde et dirige, sans objection des rabbins, une école anglaise des-tinée principalement aux jeunes filles juives pauvres. Le but initial de la fondation de l’école anglaise était de détourner les filles juives (généralement issues de milieux pauvres) de la tentation de s’inscrire dans les établissements de la Mission anglicane, qui avait elle-même ouvert ses portes à Mogador. L’école fonctionne à partir de 1885, avec grand succès pendant 37 ans, exerçant une grande influence sur la ville53.

En 1876, 30 juifs étudiaient à l’école de la Mission54. En 1885, l’école anglaise réussit à en soustraire 32 filles55. Stella Corcos fut la première à monter une pièce de théâtre juive au Maroc56.

De même, il convient de mentionner le nom de Miriam Corcos (1855-1927), sœur de Moses, qui épouse Rabbi David Anahory (1831-1900), descendante d’une lignée de rabbins et de commerçants originaires de Tétouan installés à Mogador. Elle fonde aussi une école anglaise pour les enfants de la Casbah et ceux des consu-lats, mais cette école ne connaîtra pas le même succès. Il existait une troisième école anglaise, fondée par J. Bendahan, petite et modeste.

51. Cette archive familiale que nous avons découverte il y a une quinzaine d’années à Casablanca con-tient plus de 1 000 documents, la plupart en arabe, datant de la fin xIxe siècle et du début du xxe. Elle appartenait à Moses Corcos, un grand commerçant à Mogador, et à sa femme Stella, très active dans la vie sociale de la communauté juive. Entre autres, il y a une correspondance entre Stella et le sultan au sujet des habitations du Mellah de Mogador. Tous ces documents demandent à êtres traduits et exploités.52. Encyclopedia of Jews in the Islamic World, op. cit.53. Sidney S. Corcos, « L’école anglaise de Mogador », selon des documents inédits, revue BRITT, nº 21, printemps 2003, p. 31-34. Le livre d’or découvert en Angleterre « visitor’s book from the Mo-gador School » (AJ37/3/36-7 Items from Archives of the Anglo-Jewish Association) éclaire d’une lumière nouvelle le fonctionnement et le rôle de l’école de filles « Honneur et Courage » qui a exercé ses activités pendant 30 ans à Mogador à la fin du xIxe et au début du xxe s. L’école a fait l’objet des plus grands éloges de la part des représentants des grandes nations, anglais, français, italiens, espag-nols, autrichiens et américains qui l’avaient visitée. 54. Eliezer Bashan, Les Juifs du Maroc au xIxe siècle et la Mission anglicane, Ramat-Gan, Université Bar Ilan, p. 58. 55. Eliezer Bashan, revue BRITT, n° 19 (en hébreu).56. Joseph Chétrit, Morocco (H. Saadoun éd.), Jérusalem, Ministry of Education, Ben-Zvi Institute, p. 213.

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Deux branches de la famille Afriat

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La famille Afriat issue d’Oufrane et de Goulimine s’installe à Mogador. Elle est considérée comme l’une des familles juives les plus anciennes du Maroc. Les Afriat deviendront ce qu’il est convenu d’appeler « la première famille capitaliste du Ma-roc ». Ils dominent une partie du commerce transsaharien et ce sont eux qui in-troduisent le thé vert sur le marché marocain (« Attay Afriat »). Les Afriat étaient respectés de tous. On les appelle les nissrafin, les « brûlés d’Oufran », à la suite d’un événement tragique qui s’est déroulé en 1792, pendant une période d’anarchie dans le Sud marocain près d’Oufran, après la mort du sultan Sidi Muhammad : 50 chefs de familles juives, et à leur tête le rabbin Judah Afriat, avaient choisi de mourir sur le bûcher plutôt que de se convertir à l’islam57.

Deux frères, Aaron (1847-1923) et Séllam, émigrent en Angleterre à la fin du xIxe siècle. Aaron représente les affaires de la famille et fera partie de l’élite des juifs de Londres. Sa compagnie anglo-marocaine sera la plus grande de la City. Les derniers Afriat quitteront Mogador pour Casablanca à la suite de la crise économique mondia-le de la fin des années 1920, qui frappe durement la plupart des grandes familles et les mène à la faillite. Les Afriat s’allient notamment aux Coriat, Elmaleh, Rosilio, Corcos, Attia, Ohana, Anahory, Cabessa et Toby (voir deux branches p. 138).

57. Flamand, Diaspora en terre d’islam, la geste d’Oufran, p. 23-40. Jacob Ohayon, « Les martyrs d’Oufran », L’Avenir illustré, février 1931. Cette tragédie restera gravée dans la mémoire collective des juifs de Mogador. Ce récit ainsi que les noms des martyrs figurent dans des amulettes qui étaient accrochées aux murs des maisons à Mogador, comme porte-bonheur.

La famille Afriat vers 1903 dans le riad de la famille (photo archives Corcos)

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La branche des Montefiore dont est issue Stella Corcos

Une branche des Sebag-Montefiore

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La tragédie d’Oufran et la situation économique désastreuse dans le Sud maro-cain à la fin du xvIIIe siècle avaient conduit vers Mogador de nombreuses familles de ce village et de la région, telles que les Aflalo, Shriqui, Ben Shabbat, Ohana, Out-mezguine, Ifergane, Ben Soussan, Ohayon, Kadosh, Lévy, Sasportas et la famille Knafo, une des plus importantes lignées de rabbins de Mogador et de tout le Maroc. À leur suite viendront d’autres juifs : de Taroudant, Tazenakht, Iligh, Goulimine, comme les Azoulay, les Bouganim et les Sebag.

Salomon Sebag (1782-1863) émigre en Angleterre, et épousera en 1813 Sarah Mon-tefiore, la sœur de Sir Moses. La famille prendra le nom de Sebag-Montefiore et devien-dra l’une des familles juives nobles d’Angleterre58 (voir arbre généalogique p. 140).

La famille Belisha vient de Marrakech (voir arbre généalogique p. 133). Le tajjer Yeshua Loeb Belisha (1738-1808) s’installa à Mogador dès sa fondation. Trois générations de la famille furent confirmées par le titre de tajjer. Ce sera l’une des fa-milles les plus riches et honorées de Mogador. Plusieurs de ses membres émigreront à Gibraltar, en France59 et en Angleterre, où ils prospéreront.

L’un de leurs descendants (le petit-fils de Messod David Belisha, né à Mogador en 1789), Leslie Hore Belisha (1893-1957), deviendra une personnalité marquante de la vie politique britannique : en 1940, il est nommé ministre de la Guerre60.

Des rabbins qui n’avaient pas réussi à trouver dans la ville des moyens de subsis-tance la quittèrent pour d’autres horizons. Ainsi le rabbin David Zagoury61 émigra au Portugal pour y fonder une maison d’étude ; le rabbin Eliyahou Ben Amozeg créa à Livourne une imprimerie hébraïque connue ; le rabbin Raphaël Hassan s’installa à Londres ; Rabbi Moshé Itzhak Eddery fut parmi les fondateurs de la communauté séfarade d’Amsterdam62. Le rabbin Yossef Corcos (1871-1926), qui était scribe et his-

58. Ruth Sebag-Montefiore, Family Pachwork, Five Generations of an Anglo-Jewish Family, Londres, Weidenfeld and Nicholson, 1987.59. Le commerçant Moise Belisha, né à Mogador, était venu au début du xIxe siècle à Marseille et y épousa Jessie Malka, elle-même née à Mogador. 60. Lydia Collins, The Sephardim of Manchester, Pedigrees and Pioneers, publié par The Sephardic Congregation of South Manchester.61. Rabbi David Zagoury, originaire de Mogador, était venu en 1859 à Saint-Miguel-des-Açores, où il fut le premier rabbin de la communauté originaire du Maroc.62. Rav Yaakov Moshé Toledano, Ner Hamaarav, Toldot Am Israel be Morocco, Jérusalem, Hasifria ha Sefaradit, Institut Benei-Issakhar, 1989.

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torien, partit pour Kingston en Jamaïque, où il fut nommé rabbin de la communauté jusqu’en 1903. Plus tard, il exerça ses fonctions à Curaçao et à New York63. Le rabbin Yossef Haym Cohen s’installa en Palestine au début du xxe siècle et fut élu président du tribunal rabbinique de la communauté marocaine de Jérusalem. Rabbi Yehouda Coriat partit pour Livourne, où il exerça les fonctions de juge rabbinique64.

Une société ouverte sur le Maroc et sur le mondeAu début du xIxe siècle plusieurs facteurs agissent au détriment de l’économie :

l’Europe impose un blocus sur les exportations à cause des épidémies fréquentes, des guerres napoléoniennes et de la politique du sultan Moulay Slimane (1792-1822), qui freine le commerce vers l’Europe65. En conséquence, l’activité commerciale de Mogador chute considérablement, poussant à d’autres départs, soit vers Casablanca ou Agadir, soit outre-Atlantique. Par exemple en 1800 et 1801 arrivent à Londres de Mogador les commerçants David Ben-Shabbat, Haïm Délavant et Shemuel Bena-don66. Certains se tournent vers d’autres directions, comme les îles Açores et les îles Canaries, dont les familles Zafrani, Shabbat, Sebag, Attia, Ben Shimol, Ben Soussan, Amzaleg, Sabah, Azencot, Elmaleh et même le petit-fils du rabbin, le saint Haïm Pinto67, ou enfin vers Gibraltar, et le Portugal (familles Benchabat et Chriqui) au milieu du xIxe siècle68.

La première crise politique grave qui frappe Mogador, et la communauté juive en particulier, a lieu en 1845 à la suite d’un conflit entre la France et le Maroc. Son point culminant est le bombardement de la ville par la marine française sous le commandement du prince de Joinville69, au cours duquel une partie du Mellah est détruite. Les tribus de la région exploitent la situation : elles font irruption dans la ville, se livrent au pillage et s’attaquent aux juifs sans faire de différence entre riches

63. Ibid. 41.64. David Bensoussan, Le Fils de Mogador, Les éditions du Lys, Canada, 2002, p. 168-170.65. Jean Brignon et al., Histoire du Maroc, op. cit.66. v. D. Lipman, Migration and Settlement, Proceedings of the Anglo-American Jewish Conference, publié par The Jewish Historical Society of England, 1971, p. 37-62.67. Raphael Cohen, « Yotse Mogador be Portugal ve ba iyim ha azoriyim bamea ha 19-20 » (en hébreu), BRITT, n° 21, 2003.68. M.-J. Abecassis, Genealogia Hebraica, Portugal e Gibraltar, sec. xvII a xx, vol. I-v.69. Charles Mullier, Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, 1852.

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et pauvres70. Plusieurs hommes sont assassinés et des femmes enlevées. La plupart prennent la fuite, abandonnant tous leurs biens pour se réfugier chez leurs amis de la province de Haha – des Berbères –, et également à Marrakech71.

D’après l’historien Jean-Louis Miège, Mogador fut entièrement pillée, abandon-née, désertée72. Ces événements provoquent de nombreux départs. Certains tujjar résidents de la ville s’installent à Gibraltar, à Algésiras en Espagne73, ou partent vers d’autres pays européens. Ce n’est que trois mois plus tard que des juifs reviendront petit à petit, après avoir reçu l’assurance de leur protection par le sultan74.

Après le sac de Mogador, le judaïsme anglais (surtout des anciens Mogadoriens) représenté par Moses Montefiore créa le Relief Famine Fund75, en apportant une aide ponctuelle, en vivres et en vêtements, aux victimes des violences76. Les princi-paux donateurs en sont des juifs mogadoriens installés en Angleterre comme Judah Levy-Yuly Judah et Moses Guedalla, Jacob Aflalo, Moses et Aaron Afriat, Moses Co-hen, ou d’autres Mogadoriens, comme Dinar Ohana, Abraham et Aharon Corcos77. Le Relief Famine Fund continua d’envoyer de l’aide matérielle et financière aux juifs et musulmans pauvres, surtout durant les périodes de famine78.

70. Une lettre envoyée en septembre 1844 par un commerçant de Mogador à son frère à Londres décrit la situation catastrophique dans la ville et le rôle qu’avait joué le notable Joseph Elmaleh, qui avait donné refuge à un grand nombre de juifs dans sa maison bien barricadée. voir The voice of Jacob, 28 sept. 1844, p. 34 A et B.71. David Corcos, Trois documents inédits sur les relations judéo-musulmanes dans le vieux Maroc, op. cit., vol. v, 1978, p. 82-97.Meir Corcos écrit (en judéo-arabe) dans son journal (archives Corcos) : « Mogador ? Haha et ma mère sont “sortis” avec mon père au moment du bombardement. Ils sont allés chez Mohamed ou Embark. Mogador a été pillée par Haha-Chaidma. Morah et ma mère ont quitté la maison de Mo-hamed ou Embark et sont partis à Kouzemt, d’où ils sont allés à Marrakech. Ils sont arrivés à Kou-zemt le 15 Eloul 5604 (1844)… et sont retournés à Mogador après le pillage le 11 Tammouz 5605 (1845). »72. J.-L. Miège, Le Maroc et l’Europe (1830-1894), tome II, p. 203. voir aussi Ibid., 71, p. 93.73. The voice of Jacob, n° 83, septembre 1844 (29 Ellul 5604), p. 229.74. Ibid., n° 91, 6 décembre 1844 (25 Kislev 5605), p. 57 A.75. Mocatta Library Archives, Committes for the relief of the sufferers at Mogador, De Sola Pamph-lets 6.76. Ibid.,73, n° 93, 3 janvier 1845, p. 75 A.77. Ibid.,73, n° 93, 3 janvier 1845, p. 79-80, et Robert Assaraf, Une certaine histoire des Juifs du Maroc, p. 35.78. FO 631/6 109-112, 117, 1878. FO 631/6 154-159, 1879.

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Cinq ans plus tard, en 1850, la stabilité politique est rétablie dans le pays et le com-merce reprend, avec la signature d’un accord de libre-échange entre le Maroc et l’An-gleterre. Le sultan Moulay Abderrahman (1822-1859), soucieux de faire revivre l’ac-tivité commerciale de Mogador, demande à certains négociants juifs de Marrakech79, de Tétouan et de Safi de s’y établir, et leur fait des avances de fonds importantes.

En 1856, une nouvelle vague d’immigrants déferle sur la ville, surtout des col-porteurs, artisans et petits commerçants originaires du Souss et de Marrakech. Le Mellah devient surpeuplé. Plus de 5 000 juifs s’y entassent80. Les nouveaux venus bénéficient des « caisses de charité » et de l’aide des sociétés philanthropiques81. L’afflux de nouveaux citadins aura des conséquences sur la structure démographi-que de la ville. Une situation paradoxale se crée, qui durera tout au long de l’histoire de la communauté : la prospérité économique attire des foules vers la ville, ce qui a pour effet d’accroître la pauvreté et les épidémies. Cela conduira à une vague d’émi-gration de jeunes vers l’Amérique du Sud, principalement vers la région de l’Ama-zonie au Brésil et ses plantations de caoutchouc. Citons, entre autres, des membres des familles Attias, Benayoun, Bensimon, Bendelac, Nahmias, Pinto, Serraf, Serfaty, Afriat de Mogador, Rabat et Casablanca82.

En 1859, l’année où Sidi Mohamed ben Abed Rahman est proclamé sultan, l’Es-pagne menace le Maroc et en particulier Mogador, le principal port à cette épo-que. Encore sous l’effet traumatique qu’avait provoqué le bombardement de la ville 15 ans auparavant, cette menace provoque la fuite de 220 juifs mogadoriens vers Gibraltar. D’autres, comme Aaron et Abraham Corcos, Dinar Ohana, Moses et Ju-dah Afriat et Moses Assor, partent pour Londres. Les moins fortunés prennent la fuite vers la campagne. La guerre avec l’Espagne se termine en 1860 par l’occupa-tion de Tétouan et l’obligation du Makhzen de faire des réformes et de payer des indemnités de guerre.

79. Salomon Corcos de Marrakech, petit-cousin de Maymun (le premier représentant de la famille dans la ville), est appelé à s’y installer en 1843 (dahir du 21 aout 1843 envoyé par le prince Mawlay Muhammad, archives Corcos). Il fondera la branche principale des Corcos dans la ville. En 1880, il y avait 51 tujjar à Mogador.80. Anglo-Jewish-Association, 5e rapport annuel, Londres, 1876. Le rapport décrit la situation déplorable dans le mellah surpeuplé de Mogador. Sur 7 000 juifs, 5 198 vivaient dans le mellah.81. Daniel Schroeter, « Le judaïsme anglais et la communauté d’Essaouira (Mogador) 1860-1900 », Peamim, Institut Ben-Zvi, 1983 (en hébreu).82. Barbara Weinstein, The Amazon Rubber Boom, 1850-1920, Stanford University Press, 1983.

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Cette même année, une grave sécheresse provoque une crise économique, et la mauvaise conjoncture durera presque jusqu’à la fin du siècle. La sécheresse est en effet suivie en 1867 d’une invasion de sauterelles qui détruisent les bonnes récoltes, que les pluies abondantes laissaient espérer83. Entre 1867 et 1869, le Maroc connaît trois années de mauvaises récoltes et une épidémie de choléra et de typhus qui coïn-cide avec la récession économique en Europe. La détresse et la famine poussent d’autres immigrants à partir des régions du sud84 vers Mogador. Principalement en provenance de Tifnout, d’Amizmiz, de Tiznit Taroudant (la famille Allul), de Gou-limine, d’Illigh, d’Akka, et de bourgades des montagnes comme Imin Tanout85, d’où sont originaires les Malka ; et d’Igli, d’où viendront les Kakon. Des Levy viendront de Demnate, la famille Belgurdawi d’Ida-ou-Gurd86, les Sasportas d’Oued Noun, les Utgourgoush et les Mellul du bassin de l’oued Souss, les Ifergan de Tillin dans l’Anti-Atlas87, et même des familles de la région en bordure du Sahara (Sahel), les Iflah et les Azancot. Le Mellah de Mogador se remplit de réfugiés en détresse. En une vingtaine d’années le nombre des juifs double dans la ville.

D’autres familles, descendantes de megourachim, d’origine espagnole, viennent de Gibraltar comme les Serfaty, de Tétouan comme les Coriat88 et les Cazes. D’autres, les Benhaim, Benselam, Ben Zimra, Anahory, Mashiah, Israël, Elmoznino et les Ben Dahan, les Farache et Elfersi viendront de Tanger, et les Elmaleh de Rabat. De l’Atlas viennent essentiellement des juifs porteurs de noms berbères et arabes mais aussi

83. FO 631/3/116, 1867.84. FO 99/182 et FO 99/181 sur la sécheresse dans le sud et la souffrance des juifs. voir aussi Bul-letin de l’AIU, vII 1879, vI 1878, p. 162-163 et p. 206-210, rapport annuel sur la situation des juifs à Mogador.85. En mars 1891, 200 familles israélites de ce petit village sont expulsées par ordre du caïd. Elles avaient perdu tous leurs biens (maisons, plantations). Bulletin de l’Alliance israélite universelle, n° 16, 1er et 2e semestre 1891.86. D’après le livret du mohel de Mogador « Merito » Bendahan.87. Pour le petit village de Tillin, dans l’Anti-Atlas, David Corcos signale que tous les habitants juifs appartenaient à la famille Ifergan, d’origine berbère. Ils y vécurent jusque dans les années 1950, du fait de l’isolement du village. voir David Corcos, Studies in the History of the Jews of Morocco, Jérusa-lem, Ruben Mass, 1976, p. 87.88. Les Coriat étaient une famille de rabbins originaire de Marrakech. Un des membres de la famil-le s’était installé à Tétouan, d’où la famille arriva à Mogador. Le kabbaliste Rabbi Judah fut nommé en 1788 grand rabbin de la ville. Ses descendants furent eux aussi des rabbins kabbalistes érudits et philanthropes pendant plusieurs générations. voir, dans The Encyclopedia of the Islamique World, op. cit., mon article sur les Coriat. Ils s’allient aux Toby, aux Bendahan, aux Corcos, et aux Cazes.

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de nombreuses familles Cohen, qui représentent 5,5 % des patronymes dans la ville (voir tableau n° 4).

Entre 1800 et 1880, des centaines de juifs d’Iligh qui entretiennent des relations commerciales étroites avec Mogador s’installent dans la ville, fuyant soit les épi-démies et l’instabilité politique dans la région89 ou à cause du détournement de la route des caravanes qui freine le commerce. Parmi eux, les familles Knafo, Soussana, Ohayon, Moyal, Myara, Amzelag, Amar, Elharrar, Hassan, Soussan et Ifergan90. Les familles Abitbol, Wanounou Tapiero et Cabessa viennent de Marrakech.

Une exception notable parmi les arrivants est la famille de rabbins et de commer-çants Abulafia, originaire de Tibériade en Palestine ottomane91. Elle fait partie de l’élite de Mogador et s’allie aux Serfaty et aux Corcos. La plupart de ses descendants émigreront en Angleterre dans les années 1920. D’Alep, en Syrie, vient la famille de commerçants Altaras92 (qui s’allie aux Serfaty), et de Turquie la famille Siman-tov. Certains agents de grandes maisons de commerce comme les Lumbroso d’Ita-lie s’installent définitivement dans la ville. Ils s’allient aux Afriat, aux Bohbot, aux Dahan, aux Cohen et aux Aboaziz.

L’ouverture en 1875 de l’école de l’Alliance israélite universelle ouvre de nou-veaux horizons aux lauréats de l’école qui, grâce à l’enseignement, surtout celui de la langue française, suscitera des départs vers la France pour y chercher du travail.

L’année 1890 marque une période d’anarchie. C’est aussi l’année où éclate une nouvelle épidémie de peste qui frappe tout le pays, et particulièrement les mellahs surpeuplés. Les comptes rendus dans la presse juive européenne et dans la presse locale93 sur la situation du Mellah de Mogador sont dramatiques, de même que les rapports envoyés depuis la ville.

89. Daniel Schroeter et Paul Pascon, « Le cimetière juif d’Iligh (1751-1955), étude des épigraphes comme documents d’histoire sociale », Tazerwalt (Sud-Est marocain), Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, nº 34, 1982.90. Signalons que la totalité des 36 patronymes portés par les originaires d’Iligh se retrouvent parmi les noms les plus fréquents des juifs de Mogador (voir tableau n° 4).91. David Gaon, Yehoudey ha Maghreb be Palestina (en hébreu), Jérusalem, Arziel, 1937, p. 10. Joseph Abulafia, fils du rabbin Yehezkel Eliezer, descendant d’une lignée de grands rabbins en Pales-tine ottomane, serait envoyé comme émissaire (shadar). Il était venu avec son fils Haïm, qui épouse-rait plus tard Massouda Corcos (mes arrière-grands-parents).92. D’après Miège (vol. II, p. 61), le rôle des Altaras sera de première importance dans les relations de Marseille et du Maroc.93. Le journal Time of Morocco en date du 19 novembre 1890 décrit une situation très difficile dans

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Un départ en masse d’émigrants juifs a lieu en 1892 sur le bateau Zweena, en direction de la Palestine, pour « finir leur vie » en Terre sainte94. D’autres partent vers l’Amérique du Sud, vers l’Argentine et le Brésil comme Judah Sebag95, Eliyahou Hatchwell et des membres des familles Knafo et Afriat96. Quelques juifs, notam-ment des commerçants de Mogador, émigrent aussi en 1894 au Sénégal en Afrique noire, une migration liée au déplacement des axes majeurs du commerce à la suite de la prise de Tombouctou (axe principal vers Mogador) par les Français97.

En 1912, le protectorat français est instauré au Maroc. L’influence anglaise prend fin et cède la place à celle de la France, une ère nouvelle commence98. L’exode des juifs de la campagne sera ralenti pendant toute la période du protectorat français.

Le Maroc attire des commerçants juifs venus de Tunisie et d’Algérie. Arrivent à Mogador des familles comme les Darmon99, les Brami, les Adi, les Benchemoul et, bien entendu, des familles françaises non juives. Par ailleurs, un groupe de 120 Mogadoriens part pour Lyon où on leur offre du travail100.

L’ère des négociants du roi est révolue101. Une nouvelle classe de commerçants apparaît comme les Elharrar, Hatchwell, Hadida, Toby, Bohbot, Rosilio, Lévy, Elmaleh, Ben Shabat, Attia, Yuly et les Corcos, qui continueront leur activité commer-

le Mellah de Mogador. 50 personnes sont entassées dans une seule maison, et quelquefois 20 par chambre. Ce journal estime que près de 6 000 juifs vivaient au Mellah à cette date dans 156 mai-sons.94. Time of Morocco du 30 août 1892.95. Judah Sebag était parti au Brésil, d’où il a fait fortune dans l’exploitation et le commerce de pierres précieuses. vers le début du xIxe siècle, il revient à Mogador et s’allie à la famille Corcos en épousant Reina Corcos.96. Salomon Afriat, le fils du rabin Ytzshak Afriat.97. J.-L. Miège , Les Juifs et le commerce transsaharien au xIxe siècle, édition en ligne sur www.source-maroc.com.98. La signature, avec les Anglais, d’une convention le 8 avril 1904 reconnut la prééminence de la France au Maroc. Mussa Aflalo, originaire de Mogador, l’homme de confiance du Makhzen à Lon-dres, publia un livre en 1904, The Truth About Morocco, condamnant l’abandon du Maroc par les Anglais. Ce fut aussi une déception pour les élites juives de Mogador.99. J.-L. Miège, Le Maroc et l’Europe (1830-1894), tome II, p. 94-95, p. 186.100. voir, sur cette migration, BRITT, Association des juifs de Mogador, n° 18, printemps 2000.101. À la conférence d’Algésiras en 1906, la France obtint le contrôle sur les ports, celui de Mogador inclus. Le Maroc perdait le contrôle de sa politique économique et commerciale.

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ciale en s’adaptant à ces nouvelles conditions102. Ils travailleront avec des compagnies françaises, anglaises, italiennes ou espagnoles103. Mais pas pour longtemps. L’activité portuaire est en déclin, supplantée par celles d’Agadir, de Safi et de Casablanca.

Dans les années 1930, la crise économique mondiale s’étend aussi à Mogador. L’effondrement des bourses européennes en 1929104 frappe cruellement la plupart des familles de grands commerçants qui y avaient investi leur fortune. Les autorités du protectorat et du Makhzen décident d’ouvrir le port d’Agadir au commerce in-ternational. Le déclin de Mogador s’accélère à partir de cette date105. De nombreux habitants partent vers Agadir et Casablanca. En 1935, le journal L’Avenir illustré écrit que la moitié des juifs de Mogador se sont installés à Casablanca. D’autres choisis-sent la Palestine comme des Rosilio106, des Afriat107 ou des Corcos108.

La Seconde Guerre mondiale interrompt momentanément l’émigration. Une ving-taine de juifs mogadoriens participent aux combats en Europe, 3 y sont tués109, 12 qui résidaient en France sont déportés vers des camps de concentration allemands

102. Messod Corcos, le représentant de la famille en Angleterre, avait épousé Gertrude Samuel, dont la famille était propriétaire de la compagnie Shell qui, à cette époque, était un grand producteur et exportateur de bougies. Messod avait nommé son frère Jacob Corcos agent et représentant de la compagnie au Maroc. Entre autres, la famille faisait du commerce de caroubes, d’amandes, de céréa-les, etc.103. La plupart avaient ouvert des agences d’import-export, exportant céréales, amandes, dates, ca-roubes, maïs, huile, peaux, laine, gommes sandaraques, cire et autres, important des bougies, du fer, des cotonnades et tissus, des produits alimentaires de toutes sortes, surtout du thé, du sucre et des sucreries, de la vaisselle et autres biens.104. Au cours des années 1930, la crise financière est suivie d’une récession qui s’aggrave durant plusieurs années, conduisant à la Grande Dépression qui s’étendra sur près d’une décennie. Cette dé-pression mondiale fut d’une ampleur sans précédent (baisse d’un tiers de la production industrielle mondiale).105. L’Avenir illustré du 19 mars 1931 écrit : « Cette année, la misère au Mellah est à son comble. Le dernier recensement a révélé un exode de plus de 3 000 israélites. »106. La mère de l’écrivain israélien A. B. Yehoshua est une Rosilio de Mogador qui avait immigré à Jérusalem avec une partie de sa famille. D’autres Rosilio achètent des propriétés à Jérusalem qui leur appartiennent encore de nos jours.107. Des membres de la famille avaient acquis des propriétés à Jérusalem, d’après le testament de Jacob Afriat, qui partageait ses propriétés entre ses fils. Ce document se trouve dans les archives de la famille Corcos.108. Miriam Corcos-Anahory, la directrice d’une des écoles anglaises, était partie en Palestine.109. Jacob Ohayon, « Les origines des Juifs de Mogador », op. cit.

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en Europe110. Parallèlement, une centaine de réfugiés juifs d’Europe seront accueillis dans la ville, qu’ils quitteront à la fin de la guerre pour émigrer aux États-Unis111.

La création de l’État d’Israël en 1948 incite aux départs, dont le nombre ira crois-sant. Le 2 mai 1963, 350 juifs quittent Mogador dans sept autobus en direction de Casablanca, d’où ils embarquent sur un bateau marchand grec qui les conduit à Marseille puis vers Israël. Il s’agit de la plus grande émigration effectuée en un seul jour de juifs de la ville112.

En 1968, il ne reste plus que 400 juifs à Mogador. C’est alors qu’eut lieu la der-nière cérémonie de circoncision, c’est la fin d’une époque, la fin de la communauté. En 1990, on trouve cinq juifs seulement, et aujourd’hui il n’en reste plus que deux113 (voir tableau n° 2).

Tableau nº 2 : Population juive de Mogador selon les différentes sources

Année Population juive Source1770 1 875 Document Corcos 71860 5 000 Picciotto (rapport)1865 6 000 Beaumier, Hamagid1870 6 000 Almanach Dido-Bottin1890 10 000 Elmaleh1900 10 000 AJA report, Miège1920 12 000 Michael Lasker1931 9 500 Eisenbeth Maurice1936 6 150 Recensement français1942 6 500 Recensement français1951 5 435 Recensement marocain*1960 2 917 Recensement marocain1968 300 Source non publiée1990 5 Source non publiée2010 2 Source non publiée

110. Site Internet sepharad.gen.com, Data base. 111. Mohamed Kenbib, Juifs et Musulmans au Maroc, 1859-1948, Rabat, Université Mohamed v, pu-blications de la faculté des lettres et des sciences humaines, 1994.112. Témoignage d’Itzhak Azencot présent dans ce voyage. La revue BRITT, 29, 2010, p. 80.113. Aujourd’hui, une cinquantaine de juifs y séjournent ou y ont une résidence secondaire. Une partie d’entre eux sont des anciens « Souiris ».

*Abraham Attal, Mifkad okhloucine beMaroco, Betfutzot Hagola, 1924, p. 42-48 (en hébreu).

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L’étude des noms des juifs de MogadorDes centaines de communautés juives dispersées à travers tout le royaume ont

vécu au Maroc. Ces communautés se sont constituées durant plus de 2 000 ans d’une histoire mouvementée, qui a vu la l’ascension et le déclin de civilisations, de peuples et de royaumes.

La présence juive dans ce pays est intimement liée à son histoire. On en trouve la preuve dans la grande diversité des noms chez les juifs du Maroc, qui s’élèvent à plus de 1 400. Ces noms ont de nombreuses origines géographiques et linguistiques et se sont formés sous l’influence des divers événements114.

Ainsi, l’étude des noms portés par les juifs de Mogador que nous avons menée à l’aide de diverses sources n’est pas seulement intéressante du point de vue purement onomastique, mais aussi parce qu’elle permet de suivre le parcours de certaines mi-grations et les changements démographiques et sociaux au sein de la ville.

Dans le présent travail, nous avons collationné tous les noms patronymiques des membres de la communauté juive de Mogador depuis sa fondation en 1764 jusqu’à la fin de son existence après la création de l’État d’Israël. Nous avons utilisé pour nos recherches diverses sources. Elles nous ont permis d’identifier un échantillon de 4 670 Mogadoriens, (voir tableau n° 3) sur une période de 200 ans.

Tableau nº 3 : Les 4 670 Mogadoriens identifiés selon les différentes sources

Liste Bendahan Liste Knafo Liste cimetière Déclaration des juifs Autres sources

1 325 1 075 1 211 1 008 51

Cela nous a permis de dénombrer en tout 400 patronymes différents (voir la liste complète des patronymes, en annexe 2), ce qui représente 27 % du stock des patronymes portés par les juifs dans l’ensemble du Maroc115. De plus, nous avons

114. À propos des noms des juifs du Maroc, leurs origines et leurs significations, voir l’ouvrage mo-numental d’Abraham I. Laredo, Les noms des Juifs du Maroc, Madrid, 1978. De même, voir l’article de David Corcos, « Réflexions sur l’onomastique judéo-nord-africaine », in Studies in the History of the Jews of Morocco, Jérusalem, Ruben Mass, 1976, p. 131-157 ; voir aussi Jacques Taïeb, Juifs du Maghreb. Noms de famille et société, Paris, Les éditions Polyglottes, 2004. On trouvera également des explications sur les noms de famille in Joseph Toledano, La saga des familles, éditions Stavit, 1983, et enfin Maurice Eisenbeth, Les Juifs de l’Afrique du Nord, démographie et onomastique, Alger, imprimerie du Lycée, 1936.115. La liste la plus complète des patronymes des juifs du Maroc a été établie par A. Laredo. Elle dénom-

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La communauté juive de Mogador-Essaouira

découvert que plus de la moitié (54 %) des juifs de la ville portaient seulement 30 patronymes (voir tableau n° 4). Ce résultat étonnant ressemble de près à celui de l’ensemble du Maroc (53 %) mais avec des souches différentes pour la plupart116. Seuls 13 patronymes sont communs aux deux listes, avec une fréquence différente. Les 22 restants n’apparaissent pas dans la liste des patronymes les plus fréquents parmi les immigrants de l’opération Yakhyn.

En revanche, on a découvert une longue liste de 211 noms rares (un peu plus de 50 % des noms), dont la plupart n’apparaissent qu’une à trois fois dans les sources (voir tableau n° 5).

On peut conclure, à partir de ces données, qu’il existait à Mogador des patrony-mes devenus majoritaires, qui se sont cristallisés sur plusieurs générations, qu’on peut appeler Souiris (voir aussi la liste des 75 noms les plus répandus à Mogador, annexe 1). Dans d’autres localités du Maroc et dans les régions où ces noms trou-vent leur origine, ils sont devenus rares ou ont disparu117. De plus, la comparaison de la liste de 1942 avec les listes de noms établies à partir de documents plus an-ciens révèle qu’en 1942 plus de la moitié (53 %) des patronymes qui s’y trouvaient auparavant n’existent plus dans la ville. Cela atteste de la mobilité particulièrement importante des juifs de la ville à travers le temps.

L’analyse linguistique de ces patronymes apporte d’autres indications sur le bras-sage culturel qu’a pu représenter le judaïsme mogadorien. En tout, 15 % des noms des juifs mogadoriens étaient d’origine arabe et arabo-berbère, 32 % berbère, 17 % espagnole et 24 % d’origine hébraïque et araméenne (voir tableau n° 6).

La palette des noms que nous avons recensés provient de sources linguistiques différentes : l’hébreu, l’arabo-berbère, l’araméen, l’espagnol, le français et l’italien. Les noms d’origine berbère et arabe sont les plus nombreux, comme dans le reste du pays. Cependant, ceux d’origine berbère dépassent à Mogador la moyenne des noms juifs des autres communautés, ce qui montre que de nombreux immigrants dans la

bre en tout 1 482 noms (d’après une liste que nous avons établie, ce nombre est un peu plus élevé). Les données que Laredo nous fournit ne précisent pas le pourcentage ou le montant des différents noms.116. Sur le tableau n° 4 nous avons mis en italique et en retrait les patronymes qu’on découvre à Mogador en grand nombre, donc spécifiques, et qui ne figurent pas sur la liste des patronymes de l’ensemble du Maroc.117. Il faudrait noter que des noms comme Ohayon, Sebag, Bitton, Amar, Abitbol, Ifergan, Ohana, Elmaleh, Mammane, Kadosh et autres sont des noms qui étaient répandus à Mogador, mais aussi dans d’autres régions du Maroc.

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ville venaient des régions berbérophones du Sud et de l’Atlas. Pour les juifs séfarades, Mogador, bien que située géographiquement dans le sud du pays, constitue une ex-ception. Les descendants des expulsés d’Espagne étaient groupés dans le nord du pays. Mogador, avec son port commercial, a pourtant attiré un certain nombre d’entre eux qui s’y sont installés pour devenir des commerçants prospères.

Certes, il existe un noyau de patronymes propres à telle ou telle ville ou région, que l’on retrouve parfois dans le reste du royaume du fait de la mobilité et des migrations de la population juive du Maroc tout au long de son histoire. Certains de ces noms sont devenus proprement mogadoriens et dominants, tandis qu’ailleurs ils ont disparu.

Il est étonnant de penser aujourd’hui que cette petite ville pittoresque, avec son joli port sardinier, ait été dans le passé un centre de commerce international impor-tant, la destination finale des caravanes transsahariennes pendant 150 ans, et que la majeure partie de cette activité se trouvait entre les mains d’un petit groupe de commerçants juifs, autour duquel s’était formée une communauté diversifiée.

Mogador a su drainer des populations entières (juives et arabes), originaires pour une grande majorité d’entre elles du sud du pays, et ressemblait davantage à une ville européenne divisée en classes sociales marquées. Elle constituait en cela une figure d’exception au Maroc. Malgré ses hauts et ses bas, les graves crises qu’elle a connues et les va-et-vient constants, elle bourdonnait d’activité et vit naître non seulement les « marchands du sultan » mais aussi des diplomates et des rabbins érudits, des chantres, des bijoutiers et des artistes connus, célébrés à travers tout le royaume. L’épanouissement culturel, artistique et spirituel juif résulte d’une convi-vialité de la tolérance entre musulmans et juifs.

La ville, tournée vers la mer dont dépendait sa prospérité, a sombré, une fois l’activité maritime réduite, dans le déclin et la stagnation. À Mogador, il ne reste que deux juifs (autochtones), mais nombreux sont les descendants des anciens Souiris dispersés à travers le monde, qui se distinguent dans de nombreux domaines118.

La globalisation et les changements rapides nous permettent de nous poser la question : les noms de ces familles continueront-ils à être portés dans l’avenir com-me témoins d’une communauté au passé prestigieux, aujourd’hui disparue ?

Mogador, aujourd’hui, est un centre touristique et culturel qui a la nostalgie de son passé glorieux. Espérons que l’histoire de la communauté juive de Mogador-Essaouira y gardera toujours la place qu’elle mérite.

118. David Bensoussan, Le Fils de Mogador, op. cit.

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La communauté juive de Mogador-Essaouira

Tableau nº4 : Fréquence comparative des 30 noms les plus répandus

Noms les plus fréquents parmi les 89 000

immigrants de l’opération Yakhin*

Noms les plus fréquents parmi les 4670 juifs de Mogador recensés dans les

différentes sources de la présente étude

Patronymes Fréquence (%) Patronymes Fréquence (%)

Cohen !"# 4,4 Cohen !"# 5,39

Bitton !$%&' 3,9 Levy &$( 4,2

Perez )*+ 3,9 Ohayon !$&,$- 3,19

Dahan !". 2,6 Sebag /-'0 2,55

Levy &$( 2,5 Knafo !"#$% 2,46

Oiknine !&123-$ 2,4 Shriqui ou Achriqui &'&() 2,18

Malka "#(4 2,3 Bouganim *&$+!, 1,91

Ohayon ,$-!$& 2,2 Abenhayim *&&- .,# 1,8

Suisa "0&$0 2,1 Elharrar ((/0# 1,56

Azoulay &-($5- 2,1 Ifergan !/*+&- 1,56

Amar *4- 1,9 Rebboh -!,( 1,56

Elmaleh ,&(4(- 1,4 Afriat 1#&("# 1,54

Chetrit 6&*%&7 1,3 Suisia /&2&!2 1,52

Ohana "1,$- 1,2 Amar *4- 1,43

Abitbol ($'%&'- 1,18 Ohana "1,$- 1,2

Elbaz 5'(- 1,15 Abitbol ($'%&'- 1,18

Hazan !5, 1,11 Bensoussan .#2!2., 1,13

Attias 0-&%- 1 Lugassy &2#+!0 1,11

Sebag /-'0 1 Bohadana /$3/!, 1,07

Torjman !4'/*$6 1 Azoulay &-($5- 1,03

Assouline !&($0- 1 Zagury &(!+4 1,03

Harroch 7$*" 0,99 Aflalo !00"# 1,01

Asseraf 8*0- 0,97 Bitton !$%&' 1,01

Abitan !%&'- 0,96 Benshabat .,-5,) 0,96

Wisman !49&$ 0,95 Corcos 2!'(!' 0,96

Bendavid .$. !' 0,92 Perez 6(" 0,94

Soussan !-0$0 0,91 Sibony &$!,&2 0,92

Kadoch .27$ 0,9 Abecassis 2&2',# 0,90

Abergel (’/*'- 0,9 Malca /%07 0,9

Mamane !44 0,88 Elmaleh -070# 0,88

Benhamou $4, !' 0,83 Benmoyal 0#&!7-,. 0,83

Amsellem :(04- 0,83 Maman, Mamane .77 0,83

Gabay &-'/ 0,82 Outmezgine .&+471!# 0,83

Fhima "4&"+ 0,82 Revivo !,&,( 0,81

Ouanounou $1$13$ 0,8 Derhy &8(3 0,77

Total en % 54 % 53 %

*La liste quantitative des noms des juifs de l’ensemble du Maroc et leur fréquence sont basées sur les données publiées par l’Agence juive et recueillies par le Mossad lors de l’opération Yakhin de 1961-1963 visant à faire émigrer en Israël 89 000 juifs de presque toutes les régions du Maroc. Nous n’avons pas trouvé, dans les listes, des immigrés de Mogador même. voir S. Aharoni, Les Juifs du Maroc, étude quantitative, Mission Yakhin 1961-1963, Jérusalem, Agence juive pour Israël, biblio-thèque de l’Institut Ben Zvi.

Tableau nº 4 : Fréquence comparative des 30 noms les plus répandus

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Tableau nº 5 : Classement des noms des juifs de Mogador selon leur fréquence

Fréquence du nom Nombre d’occurrencesdans les différentes sources*

Nombre de nomsde familles %

Très fréquent Plus de 30 fois 43 11Fréquent 11-30 fois 59 15

Peu fréquent 4-10 fois 87 22Rare 1-3 fois 211 52

Tableau nº6 : Répartition des patronymes selon leur appartenance linguistique

Origine du nom % parmi les 400 noms de cette étude sur Mogador

% parmi les 1 482 noms cités par Laredo dans tout le

Maroc*

Hébreu et hébreu-araméen 23 27Araméen 0,9 1,6

Berbéro-arabe, arabo-berbère** 14,75 5,4

Berbère 31,85 36Espagnol 17,4 22,6

Autre origine 1,18 2,7Origine imprécise 10,91 4,9

* Abraham Laredo, Les noms des Juifs du Maroc, op. cit.** Pour les précisions de la distinction entre les noms voir Laredo, Ibid., p. 124.

* voir: S. Aharoni, Les Juifs du Maroc, op. cit., 116-121.

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Annexe 1 : liste des 75 noms les plus répandus à MogadorCohen (5,4 %), Lévy (4,2 %), Ohayon (3,19 %), Sebag, (2,55 %), Knafo (2,46 %), Chriqui, (2,19 %), Bouganim (1,91 %), Abenhaïm (1,8 %), Elharrar (1,56 %), Ifergan (1,56 %), Reboh (1,56 %), Afriat (1,54 %), Suissia (1,52 %), Amar (1,44 %), Ohana (1,2 %), Abitbol, (1,18 %) Bensoussan (1,14 %) Lugassy (1,11 %), Bohadana (1,07 %), Azouley (1,03 %), Zagury (1,03 %), Aflalo (1,01 %), Bitton (1,01 %), Benshabat (0.96 %), Corcos (0,96 %), Perez (0,94 %), Siboby (0,92 %), Abecassis (0,90 %), Malca (0,9 %), Elmaleh (0,88 %), Benmouyal (0,84 %), Maman (0,84 %), Outmezguine (0,84 %), Rebibo (0,81 %), Derhy (0,77 %), Kadosh (0,77 %), Serfaty (0,77 %), Zafrany (0,77 %), Elmoznino (0,73 %), Sabbah (0,71 %), Weezman (0,71 %), Amzallag (0,69 %), Seraff (0,69 %), Bohbot (0,66 %), Abehsira (0,62 %), Miyara (0,62 %), Pinto (0,60 %), Wahnono (0,58 %), Coriat (0,54 %), Tapiero (0,54 %), Sasportas (0,51 %), Dayan (0,49 %), Benisty (0,47 %), Ittah (0,47 %), Abisror (0,45 %), Kessan (0,45 %), Azancot (0,43 %), Hatchwell (0,43 %), Hadida (0,42 %), Benhamou (0,41 %), Kakon (0,41 %), Kidoshim (0,41 %), Loeb (0,41 %), Haroche (0,39 %), Buzaglo (0,36 %), Cabessa (0,36 %), Dahan (0,36 %), Elfersi (0,36 %), Elkabbas (0,36 %), Hanona (0,36 %), Attias (0,34 %), Benshmihen (0,34 %), Elkaim (0,34 %), Moryosef (0,34 %), Ossadon (0,34 %), Semana (0,34 %).

Annexe 2 : Récapitulatif des patronymes des juifs de Mogador selon les diverses sources (par ordre alphabétique)

Abecassis, Abehsira, Abougzir, Aben Moha, Abenhayim, Abenaim, Abergel, Abihziz, Abisidan, Abisror, Abitzur, Abitbol, Abittan, Abou, Aboudraham, Abtan ou Abetan, Abulafia, Abrami, Ashach, Acoca, Adadaf, Addaf, Adadan, Added, Added, Addi, Aflalo, Afriat, Ahnona ou Ohnona, Akikos, Akiva, Aknin, Allek, Allouf, Alloun, Allul, Almosnino ou Elmooznino, Alouv, Altaras, Altit, Alton, Amar, Amozeg, Amzelac ou Amzallag, Anahory, Nahory, Arama, Arkich, Asabag, Assaboni, Assayag, Attar, Attia, Attias, Avi, Ayach Azancot, Azar, Azouley, Banun, Barbebay, Barchilon, Barmoha, Barosch ou Baros Barsesat ou Barchechat, Barmoha, Bar-Reviha, Barutz, Belgurdawi, Belisha, Bellahsen, Belolo ou Beloulou, Ben-Abbou, Ben-Addi, Ben-Amar, Ben-Attar, Ben-Azazou Ben-Bohali, Ben- Brahim, Ben-Dado, Ben-David, Bendavidveyoseph, Ben-Diwan, Ben-Efraim, Ben-Elad Ben-Ezra, Ben-Haggui, Ben-Haki, Ben-Hihi, Ben-Israel, Ben-Lakrabous, Ben-Mojluf, Ben-Meir, Ben-Muyal ou Benmouyal, Ben-Nazma, Ben-Sacron, Ben-Scando, Ben-Sedgasi, Ben Shanan, Ben-Shak, Ben Shalmon, Ben Simeon or Bensimon, Ben-Simhon, Ben-Smeen ou Bensmihen, Ben-Tanarout, Ben-Wais ou Ben-Weiss, Ben-Touito, Ben-Walid ou Benoualid, Ben-Zamila, Ben-Zanzoul, Ben-Zrouela, Ben Ziro, Ben-Zaza, Benabu or Ben Abu, Benarrosh, Benasuli, Benattar, Benchemoul, Benchocroun, Bendahan, Ben-Muyal ou Benmouyal, Bendelaca, Bendemnati, Benguigui, Benhaim, Benhamamo, Benhamu ou Benhamout, Benhazan, Benissa, Benisty, Benitah, Beb-, Benlolo ou Benloulou, Benmenahem, Bensakri, Bensakroun Bensaud, Bensebry, Bensemana, Benshitrit, Bensabat ou Benchabat, Benmelul, Benmamane, Benjaffa, Benjalifa ou Benkalifat, Benlarbi, Benlolo ou Benloulou Bensimhon, Bensmihen, Bensusan or Bensoussan, Ben Tatoui, Benzecri, Benzohar, Berdugo, Bibas, Bicilan, Bitton, Boaziz, Boganim or Bouganim, Bohbot, Bojarkis, Bossira, Boujnah, Brami, Buhhadana ou Bouhadana, Burmar, Buzaglo, Buzo or Boujo, Cabessa, Cadoh ou Cadus, Castel, Castiel, Cazes, Chetrit, Chochana ou Shoshana, Chocron, Cohen, Cohen-Solal, Corcos, Coriat, Crispil, Crispin, Dabda, Dadoon ou Dadon, Dahan, Dajcz, Dakia, Danino, Daoud, Davila or Deavila, Dayan, Debara, De Lara, Delavante, Delmar, Deloya, Derhy,

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156

Dimnanti, Doch, Dook, Dray, Echriqui, Edrey, Edery, Efhima, Elfasy, Elalluf, Elbaz, Elbhar, Elbilia, Elcaim or Elkaim, Elfersi ou Elfarsy, Elgrabli, Elgarisi, Elharrar, Elherisi, Elkabatz, Elkabbas, Ellouk, Elmaleh, Elmallem, Elmaras, Elmoznino ou Mouchnino, Eltaras, Essiminy, Estegassy ou Sterhazi, Ettedgui, Ezerzer, Fadida, Falah, Farache, Fargan, Ferares, Fhima, Friza, Gabay, Ganon, Guedalia, Guedalla, Guenon ou Guenoun, Guigui, Haco, Hadad, Hadida, Halevy, Halfon, Hanona or Hnouna, Haroche, Harrar, Hassor, Hazran, Harros, Hassan, Hasson, Hatchwell, Habib, Hazan, Huerta, Ibghi, Ifergan, Iflah, Ifrah, Israel, Israel, Issan, Isashar, Ittah, jugan, Kadosh, Kakon, Karoche ou, Karouchi, Kidoshim, Keslassy ou Lekaslasy, Kessan, Knafo, Lancry, Lanis ou Lanish, Lazdidi, Lasri Levhar, Levy, Levy-Bencheton, Levy-Bensussan, Levy-Yuly, Loeb, Lok, Look, Lorid, Lorya or Loria, Lousky, Lugassy, Lumbroso, Macnin ou Cohen Macnin, Mahtout, Maimran, Malca, Maman ou Mamane, Margolis, Martachi, Massiah, Mazaltarim, Mechali, Melka, Mellul ou Meloul, Menahem, Merran, Mesan, Messas, Mghira ou Meguira, Mimoun, Mimran, Miran, Miyara ou Meyara, Moryossef, Moushi, Mouati, Mouyal ou Moyal, Nahman, Nahmany, Nahmias, Namoli, Obadia, Ohana, Ohayon, Oiddiz, Oizana ou Wazana, Ossadon, Otmezguin ou Outmzgin, Ouaknin, Outguergoust ou Outgourgouch, Ouzan, Pariente, Parnati, Pennia, Penyer, Perez, Pinto, Porta, Portal, Rama, Razon, Rebboh, Rebibo, Revah, Robas, Rosilio, Ruah ou Rouah, Ryan, Saada, Saadan Saadon, Sabat, Sabbah, Salama, Sananes, Sasportas, Sebag, Seban, Sedgassi, Semaana, Senyor, Sequerra, Serbit, Sererro, Serfaty, Serraf, Serruya, Shriqui ou Achriqui, Sibony, Sicsu, Simantob, Sosana ou Sousana, Soussan, Suisa, Suisia, Sultan, Taieb, Tamsot ou Tamazout, Tapiero, Tarnati, Tedgui, Timstit ou Temset, Toby, Torjman, Touaty, Tsababa, Tsoucri, Tuizer, Waknin, Wahnono ou Oinounou, Wazana, Weezman ou Ouizman, Wizgan, Yuli, Yuli-Levy, Zabaly, Zafrany, Zagury, Zecri, Zamori, Zenno, Zerbiv, Zigdon, Ziri, Zitoun, Zoubib, Zrihen.