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pratique | hématologie 16 OptionBio | Lundi 8 mars 2010 | n° 432 S i le diagnostic de leucémie lymphoïde chro- nique (LLC) ne présente plus aujourd’hui de difficulté majeure, du fait des techniques d’immunophénotypage en cytométrie de flux, le caractère évolutif très variable de cette pathologie rend difficile son approche pronostique. L’enjeu des marqueurs pronostiques est double : mieux différencier les formes graves au moment du diagnostic et ouvrir des pistes de recherche thé- rapeutique, dans la mesure où le seul traitement curatif actuel est l’allogreffe. Pourquoi des marqueurs de pronostic Au moment du diagnostic, les deux tiers des patients sont asymptomatiques (stade A selon la classification de Binet). Or, cette classification basée sur les signes cliniques (voir encadré) ne permet pas de discerner, parmi ces patients dits à faible risque, ceux qui vont évoluer vers les sta- des B et C et qui méritent un traitement. De plus, et de par les informations disponibles sur internet, de nombreux patients en stade A deman- dent actuellement la recherche de facteurs de pronostic afin de savoir s’ils peuvent être traités, et quand. Des facteurs de pronostic sont effec- tivement décrits, ils pourraient également servir de guide thérapeutique en stade B, sachant qu’il n’existe pas de guérison en dehors des allogref- fes. Cependant, leur utilisation doit encore être standardisée, validée tant sur les plans technique que clinique. On a longtemps pensé que la survenue de la LLC était due à un défaut d’apoptose pour des lymphocytes, qui ainsi ne mourraient pas “nor- malement”. En fait l’évolution en LLC est liée à une prolifération en rapport avec l’environnement lymphocytaire (stroma-dépendante) et avec une signalisation BCR (B cell receptor). Facteur pronostique lié à l’environnement lymphocytaire (CD38) Le CD38 est un marqueur des cellules stromales. Les cellules CD38+ ont une fraction proliférative plus marquées et les cellules de LLC expriment plus de CD38. Il paraît donc intéressant d’utiliser ce marqueur de prolifération CD38, mais en tenant compte du fait que son expression va varier lors de l’évolution de la LLC. Facteur pronostique lié à la signalisation BCR (ZAP-70) La tyrosine kinase de la famille ZAP-70 joue un rôle majeur dans la première étape de signali- sation BCR conduisant à l’activation lymphocy- taire B lors d’un contact avec un antigène. Dans le cadre de la LLC, son étude par cytométrie de flux, associée à celle du CD38 et aux mutations somatiques (voir ci-après), permet d’apprécier la capacité de signalisation BCR et le caractère pronostique associé. Il est établi en effet que la capacité de signalisation BCR est de mauvais pronostic s’il y a expression de CD38+, ZAP-70+, et absence de mutations somatiques ; cette signalisation est plus faible, et de meilleure évolution en cas de présence de mutations somatiques et non-expression de CD38– et ZAP70–. Facteur pronostique par l’étude du statut mutationnel des IgVH La mutation gold standard depuis 1999 est la mutation somatique IgVH (gènes de chaînes lour- des d’Ig). En effet, il a été clairement démontré que la présence de mutations induit des différen- ces significatives dans l’évolution des LLC (sur- vie plus grande en cas de gènes IgVH mutés). Cependant, la technique est lourde, nécessite plusieurs semaines et n’est réalisée qu’en labo- ratoire spécialisé. C’est la raison pour laquelle des moyens plus sim- ples ont été recherchés, comme le ZAP-70 qui est un facteur de transcription de voie commune avec les Ig. De plus, indépendamment de sa mutation, ZAP est un facteur pronostique en lui-même et sa recherche est en cours de standardisation au niveau européen. Facteurs pronostiques par l’étude des anomalies cytogénétiques La technique cytogénétique Fish (hybridation in situ fluorescente) est actuellement la technique la plus robuste pour étudier ces anomalies (vali- dation et recommandations internationales). Il est bon toutefois de se rappeler que le caryotype per- met de voir une anomalie, tandis que la technique Fish ne montre que ce que l’on cherche : – les translocations sont rares (14q32) mais de mauvais pronostic, – les pertes les plus fréquentes sont les délétions 6q, 11q, 13q, 17p, – les gains (3q, 8q, 12q). La présence de la délétion 17p– est associée à une durée de vie inférieure à 2 ans ! Un trai- tement particulier doit donc être mis en place beaucoup plus rapidement que pour les autres délétions. De plus, cette délétion 17p– apparaît au cours du temps, il est donc nécessaire d’en refaire régulièrement la recherche (il est à noter que ce gène correspond à la protéine p53, et que le traitement en cas de délétion est basé sur la p53). Marqueurs de prolifération Les marqueurs de prolifération permettent d’ap- précier le temps de doublement de la population lymphocytaire. Un temps de doublement inférieur à 1 an est de mauvais pronostic. Quelle place pour les marqueurs pronostiques de la leucémie lymphoïde chronique en 2010 ? Les marqueurs pronostiques de la leucémie lymphoïde chronique ont une utilité dans le choix de la thérapeutique à proposer au patient, selon le stade de la maladie. Ces marqueurs nécessitent une réalisation en milieu spécialisé le plus souvent. Ils ne sont pas utilisables dans tous les contextes et leur validation récente nécessite une consolidation.

Quelle place pour les marqueurs pronostiques de la leucémie lymphoïde chronique en 2010 ?

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pratique | hématologie

16 OptionBio | Lundi 8 mars 2010 | n° 432

Si le diagnostic de leucémie lymphoïde chro-nique (LLC) ne présente plus aujourd’hui de difficulté majeure, du fait des techniques

d’immunophénotypage en cytométrie de flux, le caractère évolutif très variable de cette pathologie rend difficile son approche pronostique. L’enjeu des marqueurs pronostiques est double : mieux différencier les formes graves au moment du diagnostic et ouvrir des pistes de recherche thé-rapeutique, dans la mesure où le seul traitement curatif actuel est l’allogreffe.

Pourquoi des marqueurs de pronosticAu moment du diagnostic, les deux tiers des patients sont asymptomatiques (stade A selon la classification de Binet). Or, cette classification basée sur les signes cliniques (voir encadré) ne permet pas de discerner, parmi ces patients dits à faible risque, ceux qui vont évoluer vers les sta-des B et C et qui méritent un traitement.De plus, et de par les informations disponibles sur internet, de nombreux patients en stade A deman-dent actuellement la recherche de facteurs de pronostic afin de savoir s’ils peuvent être traités, et quand. Des facteurs de pronostic sont effec-tivement décrits, ils pourraient également servir de guide thérapeutique en stade B, sachant qu’il n’existe pas de guérison en dehors des allogref-fes. Cependant, leur utilisation doit encore être

standardisée, validée tant sur les plans technique que clinique.On a longtemps pensé que la survenue de la LLC était due à un défaut d’apoptose pour des lymphocytes, qui ainsi ne mourraient pas “nor-malement”. En fait l’évolution en LLC est liée à une prolifération en rapport avec l’environnement lymphocytaire (stroma-dépendante) et avec une signalisation BCR (B cell receptor).

Facteur pronostique lié à l’environnement lymphocytaire (CD38)Le CD38 est un marqueur des cellules stromales. Les cellules CD38+ ont une fraction proliférative plus marquées et les cellules de LLC expriment plus de CD38. Il paraît donc intéressant d’utiliser ce marqueur de prolifération CD38, mais en tenant compte du fait que son expression va varier lors de l’évolution de la LLC.

Facteur pronostique lié à la signalisation BCR (ZAP-70)La tyrosine kinase de la famille ZAP-70 joue un rôle majeur dans la première étape de signali-sation BCR conduisant à l’activation lymphocy-taire B lors d’un contact avec un antigène. Dans le cadre de la LLC, son étude par cytométrie de flux, associée à celle du CD38 et aux mutations somatiques (voir ci-après), permet d’apprécier la capacité de signalisation BCR et le caractère pronostique associé.Il est établi en effet que la capacité de signalisation BCR est de mauvais pronostic s’il y a expression de CD38+, ZAP-70+, et absence de mutations somatiques ; cette signalisation est plus faible, et de meilleure évolution en cas de présence de mutations somatiques et non-expression de CD38– et ZAP70–.

Facteur pronostique par l’étude du statut mutationnel des IgVHLa mutation gold standard depuis 1999 est la mutation somatique IgVH (gènes de chaînes lour-des d’Ig). En effet, il a été clairement démontré

que la présence de mutations induit des différen-ces significatives dans l’évolution des LLC (sur-vie plus grande en cas de gènes IgVH mutés). Cependant, la technique est lourde, nécessite plusieurs semaines et n’est réalisée qu’en labo-ratoire spécialisé.C’est la raison pour laquelle des moyens plus sim-ples ont été recherchés, comme le ZAP-70 qui est un facteur de transcription de voie commune avec les Ig. De plus, indépendamment de sa mutation, ZAP est un facteur pronostique en lui-même et sa recherche est en cours de standardisation au niveau européen.

Facteurs pronostiques par l’étude des anomalies cytogénétiquesLa technique cytogénétique Fish (hybridation in situ fluorescente) est actuellement la technique la plus robuste pour étudier ces anomalies (vali-dation et recommandations internationales). Il est bon toutefois de se rappeler que le caryotype per-met de voir une anomalie, tandis que la technique Fish ne montre que ce que l’on cherche :– les translocations sont rares (14q32) mais de mauvais pronostic,– les pertes les plus fréquentes sont les délétions 6q, 11q, 13q, 17p,– les gains (3q, 8q, 12q).La présence de la délétion 17p– est associée à une durée de vie inférieure à 2 ans ! Un trai-tement particulier doit donc être mis en place beaucoup plus rapidement que pour les autres délétions. De plus, cette délétion 17p– apparaît au cours du temps, il est donc nécessaire d’en refaire régulièrement la recherche (il est à noter que ce gène correspond à la protéine p53, et que le traitement en cas de délétion est basé sur la p53).

Marqueurs de proliférationLes marqueurs de prolifération permettent d’ap-précier le temps de doublement de la population lymphocytaire. Un temps de doublement inférieur à 1 an est de mauvais pronostic.

Quelle place pour les marqueurs pronostiques de la leucémie lymphoïde chronique en 2010 ?

Les marqueurs pronostiques de la leucémie lymphoïde chronique ont une utilité dans le choix de la thérapeutique à proposer au patient, selon le stade de la maladie. Ces marqueurs nécessitent une réalisation en milieu spécialisé le plus souvent. Ils ne sont pas utilisables dans tous les contextes et leur validation récente nécessite une consolidation.

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SourceCommunication de V. Leblond, lors des 51es Journées de biologie clinique, Paris, février 2009.

SourceD’après cours de préparation au concours de l’Inter-nat en Pharmacie. Faculté de Pharmacie, Paris V.

Mycologie

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Il existe également des marqueurs sériques tels que des élévations de thymidine kinase ou de CD23 solubles. Le premier est un bon marqueur mais son dosage est radio-immunologique, donc réalisé uniquement en laboratoire spécialisé. Le second est un bon marqueur de prolifération et de masse tumorale, et sa technique est froide (Elisa).

Des consolidations nécessairesLes facteurs pronostiques effectivement utiles en clinique aujourd’hui restent très peu nombreux, et bien souvent, un facteur n’est pas utilisable dans toutes les situations. Il reste encore nécessaire pour chacun des récents marqueurs évoqués de

consolider la validation tant technique que clini-que. Leur éventuelle combinaison doit également faire l’objet d’études.Dans la vie au quotidien, l’attitude du clinicien reste donc fondée sur son bon sens clinique, selon l’âge, les performances du patient, les pathologies associées (score de Matutes supérieur 3) et le temps de doublement de la population lympho-cytaire. En effet, devant un stade A (et hors proto-cole), si les marqueurs de prolifération sont néga-tifs, le plus sage est de ne rien entreprendre.Si le temps de doublement est court et/ou la TK élevée, avant tout traitement, une technique Fish recherchera les délétions 17 et 11, afin notam-

ment de repérer des anomalies responsables d’éventuelles résistances aux chimiothérapies conventionnelles. Une congélation de cellules et acides nucléiques permettra de réaliser des études rétrospectives. La recherche de ZAP-70 est sans intérêt en dehors de protocole thérapeutique.Il existe les recommandations Rubih (Réseau de biologie innovante en hématologie) pour les sta-des B et C avant traitement. Elles comportent des examens obligatoires d’orientation thérapeutique et des examens fortement recommandés dans le cadre d’un traitement à visée curative.

Le traitementLe traitement va de l’abstention à l’allogreffe, en passant par le chlorambucil pour la personne âgée, la fludarabine associée à Endoxan® ou anti-corps monoclonaux anti-CD20 (rituximab). |

ROSE-MARIE LEBLANC

consultant biologiste, Bordeaux (33)

[email protected]

Tableau des éléments de bon ou mauvais pronostic dans le cadre d’une LLC.

Bon pronostic Mauvais pronosticPrésence de mutations somatiques IgVHCD38–ZAP-70–Délétion 13q ou absence d’anomalies cytogénétiques

Absence de mutations somatiques IgVHCD38+ZAP-70+Délétion 11q ou 17p, trisomie 12, ou autres anomalies cytogénétiques rares, ou caryotype complexe

Stade AAbsence de signe de prolifération : temps de doublement lymphocytaire bas, TK basse

Stade B ou CSignes de prolifération cellulaire : temps de doublement court, TK élevée