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DES TIC ET DES TERRITOIRES Quelles conséquences des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur la vie urbaine et la mobilité ? TECHNIQUES, TERRITOIRES ET SOCIÉTÉS n° 37 - 2005 Ministère des Transports, de l’Équipement, du Tourisme et de la Mer Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques et Techniques Centre de Prospective et de Veille Scientifique

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DES TIC ET DES TERRITOIRES

Quelles conséquences des nouvelles technologies

de l’information et de la communicationsur la vie urbaine et la mobilité ?

TECHNIQUES, TERRITOIRES ET SOCIÉTÉSn° 37 - 2005

Ministère des Transports, de l’Équipement, du Tourisme et de la Mer

Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques et TechniquesCentre de Prospective et de Veille Scientifique

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Les dossiers Techniques, Territoires et Sociétés ont pour objet de confronter surun thème déterminé — qu’il s’agisse d’aménagement, d’urbanisme, d’équipe-ment, de transports ou d’environnement — les points de vue des chercheurs ensciences sociales et des praticiens. Ils reprennent des travaux — recherches oucomptes rendus de séminaires — généralement menés dans cette perspectivesous l’égide du Centre de Prospective et de Veille Scientifique.

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Présentation (Jacques Theys, Pascal Bain, Sébastien Maujean et Jérôme Morneau) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Première partie : La fin des distances ?

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Les impacts réels, virtuels et paradoxaux des technologies de l’information et de la communication sur l’espace et les territoires (Olivier Jonas) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Espaces virtuels : la fin du territoire ? (Dr Blaise Galland) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Transport et territoire, télécommunications et territoire : une lecture parallèle (Michel Savy) . . . . . . . . . . . . . . . . 43

L’impact des technologies de l’information et de la communication sur la localisation des activités de recherche et d’innovation : vers la fin des effets de proximité ? (Alain Rallet) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

Le télétravail en perspective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

Mobilité et téléactivités (Marie-Hélène Massot) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77

Telework in the scenarios for the future of work (Patricia Vendramin) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

Deuxième partie : Les transports intelligents, entre promesses et réalité

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95

Développement d’une nouvelle génération de systèmes de transports intelligents (ITS) pour les transports collectifs – le projet Tr@nsITS (Brendan Finn & Jacques Bize) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97

Les formes sociales de l’innovation technologique dans le domaine du Transport Intelligent (Jean-Luc Ygnace, Asad Khattak & Nobuhiro Uno) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

Les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) dans la compétitivité des entreprises françaises de transport et de logistique – (Rapport du Club PREDIT TIC, février 2005) . . . . . . . 123

Troisième partie :« Villes numériques » et développement local :

des infrastructures aux téléservices

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133

Public-Privé : quel partage des rôles (Daniel Kaplan ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135

Téléservices urbains et développement local (Jacques Balme & Olivier Jonas) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145

Figures socio-spatiales de l’appropriation d’Internet (Emmanuel Eveno) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155

L’appropriation d’Internet dans une sociéte sur un territoire :Parthenay comme microcosme (Emmanuel Eveno) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169

Villes numériques – Enjeux et problématiques (Olivier Jonas) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187

SOMMAIRE

Quatrième partie : De nouveaux outils de conception au service de la concertation ?

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207

Systèmes d’information pour la participation des citoyens aux décisions

relatives à l’aménagement du territoire (Robert Laurini) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209

Pratiques de projet et nouvelles technologies liées aux ambiances (Jean-Jacques Terrin & Lamia Tiraoui) . . . . . 221

Physical and virtual space how to deal with their interaction? (Pr Paul Drewe) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229

ICT and urban design, a paradigm challenge (Pr Paul Drewe) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235

Cinquième partie : Espace public et pratiques sociales :vers une démocratie en réseau ?

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243

Lieux publics, téléphone mobile et civilité (Francis Jauréguiberry) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245

Les jeux vidéo en ligne – Enquête sur des espaces de sociabilité virtuelle (Laurent Vonach) . . . . . . . . . . . . . . . . . 255

The Network and the City: Urban Places in Virtual Spaces (Dr Tommi Inkinen) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265

La figure du « cyborg » dans le cyberespace : mythe techniciste ou espaces publics émergents ? (Cynthia Ghorra-Gobin) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273

Cyberespace, participation du public et mobilisations citoyennes (Philippe Blancher) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281

Sixième partie : Quelles orientations de recherche pour le ministère de l’Équipement ?

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311

Impact des nouvelles technologies d’information sur les métiers de l’Équipement (René Mayer) . . . . . . . . . . . . 313

Le territoire et le numérique – Quels impacts des techniques numériquesdans le champ du ministère de l’Équipement, des Transports et du Logement (André-Yves Portnoff) . . . . . . . . . 325

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Coordonné par Jacques Theys, Pascal Bain, Sébastien Maujean et JérômeMorneau, cet ouvrage rassemble des articles qui ont été écrits pour l’essentiel en2000-2001.

Font néanmoins exceptions à cette règle les textes de Marie-Hélène Massot et deRené Mayer, rédigés au milieu des années 90, respectivement en 1995 et 1997, ainsique ceux de Jean-Luc Ygnace, Brendan Finn, Cynthia Ghorra-Gobin, LaurentVonach et Philippe Blancher, qui, eux, sont sensiblement postérieurs (2004-2005).

Ce numéro 37 de TTS n’aurait pu être réalisé sans les concours d’Olivier Jonas,Cynthia Ghorra-Gobin, André-Yves Portnoff et Jean-Pierre Galland. Nous lesremercions de cette collaboration active, ainsi que l’ensemble des auteurs.

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En moins de vingt ans – le premier ordinateur personnel date du milieu des années 80 – lestechnologies de l’information et de la communication ont radicalement transformé nos modes

de vie, nos façons de produire, nos rapports au temps et à l’espace, notre environnement culturel.Internet, le téléphone mobile, les ordinateurs portables, les appareils numériques, les voitures intel-ligentes… se sont progressivement banalisés au point que l’on n’envisage plus aujourd’hui desformes de travail, d’habitat, de loisirs… qui puissent en faire l’économie. Ce sont ces transforma-tions majeures – ou du moins une partie d’entre elles – que ce numéro 37 de « Techniques,Territoires et Sociétés » tente d’analyser ici, en privilégiant deux « angles d’attaque » : la relationaux territoires et le rapport à la démocratie.

La trentaine d’articles qui composent ce document n’ont pas été rassemblés pour la seule cir-constance. Ils reflètent l’investissement de fond qui a été engagé depuis le milieu des années 90 parle Centre de Prospective et de Veille Scientifique sur le thème des technologies de l’information etde la communication.

À l’origine, il s’agissait de proposer des priorités de recherche pour le ministère de l’Équi-pement, des Transports et du Logement – en s’appuyant sur ce que Claude Lamure1, leur initia-teur, avait appelé des « ateliers de prospective technologique ». Peu à peu, ces ateliers ses sonttransformés en séminaires de débats, puis en programmes exploratoires de recherche. Il était envi-sagé de clore ce cycle de travaux par un colloque international – comparable à ce que le Centre deProspective avait organisé à La Rochelle en 1997 sur la prospective des villes2.

L’idée ayant été abandonnée, faute de financements, la décision a été prise de mettre à dis-position les matériaux rassemblés sous la forme de cet ouvrage.

C’est cette longue histoire qui explique que les articles publiés ici soient à cheval sur plusieurspériodes – allant de 1995 à 2005. Dans un domaine où la technique change si rapidement, il pour-ra naturellement paraître absurde au lecteur de trouver certains articles (au demeurant peu nom-breux !) datant de presque une dizaine d’années. Pour notre part, il nous a paru intéressant dejuxtaposer des textes d’époques différentes pour donner une plus grande épaisseur historique audébat actuel sur les technologies de l’information et de la communication, et rendre visible ce qui,dans ce débat, correspond à des « variantes » ou au contraire, à des préoccupations ou des « façonsde voir ».

Le document est structuré autour de six grandes interrogations qui ont comme point com-mun de porter sur l’inscription des technologies de l’information et de la communication dans lesterritoires, le fonctionnement des processus démocratiques et les modes de vie urbains. Très som-mairement, ces six questions peuvent se résumer de la manière suivante :

– L’émergence du virtuel signifie-t-elle la fin des distances et des territoires ?

– Quelles perspectives peut-on tracer pour les véhicules et systèmes de transports intelligents et àquels obstacles se heurte leur diffusion ?

– Dans quelle mesure et à quelles conditions les TIC peuvent-elles contribuer au développementdes territoires, et éventuellement à la réduction des inégalités spatiales ?

– Les nouveaux outils d’aide à la conception et de visualisation peuvent-ils accompagner utile-ment les processus de concertation et de débat public ?

– Les TIC ouvrent-elles réellement des opportunités de constitution de « nouveaux » espacespublics et de construction d’une « démocratie en réseau » ?

– Enfin, quelles priorités de recherche devraient être celles du ministère de l’Équipement dans cechamp des technologies de la communication ?

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1 Alors conseiller scientifique à la DRAST et ancien Directeur général adjoint de l’INRETS.2 Source : « Villes du XXIe siècle », sous la direction de Thérèse Spector et Jacques Theys, Editions du CERTU, 1999.

PRÉSENTATION

Jacques Theys, Pascal Bain, Sébastien Maujean et Jérôme Morneau

La plupart de ces questions correspondent à des préoccupations très pratiques : pourquoi les sys-tèmes intelligents de communication ont-ils tant de difficultés à se diffuser dans le champ du trans-port routier de marchandises, au moins en France ? Quelles stratégies alternatives se dessinent pourl’accès au haut débit des régions faiblement urbanisées et quel bilan tirer des expériences existantes ?Quelles priorités en matière de recherche ou d’innovation ? Comment configurer des outils d’aide àla conception pour qu’ils puissent effectivement servir à la concertation ? Mais elles prennent aussileur sens dans une interrogation plus générale, proche de celle que pose très clairement en 1999Pierre Lévy dans son livre, « L’intelligence collective, pour une anthropologie du cyberespace »3 :en quoi l’espace virtuel du savoir et de la communication que créent les TIC est-il différent, com-plémentaire ou antinomique des autres formes historiques d’espace constituées précédemment : l’es-pace naturel fondé sur le rapport au cosmos, l’espace territorial fondé sur l’appartenance et enfinl’espace des marchandises fondé sur l’insertion dans les flux et les processus économiques.

Pierre Lévy défendait l’idée que le nouvel espace de la communication allait constituer une rup-ture « anthropologique » par rapport aux autres formes d’« appropriation » de l’espace et allait per-mettre, grâce à une meilleure « intelligence collective », un épanouissement simultané des identitésindividuelles et du lien social ou démocratique. La vision qui se dégage à la lecture des articles sui-vants, est moins radicale et sans doute plus modérée et contrastée. L’accès au haut débit ouvre sansdoute de nouvelles opportunités de développement pour les communes rurales mais il renforce globa-lement la polarisation spatiale et les dynamiques de métropolisation. Le télétravail ne réduit pas lamobilité mais s’y « hybride » (bureaux « mobiles », phénomènes de double résidence…). Les tech-niques virtuelles – vidéoconférences, communications par Internet, systèmes de positionnement, télé-phone mobile… – ne se substituent pas aux déplacements mais les réorganisent. On est moins dansune dynamique de substitution que de complémentarité entre les différentes formes de structurationde l’espace.

Finalement, ce qui apparaît avec le plus de clarté tout au long de cet ouvrage, c’est la diffé-renciation très forte entre trois logiques d’appropriation des technologies de l’information et dela communication.

D’abord une logique très forte d’appropriation individuelle, extrêmement dynamique, portéepar les services à la personne, les loisirs, la communication interpersonnelle, les réseaux d’apparte-nance, la réactivité aux grands évènements… Comme le montrent Cynthia Ghorra-Gobin et LaurentVonach, cette autre construction des réseaux de communication, si elle favorise de nouvelles formes desociabilité, ne conduit pas spontanément à la constitution de nouveaux espaces publics.

Ensuite, une deuxième logique de réorganisation des formes de travail, dans laquelle les rela-tions de confiance entre employés et employeurs jouent un rôle central. Il est pour l’instant difficile desavoir si cette logique de restructuration évoluera vers un taylorisme poussé à l’extrême ou vers lesformes réellement décentralisées d’« intelligence collective » que Pierre Levy appelait de ses vœux en1994.

Enfin, une troisième logique, ni individuelle, ni collective, où l’enjeu est d’utiliser le potentieldes technologies de l’information et de la communication au profit de finalités collectives – la sécu-rité, l’administration des territoires, l’amélioration de la circulation, la gestion des crises, la parti-cipation à la vie démocratique… Beaucoup plus fragile et hésitante, cette troisième logique doitsurmonter de multiples obstacles : difficultés à trouver un « modèle économique » adapté et viableà long terme, offre de services à valeur ajoutée insuffisante, manque d’adhésion individuelle…

Dans ce domaine, comme le montre bien l’article de Jean-Luc Ygnace, le développement destechnologies de l’information et de la communication ne peut être finalement dissocié des poli-tiques publiques qu’elles accompagnent. On retrouve l’idée de complémentarité déjà évoquéeprécédemment.

Ce triptyque nous a semblé suffisamment important pour servir de trame à un exercice descénario sur la « cité interactive »4 qui viendra prochainement s’ajouter aux travaux présentésdans cet ouvrage. Le débat ouvert ici aura donc probablement une suite…

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3 Livre publié aux Éditions de la Découverte dans la collection « Science et Société ».4 Pour reprendre le titre d’une recherche publiée en 1997 aux Éditions l’Harmattan par Olivier Jonas et réalisée dans le

cadre du programme du CPVS.

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Première partie

LA FIN DES DISTANCES ?

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S’appuyant sur le formidable potentiel des technologies de l’information et de la communica-tion (TIC) en matière de communication à distance entre les individus, de mise en réseau

des groupes sociaux, des entreprises, des organisations, la relation entre les TIC et l’espace géo-graphique a le plus souvent été abordée, depuis plus de trente ans, sous l’angle des effets structu-rants et de la recomposition du territoire : l’abolition de la distance spatiale favoriserait ladélocalisation d’activités industrielles, et la substitution au déplacement physique conduirait àune forte réduction de la mobilité individuelle, les flux virtuels remplaçant les flux physiques despersonnes et de certaines marchandises. Ainsi prévoyait-on que le développement des téléserviceset des télé-activités, du télétravail, du télé-enseignement, de la télémédecine, aurait des effetsdirects et massifs sur la localisation des activités et des personnes : télépendulaire, travail à la cam-pagne et délocalisation massive d’activités.

Force est de constater aujourd’hui que les télécommunications, et plus largement les TIC,accompagnent la métropolisation de notre territoire plus qu’elles ne la freinent. Le territoire s’ur-banise, les activités économiques suivent un processus constant de polarisation spatiale quiconduit, dans une logique de marché, à la concentration des réseaux de télécommunication et descentres d’hébergement télécoms et Internet (datacenters) sur les zones denses, les plus rentables ;elles attirent les laboratoires de recherche, les pôles de formation supérieure et la main d’œuvrequalifiée. Les TIC paraissent davantage renforcer les différentiels existants que les réduire. Plusque d’effets structurants, il faudrait plutôt parler d’interrelations entre les TIC et les évolutions duterritoire, de la forme urbaine, des temporalités sociales.

La recherche scientifique montre en particulier que deux visions angéliques sont à écarter :l’idée d’une homogénéisation spatiale grâce à la desserte indifférenciée du territoire par lesréseaux de télécommunication, notamment le satellite ou la Boucle locale radio qui effaceraientles disparités territoriales, et l’idée que l’implantation des entreprises dépendrait du seul facteurde connectivité aux réseaux de télécommunication. L’installation d’un réseau à haut débit nepourra pas neutraliser, d’un coup de baguette magique, les contraintes spatiales et les caractéris-tiques géographiques, culturelles, sociales, économiques d’un territoire.

Cette première partie, consacrée aux relations entre TIC et territoire(s), commence par dres-ser, dans « Impacts des TIC sur le territoire », synthèse d’un rapport de recherche sur les« Impacts spatiaux des technologies de l’information et de communication » réalisé en 2000pour le Centre de Prospective et de Veille Scientifique de la Direction de la Recherche et desAffaires Scientifiques et Techniques du ministère de l’Équipement, un panorama des recherchesen France et à l’étranger sur ces sujets.

Après ce tour d’horizon, Blaise Galland s’intéresse aux relations entre territoires virtuels etterritoire réels et conteste, dans l’article « Espaces virtuels : la fin du territoire ? », une visionmanichéenne des TIC, celle de la croissance d’une sphère d’information à l’échelle planétaire,structurée par les réseaux de télécommunication, que certains appellent le cyberespace, et qui s’op-poserait, voire concurrencerait le territoire physique.

Cette idée d’un ancrage territorial structurant des TIC se retrouve dans « Transports et ter-ritoire, télécommunications et territoire : une lecture parallèle » où Michel Savy compare leseffets des infrastructures de transports sur la localisation des activités économiques et les effets destechnologies de l’information et de communication. En se développant, les transports ont cesséd’être un facteur de localisation des entreprises ; ils participent aujourd’hui au fonctionnementspatial du système productif en facilitant les échanges entre différentes zones : alors que la tendan-ce est à l’homogénéisation du territoire en matière d’accès aux technologies de l’information et decommunication et que le marché est plus porté par la demande des entreprises que par l’offre desopérateurs, les nouvelles technologies contribuent à la concentration des activités et à la pola-risation de l’espace.

Des Tic et des territoires, TTS n° 37, 2005

Introduction

Cette hypothèse est examinée dans le contexte des activités de recherche et d’innovation parAlain Rallet qui expose les résultats d’une étude comparative menée sur plusieurs projets derecherche et de développement industriel. L’article souligne l’importance croissante de la coordi-nation à distance mais ne conclut pas pour autant au desserrement géographique des activitésd’innovation.

Viennent ensuite des articles qui analysent les impacts potentiels des téléactivités sur la struc-turation de l’espace. Les deux premiers documents dressent des états des lieux du télétravail enFrance et en Europe. Le premier s’appuie sur une enquête de la DARES menée en 2003 à lademande du Forum des droits sur l’internet. Ce travail décrit les caractéristiques des populationsconcernées et met en évidence trois formes contrastées de télétravailleurs. Le deuxième articletranscrit les principaux résultats de l’enquête EMERGENCE qui visait à évaluer le nombre detélétravailleurs dans l’Union européenne en 2001 et à estimer son évolution à l’horizon 2010. Lestextes suivants s’inscrivent dans le cadre du projet européen eGap qui a l’ambition d’étudier lespratiques du télétravail dans les petites et moyennes entreprises de différents pays européens ; lepremier document compare les opinions et les doctrines à l’œuvre dans cinq régions européenneset identifie les bonnes pratiques et les obstacles majeurs (tradition industrielle, défaut d’informa-tion sur les bénéfices économiques, risques d’isolement, manque de confiance, conservatisme, …)au développement du télétravail. Le second article tiré de ce projet présente les promesses, les pra-tiques et les problèmes du télétravail. Au-delà des difficultés à circonscrire les contours et les formesqu’adopte le télétravail, les auteurs insistent sur les préoccupations et les enjeux pour les entre-prises et le décalage entre ses promesses et son développement actuel. Dans l’article « Mobilité ettéléactivités », loin des phantasmes des années 1970-1980 de substitution massive des télécom-munications aux transports de personnes (télépendulaire et téléactivités), Marie-Hélène Massotprône une approche quadrangulaire de la relation entre la mobilité et les TIC, substitution –induction – complémentarité – modification des modèles. Le télétravail est abordé enfin, demanière plus large, dans l’article de Patricia Vendramin et Gérard Valenduc « Telework in thescenarios of the future of work » qui inscrit la problématique du développement tardif, maisaujourd’hui rapide et inexorable, du télétravail dans un contexte plus général de dématérialisa-tion de l’économie et de flexibilité accrue dans le fonctionnement des entreprises et dans la ges-tion des ressources humaines.

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L’impact des technologies de l’information etde communication sur l’espace et sur les territoiresest depuis plus d’une trentaine d’années un thèmede recherche et de prospective, qu’il soit perçucomme la structuration de l’espace géogra-phique, soit par le déploiement des réseaux detélécommunication, avec une approche d’aména-gement du territoire, soit par le développement destéléservices et télé-activités, du télétravail, du télé-enseignement ou de la télésanté, pouvant avoir deseffets sur la localisation des activités ou despersonnes.

Abordé dans un premier temps sous l’angle deseffets structurants, puis par une approche plusnuancée du rapport entre transports et télécommu-nications au sein d’une même relation globale decommunication, le rapport entre l’espace et lestechnologies de l’information et de communicationparaît cependant aujourd’hui beaucoup pluscomplexe que les premières visions fantasmatiques(rapport Nora-Minc) pouvaient le laisser supposer :abolition de la distance spatiale permettant la déloca-lisation d’activités, phénomène de substitution audéplacement physique conduisant à une forteréduction de la mobilité individuelle, les flux virtuelsremplaçant les flux physiques de personnes et decertaines marchandises, et enfin recomposition duterritoire avec ici deux mythes, celui de la transpa-rence spatiale des télécommunications qui, à ladifférence des infrastructures de transports(autoroutes, TGV, aéroports), n’ont pas d’impactvisible sur le paysage, et celui de la neutralité spatialeavec l’accessibilité, en tout point de l’espace, auxmêmes services d’information et de communication.

Les impacts des technologies de l’informationet de communication sur l’espace sont tous à la foisbien réels, même s’ils semblent difficiles à apprécier,virtuels (« virtuel » étant pris ici dans son acceptionpremière de « potentiel »), et aussi paradoxaux,lorsqu’ils semblent s’opposer aux objectifs desaménageurs du territoire et des politiques locales.

L’analyse des impacts spatiaux des technologiesse heurte à l’inertie des territoires construits, àl’évolution des formes urbaines qui s’inscrit sur lelong terme, à la transformation des usages sociauxbien plus lente que le rythme de l’innovationtechnologique, au manque de données et de recul. Laplupart des travaux sur ces sujets se basent sur latransposition de modèles anciens connus, commecelui du télégraphe, du téléphone filaire, voire celui

des transports. Il semble cependant que ces modèlesne soient pas vraiment pertinents : d’une part, ledéveloppement des technologies de l’information etde communication est caractérisé par une accélé-ration sans précédent, illustrée notamment par ledéploiement exponentiel d’Internet et la diffusionrapide et inattendue du téléphone mobile ; d’autrepart, ces infrastructures de communication, qu’ils’agisse du téléphone filaire autrefois ou destransports ferroviaires encore aujourd’hui, sontdéployées par les États, à l’échelle nationale, dansune perspective d’aménagement du territoire,d’équité spatiale et de service public, alors que lesréseaux et les services de l’information et decommunication, si l’on excepte certaines infrastruc-tures comme Renater en France (Réseau nationalpour la recherche et l’enseignement) ou le service detéléphonie commutée (service universel assuré parFrance Télécom), sont déployés sur les territoires pardes opérateurs de télécommunication privés, surcertaines zones déterminées par leurs stratégiesd’entreprises, dans un contexte de marché concur-rentiel. De même le développement des technologiesde l’information et de communication, matérielsinformatiques, logiciels, services multimédias, suitune logique commerciale, avec des stratégiestransnationales, voire mondiales, portées par desgrands groupes privés dans un processus de concen-tration industrielle qui s’accélère (MCI-Worldcom,AOL-Time Warner, Manesmann-Vodaphone).

Les impacts virtuels des technologies de l’infor-mation et de communication sur l’espace sont ceuxportés par leur formidable potentiel en matière decommunication à distance entre les individus, etaussi de mise en réseau des groupes sociaux, desentreprises, des organisations territoriales, avec unesynergie potentielle des ressources, des savoir-faire,des connaissances, et la mise en œuvre d’unprocessus d’intelligence collective (voir ici PierreLevy, L’intelligence collective ; pour une anthropologiedu cyberespace, 1995).

La possibilité offerte par les technologies decommunication de se déplacer virtuellement,d’échapper aux contraintes de distance et de temps,d’être ici et en même temps ailleurs, cette fonctiond’ubiquité, qui remet en cause les relations deconnexité et de proximité sur lesquelles sontconstruits les territoires, n’a cependant pas encoreproduit les effets spatiaux escomptés, qu’il s’agisse dudéveloppement massif du télétravail pour désen-gorger les centres urbains et supprimer en partie les

LES IMPACTS RÉELS, VIRTUELS ET PARADOXAUX DES TECHNOLOGIESDE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION SUR L’ESPACE

ET LES TERRITOIRES

Olivier JONASTECDEV (www.tecdev.fr)

mouvements pendulaires domicile-travail, ou de ladélocalisation d’activités en zone rurale pour rééqui-librer les territoires régionaux et contrebalancer unprocessus inexorable d’urbanisation. Mais laprospective sur les effets spatiaux des nouvellestechnologies est difficile : les techniques et lesapplications sont loin d’être stabilisées et surtout leurdiffusion se fait dans un processus de croisement ité-ratif entre l’offre technologique et les usages sociaux,avec souvent des développements inattendus. Ainsi,alors que les industriels de l’informatique et des télé-communications misaient sur la visiophonie pourdynamiser la vente d’ordinateurs et de terminaux quis’essoufflait, c’est finalement le développementinattendu d’Internet, en moins de dix ans, qui aconduit au renouvellement du parc informatique. Demême, on voit aujourd’hui la diffusion rapide desterminaux portables de type PDA (personal digitalassistant), alors que la demande n’existait pas il y aencore deux ans ; quel usage sera-t-il fait de cesnouveaux terminaux mobiles (croisés sans doute àterme avec les terminaux téléphoniques), quelsservices seront développés ? On pressent bien sûr unimpact sur la façon de vivre la ville, sur l’accès auxinformations pratiques et culturelles, sur le repérage,sur le transport, sur le commerce électronique.

Les impacts spatiaux des technologies de l’infor-mation et de communication peuvent aussi paraîtreparadoxaux, lorsqu’ils s’éloignent des objectifs desaménageurs du territoire ou des responsables del’aménagement urbain. Ainsi par exemple, ledéveloppement des télé-activités qui visait à unrééquilibrage du territoire national par l’implan-tation d’entreprises de téléservices en zone rurale etqui, la contrainte de distance étant abolie, se placefinalement en concurrence de pôles de téléservicesétablis dans les pays à main d’œuvre bon marché. Demême pour les activités de type back-office, lesentreprises, dans une logique de productivité, setrouvent confrontées à un choix économique entre ledéplacement de certaines de leurs activités pourdiminuer leurs charges d’exploitation (coût del’immobilier, charges salariales), ou bien l’externali-sation de ces activités sur d’autres pays (risque dedéveloppement offshore évalué dans Les téléservices enFrance : quels marchés pour les autoroutes de l’infor-mation ? – T. Breton, 1994). Dans un autre ordred’idées, on cite également plus loin l’exemple duRoyaume-Uni où le développement du télétravail,qui favorise une certaine « rurbanisation », paraîts’opposer aux politiques publiques de « redensifi-cation » des centres urbains. Enfin, un autre effetcontradictoire des technologies de l’information et decommunication serait qu’en se diffusant et en sebanalisant, elles valoriseraient tout ce qui n’est pascommunicable et notamment les relations socialesde proximité.

C’est donc ici l’effet paradoxal des technologiesde l’information et de communication sur l’espace :elles permettent d’établir des relations distantes entre

les individus et entre les entreprises, annihilant lescontraintes géographiques (réseau mondial) et lescontraintes temporelles (instantanéité des échanges),mais elles valoriseraient finalement l’environnementlocal. Elles permettent également la communicationà moindre coût entre les personnes, se substituantaux moyens de communication physiques, mais aufinal elles participeraient plutôt à un accroissementde la mobilité individuelle. Elles peuvent aussi semettre au service de la lutte contre l’exclusion sociale,mais leur déploiement tendrait à aggraver certainsmécanismes inégalitaires. Enfin elles peuventfavoriser l’éclatement géographique des activités et del’habitat, mais en fait elles accompagneraient etmême conforteraient un processus général demétropolisation, de concentration des activités et depolarisation de l’espace.

Les effets spatiaux des technologies de l’infor-mation et de communication ne seraient donc pastoujours ceux attendus, et la projection dans cesdomaines doit écarter certains présupposés sur unimpact automatique, un effet structurant indépen-dant des contextes sociaux, économiques etgéographiques des territoires. Elle doit égalementrompre avec la vision angélique d’une homogénéitéspatiale garantie par les nouvelles technologies,effaçant les disparités territoriales. C’est cette nouvelleorientation que décrit notamment Henri Bakis, dansTélécommunications et territoires : un déplacement dela problématique (in Stratégies de communication etterritoires – P. Musso ; A. Rallet, 1995). Les élémentspour une nouvelle problématique de la relation entreles télécommunications et les territoires seraient ainsi :l’accentuation de la différenciation entre espaces, lerôle des politiques publiques, l’apparition d’unegéographie de l’instantané (l’espace géographiquedevenant de plus en plus un espace des flux alors qu’ilétait perçu comme un espace des lieux), la fluiditéspatio-temporelle du travail avec la diffusion dutravail nomade, le télétravail et la délocalisation versles pays à main d’œuvre bon marché, l’inégalité desterritoires face au déploiement des réseaux detélécommunication (inégalités en termes d’infrastruc-tures, de services et de logiciels, de standardisation etde réglementation, de financement des grandesinfrastructures).

Plus que d’« impacts spatiaux » des techno-logies, terminologie qui sous-tend un effetmécanique sur l’espace, il s’agit d’étudier les interre-lations complexes entre le développement d’offrestechnologiques et le contexte social, culturel,économique, politique, géographique des territoires,cette dynamique s’inscrivant dans un processusd’évolution des organisations, des institutions et despratiques sociales, et dans une mutation du fonction-nement des entreprises qui induit une nouvelleorganisation de la production et de l’espace, pro-cessus évidemment beaucoup plus lent et inertiel quel’innovation technique.

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Il faut rappeler aussi que les technologies del’information et de communication sont pardéfinition plurielles, alors que certains travaux derecherche semblent, sans doute par commodité, lesconsidérer comme une seule entité technique etsouvent les amalgamer aux seuls réseaux de télécom-munication. Or ces technologies sont très diverses etportent des effets potentiels qui sont souventsectoriels ; citons la visioconférence sur l’ensei-gnement, la réalité virtuelle sur les loisirs et la culture,les technologies mobiles sur le travail, la numéri-sation automatique d’objets tridimensionnels sur lecommerce électronique, la mise en réseau desressources sur la formation, etc. On a noté par ailleursune position relativement consensuelle dans larecherche française sur ces sujets, notamment dansles travaux portant sur la localisation des activités,considérant que les technologies de communicationse banalisant, elles sont accessibles aujourd’hui demanière uniforme, n’apportant pas d’avantagesconcurrentiels à certaines zones territoriales. Leraisonnement ne paraît pas prendre en compte ni ladiversité spatiale des offres et des modalités d’accèsaux services de télécommunication en France (autresque la téléphonie filaire) née du désengagement del’État et de l’ouverture du marché (LRT de 1996), nil’action engagée par certaines collectivités locales,villes ou régions, qui cherchent à valoriser leurterritoire en installant elles-mêmes des infrastruc-tures (réseaux métropolitains, réseaux régionauxhauts débits, cybercentres). L’incidence des techno-logies sur les territoires n’est d’ailleurs pas seulementliée à l’offre technologique ou à la présence de réseauxde télécommunication mais aussi, c’est un facteuressentiel, aux coûts et aux modes d’accès à cesservices, on y reviendra dans le volet Géographie destélécommunications.

Enfin, il faut se demander si les effets sur lemonde physique des technologies de l’information etde communication, tout autant que spatiaux, neporteraient pas sur les temporalités. Alors que l’on meten avant l’aspect « déterritorialisant » des nouvellestechnologies, opposant la contraction des distancespermise par les télécommunications aux intervallesdes transports physiques et aux contraintes géogra-phiques, de nombreux auteurs se sont interrogés sur ladésynchronisation temporelle entre le cyberespace,territoire construit autour des réseaux d’informationet de communication, et les territoires physiques ; c’estune opposition entre le temps des bits et le temps desatomes (W.J. Mitchell), le temps mondial instantanéet le temps local, un risque de bouleversement desrapports de l’homme avec son environnement (P.Virilio), deux dimensions temporelles complémen-taires (J. de Rosnay), ou encore, grâce à sesapplications asynchrones (e-mail notamment), laréponse aux nouvelles problématiques des tempora-lités urbaines (F. Asher).

Les effets spatio-temporels des technologies del’information et de communication sont donc

complexes et variés, on proposera ici un découpageen sept champs d’étude pour présenter les travaux derecherche sur ces sujets : l’aménagement du territoire,la localisation des activités, la forme urbaine et lespolitiques locales, la mobilité et le rapport transports-télécommunications, les modes de vie etl’organisation du travail, la géographie des télécom-munications et le cyberespace, et enfin les utopies etl’anticipation. Ces champs ne sont bien sûr pascloisonnés et certains travaux sont transversaux.

Les impacts sur l’habitat, la localisation résiden-tielle qui est un des aspects, mais surtout les effets dela diffusion des technologies de l’information et decommunication sur les espaces d’habitation, ne sontpas traités ici, faute d’avoir vraiment pu identifierun courant de recherche sur le sujet ; il sera abordédans les pistes de recherche conclusives.

Aménagement du territoireDans un ouvrage collectif très transversal,

Stratégies de communication et territoires (IRIS-TS etgroupe de prospective DATAR Technologies de l’infor-mation et de communication et Aménagement duterritoire), Pierre Musso expose dans un article intitulé« Les autoroutes de l’information, mythes et réalités »,les multiples facettes du concept d’autoroutes del’information. Né aux États-Unis (projet NationalInformation Infrastructure), ce concept recouvre toutautant le déploiement de réseaux dorsaux de télécom-munication à haut débit (bakbones) – qui répondentbien à la problématique de couverture géographiqued’un vaste pays –, que la mise en œuvre d’un processusde dérégulation et de convergence des industries ducinéma, de l’audiovisuel, de l’informatique et destélécommunications, ou la mobilisation des acteurséconomiques pour l’établissement d’un nouvel ordreéconomique mondial.

Centrant son argumentation sur les évolutionsde l’audiovisuel, P. Musso voit un double processus,celui de la concentration industrielle et de la globali-sation et en même temps une individualisation del’offre et de la demande. Les réseaux, devenant denouvelles places de marchés électroniques à l’échellemondiale, support de développement des grandsgroupes industriels (surtout américains), réinvententle territoire, brisant l’espace par le temps et les coûts.

Transposé au contexte français, le conceptd’autoroutes de l’information a relancé à l’époque(1995) le débat stérile du contenant et du contenu :fallait-il déployer, dans une démarche colbertiste,des infrastructures à haut débit rayonnant à partirde Paris sur l’ensemble du territoire national oubien, au contraire, attendre que l’offre et la demandeen matière de services à haut débit se matérialisentpour réaliser des travaux d’infrastructure ; c’étaitl’avis de France Télécom – qui a prévalu – proche à

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Les impacts réels, virtuels et paradoxaux des technologies de l’information et de la communication sur l’espace et les territoires

l’époque de sa semi privatisation, dans un contextede dérégulation, qui ne souhait évidemment pass’engager dans des travaux d’ampleur nationale.

Dans ce nouveau contexte français, et plusgénéralement européen, d’après-monopole, l’Étatayant perdu son principal levier « télécommuni-cation » pour assurer l’aménagement du territoirenational (il lui reste cependant les organismes derégulation, l’ART, l’ANF, le CSA), ce rôle de planifi-cation et de régulation devient l’apanage descollectivités territoriales, régions, départements, villeset structures intercommunales. Ces collectivitéspeuvent-elle, dans le cadre de leurs projets dedéveloppement territorial et de leurs compétencesdéfinies par les lois de décentralisation, infléchir ledéploiement des réseaux et des services qui obéissentprincipalement à une économie de marché et sontrégis, comme l’indiquait P. Musso, par les grandsgroupes industriels ?

Dès les années 70, nous rappellent Jean-MarcOffner et Denise Pumain dans l’ouvrage Réseaux etterritoires : significations croisées (GDR Réseaux duCNRS – 1996), les travaux prospectifs présentaient lestélécommunications comme la réponse aux problé-matiques urbaines de l’époque : crise de la ville etcongestion du trafic. Les télécommunications étaientperçues comme des outils permettant l’indifféren-ciation spatiale, grâce aux téléservices, à la substitutionaux transports, à la délocalisation des activités de laville vers les zones rurales. A posteriori, les effetsspatiaux escomptés ne semblent cependant pas s’êtreproduits, l’innovation technologique étant confrontéeaux appropriations sociales, quelquefois inattendues.La technologie, qui intervient ponctuellement dans uncircuit relationnel science-technologie-industrie-société, n’a donc qu’un effet limité sur les évolutions dela société et ce faisant sur le territoire, qui est vu icicomme une construction sociale élaborée à partir del’espace physique.

On voit que tempérant la vision de réseaux et deservices d’information et de communication gou-vernés par les grands groupes industriels, apparaîtl’idée d’un réajustement continu entre une logiqued’offre technologique concurrentielle et l’appro-priation et la demande des usagers, particuliers ouentreprises. Ainsi, les technologies permettant dedévelopper le télétravail existaient depuis plus d’unevingtaine d’années (bien que la disponibilité detechniques plus souples et moins coûteuses soitfinalement très récente : terminaux mobiles, ordina-teurs portables, Internet, RNIS), mais le nombre detélétravailleurs n’a pas crû de manière spectaculairecomme on aurait pu s’y attendre. De même lestechnologies de transmission de données interentre-prises (Transpac, VSAT, ATM) n’ont finalement pasaccentué la délocalisation d’activités en zone rurale.

La dynamique du déploiement des technologiesde l’information et de communication ne saurait

cependant être réduite au dipôle, offre technologique– appropriation sociale, une troisième composanteessentielle est celle des politiques publiques quipeuvent, dans une logique d’aménagement et deplanification, compenser ou au contraire confortercertaines caractéristiques spatiales de leur territoire.

L’aménagement des territoires en réseaux etservices de communication et d’information répondà plusieurs objectifs : le positionnement d’unecollectivité territoriale (nation, région, ville) face àses voisins et concurrents, le rééquilibrage et laredistribution des ressources et l’égalité d’accès auxservices publics. Ces problématiques, quoi qu’enpensent certains auteurs (voir plus loin le chapitresur la localisation des activités), sont toujoursd’actualité comme le souligne le récent rapport dusénateur Henri Attilio, Assurer l’égalité des territoiresdans l’accès aux technologies de l’information et decommunication pour les zones fragiles (Rapport auPremier Ministre, 1998), ou encore le Pré-rapport augouvernement sur l’état des disparités territoriales faceau développement de la société de l’information(DATAR/IDATE, 1999).

Dans les travaux réalisés par les étudiants del’ENST Bretagne et par le Laboratoire ICI, synthétisésdans le rapport Les télécommunications et l’aména-gement du territoire (1998), il apparaît que lestechnologies de l’information et de communicationsont des outils pouvant s’intégrer aux politiquesd’aménagement du territoire, mais pouvant éga-lement être un facteur d’accroissement des inégalitésentre régions riches et pauvres. Les principauxchamps d’action des collectivités sont la télémédecine(à noter ici une forte carence en matière d’évaluationdes impacts socio-spatiaux des services de télémé-decine), la mise en réseau des établissements scolaireset le désenclavement de certaines zones pour l’accèsaux technologies de la société de l’information(concernant 25 % du territoire) avec des actions deformation de la population. En matière de dévelop-pement économique, les moyens pouvant être mis enœuvre par les collectivités locales (enquête auprèsd’une vingtaine de communes) vont de la régulation àl’exploitation directe de réseaux et de services detélécommunication, en passant par l’établissement destructures passives louées ensuite à des opérateurs. Àl’échelle locale, les technopoles constituent égalementdepuis les années 80 des outils de développementessentiels avec des dynamiques diverses allant de lavalorisation de compétences existantes à la concen-tration d’entreprises high tech, qui pourraients’implanter en réseau sur le territoire mais quipréfèrent se regrouper pour faciliter les échangesinterentreprises (voir à ce sujet l’article d’A. Ralletrapporté dans le volet Localisation des activités).

L’échelle régionale, on l’a souligné, est donc unedimension majeure en matière de positionnement etde rééquilibrage territorial. Le Document de cadragerelatif au schéma de services collectifs de l’information

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et de la communication (1999) réalisé par la DATARs’inscrit dans le cadre de la Loi d’orientation pourl’aménagement et le développement durable desterritoires (Loi Voynet) et des contrats de Plan État-Région 2000-2006. L’objectif est de fixer lesorientations des politiques régionales en matière detechnologies de l’information et de communicationau travers de scénarios prospectifs. Plusieurs axes dedéveloppement sont identifiés : la santé avec ledéploiement de réseaux spécialisés (télé-expertise,télédiagnostic, réseaux de soins de proximité,information des malades), et de bases d’informationet d’outils de formation à distance ; l’éducation avecla mise en place d’équipements structurants et decentres de ressources pour le télé-enseignement ; laculture (numérisation des fonds) ; la modernisationdes services administratifs. On proposera d’ailleurs enconclusion le champ de la relation entre les nouvellestechnologies et le développement territorial desrégions comme un axe de recherche majeur.

L’autre échelle territoriale pour le dévelop-pement des technologies de l’information et decommunication dans une logique d’aménagementdes territoires est celle de la ville. Les planificationsurbaines s’inscrivent dans une logique de rééquili-brage face à la dynamique identifiée plus haut : offretechnologique – demandes sociales et économiques.

L’offre en matière de services de télécommuni-cation et d’accès à Internet à haut débit n’est pasuniforme sur le territoire français : elle est réaliséepar les opérateurs entrants sur le marché françaisqui, n’étant pas tenus au service universel, ontévidemment choisi leurs zones d’implantation enfonction des marchés potentiels, ou alors elles’appuie sur des boucles locales déjà déployées surcertains territoires, comme les réseaux câblésmultiservices qui desservent en général des zones trèsurbanisées. Ainsi, dans le domaine des services detélécommunications aux entreprises, les opérateursde boucles locales (MCI-Worlcom, Belgacom,Completel) se sont évidemment d’abord implantéssur les zones présentant pour eux un fort marchépotentiel, au centre des principales villes et sur deszones d’activités périphériques, ceci renforçant leprocessus général de polarisation de l’espace, maispouvant créer également de forts déséquilibres àl’échelle métropolitaine. A noter d’ailleurs que lesfutures boucles locales radio, qui vont permettre àces opérateurs de distribuer des services sans établird’infrastructure filaire, vont certainement changer lepaysage des télécommunications à l’échelle urbaine.

Dans l’ouvrage Collectivités locales et télécommu-nications : nouveaux services, nouveaux réseaux (O.Jonas – Certu, 1998), il est exposé les différentesstratégies pour les collectivités locales en matière detechnologies de l’information et de communication :stratégies passant notamment par la promotion de lacolocalisation des réseaux de télécommunicationdans les infrastructures urbaines (métro, tramway,

réseau d’assainissement, réseau routier), par ledéploiement de réseaux de télécommunicationmétropolitains, réseaux interconnectant un grouped’acteurs publics et para publics ou bien infrastruc-tures passives (fibres « noires »), louées à desopérateurs, ou encore par la création d’une plate-forme coopérative de services d’intérêt général avecdes acteurs socio-économiques locaux.

Il existe très peu d’études pertinentes sur lesimpacts sociaux, économiques et spatiaux dudéploiement de réseaux métropolitains ou de plates-formes de services sur les collectivités localesfrançaises (voir ici l’évaluation de l’expérience deParthenay par le CIEU et également le rapportL’impact social de l’utilisation d’un intranet urbain :études comparatives de deux villes numériséeseuropéennes, Amsterdam et Parthenay. I. Mellis –Amsterdam Comparative for European Studies,1998). Les projets de déploiement de réseauxmétropolitains sont en majorité dans une phase dedémarrage pour avoir été freinés par la réglementationfrançaise en matière de service public, plus restrictiveen la matière que la réglementation européenne (voirentre autres le Grand Nancy, ou le Sipperec et lescommunes de la banlieue nord de Paris). Le champd’étude sur les impacts sociaux et les effets sur la formeurbaine des technologies de l’information et decommunication paraît cependant très riche et a étéretenu en conclusion dans les propositions d’axes derecherche.

On conclura ce volet par une vision prospectivede l’aménagement du territoire, Next CenturyScenario de l’organisme Prospective 2100 (2100.org).Cette vision, réalisée par des scientifiques de toutesdisciplines – qui poursuit un travail de prospectiveréalisé sous la direction de Thierry Gaudin (2100,récit du prochain siècle, 1990) – esquisse les futuresgrandes tendances de notre société en ce quiconcerne la population, la santé, l’urbanisation, lestransports, l’environnement, le commerce, lestechnologies de communication, etc. On rassureradonc les chercheurs des années 1970-1980 quiavaient surévalué les impacts spatiaux des techno-logies de communication ou qui s’étaient trompéssur leurs effets « déterritorialisants » : si la période1980-2020 est bien caractérisée par la formation demégalopoles et l’urbanisation massive de lapopulation (assortie de bidonvilles dans les pays envoie de développement), la période suivante 2020-2060 voit le début d’un processus de délocalisation,la création de cités marines et de technopoles, alorsque simultanément, les technologies multimédiassont à leur apogée, avec notamment la banalisationdes technologies de réalité virtuelle.

Localisation des activitésDans l’article « TIC et territoire : le paradoxe de

la localisation » (Cahiers scientifiques du transport,

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Les impacts réels, virtuels et paradoxaux des technologies de l’information et de la communication sur l’espace et les territoires

1998), Michel Savy réalise un parallèle entre les effetsdes infrastructures de transports sur la localisation desactivités économiques et les effets des technologies del’information et de communication.

En se développant, les transports ont cesséd’être un facteur de localisation des entreprises ; ilsparticipent aujourd’hui au fonctionnement spatialdu système productif en facilitant les échanges entredifférentes zones. M. Savy transpose le modèle« transports » à celui des nouvelles technologies,avec l’argument de base selon lequel les technologiesde l’information et de communication, en sebanalisant et en se diffusant sur le territoire, ne sontplus un facteur de localisation déterminant pour lesentreprises. Le retard en matière d’équipement surune zone reste par contre un facteur pénalisant. C’estdonc la pénurie qui structure le territoire, la valori-sation d’une zone d’activités (téléport par exemple)grâce aux infrastructures de télécommunications’étant amenuisée avec la banalisation des techno-logies de l’information et de communication. C’estle « paradoxe de localisation ».

En même temps, et M . Savy rejoint là d’autresauteurs comme Alain Rallet ou Marc Guillaume,alors que la tendance est à l’homogénéisation duterritoire en matière d’accès aux technologies del’information et de communication et que le marchéest plus porté par la demande des entreprises que parl’offre des opérateurs, les nouvelles technologiescontribuent à la concentration des activités et à lapolarisation de l’espace, tout en accompagnantsimultanément, autre paradoxe, l’évolution dufonctionnement spatial du système productif, avecl’émergence d’une nouvelle économie réticulaire.

Cette vision, sur laquelle s’appuie l’argumen-tation d’une universalité du déploiement desinfrastructures et des accès aux services de télécom-munication sur le territoire, peut paraître cependanttrès utopique, ou plutôt elle semble décrire lepaysage français des télécommunications d’avant laloi de Réglementation des Télécommunications(LRT de 1996, appliquée à partir de janvier 1998) etde l’ouverture du marché. Le service universelremplaçant l’ancien service public de télécommuni-cation, assuré aujourd’hui par l’opérateur historiqueFrance Télécom, porte principalement sur latéléphonie commutée et la desserte du territoire encabines téléphoniques. Si les services de transmissionde données à haut débit sont effectivement proposéspar France Télécom sur l’ensemble du territoirefrançais, ils ne le sont pas à coûts constants, les tarifsdépendant des conditions géographiques d’accès auréseau national ; certaines implantations, nécessitantl’établissement d’une liaison plus coûteuse, serontévidemment pénalisées par rapport à d’autres.

Cette disparité entre les zones est de l’ordre de laperformance – les opérateurs nationaux commeCegetel et maintenant France Télécom proposent

des services très performants sur certaines villes etnon sur d’autres – et également d’ordre tarifaire, laprésence de plusieurs opérateurs sur une zone d’acti-vités tendant évidemment à une baisse des tarifsproposés aux entreprises, argument économique quisera sans doute de plus en plus un facteur déclen-chant de localisation. On tempérera cependant cetaspect par les résultats de l’enquête récente menéepar l’ENST Bretagne, selon laquelle les PME/PMIaccordent aujourd’hui plus d’intérêt pour leurlocalisation au réseau de transports (84 % desentreprises) ou aux aides économiques à l’implan-tation (73 % des entreprises), qu’au critère télécom(30 % des entreprises).

Les disparités en matière de performances desservices de télécommunication peuvent être danscertains secteurs un facteur déterminant de locali-sation. On donnera ici, à titre d’exemple, le cas dusecteur audiovisuel-multimédia avec des activitésconcentrées surtout en région parisienne pour troisraisons essentielles : la proximité des donneursd’ordres (producteurs, chaînes TV, opérateursnationaux de services Internet), la multiplicité dessous-traitants spécialisés, la disponibilité d’une maind’œuvre spécialisée de haut niveau. On note ici unfrein important à la délocalisation en province decertaines activités audiovisuelles, en partie pour lesraisons citées plus haut, mais aussi parce qu’ellesutilisent des réseaux de communication broadcastdéployés sur la capitale (aujourd’hui analogiques etprochainement numériques), infrastructures sanséquivalence en province (Vidéodyn, boucle de MCI-Worldcom) permettant de transférer en temps réeldes produits audiovisuels non compressés.

Un secteur intéressant, sur lequel on pourraitsupposer a priori un fort impact des technologies del’information et de communication est celui desactivités d’innovation. Dans un article intitulé« L’impact spatial des technologies de l’information etde la communication : le cas des activités d’inno-vation » (revue Technologies de l’Information et de laSociété, 1999), Alain Rallet expose les résultats d’uneétude comparative menée sur trois projets derecherche et développement industriel. De cetteétude, il ressort que les technologies de l’informationet de communication n’ont pas d’influence sur lalocalisation des activités d’innovation (qui resteprédéterminée par des facteurs historiques ou géogra-phiques), la proximité physique entre les acteurs(notamment si ceux-ci sont universitaires) resteindispensable, mais cette contrainte peut être résoluepar des déplacements périodiques ; les chercheurs sedéplacent donc beaucoup. La tendance générale pourla localisation des activités d’innovation semble doncêtre la concentration des activités, notamment pouraccéder aux points d’entrée des réseaux de transportsà grande vitesse.

Notons ici qu’un aspect intéressant, qui n’est pasvraiment étudié dans ces travaux, est celui de la

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localisation des activités dans les villes et la concur-rence que se livrent des zones d’activités ou des villespériphériques pour attirer les entreprises. Bien que nereprésentant certainement pas le seul déclencheurpour la localisation des entreprises, ces zonesdisposent souvent d’infrastructures de télécommuni-cation qui peuvent leur donner un avantageconcurrentiel (qui est le plus souvent de niveautarifaire par la multiplication des opérateurs sur lazone) ; citons par exemple en région parisienne lazone de La Défense ou la zone de Courtaboeuf quisont chacune desservies par plusieurs boucles localeset la ville d’Issy-les-Moulineaux, qui conforte saposition comme épicentre de la localisation d’entre-prises des secteurs de la communication et del’audiovisuel (zone ouest de Paris), en valorisant unepolitique ambitieuse de diffusion des technologies del’information et de communication.

Dans un autre article très intéressant, « Télé-communications, proximité et organisation spatialedes activités commerciales » (Deuxièmes journées dela Proximité – LEREPS et INRA-SAD, 1999), AlainRallet avance que le commerce électronique interen-treprises (B to B) n’aura que peu d’incidences sur lesformes spatiales des activités commerciales, sinon demanière mineure sur la localisation de la logistique(stockage intermédiaire des produits). Hors la VPCdont le fonctionnement se rapproche de celui ducommerce interentreprises, le développement ducommerce électronique grand public aurait quant àlui des incidences diverses selon les formes spatialesexistantes des activités commerciales : peu d’effets surla distribution périphérique qui constitue des pôlesd’attraction autonomes (hypermarchés), une modifi-cation des structures d’agences mais sans remettre encause leur dissémination et leur rôle de contactindispensable avec la clientèle, une évolution possibledes commerces spécialisés de centre ville jouant lacomplémentarité avec les canaux de vente parInternet.

Enfin, on remarquera ici que la plupart desétudes n’abordent pas la problématique de la locali-sation résidentielle, sinon au travers de celle de lalocalisation des activités économiques quidéterminent l’implantation de l’habitat. Alors que lerapport entre la population active et le troisième âgene cessera d’augmenter dans les années à venir, ondevrait ainsi se pencher, semble-t-il, sur les effetsstructurants des nouvelles technologies sur la locali-sation résidentielle des retraités. On voit a priorideux types de services déterminants : l’accès auxservices de santé et l’accès à des services culturels etaux loisirs, les « jeunes retraités » par ailleurs n’étantpas réfractaires aux nouvelles technologies, commeon pourrait le présupposer en les opposant à la« génération Internet » ; preuve en est du succèsgrandissant des « cyber salons de thé » (leprécurseur était celui d’Issy-les-Moulineaux) etautres ateliers de formations à Internet pour lespersonnes âgées.

Même si l’un des principaux critères de locali-sation résidentielle des retraités restera sans doute lesoleil, la disponibilité de soins performants de santéde proximité – avec des systèmes de télémédecine lecas échéant, pour suppléer à la déficience des instal-lations et des compétences locales – et l’accès à destéléservices liés aux loisirs et à la culture, seront sansdoute également déterminants.

Forme urbaine – Politiques localesE. Eveno (CIEU) remarque dans un récent projet

de recherche (La ville informationnelle, creuset de lasociété de l’information, 1999) que le rapport entre lestechnologies de l’information et de communicationet les dynamiques urbaines peut être vu selon leschercheurs à travers deux grandes orientationsproblématiques : soit, surtout aux États-Unis, il est vuau travers des potentialités d’utilisation et desapplications possibles des technologies dans la ville, eton construit à partir de là des extrapolations sur leschangements pouvant se produire sur la formeurbaine et sur les processus de métropolisation, soit laproblématique est vue au travers d’une analyse destendances lourdes de l’évolution des villes, nouvellespratiques de l’espace urbain, nouvelles socialités,nouvelles citoyennetés, et on confronte ces évolutionsavec les usages possibles des technologies de l’infor-mation et de communication ; dans cette dernièreapproche, les usages des techniques apparaissentpresque obligatoirement comme des conséquences etbeaucoup moins comme des facteurs des évolutionset dynamiques urbaines.

On retrouve cette dichotomie chez différentsauteurs. Ainsi, dans Métapolis ou l’avenir des villes(1995), François Asher s’inscrit plutôt dans la secondeapproche problématique, avec une vision desévolutions des formes urbaines fondées sur les interac-tions entre les techniques et la société, s’inscrivantdans une dynamique générale de métropolisation etde concentration des hommes et des richesses dans lesgrandes agglomérations (la « métapole »), quis’éloigne des thèses « déterritorialisantes » de MacLuhan (le « village global »), d’A. Tofler ou de P. Virilio(la « téléville »). L’argumentation s’appuie surl’exemple du téléphone dont le développement aaccompagné la croissance des métropoles et quiapparaît, non comme un substitut aux transportsurbains (exemple du téléphone mobile qui incite à lamobilité physique), mais comme un outil de maîtrisepar le citadin de son environnement social et pratique.L’analyse de F. Asher est que les technologies del’information et de communication n’apparaissent pascomme un facteur décisif de localisation des activités,que le télétravail n’a pas les impacts espérés sur ladélocalisation et sur les déplacements pendulaires(déplacements domicile-travail) et qu’enfin les télé-activités et téléservices n’auront pas d’effet direct surles dynamiques de métropolisation, soit que les

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Les impacts réels, virtuels et paradoxaux des technologies de l’information et de la communication sur l’espace et les territoires

entreprises dans ces secteurs d’activités aient besoind’un accès à un bassin d’emploi qualifié et à un tissudense de prestataires, et dans ce cas elle resteront enzone urbaine, soit qu’elles s’implantent en zone ruraleet se trouvent alors directement en concurrence avecdes pôles de télé-activités urbains dans les pays en voiede développement.

La position de Blaise Galland (EPFL) dansl’article « De l’urbanisation à la “glocalisation” –L’impact des technologies de l’information et decommunication sur la vie et la forme urbaine »(1995) est plus tranchée, avec un discours sur lacorrélation entre le développement des techniques degestion et de transmission d’informations etl’évolution de la forme urbaine : depuis les messagersà cheval et le télégraphe qui ont permis d’étendre lechamp de l’action économique de la ville sur sapériphérie (influence régionale et réseaux de villes)jusqu’au téléphone, qui a été en même temps un outilde décentralisation des fonctions urbaines et deconcentration de l’espace (indispensable au fonction-nement des gratte-ciels). Les incidences destechnologies de l’information et de communicationseront principalement la transformation des espacespublics et des espaces de travail. Les centres urbainsd’échange et d’information, les espaces de loisirs, lesactivités commerciales seront à long terme virtua-lisés, avec la création de réseaux d’information et denouvelles formes d’organisations socio-spatiales àl’échelle locale. Avec le déploiement à l’échellemondiale des réseaux de télécommunication etd’information, apparaît simultanément un renfor-cement des réseaux sociaux et économiques locaux,et se met en place une nouvelle relation entre le globalet le local (concept de « glocalisation »).

Cette perspective, bien que pouvant paraîtretrop radicale sur les effets spatiaux attendus destechnologies de l’information et de communication,paraît juste en ce qui concerne les fonctionsurbaines : est-ce que dans vingt ans on construiraitencore à Paris la Très Grande Bibliothèque ? Quel estson objectif ? Démocratiser l’accès aux ouvrages,conserver des originaux et des incunables. Mais elleest implantée sur un seul site, donc d’accès difficilepour la majorité de nos concitoyens, et l’accès auxouvrages anciens est réservé aux chercheurs. On voitbien que, hormis la puissance symbolique du lieu, lafonction pourra être portée sur Internet ou sur lesfuturs réseaux d’information qui lui succéderont,avec un prolongement au travers des technologies delivre électronique qui sont en train de se développer.Ce schéma de substitution est applicable en tout oupartie à beaucoup des édifices publics qui ont pourfonction l’échange de biens ou d’information – cequi est l’essence de la ville : les bureaux de postes, lesagences bancaires, les commerces urbains, lesmusées… Peut-être est-ce une réponse partielle auxnouveaux enjeux urbains identifiés par F. Asher(IFU) et F. Godard (CNRS-LATTS) (« Une nouvellerévolution urbaine » – Le Monde, 9 juillet 1999),

enjeux posés par le changement d’échelle des villes,avec la remise en cause des principes de distance, deproximité et de connexité sur lesquels s’organisentnos métropoles actuelles – principes qui datent duXIXe siècle. La mobilité quotidienne et la notiond’accessibilité aux services urbains devenant unenjeu économique et social majeur, il importe derepenser les politiques d’aménagement urbain enintégrant, entres autres axes de réflexion, les effetsspatio-temporels des nouvelles technologies sur lavie sociale, culturelle et économique urbaine.

La question de l’intégration des technologies del’information et de communication aux probléma-tiques de l’aménagement urbain se posait d’ailleurs,sans trouver ici de vraies réponses, lors des Entretiensde l’aménagement (1997) du Club des Maîtresd’ouvrages d’opérations complexes (Programmerdans un univers incertain et concurrentiel : nouveauxproduits, nouveaux services), les réseaux de télécom-munication remettant en cause la pratique del’aménagement urbain fondée sur la proximitéphysique.

C’est à nouveau les processus d’urbanisationqui sont au cœur des travaux de Marc Guillaume(IRIS-RS), qui traite dans L’empire des réseaux(1999), de la « révolution commutative » : la ville estle commutateur social, spatial, télécom nécessaireau développement de la société de l’information. Ceprincipe essentiel de commutation (le hub informa-tique) est opposé à l’autre dimension destechnologies de communication, celle de la trans-mission à distance d’informations, la fonction« télé » qui selon lui est trop souvent mise en avantdans tous les travaux sur les télécommunications.L’accentuation de la métropolisation n’est pas due àun démarrage trop lent de la société de l’infor-mation – avec ses effets « télé » supposés sur ladélocalisations d’activités et la réduction desconcentrations urbaines – mais bien liée à sondéploiement très rapide qui s’appuie sur les forcesde commutation de la ville : les commerces, l’accèsaux transports rapides, les échanges, les rencontresentre individus. Cette métropolisation impliquerade nouvelles formes urbaines, des « hypervilles »avec différents niveaux de commutation, structuréespar des réseaux virtuels et des moyens de transportsdont il faudra améliorer l’accessibilité. Dans lecontexte d’une économie mondialisée fondée sur latotale mobilité des marchandises, des capitaux, desentreprises et des savoir-faire, la concurrenceportera sur les éléments stables du système : lesespaces géographiques et construits et aussi lesespaces sociaux et culturels. Dans ce nouveaupaysage concurrentiel, les territoires et la ville, faceau développement des technologies de l’infor-mation et de communication et à la libéralisationdu secteur, doivent faire l’objet d’une régulationpublique et d’une refondation des politiquesd’aménagement (analyse rejoignant ici celle deF. Asher).

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A noter ici, qu’au-delà du rapprochementd’ordre métaphorique entre la ville et les nœuds desréseaux de télécommunication, et de l’opposition,sans doute un peu stérile, entre les fonctions detransmission à distance et celles de commutation, unetroisième dimension essentielle des technologiesd’information et de communication est celle de laconnectivité, avec deux composantes : l’accès auréseau (avec des disparités sociales et spatiales quel’on retrouvera au niveau urbain) et son déploiementgéographique ; un réseau n’est pas défini uniquementpar ses nœuds et sa trame, mais aussi par sacouverture spatiale, avec ici aussi, vus à l’échellemondiale, d’importants déséquilibres entre les villes.

Emmanuel Eveno (CIEU-Gresoc) met en avantce même concept de commutation urbaine dansl’ouvrage Les pouvoirs urbains face aux technologiesd’information et de communication (1997). La villepeut être considérée comme un « commutateuréconomique », les technologies de l’information etde communication contribuant à la transformationde l’économie spatiale et de la forme urbaine avecdes contraintes de localisation dans l’agglomérationdifférentes selon les activités, les nouvelles techno-logies devenant les outils d’une nouvellespécialisation et hiérarchisation de l’espace urbain.La ville peut aussi être vue comme un « com-mutateur social » avec des forces centrifuges quitendent à la localisation de l’habitat en périphérie età l’augmentation des distances domicile-travail(phénomène pendulaire ou commuting) et avec desréseaux de télécommunication, instruments deconsolidation du lien social spatialement distendu,recomposant une centralité virtuelle. E. Evenoavance ici la notion de « ville informationnelle » quijuxtapose trois dimensions : d’abord la représen-tation métaphorique d’une ville virtuelle etdéterritorialisée ; puis un ensemble d’outils et desolutions aux problématiques urbaines d’aujour-d’hui, l’excentrement et l’isolement social (réseau detélé et de vidéocommunication), le vieillissement dela population (télémédecine), la congestion destransports (télétravail, télé-enseignement) ; enfin, latroisième dimension, qui évoque le Big Brother de1984, est celle d’un nouvel ordre social urbain àtravers le contrôle global de l’information.

Ce sont plusieurs perspectives de développementurbain qui sont décrites dans La cité interactive (O.Jonas – CPVS-DRAST, 1997). L’analyse du contextede dérégulation du secteur des télécommunications,du désengagement de l’État, du déploiement géogra-phique très ciblé des opérateurs, du manque decontrôle par les pouvoirs publics des réseaux decommunication et d’information et notammentd’Internet qui seront gouvernés à terme par quelquesgrands groupes industriels, montre tout d’abord unetendance à l’aggravation des déséquilibres territo-riaux qui conduit à la polarisation de l’espace autourde certaines zones mieux desservies par les réseaux detélécommunication que d’autres (avec également des

disparités territoriales au sein d’une mêmeconurbation). Un second scénario, basé sur l’homo-généisation progressive de la couverturegéographique des réseaux de télécommunication(réseaux de satellites en orbite basse à l’échellenationale, boucle radio à l’échelle urbaine), tempèreles disparités territoriales, en se substituant à l’ancienservice public de télécommunication ; mais subsis-teront bien sûr des déséquilibres tarifaires. L’échelleurbaine paraît être au centre de trois processus d’inté-gration favorisant le développement de nouveauxservices : l’intégration technologique (convergencedes techniques audiovisuelles, informatiques et detélécommunication, et normalisation des techniquesde codage et de transmission), intégration territoriale(ressources locales à valoriser, systèmes d’informationgéographique), intégration économique (plates-formes de téléservices publics-privés). Cependant,dans le contexte mouvant des stratégies industriellesdes différents acteurs de l’offre technologique,opérateurs de télécommunication, constructeursinformatiques et de terminaux de télécommuni-cation, producteurs de services et éditeurs de logiciels,la place des politiques locales en matière de diffusiondes technologies de la société de l’information estdéterminante, avec plusieurs profils de ville définissuivant les politiques engagées : attentiste, déterminéeet médiatisée.

Les impacts espérés ou inattendus des politiquespubliques en matière d’aménagement des territoires,d’aménagement urbain et de diffusion des techno-logies de l’information et de communication sontbien exposés au travers du cas anglais par JudyHillman dans l’article « Innovations technologiqueset utopies urbaines » (Colloque de La Rochelle, Villesdu XXIe siècle, 1998). On constate au Royaume-Uni unphénomène marqué de développement du télétravail(1,5 million de télétravailleurs, même si ce chiffre estassez éloigné des prévisions des années 80), de déloca-lisation d’activités avec notamment le développementde centres d’appels (39 % du marché européen descentres d’appel sont localisés au Royaume-Uni), decréation de télécottages (télécentres publics en zonerurale), et de réduction du nombre de bureaux encentre ville, avec en parallèle la création de bureauxtemporaires en périphérie urbaine. Les effets de laplanification et de l’influence des technologies sur laforme urbaine ne pourront cependant se ressentir quesur une très longue durée (seulement 2 % denouveaux logements sont construits chaque année auRoyaume-Uni). On voit en même temps un effet« pervers » du télétravail, dont le développement a étépar ailleurs favorisé par les politiques publiques : ilréduit les distances domicile-travail mais en mêmetemps il incite les personnes à habiter loin des villes,alors que la politique britannique en matièred’aménagement durable vise à limiter l’utilisation dela voiture, à favoriser l’usage de transports encommun et à redensifier les centres urbains. Il existelà une opposition entre les stratégies de redensifi-cation urbaine et le processus de « rurbanisation »

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réalisé par le développement du télétravail et ladélocalisation des activités.

Un travail très intéressant qui confronte politiquesd’aménagement publiques et scénarios prospectifs, estcelui réalisé en 1998 et 1999 par le DépartementArchitecture de l’Université de Delft (Pays-Bas) enliaison avec le VROM (Ministère hollandais del’aménagement du territoire, du logement et de l’envi-ronnement). Ce travail rapporté notamment par PaulDrewe dans La ville-réseau. Technologies de l’infor-mation et planification territoriale (1998) porte surl’impact des technologies de l’information et decommunication sur la planification régionale(programme VINEX) dont on s’est aperçu qu’il étaitcentré sur l’accessibilité des grands centreséconomiques (zones portuaires notamment), audétriment de zones rurales et intermédiaires. Lesrecherches, qui intègrent les possibilités d’organisationdu travail en réseau, visent à définir les conditions deréalisation de différents futurs alternatifs en matièred’aménagement urbain au travers de l’établissement denouvelles relations entre les territoires. La futureagglomération urbaine est pensée ainsi, s’appuyantnotamment sur le développement du télétravail, del’extérieur vers l’intérieur, renversant le schémaclassique du centre urbain rayonnant vers ses banlieueset son environnement régional. Un second modèlecherche à construire, sur les mêmes principes, denouvelles relations entre la périphérie des Pays-Bas et laconurbation centrale (Radstad) ; un troisième modèles’articule autour des zones portuaires vues comme desnœuds de réseaux logistiques. Enfin un dernièremodèle euro-régional s’appuie sur les nouvellesrelations avec les régions transfrontalières permises parles technologies de l’information et de communication.

Un atelier de recherche sur l’urbanisme, lestransports et les réseaux (Design Studio) a été mis enplace aux Pays-Bas avec pour objectif la définition dela contribution des technologies de l’information etde communication aux nouveaux concepts deplanification spatiale (Network City VROM). Cetteméthodologie très constructive, portant à la fois surla description de scénarios alternatifs (les futursprobables et ceux souhaités par les aménageurs) etsur un travail d’évaluation de plusieurs expérimenta-tions locales, intégrant les paramètres économiques,environnementaux, sociaux et culturels de chaquezone ou « banc d’essai » (test-bed), trouve cependantpeu d’écho dans la recherche française (voir le voletRecherche française et européenne).

Mobilité – Transports et télécommunications

Depuis une trentaine d’années, la relation entrela mobilité des personnes et des marchandises et ledéveloppement des télécommunications est un sujet

d’études et de prospective. Cette relation a d’abordété approchée sous le thème de la substitution, oùles technologies de l’information et de communi-cation favoriseraient la réduction des déplacementsdes personnes en leur permettant de se rencontrer(visioconférence et Webcams, chat, ICQ), d’échangerdes informations (e-mail, news-groups), de travaillerchez soi ou dans un télécentre de proximité(télétravail), de s’adresser à un groupe d’individus àdistance (téléconférence, télé-enseignement). Puis,dans un deuxième temps, les recherches se sontorientées vers l’analyse de relations plus complexesentre les télécommunications et les transports,autour des thèmes d’induction, ou comment lesnouvelles technologies de communication favorise-raient l’augmentation des déplacements personnels(exemple de la téléphonie mobile), de complémen-tarité entre ces deux modes de communication, etenfin de modification des modèles de déplacements.

C’est cette approche quadrangulaire de larelation entre la mobilité et les nouvelles technologies,substitution – induction – complémentarité – modifi-cation des modèles, qui est décrite de manière trèsexhaustive et transversale dans l’analyse bibliogra-phique Transports et télécommunications de M-H.Massot (1995). Depuis les années 1970, c’est sansdoute la recherche autour des effets sur la mobilité dutélétravail qui aura mobilisé le plus d’énergie, avectoutes ses acceptions allant du travail à domicile, àl’externalisation d’activités, au nomadisme, auxtélécentres ou à la transformation des systèmes deproduction et de l’organisation du travail. C’estd’ailleurs sans doute le caractère épars et aujourd’huide plus en plus « diffus » du concept de télétravail(nomadisme, groupware) qui explique en partie lesdivergences des recherches sur ces sujets. Plusieursétudes, principalement aux États-Unis, circonscrivantle champ d’étude au concept de « télépendulaire »(travail à distance évitant les déplacements domicile-travail), montrent une réduction sensible desdéplacements quotidiens, avec cependant des effetsbien moindres que ceux espérés dans les politiquesurbaines. De même, les systèmes de télé et devisioconférence n’ont pas eu l’impact escompté entermes de réduction de la mobilité professionnelle(20 % annoncés en 1970, alors que quinze ans plustard, on constate des taux de 7 à 11 % de substitutionde la téléconférence aux voyages aériens), mais il estvrai que nous n’avons pas encore assisté à la démocra-tisation de ces technologies qui s’engage à peine(Webcams). Simultanément, en augmentant la sphèrecommunicationelle des individus, les technologies decommunication ont un fort effet d’induction,pondéré en partie par les premiers effets de substi-tution ; mais au final on constate cependant une netteaugmentation de la mobilité individuelle.

A noter ici que la relation entre la mobilitéindividuelle et les télé-activités résidentielles, avec lesimpacts socio-spatiaux du développement des« loisirs à distance » et de l’accès aux ressources

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culturelles et aux services administratifs, n’a faitl’objet d’aucune étude récente ; cela paraît d’autantplus surprenant que la proportion la plus importantedu volume global du trafic est liée au temps libre(seulement 25 % de déplacements domicile-travailsur le total des déplacements en Ile-de-France –Étude de l’IAURIF, 1999).

Les effets des technologies de l’information et decommunication sur la mobilité, en termes defréquence de déplacements et de localisation spatialede l’habitat et des activités, ne seront, rejoignant ici lesautres champs d’étude décrits dans cet article, niautomatiques, ni indépendants des contexteséconomiques, sociaux et politiques des espaces. Onretrouve cette approche dans un projet de rechercheIncidence des technologies de l’information et decommunication sur la mobilité urbaine et régionale despersonnes (G. Claisse – LET-ENTPE, 1999) qui metégalement en avant les incidences des nouvellestechnologies sur la demande de transports (effets desubstitution et d’induction) et en même temps surl’amélioration et la diversification de l’offre detransports : régulation des trafics, télépéage, informa-tions en temps réel aux usagers, sécurité, signalisationdynamique, mais aussi transport à la demande,covoiturage, logistique.

La problématique des effets structurants destechnologies de l’information et de communication,dont on a vu qu’ils s’avéraient aujourd’hui plusvirtuels qu’effectifs, peut être aussi renouvelée parl’effet de couple transports à grande vitesse - télécom-munications à haut débit, c’est l’objet du projet derecherche Complémentarité télécommunications-transports et ses effets sur la localisation des activités etla mobilité des personnes d’A. Rallet (IRIS-TS) etA. Burmeister (INRETS), qui axe la recherche sur lacomplémentarité des transports et des télécommuni-cations qui « s’autorenforceraient », avec unaccroissement de la mobilité lié à la diffusion desnouvelles technologies (exemple du téléphonemobile).

On constate également un effet croissant de valo-risation économique, psychologique et symbolique dela dimension temporelle de la mobilité. Cette nouvelledimension ressort notamment dans une Recherchebibliographique sur l’évolution des mobilités et destemporalités dans les villes américaines (F. Asher, Drast– ministère de l’Équipement, 1998), qui souligne lesenjeux de l’évolution du transport et des déplace-ments urbains dans un contexte nord-américain desuburbanisation et de croissance de villes périphé-riques, et une tendance générale à l’éclatement de laforme urbaine et au développement de zones privées(gated communities) ou administrativement autono-mes (devolution) qui forment des enclaves urbaines.Dans les récents travaux de recherche américains surces sujets, la place des technologies de l’information etde communication dans l’évolution des transportsurbains est moins vue comme une substitution aux

déplacements, que comme un facteur de recompo-sition des espaces et des temporalités de la vie socialeet économique.

Sur la région Ile-de-France, l’IAURIF rapportedans La révolution de l’information : l’impact surl’urbanisation et les déplacements urbains des per-sonnes (L. Servant, 1999) une réflexion prospectivesur l’impact à 30 ans des technologies de l’infor-mation et de communication sur la structure desdéplacements quotidiens des Franciliens. L’impact dutélétravail ne devrait concerner que 3,6 % du total desdéplacements urbains pour environ 400 000 télétra-vailleurs. Les impacts sur les déplacements dudéveloppement du commerce électronique, destéléservices de santé, du télé-enseignement sontprésumés faibles, mais la prospective paraît ici trèshâtive, compte tenu du peu d’éléments quantitatifssur lesquels s’appuie l’analyse. Les incidences spatialesà terme porteront principalement sur la modificationdes schémas de déplacement, avec un accroissementdes déplacements périurbains accompagnant unetendance générale de métropolisation et de dévelop-pement des banlieues consécutifs à l’implantation desactivités sur les zones à moindre coût immobilier.

Un travail de prospective comparable a étéengagé dans le cadre du programme allemand deprospective urbaine Ville, espace de vie (voir iciLebensraum Stadt – La ville, espace de vie ; mobilité etcommunication dans les grandes villes allemandes en2020 : deux scénarios, 1996). Ce travail, un peu dansla démarche du Design Studio hollandais, mais avecune approche centrée sur la ville et nettement plusthéorique, vise à décrire deux scénarios alternatifspour les agglomérations urbaines en 2020, l’unvolontariste, « l’urbanité organisée », l’autre pluspragmatique, « la ville au fil de l’autorégulation ».

Le premier scénario privilégie, dans le cadred’une planification du développement urbain,l’accessibilité urbaine, la mixité habitations-activitésdu centre urbain, la prédominance des transports encommun avec une forte réduction de la circulationautomobile. Ce scénario s’appuie sur les technologiesde l’information et de communication (télé-activités,téléservices, téléprocédures) considérées ici commedes outils d’aménagement urbain. Dans le secondscénario, le processus actuel de développement spatialde la ville se poursuit librement, avec une fortedissociation des fonctions urbaines, zones d’habi-tation, pôles commerciaux, zones d’activités,équipements sociaux et culturels. Les technologies del’information et de communication sont ici devenuesdes palliatifs indispensables au fonctionnement de lamétropole, à la communication interentreprises et àla congestion du trafic automobile (on retrouve icil’un des modèles proposés par E. Eveno dans Lespouvoirs urbains face aux technologies de l’informationet de communication) avec une forte augmentationprévue de la mobilité professionnelle, du transport demarchandises et de la circulation liée aux loisirs.

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Modes de vie – Organisation du travail – Usages

La diffusion des technologies de l’informationet de communication aura des incidences majeuressur les modes de vie et sur l’organisation du travail,avec des effets spatiaux potentiels sur l’habitat (voirici les Pistes de recherche en conclusion) et sur lalocalisation des activités (télétravail, délocalisation,entreprises en réseau). Cette diffusion n’estcependant pas mécanique, elle résulte d’une part,d’une confrontation permanente entre un processusde recherche scientifique, de développement techno-logique et d’offre commerciale concurrentielle etd’autre part, de l’évolution des usages sociaux et dela demande des usagers, qui sera d’ailleurs le plussouvent suscitée par l’offre technologique elle-même, ce qui rend le mécanisme complexe.

Cette dynamique entre l’offre technologique etla demande sociale (technology-push et social-pullselon une terminologie américaine assezcouramment employée), est au cœur de l’expériencede la ville de Parthenay, « ville numérisée », qui estsans doute la première ville française à avoir engagédepuis quelques années un programme transversalde diffusion et de démocratisation des nouvellestechnologies s’inscrivant dans un projet européen(projet METASA du programme MIND et aujour-d’hui programme IMAGINE) et faisantsimultanément l’objet d’une évaluation des impactssociaux (plusieurs rapports ont été réalisés surl’expérience, dont Parthenay, modèle de villenumérisée – E. Eveno et L. Jaëcklé – CIEU). C’estl’axe social-pull et donc une approche basée sur lademande sociale qui a été retenue comme essentiellepar les responsables locaux, mais suivant le principedu programme européen qui associait desindustriels à l’opération, il a été mis en place, dansune logique d’offre, une plate-forme technologiquetrès innovante. L’expérience montre une forteappropriation des habitants et l’émergence decertaines logiques d’usage (apprentissage du langageHTML notamment), mais elle doit être évidemmentreplacée dans le contexte de la politique extrê-mement volontariste des responsables locaux :création de plusieurs cybercentres thématiquesdisséminés dans la ville, actions répétées de sensibili-sation, acculturation et formation des habitants,service d’accès à Internet gratuit, déploiement d’unréseau intranet urbain, aide à l’équipementinformatique des ménages, etc. A noter que lasurmédiatisation du projet fausse sans doute enpartie l’évaluation de l’expérience, avec par ailleursdepuis une certaine notoriété de la ville (reconnuecomme « ville-laboratoire » de la société de l’infor-mation) qui la place dans une perpétuelle surenchèred’innovation.

Une évaluation de la mise en œuvre, à l’échellelocale, des nouveaux services d’information et de

communication est également réalisée dans le guideMultimédia et collectivités locales (OTV, 1999). Bienque réalisée directement par les promoteurs de chaqueprojet, cette évaluation est intéressante parce qu’ellemontre bien les freins sociaux, économiques,structurels et politiques pour plusieurs types d’appli-cation : modernisation des administrations locales,extension des services publics, appropriation sociale etéducative, citoyenneté et démocratie locale. Onconstate, de manière générale, le manque de soutiendes administrations centrales, une perceptiond’Internet faussée par les médias, des freins réglemen-taires (téléprocédures), le manque d’habitude pour letravail coopératif, la méconnaissance de l’informa-tique par les acteurs de la formation et de l’insertionqui sont au cœur de beaucoup de ces projets locaux, lemanque de ressources techniques, humaines etfinancières des structures associatives qui sont souventles porteurs de projet et, bien sûr, l’accès encoreinsuffisant de la population à Internet. A noterégalement, sur le même schéma, le guideIntercommunalité et multimédia – clés pour la réussite(OTV, 1999) qui montre que le niveau intercommunalest une autre échelle territoriale pour le dévelop-pement de services d’intérêt général (écoles en réseau,ou centre de ressources administratives par exemple).

Le processus général de métropolisation a, on l’aexposé plus haut, des conséquences sur la mobilitéurbaine mais également sur les temporalités dans lesgrandes villes (voir ici F. Asher). La dimensionasynchrone des technologies de l’information et decommunication paraît bien adaptée à l’évolution de lagestion du temps dans la société urbaine contempo-raine, la messagerie électronique devenant, avec descitadins de plus en plus mobiles, l’outil de communi-cation idéal à l’échelle métropolitaine, mais aussisimultanément à l’échelle planétaire, puisque l’un desfreins à la construction de la société mondiale del’information, avec la compréhension des langagesnationaux, est celui des décalages horaires. L’e-mail,comme les forums électroniques, permet ainsid’ajuster les décalages temporels entre les personnes.Au niveau des relations familiales, on peut d’ailleurs sedemander, les équipements domestiques s’accélérant(on aura sans doute à terme plusieurs micro-ordina-teurs par foyer, comme on a couramment aujourd’huiplusieurs postes de télévision), si le courrier électro-nique ne remplacera pas les classiques messagesaimantés sur la porte du réfrigérateur, point focal dulogement familial. Mais une seconde facette des effetsdes technologies de l’information et de communi-cation sur les temporalités serait, à l’opposé, laconnexion temps réel en réseau, comme le montre parexemple le succès des chats (discussion électroniquesynchrone, le cas échéant au travers d’avatars) et ladiffusion spectaculaire du système ICQ (sorte deréseau virtuel d’usagers) et des jeux en réseaux surInternet. On sait que plusieurs enquêtes menées pardes cabinets d’études étrangers indiquent que lescomportements d’usage changent avec la possibilité dese connecter à Internet de manière permanente (via

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un réseau câblé de télédistribution par exemple). Alorsque par un accès temporaire (dial-up), les usagers ne seconnectaient qu’une fois par jour, allant à l’essentiel, lapossibilité de rester connecté en permanence aurait desrépercussions sur les usages d’Internet, constatésnotamment dans la pratique du télétravail. Lesprospectives dans ces domaines sont d’ailleursdélicates puisque l’offre en cours de déploiement del’accès Internet grand public à haut débit (technologiesDSL, satellites de diffusion directe, réseaux câblés detélédistribution) provoquera le développement denouveaux services (par exemple la transmission vidéotemps réel à la demande) qui trouveront certainementdifférentes formes d’appropriation des usagers.

La dynamique rétroactive entre l’offre technolo-gique et la demande sociale peut être analysée demanière différente si l’on prend pour hypothèseconceptuelle que notre monde est régi par l’articu-lation entre les techniques (ou « technologies » parun abus de langage), la culture (la dynamique desreprésentations) et la société (les échanges, les liens,les rapports entre les personnes) ; on pourrait sedemander, comme Pierre Levy dans Cyberculture –rapport au Conseil de l’Europe (1998), si, à l’inverse,les technologies de l’information et de la communi-cation ne seraient pas des produits de notre société etde notre culture. Le rapport paraît dans tous les casbeaucoup plus complexe et interactif qu’un simplerapport de détermination : les techniques sontproduites au sein d’une culture et en même tempselles conditionnent la société, mais sans ladéterminer, elles ouvrent de nouvelles perspectivessociales et culturelles.

La cyberculture, nouvelle forme culturelle de lasociété de l’information en construction, dont lemilieu de développement est le cyberespace, estcaractérisée par un véritable mouvement social avecsa population leader, la jeunesse métropolitaine, sesformes d’expression artistique, de la musique technoau cyberart, un nouveau rapport au savoir et denouveaux modes de transmission des connaissances,et enfin des objectifs et des doctrines : l’intercon-nexion, tendant vers l’universalité, de tous lesordinateurs et les machines (de la cafetière à l’auto-mobile, toutes les machines doivent avoir une adresseInternet), la formation de communautés virtuellesqui explorent de nouvelles formes d’opinionpublique, et l’intelligence collective qui est à la foisune finalité (la mise en réseau de toutes les personnes,de toutes les connaissances, de toutes les ressources)et le principal moteur de l’expansion du cyberespace.

Géographie des télécommunications– Cyberespace

Le cyberespace, « espace de communicationouvert par l’interconnexion mondiale des ordina-

teurs » selon P. Levy, est le nouveau territoire virtuelde la société mondiale de l’information, construitsur une triple infrastructure technique, très hété-rogène et en constante évolution : celle destechnologies du numérique (codage, traitement ettransmission des informations), celle des réseaux detélécommunications, backbones transnationaux,réseaux de distribution nationaux et boucles locales,celle des réseaux d’information, Internet en positioncentrale, mais aussi l’ensemble des réseaux d’infor-mation privés et publics et des ressources quil’alimentent. Ce territoire virtuel, qui rend tous leslieux équidistants, vient donc en superposition desterritoires physiques, construits, eux, sur la distanceet la connexité, avec des relations entre ces deuxespaces de l’ordre de la substitution, de l’analogie, dela concurrence.

Dans un dialogue entre un penseur pessimiste etun penseur optimiste du cyberespace, Paul Virilio etJoël de Rosnay (L’Utopie du Cybermonde – Répliques,1995), on voit se confronter, de manière un peucaricaturale, les grands mythes portés par lecyberespace et sa relation avec les territoires. Ainsi,selon P. Virilio, le changement majeur serait celui dupassage de la sphère de la vitesse des transports à lasphère de la vitesse absolue des télécommunicationsqui opposerait le « temps-monde » à l’« espace-monde », altérant une écologie naturelle desdistances et remettant en cause le rapport del’homme à son environnement, aux autres, autravail, à la propriété, à la ville. La mondialisation etla virtualisation de l’espace conduiraient à ladésinformation, au dédoublement de la réalité et aufinal, à la désorientation de l’homme. Pour J. deRosnay, il existe au contraire la perspective heureused’une symbiose avec les réseaux et systèmes d’infor-mation (concept d’« homme symbiotique ») avecune complémentarité entre le monde physique et lemonde virtuel et la coexistence de différentes échellesde temps : des temps courts (la télévision, le zapping,le clip, le spot), des temps longs (l’éducation, laculture).

Cette interaction entre le cyberespace et le mondephysique paraît essentielle à Blaise Galland (EPFL) quiconteste dans Espaces virtuels : la fin du territoire ?(1999) la vision d’un monde où seraient abolisl’espace et le temps, les activités humaines se mesurantau temps mondial et instantané du cyberespace. Ainsila vision conceptuelle de W.J. Mitchell (City of bits),amalgamant deux dimensions différentes, celle desatomes et celle des bits, paraît irréaliste. Il continuera àexister un temps de la distance, une durée au transportdes personnes et des marchandises, et un temps ducorps humain qui, bien qu’usager des réseaux d’infor-mation avec des activités délocalisées dans un espacevirtuel, n’en continuera pas moins de vivre sur un lieuprécis de la planète.

C’est pour contrer la désorientation de l’hommequ’évoquait P. Virilio que Michel Serres, dans Atlas,

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Les impacts réels, virtuels et paradoxaux des technologies de l’information et de la communication sur l’espace et les territoires

dessine une cartographie mentale pour se repérerdans le nouvel espace formé par les mondes virtuels.Espace à mi-chemin du local et du global,équidistant des frontières, annihilant les différencesd’identités ou d’idiomes, le cyberespace est un lieuuniversel qui pose à l’homme de nouvelles ques-tions : « où être ? » avec un effet de prolongement deson action et de positionnement dans le local, leglobal, dans le temps du monde ; « que faire ? » avecun effet de propagation sur les espaces virtuels,l’information et l’enseignement ; « qui être ? » avecles problématiques d’inclusion et d’exclusion de cenouvel espace ; et « comment faire ? » avec le nou-veau rapport aux autres, et les effets sur la création,la distance, la proximité.

Le cyberespace, nouveau territoire de la sociétéde l’information, redéfinissant l’espace public,l’espace social, l’espace culturel, l’espace économique,se devait d’être étudié par les géographes comme celaapparaît dans les travaux de la CommissionGéographie des communications et des télécommunica-tions de l’Union Géographique Internationale et dansle projet de Commission pour le Comité National deGéographie Pour une géographie de la société del’information (1997). E. Eveno y propose de reconsi-dérer les schémas classiques d’analyse scalaire ettemporelle et d’étudier les différentes échellesspatiales de la relation entre les territoires et lecyberespace. La géographie du cyberespace ne visepas à décrire les modalités de fonctionnement d’unespace sans distance, rythmé par le temps des ordina-teurs, mais vise à confronter cet espace aux territoiresqui se construisent sur des temporalités et desdistances sociales.

Le cyberespace est décrit par une géographie desflux, et non par une juxtaposition de zones, sonexpansion est aussi conditionnée, en partie, par ledéploiement des infrastructures de télécommuni-cation. La géographie de cet espace virtuel se dessinedans Géographie des télécommunications oùS. Goussot expose notamment les relations entre leszones géographiques et les couvertures des réseauxde télécommunication, et dans l’Atlas mondial del’Internet 1999 (Idate) où les nervures des backbonessemblent recomposer l’espace géographique, avecl’installation de larges bandes passantes desservantles principales places boursières comme en Europe(Paris, Francfort, Strasbourg, Londres). Le réseauInternet, qui en 2000 relie 206,6 millions d’utilisa-teurs, est déployé très diversement sur les territoires :30 % des foyers sont connectés à Internet aux États-Unis et 55 % le seront en 2002, pour 21 % en Franceà la même époque, alors que moins de 1,5 % desfoyers est connecté en Turquie, en Russie, auMexique, en Inde ou en Chine.

Une autre facette de la relation entre lecyberespace et les territoires est la désynchroni-sation temporelle, le cyberespace permettant desrelations quasi instantanées entre les individus ou

entre les entreprises, alors que les rencontresphysiques restent contraintes par les transports. Va-t-on vers un temps mondial universel se substituantaux horloges nationales comme le propose lefabricant de montres Swatch (« beat time ») ? Lestechnologies de communication permettent aujour-d’hui en tout cas une contraction de l’espace-temps,modifiant notre perception de l’espace. Ainsi dans leCD-Rom, Villes et réseaux (GIP Reclus, 1995), onvoit une représentation cartographique de l’espace-temps par anamorphose, certains espaces entre lesmétropoles européennes semblent contractés,d’autres distendus. Il existe d’ailleurs ici un champd’étude intéressant sur la création d’« hypercartes »dessinant les nouvelles relations spatio-temporellesentre les villes permises par les transports à grandevitesse et les télécommunications à haut débit.

Les réseaux, instruments dynamiques de laconstruction territoriale, s’opposent aux composantsstatiques du territoire, les mailles (zones géogra-phiques) et les nœuds (villes). Dans ce jeu entre lesréseaux et les dispositifs statiques qui relèvent de lapropriété et de l’organisation politique, la principalevariable est la vitesse. Avec les réseaux d’informationet de télécommunication, il existe un risqueimportant de désynchronisation comme le souligneN. Stathopoulos (LATTS-ENPC) dans Réseauxd’aujourd’hui et territoires d’hier à l’heure du virtuel(1999), avec la construction de deux territoiresdifférents (exemple de la circulation très rapide descapitaux en Europe comparée à celle encore malaiséedes marchandises). Les instruments d’édificationterritoriale sont impuissants à contrôler ou même àréguler l’expansion de ces réseaux et le nouveauterritoire qu’ils génèrent est donc construit par lesstratégies commerciales des opérateurs de télécom-munication et les principaux acteurs économiquesdu cyberespace.

Une autre dimension du cyberespace est celle descoûts d’accès, ainsi par exemple les conditionstarifaires d’accès à Internet à Issy-les-Moulineaux enbanlieue parisienne (accès Internet à haut débit par lecâble à coût forfaitaire et offres concurrentielle deservices de télécommunications pour les entreprisessur plusieurs boucles locales) ne seront pas les mêmesque dans un village d’Ile-de-France, qui n’aura accèsqu’au service public national, ou que dans un paysd’Afrique centrale. L’étude de l’Idate citée plus hautmontre par exemple qu’en Egypte, le coût d’accèsmensuel moyen à Internet est de 143 francs pour unPNB par habitant de 7 200 francs, alors qu’au Canadail est de 64 francs pour un PNB par habitant de117 840 francs. S’il y a une géographie des flux et dela contraction des distances autour d’un réseau depôles urbains, il y a également, en parallèle, unegéographie des conditions économiques et pratiquesd’accès aux réseaux de communication et d’infor-mation, avec une grande hétérogénéité à toutes leséchelles spatiales.

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Cette nouvelle géographie des flux parait donctridimensionnelle, elle cartographie les réseaux detélécommunication et les pôles de ressources quistructurent le cyberespace (mais on gardera àl’esprit que le cyberespace n’est pas l’infrastructurequi l’innerve), elle mesure le débit des liaisonsoptiques ou satellites qui contractent l’espacephysique, elle compare les coûts et les modes d’accèsaux réseaux qui valorisent les territoires.

Utopies - AnticipationL’anticipation sera ici le dernier volet de la

prospective des effets spatiaux des technologies del’information et de communication. La premièreutopie urbaine fondée sur les technologies a été décritedans la Nouvelle Atlantide (1627) de Francis Bacon, etbeaucoup plus près de nous, Paris au XXe siècle (1863)de Jules Verne est une extraordinaire anticipation de ceque sera la technologie urbaine un siècle plus tard :métropolitain suspendu automatisé, véhiculesélectriques, réseau de télécommunication pneuma-tique, éclairage urbain électrique. Si l’on s’intéresse deplus près au roman d’anticipation depuis unevingtaine d’années, on s’aperçoit que la plupart desgrands auteurs se sont, comme Jules Verne en sontemps, fortement documentés et se sont fait conseilléspour la plupart par des scientifiques. Des auteurscomme William Gibson ou Bruce Sterling sont à lafois les gourous de la mouvance littéraire« cyberpunk » (vision relativement sombre du futurde la société de l’information) et des figures embléma-tiques de la cyberculture actuelle, la frontière devenantténue entre l’anticipation romantique et l’extrapo-lation technologique et sociale.

La thématique centrale des anticipationsrécentes est de manière constante celle du réseauglobal devenu la trame du tissu économiquemondial, contrôlé par les puissances économiquesdes multinationales comme dans Les mailles duréseau (1990) de Bruce Sterling qui décrit la sociététechnologique d’un futur proche avec ses bouleverse-ments sociaux, politiques et technologiques,l’ingénierie génétique, le chantage atomique, leretour de l’irrationnel. On retrouve un paysagecomparable dans les œuvres de William Gibson,comme Lumière virtuelle (1995) qui décrit un SanFrancisco au XXIe siècle, conurbation polluée, espaceurbain en décomposition avec en toile de fond lesréseaux d’information, les satellites d’espionnage, lesida. À l’heure des transmissions de données à trèshaut débit, le personnage principal fait un métierindispensable parce qu’il aura toujours des objets àéchanger qui ne pourront pas être numérisés :coursier à vélo. Dans Idoru (1998), dans le contexted’un Tokyo au début du siècle prochain reconstruitsur les décombres d’un séisme grâce aux nanotech-nologies, on suit un investigateur spécialiste de laréalité virtuelle, qui piste les « lignes de force » d’une

intelligence artificielle au cœur même des réseaux dedonnées.

Le rapport entre les territoires urbains et lecyberespace, que l’on abordait dans le volet précédent,a été extrapolé de manière extraordinaire dans SnowCrash de Neal Stephenson, l’un des ouvrages clés dansla littérature d’anticipation américaine. Le lecteur etles personnages se situent en permanence sur deuxunivers simultanés : le monde physique marqué par ledéveloppement de gigantesques conurbations avec les« banlises », sorte d’edges cities périphériques et les« franchises urbaines », caricatures des gatedcommunities américaines actuelles, qui organisent laconurbation en territoires où se regroupent demanière autarcique des groupes ethniques ou socio-culturels. L’autre univers, tout aussi réel bien quevirtuel, est celui du « Métavers », dimension parallèlede type réalité virtuelle, où chacun peut se retrouversous forme d’avatar, avoir une vie sociale, circuler,disposer d’un logement personnel. La fiction paraît iciune projection à court terme de notre réalité (voir parexemple les univers virtuels CyberTown aux États-Uniset Le 2ème Monde de Canal+, copie virtuelle de Paris).

Recherche française et européenneH. Bakis fait état, dans Télécommunications et

territoires : un déplacement de la problématique, detrois catégories de chercheurs travaillant sur l’impactdes télécommunications sur le développementéconomique local et régional : les « minimalistes »,pour qui les incidences spatiales des réseaux detélécommunication seraient limitées et, sauf à éviterà certains espaces d’être pénalisés par rapport àd’autres mieux équipés, seraient insuffisantes pourpromouvoir le développement d’une zone ; les« modérés », pour qui les incidences spatiales desréseaux de télécommunication seraient potentiel-lement importantes mais dépendraient d’autresfacteurs et apparaîtraient comme paradoxalespuisque favorisant la centralisation ; enfin les« maximalistes », qui voient dans ces réseaux lesferments d’une révolution spatiale fondée sur ladisparition des contraintes de distance.

La recherche française semble osciller aujour-d’hui entre les deux premières catégories précitées,avec en contrepoint la DATAR, maître d’ouvrage detravaux d’évaluation et de prospective sur letélétravail, les télé-activités et les réseaux de télécom-munication, qui conserve une vision rentrant dans latroisième catégorie des « maximalistes », enpersistant à voir dans les réseaux de télécommuni-cation et les téléservices des outils majeurs derééquilibrage des forces territoriales.

De manière paradoxale, alors que la probléma-tique des effets espérés du déploiement destechnologies de l’information et de communication

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Les impacts réels, virtuels et paradoxaux des technologies de l’information et de la communication sur l’espace et les territoires

sur les territoires se situe de plus en plus au cœur despréoccupations des collectivités territoriales, régions,villes et structures intercommunales, et qu’il existedonc une forte demande de ces collectivitésd’évaluation des expériences déjà réalisées et deprospective pour mieux appréhender les impacts àmoyen ou long terme de leur planification (contratsde Plan État-Région ou Contrats de Ville), larecherche française ne paraît pas se passionner pourla question. En témoigne par exemple l’absence dereprésentation française à une manifestationorganisée en fin d’année 1999 par le Regional deve-lopment Studies et le Centre for Urban Technology(Université de Newcastle – Royaume-Uni) qui sepose par ailleurs depuis quelques années comme uncentre de réflexion sur les impacts des nouvellestechnologies sur l’espace. Ce colloque, Cities in theGlobal Information Society : an internationalperspective, réunissait des chercheurs de différentspays qui, hors les principaux pays européens (surtoutnordiques), allaient de l’Argentine au Japon, enpassant par Israël, la Palestine, Singapour ou leBangladesh (à noter une forte représentation del’Allemagne, du Royaume-Uni et des États-Unis). Denombreuses sommités dans ces secteurs exposaientleurs travaux (plus de 50 intervenants), mais dechercheurs français, point.

Si l’on fait un rapide tour d’horizon desprincipaux pôles de recherche français s’intéressantaux relations entre l’espace et les technologies del’information et de communication, on identifie unedizaine d’organismes (souvent d’ailleurs structurésautour d’un ou de deux chercheurs « pilotes ») : leGroupe de recherche Réseaux et le laboratoireTechniques Territoires et Sociétés (LATTS) de l’ÉcoleNationale des Ponts et Chaussées (ENPC) qui s’inté-resse aux transformations de l’organisation spatialedes activités ; l’Institut de Recherche de l’InformationSocio-économique – Travail et Société (IRIS-TS) quitravaille sur la recomposition des échelles territorialeset les dynamiques de localisation et de globalisation,mais aussi sur les usages sociaux des nouvellestechnologies et les transformations des modes de vie ;le Centre Interdisciplinaire d’Etudes Urbaines(CIEU) à Toulouse qui travaille en liaison avec leGroupe de Recherche Espace – Socio-économie –Communication (GRESOC) sur les impacts sociauxet spatiaux des technologies de l’information et decommunication (plusieurs recherches en cours avecdes équipes canadiennes) ; la commission Réseaux decommunication et de télécommunication de l’UnionGéographique Internationale (UGI) qui polarise lesrecherches menées par des géographes français etétrangers autour de la thématique des impactsspatiaux des réseaux de télécommunication et duCyberespace ; cette commission édite également lepériodique de recherche multidisciplinaire : Netcom(Network and Communication studies) ; le groupe derecherche Société – Environnement – Territoire(SET) de l’Université de Pau qui travaille actuel-lement sur la thématique Milieu rural, développement

industriel et technologies de l’information et decommunication ; le laboratoire Théorie des MutationsUrbaines (TMU) de l’Institut français d’Urbanismequi intègre les nouvelles technologies dans quelquesrecherches en cours (recherche à venir sur les effetsterritoriaux du transport à la demande), bien que laproblématique ne soit pas vraiment au centre de sesréflexions ; le laboratoire Information –Coordination – Incitations (ICI) de l’École NationaleSupérieure des Télécommunications de Bretagne quitravaille sur la thématique Télécommunications etaménagement du territoire ; l’unité mixte deRecherche en Économie, Géographie, Anthropologiesur les Recompositions et le Développement des Suds(REGARDS) à Talence qui travaille sur les formes derecomposition socio-spatiales liées au dévelop-pement des technologies de l’information et decommunication en Afrique ; le Groupe de Rechercheet d’Etudes sur les Enjeux de la Communication(GRESEC) à Grenoble qui travaille sur l’information,la culture et l’insertion sociale des technologies del’information et de communication ; et enfinl’Institut de l’Audiovisuel et des Télécommunicationsen Europe (IDATE) qui réalise entre autres des étudespour la DATAR sur le développement du télétravail etdes télé-activités.

À ces différents laboratoires, il faut égalementajouter le Centre National d’Études des Télécom-munications (CNET), structure de recherche et deprospective de France Télécom, qui s’intéresse déjàdepuis longtemps aux impacts des technologies decommunication avec deux champs d’étudesprivilégiés, les impacts sociaux et l’aménagement duterritoire. Ajoutons également plusieurs laboratoirestravaillant sur les rapports entre transports ettélécommunications, l’Institut National de Recherchesur les Transports et leur Sécurité (INRETS)notamment.

Si l’on considère en fait – cela semble être laposition française consensuelle – qu’il n’y a aucuneffet mécanique, voire peu d’effet structurant desréseaux de télécommunication sur les territoires, leseffets induits des technologies de l’information et decommunication seront les résultats d’uneinteraction entre la structuration de l’espace et lesusages sociaux et professionnels des nouvellestechnologies ; la recherche en ce domaine se placedonc au carrefour des travaux des géographes et dessociologues et sans doute également deséconomistes. À noter ici que les géographes se sontbien approprié ces champs d’étude (voir par exemplela nouvelle commission Géographie de la société del’information de l’UGI animée par E. Eveno), etnotamment celui de la modification de la perceptionde l’espace (concept de « Géocyberespace » commeon peut le voir dans certains travaux).

On peut s’étonner par ailleurs du manqued’implication des urbanistes sur les rapports entre lestechnologies de l’information et de communication

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et la forme urbaine, et sur les impacts éventuels sur lalocalisation des activités et des habitations sur leterritoire urbain, alors que parallèlement, les collecti-vités locales se posent de plus en plus de questions surl’utilisation « spatiale » des technologies de l’infor-mation et de communication : pour lutter contrel’enclavement de certains quartiers (cybercentres),améliorer l’utilisation des transports en commun(informations multimodales), revaloriser une zoneinsécure (vidéosurveillance), dynamiser une zoned’activités (boucle locale), etc.

Si l’on revient sur le Colloque internationalCities in the Global Information Society : an interna-tional perspective, il paraît ici intéressant de recenserles contributions des différents chercheurs qui nousdonnent des indications sur la diversité des axes derecherche dans ces domaines : en Allemagne, lesthématiques de recherche sont plutôt centrées sur lerapport entre technologies de l’information et decommunication et développement local, localisationdes activités économiques et reconfiguration desplaces financières (Center of Technology Assessmentde Stuttgart ou Institut für Wirtschafts undSozialgeographie de Francfort), mais aussi l’analysedes effets combinés du changement social et techno-logique et de l’espace urbain (Telecity Vision) ; enArgentine, la thématique est celle de la relation ville-télécommunications dans le contexte d’un pays envoie de développement (Faculty of Social Sciences àBuenos Aires) ; au Bangladesh, c’est le position-nement de la ville de Dhakta (10 millions d’habitants,une des vingt plus grandes villes du monde) dansl’espace mondial de la future société globale del’information (Jahangirangar University à Dhakta) ;aux États-Unis, les nombreuses études portent autantsur les réseaux communautaires électroniques (SanDiego State University ou Office of MetropolitanDesign à Pasadena), l’accès aux nouvelles techno-logies dans les inner cities (School of InformationManagement à Imporia), la transition versl’économie de l’information pour les villes indus-trielles (Public Policy and Management, CarnegieMellon University), les effets à long terme dutélétravail sur la location résidentielle (University ofCalifornia), les relations entre la communication, lestechnologies et l’urbanisation (School of Com-munication, University of Washington) ; en Irlande,les travaux portent sur le positionnement des villescomme centres de téléservices à l’échelle interna-tionale (Department of Geography, NationalUniversity) ; en Israël, sur la concentration urbained’activités innovantes et simultanément de capitauxinternationaux (University of Aifa) ; en Italie, sur lerôle des politiques publiques et des acteurs institu-tionnels sur le développement des technologies del’information et de communication (Centro StudiSan Salvador) ; en Finlande, sur le rapport entrel’urbanisme et la téléphonie mobile (Centre forUrban and Regional Studies, Helsinki University ofTechnology) ; en Palestine, sur les stratégies urbaineset la planification en matière de télécommunication

et de technologies de l’information (Islamic Uni-versity of Gaza) ; aux Pays-Bas, entre autres, sur lesrelations entre l’espace physique et virtuel (DelftUniversity of Technology) ; au Royaume-Uni, sur lesnouvelles industries des médias ou sur la géographiesociale des télécommunications (Bristol University),ou encore sur les « villes globales » et les réseauxplanétaires (Centre for Urban Technology à NewCastle) ; à Singapour enfin, sur les télécommunica-tions et la compétition interrégionale et sur les « villesintelligentes » (Department of Geography, NationalUniversity of Singapore).

Ce panorama, à la lecture sans doute aride, nefait cependant que partiellement état de la diversitédes travaux présentés lors de ce colloque. On voit queles thématiques de recherche sont très contrastées etque souvent elles restent centrées sur le contextegéopolitique et industriel des différents pays repré-sentés ; sauf pour certains pays, comme lesÉtats-Unis ou le Royaume-Uni, qui brassentl’ensemble des thèmes, du cyberespace à lagéographie sociale des télécommunications, despolitiques publiques et de la planification en matièrede développement des nouvelles technologies, auxeffets spatiaux ou sociaux du télétravail, en passantpar l’étude des nouvelles organisations socialescomme les réseaux communautaires électroniques.

Sans vouloir être exhaustif, on citera égalementici, pour information, les manifestations récentes(1999) Telematics opportunities for Europeanperipheral areas (5ème conférence European DigitalCities), et Built space, new technologies and networks(Colloque de la Commission Communicationnetworks and telecommunication – InternationalGeographical Union), ainsi que Exploring theInformation society, la réunion annuelle del’Information Society Technologies (IST) qui s’est tenuefin 1999 à Helsinki ; sorte de « grand messe » desdéveloppeurs européens de la société de l’information,cette manifestation reste intéressante parce qu’elleconfronte des industriels, offreurs de technologies, auxdécideurs politiques et administratifs de laCommunauté européenne et à des élus, représentantsdes collectivités territoriales.

Parmi les problématiques abordées à IST 99, onretiendra celle du nouveau rapport entre le « local » etle « global », qui paraît être au centre des préoccupa-tions des responsables locaux : la mondialisation, lanouvelle économie globale, les réseaux mondiaux detélécommunication, modifient-ils les relationséconomiques et géopolitiques entre les villes, leurenvironnement géographique, et les régions ? Uneautre question névralgique est celle de la gouvernanced’Internet, ou comment un réseau au départ plutôtautogéré par des universitaires et des scientifiques(bien que contrôlé en partie par l’administrationaméricaine), risque aujourd’hui d’être gouverné pardes industriels et des grands opérateurs de télécom-munication, mais aussi par les États qui cherchent à

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réguler son développement (voir à ce sujet la positiondu gouvernement français qui propose une « corégu-lation » entre les pouvoirs publics et les industriels).Retenons également la mise en place d’une nouvelleaction coopérative de promotion de la société del’information à l’échelle urbaine, Global citiesdialogue, à l’initiative d’une vingtaine de villeseuropéennes (et de certaines villes sud-américaines etafricaines), dans la continuité des programmesDigital Cities ou du Bangemann Challenge. Enfin, laquestion du rapport entre le déploiement des techno-logies de la société de l’information et ledéveloppement durable reste un centre d’intérêtmajeur.

La recherche européenne en matière de dévelop-pement territorial des technologies de l’informationet de communication s’organise aujourd’hui sous lapoussée simultanée de deux sortes de collectivités, lesrégions et les villes. Les régions les plus avancées dansl’organisation du déploiement des nouvelles techno-logies sur leur territoire ont créé en 1997 l’associationERIS@ (European Regional Information SocietyAssociation), pour poursuivre l’action du pro-gramme européen IRISI (Inter-Regional InformationSociety Initiative) ; cette association regroupe aujour-d’hui une trentaine de régions européennes (dont 4régions françaises). On a noté par exemple, en phasede démarrage, le programme de recherche transfron-talier ASPECT (Analysis of Spatial Planning andEmerging Communications Technologies) qui s’inscritdans le programme INTERREG IIC et qui vise àcoordonner les études menées par différentes régionssur le rapport entre planification spatiale,aménagement du territoire, et nouvelles technologiesde communication. Les régions associées dans ceprogramme de recherche sont le Nord-Pas-de-Calais,le Kent, l’Angleterre du Nord, le Pays-de-Galles, leNord-Ouest de l’Irlande, le Sud-Ouest de l’Irlande.Pour la région Nord-Pas-de-Calais par exemple, lesprincipaux champs d’exploration seront les impactspotentiels sur le territoire du commerce électronique(la plupart des activités françaises de VPC y sontinstallées), de la télémédecine (pôle Eurasanté), d’unréseau d’industries multimédias (Pôle ImageValenciennes – métropole lilloise).

À l’échelle de la ville, on retient particulièrementle programme IMAGINE, qui associe collectivités etindustriels pour le développement de plates-formesde services locaux dans le cadre des « villesnumérisées » ; programme en cours avec les villes deParthenay en France, Weinstadt et Torgau enAllemagne et Casale Monferrato en Italie) associantun processus d’évaluation des impacts sociaux(réalisé par les chercheurs du CIEU pour Parthenay).Citons aussi le programme URB-AL centré sur lesproblématiques urbaines, avec Issy-les-Moulineauxcomme chef de file d’un réseau de réflexion sur ladémocratie urbaine qui devrait évidemment porter laréflexion sur la démocratie électronique.

Les organisations Telecities (European DigitalCities) avec plus de cent membres dans treize pays del’Union européenne, Infocities (réseau de villes ayantdéployé des infrastructures à haut débit associées àdes services d’intérêt général), Bremen Initiative(réseau de villes, d’institutions et d’entreprises pourle développement durable des villes), The StockholmChallenge 2000 (compétition pour les meilleuresapplications urbaines en matière de technologies del’information et de communication qui prolonge leGlobal Bangemann Challenge) ou encore le GlobalJunior Challenge (compétition sur le modèle duBangemann Challenge pour les meilleures applica-tions et technologies dans le secteur de l’éducation)sont des initiatives coopératives qui sont porteusesde recherches et de réflexions sur les impacts urbainsdes nouvelles technologies.

Enfin, tout à fait dans notre champ deréflexion, on a relevé le programme d’étude surdeux ans (2000-2001) Information Society andUrban Development in European Comparison,dénommé Tele City Vision (TCV), qui s’intéresse,au travers d’une étude comparative sur plusieursgrandes villes européennes, aux impacts de ladiffusion des technologies de l’information et decommunication sur la signification de l’espaceurbain ; programme coordonné par le BerlinInstitute for Social Research.

Pistes de recherchePour finir, on propose plusieurs pistes de

réflexion et de recherche sur les impacts spatiauxdes technologies de l’information et de communi-cation : l’axe du développement territorial desrégions, le rapport transports - télécommunications– accessibilité urbaine, les effets sur la forme urbaineet la relation avec l’aménagement urbain, lesimpacts sur l’habitat et l’évolution des logements(on détaille d’ailleurs un peu plus cet axe qui n’a étéqu’effleuré précédemment), le cyberespace.

On ne retient pas l’axe « télétravail » d’unepart, parce qu’il y a déjà eu un très grand nombred’études sur le sujet (M.-H. Massot citait dansTransport et Télécommunications la boutade d’unchercheur qui disait en 1988 qu’il y avait sans douteplus d’études sur les impacts potentiels dutélétravail que de télétravailleurs), d’autre part,parce que la pratique du télétravail, qui évidemmentest porteur d’impacts spatiaux potentiels, revêtaujourd’hui différentes formes allant du travail àdomicile, à la réorganisation spatiale des entreprisesou au travail nomade (comme monsieur Jourdain,lorsque vous connectez votre portable à un terminalmobile, vous faites du télétravail sans le savoir), quifont que la question des impacts spatiaux potentielsdu télétravail est en fait répartie sur les différentsaxes de recherche identifiés ci-dessous. Il apparaît

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d’ailleurs que, sous ses différentes formes, letélétravail se diffuse de manière importante enEurope depuis les années 1997-1998 et qu’il faitprogressivement partie intégrante des nouvellesformes de travail qui se mettent en place (voir à cesujet le rapport européen très exhaustif StatusReport on European Telework – Commissioneuropéenne, 1999).

Développement territorial des régions

Un premier axe de recherche est celui des effetsdu déploiement des nouvelles technologies àl’échelle régionale. Dans le cadre de la loi Voynet surle développement durable (1999), les régionsfrançaises doivent définir un schéma directeur desservices collectifs de l’information et de lacommunication qui s’inscrit dans les contrats dePlan État-Région 2000-2006. Simultanément, lesrégions s’organisent à l’échelle européenne pourfavoriser le développement régional de la société del’information (voir ici l’association Eris@).

Dans le cadre de leurs compétences définies parles lois de décentralisation (aménagement, trans-ports, développement économique, enseignementsecondaire, formation professionnelle et apprentis-sage), les régions sont confrontées à desproblématiques de rééquilibrage de leur territoire etd’équité pour l’accès aux réseaux de télécommuni-cation, de démocratisation des nouvelles technologieset de formation, d’attraction des activitéséconomiques avec des infrastructures à mettre enplace (réseaux régionaux à haut débit, centres deressources) et des plates-formes de services àdévelopper pour favoriser l’implantation d’activitéset pérenniser celles qui sont déjà installées. Les effetsspatiaux de ces plans de déploiement des technologiesde l’information et de communication deviennentaujourd’hui une question importante (voir ici parexemple le programme de recherche inter régionalASPECT).

Un autre volet d’étude intéressant, dans unelogique d’aménagement du territoire, est celui del’utilisation des technologies de l’information et decommunication pour le maintien des servicespublics dans des zones rurales ou dans des villesmoyennes. On pense ici notamment à l’impact dudéveloppement des services de télémédecine (encoreen phase expérimentale) pour garantir la qualité dessoins hospitaliers et éviter la désertification decertaines zones (voir le pré-rapport auGouvernement sur l’état des disparités territorialesface au développement de la société de l’information –Datar/Idate, 1999).

Transports – télécommunications et informations – accessibilité urbaine

Le rapport entre transports et télécommunica-tions, thématique de recherche déjà ancienne avec letrigone substitution – induction – complémentarité,peut être replacé dans la nouvelle problématiqued’accessibilité urbaine telle qu’elle est définie, entreautres, par F. Asher (Une nouvelle révolution urbaine –F. Asher, IFU et F. Godard, CNRS-LATTS – articleparu dans Le Monde, 9-7-1999).

Dans un contexte général de métropolisation,l’enjeu économique et social majeur des villes dedemain sera la mobilité quotidienne et le « droit à laville » ; l’accessibilité aux différentes zones et auxservices urbains devient essentielle et il peut sedévelopper dans ce cadre un nouveau jeu relationnelentre les transports et les télécommunications quiréponde aux problématiques des villes de demain. Àvoir par exemple les effets, en termes de complémen-tarité, de l’accès à haut débit à Internet – et auxservices urbains – par les terminaux mobiles(horizon 2002), ceux des boucles locales radio (appeld’offres en cours de l’ART), l’incidence des techno-logies billetiques, du GPS, des informationsmultimodales sur les usages et sur l’offre de nouvellesmodalités (transport à la demande, véhicules enlibre-service), etc.

Aménagement du territoire urbain –forme urbaine

Un autre champ de réflexion et d’étudeprospective paraît être au croisement des effets despolitiques locales en matière d’aménagement duterritoire urbain et des incidences spatiales, àl’échelle de la ville, de la diffusion des technologiesde l’information et de communication : localisationrésidentielle, implantation des activités en centreville ou en périphérie urbaine, localisation desdifférentes formes de commerce (voir ici lespropositions de recherche d’A. Rallet, IRIS-TS –Télécommunications, proximité et organisationspatiale des activités commerciales, 1999).

Cette confrontation entre les effets spatiauxpotentiels des nouvelles technologies et la planifi-cation urbaine, traduisant la volonté des décideurslocaux d’utiliser les nouvelles technologies pourrééquilibrer leur territoire, lutter contre l’exclusionet l’enclavement de certains quartiers, favoriser lamixité sociale ou l’hétérogénéité de certaines zones(habitat – activités), s’inscrit en parallèle dans unprocessus général de polarisation de l’espace etd’évolution des formes urbaines.

Une autre dimension intéressante est celle deseffets contraires des politiques publiques en la

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matière, comme cela est illustré notamment parl’article de J. Hillmann, « Innovations technolo-giques et utopies urbaines » – 1998, qui montre bien,sur le cas anglais, les effets paradoxaux de lapromotion du télétravail, via notamment l’implan-tation de télécottages qui incite les personnes às’éloigner des centres urbains, alors que, simulta-nément, un axe fort de la politique urbainebritannique en matière de développement durablevise la redensification des centres villes et laconstruction de nouveaux logements dans desfriches urbaines (brown fields).

L’habitat : organisation spatiale des logements – domotique

La diffusion des technologies de l’informationet de communication aura sans doute des effets surl’organisation spatiale des logements qui s’adap-teront à l’évolution des modes de travail, de loisir, desociabilité, avec simultanément une forte intégrationdes technologies domotiques à l’habitat. Ainsi parexemple, on apprend que 67 % des Français (80 %dans la tranche d’âge 15-19 ans) souhaitent voir dansles logements une pièce dédiée à Internet ou autravail/télétravail à domicile (sondage IPSOS – LeMoniteur, 1999).

Les objectifs des anciennes recherchesindustrielles et des évaluations d’expériences menéesautour du développement de la domotique(Interface Domotique Collective sous l’égide duPCA et de l’UNFOHLM), dans la continuité despremiers programmes d’étude Pour HabiterInteractif, paraissent aujourd’hui relativementdécalés, au regard des développements technolo-giques à venir et du succès mitigé de ces applications,moins centrées sur les nouveaux usages des habitantsque sur la gestion technique des immeubles (voir iciIDC, bilan 1991-1995 – Michel Rubinstein, CSTB).Dans le sondage cité plus haut, on note cependantdes attentes toujours fortes en matière d’automa-tisme et de sécurité : 82 % des Français souhaitentune sécurité renforcée dans leurs logements, 85 %une régulation du chauffage ou la climatisation,30 % la fermeture automatique des volets.

Les industriels annoncent l’irruption dans leslogements de la robotique, des interfaces intelligentespour l’électroménager (exemple du réfrigérateurconnecté à Internet), des réseaux locaux vidéo etinformatiques, et la diffusion de l’électronique danstous les équipements domestiques qui auront chacunleur adresse Internet. A noter d’ailleurs que cesindustriels ne sont pas les mêmes que ceux qui s’inté-ressaient à l’IDC, principalement à l’époque desconstructeurs des secteurs de l’électricité et de latélégestion industrielle (Alcatel, Tonna, Philips,Schneider, Schlumberger) alors qu’aujourd’hui, il

s’agit de groupes informatiques ou d’opérateurs deréseaux (IBM, HP, Media One aux États-Unis, TPS ouCanalSatellite en France). Simultanément, on assisteégalement au rapprochement de constructeursd’électroménager avec des constructeurs informa-tiques et de réseaux de télécommunication(Whirlpool, Sun et Cisco au Consumer ElectronicShow en janvier 2000).

Ce champ d’étude s’annonce intéressant, sesituant à la croisée d’une offre technologiquetotalement innovante, de l’appropriation sociale etdes usages certainement inattendus qui vont êtrefaits de ces technologies, de l’évolution des structuresfamiliales (éclatement géographique, famillesrecomposées), du développement du télétravail àdomicile, et enfin de l’évolution des temporalités,avec la diffusion de technologies domestiques quifavorisent la désynchronisation des usages (en vrac :congélateur et micro-ondes, répondeur télépho-nique, magnétoscope et bientôt TV couplée à undisque informatique, e-mail) ; voir notamment à cesujet Recherche bibliographique sur l’évolution desmobilités et temporalités dans les villes américaines – F.Asher, 1998.

On note en fait peu de recherches récentes surles impacts des nouvelles technologies sur l’habitat(voir ici L’habitat du futur – A. Cancellieri, 1992 etaussi Le logement en 2010 – Michel Conan (CSTB),1995) et cette évolution de l’habitat est encoreabordée de manière très conceptuelle par lesarchitectes (par exemple, Rem Koolhaas avec leHanoi project – Hyper building, 1997 ou KishoKurokawa, Eco-media-city, 1997). Pourtant, on voitbien qu’il existe aujourd’hui, en remisant lesanciennes approches sur la domotique collective, unformidable champ de recherche sur le sujet.L’actualité d’ailleurs l’illustre très bien au travers duprojet de la ville d’Issy-les-Moulineaux, en régionparisienne, visant à implanter en 2002, sur lesanciens terrains du Fort d’Issy, un programme demille logements intégrant de manière forte lesnouvelles technologies (domotique, réseaux vidéo etinformatique, multimédia, services aux habitants,innovations dans l’alimentation en énergie et lerecyclage des déchets) avec des incidences surl’aménagement intérieur des logements et les partiescommunes des immeubles.

CyberespaceEnfin, un dernier champ d’étude passionnant

est celui du cyberespace, nouveau territoire électro-nique de la société de l’information, et sa relationavec le territoire physique.

La question peut être d’abord de savoir si lecyberespace n’est pas une vue conceptuelle. Pourrépondre simplement, on pourrait dire qu’au-delà de

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Olivier Jonas

la forte image symbolique qu’il véhicule évidemment,c’est un espace immatériel, mais tangible cependant,qui se construit autour des réseaux d’information etde communication, principalement aujourd’huiInternet. Le réseau Internet n’est d’ailleurs que l’unedes infrastructures du cyberespace, son territoirepublic, plusieurs autres réseaux le structurant àl’échelle mondiale : des réseaux informatiques dédiésaux entreprises (IBM Global Services, Global One parexemple), des réseaux spécialisés (Reuters, Sita) et desréseaux de télécommunication internationaux qui sesuperposent (entre autres réseau mondial de MCI-Worldcom, réseau VSAT Eultelsat, futur réseausatellite LEO’s Teledesic, etc.). Cet espace virtuel, sansfrontières mais structuré par les réseaux dorsaux detélécommunication (backbones) et les serveurs Webdevient donc « cartographiable », comme entémoigne l’intérêt accru des géographes.

Le cyberespace est un espace multidimensionnelqui peut être défini sous plusieurs angles qui sontautant d’axes d’étude : d’abord celui de l’espace-temps, qui rapproche certaines métropoles oucertaines zones d’activités, alors qu’il éloigne des villesde second plan à l’échelle régionale ; on voit ainsiparallèlement se dessiner des réseaux de villes(« réseaupolisation » du monde selon Blaise Galland –De l’urbanisation à la « glocalisation », 1995) quis’appuient sur les infrastructures dorsales des réseauxde télécommunication (voir ici L’état du mondenumérique – IDATE, 1999).

Un deuxième axe est celui de la structurationdu cyberespace, avec deux dimensions à confronter :celle de la localisation géographique des ressources(serveurs Web, noms de domaines) et celle de lapolarisation de l’espace virtuel autour de sites

d’information ou d’intermédiation mis en place parles majors des secteurs de l’informatique, de laproduction et la diffusion audiovisuelles, ducommerce électronique et de la VPC. En parallèle decette structuration de l’espace par les industries deservice, certaines métropoles, pour lutter contre leurisolement ou bien asseoir leur dominationrégionale, se positionnent comme pôles de servicesou « plaques tournantes » sur ce nouveau territoireélectronique mondial (voir ici certaines recherchesexposées au colloque Cities in the Global InformationSociety : an international perspective).

Un troisième champ d’étude se trouve à labordure du cyberespace, avec la dimension locale. Sil’on prend comme hypothèse que, recomposant lagéographie physique, le cyberespace est au milieu, lesvilles se situant en périphérie, un enjeu majeur àl’échelle locale sera l’accès à cet espace universel :l’accès privilégié de certaines zones des métropoles(boucles locales à haut débit) par rapport à d’autresmoins favorisées, les relations entre les villes et leurenvironnement rural, la marginalisation de villes àl’échelle régionale, la construction de nouveauxréseaux électroniques se superposant à la géographiedes territoires, réseaux spontanés (« communautésélectroniques », un important sujet d’études auxÉtats-Unis) ou à l’initiative de collectivités locales(plates-formes de services développées par desstructures intercommunales).

Cette problématique rejoint les préoccupationsactuelles des élus et des responsables locaux,exprimées notamment au dernier colloque sur lestechnologies de la société de l’information organisépar la Communauté européenne (Global versuslocal : the digital regional economy – IST 99).

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Les impacts réels, virtuels et paradoxaux des technologies de l’information et de la communication sur l’espace et les territoires

• AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Stratégies de communication et territoires, Ouvragecollectif réalisé par l’IRIS-TS avec le concours dugroupe de prospective de la DATAR Technologies del’information et de communication et Aménagementdu territoire, sous la direction de Pierre Musso etAlain Rallet, Éditions L’Harmattan, 1995.

Réseaux et territoires : significations croisées, sous ladirection de Jean-Marc Offner et Denise Pumain,GDR Réseaux du CNRS, Éditions de l’Aube, 1996.

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Assurer l’égalité des territoires dans l’accès auxtechnologies de l’information et de communicationpour les zones fragiles, Henri d’Attilio, Rapport auPremier ministre, 1998.

Document de cadrage relatif au schéma de servicescollectifs de l’information et de la communication,document réalisé dans le cadre du projet de loid’orientation pour l’aménagement et le dévelop-pement durable du territoire, DATAR, 1999.

Pré-rapport au gouvernement sur l’état des disparitésterritoriales face au développement de la société del’information, DATAR/IDATE, 1999.

Next century scenario, 2100.org, 1999.

• LOCALISATION DES ACTIVITÉS

« TIC et territoire : le paradoxe de la localisation »,Michel Savy (ENPC-LATTS), article rédigé pour lesCahiers scientifiques du transport, n° 33, 1998.

Autoroutes de l’information et dynamiques territo-riales, Ouvrage collectif franco-canadien, sous ladirection d’Alain Lefebvre (GRESOC) et GaëtanTremblay, Éd. Presse de l’Université du Quebec,Presses Universitaires du Mirail, 1998.

Télétravail, télé-activités : outils de valorisation desterritoires, DATAR, 1998.

The role of ICT as a locational factor in peripheralregion – Examples from IT-active local authorityareas in Swede, S. Lorentzon, Geospace andCyberspace, Revue Netcom, vol. 12, 1998.

Economie des nouvelles technologies, Michel Volle,Commissariat général du Plan, Éd. Economica,1999.

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• FORME URBAINE – POLITIQUES LOCALES

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BIBLIOGRAPHIE

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En voyageant, j’ai toujours été frappé par lafaçon dont notre perception de l’espace estmédiatisée par la technique que l’on utilise pour s’ydéplacer. Lorsque l’on traverse la France en TGV (oula Suisse en Intercity), on regarde le paysage un peucomme une succession de séquences filmées, lafenêtre du train ressemble à une télévision un peumonotone qui nous montre le paysage, mais nous nesommes pas dans le paysage : on ne sent pas lesodeurs de la terre, on ne sent pas la caresse du ventsur notre peau, on n’entend pas le bruit des insectes,bref, on y voit un pays « virtuel » qui s’offre à nous telque la vitesse du train, ainsi que son tracé, nouspermettent de l’observer. On trouve également dansles écrit des aviateurs, comme Saint-Exupéry ou lesociologue Chombard de Lowe, de nombreuxpassages où ceux-ci s’étonnent eux-mêmes de laperception qu’ils ont du paysage vu d’en haut : unemaison n’est plus une maison, un village n’est plus unvillage, une rivière n’est plus une rivière ; la maisonparaît comme un mouton au loin, le village sembleêtre une tache sur un tapis et la rivière devient unpoint de repère indispensable à la navigationaérienne de l’époque.

L’espace vécu, à notre échelle humaine, diffèredonc selon la médiation technique que nous allonslui imposer ; chaque technique crée sa proprevirtualité. Certes, la médiation technique n’est pas laseule variable déterminant les images mentales quel’on se crée du territoire. La pratique sociale que l’onen a en est une autre variable fondamentale, commetendent à le démontrer les travaux de Kevin Lynchsur les cartes mentales des espaces urbains. Leshabitants d’un même immeuble peuvent avoir deleur quartier et de leur ville une vision diamétra-lement opposée selon l’usage qu’ils ont de leurimmeuble, de leur quartier et de leur ville.

J’aimerais, dans cet exposé, soulever certainspoints qui me semblent cruciaux pour rendrecompte de la façon dont les technologies de l’infor-mation et de la communication sont à même detransformer, et notre perception du territoire, et,corrélativement, les pratiques que l’on peut en avoir.J’aimerais aussi essayer de montrer les limites danslesquelles cette médiation technique est opérante.

Je commencerai par préciser certains aspects duconcept de virtualité, afin d’inscrire cette probléma-tique dans le champ de ce colloque. Puis je tenterai decirconscrire la réalité spatio-temporelle ducyberespace qui nous intéresse ici pour montrer en

quoi et comment l’Internet n’est pas « la fin duterritoire », et comment il peut être perçu comme unélément technique propre à renforcer les réseauxsociaux territoriaux locaux, plutôt que de lesdissoudre dans un univers soit-disant « immatériel ».Enfin, je présenterai le concept de « glocalisation duterritoire » comme étant l’effet escompté, à terme, desnouvelles technologies de l’information sur nosrapports au territoire.

Le virtuel et le réelLe concept de « réalité virtuelle » est en soi

paradoxal : comment une réalité pourrait-elle êtreune non-réalité ? Comment une chose peut-elle êtreà la fois elle-même et son contraire ? La contradictiondans ce vocable nous ramène immanquablement auplus profond d’une interrogation propre aux êtreshumains de toutes les cultures du monde, depuis laplus haute Antiquité : celle de savoir ce qu’est le réel,ce qu’est la réalité, par rapport au rêve et à l’imagi-naire. C’est là que réside certainement le point dedépart de toute réflexion sur la connaissance. Cartoute expérience humaine est immanquablementrelative (je pense ici à ce célèbre passage de ChuangChou qui avait rêvé qu’il était un papillon : il ne savaitplus très bien s’il était Chou rêvant d’être un papillonou un papillon en train de rêver d’être Chou).

Certains disent qu’avec les technologies del’information et de la communication, on risque de« confondre le virtuel et le réel ». Lorsque JaronLanier a médiatisé la « R.V. », on disait volontiersd’elle qu’elle était une forme de « L.S.D. électro-nique », avec l’avantage qu’en cas de mauvais voyage,il suffisait de couper le courant pour rétablir l’ordre.Avant de savoir si le risque de « confusion entreréalité et virtualité » a une quelconque consistance, ilest intéressant de s’interroger sur l’histoire de ceconcept.

L’histoire du vocable « virtuel » est tributaire del’usage social qui en est fait. Le terme « virtuel » faitréférence, dans le latin scolastique (1503), à ce quin’existe qu’en puissance et non en actes ; il dérive dulatin virtus qui signifie tant la vertu que la force ou lapuissance. Une graine est virtuellement une plante,mais elle n’est pas la plante, elle n’en est que sonpotentiel. Leibniz écrivait dans ses Nouveaux Essaisque « toute l’arithmétique et toute la géométrie sontinnées et sont en nous de manière virtuelle… ». À la

ESPACES VIRTUELS : LA FIN DU TERRITOIRE ?

Dr Blaise GALLANDSociologue, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne

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fin du XVIIIe siècle, la mécanique faisait référence àla notion de « travail virtuel » dans les problèmes dedynamique et d’équilibre des forces. C’est vers 1853que les opticiens évoquent pour la première foisl’idée d’une « image virtuelle ». Celle-ci faisaitréférence aux images créées par des rayons lumineuxtraversant un système optique. Dans ce sens-là, unediapositive ou un film projetés sur un écran sont desimages ou des objets « virtuels », parce qu’ils n’ontpas de réalité matérielle en dehors du fait d’être desprojections de rayons lumineux à travers la pellicule.En informatique, on parlait déjà d’objets ou desystèmes virtuels pour désigner des dispositifstechniques capables de simuler ou de remplacer unobjet ou un système réel (terminal virtuel, mémoirevirtuelle, adresse virtuelle, etc.).

Lorsque l’on parlait de « réalité » virtuelle audébut des années 90, on faisait référence à cesenvironnements informatiques « multimédia » etinteractifs dans lesquels l’usager a le sentiment d’êtreimmergé physiquement et corporellement. Cesentiment est créé en premier lieu par l’apparition dela troisième dimension en informatique. Jusqu’àprésent, l’usager des environnements informatiquesétait limité à la quadrature de l’écran qui luipermettait une visualisation bidimensionnelle desinformations ; cette vision « à plat » était, sommetoute, assez similaire à celle que l’on peut avoir surune feuille de papier. Maintenant, moyennant deuxordinateurs et en remplaçant le tube cathodique pardeux écrans à cristaux liquides placés à la hauteur dechacun des yeux sur un casque, on « pénètre » dansl’écran, avec l’illusion d’être dans un « espace » à troisdimensions. Là, on peut agir par le biais d’un « gantde données (data glove) » qui remplit en quelquesorte la même fonction que la souris. Demain le« data suit » simulera, avec ses milliers de pointsd’impulsions électriques, toute une série desensations physiques sur l’ensemble du corps afin dereconstruire l’illusion de la matérialité du toucher, dela résistance physique des objets et des corps.

On peut se demander, en regard des origines duterme « virtuel », si ce vocable est approprié pourdésigner la réalité technique qu’on lui fait recouvrir.

En premier lieu, il faut remarquer que l’usagedu terme de « réalité virtuelle » est fortement lié aumonde de l’image et du visuel. Nous l’avons dit, il estapparu dès le moment où la troisième dimension afait son apparition en informatique. Mais lorsque lebaladeur (walkman) est devenu un objet d’usagecourant, personne n’a parlé de « réalités sonoresvirtuelles » ; lorsque le téléphone est rentré dans lesmœurs, on n’a pas parlé de « rencontre ou deprésence virtuelles » dans le logis ; et lorsque l’infor-matique de troisième génération s’est généralisée, onn’a jamais dit que les logiciels d’application – lesjeux, les traitements de textes, les logiciels statis-tiques, etc. – étaient par excellence des univers« virtuels » : tous ces logiciels que nous utilisons

quotidiennement sont des environnements virtuelsdans lesquels nous finissons par agir et « habiter »très concrètement. Ils font partie de notre « environ-nement mental ». Une secrétaire qui passe huitheures par jour « dans » un logiciel de traitement detexte voit ce logiciel devenir un univers de référencequotidien ; elle peut en rêver la nuit, penser auxdifférentes opérations qu’elle pourrait y effectuertout en conduisant sa voiture dans lesembouteillages.

Par ailleurs, ces « réalités virtuelles » diverses,visuelles ou non, n’ont pas grand-chose en communavec l’image de la graine et de la plante que les diversdictionnaires utilisent généralement pour expliciterle terme de « virtuel ». Si la graine est une plante endevenir potentiel, un logiciel qui crée l’une de ces« réalités virtuelles » est, lui, bien réel, et, saufintervention de son programmeur, il n’évoluera pas.Le terme de « virtuel », tel qu’il est employé aujour-d’hui, laisse entendre qu’on est en présence dequelque chose d’irréel, comme pour les « imagesvirtuelles » des opticiens du XIXe qui les nommaientainsi parce qu’elles étaient créées artificiellement parun prisme ou un autre dispositif optique qui avait lafaculté de transformer des rayons lumineux. Or,cette image projetée, même si elle ne correspond pasà une réalité tangible, est aussi réelle que le filmqu’on va voir au cinéma.

Si la réalité est dite « virtuelle » parce qu’elle estmédiatisée par un dispositif quelconque, alors toutela réalité que nous percevons peut également êtrequalifiée de « virtuelle » : ça commence avec nosyeux qui ont leurs propres limites perceptuelles, ça sepoursuit avec le langage qui crée les catégories aveclesquelles nous percevons notre environnement, etnotre socialisation qui prédétermine notreperception sélective des faits.

Les univers créés par les informaticiens sontfinalement bien plus « artificiels » que « virtuels ». Cesont des environnements construits pour créer uneréalité, fictive certes, mais opérante en elle-même(parce qu’elle est interactive) et très souvent en dehorsd’elle-même dans la mesure où elle peut agir àdistance (elle est « téléactive »). Les programmesinformatiques qui gèrent le trafic aérien d’un aéroportcréent, pour le contrôleur aérien, un environnementartificiel (virtuel) qui simule l’espace aérien et laprésence des avions, mais ce sont de vrais avions dontil s’agit, avec de vrais pilotes et de vrais passagers.

Le terme de « réalité virtuelle » apparaît doncun peu comme un abus de langage développé dansles milieux de l’audiovisuel et de l’image en général.Baudelaire parlait de « paradis artificiels » et non de« paradis virtuels ».

Le risque de « confondre le réel et le virtuel », si« virtuel » est pris dans son sens contemporain, estdonc minime et restreint à des comportements

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Blaise Galland

psychologiques problématiques : il faut être foupour croire vraiment à la réalité de ce que l’on vitlorsqu’on est harnaché à la panoplie de tout l’attirailtechnique de la RV. Si « virtuel » est pris dans sonsens scolastique, le risque de confondre le réel et levirtuel est banal et permanent, et il s’exprime àtravers de vieux adages tels que « Ne pas vendre lapeau de l’ours avant de l’avoir tué » ou « Prendre desvessies pour des lanternes ».

Lorsque l’on dit du cyberespace qu’il est un« espace virtuel », il conviendrait peut-être mieux dedire, comme son nom l’indique, qu’il n’est qu’unespace artificiel dont nous allons voir maintenant cequi fait sa puissance de création.

Le temps et l’espace électroniquesOn entend et on lit souvent que les NTIC

« abolissent l’espace et le temps » et nous « plongent »ainsi dans une « société dématérialisée ». Joël deRosnay, par exemple, écrit dans L’homme symbio-tique : « L’autoroute en béton et l’automobile étaientles symboles de la révolution industrielle. Dans leurprolongement, l’autoroute électronique et l’ordi-nateur personnel sont les symboles de la sociétédématérialisée issue de la révolution informatique.Alors que l’autoroute et l’automobile sont les espacesde transition pour se rendre d’un point à l’autre, lesinforoutes et les ordinateurs personnels abolissent letemps et l’espace ».

La formule est magique et troublante, elle peutnous faire rêver, mais on peut dire aujourd’huiqu’elle est abusive dans l’amalgame qu’elle fait dedeux réalités bien distinctes.

Nous devons en effet distinguer de quel espaceet de quel temps on parle, parce que le temps etl’espace des bits ne sont pas les mêmes que ceux desatomes, pour reprendre la distinction deN. Negroponte. Dans le monde des atomes, quicontient celui du Bios, la vitesse est encore soumise àla gravitation terrestre et à la pression de l’air : il yexiste encore un temps de la distance (Paris-New York= 3 heures en Concorde) parce qu’on ne peut pasdématérialiser notre corps à Paris pour le rematéria-liser quelques millisecondes plus tard à New York.Dans le monde des bits, qui sont eux les seuls objetsphysiques que les systèmes d’informationtransportent réellement, la vitesse de référence estcelle de la lumière ; les bits se déplacent, enconditions idéales, à 299 792 km par seconde dansl’espace électrique des ondes hertziennes, des câbleset des microprocesseurs qui forment le Cyberespace.

À notre échelle humaine et planétaire, la vitessede la lumière nous paraît « instantanée ». Aussisommes-nous enclins à penser que cette relativeinstantanéité gomme en quelque sorte la réalité de

l’espace physique des atomes et pulvérise lacontrainte immémoriale de l’espace.

Ceci est relativement vrai pour le monde des bits(relativement parce qu’il y a toujours le temps de lalumière, qui n’est pas instantané), et relativementfaux pour le monde des humains, qui sont faits, eux,d’atomes. Relativement faux pour les humains, parcequ’un nombre de plus en plus grand d’entre euxtravaillent quotidiennement dans un espace artificieldéfini par la vitesse de la lumière (ne serait-ce quecelui de leur PC). Pour ceux-là, qui entretiennent desrapports avec des personnes et des choses à travers leCyberespace, leur activité est effectivement déloca-lisée, mais leur activité « professionnelle »seulement : pour tout le reste, ils ont les pieds surterre, ils sont « scotchés » en un point précis de laplanète, par la bonne vieille loi de la gravité.

Une publicité de AT&T montrait un Boeing 747sur un fond d’océean et disait : « Un 747 le traverse[l’océan] en six heures, le Concorde le fait en trois.Avec une standardiste c’est possible en quelquessecondes ; sans elle, c’est instantané ». Cette publiciténous trompe par un double mensonge. En premierlieu, le temps de transmission des bits n’est pas« instantané », mais égal à celui de la lumière.Ensuite, la première proposition parle du monde desatomes, et la deuxième de celui des bits, en faisantcroire que ces mondes sont identiques. En plus, onne sait pas dans cette histoire ce qu’il advient de lastandardiste… Vraisemblablement cette dernière estrestée à Paris ou à New York.

La peur de Virilio quant à un hypothétique« accident temporel » vient du fait qu’il semblepenser (exactement comme Joël de Rosnay du reste)que toute l’activité humaine sera bientôt déterminéepar le temps mondial de la vitesse de la lumière (letemps du Cyberespace) qui « pollue la distance », etque « ce temps réel va l’emporter sur l’espace réel ».

On doit éviter, dans l’euphorie de la technicité,d’opérer un déni du temps du corps humain, celui dela standardiste par exemple qui doit manger, dormir,s’abriter des intempéries, se reproduire, etc. Toutesces choses, on ne peut pas les faire dans leCyberespace, par contre on doit les faire dans l’espaceréel, local et géographique. Ceci pour des questionsde survie biologique que les ordinateurs ne peuventrésoudre.

Les frontières du temps et de l’espace sonteffectivement pulvérisées (au niveau planétaire)pour tout ce qui peut être digitalisé, transformé enbits, mais notre corps a des raisons qui sontinscrites, pour longtemps encore, dans un temps etun espace qui n’est pas celui de l’électricité ; ils nesont pas électroniques, ils sont anthropologiques.

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Espaces virtuels : la fin du territoire ?

La glocalisation des territoiressociaux

Les premières observations faites sur l’usageconcret de l’Internet par des scientifiques européensmontrent très bien que la première fonction d’usagedes NTIC est de renforcer les réseaux sociaux locaux.À l’EPFL comme à l’université de Toulouse, leschercheurs communiquent jusqu’à dix fois plusentre eux qu’avec l’extérieur, et cette donnéecontredit l’idée de Paul Virilio selon laquelle « onaimerait plus son lointain que son prochain ». Parcontre, ils tendent à soutenir l’hypothèse de BillGates selon laquelle l’usage de l’Internet peut« renforcer la diversité culturelle et inverser latendance à une mondialisation de la culture », sansqu’il soit nécessaire de condamner le fait que lescybernautes puissent partager un certain nombred’activités et de valeurs communes au niveaumondial.

Les réseaux forment un espace artificield’échanges, de découvertes, de rencontres et dedécisions qui, grâce à la vitesse de la lumière, ne sontplus tenus d’être effectués dans l’espace réel d’unmagasin, d’une bibliothèque, d’un compartiment detrain ou d’une salle communale. Même si ce ne sontque des bits qui circulent dans les fibres du réseau,d’innombrables auteurs ont spontanément comparéce Cyberespace à une ville, et l’ont ainsi baptisée« Ville virtuelle », « Cyberville », « Cybercity »,« Electropolis », « Ville des villes », « Global City » ouencore « Métacité postindustrielle ». Non seulementcet espace ressemble à une ville, mais encore ilfonctionne comme une ville pour tout ce qui y relèvede l’échange d’informations numérisables.

Les types de villes et de métropoles que nousavons connus jusqu’à présent sont des aggloméra-tions qui se sont construites en concentrant deshabitations sur le territoire afin de réduire aumaximum le temps de l’échange des biens et desinformations. Ainsi, chaque ville est un nœudd’échange de biens et d’informations, qui attire verslui une foule de richesses grâce à la concentration dela diversité humaine. Une ville ne saurait existersans les équivalents fonctionnels que sont le marchéet le forum, qui sont les lieux consacrés parexcellence à l’échange de biens et d’informations.

Or, aujourd’hui, le Cyberespace en quelquesorte dérobe à la ville sa fonction de lieu d’échanged’informations, en permettant l’enseignement àdistance, le télébanking, le télétravail, le téléachat,etc. Tout le travail qui consiste à traiter de l’infor-mation ne requiert plus, techniquement parlant, uneconcentration sur le territoire pour s’effectuer. Ainsi,ce n’est plus seulement l’entreprise privée qui doit se« glocaliser » – se restructurer au niveau local pourfonctionner au niveau global – mais c’est aussi toutl’espace urbain, tout l’environnement construit qui

est appelé à se transformer par la perte de sensprovoquée par les NTIC. Il faut ainsi repenserl’aménagement du territoire et du temps humain enfonction de cette nouvelle donne. C’est ce que j’avaisappelé la « glocalisation du territoire », terme devantdésigner le nouveau processus d’urbanisation etd’appropriation sociale du territoire qui est laconséquence du développement des NTIC : celui parlequel la ville se décharge de l’essentiel de sa fonctionde production, d’échange et de traitement de l’infor-mation en la déplaçant dans le Cyberespace, tout endéveloppant, conséquemment, de nouvelles formesd’organisations socio-spatiales au niveau local.

C’est dans ce sens là que je suis porté à défendrel’hypothèse paradoxale d’un renforcement du local àtravers un dispositif technique à étendue globale. Etc’est l’espoir de beaucoup d’auteurs que de voir uneEurope des régions à la Denis de Rougemont, renduepossible grâce au développement des technologies del’information. Celles-ci rendent effectivementpossibles un renforcement des réseaux socio-économiques locaux, une résurgence d’un certaincapitalisme rhénan que l’on croyait mort, au risqued’une résurgence des nationalismes régionaux. PaulVirilio, lui, ne partage pas cet espoir, de même quePhilippe Breton. Pour tous les deux, le « renfor-cement du local » est synonyme d’insécurité, deguerre, de « retour au féodalisme ».

Pour Paul Virilio, une ville qui n’a pas delimites, n’est pas une ville. Il a raison, le Cyberespacen’est pas une ville. Il n’est que la métaphore d’uneville, mais il a le pouvoir de vider nos villes de leurfonction de nœud d’échange d’informations,puisque celles-ci sont disponibles partout dans lemonde à la vitesse de la lumière, et de les vider ausside plus en plus de leur fonction de nœud d’échangede biens et de marchandises.

Avec les NTIC, l’urbain est à réinventer, etl’organisation socio-politique locale est à redéfinir,car la ville – toutes les villes – cessent d’être le centred’une région agricole pour devenir une partie de lapériphérie du global. Ainsi, le global devient lecentre, tandis que le local devient périphérie.

Le cyberespace, fossoyeur de la Nation ?

La globalisation des échanges pose un problèmepolitique sans précédent dans notre histoire. C’estcelui de la souveraineté et du pouvoir d’action réelde l’État-Nation. L’État est construit traditionnel-lement sur un territoire, avec ses frontières, etl’Internet ne connaît pas par définition de frontièresterritoriales. Pas plus que le capital d’ailleurs. Avecles nouvelles technologies de communication, l’Étatperd une partie de son pouvoir à cause de ses

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Blaise Galland

difficultés à contrôler les flux de valeurs à l’entrée ouà la sortie de son territoire. Il perd ainsi une partie desa substance.

Ce mouvement s’accompagne d’une vague dedéréglementations et de privatisations qui fait dumarché le régulateur de la société. Ce qui s’est traduitd’une part, par le recul des forces sociales, le déclin del’État Providence et de la philosophie de servicepublic et d’autre part, par la montée en puissance del’entreprise, de ses valeurs et de l’intérêt privé,jusqu’à la tendance ultra-libérale de la privatisationdu politique. Car si le capitalisme a toujours étéinternational ou mondial, depuis que les Portugaisont ramené l’or des Incas, la Nation est devenueaujourd’hui trop petite pour le grand capital interna-tional. Pour ce dernier, le coût d’une centralisationexcessive est devenu trop élevé.

L’ouverture des frontières fait peur.L’impuissance croissante des gouvernements en placefait craindre une domination politique mondialed’un nouveau type. Philippe Breton, par exemple, voitdans cette recrudescence des nationalismes locaux un« retour au féodalisme ». Paul Virilio voit de mêmecet avenir de tribus : « On dépasse l’État-Nation auprofit d’ensembles plus restreints. Il y a une décons-truction de l’État national qui ne va pas dans le sensd’un dépassement de l’État-Nation, mais d’unerégression aux tribus, aux groupes de pression qui ont

précédé l’État National… ». Dans la foulée, nombred’auteurs s’inquiètent des conséquences des dévelop-pements de la globalisation des marchés sur l’identitéet la citoyenneté. Derrick de Kerkhove souligne ainsique les « réseaux abolissent les repères traditionnelsde l’identité, individuelle et collective » et OlivierAbel, professeur de philosophie et d’éthique à laFaculté de théologie protestante de Paris, écrit que« l’informatique augmente la complexité et, par-làmême, étend l’espace de choix, donc de liberté. Il fautpar conséquent penser à une citoyenneté complexe ».Dans un monde « globalisé », les identificationsdeviennent de plus en plus multiples et de moins enmoins centrées sur un sentiment d’appartenanceterritoriale ou nationale. Pour Jacques Attali enfin,« les nations anciennes vont exploser », et il fautpenser à mettre en place des « démocraties à ndimensions ».

Si dans ce domaine politique, les pessimistescraignent un contrôle social accru, une décons-truction des réseaux traditionnels et de la fonctionpolitique et économique nationale, et par conséquent,un fort affaiblissement de la solidarité sociale tellequ’elle était conçue dans l’État-Providence, les plusoptimistes, eux, se réjouissent de cet état de choses quipermet de « réduire l’entropie du système » et de serapprocher d’un monde plus à l’image de celui dontrêvaient Erwin Schumacher dans Small is beautiful, ouDenis de Rougemont avec son Europe des Régions.

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Espaces virtuels : la fin du territoire ?

Blaise Galland, « Les limites socio-techniques de lasociété de l’information », Revue Européenne desSciences sociales, Genève-Paris, Tome XXXVI,n° 111, juin 1998. « La ville virtuelle : l’urbain àl’heure des autoroutes de l’information », in Raisonset déraisons de la ville. Approches du champ urbain,Lausanne, Presses Polytechniques et universitairesromandes, 1996. « De l’urbanisation à la glocalisa-tion », Terminal, N° 71/72, automne 1996.« Entretiens avec Pierre Lévy, Alain Touraine,Jacques Neirynck, philippe Breton et Joël de Rosnay,sur Smart Geneva et la société de l’information », in« Articles en lignes » sur la home page de l’auteur(http://dawww.epfl.ch/bio/galland/).

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BIBLIOGRAPHIE

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1. Comparaison entre les TIC et le transport : nouvelle technique, vieille méthode

Les techniques d’information et de communi-cation – les TIC – sont au cœur du développementéconomique contemporain. Nées de la fusion del’informatique et des télécommunications, ellesportent sur la création, le traitement, le transport etle stockage de l’information, pour former dessystèmes d’information jouant un rôle central dansle fonctionnement des firmes et des administrations,en évolution permanente et intense. Dans uneperspective historique, on peut voir dans les TIC labranche dominante d’une phase longue de dévelop-pement économique, d’une « troisième révolutionindustrielle » caractérisée par l’introduction de gainsde productivité dans les services. La montée desfacteurs informationnels (sinon immatériels) dansl’économie est une tendance patente, et la baisse descoûts des équipements et des services des TICpermet leur diffusion accélérée dans tous les secteursd’activité économique et sociale, affectant toutes lesfonctions.

Les multiples conséquences et enjeux dudéveloppement des TIC et de leurs usages ont faitl’objet, depuis déjà quelque vingt ans, de nombreuxtravaux d’évaluation ou d’éclairage prospectif.Toutefois, les travaux portant sur leur dimensionspatiale, sur les relations entre TIC et territoire,sont restés relativement rares.

Pour autant, les questions correspondantesengendrent de nombreux préjugés, pertinents outrompeurs, qui débouchent rapidement sur le terrainpolitique : qu’il s’agisse des délocalisations d’activités(qui verraient un grand nombre d’emplois transférés,avec l’aide des TIC, des pays industriels vers les pays àbas salaires), du télétravail (qui permettrait deremettre en cause la localisation de l’emploi et mêmela relation salariale fondamentale entre les employéset les entreprises), des enjeux géographiques de ladéréglementation des télécommunications (est-ceune chance de rattrapage pour les régions périphé-riques ou enclavées ?), de la force compétitive del’économie française, marquée par son histoireparticulière en matière de services publics, etc. Lesimages qui accompagnent le développement des TICne sont rien moins que cohérentes : certaines enmagnifient les effets (une étude menée en 1971, pourle compte d’ATT, prévoyait qu’en 1980 la majorité des

cadres américains travailleraient à domicile), d’autresles nient (apparente transparence et non matérialitédes TIC alimentant le mythe de leur neutralitéspatiale).

Il s’agit ici d’appréhender les relations entre lesTIC et l’espace par référence à un autre mode decommunication, organisé en réseau, inscrit sur leterritoire, mais beaucoup plus ancien et ayant faitl’objet de nombreux travaux : le transport. Lesméthodes et leurs conclusions élaborées pour letransport sont-elles utiles, sinon directementtransposables, pour l’étude d’une technique nouvelle,celle des TIC ?

Cette question sera examinée par référence à lalittérature existante relative aux relations entre TIC etterritoire (la littérature touchant le transport étantsupposée mieux connue) et aux réflexions de l’atelier« TIC et territoire » organisé en 1996-1997 par leCommissariat général du plan, atelier présidé parMichel Fouquin (directeur adjoint du CEPII),coanimé par Alain Rallet (professeur à l’UniversitéParis IX) et Moustanshire Chopra (chargé de missionau Commissariat du plan), et dont j’étais rapporteur.Je tiens à remercier vivement les membres de cetatelier, auxquels cette communication doit beaucoup.Toutefois, selon la formule usuelle, ce document detravail n’engage que son auteur.

2. Un modèle de référence : les relations entre transport et territoire

On sait la place primordiale qu’a tenue letransport dans l’élaboration de l’économie spatiale,avant même le XIXe siècle : qu’il s’agisse de spéciali-sation des sols agricoles, de localisation desindustries ou de morphologie de l’armature urbaine,la minimisation du coût de transport des marchan-dises a longtemps été la variable explicativeprincipale, voire exclusive. Le transport est dès lorsapparu comme un facteur essentiel du dévelop-pement économique local, mesuré par ses effetsstructurants sur le territoire. Ce modèle est encoresous-jacent à certains discours politiques, quand desresponsables locaux affirment que la création d’uneinfrastructure nouvelle entraînera le développementde la zone dont ils se soucient.

Entre la période fondatrice de l’économiespatiale et la situation actuelle, des évolutions

TRANSPORT ET TERRITOIRE, TÉLÉCOMMUNICATIONS ET TERRITOIRE :UNE LECTURE PARALLÈLE

Michel SAVYprofesseur à l’École nationale des Ponts et Chaussées, directeur de l’École supérieure des transports,

Laboratoire technique, territoires et sociétté (LATTS)

continues ont bouleversé la technique et l’économiedu transport (de fret comme de personnes). D’unepart, le progrès de la productivité du transport en aconsidérablement abaissé le coût relatif, et laconsommation intermédiaire de transport nereprésente plus la part considérable du coût total quien faisait jadis un facteur primordial de localisation.D’autre part, la dotation du territoire en infrastruc-tures s’est largement améliorée et homogénéisée, iln’y a plus de région inaccessible, les écarts interré-gionaux ne sont plus que relatifs (en termes devitesse d’acheminement et de prix).

Le modèle fondateur des relations entretransport et territoire est donc aujourd’hui obsolète.Les exemples abondent, pour montrer des régionsprospères en dépit d’une desserte médiocre, etréciproquement des régions en crise malgré une fortedotation en transport. Les préoccupations environne-mentales, les contraintes budgétaires amènentaujourd’hui à examiner avec plus de rigueurl’opportunité de nouveaux investissements en infra-structures de transport, que la simple invocationd’effets structurants aussi puissants qu’automatiquesne suffit plus à rendre politiquement légitimes.

Le transport ne joue-t-il plus, pour autant,aucun rôle dans l’organisation de l’espace, et parconséquent dans le développement régional etl’aménagement du territoire ? Il joue pour le moinsun rôle permissif, d’exigence préalable. Si la présenced’une infrastructure de transport ne garantitnullement le déclenchement d’un effet de dévelop-pement, son absence y serait un obstacleinsurmontable. Le transport est une conditionnécessaire, mais non suffisante, du développement.C’est la pénurie de transport qui structure ! Les res-ponsables politiques le savent quand ils évoquent lanécessaire réduction des écarts de dotation entrezones pour éviter les effets d’éviction des zones moinsbien desservies.

En outre, le transport joue un rôle spatial plusprofond, mais qui s’inscrit dans la longue durée, enpermettant la mise en place d’une division spatiale dutravail de plus en plus accentuée et à plus large échelle,d’un nouveau schéma productif où les sites se spécia-lisent davantage et intensifient leur complémentaritéet leurs échanges réciproques. Cette question dufonctionnement spatial du système productif estainsi différente de celle, plus étroite et à court terme,de la localisation d’activités nouvelles et des critèresqui y président. Le transport, en se développant, cessed’être un facteur de localisation. Pour autant, ilautorise une répartition de la production dansl’espace qui, avec la baisse des coûts d’acheminementet la réduction des délais, atteint maintenant l’échelledu monde. L’économie spatiale s’analyse de moins enmoins comme une juxtaposition de zones, chacunemarquée par ses spécificités et relativement autonomesinon autarcique, et de plus en plus comme unsystème, où chaque zone n’existe qu’en relation avec

les autres. Les analyses économétriques montrent, expost, une forte contribution des infrastructures detransport au développement.

Simultanément à cet amoindrissement relatifdu rôle structurant des infrastructures de transportdans l’organisation du territoire, d’autres transfor-mations, organisationnelles, ont modifié laprestation de transport, dont la dimension spatialene saurait être ignorée.

Une première modification touche la séparationdes infrastructures et des services de transport.Traditionnelle pour le transport routier, cetteséparation sera graduellement introduite dans lechemin de fer, sous l’effet des réformes libérales et dela déréglementation promues par les autoritéscommunautaires, avec l’assentiment des Étatsmembres. La gestion de l’infrastructure elle-mêmeévolue, avec un souci d’« intelligence » faisantlargement appel aux TIC pour améliorer, en jouantsur l’information et sur les tarifs, l’utilisation descapacités existantes.

Quant aux prestations de transport, onobserve leur différenciation et leur complexifi-cation, dans une « relation de service » de plus enplus forte entre les chargeurs et les transporteurs,marquée par un marché où les acheteurs sont enposition de force et où les transporteurs sont tenusd’appliquer une démarche de marketing, incluantles besoins des chargeurs loin en amont dans laconception et le lancement des nouveaux services.Ceux-ci incluent une gamme de plus en plus larged’opérations, venant se greffer sur l’opération detransport pour lui apporter une valeur addition-nelle, de caractère logistique, qui dépasse parfoiscelle du transport proprement dit : tri, manu-tention, entreposage, conditionnement, finitionindustrielle, préparation de commandes et tenue destocks, entretien d’après-vente, etc.

En termes organisationnels, comme en termesspatiaux, les services de transport adoptent unemorphologie de réseau : pour couvrir des territoiresplus vastes, de façon plus homogène et efficace ; pourmieux associer, mais aussi différencier, les activités detransport (le long des arcs du réseau, eux-mêmesrépartis entre les liaisons longues de la traction et lesliaisons locales des enlèvements et livraisonsterminales) et les activités logistiques, implantéesdans les nœuds. Des entreprises différentesparticipent au fonctionnement du réseau, généra-lement sous la direction d’un chef de filecoordonnant ses soustraitants.

Les différenciations spatiales en matière detransport, si elles ne se réduisent plus aux dotationsen infrastructures, se marquent alors dans lesservices offerts aux entreprises régionales. Ladisponibilité de services logistiques efficaces est unélément important de développement, qui alimente

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Michel Savy

du reste une tendance générale à la polarisation duterritoire autour des zones métropolitaines. Lescollectivités locales ont inclus ces tendances dans leurpolitique, quand elles se soucient de promouvoir des« plates-formes logistiques », éventuellementmultimodales.

On observe que ces évolutions s’inscrivent dansdes tendances générales affectant l’ensemble desindustries en réseau : à un changement de vocabulaireprès, on observe aussi, dans l’industrie des télécom-munications, une séparation accrue de l’infrastructureet des services, du transport le long des arcs(transmission) et du traitement dans les nœuds (lacommutation), sans compter les multiples services àvaleur ajoutée. La comparaison du transport et destélécommunications n’en est que plus opportune.

3. L’application du modèle traditionnel du transport aux relations entre TIC et territoire

Pendant la première phase de leur dévelop-pement (et principalement de la diffusion massivedu téléphone), l’appréhension des effets des TIC surle territoire s’est spontanément référée au modèledisponible concernant le transport (et en dépit de lamise en cause dont celuici faisait dès alors l’objet).

Après quelques errements, les conclusionsauxquelles tous les chercheurs ont abouti pour lesTIC rejoignent celles établies précédemment pour letransport. Tout au plus le délai pour passer d’unevision simple, mécanique, des effets structurants àune compréhension plus nuancée, a-t-il été pluscourt pour l’étude des TIC.

Les TIC n’ont pas d’effet structurant mesurablesur le territoire, les enquêtes montrent qu’elles ne sontqu’exceptionnellement un facteur décisif de locali-sation d’une activité, que l’on saisisse le mouvementsous l’angle du changement technique ou des usageséconomiques. La nouveauté même des TIC estcontestée (on ne parle plus des NTIC) : le téléphoneest apparu il y a un siècle… En revanche, la disponi-bilité des TIC est bien une condition nécessaire àl’implantation et au développement de n’importequelle activité, mais au même titre que le bran-chement d’eau ou l’électricité.

Une autre voie de recherche a eu son heure devogue, plus directement encore reliée au transportpuisqu’il s’agit de la question de la substitution destélécommunications au transport. Il s’agit enl’occurrence, bien sûr, du transport de personnes. Lesdéplacements professionnels seraient bien moinsnombreux, les moyens modernes tels que la visiocon-férence permettant de communiquer et presque de se

rencontrer en faisant l’économie du temps et du coûtd’un déplacement physique. Les déplacementsquotidiens domicile-travail seraient égalementréduits, voire supprimés, avec la diffusion dutélétravail, qui permet à nombre d’activités tertiairesd’être exécutées loin des locaux professionnels usuels,dans des zones naguère à l’écart d’un développementessentiellement urbain, éventuellement au domicilemême du travailleur.

De tels changements sont bien apparus, mais leurampleur n’a pas pour l’heure correspondu aux projec-tions de leurs promoteurs. Une analyse plus fine a étéproposée, qui distingue, parmi les informationséchangées, celles qui ont un caractère standardisé,répétitif et qui se prêtent plus aisément à unetransmission par les moyens modernes, tandis que lesinformations moins routinières, alimentant unediscussion ou une négociation plus complexes,continuaient de faire l’objet de rencontres tradition-nelles, où tous les codes formels et informels de lacommunication interpersonnelle peuvent êtremobilisés. De fait, on observe que ce sont les personnesdisposant, dans leur situation professionnelle commedans leur vie privée, des meilleurs moyens de télécom-munication qui se déplacent aussi le plus. Il n’y a guèrede substitution des télécommunications aux transportsde personnes, mais plutôt une complémentarité, voireun renforcement réciproque (« On se téléphone et ondîne ensemble ! »).

Au fur et à mesure que s’estompait la pénuriequi avait marqué la disponibilité des TIC (enparticulier en France où la diffusion massive dutéléphone attendit la décennie soixante-dix), ledéveloppement de l’industrie de la communication,tout comme l’analyse de ses dimensions spatiales, estpassé d’une logique d’offre à une logique dedemande. Ici encore, la comparaison avec letransport et la logistique est pertinente. Les presta-taires ont renforcé leur comportement demarketing, pour accompagner, voire précéder, lesmultiples nuances des demandes de leurs clients,dans un contexte de plus en plus concurrentiel. Deleur côté, plutôt que de continuer à mettre lacréation d’infrastructures nouvelles parmi leurspriorités, les responsables publics du développementet de l’aménagement ont commencé à se soucier del’adéquation des services offerts à la diversité desdemandes locales, de la formation des utilisateurspotentiels pour leur permettre d’en tirer pleinementparti, etc.

Quant à la gestion des réseaux de télécommuni-cations, elle évolue de manière comparable à celle destransports, avec même un temps d’avance (lesrecherches récentes sur l’économie des réseaux, parexemple sur le caractère plus ou moins contestabledes marchés de grands monopoles nationaux, ontdavantage porté sur les télécommunications etl’énergie que sur le transport). On observe en effetune séparation plus nette entre l’infrastructure (où la

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Transport et territoire, télécommunications et territoire : une lecture parallèle

notion de monopole naturel des « common carriers »pour la transmission à longue distance et pour lesréseaux arborescents de distribution locale restepertinente) et les services (avec la commutation et lesservices terminaux « à valeur ajoutée », de plus enplus diversifiés, adaptés aux clients et concurrentiels).La gestion des réseaux se dote de fonctions « intelli-gentes » pour commander les infrastructures, lesnœuds et les arcs sont de plus en plus gérés par desentités distinctes (comme dans le transport !).

Une question de fond se pose, tant auxopérateurs publics et privés qu’aux régulateurspolitiques, celle de l’universalité ou de la différen-ciation de l’offre. L’adéquation de plus en plus fine del’offre à la demande plaide sans doute pour dessolutions sur mesure, telles que certaines grandesentreprises utilisatrices en ont déjà mises en place àune échelle internationale. Mais les notions de servicepublic, traduites en termes sociaux de catégoriesd’usagers ou en termes spatiaux de desserte duterritoire, appellent la mise en œuvre d’un serviceuniversel, dont le périmètre (mutabilité oblige) nesaurait être trop restreint ni le contenu trop pauvre.

4. Les usages des TIC et leurs effets spatiaux

Il est désormais admis que l’appréhension deseffets spatiaux des TIC doit passer par la médiationde l’usage qui en est fait : les comportements desacteurs, leurs stratégies, leurs rapports avec leurenvironnement de fournisseurs, clients et autres« partenaires » (dont l’importance est aujourd’huitrès en vogue dans l’analyse économique générale etdans l’analyse spatiale). L’accent ainsi mis sur lesentreprises ne dispense pas d’étudier aussi les effortsanticipateurs ou régulateurs des pouvoirs publics,nationaux ou locaux.

En outre, ces usages et leurs effets s’inscriventdans une histoire longue et le territoire montre uneinertie bien plus grande que celle des multiplesacteurs qui s’y inscrivent et le façonnent. La diversitédes facteurs contribue aussi à la dissolution deseffets propres des TIC dans des évolutions plusglobales.

Il ne faudrait pas pour autant sous-estimer lecoût, les enjeux et les effets spatiaux du dévelop-pement des TIC par leurs utilisateurs, même sicertains acteurs tiennent un discours très « technolo-gique », selon lequel les nouvelles techniquesrésolvent souverainement, sans problème d’adoptionni d’effets pervers, tous les problèmes de communi-cation, jusqu’à abolir l’espace dans le comportementde la firme. L’introduction des TIC ne peut porter sesfruits que si elle s’accompagne d’une remise en causeradicale du système d’information et, partant, de

l’ensemble de la structure et du fonctionnementinterne de l’entreprise utilisatrice et de ses liens avecson environnement. Mais à l’évidence, les objectifspoursuivis sont l’amélioration de l’efficacité ou de lacompétitivité de la firme, et les aspects spatiauxpassent davantage pour un effet fatal que pour unefinalité propre. Il demeure que la fin de la pénurie enmatière de télécommunications était nécessaire audéveloppement de la division spatiale des activités(qui s’est notoirement accentuée, en France, dans laphase dite de « décentralisation industrielle »), etqu’aujourd’hui, un nouvel espace des communica-tions se dessine, que les acteurs comme les chercheursont encore du mal à représenter en se démarquantdes représentations cartographiques traditionnelles.La métrique de ces « hypercartes » doit-elle être fixéepar le coût des communications, éventuellementcombinée aux capacités de transmission et auxservices disponibles, et non plus par les distances ?

Si l’on appréhende les effets des TIC à travers lesusages qui en sont faits, il convient de diversifierl’approche, selon la nature des activités utilisatrices.En particulier, parmi les activités de service, selonl’intensité de l’utilisation des TIC, tant dans lefonctionnement propre de la firme que dans sesrapports avec ses clients (la coproduction de nom-breuses prestations mettant en cause la distinctionentre activité interne et activité relationnelle). Lapresse, les télécommunications, les institutionsfinancières, les assurances sont parmi les utilisateursles plus forts des TIC. Moins liées que les industriesmanufacturières au traitement de produits matériels,on peut penser qu’elles sont, du fait des TIC, pluslibres que naguère dans leurs choix de localisation.Mais ce sont précisément les activités où les relationsde service, celles qui lient le prestataire et son client,sont le plus intenses, au point d’exiger souvent uneproximité spatiale forte, ou à tout le moins desdéplacements fréquents pour permettre les ren-contres « immédiates ». Il s’ensuit que, pour lesindustries, les délocalisations ont été sans doutefacilitées par l’introduction des TIC, mais sans quecelles-ci en soient l’explication principale. En termespolitiques, la concurrence des pays à bas salaires aparfois été présentée comme une cause majeure duchômage dans les pays développés, alors que d’unepart, les effectifs concernés sont très modestes face àceux de l’ensemble des chômeurs, et que d’autre part,on constate même, pour les industries à fort contenud’innovation qui sont précisément consommatricesde TIC, une tendance à la relocalisation en zonecentrale.

Parmi les multiples activités de l’industrie et desservices, les tâches spécifiquement dévolues autraitement de l’information voient-elles leur locali-sation modifiée du fait des TIC ? Des exemplesexistent, concernant des « call-centers », des centresde saisie, des équipes de programmation informa-tique, qui sont cités partout et portent finalement surdes effectifs limités. Des contre-tendances existent en

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Michel Savy

effet, qui ont des effets spatiaux inverses, telles que lasaisie décentralisée des informations, partout dans leréseau de la firme et parfois par l’utilisateur lui-même, qui concurrence sa dévolution à un organecentral spécialisé et éventuellement délocalisé. Dansl’industrie immatérielle par excellence qu’est l’inter-médiation financière, on observe une polarisationplus forte que jamais, à l’échelle mondiale, autour dequelques places (New York, Londres, Tokyo) quiconcentrent la main-d’œuvre compétente, l’environ-nement technique et urbain adéquat, et quipermettent aussi autant que de besoin le face-à-facedirect entre le prestataire et le client.

La concurrence entre les capitales nationalespour accéder au rang de « ville mondiale » est dureste un exemple d’effet structurant des TIC ! Ladisponibilité des services les plus avancés de TIC, àdes tarifs compétitifs, est une condition pourpouvoir participer à cette compétition très sélective,où interviennent également bien d’autres facteurstouchant au marché du travail, de l’immobilier, desservices, à l’intensité des relations d’information etd’échange qui intéressent les banques, les cabinetsde droit international, les conseils en expertisecomptable, les agences de publicité, etc.

Quand une césure peut être opérée entre lesopérations de « front office », de contact avec leclient, et de « back office », ces dernières bénéficientd’une souplesse de localisation plus grande, qui peutse traduire par des implantations hors desmétropoles, ou dans les zones périphériques de celles-ci, qui peut avoir un effet « rééquilibrant » sur leterritoire, tandis que les utilisateurs eux-mêmespeuvent avoir accès aux services, ou du moins auxplus banals d’entre eux, à distance.

Du reste, la dissociation des activités« matérielles » et « immatérielles », déjà contestableau plan conceptuel, ne s’observe guère sur le terrain.Le thème du commerce électronique est aujourd’huià l’ordre du jour, qu’il touche les usages profes-sionnels ou le grand public. Internet permet en effetd’imaginer un marché virtuel global et parfait,transparent, échappant aux réglementations et à lafiscalité nationales, court-circuitant les intermédiairescommerciaux traditionnels. Si un tel marché se meten place, il ne saura fonctionner sans se redoublerd’un dispositif, bien matériel celui-ci, d’achemi-nement physique, de transport des marchandiseséchangées. Une logistique efficace, recourantlargement à la messagerie express, est le complémentnécessaire d’une transaction électronique, dès lorsqu’il s’agit de rendre effectivement consommable leproduit qui a été offert, choisi et acheté. On note que,réciproquement, les TIC sont désormais un élémentcentral du fonctionnement des réseaux logistiques.

Le télétravail est assurément l’aspect le plusspectaculaire, tant pour le grand public que pour lesaménageurs, des possibilités ouvertes par les TIC. Si

certains y voient une notion fourre-tout peu convain-cante, les définitions du télétravail semblent sestabiliser. Il s’agit bien d’un travail de production deservice « délocalisé », hors des lieux de travail usuels, etfaisant usage des TIC. Cette activité peut être destinéeau fonctionnement interne de la firme, ou à unerelation, directe quoiqu’à distance, avec les consom-mateurs (qui ont alors, de leur côté, accès à untéléservice). Selon que l’on considère les seuls salariésou aussi les travailleurs indépendants, les télétra-vailleurs à temps plein ou à temps partiel (qui serendent épisodiquement dans un établissement deleur entreprise), réguliers ou occasionnels (le cadre quiboucle un dossier chez lui le samedi sur sonordinateur relié au réseau est-il un télétravailleur ?), lessédentaires et les itinérants, ceux qui travaillent chezeux ou dans un local professionnel décentralisé(éventuellement partagé par plusieurs entreprises), leseffectifs comptabilisés sont très différents, et en toutcas inférieurs à 1 % de la population active totale. Lesexemples de délocalisation radicale (les dactylo-graphes qui reçoivent des manuscrits par fax, dans unvillage d’une région rurale, ou le cottage électroniqued’un consultant indépendant) sont rares, leur impactsur l’emploi, même à l’échelle de bassins en dépressionou tout poste de travail est précieux, reste marginal. Lamodestie de ce constat – très en retrait par rapport àcertains discours prosélytes – reflète-t-elle l’inévitablelenteur de la diffusion d’un changement radical ?D’autant que les modifications liées au télétravail sontplus fortes encore dans l’organisation du travail quedans sa localisation. Le télétravail s’inscrit en effet dansdes changements globaux, qui touchent la notion dedurée du travail (remplacée par le paiement à latâche), la séparation entre temps et lieux profes-sionnels et privés et qui, en allant au bout despréoccupations de flexibilité, remettent en cause lesalariat lui-même. Les organisations syndicales semontrent réservées face à cette formule, simulta-nément moderne et archaïque, qui laisse chaquetravailleur seul face à son employeur, voire le poussevers le statut de travailleur individuel (dans ladépendance de son commanditaire).

Plutôt que dans sa forme « pure », qui peut restermarginale, le télétravail occasionnel est un élément deplus dans la recherche de flexibilité (dans l’espace,avec le nomadisme, et dans le temps) du travailtertiaire sans supprimer entièrement le besoin de larencontre directe, indispensable à une communi-cation informelle, c’est-à-dire approfondie.

Bien sûr, toutes les entreprises ne sont paségalement en mesure de tirer parti des ressources desTIC. Les organisations flexibles telles que certainesgrandes entreprises informatisées ont, d’emblée, unéquipement, une culture et un mode de fonction-nement qui permettent d’élargir et d’intensifier leurusage, alors que les PME d’une part, les « bureau-craties mécanistes » d’autre part, ont moins defacilité. Dans tous les cas, l’investissement« immatériel » (la formation des hommes, la réorga-

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Transport et territoire, télécommunications et territoire : une lecture parallèle

nisation des structures) est à la fois très important etdifficile à mesurer. Quant à la mesure des avantagesobtenus en contrepartie, elle est d’autant plus difficileque s’intensifie la mise en réseau, qui associedavantage le fonctionnement de l’entreprise et celuide ses partenaires extérieurs. On évoque souvent, àpropos des investissements dans les TIC, le paradoxede productivité : alors qu’aucun résultat significatifne peut être mesuré dans les performances de lafirme, l’investissement est considéré comme unenécessité stratégique, dès lors que l’usage des TICs’impose comme une norme sociale de fait.

5. L’offre de TIC et ses effets spatiauxLes effets spatiaux de l’offre de TIC s’inscrivent,

comme pour le transport, dans un autre paradoxe :au fur et à mesure de son développement, et doncdu renforcement de son rôle social, l’influencestructurante d’une infrastructure et des servicesdont elle est le support s’affaiblit. Les écarts interré-gionaux disparaissent avec la réduction de lapénurie, le service devient de plus en plus indispen-sable et néanmoins, disponible en tout point,spatialement banalisé. Des critères qui, en temps depénurie des TIC, passaient au second rang,deviennent primordiaux dans un choix de locali-sation, et les télécommunications en viennent ainsià valoriser précisément ce qui n’est pas communi-cable...

Pour autant, l’homogénéisation n’est qu’unetendance, constamment remise en cause par desinnovations (techniques ou commerciales) qui,offertes d’abord dans des zones plus à même d’enconsommer les produits, réintroduisent de lapénurie relative, c’est-à-dire des effets décalés dedéveloppement territorial. Les choses vont toutefoisbeaucoup plus vite en matière de TIC qu’en matièrede transport, si bien que les effets territoriaux desécarts interrégionaux ont moins le temps des’inscrire durablement sur le territoire. Plusieursraisons contribuent à cette plus grande rapidité : lafraction linéaire des infrastructures de télécommu-nications est techniquement plus légère à mettre enplace et économiquement moins coûteuse que celledes infrastructures de transport, et la couvertured’un territoire s’effectue plus rapidement. En outre,ces équipements sont, sinon transparents, du moinsbeaucoup plus discrets dans le paysage. Ils neprovoquent pas d’effet de coupure, n’engendrentpas de nuisance à leur proximité : le rejet environ-nementaliste (ou NIMBY) qui fait de plus en plusobstacle à la construction d’infrastructures detransport n’affecte pas les TIC.

Dans un souci de conquérir des avantagescomparatifs, ou a contrario de compenser deshandicaps, les collectivités locales peuvent se saisir desTIC comme d’un domaine nouveau de dévelop-

pement, d’aménagement, d’animation économique.Les téléports, parfois couplés à des technopôles,offrant à la fois un partage d’équipements de pointeaux utilisateurs qu’ils hébergent et une tarificationavantageuse, ont pu jouer un rôle de vitrine desnouvelles techniques, de catalyseur dans une périoded’apprentissage. Leur développement, en France, a étélimité, du fait du monopole de l’opérateur nationalqui souhaitait contrôler le plus possible le processusde déréglementation. Typiquement, la question de la« gouvernance » est posée par l’intervention simul-tanée, sur le même espace, de plusieurs niveaux decollectivités territoriales et nationales, avec lesproblèmes de cohérence et de compatibilité de leurscompétences, de leurs moyens, de leurs finalités. Uneresponsabilité particulière appartient sans doute auxcollectivités locales pour l’animation du site, pour enouvrir l’accès au plus grand nombre possible d’acteurslocaux. Simultanément, les TIC sont par nature l’illus-tration de ce que le développement local ne saurait seréduire à ses facteurs dits endogènes, c’est-à-dire seconfondre avec le localisme.

Si, dans un marché tendanciellement concur-rentiel et dominé par la demande, l’efficacité d’unepolitique publique portant sur l’offre est limitée, restele risque d’un « aménagement a contrario », quiconsisterait à ne pas équiper, parce qu’elles ne sontpas rentables pour l’opérateur, les zones économi-quement retardées : leur retard ne ferait ques’accroître. Les autorités européennes en sontconscientes, qui consacrent des fonds structurelsimportants (plusieurs milliards d’écus) à l’équi-pement des zones périphériques. Une certaineflexibilité technique permet, selon la densité géogra-phique de la demande, de choisir parmi plusieursprocédés pour assurer la couverture aréolaire d’unezone, entre le câble, les transmissions par radiocellulaire, les satellites qui ignorent les zones d’ombre.Conformément à la théorie des marchés contestables,les opérateurs, même en situation provisoire demonopole, tendent à rapprocher la structure de leursprix de celle de leurs coûts. Les zones peu denses, oùles coûts d’installation et de production des servicessont plus élevés, risquent d’en pâtir, non seulementen termes de branchement et d’offres de services,mais aussi de tarification (qui se décompose elle-même entre l’abonnement et les communications).La logique économique d’entreprise et la logiquepolitique d’égalité d’accès des régions aux TIC sontdonc contradictoires. L’équité territoriale est unecomposante essentielle du service universel, quidéfinit les obligations de service public que devrontassumer les opérateurs, dans le cadre d’unengagement contractuel avec le régulateur, dans unscénario de libéralisation.

Bien sûr, la dimension spatiale n’est pas la seulequi intéresse les pouvoirs politiques nationaux eteuropéens : les politiques de la recherche et de latechnologie, de l’industrie, de la concurrence y sontparties prenantes. Par exemple, une prise de

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Michel Savy

conscience est en cours, relative au retard européen enmatière d’utilisation d’Internet, dont les enjeuxéconomiques directs touchent à la fois l’industrieinformatique (matériels et logiciels), les télécommuni-cations (fourniture du matériel et gestion desréseaux), les contenus (industrie de la communicationmultimédia), et dont les enjeux indirects, à travers lecommerce électronique notamment, s’étendent àl’économie tout entière, sans compter des enjeuxculturels primordiaux. Des incitations diverses pouren intensifier l’offre (par des subventions, une fiscalitéfavorable, des opérations pilotes, etc.) et la demande(par la formation, le conseil, etc.) seront mises enplace. Il sera opportun d’en apprécier la dimensionterritoriale, qu’elle soit ou non délibérémentrecherchée par les décideurs.

6. Le territoire des TICDès les années 80, le débat scientifico-politique

opposait une vision « optimiste » des TIC et de leursvertus décentralisatrices (tant d’un point de vueorganisationnel que géographique) et une vision« sceptique » qui, considérant la neutralité et la malléa-bilité des TIC, estimait qu’elles s’inscriraient plutôtdans les tendances dominantes à la concentration et àla différenciation de l’espace.

Déjà, il était noté que « c’est la pénurie quistructure », et qu’en se diffusant, une infrastructuredilue ses pouvoirs structurants, c’est-à-dire discrimi-nants, sur l’espace. En outre, quand un nouveaumode de communication vient faciliter les rapportsentre deux zones d’inégales importance et de vitalitééconomique, c’est généralement la zone la pluspuissante et la plus dynamique qui renforce soninfluence sur la plus faible : les inégalités spatialessont, en dépit de la théorie de l’équilibre, cumulatives.

Il n’est donc pas surprenant que les TIC, quipourraient soutenir une réallocation spatiale desactivités et permettre la production (et la consom-mation) de services dans des zones jusqu’alors assezisolées, contribuent de fait à la polarisation del’espace. Les métropoles, ces grands commutateursde l’économie moderne, sont certes le siège desrencontres directes, du face à face communicationnel.Mais, sans les TIC, elles succomberaient sans doute àleur propre congestion : les télécommunications sontmondiales, mais la plus grosse part de leur usage est àcourte distance, interne aux agglomérations !

Toutefois, la question de la localisation desactivités n’épuise pas l’analyse des effets spatiaux desTIC. Plus lentement et plus profondément, de façondiffuse, les TIC contribuent (avec d’autres réseaux de

transport de personnes, de marchandises, d’énergie)à l’évolution du fonctionnement spatial du systèmeproductif, au double mouvement de division et decoopération du travail dans l’espace. Le resserrementdes liens entre production et distribution, l’élargis-sement des aires de marché, la convergence entrel’industrie et les services dessinent une économie desréseaux, où l’accent est mis davantage sur lasynchronisation de la gestion, désormais plusexigeante pour les variables temporelles (la maîtrisedu temps, avec le raccourcissement et la fiabilisationdes délais) que pour les variables spatiales (avec ladiminution du coût de la distance).

Interconnexion, intégration, circulation hori-zontale de l’information : les entreprises recherchentde nouvelles méthodes de gestion pour concilier lasolidarité entre fonctions (et souvent la concentrationdu pouvoir stratégique) et l’autonomie opérationnelledes entités locales, selon divers modèles en réseau,cellulaires, maillés. Le management participatif, laqualité totale, les flux tendus participent de l’économiede la communication. Le modèle du réseau est utiliséà différentes échelles et va jusqu’à intégrer une« méga-firme » incluant l’entreprise et ses diversétablissements, le groupe auquel elle appartient ouqu’elle contrôle, mais aussi les principaux sous-traitants, ainsi que les partenaires extérieurs.

À la mise en réseau de la firme correspond, avecun rythme et un contenu différents, la mise en réseaudu territoire. Les relations sectorielles importentdésormais davantage que les relations de proximité,l’espace se polarise mais les liens entre les capitalesrégionales et leurs arrière-pays traditionnels sedistendent au profit de solidarités à distance, entrepôles complémentaires mais non contigus. Les échellesse brouillent, les relations locales sont valorisées surdes marchés globaux, passant outre les niveauxgéographiques et institutionnels intermédiaires.

Les politiques publiques (menées par les Étatsou les collectivités locales) n’ont désormais qu’unimpact limité sur les effets territoriaux des TIC, aufur et à mesure de leur diffusion. Il faut toutefoisveiller à ce que, à chaque innovation technique oucommerciale, les régions défavorisées ne soient paslaissées de côté ou desservies de façon tardive, ce quiaccentuerait leurs handicaps : la notion de « serviceuniversel » a ici tout son sens.

Si le territoire s’étudie désormais davantagecomme un réseau que comme une somme de zones,si la géographie des flux l’emporte désormais sur lagéographie des lieux, c’est pour beaucoup l’effet desindustries réticulaires qui soutiennent les échangeset les circulations, et des TIC qui en permettent lepilotage.

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Transport et territoire, télécommunications et territoire : une lecture parallèle

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BIBLIOGRAPHIE

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La question de l’impact spatial des technologiesde l’information et de la communication (TIC) esttrès discutée depuis le début des années 1980.Certains soutiennent que les possibilités offertes parles TIC de transmettre de l’information sous desformes riches et variées auront pour effet d’abolirprogressivement le rôle de la distance dans uneéconomie de plus en plus dominée par les activitésimmatérielles. En réaction à cette position, d’autressoulignent au contraire que les acteurs devronttoujours se rencontrer dans des relations de face àface, notamment quand il s’agit d’activités complexesimpliquant des interactions fréquentes.

Le débat conditionne les hypothèses que l’onpeut faire sur le développement de phénomènescomme le télétravail, les téléservices, le commerceélectronique ou la délocalisation d’activités ter-tiaires à l’étranger mais sur lesquels il existeaujourd’hui peu de conjectures raisonnées1.

Dans ce papier, nous prenons l’exemple d’acti-vités qui sont à la fois très concentrées dans l’espace ettrès intenses en échanges d’information : les activitésde recherche et d’innovation (Feldman et Massard,2001). La question est de savoir si ces activités quiconstituent un élément moteur du développementéconomique pourraient être plus également répartiesdans l’espace grâce à l’utilisation des TIC. La questionse pose aussi bien pour les firmes qui doivent définirl’organisation spatiale de leur activité de R&D que lesinstitutions publiques désireuses de favoriser lessynergies entre les universités, les centres de rechercheet les firmes. Y a-t-il par exemple encore un sens àvaloriser les synergies locales par rapport à des liaisonsavec des acteurs éloignés ?

La question est complexe. Elle l’est d’autantplus que nous manquons de recul et que les effetsdes technologies de communication ou de transportsur la localisation des activités sont toujours trèslongs à apparaître clairement. La recherche dans cedomaine a surtout pour objectif d’élaborer desconjectures en s’appuyant sur une grille concep-tuelle et sur des études de cas. Tel est ici l’objectif.Une fois formulées, ces conjectures peuvent fairel’objet d’analyses empiriques plus systématiques.

Par ailleurs, cette question peut être traitée dedifférentes manières. Nous privilégierons ici uneapproche en termes de mécanismes de coordinationet analyserons la question sous la forme suivante :

dans quelle mesure les caractéristiques des mécanismesde coordination développés dans le cadre d’unprocessus coopératif de recherche ou d’innovationimposent-ils aux acteurs d’être physiquement prochesles uns des autres et jusqu’à quel point et sous quelleforme les TIC modifient-elles cette contrainte entransformant les supports de ces mécanismes ?

Nous procéderons en trois temps. Dans unepremière section, nous exposerons la thèse sur lalocalisation des activités de recherche et d’inno-vation habituellement présentée dans la littératureéconomique. Dans une deuxième section, nousprésenterons une grille conceptuelle. La troisièmesection sera consacrée aux enseignements des étudesde cas que nous avons menées et aux conclusions.

I. Caractéristiques des activités de recherche, contraintes de proximité physique des acteurset développement des TIC

La thèse peut être présentée en deux temps.Dans un premier temps, il est fait abstraction desTIC. Le problème de la coordination à distance pourdes activités complexes se pose en effet en soi. Oncherche à savoir dans quelle mesure la proximitéphysique des acteurs est nécessaire à leur coordi-nation compte tenu des caractéristiques desactivités. Dans un second temps, on s’interroge surl’impact des TIC sur cette contrainte et, de là, surleur capacité à introduire une nouvelle géographiede la coordination à distance.

La proximité physique : une contrainte relative

La thèse peut s’énoncer ainsi :

– « Proximity and location matter » (Audretsch etFeldman, 1996) entre les acteurs participant à unprocessus de R&D et, plus généralement, à desprocessus d’innovation en raison de la natureparticulière des échanges opérés dans ces processus.

– La spécificité de ces échanges est de porter sur desconnaissances dont la transmission entreindividus est difficile. En effet, les inputs informa-tionnels qui composent les processus de R&D ou

L’IMPACT DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION SUR LA LOCALISATION DES ACTIVITÉS DE

RECHERCHE ET D’INNOVATION : VERS LA FIN DES EFFETS DE PROXIMITÉ ?

Alain RALLETADIS, Université Paris Sud [email protected]

1 Un bilan de l’ensemble des impacts économiques des TIC est proposé dans Brousseau et Rallet (1999).

d’innovation ne doivent pas être considéréscomme des biens publics contrairement à cequ’Arrow a autrefois suggéré (1962), c’est-à-direqu’ils ne constituent pas des informationslibrement accessibles et utilisables se diffusantrapidement dans l’ensemble de l’économie. Lesrecherches ultérieures ont fait apparaître lanécessité de distinguer primo, les informationsdes connaissances et secundo, les connaissancescodifiées des connaissances tacites.

– Par « information », on entend des flux de messages(Machlup, 1983) tandis que la connaissanceimplique par définition l’activité cognitive del’agent, c’est-à-dire sa capacité à sélectionner, traiteret interpréter des flux de messages de manière à enproduire de nouveaux. On comprend qu’étantattachée aux individus, l’activité de connaissance nepuisse se partager et s’élaborer qu’au travers decontacts directs. Cette contrainte est toutefoisrelâchée par la possibilité d’objectiver une partie del’activité de connaissance sous la forme de résultatsexistant en dehors des individus et pouvant circulerindépendamment des personnes les ayantélaborées. On est alors conduit à la secondedistinction entre connaissances tacites et connais-sances codifiées (Polanyi, 1966). Les connaissancestacites sont incorporées aux individus (ou auxorganisations) tandis que les connaissancescodifiées prennent la forme de flux de messagescirculant sous la forme de supports indépendantsdes personnes.

– Dans la mesure où elles sont incorporées dans lesindividus, les connaissances tacites ne peuvent êtretransmises qu’en partageant les mêmes expériencesde travail, ce qui implique a priori la proximité desagents. En revanche, les connaissances codifiéespeuvent être transmises à distance puisqu’ellescirculent sur des supports indépendants despersonnes.

On en conclut que la contrainte de proximités’exerce à proportion des connaissances tacitesincluses dans le processus de recherche. Plusl’élément tacite est fort, plus la relation de face à faceest nécessaire.

Contrainte de proximité et utilisation des TIC

En quoi l’utilisation de TIC dans la coordi-nation des activités de recherche et d’innovationchange-t-elle fondamentalement la situation décriteci-dessus ? Les arguments habituellement rencontréssont les suivants :

– Les TIC ne modifient pas fondamentalement lacontrainte de proximité. En effet, les TICpermettent surtout de transmettre à distance lesconnaissances qui sont déjà codifiées. D’uneposition distante, on peut ainsi plus facilementaccéder à des bases d’information, consulter un

mode d’emploi ou une publication, envoyer destextes, des données ou des images…

– Les TIC ne servent pas seulement à accroître lacirculation à distance des connaissances codifiéesmais sont aussi un puissant instrument de codifi-cation des connaissances. On a cru pouvoir endéduire que le développement des TIC allait setraduire par un degré de codification croissantedes connaissances. Dans ce cas, la contrainte deproximité qui s’exerce sur les activités derecherche et d’innovation aurait été considéra-blement relâchée, voire annulée. On ne trouveplus aujourd’hui d’auteurs soutenant cette thèsesimpliste (cf. la position nuancée prise par Forayet Lundvall, 1996). Certes, les TIC transformentdes connaissances tacites en connaissancescodifiées par des opérations aussi diverses que lessystèmes experts, la mémorisation et l’archivagedes savoirs tacites ou la formalisation deprocédures de travail auparavant informelles.

– Mais les TIC ne peuvent faire disparaître lesconnaissances tacites ni même les réduire à uneproportion accessoire pour quatre raisons :

1) Le rapport entre le coût et l’efficacité de la codifi-cation des connaissances peut être médiocre. Lacodification a en effet un coût et ce coût croît avecle degré d’implicite de la connaissance. Il estparfois plus efficace de s’appuyer sur des connais-sances implicites que sur des connaissancescodifiées. Elles sont certes difficilement transmis-sibles mais leur emploi est immédiat et a des effetséprouvés. Le registre aujourd’hui plus modestedévolu à l’intelligence artificielle et aux systèmesexperts témoigne des limites de la codification(sur ce point, Hatchuel et Weil, 1995).

2) Le progrès des sciences et des technologiesreconstitue sans cesse de nouvelles connaissancestacites car les connaissances nouvelles émergentsous la forme de savoirs non immédiatementformalisables et transmissibles à un grandnombre. Cela est vrai non seulement des savoirsempiriques mais aussi des savoirs plus abstraits.La différence est que plus le savoir prend uneforme abstraite, plus sa part implicite se situe enamont de la phase d’émergence. Par exemple, lavie de laboratoire et plus généralement l’organi-sation de la communauté scientifique sontessentielles pour comprendre les résultats d’uncentre de recherche en sciences exactes commel’ont montré les travaux de Callon et Latour(Callon, 1989) même si le savoir est in fineproduit sous la forme de résultats codifiés.

3) Les connaissances tacites sont complémentaires desconnaissances codifiées. Comme le souligneNonaka (1994), il est difficile d’imaginer desconnaissances codifiées sans recours à des connais-sances tacites. Pour être utilisées, les connaissances

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Alain Rallet

codifiées requièrent des codes d’interprétation quidépendent des facultés subjectives des individus etappartiennent au domaine de l’expérience sensible.Toute communication formalisée implique uneméta-communication qui ne l’est pas. Des connais-sances totalement codifiées seraient inemployableset non partageables.

4) L’usage des TIC demande lui-même le partage deconnaissances tacites. L’usage de tout outiltechnique de communication suppose l’existencede codes et de pratiques qui sont pour l’essentielimplicites. Quand les outils sont nouveaux et queleur usage n’est pas encore socialisé à une largeéchelle, les codes et les pratiques nécessaires à l’utili-sation de ces outils doivent être prélevés dans lestock de connaissances tacites partagées par unemême communauté d’individus. On aboutit àl’apparent paradoxe selon lequel l’usage desnouveaux outils de communication à distance est leplus intensif entre les individus qui se rencontrentle plus fréquemment. Ils puisent dans leursrencontres et leur fréquentation mutuelle, leséléments tacites qui leur permettent de trouver unlangage de communication adapté aux nouveauxoutils techniques.

Pour toutes ces raisons, les connaissances tacitesne sont pas appelées à disparaître. En conséquencede quoi, les relations de face à face s’avèrentnécessaires pour les transmettre. Dans la mesure oùla mise en œuvre des processus de recherche etd’innovation implique d’importants échanges deconnaissances tacites, la contrainte de proximité desacteurs concourant à ces processus est forte.

On en conclut que la proximité s’avère uninstrument nécessaire de la coordination, bien qu’ilfaille s’attendre à une extension de l’échelle géogra-phique des processus de coordination grâce à lapossibilité d’accéder à distance et de partager àdistance des connaissances codifiées.

Tel est le cadre général du raisonnement. Il fautensuite évidemment l’appliquer à tel ou tel processusde recherche ou d’innovation. Le rapport entreconnaissances tacites et connaissances codifiées varieselon la nature de ces processus (activités scienti-fiques ou technologiques, recherche fondamentaleou appliquée, recherche ou développement, activitéscience-based ou technology pushed, biotechnologieou textile…). La contrainte de proximité est ainsiplus ou moins forte selon les activités, de même quel’impact des TIC, mais nous nous en tenons ici aucadre élémentaire du raisonnement théorique.

Le mérite de cette thèse est de s’opposer auxeffets ravageurs de certains discours sur la société oul’économie « virtuelle ». Elle sous-estime cependantles potentialités de la coordination à distance,potentialités qui ne découlent pas seulement des TICmais aussi de l’évolution des modes d’organisation

des activités de recherche et d’innovation. C’estpourquoi il faut en venir à une position plus nuancéeet pour cela préciser notre grille conceptuelle. Tel estl’objectif de la seconde section.

II. Une grille analytiqueLa position exposée ci-dessus repose sur une

opposition duale (connaissances tacites-connaissancescodifiées) servant une argumentation simple (lesconnaissances tacites impliquent la proximité, lesconnaissances codifiées supportent la coordination àdistance) que le développement des TIC ne remet pasen question (car elles ne touchent que la transmissionde connaissances codifiées). Nous n’épousons pas cepoint de vue car nous rejetons les trois assertions qui lefondent. Tout d’abord, l’opposition « connaissancestacites-connaissances » codifiées ne porte que sur lecontenu de l’échange, ce qui est insuffisant pourcaractériser un mécanisme de coordination. Ensuite,l’identification postulée entre « tacite » et « proximité »est abusive (on peut échanger des connaissances tacitespar d’autres voies que la proximité physique). Enfin, lesTIC ne servent pas seulement à transmettre desconnaissances codifiées mais aussi, dans une certainemesure, à partager des connaissances tacites.L’évolution technologique va d’ailleurs dans ce sens.

Nous adopterons donc une autre grilleanalytique. Trois types de paramètres nous semblentimportants pour comprendre les relations entre lesmécanismes de coordination, la distance (proximité)et les TIC. Il y a d’abord la nature des mécanismes decoordination que nous éviterons de caractériser parl’opposition substantialiste « connaissances tacites-connaissances codifiées ». Ces mécanismes se prêtentplus ou moins à la coordination à distance et à l’usagedes TIC. Il y a ensuite la nature des outils techniques.Ceux-ci ne sont pas en effet homogènes et peuventservir de support à différents types de coordination(le téléphone ne sert pas en effet aux mêmes interac-tions que les systèmes informatiques intégrés). Il y aenfin la nature des modèles d’organisation qui influentsur les mécanismes de coordination et sur les outilstechniques utilisés. Ce n’est pas en effet la mêmechose de développer un projet d’innovation dans lecadre d’une organisation centralisée que de coopérerdans le cadre d’une communauté aux règlesinformelles.

Les mécanismes de coordination

Il est commode de partir de la classification desmécanismes de coordination construite à partir dela typologie proposée par Mintzberg (1990). Cetteclassification est basée sur le caractère plus ou moinsformel des interactions.

Mintzberg distingue cinq types de mécanismesde coordination : l’ajustement mutuel qui se réalise

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L’impact des technologies de l’information et de la communication sur la localisation des activités de recherche et d’innovation : vers la fin des effets de proximité ?

par communication informelle, la supervisiondirecte, la standardisation des procédés, la standardi-sation des produits, la standardisation desqualifications. Nous n’en retiendrons que trois, notretypologie étant exclusivement basée sur le degré deformalisation de la coordination.

Première catégorie : les interactions qui sedéroulent conformément à des mécanismes définisà l’avance. Deux conditions doivent être a minimaréunies pour que de telles interactions fonc-tionnent. Primo, la division du travail doit êtrestrictement définie : chacun sait précisément ce qu’ildoit faire à l’avance. Secundo, le mécanisme d’inter-action peut être explicité et formalisé dans uneprocédure « écrite » qu’il suffira de suivre à la lettre.Qualifions ces interactions de « formelles ».

Deuxième catégorie : les interactions quirépondent à des procédures définies à l’avance maisdont la réalisation dépend d’ajustements effectués aucours des interactions. Les individus ou groupes qui secoordonnent doivent intervenir pour que la pro-cédure formalisée s’ajuste aux conditions concrètesdans lesquelles s’effectue la coordination. Deuxraisons peuvent rendre nécessaire cette intervention.C’est tout d’abord le cas lorsque les tâches ne peuventêtre strictement définies et qu’une part d’aléa subsistequant à ce que chacun doit faire. C’est aussi le caslorsque la procédure de coordination ne peut êtretotalement explicitée, soit parce que les gains d’effi-cacité apportés sont faibles par rapport au coût de lacodification de la procédure, soit parce qu’elleintroduit des rigidités inadaptées à un contexte où lesunités doivent réagir rapidement. Qualifions cesrelations de « semi-formelles ».

Troisième catégorie : les interactions qui sedéveloppent au moyen d’ajustements mutuels sansprocédure prédéfinie de coordination. Elles répondentgénéralement à deux cas de figure. En premier lieu, lacoordination à base d’ajustements mutuels règle lesactivités émergentes où les tâches et les procédures decoordination ne sont pas encore stabilisées. Mais ellepeut aussi répondre aux caractéristiques structurellesde l’activité et, dans ce cas, ne pas s’effacer avec letemps. Par exemple, le caractère flou des tâches et lanature informelle des relations peuvent apparaîtrecomme des conditions structurelles de la créativitéd’une équipe. Ou encore, les échanges d’informationapparaîtront plus efficaces s’ils ne sont pas canalisés apriori et se développent librement entre les membresd’une profession (pour l’exemple du BTP, voirBrousseau et Rallet, 1995). Appelons « informelles »ces interactions.

Cette grille s’applique aisément à l’analyse de lacoordination spatiale des activités de recherche etd’innovation. Ces activités reposent davantage qued’autres sur des interactions informelles. Il faut certesrelativiser le propos car ces activités ne sont pashomogènes : la nature des interactions varie selon les

types d’activités, leur phase de développement, l’orga-nisation dans laquelle elles se déroulent… Le poidsimportant des interactions informelles dans les activitésde recherche et d’innovation est cependant incontes-table. On en déduit une forte contrainte de proximitéphysique pour les acteurs impliqués dans ces activités.La nécessité de procéder à des ajustements mutuelsfréquents en cours de coordination leur impose d’êtrephysiquement proches les uns des autres.

Les outils techniques

Les TIC n’ont pas toutes les mêmes propriétésau regard de la coordination. C’est pourquoi il fautdistinguer différents types d’outils.

Les distinctions que nous allons proposer nesont pas d’ordre technique. Ainsi les outils distinguéspeuvent être intégrés sur le plan technique. On peuten effet avec les mêmes outils envoyer du courrierélectronique, consulter un répertoire d’adresses,automatiser une procédure séquentielle de coordi-nation et même s’entretenir au téléphone. De plus, lestypologies techniques sont très floues et varient d’unauteur à l’autre.

Nos critères sont basés sur les différencesfonctionnelles des outils techniques au regard dedeux caractéristiques de la coordination :

– la coordination entre les individus est-elle directeou indirecte ?

– le mécanisme de coordination est-il formalisé,c’est-à-dire codifié au moyen d’un langageparticulier, ou non ? La codification peut portersur le contenu de ce qui est échangé et/ou larelation (la procédure de coordination).

Nous distinguerons trois grands types d’outils :les outils de communication, les outils de consul-tation et de partage de l’information, les outilsd’automatisation de la coordination.

• Les outils de communicationIls lient directement les individus (1er critère) et la

communication se fait en langage naturel (secondcritère). Ces outils mettent en contact directement lesindividus qui se contentent de parler, d’écrire ou dedessiner sans être contraints de suivre une procédurepré-déterminée de coordination et de coder leursmessages. Le contenu de l’échange peut toutefois êtrecodifié (exemple : télécopier un plan). On rangeradans cette catégorie le téléphone, le fax, le courrierélectronique et l’envoi de fichiers (dans la mesure oùil peut être assimilé à un envoi de courrier). Lacommunication est synchrone (téléphone) ouasynchrone (courrier électronique).

Ces outils servent surtout de support à desrelations informelles ou semi-formelles. Ils sont, demanière privilégiée, utilisés pour procéder à desajustements mutuels.

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Alain Rallet

• Les outils de consultation et de partage d’informations

À la différence du cas précédent, la relationentre les individus n’est plus directe. Les individusconsultent ou alimentent des bases de données dansle cadre d’une relation homme-machine que traduitbien l’expression de « client/serveur ».

La coordination réalisée au moyen de ces outilsest de nature indirecte : les individus ne communi-quent pas directement entre eux mais parl’intermédiaire d’un répertoire d’adresses, d’une basede connaissances ou d’une armoire électroniquearchivant périodiquement les réalisations des indi-vidus ou des groupes. Le second critère distingue aussices outils des précédents. En effet, la constitution debases de données communes repose sur deux types decodification. Il faut d’abord que les informationssoient énoncées dans un langage commun et selonune même structure de présentation de façon àpouvoir être lues et interprétées par tous les individusconcernés. Le contenu transmis doit donc être préala-blement codifié, ce qui diffère du cas précédent. Maisune partie de la relation également : les règles d’accèsaux bases, que ce soit pour les consulter ou lesalimenter, doivent être définies à l’avance et généra-lement traduites en procédures informatiques. Lacoordination est indirecte mais elle ne peut êtreinformelle.

• Les outils d’automatisation de la coordinationCes outils réalisent des échanges d’information

selon des modalités et un ordre programmés àl’avance. La coordination est directe bien que larelation entre les individus s’établisse au travers d’unerelation entre deux machines. Elle est aussi trèscodifiée tant au niveau des contenus que des relations.

D’une part, les nomenclatures et les formatsd’information doivent être les mêmes. D’autre part,les procédures de coordination doivent êtreexplicitées à l’avance et traduites dans desalgorithmes précis. On rangera dans cette catégoriedes outils de type EDI (échange de documentsinformatisés) pour les relations interfirmes ou detype « workflow » pour les processus de travail. Le« workflow » consiste à automatiser la coordinationdans le cadre de processus séquentiels décompo-sables en tâches bien définies comme, par exemple,l’élaboration d’une réponse collective à un appeld’offres impliquant des personnes et des compé-tences différentes. Les contraintes de codificationportant sur la coordination sont donc très fortespuisque, à la différence du cas précédent, elles neconcernent pas seulement le contenu du message etles règles d’accès à des bases de données maistouchent au travail même des individus et à lamanière dont ils se coordonnent dans le travail.

En récapitulant, on peut donc dire que certainsoutils sont le support d’une coordination directe maispeu formalisée (outils de communication), qued’autres servent à établir une coordination indirecteimpliquant une formalisation intermédiaire (outils deconsultation et de partage d’informations) etqu’enfin, d’autres sont utilisés pour une coordinationdirecte très formalisée (outils d’automatisation de lacoordination).

Les trois types d’outils sont mobilisés dans lacoordination à distance selon la nature de la coordi-nation que les individus doivent établir. Le caractèreinformel des outils de communication leur permetde servir de support à des ajustements mutuels dansle cadre d’une coordination directe, bilatérale oumultilatérale. Les outils de consultation et departage de l’information sont également souplesd’utilisation puisqu’ils n’imposent que la codifi-cation des informations et des connaissances et pascelle de la coordination qui reste indirecte.

On voit donc que le couplage des outils decommunication et des outils de consultation et departage de l’information ouvre de larges possibilitésà la coordination à distance dans le cas de processusde coordination reposant sur des relations formelleset informelles. Seuls les outils d’automatisation de lacoordination impliquent une codification de l’objetet de la procédure de la coordination.

Les types d’organisation

Les possibilités de se coordonner à distancedépendent également du type d’organisation danslequel le processus de recherche et d’innovation sedéroule. On opposera deux grands types d’organi-sation2.

On trouve dans le premier cas les organisationsfondées sur la spécialisation des tâches et la hiérarchie(organisations spécialisées et centralisées) et dans lesecond cas, les organisations où la division du travail estfaible et la hiérarchie mal établie3. Il existe évidemmenttoute une série de cas intermédiaires (organisationsspécialisées mais faiblement hiérarchisées, organisa-tions non spécialisées et hiérarchisées…), mais lesdeux premières catégories expriment les deux caspolaires des activités d’innovation et de recherche. Eneffet, celles-ci tendent à s’exercer dans le cadre soitd’équipes projets fondées sur un principe de spéciali-sation des compétences et placées sous l’autorité d’uncoordinateur central, soit dans le cadre d’unecommunauté de chercheurs aux compétences procheset sans véritable coordinateur. Le premier cas est celuid’une équipe projet rassemblée au sein d’une firmepour développer un nouveau modèle, le second serapporte à une expérience de coopération scientifiqueau sein d’une communauté de chercheurs. La

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2 On reprend ici les éléments d’une problématique exposée de manière plus systématique dans Caby, Greenan, Gueissaz et Rallet (1999) etdans Brousseau et Rallet (1999).

3 On ne cherche qu’à qualifier l’organisation des activités de recherche et d’innovation et non les organisations dans lesquelles ces activités pren-nent place. Les deux choses sont distinctes. Ainsi, des processus décentralisés de R&D peuvent se développer dans des firmes centralisées.

L’impact des technologies de l’information et de la communication sur la localisation des activités de recherche et d’innovation : vers la fin des effets de proximité ?

coopération technologique interfirmes se réfère à uncas intermédiaire : il y a spécialisation des com-pétences (c’est l’objectif recherché de l’accord) maisl’autorité hiérarchique n’est pas toujours très bienétablie car elle est partagée.

Comment ces deux types d’organisation, et parconséquent de management, influent-ils sur lespossibilités de se coordonner à distance ? En influantsur les deux autres critères, la nature des mécanismesde coordination et la gamme utilisable d’outils.

a) la formalisation des relations est a priori plusélevée dans une organisation spécialisée et hiérar-chisée que dans une organisation faiblementspécialisée et peu hiérarchisée.

Dans les communautés de chercheurs ou d’ingé-nieurs, les relations de coopération fonctionnentsouvent de manière informelle et sans autoritéhiérarchique explicite. Cela ne veut pas dire qu’elless’établissent et s’effectuent de manière anarchiquemais qu’elles fonctionnent sur la base de règlesimplicites que les individus ou les organisations neveulent pas formaliser (par exemple institutionna-liser une position d’autorité de facto) ou qu’elles nepeuvent pas formaliser (compte tenu de la partimportante d’événements imprévus dans toutprocessus de recherche).

Or, toutes choses égales par ailleurs, lapossibilité de formaliser les relations en les codifiantaccroît les potentialités de la coordination à distance.Si le travail est divisé précisément entre les unités etque la manière de coordonner le travail répond à desprocédures définies à l’avance sous l’autorité d’unsuperviseur central, le besoin de rencontres de face àface est moins important. Il se limite à certainesphases du processus : lancement du projet pourdéfinir les tâches et répartir le travail en fonction descompétences de chacun et des objectifs de larecherche, moments de synthèse pour faire le bilancollectif des actions entreprises et éventuellementréorienter le projet, réunions pour résoudre unedifficulté importante surgie dans le développementde la recherche et risquant de paralyser sapoursuite…

Le besoin de proximité est alors temporaire. Il suffitde réunir les participants à l’activité de recherche àcertains moments cruciaux de la vie du projet. Entretemps, les participants effectuent les tâches qui leursont prescrites et se coordonnent selon la procéduredéfinie lors des rencontres de face à face. Lorsque lestâches sont peu spécialisées, que les relations sontlargement informelles et qu’il n’existe pas desuperviseur central occupant une position d’autorité,le besoin du face à face est beaucoup plus important.Les individus doivent se rencontrer fréquemmentpour procéder aux ajustements nécessaires : confron-tation de leurs travaux, discussion de nouvelleshypothèses, réorganisation du cadre de travail,

résolution de problèmes de dysfonctionnements…Notons toutefois que le besoin de proximité physiquepeut être partiellement satisfait par des déplacementsfréquents. Les chercheurs se déplacent effectivementbeaucoup. La contrainte de proximité est d’autantplus forte que la fréquence des rencontres est élevée.

b) Le type d’organisation influe aussi sur lespossibilités de la coordination à distance via lesoutils utilisés.

Dans les organisations de type communauté dechercheurs, les outils utilisés sont les outils decommunication et les outils de consultation et departage de l’information. Les outils de communi-cation s’accordent au caractère informel de leursrelations tandis que les outils de partage de l’infor-mation s’appuient sur le processus de codificationdes contenus (bases bibliographiques, banquesd’articles…). Internet est le domaine par excellencede ces deux types d’outils. Les outils d’automati-sation de la coordination sont en revanche peuutilisés et inefficaces lorsqu’ils le sont.

Dans les organisations spécialisées et hiérarchiques,les outils utilisés sont les outils de consultation et departage de l’information et les outils d’automatisationde la coordination. Les outils de communication sontpar contre d’un maniement plus difficile. Onobjectera l’usage répandu du téléphone mais celui-ciest surtout utilisé comme outil de communicationdans les relations avec l’extérieur. À l’intérieur de cesorganisations, l’usage du téléphone suit des règlesprécises. Les procédures de coordination tantverticales qu’horizontales étant formalisées, lesindividus n’ont à établir de relations directes via letéléphone que pour des besoins précis et non pourdécider de leur mode de coordination. On avanceaussi une autre objection : la pénétration d’un modèledécentralisé de communication – de type Internet –dans les organisations (l’Intranet). On nous permettrad’être sceptique sur le développement de mécanismesde coordination informels non contrôlés par lahiérarchie. L’Intranet dans les entreprises se limite enfait à la mise sur pied de bases d’information et deconnaissances et de procédures d’accès et de consul-tation. L’Intranet est, dans les entreprises, le domainepar excellence des outils de coordination indirecte.

Relations formelles ou informelles, outils decommunication, outils de consultation et de partagede l’information, outils d’automatisation de lacoordination, organisations spécialisées et hiérar-chiques, communautés peu spécialisées et sanssuperviseur central explicite, telles nous semblent lescatégories pertinentes pour analyser le rôle des TICdans la coordination à distance. Il faut maintenantles appliquer aux cas observés et en déduire quelquesconclusions.

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Alain Rallet

III. Études de cas et conclusionsTrois études de cas ont été effectuées in situ et

un questionnaire envoyé aux chercheurs et universi-taires de certaines universités de Bordeaux. On selimitera ici à dégager de manière synthétique ce quinous semble ressortir de ces études. Puis on endéduira des conclusions de portée plus générale.

Les enseignements des études de cas

Deux études de cas ont porté sur des projets derecherche et de développement. L’une a été effectuée ausein d’une société d’infographie (Silicon Graphics),dont les centres de R&D sont répartis sur cinq sitesmondiaux. L’objet de la coopération est de concevoir etde développer des logiciels d’animation graphique. Ladeuxième a porté sur la conception et la mise au pointd’un système de visio-conférence à haut débit par leCNET à partir de compétences dispersées dans quatrecentres différents. La troisième étude de cas porte sur laconstitution par le CIRVAL (Centre de Ressource et deValorisation de l’Information dans les filières Lait situéà Corte) d’une base documentaire et d’expertisealimentée et consultée par des centres de recherche etd’études répartis sur l’ensemble du bassin méditer-ranéen. Enfin un questionnaire a été adressé auxchercheurs et universitaires des universités de BordeauxI (physique et chimie) et Bordeaux II (sciences de la vieet médecine) sur leurs pratiques de communication enliaison avec leurs projets de recherche.

Il s’en dégage un certain nombre de points :

a) Les TIC n’ont pas d’influence sur la locali-sation mais sur la coordination.

Le problème pour les individus ou les organisa-tions n’est pas de se poser la question de modifier leurlocalisation compte tenu des nouvelles opportunitésoffertes par les TIC mais, étant localisés dans des lieuxdéterminés, d’accroître l’efficacité de leur coordi-nation ainsi que d’établir de nouvelles relations. Lalocalisation est pré-déterminée par des facteurshistoriques et contingents : l’appartenance à descentres de recherche (les chercheurs universitaires oules centres correspondant du Cirval), des localisationshéritées de la politique de décentralisation (le Cnet)ou de fusions-acquisitions (Silicon Graphics).

b) La contrainte de proximité physique reste forteà tous les stades des processus de coopérations’inscrivant dans des projets de recherche menésau sein de la communauté universitaire.

La nécessité d’interactions verbales et nonverbales fréquentes ne cesse en effet d’être importantetout au long du processus, non seulement pour lesphases d’exploration du sujet, de définition d’unframework et de conclusion mais aussi pour celle demise en œuvre, phase pour laquelle la solution duséjour de long ou moyenne durée est souvent utilisée.Cela tient à l’importance des connaissances tacites qui

sont utilisées à toutes les étapes pour procéder auxajustements mutuels.

L’importance des relations informelles tientbien entendu aux caractéristiques intrinsèques de cetype de recherches mais elle résulte aussi des caracté-ristiques organisationnelles des communautés deschercheurs, du moins celles qui fonctionnent aurégime des pairs. La faible division du travailimplique un chevauchement important des travauxréalisés et la nécessité pour les partenaires deprocéder à des ajustements mutuels dans la phase demise en œuvre. L’obligation de procéder à des ajuste-ments fréquents dans cette phase est renforcée parl’absence d’une fonction d’autorité susceptible derésoudre les problèmes de fonctionnement. Qu’ilssoient importants ou non, ces problèmes doiventêtre réglés par une concertation directe et consen-suelle entre les chercheurs.

Les TIC ne changent pas fondamentalementcette situation. C’est d’ailleurs celle-ci qui expliquel’emploi dominant des médias dits riches : face à faceavec ou sans déplacement et outils de communi-cation (téléphone, fax, courrier électronique et plusmarginalement les forums électroniques). Lesmédias pauvres, i.e. ceux qui impliquent uneformalisation des relations, ne sont pratiquementpas utilisés. C’est le cas des outils de groupware ainsique celui des outils supposant de respecter préala-blement certaines contraintes d’organisation (lavisioconférence dans son état actuel).

c) Moins le projet est structuré, plus difficile est lacoopération à distance.

Les remarques s’inspirent ici du cas du Cirval quirejoint bien d’autres expériences. Elle concerne l’utili-sation des outils de consultation et de partaged’information dans une communauté donnée.Comme nous l’avons indiqué, l’utilisation de ces outilsimplique un certain degré de codification. La consti-tution d’une base de connaissances implique que desnormes soient respectées sur le fond (par exemple unemanière de faire la synthèse des documents, destructurer les connaissances) et sur la forme (parexemple, une manière normalisée de présentation dela synthèse). Elle suppose aussi que des procéduresd’accès aux bases soient définies (droits d’alimen-tation et de consultation de la base). Les conditionsorganisationnelles d’utilisation de ces outils sont doncplus fortes que pour les outils de communication.

L’exemple du Cirval montre la difficulté decoopérer à distance via la participation à des bases deconnaissances dans des collectifs non structurés. Lalogique décentralisée d’Internet – « je mets sur leréseau mes informations pour en obtenir d’autres enéchange selon un principe d’autorégulation » – nevaut que pour des informations ou des connais-sances qui sont déjà constituées. Il en va autrementlorsque le réseau technique est utilisé comme modeou lieu décentralisé d’élaboration de connaissances.

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L’impact des technologies de l’information et de la communication sur la localisation des activités de recherche et d’innovation : vers la fin des effets de proximité ?

Une telle tentative met immédiatement en évidencedes problèmes organisationnels : quels sont lesacteurs qui vont faire l’effort de produire desconnaissances à destination du réseau, sachant qu’ilsdoivent effectuer un travail de production ?Comment y seront-ils incités ? Y a-t-il des intérêtscommuns susceptibles de l’emporter sur descomportements de type « passager clandestin » ?Comment atteindre le seuil d’externalité de réseauau-delà duquel le système se reproduit de lui-même ? Ces problèmes ne sont pas techniques maisorganisationnels. Or la communauté visée par leprojet du Cirval n’est pas organisée, d’où la difficultéà le réaliser.

d) La nécessité de la proximité dans le casd’équipes-projets de recherche et dévelop-pement est relative. Elle est en partie satisfaitepar des rencontres périodiques.

Lorsque les projets de recherche sont structurésau sein d’une organisation avec des objectifs précis etune instance centrale de coordination, la proximitéest surtout nécessaire dans certaines phases (projetMaya à Silicon Graphic et projet Varese au Cnet).

Elle l’est dans la phase amont de spécification duprojet. Dans cette phase, les individus et équipesrassemblés se livrent à des séances de brainstorming oùil s’agit de confronter des arguments, de comprendreet de convaincre et de faire converger les positions. Lesréunions de face à face sont à cet égard irremplaça-bles : il a été en particulier démontré que laconvergence des positions est obtenue beaucoup plusrapidement en situation de face à face qu’en situationmédiatisée (Gallon et Wellman, 1995). Par ailleurs, lesacteurs ont besoin d’avoir des connaissances decontexte (attitudes, mimiques des personnes,comportements en réunion…) pour interpréter lesarguments échangés et faire évoluer les leurs,notamment lorsqu’ils ne connaissent pas auparavantles personnes ou/et que les enjeux de la discussionsont importants. En permettant des interactionsvisuelles et verbales instantanées, le face à face est à cetégard irremplaçable. À défaut, le téléphone peut êtreutilisé mais surtout pour confronter des points de vuesur un point précis dans un cadre bilatéral, et nondans le cadre d’une discussion longue et multilatérale.

Quant à la télé ou visioconférence, elle est encoretrop contraignante pour prétendre remplacer le faceà face. La téléréunion doit être préstructurée pourpallier les interactions spontanées qui ne peuvents’établir du fait de l’absence de face à face. Ce qui nepeut plus s’improviser doit être prévu. Cettepréstructuration rigidifie le processus de discussionet, de plus, ne peut totalement se substituer auxinteractions spontanées du face à face. En effet, lareconstitution à distance d’une réunion de face à facesuppose l’intervention d’un médiateur mettant enscène – au sens littéral du terme – la discussion.

La solution utilisée est de dissocier les réunionsdélibératives des réunions de suivi technique, demaintenir les réunions de face à face pour lespremières et d’adopter pour les secondes la visiocon-férence à mesure que les contraintes techniques sontmoins fortes et que le coût de l’équipement et descommunications baisse. Le progrès technique n’estdonc pas sans effet : il introduit la division du travaildans un domaine traditionnellement peu explicité,celui de savoir pourquoi on fait une réunion.L’utilisation efficace des TIC suppose que soit fait lepartage entre différents types de réunion auparavantmêlés dans la succession de points d’ordre du jourhétérogènes dans une même réunion (de l’élection dudirecteur au rappel de communiquer à temps desdocuments).

La contrainte du face à face s’allège dans lesphases de développement technique pendantlesquelles les tâches préalablement définies etréparties doivent être réalisées. Durant ces phases, lesajustements peuvent s’effectuer à distance en utilisantde manière complémentaire toute la gamme d’outils,du téléphone au logiciel de workflow, et en sedéplaçant au besoin ponctuellement pour résoudreune difficulté particulière. La contrainte restetoutefois forte lorsque les développeurs n’ont pasl’habitude de travailler ensemble (cas d’équipesprojets constituées de manière transversale dans lesgrandes organisations) ou que le processus dedéveloppement fait surgir des problèmes d’ajuste-ment quotidiens. La proximité physique et laconnaissance des personnes sont alors un avantagepour pallier des dysfonctionnements organisa-tionnels ou pour faire face à de petits problèmestechniques quotidiens

Conclusions

Nous présenterons nos conclusions en cinqpoints. La première souligne l’importance maintenuede la proximité physique tandis que les quatre autresrelativisent son rôle.

a) Les études de cas montrent que la contraintede proximité reste forte dans les activités derecherche et d’innovation.

Cela tient aux caractéristiques intrinsèques deces activités, à savoir l’importance des ajustementsinformels dans la coordination, ce qui implique denombreux contacts de face à face. Ceux-ci s’expli-quent par l’hétérogénéité des modes deraisonnement d’une part et par la nature desprocessus de négociation et de délibération d’autrepart.

Les différences de représentation de l’objet deconnaissance crées par les formations antérieures oul’appartenance à tel ou tel département ou, plussimplement encore, les différences d’habitudes detravail, créent des dysfonctionnements continuels qui

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Alain Rallet

ne peuvent être résolus que par le contact de face àface. La contrainte du face à face se transforme encontrainte de co-localisation ou en proximitétemporaire selon la durée de la coopération, lafréquence des contacts et l’importance des difficultéssoulevées.

La seconde caractéristique n’est pas spécifiqueaux activités de recherche et d’innovation maisconcerne toutes les activités impliquant des processusde délibération et de négociation. On la retrouve aussibien dans les activités commerciales, financières ouproductives que dans les activités de recherche. Dèsqu’il faut argumenter pour convaincre et prendre desdécisions dans le cadre d’une discussion et d’unedélibération multilatérales, le face à face s’impose. Ilfournit les données de contexte permettant auxindividus de conduire le processus délibératif et leurpermet de le faire converger plus rapidement autravers d’interactions instantanées. Il représente doncune grande économie de moyens.

b) Le poids des relations informelles ne tient pasqu’à la nature de l’activité mais aussi aux formesorganisationnelles dans lesquelles elle se déroule.

Nous avons vu que, toutes choses égales parailleurs, le poids de l’informel sera plus importantdans une communauté de chercheurs que dans uneéquipe projet dirigée par un superviseur au seind’une entreprise. De même sera t-il plus fort dans uneéquipe projet placée sous une autorité faible paralyséepar les cloisonnements verticaux d’une grandeorganisation bureaucratique que dans une équipeprojet dont le coordinateur est vivement soutenu parla direction centrale au nom d’intérêts stratégiques.

La frontière entre l’informel et le formel peut sedéplacer au gré des investissements organisationnels.Car codifier les relations revient à faire un investis-sement organisationnel. Pour les organisationsspécialisées et hiérarchiques, il s’agit d’homogénéiserla culture technique des unités spécialisées, dedévelopper la coordination horizontale entre desdépartements cloisonnés ou d’investir les coordina-teurs d’une autorité réelle. Pour les organisationsfaiblement spécialisées et peu hiérarchisées, la codifi-cation signifie l’introduction d’un minimum dedivision du travail, de formalisation des procéduresde coordination et d’autorité hiérarchique.

La possibilité de développer la coordination àdistance dépend donc des investissements organisa-tionnels. Elle n’est donc pas seulement une donnéede nature.

c) En déplaçant aussi la frontière du formel et del’informel, les TIC développent également lespossibilités de la coordination à distance.

Elles la remettent en cause à un double titre,indirectement et directement. Indirectement, car lesTIC influent les modifications organisationnelles.

Directement, car elles agissent sur la relation entre leformel et l’informel.

Le rythme rapide de diffusion des TIC et lespossibilités qu’elles offrent, incitent les individus et lesorganisations à faire évoluer leur façon de travailler etla manière dont ils se coordonnent. Sans modificationde l’organisation antérieure du travail, ces techno-logies apportent peu d’efficacité. Leur utilisationimplique en particulier de modifier les mécanismes decoordination. Ainsi, dans les communautés infor-melles, les chercheurs sont contraints d’adopter desconventions communes pour mémoriser ou consulterleurs travaux respectifs, de développer des ressourcescentralisées et de discipliner a minima leurs modes defonctionnement et de coordination. Le degré deformalisation de leurs modes de travail et de coordi-nation s’accroît. Nous avons également souligné quel’utilisation de la visioconférence obligeait les partici-pants à définir et à sérier différents types de réunion.L’utilisation massive des TIC incitent les individus etles organisations ainsi à mieux structurer les tâches etles procédures de coordination. Elles contribuent àformaliser les processus dans les communautésinformelles et à les adapter et à les rendre plus efficacesdans les organisations déjà structurées. Les possibilitésde se coordonner à distance s’accroissent.

Les TIC ont également des effets directs sur lesTIC. Comme nous l’avons rappelé, elles constituentd’abord un puissant instrument de codification desconnaissances sans toutefois éliminer les connais-sances tacites et donc la contrainte de proximité (cf.le débat exposé plus haut). Nous souhaitons mettreici l’accent sur un autre effet, moins visible et plusprospectif, mais dont l’impact sur le besoin deproximité dans la coordination nous apparaît plusimportant que le précédent.

Les TIC sont généralement identifiées à la codifi-cation des contenus et des relations. Or un deschangements les plus importants apportés par les TICces dernières années est leur capacité à supporter desrelations informelles. Il est bien sûr vain d’attendredes TIC qu’elles remplacent à distance le face à face.La « présence sociale » assurée par la proximitéphysique, c’est-à-dire la conscience de l’autre qu’elledonne dans les relations interindividuelles, ne peutêtre reconstituée telle qu’elle par un moyentechnique. De nombreuses études l’ont montré encomparant en laboratoire des situations de face à faceet des situations « médiatisées » (approche psycho-behavioriste) ou en analysant en contexte cessituations dans le cadre d’une approche ethnologique(cf. les surveys de Garton, Wellman, 1996, Wellman etalii, 1996, Cardon, Licoppe, 1997 ainsi que les étudesdans Galegher, Kraut, Egido [1990]).

Mais les TIC peuvent être le cadre de mécanismesinformels de coordination d’un type nouveau. Ainsiles « computer conferencing » créent un nouveaumode d’échange dont les règles sont différentes du

59

L’impact des technologies de l’information et de la communication sur la localisation des activités de recherche et d’innovation : vers la fin des effets de proximité ?

face à face. D’autres exemples peuvent être cités. LesTIC permettent d’entrer en contact avec des individusque l’on n’a jamais rencontrés au travers d’unprotocole de communication différent de celuiprévalant dans les rencontres physiques. Une desconséquences est la capacité des groupes de rechercheà faire évoluer plus rapidement leur frontière et leurcomposition. Les TIC créent également uneredondance de l’information (cf. l’usage de l’e-mail)assez proche mais différente du foisonnement d’infor-mations en apparence inutiles, qui est un des grandsavantages de la proximité physique. Ainsi pourreprendre le langage des sociologues, les TIC neservent pas seulement de support aux liens forts maisaussi aux liens faibles. Or ceux-ci sont très importantsdans les activités de recherche et d’innovation.

Les TIC ont donc la capacité de développer denouvelles procédures informelles d’échange desconnaissances et, par conséquent, d’élargir encoreplus les possibilités de se coordonner dans l’espace.

d) Des échanges de plus en plus à distance maisdes activités de plus en plus concentrées.

Nous avons souligné que la contrainte deproximité demeurait importante pour le déroulementde certaines phases des activités. Mais le besoin deproximité est souvent de nature temporaire. Il peutêtre satisfait par des déplacements de courte ou demoyenne durée. Dès lors, l’important n’est pas d’êtreà proximité physique de ses partenaires mais d’êtrelocalisé près d’infrastructures de transport rapidepermettant aux individus de se rencontrer en cas debesoin.

Cette contrainte de localisation est renforcéepar le fait que si les TIC accroissent les possibilitésde communiquer à distance, elles accroissent aussiles incitations à se déplacer et les raisons de le faire.Cette règle est particulièrement vraie dans ledomaine de la recherche. Dans de nombreux cas detélé-coopération, les billets d’avion ou de trainconstituent le principal poste de dépenses.

La conséquence est que les acteurs économiquescontinueront de vivre et de travailler de manièreagglomérée non pas tant parce qu’ils ont à secoordonner entre eux – les TIC accroissent les possibi-lités de se coordonner à distance et la logistique detransport permet de satisfaire les besoins occasionnelsde proximité – mais parce que les grandes aggloméra-tions disposent de points d’entrée dans les réseaux detransport à grande vitesse. Ainsi la concentrations’expliquera de plus en plus par la nécessité departager des infrastructures matérielles et immaté-rielles très sélectivement réparties sur le territoire et demoins en moins par des besoins de coordinationdirecte. Ceci nous amène à une dernière remarque surl’orientation des politiques technologiques locales.

e) Rééquilibrer les politiques technologiqueslocales

Les politiques technologiques sont implicitementou explicitement gouvernées par l’idée de valoriser lessynergies locales. La mise en réseau des partenaires dudéveloppement technologique (firmes, universités,centres de recherche, centres techniques, organismesd’intermédiation divers…) apparaît comme la clé dusuccès. Ces synergies accroissent indéniablement lepotentiel des économies locales. De plus, certaines ontune forte dimension territoriale comme la relationformation/emploi. Faut-il pour autant limiter lespolitiques technologiques locales à cet objectif et, cequi va de pair, considérer implicitement la faibledensité des relations locales comme un handicap pourle développement local ?

Il nous semble que la capacité d’établir desrelations avec des acteurs éloignés détenant desressources complémentaires à celles des acteurslocaux est un objectif tout aussi important, particu-lièrement dans le domaine des activités de rechercheet d’innovation. Les TIC accroissent les possibilitésde connaître des partenaires éloignés et d’établiravec eux des relations de coopération. Il fautsoutenir la capacité des acteurs locaux à tirer partide ces nouvelles opportunités et donc revoir l’orien-tation donnée aux politiques de développementlocal depuis les années 80.

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Alain Rallet

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BIBLIOGRAPHIE

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LE TÉLÉTRAVAIL EN PERSPECTIVE*

* Synthèse réalisée par Sébastien Maujean, chargé de mission au Centre de Prospective et de Veille Scientifique.

1 Cf. Bruno Moriset, « Télétravail, travail nomade : le territoire et les territorialités face aux nouvelles flexibilités spatio-temporelles dutravail et de la production », Cybergeo : Revue européenne de géographie, n° 257, 6 février 2004.

2 L’enquête européenne sur les conditions de travail de 2000 (Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail) pose unequestion sur le télétravail (« Votre emploi principal vous amène-t-il à télétravailler depuis votre domicile avec un micro-ordinateur ? »), où4 % des 1 500 personnes enquêtées pour la France (soit 60 personnes) répondent positivement, sans que le terme télétravail n’ait été définipar l’enquêteur. La faible taille de l’échantillon et le flou de la question ne permettent pas de s’appuyer utilement sur cette enquête.L’enquête Eurobarometer pose une question un peu plus précise (les télétravailleurs salariés sont définis comme « accomplissant leurtravail, en tout ou en partie, en dehors de leur lieu normal d’activité, généralement chez eux, en utilisant les technologies de l’informationet de la communication ») : 6 % des actifs répondent « régulièrement » et 7 % « occasionnellement ». Là encore, la faible taille de l’échan-tillon (1 000 personnes de 15 ans et plus, dont des inactifs), empêche toute exploitation plus fine. Enfin l’enquête SIBISEmpirica (2003)utilise un questionnaire assez précis, permettant de distinguer le télétravail à domicile et le travail mobile (voir http:/jwww.empirica._bizsibilsta_tistics/data). À nouveau la très faible taille de l’échantillon (500 personnes) ne permet d’attribuer qu’une valeur indicative auxrésultats pour la France (4 % de télétravail à domicile et 2 % de télétravail mobile).

Alors qu’il reste mal connu et sans doute mal compris,en dépit d’une véritable avalanche médiatique au

cours des années quatre-ving-dix, le télétravail estdevenu un phénomène économique et social de masse.Trop souvent confondu avec les téléservices (cf. la partie3 du présent dossier), il partage avec eux le pouvoird’exacerber les utopies de la « communication » et del’« information », tandis que ses traits actuels semblentlargement nous échapper. Aussi faut-il rappeler qu’entre5 et 20 % (selon les pays et la manière de compter) de lapopulation active des sociétés industrialisées est dèsaujourd’hui en situation de télétravail. Effet conjugué dela banalisation des technologies informatiques et de lasoumission croissante des entreprises à l’impératif de« flexibilité », cette lame de fond, comme le dit BrunoMoriset, « s’impose clandestinement à la société »1.Nombreux sont les auteurs qui ont pu s’interroger sur lespromesses (écologie urbaine, développement rural,émancipation individuelle) et les menaces (déliaison,fragmentation sociale, ségrégation) qu’adresse letélétravail aux référents traditionnels de la territorialité.Mais trop peu de recherche analyse en détail la lenterecomposition des représentations qu’opère insensi-blement l’essor du travail à distance. Révélateur de cettelacune, le patchwork qui suit réunit quelques-uns deséléments de connaissance les plus récents. Au risque de neprésenter qu’un spectre dominant de doctrines, ce travailde compilation invite à prendre acte de la réalité duphénomène aussi bien que des forces en présence.

1. Les chiffres du télétravail : état des lieux et projections

A) QUI SONT LES TÉLÉTRAVAILLEURS FRANÇAIS ? SOURCE : ENQUÊTE EPCV, DARES, 2004

Selon l’étude réalisée en 2004 par la DARES pourle compte du Forum des Droits sur Internet, le

télétravail à domicile concerne environ 2 % des salariésen France, et le télétravail nomade 5 %. C’est du moinsl’estimation que permet de faire l’enquête permanentesur les conditions de vie (EPCV-Insee) sur la période1999-2003. Le télétravail est majoritairement masculinet concerne surtout des salariés très qualifiés (cadres ouprofessions intermédiaires), notamment dans lesservices aux entreprises. Les télétravailleurs semblentplutôt bien insérés dans leur entreprise, mais leur tempsde travail déborde largement sur leur temps familial.

Essayer d’appréhender le télétravail avec lesoutils de la statistique n’est pas une opération aisée.En effet si le terme de télétravail ne bénéficie pasd’une définition consensuelle chez les spécialistes,c’est évidemment encore moins le cas auprès destravailleurs eux-mêmes. Il est à cet égard peu opérantde poser directement la question « pratiquez-vous letélétravail ?»2, du moins dans un contexte nationalcomme celui de la France où ce terme n’estprobablement pas compris d’une large fraction de lapopulation, et peut recevoir diverses acceptions de lapart de ceux qui pensent le comprendre.

Pour cerner statistiquement la population des« télétravailleurs », il faut d’abord la délimiter auplan conceptuel, donc définir les critères discrimi-nants du télétravail. Il faut ensuite mobiliser desoutils statistiques comportant des informations surces critères ou des critères proches.

Nous commencerons par préciser les critèresutilisés, puis nous présenterons les principauxrésultats d’une première analyse statistique menéesur une source que nous jugeons la seule pertinenteaujourd’hui pour la France.

Définition et critères du télétravail

La définition retenue par « l’accord cadre sur letélétravail » signé par les partenaires sociaux européensle 16 juillet 2002 est assez restrictive : « Le télétravail estune forme d’organisation et/ou de réalisation du

travail, utilisant les technologies de l’information, dansle cadre d’un contrat ou d’une relation d’emploi, danslaquelle un travail, qui aurait également pu être réalisédans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ceslocaux de façon régulière ».

La restriction selon laquelle le travail devraitpouvoir « être réalisé dans les locaux de l’employeur »pose manifestement problème. Elle vise sans doute àécarter des activités « naturellement » délocalisées,comme les activités commerciales ou d’entretien chezles clients. Mais un commercial ou un réparateur quienvoie par Internet à son entreprise le bon decommande ou le rapport d’intervention depuis leslocaux du client, n’est probablement pas un télétra-vailleur selon cette définition, puisqu’il « pourrait »revenir dans son entreprise pour déposer cesdocuments – même au prix de délais et de coûts detransport importants. Or le développement des TICréduit de telle façon certains coûts qu’il devientdifficile de penser que ce type de tâche « pourrait »être réalisé dans les locaux de l’employeur… Demême, les salariés travaillant loin de leur hiérarchiedans des « centres de proximité » installés par leurentreprise près de leur domicile, ne seront pasprobablement considérés comme des télétravailleurspar l’accord-cadre, puisqu’ils travaillent dans deslocaux de l’employeur.

Selon la définition plus large adoptée par leForum des droits sur l’Internet, le télétravail salarié3

est « le travail qui s’effectue, dans le cadre d’uncontrat de travail, au domicile ou à distance del’environnement hiérarchique et de l’équipe dutravailleur à l’aide des technologies de l’informationet de la communication »4. Le Forum des droits surl’internet distingue quatre formes de télétravail :

1. en réseau au sein de l’entreprise dans des locauxdistincts ;

2. dans des locaux partagés par plusieursentreprises ;

3. nomade ;4. à domicile.

Dans l’idéal, un questionnement statistique quiviserait à décrire ces populations devrait comporterdes questions détaillées sur l’usage professionnel del’informatique (du téléphone, du fax…) : lieu d’utili-sation (domicile, établissement appartenant ou nonà l’entreprise, lieux multiples…), durée d’utilisationdans les différents lieux, proximité du supérieurhiérarchique, connexion à Internet ou au réseau del’entreprise.

En pratique aucun questionnaire existant nefournit ce type d’informations détaillées : les enquêtesde la Dares sur les conditions de travail, par exemple,

ne s’intéressaient guère au télétravail, pratique tout àfait rare dans les entreprises des années 1970-1980 (etencore aujourd’hui, on va le voir). L’enquête de 2005permettra pour la première fois de fournir uneévaluation. Sans attendre cette enquête, nous nousappuierons ici sur l’Enquête permanente sur lesconditions de vie des ménages (Enquête PCV, INSEE),et plus précisément sur le module de cette enquêteréalisé chaque année en octobre, qui comprend unquestionnement succinct mais utile sur les conditionsde travail, la localisation de l’activité de travail etl’usage de l’informatique (cf. encadré).

La mesure du télétravail dans l’Enquête permanente sur les conditions de vie (PCV-INSEE)

Le module d’octobre de l’enquête PCV est passéauprès d’environ 5 500 ménages, où environ 2 500salariés occupés répondent sur leurs conditions detravail. L’échantillon est renouvelé par moitié chaqueannée. Pour disposer d’un nombre suffisant d’obser-vations afin d’établir des ventilations par CSP et parsecteur d’activité, on a empilé cinq enquêtes succes-sives : les 2 500 enquêtés de 1999, et les 1 250 entrantsde 2000, 2001, 2002 et 2003. Les chiffres ici présentésreposent donc sur un échantillon de 6 244 salariésinterrogés entre 1999 et 2003 : il s’agit donc d’uneimage du télétravail au tournant du siècle, mais pasune année déterminée. Les échantillons annuels sontd’ailleurs trop petits et les évolutions d’une année àl’autre trop faibles pour qu’on puisse commenter cesdernières.

Quatre questions nous permettront dedélimiter une population de « télétravailleurs » :

1. Vous arrive-t-il de travailler à domicile ? (1. toujours ou presque ; 2. souvent ; 3. de tempsen temps ; 4. rarement ; 5. jamais)

2. Travaillez-vous toujours sur le même lieu ? (1. oui, toujours ou presque ; 2. non, vouspartagez votre temps entre plusieurs lieux plutôtdéterminés ; 3. non, vous avez un lieu de travail debase, mais vous passez la plupart de votre tempsde travail ailleurs ; 4. non, vous n’avez aucun lieude travail déterminé).

3. Utilisez-vous dans votre travail un minitel ou unmicro-ordinateur ou une machine de traitementde texte ou un terminal relié à un ordinateur ? (1. tous les jours, 2. plusieurs fois par semaine,3. une fois par semaine, 4. plusieurs fois par mois,5. une fois par mois, 6. moins d’une fois par mois,7. ne sait pas la fréquence, 8. jamais ou presque).

4. Combien d’heures avez-vous utilisé cet appareil lasemaine dernière ?

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3 On ne s’intéressera pas ici au travail non salarié, pour des raisons théoriques (toute prestation commerciale pouvant être fournie sous uneforme électronique est susceptible d’être qualifiée de télétravail, ce qui élargit manifestement à l’excès le périmètre du concept) et pratiques(cette note vise à éclairer des discussions entre représentants des employeurs et des salariés).

4 Forum des droits sur l’Internet, rapport « Le télétravail en France », décembre 2004.

Pour qu’un salarié soit considéré commetélétravailleur, il faut d’abord qu’il utilise dans sontravail les technologies de l’information avec unerégularité et une intensité suffisantes : nous avonsretenu les salariés qui utilisent l’informatique tousles jours ou plusieurs fois par semaine, et quisignalent un usage supérieur à 5 heures par semaine.On écarte ainsi 64 % de l’échantillon.

Il faut ensuite que cet usage de l’informatique sedéroule au moins pour partie loin de son respon-sable hiérarchique ou de son équipe de travail. Cecinous amène à écarter les personnes répondanttravailler « toujours ou presque sur le même lieu »sans que ce lieu soit leur domicile (soit les trois-quarts des gros utilisateurs de l’informatique,c’est-à-dire 27 % de l’échantillon).

Certes on écarte ainsi à tort les télétravailleursdes formes 1. (en réseau au sein de l’entreprise dansdes locaux distincts) et 2. (dans des locaux partagéspar plusieurs entreprises). Mais ces formes detélétravail sont vraisemblablement très minoritairespar rapport au travail à domicile et au travail nomade(ainsi aux États-Unis, le télétravail à domicile,alternant ou fixe, représenterait 84 % du total5).

On définit alors trois types statistiques detélétravail parmi les grands utilisateurs de l’informa-tique :

– ceux qui travaillent « toujours ou presque » ou« souvent » à leur domicile et qui déclarenttravailler « toujours ou presque sur le même lieu »,sont réputés « télétravailleurs fixes à domicile » ;

– ceux qui travaillent « toujours ou presque » ou« souvent » à leur domicile mais signalent d’autreslieux de travail, sont réputés « télétravailleursalternants à domicile » ;

– ceux qui ne travaillent pas souvent à leur domicilemais signalent plusieurs lieux de travail, sontréputés « télétravailleurs nomades ».

Remarquons que ces conventions amènent trèsvraisemblablement à une surestimation du nombrede télétravailleurs. En effet, on ne sait pas où lessalariés utilisent l’informatique : les nombreuxcadres qui emmènent souvent des dossiers à lire à lamaison et qui travaillent beaucoup sur ordinateur àleur bureau, seront ici comptés à tort parmi les« télétravailleurs alternants à domicile ».

Cette majoration du nombre de télétravailleurs neconcerne pas seulement le télétravail alternant. Le casdes enseignants apparaît à cet égard très particulier :15 % d’entre eux se rangent dans la catégorie du« télétravail fixe à domicile », 6 % dans le « télétravail

alternant à domicile » et 5 % dans le « télétravailnomade ». Les enseignants, en général fortementutilisateurs de l’informatique, consacrent souvent dutemps à domicile pour la préparation des cours ou lacorrection des copies, ou bien enseignent dansplusieurs établissements, sans qu’on puisse parler de« télétravail ». Sans doute quelques uns des enseignantsinterrogés pratiquent-ils le télé-enseignement, maisrien ne permet de les repérer, et ils sont certainementtrès minoritaires6. Nous avons donc choisi d’exclure lesenseignants de notre décompte du télétravail en France(ce qui réduit de 2 points la proportion de salariésrépondant aux critères du télétravail définis ci-dessus).

Principaux résultats

Il y aurait 2 % de télétravailleurs à domicile et5 % de télétravailleurs nomades parmi les salariés.Sur 22 millions de salariés, notre estimation estqu’au plus 440 000 (soit 2 %) peuvent êtreconsidérés comme des télétravailleurs à domicile7.

Rappelons que les « télétravailleurs à domicile »sont ici les salariés qui signalent à la fois utiliserintensivement l’informatique et travailler toujoursou souvent à leur domicile. Environ la moitiéd’entre eux (soit 1 % des salariés) disent travailler« toujours au même endroit ou presque » : on peutdonc supposer qu’il s’agit de leur domicile, et lesqualifier de « télétravailleurs fixes à domicile » pource qui les concerne. L’autre moitié déclare fréquenterplusieurs lieux de travail différents, ce sont les« télétravailleurs alternants à domicile ».

Chez les non-salariés, la proportion depersonnes remplissant les critères ici adoptés pourdéfinir le télétravail à domicile est de 6 %, mais ilserait sans doute abusif de les qualifier de télétra-vailleurs dans la mesure où ils n’ont pas de lien desubordination avec un employeur, et où le domicilepeut fort naturellement constituer le lieu de travailhabituel pour nombre de travailleurs indépendants.

Le « télétravail nomade » concerne quant à luiau plus 1 100 000 salariés (soit 5 % des salariés). Ils’agit des salariés grands utilisateurs de l’informa-tique qui partagent leur temps de travail entreplusieurs lieux, sans travailler beaucoup à leurdomicile. Pour les non-salariés, la proportion depersonnes concernées est de 4 %.

Les télétravailleurs sont surtout des cadres…Le télétravail concerne essentiellement des

salariés très qualifiés : pratiquement aucun ouvrieret une très faible proportion des employés peuventêtre considérés comme des télétravailleurs.

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5 J. Lisboa, « Étude sur le télétravail en Europe et aux États-Unis », juillet 2002, http://www.aftt.asso.fr/publi/Etude%20T%E9l %E9 travail.htm.

6 La part de marché du secteur privé est vraisemblablement beaucoup plus élevée dans le télé-enseignement que dans l’enseignementclassique ; or les « télétravailleurs enseignants » sont encore plus souvent des fonctionnaires (à 90 %) que les enseignants classiques (86 %),ce qui renforce les doutes sur la réalité de leur télétravail.

7 Il importe de remarquer que la faiblesse de ces effectifs rend leur estimation précise assez délicate.

Le télétravail en perspective

Concernant le télétravail à domicile, dans prèsde la moitié des cas, il concerne des ingénieurs oucadres, et des professions intermédiaires pour untiers. Ainsi 10 % des cadres peuvent être considéréscomme des télétravailleurs à domicile (4 % fixes,6 % alternants), mais seulement 2 % des professionsintermédiaires (respectivement 1 % et 1 %), etmoins de 1 % des employés.

Le télétravail nomade est lui aussi l’apanage dessalariés très qualifiés : près de la moitié de ces télétra-vailleurs sont des ingénieurs ou cadres, et plus d’untiers appartiennent à des professions intermédiaires.20 % des cadres font du télétravail nomade, 9 % desprofessions intermédiaires et 3 % des employés.

… et des hommesLes femmes sont minoritaires parmi les télétra-

vailleurs : elles représentent 43 % des télétravailleursfixes à domicile (soit 2 points de moins que leur partdans la population salariée), et seulement 17 % destélétravailleurs alternants et 24 % des travailleursnomades. La probabilité qu’une femme soit télétra-vailleuse à domicile ne dépend pas du fait qu’elle aitdes enfants ni du nombre éventuel d’enfants : cecicontredit l’hypothèse parfois avancée, selon laquellele télétravail serait favorisé par le souhait des femmesde pouvoir mieux concilier leur vie professionnelleet leur vie familiale.

Le télétravail nomade est plutôt réservé aux CDIà temps plein

Le statut de l’emploi – contrat précaire (CDDou intérim), CDI temps partiel ou CDI temps plein– n’influence pas le recours au travail à domicile ; enrevanche les télétravailleurs nomades sont plussouvent en CDI à temps plein (90 %) quel’ensemble des salariés (74 %). C’est surtout du faitde la rareté des contrats à temps partiel (3 % destélétravailleurs nomades sont en CDI à tempspartiel contre 13 % des salariés).

Les services aux entreprises sont les plus grosutilisateurs

Deux secteurs se distinguent par une utilisationplus intensive du télétravail : le secteur financier(banques et assurances), avec 3 % de télétravailleursà domicile, surtout fixes, et 9 % de télétravailleursnomades ; et surtout les services aux entreprises, quicomptent 4 % de télétravailleurs à domicile (plutôtalternants) et 16 % de télétravailleurs nomades. Dufait de leur relativement faible proportion de cadres,le BTP, le commerce, les services aux particuliers etles transports sont nettement en retrait ; l’industrieet l’administration se situent dans la moyenne.

Globalement, le secteur public compte un peumoins de télétravail à domicile, puisque seulement

1 % de ses salariés y ont recours8. Mais toutes choseségales par ailleurs, aucune différence n’apparaît liéeau statut public ou privé des emplois, ni pour letélétravail nomade ni pour celui à domicile.

Les seniors plutôt moins concernés par letélétravail nomade

Le recours au télétravail fixe à domicile n’apparaîtpas lié à l’âge des personnes. Mais seulement 4 % dessalariés de 50 ans et plus sont des télétravailleursnomades (contre 5 % pour l’ensemble) ; cettedifférence, certes faible, est néanmoins significativetoutes choses égales par ailleurs.

Des horaires plus souples mais plus longsLes télétravailleurs ont des horaires plus

souples : ainsi, chez les cadres, 57 % des télétra-vailleurs à domicile et 53 % des télétravailleursnomades déterminent librement leurs horaires detravail, contre 35 % des cadres ordinaires. Mais cetteliberté se paie par d’importants débordements dutravail sur le temps familial : les télétravailleurs sontbeaucoup plus nombreux à signaler travailler lanuit, le samedi ou le dimanche. Les plus touchéssont les télétravailleurs alternants à domicile : 20 %d’entre eux signalent travailler « habituellement » lanuit9 (contre 10 % des autres salariés). Alors que70 % des salariés ordinaires ne travaillent jamais lanuit, c’est le cas de seulement 30 % des télétra-vailleurs alternants (58 % pour les mobiles et 60 %pour les fixes).

Alors que seulement 11 % des cadres déclarenttravailler habituellement le samedi et 3 % ledimanche, ces proportions s’élèvent à 29 % et 20 %pour les télétravailleurs alternants.

Ces conditions de travail sont-elles malressenties par les personnes ? Le questionnaire necomporte pas de question directe sur la satisfactionau travail. Remarquons néanmoins que 8 à 9 % destélétravailleurs évoquent un risque de démission aucours des douze prochains mois, contre seulement4 % des salariés ordinaires10.

Une insertion plutôt bonne dans leur emploiLes télétravailleurs n’apparaissent cependant

pas marginaux par rapport à leur entreprise ou àleur collectif de travail. On a vu qu’ils étaient plussouvent en CDI à temps plein ; de même ils sontplus nombreux à avoir reçu une formation au coursdes 12 derniers mois (par exemple, 47 % desnomades contre 28 % des salariés ordinaires).Certes, cela s’explique surtout par le fait que leurniveau élevé de qualification les favorise dans l’accèsà la formation, mais pas seulement : le lien résiste àune analyse toutes choses égales par ailleurs. Lestélétravailleurs déclarent aussi souvent que les

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8 Il en irait différemment si l’on incluait les enseignants parmi les télétravailleurs.

9 C’est-à-dire « après 22 h et avant 6 h » ; il ne s’agit pas de travail posté en horaires alternants, puisque aucun télétravailleur ne déclare fairede tels horaires.

10 L’écart n’est statistiquement significatif que pour les télétravailleurs nomades.

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Note de lecture : les télétravailleurs fixes à domicile sont significativement plus souvent libres de déterminer leurs horaires que les autres travailleurs, touteschoses égales par ailleurs (modélisation Logit ; ++ ou - - (resp. + ou -) indique un lien significatif à 1 %, (resp. 10 %) ; une case vide indique une absencede lien significatif).

Le télétravail en perspective

Tableau n° 1 : Le télétravail à partir de l’enquête permanente sur les conditions de vie

Tableau n° 2 : Les caractéristiques spécifiques des télétravailleurs

Tableau n° 3 : Les conditions de travail et d’emploi des télétravailleurs

Source : EPCV 1999-2002, Insee, calculs Dares.

Source : Insee, Enquêtes PCV 1999-2003, calculs Dares.

Source : Insee, Enquêtes PCV 1999-2003, calculs Dares.

Note de lecture : Les femmes pratiquent significativement moins souvent le télétravail alternant à domicile, toutes choses égales par ailleurs (modélisationLogit ; ++ ou - - (resp. + ou -) indique un lien significatif à 1 % (resp. 10 %) ; une case vide indique une absence de lien significatif.

68

Tableau n° 4 : Le télétravail selon les secteurs d’activité

Tableau n° 5 : Le télétravail selon le sexe et la catégorie socio-professionnelle

Source : Insee, Enquêtes PCV 1999-2003, calculs Dares.

Source : Insee, Enquêtes PCV 1999-2003, calculs Dares.

Tableau n° 6 : Quelques caractéristiques du travail et de l’emploi des télétravailleurs

Source : Insee, Enquêtes PCV 1999-2003, calculs Dares.

11 Ces personnes répondent rencontrer « souvent » ou « de temps en temps » « des collègues ou des relations de travail en dehors de vosoccupations professionnelles ».

salariés ordinaires pouvoir espérer une promotiondans leur entreprise. Ils ne souffrent pas non plusd’un isolement social particulier, au contraire : lestélétravailleurs alternants signalent plus souvent(63 %) fréquenter des collègues hors du travail queles autres salariés (52 % )11.

Trois formes contrastées de télétravailAu final, les trois formes de télétravail distin-

guées a priori semblent bien renvoyer à dessituations assez contrastées. Le télétravailleur àdomicile alternant évoque, de par ses caractéris-tiques, la figure de l’homme cadre et surmené,fortement investi dans son travail, lequel débordelargement sur sa vie personnelle. Le télétravailleurfixe à domicile est moins systématiquement unhomme jeune, mais il (elle) est aussi qualifié(e) et ades horaires presque aussi atypiques que l’alternant.Le télétravailleur nomade, lui aussi plutôt jeune etmasculin, occupe souvent une fonction spécifique(commerciale ou technique) qui l’astreint àtravailler dans les locaux des clients de sonentreprise ; mais son travail n’envahit pas autant savie que pour les catégories précédentes. La questiondu temps de travail et de son empiètement sur la viepersonnelle semble néanmoins au cœur des caracté-ristiques du télétravail.

B) ESTIMATIONS ET PROJECTIONS EUROPÉENNES.SOURCE : ENQUÊTE EMERGENCE, EU/IST, 2001

Selon les travaux de l’enquête EMERGENCE –Modélisation du télétravail en Europe : estimations,modèles et projections – le nombre de personnes qui

travaillent à leur domicile ou qui sont en mouvementau sein de l’Union européenne pourrait dépasser 27millions en 2010.

L’étude EMERGENCE s’appuie sur unrecoupement de statistiques collectées auprès desemployeurs de 18 pays et procède à la combinaison deces résultats avec les données et analyses plus spécifi-quement centrées sur la main d’œuvre et ledéveloppement du modèle de télétravail. L’accent estmis sur les formes « individuelles » de télétravail,celles qui s’exercent à l’extérieur des locaux d’activitétraditionnels. Si les résultats de l’étude montrent queles formes « collectives » de travail distant ont unetrès grande importance dans l’économie européenne,aucune donnée disponible n’a en effet permis en effetune modélisation statistiquement convaincante detelles formes de travail.

L’enquête identifie quatre types distincts detélétravailleurs individuels :

• les télétravailleurs à domicile : ce sont les em-ployés qui utilisent un ordinateur et un système detélécommunications pour réaliser leur activité àdomicile, intégralement ou partiellement. Leurnombre estimé s’élève à environ 810 000 en 2000.

• les télétravailleurs itinérants : ils forment ungroupe beaucoup plus nombreux, dont le nombreest estimé à 3,7 millions en 2000. Ce sont desemployés qui alternent le travail à domicile et letravail au bureau ou bien qui travaillent demanière nomade dans plusieurs endroits.

69

Le télétravail en perspective

Tableau n° 7 : Estimation des télétravailleurs « individuels » en Europe, 2000 (UE 15)

Tableau n° 8 : Projections de la croissance du télétravail « individuel » à l’horizon 2010 (UE 15)

Source : Rapport EMERGENCE, 2001.

Source : Rapport EMERGENCE, 2001.

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• les télétravailleurs indépendants : ce groupeprofessionnel offre des services à distance enutilisant un ordinateur et un système de télécom-munications. Son effectif est estimé à 1,45 millionde personnes en 2000.

• les travailleurs indépendants « e-facilités » :même si cette catégorie n’a pas pu être renseignéepar l’enquête EMERGENCE, elle peut êtreconsidérée comme une forme de télétravail, àcondition que l’activité s’opère à domicile etnécessite un système informatique relié à desclients. En utilisant les données de l’enquête sur laforce de travail du Royaume-Uni pour établir lapart des travailleurs indépendants « e-facilités »dans chaque secteur, il a été possible d’utiliser lesinformations contenues dans l’Enquête de laCommunauté européenne sur la Force de travail(ECEF) pour situer cette population aux alentoursde 3,08 millions de personnes en 2000.

L’addition de ces chiffres (présentés dans letableau n° 7) aboutit à un total estimé de 9,04millions de télétravailleurs en 2000 pour l’ensemble del’Union européenne. La convergence de ces résultats etde ceux produits par d’autres méthodes d’estimation(ECEF, étude ECATT) en fait une base de projectionrelativement robuste.

Concernant l’exercice de projection rapportédans le tableau n° 2, l’effet d’une croissance généraledu taux d’emploi a été séparé des conséquences d’unediffusion large des TIC et du changement organisa-tionnel. Si la tendance actuelle du taux d’emploi se

poursuit, il est en effet probable qu’environ10 millions de télétravailleurs supplémentairesapparaissent d’ici à 2010. Tandis que si les change-ments technologiques et organisationnels continuenteux aussi au rythme actuel, ce n’est pas moins qu’untriplement de l’effectif qui peut être envisagé avec 27millions de télétravailleurs en 2010.

La contribution la plus importante à cedéveloppement sera apportée par les employésrecourant au télétravail itinérant, placés en premièreposition dans les estimations, avec 14,3 millions.Cette tendance est généralement considérée commela forme de télétravail la plus souhaitable. Elle offreaux employés la sécurité d’un contrat permanent,tout en diminuant les risques d’isolement social etles faibles perspectives de promotion associées auxtélétravail. Du côté des employeurs, cette forme detravail apporte des bénéfices décrits en termes de« flexibilité », « loyauté » ou « efficacité ».

Par ailleurs, les travailleurs indépendants « e-facilités » sont estimés à 6,6 millions. Cette forme detravail progressera plus lentement et atteindra sansdoute un seuil peu après 2010, dès lors que lapénétration des technologies de l’information et dela communication au sein de ce groupe aura atteintson maximum.

La conclusion générale de cette étude insiste sur lerôle primordial que jouera la volonté des employeurs etdes travailleurs, seuls aptes à adopter ou non les change-ments technologiques et organisationnels diversementrequis par ces différentes formes de télétravail.

Tableau n° 9 : Éléments de consensus fort

2. Pratiques en petites et moyennesentreprises : une comparaison européenne.

S’intéressant aux modes d’insertion du télétravaildans les petites et moyennes entreprises, l’étude E-GAP offre un point de vue comparatif sur cinq régionsd’Europe : région Rhône-Alpes (France), région deTampere (Finlande), région du grand ouest londonien(Grande-Bretagne), région centrale du Transdanube(Hongrie) et région Emilie-Romagne (Italie). Agrégés

à grands traits, les discours et « bonnes pratiques »ainsi recensés font successivement apparaître desconvergences, des dissemblances avant de donner lieuà un inventaire des freins au développement dutélétravail. Suit un article de synthèse, rédigé enanglais, qui dresse un premier bilan de cette confron-tation entre un « modèle » global et ses traductionslocales.

A) OPINIONS ET DOCTRINES DANS CINQ RÉGIONS

D’EUROPE.SOURCE : ENQUÊTE E-GAP, EU/IST, 2002

71

Le télétravail en perspective

Tableau n° 10 : Éléments de consensus partiel

B) FREINS OU OBSTACLES ? SOURCE : ENQUÊTE E-GAP, EU/IST, 2002

Tableau n° 11 : Télétravail, performance économique et management par objectifs

Tableau n° 12 : Attitude du personnel d’encadrement vis-à-vis de leurs employés

1) Une tradition d’industrialisme

Notre culture du travail est encore aujourd’huiétroitement liée à une longue et forte traditiond’industrialisme. Si le télétravail ne peut s’appréhenderen dehors du contexte social et des cadres régissantl’organisation du travail, force est de constater que cesderniers procèdent toujours de cette culture tradition-nelle. On l’observe aussi dans les méthodes et lespratiques de management : au lieu de travail, leshoraires et le temps de présence auxquels sont soumisles employés font figure de système principal de suiviet de contrôle. L’aménagement flexible des emplois dutemps demeure toujours l’exception.

2) Un manque d’information sur les bénéficeséconomiques du télétravail

Très peu d’attention est accordée aux bénéficeséconomiques que les entreprises pourraient tirer dutélétravail, les pratiques de management n’invitantguère à se poser cette question. Sans l’aide d’indica-teurs de performances et de méthodes pour évaluerces profits potentiels, la connaissance continuera àfaire défaut et il est peu probable que la prise dedécision encourage en ce domaine le dévelop-pement d’expérimentations.

3) Un risque d’isolement et d’affaiblissementdes relations sociales

L’existence de relations sociales sur le lieu detravail constitue sans doute une entrave supplémen-taire au télétravail. Que son statut soit officiel ouinformel, le télétravailleur risque d’éprouver unsentiment de mise à l’écart. Le rôle et l’importancedes relations de face à face ne doivent pas être sous-estimés quand l’on cherche à promouvoir denouvelles cultures professionnelles.

4) Un manque de confiance mutuelle

La confiance mutuelle liant le télétravailleur à sonemployeur est de nature cruciale. L’employé doit à lafois gagner la confiance de sa hiérarchie et prouver àses collègues que l’activité effectuée à domicile est aumoins aussi efficace que celles réalisées dans l’enceintede l’entreprise. Ces conditions étant réunies, lemanque de confiance est souvent la conséquence depréjugés ou d’une méconnaissance, en l’absence deformation.

5) Travail à haute valeur informationnelle

Aujourd’hui, l’activité professionnelle demandede plus en plus d’indépendance, une capacité d’adap-tation plus importante et un niveau de formationplus élevé. Les connaissances et les compétences,alliées à la maîtrise des nouvelles technologies,deviennent des dimensions essentielles. Tandis queles activités à valeur informationnelle étaient jadisl’apanage d’emplois spécialisés ou issus de l’ensei-gnement supérieur, elles concernent de nos jours unepart toujours plus grande du marché du travail, quelque soit le secteur commercial ou le groupe profes-sionnel, dans l’industrie ou les services, au sein desgrand groupes ou des petites et moyennesentreprises. Affranchi des contraintes d’espace et detemps, le télétravail convient de toute évidence à cetype d’activités, pourvu que l’on puisse assurer unedistinction nette entre périodes de travail et plages deloisir.

6) Le télétravail ne convient pas à tous les employés

Le télétravail ne convient pas à tous lesemployés, de même que toutes les tâches ne peuventêtre prises en charge par le télétravail. Bien que lefait de travailler à distance requiert à la fois desaptitudes techniques et sociales, la nécessité d’unemaîtrise technique n’apparaît pas, dans le cadre dela présente recherche, aussi cruciale que le besoin decompétences sociales. Aujourd’hui, qu’il agisse ounon en situation de télétravail, tout employé doitpouvoir disposer d’outils de compréhension de cequi transite par les réseaux d’information et decommunication.

7) Une réticence à faire évoluer les modes de travail

Sur le plan organisationnel, l’un des principauxinhibiteurs en matière de développement des activitésà distance semble être l’incompatibilité des modes detravail. L’innovation sociale et culturelle que constituel’essor du télétravail passera forcément par unréexamen de ces modalités. L’utilisation des techno-logies de l’information et de la communication (TIC)dans la sphère commerciale génère de nouvellespratiques en même temps qu’elle favorise la diffusionde nouvelles formes de travail et d’emploi flexible.Ceci étant, la volonté de faire évoluer les processus detravail, comme celle d’utiliser les opportunités offertespar les TIC, dépend de l’attitude des organisations, ettout particulièrement de la posture du personneld’encadrement, vis-à-vis de la thématique duchangement.

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73

Le télétravail en perspective

Tableau n° 13 : Les nouvelles perceptions spatio-temporelles du télétravail

8) Un besoin de technologies bon marché à la fois accessibles et sécurisées

La diffusion du télétravail repose sur l’accès à desréseaux de communications fluides et rapides. Un telaccès connaît de fortes disparités régionales. De plus,les entreprises cherchent à réduire leurs coûts etréclament des offres compétitives. Les politiquesnationales et régionales visent le développement desinfrastructures techniques. Mais la vulnérabilité desTIC en matière de sécurité informatique, pensonsnotamment aux attaques de virus, fait obstacle à la

bonne marche des réseaux de communication et tendà freiner la diffusion du télétravail.

9) Les préjugés, la crainte et l’ignorance génè-rent plus d’inhibition que la technologie

Si l’essor des activités à distance dépend jusqu’àun certain point de la disponibilité des technologies,il relève d’un processus plus fondamental qui a traità l’innovation sociale et culturelle. Lequel secaractérise, dans l’ensemble des petites et moyennesentreprises, par sa relative lenteur.

The eGap research project seeks to understand the relative status of telework within small and medium-sized enterprises (SMEs), especially the factors that promote and inhibit its adoption and implementation.This work is being undertaken in five regions in Europe which are Rhône-Alpes (France), Emilia Romagna(Italy), Tampere (Finland), Central Transdanubia (Hungary) and the ‘Greater West London Wedge’ (UK).An earlier quantitative phase of the research involved at least 300 SMEs interviewed by telephone in eachregion. The qualitative phase reported on here builds on this earlier work through approximately sixtysemi-structured interviews being conducted in each region. The aim is to gain a greater understanding of,inter alia, attitudes towards telework, implementation practices of telework, and the enabling andinhibiting factors influencing its adoption.

Fifty of these interviews were with owners/managers and employees of small firms. Issues addressed herewere based on the following broad themes:

1) preparations for implementation2) operational practices3) corporate social responsibility4) enablers and inhibitors to adoption5) social infrastructural factors6) outputs and effects of telework

A further ten interviews were conducted with ‘other stakeholders’, such as regional policymakers and tradeunions, and an additional subset of questions were put to them in regard to their role in telework adoption.The findings from these regional analyses have been brought together in an overview, “TransnationalReport of the Qualitative Research Phase: A Comparative Analysis of Regional Findings”, submitted to theCommission in November 2003. Some of these findings are presented below.

In terms of preparations for implementation, only the Hungarian partners pointed to structuraldeficiencies in regard to ICT use, noting the “weak integration of ICT” into business processes of firms,and the “high price of Internet use”. Otherwise technology for the most part was seen as an enabler totelework. With the possible exception of Italy and larger firms in Emilia Romagna, there was not muchevidence for proactive decision making by firms in the adoption of telework. Additionally there was verylittle evidence of proactively determined training regimes for those teleworking in any of the partnerregions. Firms did have training sessions for ICT use, though as the UK report observes, many of thoseteleworking had pre-existing skills that they brought to bear whilst operating remotely. The Hungarianpartners are very critical of training provision in Hungary in general, whilst at the same time implying thatsuccessful telework practice is not a function solely of ICT skills. Generic skills such as ‘time management’are also attributes that teleworkers require. However, as the Italian authors observe, “entrepreneurs judgethat the work carried out (at) long distance is the same as that done in the office”, a sentiment echoed bythe Finns. Partners generally note that any training is ‘on the job’. The implication of this is that genericskills are not thought – at least in corporate training terms – to be requirements for successful teleworking.

There are new SMEs that have seized opportunities to exploit the new ICTs and that practise teleworkperhaps in virtual enclaves (even if global in scope). According to the UK report, some of these new firms,“exhibited advanced use of technology by contemporary standards, and appeared comfortable workingwith, for example, ‘interactive whiteboards’ (by which documents can be seen and annotated by more thanone user during a virtual dialogue) and audio or video-conferencing”. Nevertheless, firms such as these arein a minority in the five regions.

In operational terms, telework appears to be practised by a small minority of workers overall. Rather than themore radical approaches that proponents of virtual working would like, the adoption of teleworking, for themost part, appears incremental in approach, complementing existing work practices rather than reconfig-uring them. It became apparent that most teleworkers in SMEs across the five regions are managers, salespersonnel and other specialist mobile workers who, in functional terms, have been working remotely sincewell before the Internet arrived.

Nevertheless, there is evidence too that telework is an under-reported phenomenon. Finnish, Italian andUK partners highlight the fact that the term ‘telework’ itself is problematic in that some interviewees, whohad originally stated that there was no teleworking in their firm at the start of interviews, after discussionchanged their minds and declared that there was. Further, the Finns note that some telework is introduced

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Encadré n° 1 : Promesses, pratiques et problèmes du télétravail : le projet eGap

by stealth by individuals wishing to finish off work remaining incomplete at the end of their working day(e.g. answering emails). Thus to telework and its practice may therefore be hidden to some extent. In fact,according to the UK partners, nearly every firm reported on in the study had at least some form of flexibleworking (including teleworking).

In any event, the eGap definition of telework is rather generous in scope: Working offsite (e.g. at home, at acustomer site, or on the move) whilst linked all day, or for period whilst offsite, to the firm’s computer systems.

So by this definition, teleworking occurs even with minimal amounts of time spent working remotely.However, few workers on this basis would count themselves as being amongst the teleworking fold. Thisunder-reporting may be further compounded by the fact that few formal agreements as yet appear to be inevidence between employer and employee; agreements, where there are any, are informal and often purelyoral in nature. This is related to the fact that telework is usually individually negotiated and thus a challengefor personal organisation rather than wider social responsibility.

In light of this experience the Italian authors identify two types of teleworking firms. Firstly, there are firmswith explicit forms of telework and for some of these cases, trade unions actively have sought to negotiateagreements. These cases were not as common however as firms with implicit forms of telework that hadoffsite working by managers and sales personnel. That there is implicit telework points to the fact thatmany of the individuals who telework in these firms may not necessarily think of themselves asteleworkers. Instead they see telework purely as a flexible form of work made possible by modern ICT.

In terms of firm size, three of the five partners found it to be significant in telework adoption. Furtherevidence of the influence of size on potential adoption is advanced by the French partners who note that,“very small or medium-sized companies face much more resistance to change than larger ones”. The Italianpartners note a deeply-rooted antipathy amongst entrepreneurs in some smaller firms to the changes toworking practices that telework might imply.

In terms of sector, in Hungary, Italy and France there was evidence of a greater practice of telework in ‘Services’than in ‘Industry’. The UK data was not definitive on this question, though ‘physicality of tasks’ appeared to havea negative influence on telework adoption. The Finnish partners noted that people teleworking in sales,journalism and maintenance could come from either sector. Additionally, they outlined a case in which acompany in the wood processing industry wanted to “raise the efficiency of its 12-person wood purchasingdepartment with the help of mobile work”. So though there is evidence of sector influence on teleworkadoption, both sectors have functions in common. This obviously begs decomposition of productive activitiesby type. National reports noted that activities such as research, accounts, sales, systems development, systemsmaintenance, design and creative activities appeared to be suitable for teleworking. Many of these are what theFrench partners describe as “intellectual or immaterial professional activities”. Other tasks where rapidproblem-solving and timeliness are required, or where there is extensive use of paper documents, or where thereis some dominant element of physicality, all militate against teleworking according to the national reports.

The French and UK studies pointed to the difference in evident telework practice between start-ups andthose already in existence when the Internet became generally available. Start-ups were more likely toexploit telework as a standard working practice from the outset. Both Finnish and French partners raisethe issue of a potential ‘generation gap’ and the significance of age on telework adoption, noting “a cleargap between generations as the interviewees were asked about their possible willingness to start telework”.Younger age groups amongst Finnish interviewees showed a greater interest in taking up telework thantheir older colleagues.

The majority of teleworkers combined offsite working with onsite working during the same weekaccording to the UK and Italian partners. This is seen as a means of ensuring that social isolation is keptto a minimum and allows employees to remain part of the social networks in offices. For all teleworkers,some minimum level of attendance at the central office was required – typically weekly or fortnightly.Nevertheless, there is a generally held view by all partners that teleworking suits some individuals but notothers. In this vein, the Finnish partners observe that the possibility of social isolation is seen as aninhibitor for some, but an enabler for others who require periods of calm to complete tasks.

Practice of telework does not always imply 100% electronic working. The UK partners noted some casesof ‘mixed mode’ working whereby e-mail intercommunication was supported by fax or CDs (the latter sentthrough the postal system). Additionally sales personnel that telework keep in contact with their officeswhilst on the road by mobile phone. In all regions, the most frequently used tools of business communi-cation are telephones and faxes. This suggests that avoidance of false dichotomies requires analysis oftelework with the possibility of mixed modes of communication in mind.

75

Le télétravail en perspective

If the five regions are taken together, they have some of the most developed ICT provision in the world. Inthis case then, principal inhibiting influences to telework adoption must therefore be related to human andorganisational factors rather than technology per se. Partners attest to significant scepticism on the part ofmany employers and managers towards telework. There are still tendencies, to varying degrees in all regions,for significant numbers of managers to prefer ‘physical oversight’ as the dominant form of managementapproach. The fear of what individuals might do or not do when ‘out of sight’ underlines a basic lack of trustin employees. Without trust telework cannot be successful. If telework is to flourish for all, then hierarchicalmodels of control need to be reconfigured to allow greater autonomy and discretion on the part of the worker.Thus the Italians stress that thinking based on the ‘logic of subordination’ needs to move aside to allowthinking based on the ‘logic of collaboration’ to develop.

The dominant concern therefore from the firm’s perspective, according to the national reports, is theproductivity of telework. There are two different camps of opinion on this: the ‘enthusiasts’ and the‘sceptics’. Generally the enthusiasts already practise telework and extol its benefits in terms both ofefficiencies and quality of life. The sceptics do not practise telework (though some may have done so in thepast) and generally see inefficiencies. From the perspective of the individual, the greater autonomy andflexibility that telework affords the individual gives most workers a better work-life balance. Howeverindividuals need to ensure that they do not allow work to dominate their domestic lives, or their domesticlives to dominate their work. This balance may be especially problematic for teleworking parents(especially women) with young children.

From a societal perspective, the impact of telework on the environment is not something that concernsmany deeply. Little is made of the possibilities of greater societal cohesion that telework might bring.However one effect that might cause pause for thought is the possibility that teleworking is the first stagein a process whereby work and worker become outsourced.

If we accept that telework is a ‘good thing’ – that it can liberate people from their desks and allow themsome freedom to choose when they work, to have the flexibility to better balance their personal with theirprofessional needs, to cut down on traffic congestion, to combat pollution and protect the naturalenvironment, to allow economicallymarginalised groups to enter the workforce, and not least to allowfirms to maintain or improve productivity in the process – if we believe in all of these things, then we maybe disappointed with the prevalence of telework today. Other than for reasons such as retention of valuedstaff members and the extension of the geographical scope of sales regions, the challenge for telework isthat it is not market driven in the same way that developments in, say, mobile phones are. So thoughproponents of telework talk of the efficiencies that it can bring to bear on company operations, these arenot readily apparent to the owners of firms (i.e. those with the greatest power to influence teleworkadoption) who may view such a proposition with fear. So governments, whether national, regional or local,try pushing from the top. The problem is that bureaucratic policies and directives, however well-intentioned, do not appear to meet the needs of SMEs wishing to adopt telework. Certainly there is muchSME apathy noted in the national reports towards poorly co-ordinated, fragmentary regional/nationaltelework policies.

A number of partners pointed out that there was little in the way of telework ‘success stories’ or initiatives fromwhich ‘best practice’ ideas could be drawn. They wanted more. Dissemination of eGap findings is seen in anyevent as a critical element of the project. Nevertheless, for all the effort that we partners put into this exercise, thefact is that many owners/managers are too busy coping with everyday commercial survival to prioritise time toaccess an EU-sponsored database, for example, in order to check on telework. This too may indicate a lack ofinterest. Is there not a case perhaps for other approaches to encourage the take up of telework – approaches thatwould firstly attempt to capture the imagination of individuals, and then deliver insights on how telework bestworks in practice? In the UK, there is a BBC radio programme called “The Archers” that is still popular afternearly 60 years of production. What is interesting about this programme is that it was originally designed as amechanism to introduce ideas on new agricultural methods to the farming community in Britain at a time whenthere were great food shortages. The scientific messages however were contained within a fictional account ofthe lives and times of people in rural England. Is there a place for a similar, albeit more contemporary, approachwith regard to telework?

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Source : F. Clear & K. Dickson12, E-GAP, 2003.

12 School of Business and Management, Brunel University, London.

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Le dynamisme de la croissance du secteur destélécommunications et des outils ou services decommunication à distance interroge de fait la place, lerôle, la qualité et l’organisation même du déplacementphysique, réputé plus lent et plus coûteux, dans nossociétés.

• La croissance du secteur des télécommunica-tions est à deux chiffres (le seul autre secteuréconomique montrant des trends de croissance aussifort est le tourisme), le nombre de déplacements parpersonne au moins dans la sphère urbaine stagne,voire diminue pour certains modes.

• Le téléphone assurait déjà en 1983, 34 % desbesoins communicationnels des ménages français(hors besoins de communication liés au travail, soitla téléphonie professionnelle et le déplacementdomicile/travail), soit presque autant que ledéplacement physique (38 %), le reste étant assurépar le pli postal.

Dans une démarche prospective sur l’articu-lation des deux modes, il conviendra de ne jamaisperdre de vue que dans un monde où la communi-cation immatérielle croît de façon exponentielle etle transport stagne, la substitution de l’un parl’autre ne saurait être que relative.

I. Une typologie des effets ou relations entre télécommunicationset mobilité individuelle

• Les télécommunications peuvent générer,sur la demande de transport, des effets :

– de substitution des télécommunications audéplacement physique : par le développement destéléactivités ou « activités à distance » comme letélétravail, le téléachat, le téléenseignement, latéléconférence, le télé loisir…, les télécoms peuventse substituer au déplacement physique.

– d’induction : les télécommunications peuventgénérer des déplacements, notamment en élargissantla sphère communicationnelle des individus.

– de complémentarité modale par le biais de lagestion dans la réalisation du programme d’acti-vités individuel, les télécommunications etnotamment le téléphone permettant d’optimiserle nombre de sorties du domicile.

– des évolutions dans la géographie des déplacementspar le biais de l’influence des télécommunicationssur les systèmes de localisation des individus, desentreprises.

• Les télécommunications ont également deseffets sur l’offre de transport : gestion et régulationdes services de transport, informations de l’usager àdomicile ou en cours de déplacement, système deréservation et commande de billets à distance sontautant d’outils utilisant les techniques de communi-cation à distance qui permettent a priori d’améliorerla qualité du service offert à l’usager. Les complémen-tarités sectorielles sont nombreuses, le dynamisme del’un jouant sur le dynamisme de l’autre.

Les interactions entre les deux secteurs sontpotentiellement nombreuses, bilatérales et ce dansdes temporalités plus ou moins longues ; elles sontaussi rétroactives car les télécommunications, enaméliorant la qualité du service Transport,influencent la demande transport. Les télécommuni-cations peuvent aussi fragiliser la demande detransport collectif, assise sur le mode de déplacementphysique le moins compétitif en moyenne (voirexpérience du télétravail new yorkais).

II. Ce que l’on sait sur ces relations

• Télécommunications et mobilité individuelle

À propos du mythe de la substitutionL’explosion des contacts immatériels est une

réalité. La demande globale de transport et lamobilité n’ont pas pour autant diminué : ellessemblent tout au plus se stabiliser en termes defréquences. De fait l’automobile et le téléphone,techniques toutes deux nées au siècle dernier, se sontdéveloppées parallèlement : la première ayant permisl’éclatement des structures territoriales et la secondecomplémentaire à la première ayant, face à cetéclatement, permis de garder des contacts fréquentsen cassant l’isolement.

Nous sommes donc très loin des évaluationsprospectives réalisées il y a vingt-cinq ans à partird’une simulation du développement du télétravail,téléachat, téléloisir.

Selon différentes hypothèses prospectives, lessimulations donnaient des taux de substitution destélécommunications au transport allant de 12 à 25%des déplacements domicile-travail, à l’horizon de l’an

MOBILITÉ ET TÉLÉACTIVITÉS

Marie-Hélène MASSOTChargée de recherche DEST/INRETS

2000. Ces travaux ainsi que ceux menés sur d’autrestéléactivités à la même époque, au-delà des simpleserreurs de prévision inhérentes à ce type d’exercice,ont largement surestimé la substitution modaleétudiée. Réalisées en plein choc pétrolier, ces analysesl’ont été sur la base d’une logique économiquerationalisante, selon le postulat que la communicationinterindividuelle pouvait se penser en « économied’énergie fossile », que la diffusion des techniques etleur appropriation par le corps social étaient instan-tanées et déterminées par les techniques elles-mêmes.

– Ainsi le télétravail à domicile, télécommandé par lecentre décisionnel de l’entreprise et porté par uneidéologie individualiste-naturophile, ne s’est pasdéveloppé et restera encore longtemps confi-dentiel. On estime en France le nombre detélétravailleurs à domicile à quelque 16 000individus, soit 0,07 % de la population active, laprojection à l’horizon 2000 donne une fourchetteallant de 300 000 à quelque 500 000 individus, soitau plus 4 % de la population active. Aujourd’hui letélétravail est avant tout défini par rapport à latransformation des systèmes et organisations de laproduction qu’il favorise et à l’émergence denouveaux métiers.

– La diffusion de la télévision et du magnétoscope avidé les salles de cinéma dont le taux de fermetureest en France impressionnant. Mais les Françaissortent le soir plus nombreux et plus fréquemmenten 1988 qu’en 1973, les pratiques de convivialitél’emportant sur la participation à des manifesta-tions culturelles : cela apporte un démenti àl’affirmation trop souvent répandue selon laquellela télévision serait à l’origine d’un repli sur soi.

– Les entreprises de vente par correspondance et àdistance ont multiplié leur chiffre d’affaires par 11en vingt ans et simultanément multiplié par 2 leurspoints de vente sur le territoire français en cinq ans.

– Les travaux de G. Claisse et F. Rowe, sur la base desappels téléphoniques domestiques dans un contexteurbain, ont de plus récemment bien mis en évidencequ’avant d’être en concurrence, transports ettéléphone sont deux modes complémentaires : 40 %des appels téléphoniques concernent l’organisationdes activités et la gestion des déplacements qui leursont liés.

Quelques analyses empiriques pour hiérar-chiser les effets

– Dans le cadre d’une enquête sur les pratiquestéléphoniques domestiques en 1984 menée dansl’agglomération lyonnaise sur 660 individus,G. Claisse et F. Rowe ont montré :

• l’importance de la complémentarité modale dutéléphone et du déplacement physique : en effet40 % du trafic téléphonique est associé à lagestion des activités et de la mobilité.

• l’existence d’un trafic de substitution : 20 % desappels téléphoniques auraient donné lieu à undéplacement si le téléphone n’avait pas existé ; letrafic d’induction est par contre faible, seuls 3 %des appels téléphoniques auraient généré desdéplacements.

Sur la base de cette enquête, les auteurs valident,tout en le relativisant, l’effet de substitution : enl’absence du téléphone, le nombre de déplacementsquotidiens (hors déplacements domicile-travail etprofessionnels) augmenterait de 6 %, le traficmotorisé en heure de pointe du soir de 7 %.

– À propos de la téléphonie mobile : deux enquêtes,dont une menée en France et l’autre aux États-Unis sur la diffusion et l’usage de la téléphoniemobile à usage professionnel, confirmentamplement l’importance des mobiles dans lagestion des déplacements (31 % des usagersdéclarent en effet en France utiliser le mobile pouroptimiser leurs déplacements ). L’effet de substi-tution n’est cependant pas net, surtout en France,où il apparaît que l’usage de la téléphonie mobileinduit plus de déplacements qu’il n’en « évite »(19,6 % contre 7,4 %). (Rapport INRETS/Lesco).

Le traitement récent de l’enquête Transportset télécommunications (1994) sur le recours autéléphone en cours de déplacement confirme lacomplémentarité existante entre téléphone etmobilité : le différentiel de mobilité entre ceux quitéléphonent et ceux qui ne téléphonent pas est de+30 % en termes de déplacements par jour et parindividu, le nombre moyen de déplacementssecondaires est multiplié par trois. L’exploitationde cette enquête montre également que téléphoneren cours de déplacement ne concerne encorequ’une part infime de la population (4 %), que sonusage est fort différent selon les tailles d’agglomé-ration, les personnes et les types de jour et lesprogrammes d’activités hors du domicile desindividus.

– Sur le télétravail américain : le télétravail estassocié depuis la fin des années 80 à unepolitique publique de régulation de la mobilitédans le but de réduire les effets externes de cettemobilité (congestion, pollution). Les analysesempiriques menées à partir d’expériences« pilotes » de télétravail dans des administrationsde l’État californien sur la base du volontariat dessalariés, montrent que le télétravail à domicileconduit à une diminution des déplacementsdomicile-travail, réduit les pointes de trafic,n’induit pas de la part du salarié et des membresde son ménage, ni de déplacements supplémen-taires pour des motifs autres que le travail, ni unusage plus intensif de la voiture les jours où lesalarié télétravaille… On constate également quele télétravailleur réinvestit son espace deproximité. Les résultats sont donc globalementsatisfaisants et montrent que de telles pratiques

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peuvent contribuer à la réduction de la conges-tion et de la pollution, objectifs mêmes du projetcalifornien.

Plus récemment, dans l’État de New York,l’évaluation d’un projet pilote de télétravail, avec àl’appui la création d’un « centre de travail satellite »par une grande entreprise, montre que les distanceset les temps de parcours pour aller travailler ontdiminué pour l’ensemble des salariés concernés.Cependant la création de ce centre a conduit à uneaugmentation des kilomètres parcourus en voiture,dans la mesure où les salariés ont délaissé lestransports collectifs pour la voiture en changeant delieu de travail (du centre à la périphérie).

• Les inductions spatiales des télécommunications sur la mobilité

Les nouvelles techniques de télécommuni-cation, virtuellement capables de nier la distancephysique séparant les espaces de production entreeux, conduiront-elles :– effectivement à une homogénéisation des espaces

et donc à une répartition plus uniforme desactivités sur ces derniers ?

– à un renforcement de la métropolisation ?

Le réseau télématique influencera-t-il lesstratégies de localisations spatiales des entreprisesdans l’espace ? Les réponses de la littérature sontnuancées.

Dans toutes les enquêtes menées, les nouvellestechniques de télécommunication ne font pas partiedu tiercé gagnant au palmarès des critères de choixd’implantation des entreprises. Les raisons évoquéesau premier chef sont encore le coût de l’immobilierde bureau, le marché du travail et les coûts de maind’œuvre, l’avantage de la centralité urbaine et celuide la proximité physique avec les interlocuteursréguliers des entreprises. Autant de raisons quiconstituent des facteurs de production rares etrépartis de façon inégale sur l’espace. Autant decaractéristiques que n’ont pas les NTIC comme lesouligne G. Claisse à partir d’une analyse sur laRégion métropolitaine lyonnaise : « L’accessibilitéaux réseaux de transmission de données est relati-vement homogène sur le territoire pour les gammesde débit les plus couramment utilisées et, dansl’espace régional donné, les écarts de coût d’accès àces réseaux sont inexistants ». Au même titre que leréseau de transport, les télécoms sont, d’un point devue spatial, plus structurantes par leur absence ouleur déficience que par leur présence .

C’est par la médiation des réorganisationsfonctionnelles des organisations productives que lesnouvelles techniques de télécommunicationpeuvent induire des mutations spatiales.

À l’échelle nationale, la résultante territoriale deces mutations dans le processus de productionpourrait être plutôt métropolitaine.

À l’instar du téléphone, les NTIC accompa-gnent, voire amplifient depuis quelques années,différents processus de restructuration et de reloca-lisation des entreprises et des activités du secteurtertiaire (banques, assurances, conseils auxentreprises, administration et distribution), celles-làmême qui ont généré la centralité et sont aujour-d’hui les plus grosses consommatrices detélématique :

– un processus de concentration des activités à trèshaute valeur ajoutée ou de prestige dans les villes-centres ;

– un processus de centralisation-déconcentrationdes activités orchestré par le coût élevé de l’immo-bilier dans le centre et conjointement le besoind’espace lié à l’extension de l’informatique. Lessegments de l’activité ne nécessitant pas decontacts face à face fréquents avec l’environ-nement de l’entreprise, sont généralementpropulsés dans les périphéries alors que lesdirections restent au centre ;

– un processus de reconcentration d’activités dans lapériphérie urbaine donnant naissance à denouvelles polarités urbaines.

Les NTIC apparaissent ainsi comme particuliè-rement bien appropriées à un contexte marqué pardes tendances (extérieures au champ de la télécom-munication), à la métropolisation d’une part, à ladéconcentration de l’habitat et de l’emploi au sein età la marge des grandes aires métropolitaines, d’autrepart. Nul doute qu’elles sauront profiter de cemarché porteur pour se développer, voire enrenforcer à la marge la dynamique.

Il convient toutefois de se garder de touteapproche systématique : à l’instar des nœudsautoroutiers ou des gares TGV, les réseaux de com-munication ne constituent qu’un facteur deproduction parmi d’autres, dont l’absence estpénalisante sans que la présence soit une garantie desuccès : on peut penser que les édiles, comme lesopérateurs de télécommunication, veilleront à ceque les zones de développement potentiel ne soientpas des trous noirs dans l’espace télécommunica-tionnel. De même, les conséquences sur les distancesne sont pas écrites d’avance : si le renforcement de lamétropolisation (et surtout la spécialisation dumarché du travail) porte a priori en germe desdistances de migration plus importantes, les NTICsont aussi porteuses de rapprochements potentielsentre lieux d’habitat et lieux de travail, enintroduisant des formes de travail plus flexibles etplus compétitives en termes de temps. Elles pour-raient ne pas être développées par les entreprises,très « frileuses » de ce point de vue, mais faire partie

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Mobilité et téléactivités

de politique volontariste publique pour faire école,alimentant de ce fait la dynamique communication-nelle générale.

III. Analyse ProspectiveS’il est incontestable que les nouvelles

techniques d’information et de communicationtransforment d’ores et déjà et transformeront deplus en plus vite nos modes de vie, d’éducation et detravail, on peut également conclure que leurs effetssur la mobilité en termes de fréquence et dedistances ne sont ni automatiques ni indépendantsdes espaces très différenciés du point de vue social etéconomique dans lesquels elles s’inscrivent. Ellespeuvent être en effet de véritables amplificateurs destendances à la croissance de la mobilité que devéritables outils de régulation de cette dernière si lasociété les accepte comme telles et utilise toute laflexibilité dans l’espace-temps des individus dontelles sont porteuses.

Les dimensions déterminantes pour uneprospective des incidences sur la mobilité :

• La capacité à prévoir l’évolution technologiqueelle-même, le degré de complémentarité des

techniques entre elles (déréglementation, l’offre deservices dans un marché de plus en plus en plusconcurrentiel).

• La communication en « face à face » est encoreaujourd’hui le mode de communication le plus« riche ». Restera-t-elle demain sous l’effet de labanalisation de la communication à distance etsimulée ?

• Les transformations organisationnelles à l’œuvreau sein des entreprises par le biais des télécoms etla rétroaction sur la localisation des entreprises, lestransformations des modes de travail et desmétiers eux-mêmes. Aujourd’hui les télécomssont, pour la plupart des entreprises, un facteur deproduction et non pas une stratégie organisation-nelle de la production (à l’exception du secteur desbanques et des assurances). Qu’en sera-t-ildemain ?

Or on a du mal à penser ces restructurations, àimaginer le futur et à dimensionner les impacts surl’organisation des activités et du territoire. Et ced’autant moins que le futur technologique estlargement ouvert si l’on se réfère à l’ouvrage deP. Musso réalisé dans le cadre des travauxprospectifs de la DATAR.

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This paper proposes to analyse the current andfuture trends in the development of telework, inrelation to scenarios of the future of work in theinformation society.

1. First of all we will point out some key issues in thestudies of the future of work in the informationsociety: the dematerialisation of the economy, theincreasing search for flexibility in organisation,some new trends in human resources manage-ment. These issues are particularly relevant asregards to the development of telework.

2. A second section will examine the current trendsin the development of telework. It will point outthat the most widespread forms of telework arenot home-based telework as such, but new formsof organisation of work based on communicationtechnology, for instance: mobile telework, newdistance working companies, “mixed” teleworkcombining various workplaces on irregularlybasis. The common characteristic of these formsof organisation is the search of flexibility.

3. Finally we will discuss an important challenge forthe future of work: how to develop flexible teleworkpatterns avoiding a deterioration of working condi-tions ? What can be a social scenario of flexibility ?This challenge is not specific to telework, but par-ticularly enhanced with the development of tele-work.

Given the diversification of forms of telework(home-based telework, mobile work, call centres,etc.), we will often use the expression distance work-ing, although “tele” and “distance” are objectivelysynonymous. The expression distance working hasfewer connotations that the term telework and it ismore representative of diversity. Mobile work anddistance working companies, for example, are rarelymentioned under the telework label, but they areentirely significant for the purposes of this paper.

Visions of the Future of Work in theInformation Society

In the literature and debates about the future ofwork in the information society, a set of commontrends is usually analysed. They mainly concerndematerialisation, skills, knowledge and training,flexibility. The scenarios of the future of work also

examine more fundamental changes in society: newdefinitions of the concepts of work, employmentand activity; working time arrangement and reduc-tion; the challenge of regulation. In this section, wewill briefly present some of these trends that areparticularly relevant as regards to the developmentof telework or distance working:

– the dematerialisation of economy;– the restructuring of service activities;– the new emphasis on knowledge and competence;– the development of flexible organisation and flex-

ible labour markets.

This overview of the scenarios of the future ofwork and the discussion about flexibility mainlyrefer to the first report of the FLEXCOT project(Flexible work practices and communication tech-nology) for the TSER programme of the EuropeanCommission [Valenduc & al., 1998].

A Dematerialised EconomyNeither technological changes nor the promo-

tional campaigns of the European Commission areenough to explain the expansion and diversificationof forms of distance working. The real cradle oftelework lies in certain major changes in the econo-my, and more particularly in services, mainly thetendency towards the dematerialisation of economyand the restructuring of service activities.

This dematerialisation of economy is shown inthe growing share of non-material activities in eco-nomic activity, characterised by:

– Growing immaterial production and consump-tion: the market for information products andservices, like software, multimedia, teleservices, isgrowing faster than markets for material equip-ment and goods.

– An increasing number of persons are employed inthe production and distribution of information,knowledge, cultural and leisure activities, whereasemployment in the production of material equip-ment and goods is decreasing.

– Companies draw greater profit from their non-material activities than from their directly pro-ductive activities, via their financial engineering,financial investments, maintenance, advice andservice activities.

TELEWORK IN THE SCENARIOS FOR THE FUTURE OF WORK

Patricia VENDRAMINFondation travail Université

– The share of non-material investments, i.e. soft-ware, organisation, training, human resourcemanagement, research & development, is growingas compared to material investments.

The development of emerging forms of telework,such as mobile work and distance working enterpri-ses, is linked to the process of dematerialisation.

Restructuring Service ActivitiesIn the area of services, except for some social or

relational services, many new forms of organisationare based on information and communication tech-nologies. This trend in restructuring services pre-sents three characteristics, which are relevant toexplain the renewal of telework: the separation ofproduction and consumption of services, the indus-trialisation of services and “telemediation” in ser-vices.

Separation of production and consumption ofservices means that a service can be produced andstored in one place and consumed later in anotheror in several different places. Many services arebecoming products, which can be consumed any-where and any time. They are becoming more easi-ly commercialised and can be delocated.

Actually, without information and communi-cation technologies, a service is essentially a non-physical activity; it must be consumed when it isproduced. The output of services cannot be storedor transported. This characteristic decreases thepossibility of marketing services and makes themvery localised activities. Conversely, with informa-tion and communication technologies, services canbe stored and transported at very low cost, since byand large they consist of information. The cost ofstorage and transport is becoming very low in com-parison to the cost of production of a service. Thisexplains the growth of teleservices, distance work-ing enterprises and other activities like home bank-ing or distance learning.

Industrialisation of services is another majortendency. In the service sector, the movementtowards industrialisation increases every time infor-mation and communication technologies make sig-nificant headway. This industrialisation takes theform of a two-fold transformation. On one hand,codifying data and knowledge tends to standardisemost situations handled by employees. On the otherhand, systems to distribute tasks, like workflow soft-ware for example, automatically move from opera-tion to another, whatever the location of the succes-sive agents involved in processing a dossier or carry-ing out a task [Perret, 1995].

Finally “telemediation” is the third major trendwhich characterises the future of service activities inthe information society. This refers to replacing orcompleting a “face to face” relationship with clients,by a “mediation by telephone”; i.e. offering adviceand services based on a telephone call. In a growingrange of industries many functions of servicesinvolve mediation by telephone, particularly sales,marketing, technical assistance, booking, insurance,market studies, etc. Call centres have developed thesupply of services in this promising new niche[Cornford & al., 1996]. Growth of on-line serviceson the Internet can be considered as telemediationevolving in the direction of the Web. The characte-ristic common to these services based on telemedi-ation is that they are perfectly mobile, both in spaceand time, meaning that they can be executed fromany place and at any time.

The future of service activities offers more andmore opportunities for distance working. Neworganisational patterns are already explored inorder to increase flexibility in organisation by usingICTs and distance working.

Knowledge and CompetenceA direct consequence of the debate on the

“dematerialised economy” is the strategic role ofknowledge. In many policy documents of theEuropean Commission or the OECD, the informa-tion society is also termed the “learning society” orthe “knowledge society”. The most recent technicalprogress related to communication technologydevelops its impacts in areas of knowledge andcompetence where there is little routine work. Thepurpose of technology is now to improve complexprocesses, in which human knowledge is a key fac-tor, and to increase the individual performance in acomplex working environment. The main concernof human resources management is to develop workcompetence in a changing environment.

The issue of qualification, education and train-ing is dealt with in several prospective studies ofwork in the information society. Such studies oftenfocus on two dominant trends:

– New skills and professions linked with ICTs develop-ments: the skills of ICTs professionals become less“hard” and more “soft”, including organisationalaspects and ability to communicate. Althoughtheir growth rates are high, ICTs professions onlyrepresent a small labour market, highly sensitiveto “fashion” effects or short-term shortages.

– Shift in existing skills, from operational require-ments to new requirements based on knowledge andcommunication: many studies emphasise theimmaterial and relational dimensions in the con-tent of work (creativity, abstraction, aptitude to

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Patricia Vendramin

communicate, management of uncertainties, reac-tivity to events, etc.). Knowledge and competencethemselves are becoming a direct factor of pro-duction.

A significant feature for the future of work inthe information society is the shift from qualifica-tion requirements to competence requirements.New forms of organisation supported by ICTs makethe distinction between qualification, skill or com-petence less and less clear [Dubé & Mercure, 1997;Zarifian, 1996]. The usual distinction between qual-ification and skill lies in the fact that qualification isattached to the workplace, while skill or competencebelongs to the worker. Qualification depends onorganisational options, human resource manage-ment, collective agreements and technology. Skilland competence are related to education, trainingand experience of the workers, and to their personalcapacities.

In the firms where ICTs are widely implement-ed, the recruitment requirements and the descrip-tion of functions are mainly based on competence.This is an important shift from a collective to anindividual approach of qualification.

Some authors go further in the analysis of sucha shift from qualification to competence.“Competence appears as a substitution process; itchallenges the recognition and validation of know-ledge and know-how through the wage system.Competence leads to a new model of the “produc-tive individual”. It generates a specific model ofhuman resource management, not centred anymoreon qualification and employment, but on the indi-vidual. (...) Moreover, does the shift from the quali-fication model to the competence model representanother shift, from wage earning to entrepreneur-ship ? Are competence and employability some-thing similar for entrepreneurship, as qualificationand employment are for wage earning ? (...)Competence can be understood as a new form ofbargaining qualifications, in a context of technolo-gical change and economic change”. [Brangier &Tarquinio, 1997]

Competence is often put forward when dis-cussing the professional profiles of distance workersor teleworkers. More generally it seems that, what-ever can be the sectors or the jobs, the use ofadvanced communication technologies increasesthe competence requirements for the workers.

Flexible Labour MarketsIt is anticipated that a key element in the infor-

mation economy will be flexibility: of individuals, oforganisations, of institutions and of society in ge-neral. Flexibility is very much a portmanteau word,

however, and carries many different meanings todifferent people. It is often suggested that flexibilitywill be a key element in enhancing economic com-petitiveness and that the future economic health ofEurope will rely to a large extent on the ability ofeconomic actors and supporting institutions todevelop such flexibility.

Flexibility is generally used to denote a neworganisational form, whether at the level of the firmor at societal level, contrasting this with thoseorganisational system(s) generally known as Fordistor Taylorist, forms which are said to have charac-terised industrial economies during the period fromaround the 1920 to the early 1970s. For the era of1980s and 1990s characterised by globalisation,increasing competition, more dynamic markets,greater and more sophisticated consumer demands,greater uncertainty, rapidly decreasing cycles oftechnological innovations, and the emergence ofnew information and communication technologies,it is argued that we need more dynamic and flexibleorganisational and institutional structures.

Within this framework of flexible organisation,various scenarios of the future of work develop newvisions of the labour market. Beyond the classicallabour market with a classical organisation of eco-nomic activities and “typical” workers’ status condi-tions, a lot of new forms of organisation and statusconditions are developed, analysed or taken intoaccount. Flexibility is a common character of these“atypical” labour markets. Some visions of thefuture of flexible labour markets are orientedtowards social integration (through ideas such asplural economy, intermediary activities, quaternarysector, or transitional labour markets), while otherslead to a growing individualistic culture (throughideas such as self-employment, self management oremployability).

Telework or distance working may belong toeach type of scenario even if, in Europe, the tenden-cies seem also to be different from a country toanother, with quite different ways of implementingflexible labour markets in the Nordic countries andin the rest of Europe.

Flexible Labour Markets oriented towardsSocial Integration

Unemployment and exclusion are more than aproblem related to conjuncture. Society is changing;social cohesion, work and its connection withgrowth are in a crisis. Insecurity is growing not onlyin the “peripheral” labour markets but also in the“core” labour market. Atypical employment is grow-ing, precariousness and unemployment too, particu-larly at the beginning and at the end of a profession-al career. In this society, work can no longer be theonly reference for the socialisation of individuals.

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Telework in the scenarios for the future of work

Some authors are developing the idea of thedevelopment of a “plural society”, a society withmany levels, and the emergence of “plural activity”.“Plural activity” means the recognition of a diversi-ty of activities, a plural economy and a plurality ofsocial times in which the individuals can find theirsocial identity and their incomes. The idea of a soci-ety of plural activity is in opposition to the model ofa society completely organised around the salariedwork. [Gaullier, 1997].

In this category of literature, the future of workand society is envisaged trough radical changes.Other corpuses of literature consider the future ofwork, also in a perspective of integration and cohe-sion, but in fewer fundamental and more practicalways. Some scenarios consider new fields of activi-ties, new status conditions or new global concep-tions of full employment in order to favour the inte-gration of unemployed people. Their approachestry to introduce security in the peripheral labourmarkets and in the multiple passing from corelabour market to peripheral labour markets duringsomeone’s life.

This is the key idea developed by Schmid[1998] in the concept of transitional labour market,for example. The concept considers employmentand professional carrier from the perspective of awhole working time along someone’s life. It alsoconsider atypical ways of working as socially usefullabour markets. But these markets need to be regu-lated and not regarded as ways leading to precari-ousness. This way of dealing with the question ofemployment and unemployment considers the so-called “atypical labour markets” from a radically dif-ferent angle.

Telework is often regarded as a mean for inte-gration and social cohesion. A great number of tele-work experiments have been, and are still, devel-oped in order to fight exclusion and unemploy-ment. These new theories of flexible labour marketcan help to develop such “socially oriented” tele-work experiments.

Flexible Labour Markets oriented towardsIndividualism

Beside the scenarios of the future of workturned towards social integration, other visions arequite more individualistic and consider the futureof work through self-employment and self-manage-ment. Flexibility becomes a general attribute of allthe work practices and how to gain some security isleft to individuals.

For some authors the worker of the future willbe a self-employed, poly-active man or woman,managing his or her own carrier in an individualis-tic world. Tomorrow’s worker must be able to man-

age the “enterprise of himself ” [Bühler &Ettighoffer, 1995] in an autonomous and responsi-ble way. From this viewpoint, the worker is prefer-ably self-employed. One goes from a logic ofemployment to a logic of a supply of services, witha “poly-active man” as the new worker’s profile. Thisstrategy suits companies, which prefer to buy theskills they need, when they need them, where theyare to be found, rather than to pay to have themconstantly at their disposal. In these views, theworker becomes his or her own manager.

It can be asked, however, whether for themajority of workers, the self-management or poly-activity era is not very close to a catch-as-catch-caneconomy. The reality shows that many self-employed workers did not really choose this status –they were more or less forced into it by reorganisa-tion in their companies (through downsizing, out-sourcing) [Cornford & al., 1996].

In the literature about telework, self-employ-ment is also often envisaged and the workers aresupposed to become “free-lancers”. The term “con-tingency workforce” is also used. In the UnitedStates the “contingency workforce” has become awidely used term. The contingency workers arethose belonging to the growing number of “employ-ees” working on one-year or six-month contracts,often half time, and with several jobs at the sametime. From the company’s perspective this way ofworking represents a “just-in-time” thinking,applied on its staff. Obviously, for the employee themore loose relation to the labour market often rep-resents insecurity and uncertainty, but also theopportunity for flexibility and constantly new chal-lenges as well as the great freedom so highly valuedby the generation born in the seventies [Forsebäck,1995].

If we find a great number of telework experi-ments oriented towards social integration, a lot ofdiscourses about telework also belong to the indi-vidualistic approach and put all professional pro-files on the same footing, as if the potential and con-straints of a system engineer were the same as thoseof a secretary or a nurse.

Current Trends in the Developmentof Telework

The concept of telework is born in the eco-nomic and technological context of the early eight-ies. At this time, the dominant trends describedabove were not yet prevalent as such. The currentreality of telework covers both old forms of teleworkinherited from the past and new forms of teleworkemerging from the context of the late nineties.

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Patricia Vendramin

In our recent studies of telework [Valenduc &Vendramin, 1997], we distinguish six major cate-gories, which constitute the hard core of teleworktoday. The first three are declining; the last three areflourishing:

1. home-based telework;2. telework in satellite offices;3. telework in telecentres or telecottages;4. distance working companies;5. mobile telework;6. mixed telework.

These six categories will be considered ingreater detail below, referring to a paper presented atthe Third International Workshop on Telework inTurku [Valenduc & Vendramin, 1998]. But it alreadyappears that the declining forms often concernedfew groups of workers here and there and they werealmost always set up either as a limited experiencewithin a company, or as some kind of pilot project,often oriented towards social integration or cohe-sion. Conversely, the flourishing forms of telework(the last three) concern entire categories of workersin entire sectors of economic activity. These are notpilot projects. The first three categories were oftenthe result of institutional partnerships and were par-tially subsidised by public funds, whereas the fol-lowing three are corporate initiatives in response tomarket pressure, corresponding to basic trends inthe organisation of the economy.

Declining Forms of Telework

Home-Based Telework

Home-based telework is the best known formof distance working and the most discussed,although it quantitatively remains far below theoptimistic forecasts of the 70s and the 80s. Stilltoday, home-based telework is a category of tele-work that is immediately envisaged in thoughts anddiscussions about telework. Despite what certainarticles say in the press on the basis of old forecasts,home-based telework is not widespread today – weare referring to the case where the home becomesthe main work place, and not mobile or mixed tele-work which is presented in the following points.

Home-based telework is an experiment done byonly a few companies and for small groups of work-ers within those companies. Few firms have takenthe technical, organisational and social risk of inten-sifying the use of telework. Large public or privatecompanies, who have tried the experience of home-based telework, have almost never gone beyond thepilot project state, which often covers only a verysmall share of the staff. Most of the frequently citedclassical examples generally concern small, specific

groups (translators, programmers) in large compa-nies, without affecting the general organisation oftheir company. Larger scale experiments often con-cern computer or telecommunication companies,which are testing working methods, not always athome, to try to extend the scope of the markets fornew products.

Alongside these minor examples, there are alsovery specific experiment, often backed by the publicauthorities, targeting integration of disabled per-sons. Here, the objective is not the telework as such,but the use of new distance working technologies topromote the professional insertion of disabled per-sons. These measures are addressed to specificgroups, for whom telework, not necessarily at homeof course, represents an instrument particularlyadapted to social objectives. The potential offered bytelework is far from being fully exploited to the ben-efit of disabled or other persons with reduced phys-ical mobility. Although this concern was present inthe first telework experiments in the 80s, it remainsa secondary purpose in the promotional campaigns.

The growth of home-based telework in certainEuropean countries is principally due to self-employed labour. It is the consequence of strategiesfor downsizing and outsourcing used by many com-panies [Gillespie & al., 1995]. The direct conse-quence is the externalisation of certain tasks to anetwork of small companies and self-employed per-sons, sometimes former employees. Finally, the rose-coloured picture of home-based telework holds fora very small minority.

Satellite Offices

Satellite offices are located at a distance of partof the activities of a company. These offices are oftenset up far from the major centres and connectedwith the main premises. The development of satel-lite offices is based on the geographical separation offront office and back-office tasks. Most back-officework, particularly the most routine jobs, could belocated outside large cities, as long as they are set upin a network with the places where decisions aretaken and with the main offices.

As other authors [Cornford & al., 1996;O’Siochru & al., 1995], we note relatively few signif-icant realisations of this type in Europe. To thedetriment of local development projects, we see thatthe information handling centres, which exist often,tend to be concentrated in large cities around urbancentres and in suburban zones.

As concerns perspectives for the future, weobserve that the development and spread of pro-cesses for distributing tasks have resulted in the rein-tegration of back-office tasks, particularly enteringand consolidating data, in front-office operations.Moreover, data handling becomes increasingly auto-

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Telework in the scenarios for the future of work

matic, particularly with the development of scan-ning, bar codes, voice recognition and other tech-nologies for direct entry of data, without forgettingentry by the client himself. Under these circum-stances, little local development can be foreseen onthe basis of this type of activities.

Telecentres or Telecottages

The infatuation with telecentres and telecot-tages dates back to the 80s. The initial idea was to setup local centres equipped with a computer infras-tructure for workers from different firms, or offer-ing services to different firms. The targeted activitiesconsisted for the most part of a set of administrativesupport activities (telesecretariat, administrativemanagement, accounting, translation, etc.), butwithout any specific value added which could justi-fy the use of a telecentre.

Except in some Nordic countries, viable realisa-tions remain very rare, although the telecentre is sys-tematically the image of telework which has motivat-ed promoters of local development in recent years. Incountries such as France, Belgium, Italy, manymunicipalities have tried, via local partnerships andgenerally with financial backing of national orEuropean programmes, to promote local employ-ment and the development of economic activity bycreating telecentres. From an economic standpoint,small telecentres, which were tried in many countriesin the 80s, proved unsuccessful. Almost none was ableto survive without public financing.

A characteristic common to many telecentres isthat they rely on the drive and participation of a sin-gle individual with a strong personality (volunteer,employee or self-employed) and particular qualifi-cations in computer sciences and/or a special role inlocal life. This dependence is both an asset and aweakness.

Although telecentres may have a role to play inthe local life of a community, the ambition of mak-ing them agents of economic activity must be seri-ously reconsidered in the light of past experience. InFrance, some telecentres have already moved intoother channels and have become training centres orcentres with social-economic objectives rather thanservice companies.

One of the probable perspectives of telecentresfor the future is to become local training centres ininformation technologies. These centres are becom-ing suppliers of “hands-on” training, where the per-sons in the training course carry out real work forpublic or private clients, near or far. Sub-contract-ing for public authorities should ensure constantdemand and the viability of this kind of initiative.Training objectives in new technologies of the localpopulation are gaining on the ambition of creatingteleservice companies.

Flourishing Forms of Telework

Distance Working Companies

Distance working companies are specialised inthe supply of on-line network services. They pro-vide value-added services, based on informationand communication technologies, essentially orexclusively at distance.

What distinguishes telecentres and satelliteoffices, which are on the decline, from distanceworking companies, which are thriving in afavourable climate ? On first sight, the activities ofthe one and the other consist of providing teleser-vices from a distance. But telecentres and satelliteoffices were imagined in a context where the mainconcern was land planning and the economic deve-lopment of remote areas. All over Europe, theseexperiments were part of public policies to aid eco-nomic deployment and the creation of job openingsin less developed regions. The idea was to proposesufficient incentives to make peripheral regionsattractive, by advantageous real estate offers, effec-tive infrastructures, qualified personnel and publicaid in various forms.

Conversely, the distance working company, andits emblematic image the call centre, corresponds toanother type of reasoning. The call centres are com-mercial companies whose objective is to manage thecommunication of their client companies. They area fairly good illustration of the principle of distanceworking and the strong and weak points of this kindof service company.

First of all, distance working companies are ini-tiatives from private economic agents; firms whichare trying, among other things, to take advantage ofthe effects of deregulation of telecommunications inEurope. While telecentres only offered administra-tive support activities, distance working companiesconstitute a new economic activity and a newmethod of producing services, such as on-line assis-tance services, telemarketing, market studies, book-ing, insurance management, etc.

Distance working companies are often spe-cialised in a type of service in which the “face toface” relationship is replaced or completed by a ser-vice based on telemediation. For a growing numberof services and functions, the relationship with theclient – sales, after-sales service, client studies, etc. –is done by telephone, not by direct contact or bymail. More and more companies sub-contract thesefunctions to companies specialised in distanceworking. They thus exploit a new niche of activities,as they propose value added: availability around theclock, direct management, reception in several lan-guages, etc.

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Patricia Vendramin

If the distance working companies are clearly aform of telework that is doing well, there are twodeterminant criteria in the growth of “telemediated”services and the location of distance working com-panies: less expensive labour and the performance ofcommunications. For instance, call centres are flour-ishing in Ireland, where wage costs are 50% lowerthan in Germany, taxation of companies is one ofthe lowest in Europe, communications rates aredecreasing with the volume of calls and populationis traditionally cosmopolite [Cornford & al., 1996].

Mobile Telework

Mobile telework is another growing form oftelework. It mostly concerns executives, itinerantcommercial employees and maintenance techni-cians. Today it is exploiting all the potential ofportable computers and data transmission net-works, so that a growing portion of tasks can be car-ried out at a distance, in other words, anywhere – ina client’s premises, at home, in a subsidiary, at a col-league’s home or even in the train or a hotel room.Mobile technologies favour greater geographicmobility.

Unlike isolated experiments of home-basedtelework, mobile telework concerns large categoriesof employees, mainly “field workers” such as con-trollers, technicians and sales personnel. In the longrun, it reflects a deep-rooted reorganisation of thecommercial function and the maintenance functionin companies.

The expansion of mobile telework, as opposedto “sedentary” telework (at home or in a telecentre)is the illustration of exploitation of communicationtechnologies and portable computers serving newtypes of organisation: just-in-time, flexible manage-ment, etc. In management terms, the objective oftelework is to set up more flexible organisationalmethods which can react more quickly, to seek bet-ter organisational productivity [Carré & Craipeau,1997].

Mixed Telework

Beyond the personnel concerned by the newrequirements of mobility, the most common formof distance working today is also the most atypical:a few hours per week at home, a few hours on theroad or in the field, a few hours with clients, but themain reference is still the office and colleagues. Thistype of working organisation concerns not onlyexecutives, researchers, journalists, graphic artists,but also a growing number of qualified employeesconfronted with the constraints and requirements offlexibility.

Many companies now offer a home computerto their staff members, sometimes without a specif-ic project in mind, but always with an idea of trig-

gering new dynamics in the use of computers andnetworks. This is a significant evolution in relationsbetween the professional sphere and the privatesphere.

Mixed telework is not an exclusive category,because it can cover telework from home, mobiletelework or decentralised telework. What charac-terises mixed telework is the fact that it covers a vari-ety of arrangements, and it changes to meet the cir-cumstances and needs. The result is often a compro-mise between the pressure exercised by companiesfor greater flexibility of their executives and skilledemployees on one hand, and those persons’ need tobe able to make personal arrangements in the waythey organise their working time on the other.Mixed telework indeed presupposes certain autono-my in individual organisation of working time andmobility.

Flexibility: A Common CharacteristicAll the emerging forms of distance working

have two characteristics in common. On the onehand, they do not try to develop telework as an endin itself. They target a new niche in the services mar-ket: the provision of services at a distance, by meansof communication technologies. On the other hand,they reinforce the most flexible forms of workorganisation, which overcome constraints of timeand space.

The distinction between flourishing and decli-ning forms of telework must not be understood as“good” and “bad” telework. The purposes can bevery different and the way to achieve them too.Projects of telecentres or satellite offices weredesigned within local or European programmesaiming at regional development and social cohesion,which are of course stimulating purposes. At thecontrary, some call centres develop flexible workpractices with very hard working conditions.

The organisational and social dimensions ofthe implementation of flexible work practices arecritical issues for the future or telework. The nextsections goes further in the development of theseissues.

Telework and Flexibility

Two Ways of Considering the Future of Telework

There is a widespread belief that teleworking ordistance working will concern more and moreworkers in the future. There is however a confused

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Telework in the scenarios for the future of work

vision of telework. It has always been a fairly hazynotion, which can cover very different working situ-ations. Classical forms of telework are rather wellknown but new forms of distance working are con-cerning more and more activities and workers.

A general scenario for the future for all forms oftelework is not relevant. The challenge for the futurehas to be envisaged differently according to the pur-poses of telework, which can be considered as:

– means for integration and cohesion: in this case tele-work is generally organised with the support ofpublic funds and, very often, a specific attention ispaid to the status conditions of the workers;

– a way for implementing flexible work patterns andfor setting up more flexible organisational methods:it combines classical forms of flexible working(part-time work, short-term contracts, polyva-lence, 24-hours office operation) with the newpotential of advanced communication technolo-gy; in this second case, telework or distance work-ing are corporate initiatives in response to largetrends in the organisation of the economy.

There are two kinds of dynamics in the deve-lopment of telework: policy dynamics and marketdynamics. Distance working enterprises, mobilework and mixed telework are pushed by marketforces. Such projects must be profitable and com-petitive. Telework is used as a means for increasingthe flexible response of the firms to economic pres-sures.

Projects driven by policy dynamics have differ-ent purposes, such as revival of rural areas, localdevelopment, training and insertion of unemployedand disabled people, job creation, reduction oftransport congestion. They are developed withinpublic programmes or through institutional part-nerships associating enterprises and public authori-ties.

In both cases the challenges will be different.For the projects driven by policy dynamics, the via-bility and the diffusion of the pilot projects are cen-tral, whereas in the second case the working andcontractual features are core issues.

Two Visions for the Development of FlexibleWork Practices in Distance Working

The search for flexibility in the organisation ofeconomic activities and the organisation of work isnot a feature specific to distance working. But thevery nature of distance working makes it a choicefield for implementing a large range of forms offlexibility. Certain forms of flexibility have alreadybeen tested in other types of working organisation,like part-time work, short-term contracts and vari-able hours, for example. Nevertheless, certain formsof flexibility are more particularly specific to dis-

tance working: itinerant work, multiple workingplaces, availability on stand-by, multi-tasking, self-employment at a distance, 24-hour office operationsystems, etc.

This general drive toward flexibility affects allelements of work: contents, working time, rewardschemes, place of work, etc and therefore leads to abroad re-definition of what we think of as “work”.The traditional views on the separation of periodsdevoted to training (in the early stages of life) andwork (from a certain point onwards), on employ-ment (stable and full-time), on the roles of the re-gulatory framework (fixed rules and ‘normative’industrial relations) are being replaced by more“blurred” visions.

Opinions differ greatly on the perception offlexibility of distance working. Two main attitudesmay be identified:

1. An optimistic point of view, which stressesthe new opportunities available for workers in termsof acquisition of new skills, conciliation of workingtime and social commitments, autonomy and“empowerment”. Such an optimistic approach toflexible work can integrate the following dimen-sions: a constructive approach to technological andorganisational options; an improvement of workingand living conditions; a broader approach to socialrelations on the job.

2. A pessimistic and individualistic point ofview, which emphasises the risks of a “two tier” so-ciety, of strict control on workers performance(through ICTs) and higher pressure to conform.

In this vision, distance working allows to apply the«just-in-time» principle to human resources. Forcompanies, the goal is to employ the right person atthe right time, wherever that person may be, by giv-ing priority to commercial contracts (with subcon-tractors, self-employed workers, and temporarycompanies) and without the constraints of continu-ity associated with an employment contract.Flexibility of skills, working hours and wages isorganised on an individual basis.

The social risks related to individualisation of flexi-ble work can already be observed: lack of controlover the management of one’s time, absence ofmonitoring of health and safety, isolation, harass-ment of portable telephones, the loss of the socialties at work, increasingly difficult training possibili-ties, little chance of perfecting skills, loss of qualifi-cation as a result of the lack of exchange of experi-ence and training.

The real challenge that faces decision-makers inthe political and labour worlds today is to strike abalance between the flexibility of work and theworkers’ security.

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Patricia Vendramin

Workers Concerned with Flexibility: Some Key Questions

Whose Flexibility?If, as the evidence suggests firms are moving

towards more flexible working arrangements in theworkplace, a key question must be who is benefitingfrom those arrangements.

Castells [1997] argues that there is a transfor-mation of the power relationship between capitaland labour taking place in favour of capital, throughthe process of socio-economic restructuring. Heargues that new technologies are allowing business-es to adopt some combination of automation, offshoring, outsourcing, or subcontracting to smallerfirms, to obtain concessions from labour. He alsoargues that the development of the network enter-prise (or flexible firm) induces flexibility of bothbusiness and labour, and individualisation of con-tractual arrangements between management andlabour. Castells suggests, pessimistically, that insteadof just temporary lay-offs, what we often now wit-ness are lay-offs followed by subcontracting of workon an ad hoc basis. Work is performed on an ‘as andwhen required’, consultancy basis, with those per-forming the work having no job tenure with thefirm and being entitled to no benefits from the firm.He concludes that “the processes of globalisation,business networking, and individualisation oflabour weaken social organisations and institutionsthat represented/protected workers in the informa-tion age, particularly labour unions and the welfarestate. Accordingly, workers are increasingly left tothemselves in their differential relationship to man-agement, and to the market place” [Castells, 1997:9].

A Core-Periphery Workforce ?Not all workers will be affected in the same

ways by growing trends towards flexibility. There is,for example, a body of literature which suggest thatwhat we are seeing emerging is a dual labour mar-ket, and a core-periphery (or less brutally a core-complementary) workforce. The components of theperipheral workforce are: sub-contracting, self-employment, part-time, short-term contracts, pu-blic subsidy trainees, agency temporaries, etc.

Handy [1994] suggests that the logic of corpo-rate restructuring together with new technologicalopportunities should result in half as many peoplein the core business, paid twice as well and produ-cing three times as much. Rajan [1997] goes furtherand suggests that firms may soon perceive all staff asflexible and potentially temporary. But he also sug-gests that emerging patterns of employment flexibil-ity result from supply side changes as well asdemand-side changes. For example, he cites evi-dence to suggest that more people actually do wantto work on a part-time basis, this is particularly sofor married women. The rise in self-employed is alsooften attributed, to some extent, to positive reasons.

By contrast people do not wish to be employed on atemporary basis, however, and do so because theycannot find a permanent job.

Gender DifferentialsOrganisational flexibility will also have differ-

ent sets of outcomes on gender lines. Flexible firmsmay, for example, now want “flexible women” ratherthan “organisation men”, but findings from studiesof women’s work in the 1990s [e.g., Crompton et al,1996] might lead us to predict the “core” workforcewould be predominantly male, whereas womenwould be over-represented in the “peripheral work-force”.

There is a significant literature on both hori-zontal and vertical occupational segregation ofwomen and it has been suggested that women haveto date been particularly vulnerable to some of thenegative dynamics of information technologyimplementation, as the result of routinisation ofwork.

In some new forms of ICT intensive workorganisation such as call centres women tend todominate employment in the less skilled operations,but men are more represented in areas such as soft-ware helpdesk support. The implications of recentdevelopments in flexibility around ICTs are not yetclear [Belt, Richardson and Webster, 1998]. It is con-ceivable that flexible working may allow employeespoorer access to training and career developmentprospects than their full-time counterparts enjoy,this will effect all “peripheral” workers, but may welleffect women more given that they are likely to forma larger part of the non-core workforce.

However, different organisations and sectorshave different records of training and expertisedevelopment, and there are signs that some servicesector firms are providing their female employeeswith improved career prospects in a framework ofsubstantial product and process innovation[Crompton and Sanderson, 1990].

National Differentials

The ability of organisations to introduce thevarious forms of flexibility will not be the same in allcountries. In the European context, culture and reg-ulatory environments (for example, regulations onworking hours, employer-employee relations, andfemale participation in the workforce) will lead todifferent outcomes.

Some authors put forwards different and oppo-site ways of organising labour flexibility in Europe.For example, M’hamed Dif [1998] makes a distinc-tion between two models, one based on externalflexibility and the other based on internal flexibility.These two models have different consequences onworking conditions and employment.

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Telework in the scenarios for the future of work

The first model, the dominant one, is essential-ly based on external flexibility, through outsourcing,subcontracting, self-employment, short-time con-tracts, and interim. This model has clear impacts onemployment: segmentation of the labour market,mass unemployment, increasing precariousness. Inthis model, the workforce is considered only as aninput that has to be adjusted to variations ofdemand. A labour legislation favourable to all theforms of external flexibility is supporting thegrowth of this model.

The second model, at present mainly limited inits application to the North of Europe, is more

based on internal flexibility. The two mains adjust-ment tools are functional flexibility through polyva-lence, education and training and working timeflexibility with various working time arrangements.This second model contributes to an improvementin working conditions and employment.

The current challenge, for all countries, is togive to the new forms of work and employment afull-fledged framework of reference (legal, socialand cultural), in order to transfer the social achieve-ments of the industrial society to the informationsociety.

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Patricia Vendramin

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Deuxième partie :

LES TRANSPORTS INTELLIGENTS,

ENTRE PROMESSES ET RÉALITÉ

Introduction

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L a croissance importante du nombre des déplacements de biens et de personnes a introduit unecomplexité grandissante des systèmes de transport et des tâches d’exploitation ou de supervi-

sion de trafic. Parallèlement, l’information des clients/usagers de ces systèmes est de premièreimportance pour leur permettre de choisir ou d’adapter leurs déplacements. Aujourd’hui, l’exi-gence se tourne vers une information dynamique, capable de répondre aux perturbations, multi-modale en cas de crise, personnalisée car adaptée aux préférences de l’individu. Il s’agit donc deprendre en compte l’évolution des technologies de l’information et des communications (TIC),reconnues désormais comme sources de transformations majeures dans l’organisation et le fonc-tionnement des systèmes de transports : plus de la moitié des technologies-clés identifiées par laCommission européenne pour les transports concerne les TIC. Elles visent tous les types de trans-ports (personnes/marchandises, quotidiens/périodiques, courts/longs, etc.), tous les modes, aussibien le fonctionnement interne de chaque mode que les relations aux usagers et les interactionsentre modes. C’est dans ce contexte que le cadre général des ITS (Systèmes de TransportIntelligent) apparaît comme l’application aux transports et à la gestion de la mobilité, de ce qu’ilest convenu d’appeler les TIC. À l’époque du développement des transports intelligents, les inter-actions homme-système ont été à la source de nombreux travaux de recherche et de développe-ment.

Dans leur article étudiant le projet européen Tr@nsITS, « Développement d’une nouvellegénération de systèmes de transports intelligents (ITS) pour les transports collectifs »,Brendan Finn (ETTS Ltd) et Jacques Bize (Certu) relèvent que les objectifs de ce projet sont, entreautres, de construire un réseau reflétant le secteur européen des transports collectifs urbains etrégionaux, d’« attirer l’attention sur les connaissances et l’expérience de l’industrie européennedes transports collectifs afin d’identifier les besoins-clés en matière de recherche ». L’un des résul-tats de ce projet se traduit par une proposition de programme de recherche sur les systèmes intel-ligents de transport public (IPTS) pour les années à venir, fondée sur des objectifs et des prioritésde recherche identifiés. L’équipe Tr@nsITS a ainsi élaboré une approche interactive avec l’indus-trie en organisant à partir de novembre 2002 trois ateliers de recherche, qui ont abouti notam-ment à un ensemble de 46 actions de recherche, destinées à stimuler les chercheurs européens dansla conception de solutions innovantes, adaptables à la diversité des administrations, opérateurs etutilisateurs finaux en matière de transport.

Dans la même lignée mais sous un éclairage différent, le rapport de Jean-Luc Ygnace(INRETS), « Les formes sociales de l’innovation technologique dans le domaine du transportintelligent » (2004), tente d’effectuer une « analyse comparative internationale » (Japon, États-Unis, France) sur les politiques de transport liées au déploiement des ITS, dans lesquelles l’Étatpeut jouer un rôle moteur. Ainsi au Japon, le déploiement des ITS s’inscrit dans la politique indus-trielle de la nation. Aux État-Unis, la puissance publique participe à l’essor des ITS principale-ment dans le cadre de la politique de défense du pays et en recourant à la politique clientéliste ditede « Pork-Barrel » autour de la construction d’une « vision » des ITS. En France, le secteur desITS s’organise autour d’une double problématique, d’une part comme politique ITS appliquée autransport, d’autre part comme une politique des transports avec un contenu ITS. À la différencedes deux pays précédents, il manque encore une vision ou une organisation capable d’assurer àl’économie des ITS une assise nationale au niveau des politiques des transports. La difficultémajeure reste de coordonner les actions et stratégies des acteurs autour de ces biens, présentant laparticularité d’être à la fois et selon les circonstances, biens publics et biens individuels. Il convientainsi en France de trouver un équilibre entre politique des transports et politique industrielle favo-risant les ITS, pour la satisfaction du plus grand nombre d’usagers des réseaux de transport. Et siles politiques de transport ont pour fonction de prendre en compte la demande sociale, les ITS,dans ce contexte, constituent bien un moyen et non une fin.

Enfin, le troisième document, « Les Technologies de l’Information et de laCommunication dans la compétitivité des entreprises françaises de transport et de logis-tique », constitué par le rapport du Club PREDIT TIC, dans le cadre du PREDIT 3, dresse un état

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des lieux des questions, auprès des acteurs du transport et de la logistique, sur le rôle dominantdes TIC dans leur champ de prestation, et en profite pour répertorier les problématiques destinéesà orienter les réflexions plus approfondies des chercheurs, mais aussi celles des pouvoirs publics etdes professionnels eux-mêmes.

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RésuméDepuis plus de dix ans, un effort de recherche

structuré est fait au niveau européen sur les systèmesde transport intelligents pour les transportscollectifs. En parallèle, les opérateurs et les adminis-trations de toute l’Europe investissent dans dessystèmes nouveaux et perfectionnés. Il est tempsmaintenant de faire l’inventaire – d’identifierclairement ce qui a été développé, ce qui en est austade de la démonstration et quels concepts serontbientôt prêts. L’objectif du projet Tr@nsITS estd’attirer l’attention sur les connaissances et l’expé-rience de l’industrie européenne des transportscollectifs afin d’identifier les besoins clés en matièrede recherche. Le premier résultat est une propositionde programme de recherche sur les systèmes intelli-gents de transport public (IPTS) pour les années àvenir, fondée sur des objectifs et des priorités derecherche identifiés. Ceux-ci reposant sur unprocessus de consultation en profondeur del’industrie européenne, ils peuvent constituer la basede la préparation d’un Réseau d’Excellence dédié oude projets intégrés dans les 6ème et 7ème programmescadres de recherche européens.

Le besoin de nouvelles recherchesen IPTS

Depuis plus de dix ans, les systèmes detransports collectifs intelligents (ou IntelligentPublic Transport Systems – IPTS1) sont l’objet d’uneffort de recherches européennes structuré.Parallèlement, dans toute l’Europe, des opérateurset des administrations ont investi dans des systèmesnouveaux et perfectionnés.

Il est maintenant temps de faire un inventaire etd’identifier clairement ce qui a été développé, ce quien est actuellement au stade de la démonstration etquels concepts seront bientôt prêts.

En parallèle, nous devons tenir compte deschangements à venir au cours des prochainesdécennies – quelles seront les nouvelles tendances

sociétales, et quels seront les nouveaux développe-ments technologiques qui constitueront laplate-forme des nouveaux concepts – et identifier lesoutils et services qui seront nécessaires aux transportsen commun de demain. Par exemple, les concepts de« travail », « famille » et « mobilité », qui étaientstables et bien compris depuis des décennies – sontmaintenant souples et complexes et expriment denouveaux besoins de voyages. Des concepts commel’Internet, les appareils personnels portables et lesfournisseurs de services à valeur ajoutée –maintenant fondamentaux pour notre offre deservices à la clientèle – ont prouvé que des conceptstotalement nouveaux pouvaient émerger trèsrapidement. Que nous réservent les dix prochainesannées ?

Les chercheurs européens ont montré qu’ilspouvaient être extrêmement innovateurs mais qu’ilsavaient besoin de savoir quelles opportunités etquels problèmes ils allaient rencontrer. L’objectif duprojet Tr@nsITS est d’attirer l’attention sur lesconnaissances et l’expérience de l’industrieeuropéenne des transports collectifs afin d’identifierles besoins clés en matière de recherche.

L’objectif du projet Tr@nsITSLe souhait du projet Tr@nsITS était de réunir

tous les acteurs du secteur IPTS pour discuter defaçon ouverte et pertinente des futurs axes derecherche et pas seulement prendre position vis-à-vis d’axes de recherche définis a priori en dehors detoute concertation. Le projet, mené par UITP, amobilisé des professionnels expérimentés belges,français, allemand, hongrois et irlandais. Un réseauTr@nsITS plus vaste a été mis en place et a impliquéplus d’une centaine d’experts couvrant l’Unioneuropéenne élargie et tous les aspects du secteur destransports collectifs.

Les activités de ce réseau se sont concrétisées parl’élaboration d’une proposition de programme derecherche IPTS pour les années à venir, fondé surl’identification des objectifs et des priorités derecherche. Le cheminement avait été décomposé en

DÉVELOPPEMENT D’UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE SYSTÈMES DE TRANSPORTS INTELLIGENTS (ITS)

POUR LES TRANSPORTS COLLECTIFS – LE PROJET TR@NSITS

Brendan FINN (ETTS Ltd) & Jacques BIZE (Certu)

1 On entend par IPTS une large gamme d’outils d’assistance et d’interface avec le client, comprenant :• la billettique• les systèmes d’information du voyageur• les systèmes de gestion et de contrôle des opérations (SAE…)• les outils de sécurité• les systèmes de priorité aux feux pour les transports collectifs

trois étapes d’investigation : « État de l’Art », identifi-cation tendances sociétales et technologiques,définition de nouveaux thèmes et nouvelles tâches.Ces travaux reposant sur un processus de consultationen profondeur de l’industrie européenne, ils peuventconstituer la base de la préparation d’un Réseaud’Excellence dédié ou de projets intégrés internes aux6ème et 7ème programmes cadre de recherche.

Les objectifs clés de Tr@nsITS étaient :

• construire un réseau reflétant le secteur européendes transports collectifs urbains et régionaux,

• faire un premier inventaire des outils disponibleset des mises en œuvre des systèmes de transportscollectifs intelligents,

• définir un agenda de recherche pour le 6ème

programme cadre et les programmes de recherchesuivants.

Les ambitions de ce programme de recherchesont de refléter les exigences de l’industrie en termessociétaux, commerciaux et opérationnels, d’impliquerles parties prenantes au niveau des décideurs et desprofessionnels et d’augmenter la bonne volontémontrée par les entreprises pour soutenir l’effort derecherche et adopter les solutions émergentes.

L’évolution des besoins pour le transport des passagers

Quelle sera la société européenne dans 10-15 ans ?

Les tendances générales peuvent nous donnerquelques indications : vieillissement de la population,société multiethnique due à une immigrationcontinue, diminution de la taille des ménages, priseen compte croissante des questions environnemen-tales (pollution et réchauffement climatique), souciscroissant pour les problèmes de santé, pour lasécurité personnelle, flexibilité accrue dans l’organi-sation temporelle et spatiale de nos activités,apprentissage tout au long de la vie, rôle structurelcroissant des loisirs, élargissement de l’offre deproduits et de services répondant à des besoinsindividuels spécifiques, individuation croissante etémergence de nouvelles formes de vie sociale.

À une autre échelle, nous retrouvons la mondia-lisation, la croissance économique, l’intégrationeuropéenne, la gouvernance à toutes les échelles, laréduction des ressources financières publiques,l’étalement urbain et l’urbanisation en réseau.

Enfin, du côté des technologies qui nousintéressent ici, nous avons l’usage répandu d’internet

et de toutes les technologies de l’information et de lacommunication.

Comment évolueront notre mobilité et les usages des transports publics ?

Notre mobilité sera affectée par ces grandestendances sociétales. Aujourd’hui, nous observons unecroissance de la mobilité individuelle avec un reportcroissant vers les modes de transport individuels. Maisil n’y a pas de fatalité. Si quelques tendances (i.e.croissance économique, étalement urbain, besoin deflexibilité, individualisme, …) nous conduisent versun usage croissant des automobiles personnelles,plusieurs d’entre elles nous amènent à penser qu’il y aencore de l’espoir pour le transport public.

Peut-être pas le transport public que nousconnaissons aujourd’hui, mais un transportrenouvelé, plus rapide et plus fiable, sûr, plusflexible et personnalisé, pleinement multi-modal,intégrant les différents modes de transport collectifet tous les autres modes, à commencer par le vélo etla marche. L’information y jouera un rôle crucial. Cetransport public devra aussi être convivial, avec desvéhicules adaptés et confortables, en adéquationavec les villes qu’il dessert. Tout ceci dans uncontexte de réduction des budgets publics.

Examinons en détail quelques besoins.

• La vitesse

Dans une société où chacun veut pratiquer deplus en plus d’activités, le temps possède une grandevaleur. Personne ne veut perdre son temps dans lestransports. Par ailleurs, l’étalement urbain signifie unallongement des distances et demande des moyens detransport rapides. Cela n’implique pas que seuls lesvoyages par métros à grande vitesse et les bus rapidesvont survivre mais que l’ensemble du réseau doit êtreefficace, en particulier aux points d’échange.

• La fiabilité

La fiabilité des réseaux doit être améliorée si lestransports publics veulent concurrencer la voiture.La régularité des lignes, un meilleur respect deshoraires ou des fréquences mais aussi la qualité del’ensemble des aspects des transports publics sontrequis. Les interruptions de services, quelle qu’ensoit la cause (grève, problèmes techniques, …),doivent être résolues.

• La flexibilité

Dans notre société où les gens ne vont pasrégulièrement sur leur lieu de travail (travail à tempspartiel, télétravail, travail à la maison) et font chaquejour des activités variées, la mobilité devient moinsprévisible et varie d’un jour à l’autre. De plus, le

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Brendan Finn & Jacques Bize

schéma des déplacements va se modifier : moins demobilité entre centre et périphéries et plus de mobilitéentre zones urbanisées éclatées, ce qui se traduira parun spectre plus large d’origine/destination.

Le transport public devra être plus flexible pourrépondre à ces besoins. Cette flexibilité doit être à lafois temporelle et spatiale, avec des horaires étendus,des fréquences adaptées et des itinéraires variables etune offre sensible à la demande. Elle doit aussi setraduire en termes d’organisation et de services (i.e.différents modes de paiement, tarificationspécifique pour des voyages courts, différents typesde services pour le jour et pour la nuit, serviceporte-à-porte pour certaines catégories depersonnes, …).

• L’intermodalité

À l’avenir, la mobilité sera de plus en plusmultimodale et les transports publics devront êtreinteropérables avec les autres modes. Parmi ceux-ci,les modes doux (marche, vélo, rollers, …) et lesautres modes de transport publics (train,autocar, …) doivent être favorisés. Les transfertsentre l’automobile et les transports publics devrontaussi être encouragés (parc-relais), en particulierpour favoriser le covoiturage, la location et lepartage de voiture qui devraient jouer des rôlesintéressants dans les transports de demain.

Ces tendances impliquent de planifier avec soinles points de transfert qui sont appelés à devenir lespoints nodaux de la ville même (avec des centrescommerciaux, des activités de loisir, …).

• L’information

Le vieillissement, l’immigration croissante, ledéveloppement du tourisme et du commerceinternational conduiront les transports publics àprendre en compte la diversité des utilisateurs plutôtqu’à ne considérer qu’un modèle standard d’usager.De plus, comme le schéma des déplacements secomplexifie, le besoin d’une information à jour,personnalisée et multimodale devient prégnant.Cette information devra être aisément accessible(par internet, les téléphones mobiles) et multilingue.

• La convivialité

Si les transports publics veulent jouer un rôleimportant dans la mobilité urbaine de demain, ilsdoivent devenir plus conviviaux, plus faciles àutiliser mais aussi plus attractifs. Ils peuvent devenirdes lieux de sociabilité, ou des moyens idéaux dedécouvrir une ville. Ils pourraient permettre devisionner un film, surfer sur internet. Dans notresociété des loisirs, le transport public pourraitdevenir le partenaire de tous les événementsculturels et projets de divertissement.

• Le confort et les services

Les gens sont plus indépendants, leurs activitésquotidiennes sont plus complexes et le temps estune valeur montante. Les termes « lieu de travail »,« point de communication » et « temps de loisir »ont perdu leur sens traditionnel.

Si le transport public souhaite rester compétitifavec la voiture, il devra offrir de nouveaux types deservices, à bord et au niveau des points de transfert(places assises pour lire ou travailler, mais aussiaccès internet, télévision, …). De cette manière, letransport public peut devenir une extension de lamaison, de l’école, du travail ou des commerces.

• Des véhicules adaptés

La tendance est déjà là : préserver l’environ-nement est une obligation. Le transport publicdevrait apparaître comme le plus écologique desmoyens de transport dans les zones urbaines. Celadeviendra possible, par exemple, avec la mise en placede bus propres et silencieux, de flottes à faibleconsommation et l’utilisation de matériauxrecyclables. Les véhicules devraient aussi être adaptéspour accueillir les handicapés et les cyclistes avec leursvélos.

• Des ressources financières publiques limitées

Un réseau de transport public modernenécessite beaucoup d’argent. Cet argent proviendraen partie des opérateurs même, alors que différentespersonnes pourront utiliser le même transportpublic avec des tarifs adaptés différents. Les tarifica-tions liées à d’autres produits (événements culturels,centres de loisirs) devraient se répandre. Lesopérateurs de transport devront aussi réduire lafraude (qui atteint 20 % des recettes dans certainesvilles européennes).

Mais la majeure partie du financement viendraencore des autorités organisatrices et du gouver-nement. Il devrait être de plus en plus limité. Lastandardisation pourrait contribuer à réduire lescoûts.

• La sûreté et la sécurité

La sécurité devient un défi pour les transportspublics. Un certain nombre de personnes craignentd’utiliser les transports publics en raison dessentiments d’insécurité à bord ou dans les zonesd’accès aux transports. Les enfants, par exemple,doivent se sentir en sécurité depuis la porte de leurdomicile jusqu’à l’entrée de leur école. Lestransports publics doivent aussi se protéger des actesde vandalisme.

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Développement d’une nouvelle génération de systèmes de transport intelligent (ITS) pour les transports collectifs – le projet Tr@nsITS

Les travaux de l’équipe TR@nsITSL’équipe Tr@nsITS a privilégié les interactions

avec le monde industriel. Le réseau mis en place aservi de plate-forme de communication mais levéritable travail partenarial a été effectué au sein detrois ateliers qui ont mobilisé quelque cents expertseuropéens, en trois étapes :

• Analyse de l’état actuel de la technique (« État del’art ») et des besoins en matière de recherche(Bruxelles, novembre 2002), découpés en quatrethématiques : information aux voyageurs, billet-tique, maintenance, sécurité des voyageurs et dupersonnel.

• Identification des grandes tendances sociétales ettechnologiques (Budapest, avril 2003) afin demieux prendre en compte les défis et les change-ments à venir qui demanderont de nouveauxconcepts, de nouveaux services et de nouvellesorganisations dans le domaine des transportspublics. En parallèle, les solutions technologiquesémergentes ont été analysées et mises en regard deces besoins.

• Identification des nouveaux axes de recherche etdes tâches à mener en matière de recherche (Paris,juin 2003). La confrontation des résultats des deuxpremières phases a révélé des sujets qui méritaientd’explorer de nouvelles pistes de recherche ou derenforcer des pistes existantes. Cette étape a visé àlier les besoins sociétaux et industriels à ces axes derecherche. Elle a aussi établi des priorités enutilisant des critères de caractérisation technolo-gique et/ou scientifique et d’intérêt du secteurindustriel.

Du « e-transport » au « i-transport »L’état de l’art révèle le degré de développement

et de sophistication des appareils, infrastructures,bases de données et bien sûr des applications,représentatifs des systèmes intelligents de transportcollectif.

Certains secteurs sont tout à fait matures,notamment les systèmes d’aide à l’exploitation,l’information aux voyageurs, la priorité aux feux decirculation, et les systèmes de billetterie électro-nique reposant sur des tarifications classiques.D’autres en sont encore au stade du développement,en particulier les informations complexes auxvoyageurs, la billettique reposant sur le calculautomatique du tarif, l’utilisation du traitementd’image et les systèmes d’optimisation pour lestransports à la demande.

Nous avons ainsi atteint une phase que nousqualifierons de « e-transport »

Toutefois nous estimons que ceci n’est qu’unepremière phase qui consiste souvent simplement àautomatiser et accélérer les processus manuels et lesservices à la clientèle, ou à permettre d’accéder àceux-ci à distance. Ce sont des changements dequalité de service plutôt que des changements deconcept de service.

Nous avons observé un manque général d’inté-gration et de valeur ajoutée dans la plupart des ITPSmis en œuvre. D’une part ceci reflète les problèmesdes échanges de données, de continuité desdonnées, de communication, de protocoles, destandardisation ou les problèmes non techniques decontrats, d’intérêts ou d’indifférence. Toutefois, lemanque de concepts, de stratégies et d’outilsnécessaires pour offrir au client (utilisateur final,sociétés, personnel) les services et les réponses dontil a réellement besoin, est beaucoup plus grave.

Ce qui manque en général, c’est l’intelligenceinterne aux systèmes permettant de comprendre lesbesoins réels de l’utilisateur, d’envisager la façon desatisfaire ce ou ces besoins, d’acquérir les informa-tions pertinentes, de rechercher d’éventuellessolutions et, soit de proposer des options classéesselon les critères de l’utilisateur, soit de mettre enœuvre automatiquement la meilleure sélectionofferte.

Par conséquent, le secteur a besoin de passer au« i-transport », ou, en d’autres termes, à attirerl’attention sur le premier mot de IPTS.

Les défis à relever pour le futur programme derecherche sont de comprendre le concept du i-transport, d’identifier les besoins des différentsutilisateurs et, finalement, de proposer un cadrepour la recherche en matière de transports collectifsavec des projets de développement, de démons-tration et de mise en œuvre, ceci tenant compte del’importance de plus en plus grande des transportscollectifs dans l’Europe de demain.

Nouveaux axes pour la recherche future

Nous pouvons considérer qu’il existe troisprincipaux axes pour la recherche future, chacunpouvant être subdivisé en thèmes de recherche.Nous pouvons considérer que les trois axesprincipaux doivent correspondre aux trois perspec-tives principales qui sont :

• La perspective de l’opérateur au sens large(exploitant, collectivité, autorité organisatrice),qui a besoin de planifier l’offre, de réaliser leservice, de l’adapter aux changements, de prévoiret de mettre en place une offre tarifaire, d’orga-

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Brendan Finn & Jacques Bize

niser la sécurité, de former le personnel et del’assister.

• La perspective du voyageur, qui a besoin d’unevaste gamme de services pour s’informer, planifierson voyage, acheter son billet et être assisté dansson déplacement.

• La perspective d’intégration, couvrant la plate-forme sur laquelle est proposé l’IPTS intégré, etcomprenant l’architecture, les interfaces, lesprotocoles, les normes, les modèles de données, lescommunications et les outils logiciels.

D’après le procédé décrit ci-dessus, l’équipeTransITS a défini les trois nouveaux axes, avec autotal neuf thèmes de recherche comme suit :

Axe 1 : Services ITS destinés au transporteur

1.1 Outils ITS destinés à la sécurité1.2 Planification des transports intelligents1.3 Outils ITS pour la gestion d’opérations

intégrées et complexes1.4 Outils ITS pour des transports souples à

grande échelle1.5 Technologies pour la gestion de la billet-

tique et des tarifications innovantes

Axe 2 : Services ITS destinés à l’utilisateur final

2.1 Services d’information innovants destinésau voyageur et au personnel.

2.2 Nouveaux services destinés au voyageur

Axe 3 : Création de la plate-forme intelligente

3.1 Plate-forme technique3.2 Plate-forme organisationnelle

Parmi ces neuf thèmes, un ensemble de 46 actionsde recherche a été défini (voir la liste en annexe). Cesactions sont destinées à stimuler les chercheurseuropéens pour qu’ils trouvent des solutionsinnovantes, pratiques, abordables et adaptables à ladiversité des administrations, opérateurs et utilisateursfinaux en matière de transport.

Perspectives La démarche TransITS a généré un ensemble

structuré d’axes et de thèmes de recherche. Ils ontété conçus pour être mis en œuvre en tant queprogramme et tiennent compte du fait que cetensemble cohérent ne répondrait pas seulement auxbesoins émergents du secteur mais fourniraitégalement un cadre pour d’autres applications etproduits qui n’ont pas encore été pris en comptedans le projet TransITS.

Le scénario idéal serait que les services de laCommission adoptent le programme, y compris lesactions de support et le mettent en œuvre commeprogramme cohérent qui pourrait attirer quelques-unes des principales villes d’Europe, les fournisseursd’ITS et les chercheurs de ce domaine, sur le modèledu programme DRIVE 2/ATT.

RéférencesTous les rapports du projet TransITS sont

disponibles sur le site web www.uitp.com/transits

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Développement d’une nouvelle génération de systèmes de transport intelligent (ITS) pour les transports collectifs – le projet Tr@nsITS

ANNEXE 1 : AXES DE RECHERCHE PROPOSÉS À LA COMMISSION EUROPÉENNE POUR DES SYSTÈMES

DE TRANSPORTS PUBLICS INTELLIGENTS

Axe 1 : Services ITS destinés aux transporteurs

1.1 Outils ITS destinés à la sécurité et à la sûreté

1.1.1 Architecture générique pour les systèmes orientés sécurité1.1.2 Gestion de la sécurité et réponse en cas de crise1.1.3 Outils pour la simulation des déplacements piétonniers dans toutes sortes d’environnements

transport1.1.4 Détection automatique de situation, reconnaissance, recherche et suivi d’une personne à travers un

réseau (de transport public)1.1.5 Outils d’alerte et d’assistance utilisables par les usagers à partir de leurs appareils mobiles (PDA,

smartphones…)

1.2 Outils de planification de transports intelligents

1.2.1 Identification des besoins de déplacement assistée par ordinateur pour une meilleure planificationdes services

1.2.2 Adaptation des outils de planification pour une gestion flexible (au jour le jour)1.2.3 Utilisation des outils de calculs d’itinéraires afin de définir précisément les outils de conception du

réseau

1.3 Outils ITS pour la gestion d’opérations intégrées et complexes

1.3.1 Concepts pour des systèmes de contrôle et de suivi distribués1.3.2 Stratégies de contrôle performantes et réalistes pour des flottes de transports urbains ou régionaux1.3.3 Outils en ligne améliorés pour les contrôleurs d’exploitation1.3.4 Outils d’auto-formation aux ITS aux niveaux opérationnels et de direction1.3.5 Nouvelles modalités de gestion du personnel afin de permettre des ajustements fréquents de l’offre.1.3.6 Contrôle dynamique des pôles d’échange1.3.7 Concepts de maintenance plus efficaces : orientés incidents, plus dynamiques et davantage intégrés1.3.8 Création d’infrastructures intelligentes, capables de détecter les défauts et les problèmes du système

de transport public

1.4 Outils ITS pour des transports à la demande à grande échelle

1.4.1 Transport à la demande généralisé et à grande échelle1.4.2 Outils pour l’allocation dynamique et l’optimisation à travers plusieurs systèmes de transport à la

demande contigus1.4.3 Outils d’optimisation avancés pour du transport à la demande intensif et en gros volumes1.4.4 Intégration du transport à la demande avec les autres modes

1.5 Technologies billettiques et tarifications innovantes

1.5.1 Systèmes de paiement ne nécessitant pas d’action de la part de l’usager (Be-In / Be-Out)1.5.2 Nouveaux concepts de tickets virtuels1.5.3 Nouveaux schémas tarifaires pour un calcul automatique du prix du transport1.5.4 Systèmes de billettique intégrant d’autres services de transport ou des services connexes 1.5.5 Tickets SMS et billettique

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Brendan Finn & Jacques Bize

1.5.6 Outils de conception pour l’introduction et le déploiement de la billettique1.5.7 Outils et méthodes pour la conception et la certification de la billettique

Axe 2 : Services ITS destinés à l’utilisateur final

2.1 Services d’information innovants destinés aux voyageurs et au personnel

2.1.1 Intégration paneuropéenne de l’information multimodale et normalisation2.1.2 Comment gérer la flexibilité ?2.1.3 L’information en temps réel reliée aux opérations temps réel2.1.4 Information en cas d’incident et en situation de crise2.1.5 Information personnalisée/besoins spécifiques de certaines catégories d’usagers2.1.6 Modèles de financement de l’information voyageurs2.1.7 Déploiement d’un numéro téléphonique européen unique pour l’information sur les transports

publics

2.2 Nouveaux services destinés au voyageur

2.2.1 Recherche systématique sur les besoins des usagers2.2.2 Développement de scénarios sociétaux comme outils de prévision des besoins en matière de

transports publics et de mise en priorité des tâches de recherche en matière d’ITS2.2.3 Développement de nouveaux services à bord des véhicules de transport collectif2.2.4 Nouveaux services intégrés, nouvelles fonctions dans les pôles d’échanges importants2.2.5 Développement de nouveaux outils et applications2.2.6 Outils de courtage en mobilité et applications personnalisées de relation client2.2.7 Automatisation de la fourniture d’informations aux voyageurs

Axe 3 : Création de plates-formes intelligentes

3.3 Plate-forme technique

3.3.1 Nouvelles architectures-systèmes pour les transports publics3.3.2 Plate-forme pour des services basés sur la localisation3.3.3 Communications multimédia/temps réel peu coûteuses entre les bus et le PC opérationnel3.3.4 Architecture embarquée pour le XXIe siècle3.3.5 Nouveaux concepts et données opérationnelles de transport public en plus des modèles de données

existants3.3.6 Nouvelles capacités techniques pour des services de transports publics intelligents

3.4 Plate-forme organisationnelle

3.4.1 Outils logiciels de gestion des contrats de services de transport pour les autorités organisatrices3.4.2 Nouveaux outils de i-commerce et de i-stratégie

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Développement d’une nouvelle génération de systèmes de transport intelligent (ITS) pour les transports collectifs – le projet Tr@nsITS

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IntroductionDepuis plus de quinze ans, le « transport

intelligent » est sur le devant de la scène pour lesacteurs des transports, que ce soit au niveau desindustriels, des opérateurs de services, de larecherche académique et bien sûr du secteur publicet des collectivités territoriales en charge de lagestion de la mobilité. Plus encore, le transportintelligent, dans son acception la plus large,s’affranchit des frontières et des questions d’applica-bilité locales, pour devenir un point de référenceincontournable lorsqu’on évoque, où que ce soitdans le monde, le futur des transports.

Après plus de quinze ans de confrontation à larhétorique du transport intelligent, que savons-nous des évolutions de ce secteur ? Que savons-nousde son efficacité sociale, technique et économique etsurtout quelles recommandations pour l’actionpourrions-nous suggérer ?

L’objet de cette étude vise donc à rafraîchir lesinterrogations qui ont jalonné le développement dusecteur, proposer de nouveaux critères d’évaluationde son importance et une réactivation descomparaisons internationales sur la question du« transport intelligent ».

L’apparente unicité du concept masque desdifférences notables selon les continents et la mise enœuvre réelle de son déploiement ; plus importantencore, le questionnement même sur le transportintelligent doit tenter de dépasser le prismedéformant d’un contexte culturel socio-techniqueunique.

I. Les Systèmes de TransportIntelligent (ITS) : rappel du contexte organisationnel

Le déploiement de ces systèmes est toujoursmené au nom d’objectifs communs à l’ensembledes politiques de transport : « améliorer : 1) la

congestion, 2) la sécurité, 3) la qualité de l’envi-ronnement » par l’usage de nouvelles technologiesfaisant largement appel aux télécommunications etautres systèmes embarqués, les moyens retenusconsistant à favoriser ces partenariats publics/privéspour mettre en œuvre ces technologies et aider audéveloppement des marchés correspondants. Cespartenariats associent avec des poids variables selonles lieux et les périodes, A) la recherche (universi-taire généralement), B) l’industrie, C) les secteurspublics des transports.

Comprendre les ITS consisterait en premierlieu à évaluer la force et la spécificité des liens entreces objectifs et moyens.

La dynamique du secteur relève d’une doubleapproche : collective et institutionnelle d’un côté,où il s’agit de fédérer des acteurs, de définir unevision politique et économique des enjeux des ITSpour le secteur des transports, et, d’un autre côté,marchande, innovatrice en matière de biens etservices qui permettent d’évaluer les bénéficesindividuels et collectifs de l’introduction des ITS surles marchés1 ; mais ces deux « visages » ne secomprennent qu’avec la prise en considération durôle des puissances publiques auxquelles il revientd’assurer l’articulation des objectifs techniques,organisationnels, économiques et politiques (les« visions ») du déploiement des ITS.

ITS, c’est d’abord un vaste champ d’élaborationde projets de produits et de services, grands oupetits, qui vont rencontrer sur les marchés échec ouréussite ; ce sont aussi des acteurs de tailles et despécialités diverses.

On comprend ainsi les difficultés de consti-tution, non seulement d’un secteur économique desITS, mais plus simplement, d’un raisonnement oud’une approche concernant les ITS. Les clivageshabituels ne fournissent pas ici de points d’appuisolides ; la télématique dans les transports est eneffet transversale, oblique, par rapport aux classifi-cations habituelles entre biens et services, entrematériel et immatériel (hardware et software), entremarchés professionnels et marchés grand public,entre approche locale et approche globale, etc.

LES FORMES SOCIALES DE L’INNOVATION TECHNOLOGIQUE DANS LE DOMAINE DU TRANSPORT INTELLIGENT

Jean-Luc YGNACE (INRETS), Asad KHATTAK (professeur associé, Université de Chapel Hill, États-Unis)

& Nobuhiro UNO (professeur associé, Université de Kyoto, Japon)

1 Jean-Luc Ygnace, Etienne de Banville, Les systèmes de transport intelligent ; un enjeu stratégique mondial, La Documentation française, 2000.

Ce champ est encore aujourd’hui en consti-tution ; ses acteurs ne sont pas prédéterminés : si lesconstructeurs automobiles, ferroviaires ou aéronau-tiques et les grands équipementiers sont des pointsde passage obligés pour le matériel embarquépremière monte2, si les collectivités publiques sontles interlocuteurs essentiels pour ce qui concerne leséquipements au sol, d’autres nouveautés sontdirectement proposées au consommateur/usager(certains systèmes d’information routière, médias,systèmes d’assistance, etc.). Celles-ci supposent desregroupements d’entreprises qui élargissentconsidérablement le champ initial des ITS, plutôtmarqué au début de son développement par uncaractère « industriel » ; on y note désormais laprésence active d’acteurs du secteur audiovisuel, dulogiciel, des médias, des assurances, des centresd’appel, etc., qui relèvent du secteur des services.

Les collectivités publiques sont, fortlogiquement – car responsables souvent des routeset des autoroutes, toujours de la sécurité routière, etparfois de l’information-trafic – des clientsimportants des fournisseurs d’ITS, mais leur rôle nese limite pas à ces aspects. Les pouvoirs publics sonten effet garants également des compatibilitésopérationnelles entre les divers systèmes d’ITS, aussibien en termes d’architecture informatique que decompatibilité électromagnétique, c’est-à-direfinalement en termes de normes, ce qui signifie toutà la fois :

– la nécessité de coopérations internationales :En effet, beaucoup des ITS sont développés

dans le domaine automobile pour assurer unemeilleure fluidité du trafic, permettre et favoriser leconfort et la sécurité de la conduite et aussi garantirune information fiable sur les conditions demobilité. La diffusion de ces produits et services nepeut se faire sans une garantie de continuité au-delàdes frontières nationales, sous peine de tropsegmenter les marchés. Les infrastructuresnationales doivent ainsi permettre un fonction-nement uniformisé des ITS, un peu à la manière desréseaux de télécommunication qui s’affranchissentdes contraintes techniques propres à chaque pays,au moins pour ce qu’en perçoit l’usager. C’est direque les autorités publiques nationales quis’occupent en général des infrastructuresnécessaires aux ITS, comme les capteurs de traficpar exemple, ou participent à la définition desformats de collecte et diffusion numérique desinformations routières, se trouvent ou se trouverontà terme devant la nécessité absolue de coopérerpour assurer le déploiement transnational desservices associés ;

– la nécessité de partenariats public/privé :Dans cette optique, certaines associations ITS,

« continentales » ou à échelle plus réduite, jouent unrôle non négligeable comme « lobby », c’est-à-direcomme groupe de pression sur les États, pour obtenirune politique favorable aux ITS, que ce soit par desprogrammes de développement industriel, desdispositions législatives ou réglementaires ou encoredes budgets de recherche. Les budgets ou lesprogrammes de recherche à finalité ITS empruntenteux-mêmes le plus souvent la forme de partenariatspublic/privé : l’affectation de fonds publics à desopérations considérées comme relevant des ITSconstitue une forme appréciée de soutien politique(engagement à moyen terme) aussi bien quefinancier, et permet de faire coopérer des laboratoiresprivés et publics.

Les ITS présentent la particularité d’apparaîtreà la fois comme un invariant dans beaucoup depolitiques nationales de transport et comme unindice de différentiation de ces politiques. Cetteapparente ambiguïté s’explique par les différentsniveaux d’institutionnalisation :

– La sphère des ITS a acquis droit de cité au traversd’instances nationales comme ITS America auxÉtats-Unis et ITS Japan (ex VERTIS) au Japon ousupranationales, comme Ertico en Europe, pourne citer que les plus importantes.

– Ces organisations ITS, qui assurent dans le mêmetemps le prosélytisme de la doctrine ITS, c’est-à-dire son lobbying, présentent cependant desdifférences notables quant aux conditions de leurcréation et surtout dans la composition des forcesvives qui constituent leurs assises, c’est-à-direleurs adhérents. Ce sont ces organisations quidonnent peu à peu un contenu aux ITS.

Les groupes ITS déjà cités articulent bien leursdiscours et leurs actions autour des mêmes produitset services, ce qui assure bien l’unité ou, mieux, laconvergence apparente, au-delà des continents dudéveloppement, des systèmes et produits ITS. Cettedernière tient aussi au fait qu’il existe des « noyauxdurs » de membres qui participent et adhèrent enmême temps à plusieurs associations ITS, aux États-Unis, en Europe ou dans la zone Asie, et que se faitaussi un travail visant à imposer une conception desITS qui résulte des rapports de forces entre organi-sations concurrentes/alliées.

Néanmoins, il faut signaler que le secteuréconomique des produits et services ITS existe et sedéveloppe aussi en dehors de ces organisations etque tous les acteurs de ce marché ne participent pasnécessairement à celles-ci.

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2 Ici, et pour la suite de l’exposé, on retiendra qu’un système de première monte (ou OEM pour original equipment manufacturer)correspond à un système (option ou équipement standard du modèle) qui est installé lors de la fabrication du véhicule. Un système dedeuxième monte correspond à un système acheté et installé chez un vendeur d’accessoires. Un régulateur de vitesse (cruise control) esttypiquement un système de première monte ; un auto-radio peut parfaitement correspondre à un système de deuxième monte.

Jean-Luc Ygnace, Asad Khattak & Nobuhiro Uno

II. Les objectifs phares de la mise en œuvre des ITS

Améliorer la qualité de l’environnement,améliorer la sécurité des transports et diminuer lacongestion, restent les objectifs fondateurs de l’ITS.Pourquoi ces objectifs seulement ? Quelle est lanature des enjeux ?

L’observation des évolutions statistiques de cesparamètres sur les territoires historiquement les plusactifs dans le domaine ITS, à savoir le Japon, lesÉtats-Unis et l’Europe, ne montre pas d’évolutionstendancielles particulièrement catastrophiques sur lecourt terme au niveau global. Les indices représentésici sont bien sûr agrégés et peuvent cacher desvariations locales autrement plus préoccupantes,mais le choix volontaire d’une appréciation globaleest à mettre en rapport avec les discours sur lesobjectifs des ITS par nature globalisants.

Le contexte de la sécurité routière

On observe bien depuis les années 70 uneamélioration quantitative de la sécurité routière surles trois zones recensées si on s’intéresse aux seulsaccidents mortels (figure n° 1). L’émergence des ITSà partir de la fin des années 80 et leur « objectivation »sécuritaire ne pourraient s’entendre alors que commel’introduction d’une rupture significative par rapportaux moyens employés jusqu’alors avec l’objectifmajeur, non pas de participer à l’amélioration de lasécurité routière, mais d’introduire une vraie rupturedans l’amélioration constatée.

La situation américaine fait apparaîtrecependant une légère augmentation de la mortalitéroutière à partir de la fin 90. Ainsi et par opposition,pourra-t-on avancer que le renouveau desprogrammes ITS de R&D publics aux États-Unis àcette période s’insérerait dans une logique d’actionpour inverser une tendance négative plus qued’accélération d’une tendance positive3.

Le même constat vaut pour l’initiative « e-safety » en Europe4 à partir de 2000. Cependantconcomitance n’est pas causalité et nous affirmeronsdonc, qu’en tendance, l’objectif sécuritaire des ITSest un objectif d’accompagnement plus qu’unvéritable renouveau paradigmatique, un moyend’accélérer une tendance positive, plus qued’inverser une tendance négative.

Le contexte de la congestion routière

L’objectif de réduction de la congestionautomobile s’inscrit dans la même analyse. Lavitesse moyenne des déplacements domicile-travail

augmente par exemple aux États-Unis (en moyenne,ce qui peut cacher des variations localesimportantes) jusqu’à la fin des années 90. Il en est demême pour la région parisienne, hors agglomé-ration, et la vitesse reste stable dans la région deTokyo (figure n° 2). Les observations faites enrégion parisienne et Tokyo restent vraies pour desagglomérations de moindre importance.

La vitesse moyenne des déplacements automo-biles diminue à Paris, mais a contrario cette ville n’ajamais revendiqué de déploiement massif des ITSpour justement inverser la tendance. Ici aussi,l’explication pourrait être recherchée au-delà de lapromesse technologique et plutôt au travers del’analyse des politiques de transport.

Le contexte des émissions routières (Co2) dans l’environnement

C’est un domaine (figure n° 3) où la tendancemarque une augmentation continue des émissionsde Co2 dues au transport pour les trois zonesgéographiques considérées. C’est paradoxalement ledomaine où les technologies ITS restent absentesdes moyens de lutte contre cette augmentation ou,tout au moins, n’occupent pas le terrain médiatiqueautour de la mise en œuvre des projets de R&Dvisant à favoriser la diminution des émissions deCo2. En fait, les technologies qui traitent dedépollution restent centrées sur le moteur et n’ontpas d’interaction avec l’environnement routier,contrairement au champ des ITS et plus particuliè-rement de la télématique qui focalise la plupart deses activités sur le lien route-véhicule. Peu de projetss’intéressent à la gestion dynamique des émissionssur les routes et la mise en œuvre de mesures, telleque l’information sur panneau à messages variables,voire un péage routier dynamique en fonction desémissions constatées.

Synthèse des objectifs

Les facteurs de sécurité, de congestion et dequalité de l’environnement routier restent desindices de plus en plus importants et sensibles auniveau des attentes sociétales. C’est tout naturel-lement que le traitement de la crise par des solutionstechnologiques, notamment ITS, peut emporterl’adhésion consensuelle des acteurs du domaine.Cependant, l’observation des tendances globalesmontre une amélioration, au moins pour les deuxpremiers facteurs, dont le point de départ estantérieur au déploiement des ITS.

Cette tendance globale peut masquer bienévidement des particularismes locaux. On peutpenser ainsi à des zones urbaines où la congestion

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3 C’est d’ailleurs le sens de l’analyse faite par Jean Orselli et Jean-Jacques Chanaron dans leur référence au programme américain « IntelligentVehicle Initiative » lancé en 1998. cf J. Orselli, J.-J. Chanaron, Les systèmes intelligents de transport ; vers l’automatisation de la conduite,Paradigme, 2001.

4 http://europa.eu.int/information_society/programmes/esafety/text_en.htm

Les formes sociales de l’innovation technologique dans le domaine du Transport Intelligent

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Jean-Luc Ygnace, Asad Khattak & Nobuhiro Uno

Figure n° 1 : Évolution comparée de la mortalité due aux accidents de la circulation automobile en France, aux États-Unis et au Japon

Figure n° 2 : Évolution comparée de la vitesse moyenne de déplacement automobile aux États-Unis et dans les régions urbaines de Paris et Tokyo

1975 1980 1985 1990 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002

augmente fortement, des populations de plus en plusvictimes de l’insécurité routière, jeunes, etc. Ontouche là la limite de l’universalité d’un marché ITS.Si le besoin est plutôt local, il reste difficile depromouvoir un marché plutôt global, sauf à rester unmarché de niche, ce qui est contraire aux enjeuxannoncés. Les objectifs poursuivis par le déploiementdes ITS peuvent être de natures différentes que lestrois archétypes présentés. Développer des qualifica-tions nouvelles et des emplois nouveaux, créer desmarchés, favoriser l’innovation, favoriser lareconversion industrielle, et même accroître « leconfort de la mobilité », etc., sont aussi des objectifsqui sous-tendent l’action ; cependant, ils n’appar-tiennent pas directement aux zones de partenariatpublic-privé initiées dans le domaine du transport etsont donc généralement hors du champ de lacommunication médiatique/politique et même del’évaluation.

On retrouve là une des difficultés majeures de laconstitution d’un domaine ITS. Ce domaine vise à lafois des objectifs sociétaux larges, des applicationslocales, des marchés publics et des marchés privés.Bref, le devenir des ITS réside plus dans les moyensmis en œuvre pour leur déploiement que dans lesobjectifs qui le médiatise.

Il ressort de ce constat qu’un changement deperspective s’impose pour comprendre l’avenir dusecteur. La notion de partenariat public/privé nepeut se comprendre sans la référence à une politique,soit des transports, soit de l’innovation en général.

III. Les moyens pour la mise en œuvre des ITS et le cadre socialde l’innovation technologiqueD’une façon générale, différentes formes de

coopérations entre l’université, les sphèresindustrielles et étatiques peuvent contribuer àgénérer des stratégies de croissance économique etde transformation sociale.

Il est clair que la notion de marché n’a pas lemême sens pour un constructeur automobile, pourle ministère des Transports ou pour l’Université.Ainsi, la référence au marché dans les instances ITSest un « marché ITS », dont les contours restentflous mais dont le concept totalisant doit être perçucomme fédérateur, même si chaque acteur peut ledécliner, l’organiser selon sa propre grammaire.

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Les formes sociales de l’innovation technologique dans le domaine du Transport Intelligent

Figure n° 3 : Evolution comparée des émissions de CO2 en France, aux États-Unis et au Japon

1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001

1. Marchés et usages

A) LES RÈGLES DU MARCHÉ ; VERS DE NOUVEAUX PARADIGMES

Les différences de perception des marchés ITSpourraient permettre de définir des catégoriesd’acteurs :

1) le groupe 1 « Les sceptiques » – où le référent aumarché reste un invariant : « Il n’y a pas demarché » ou « On ne voit pas de marché » estsouvent entendu comme justification de l’absenced’action et la stratégie de repli est donc d’attendrela manifestation du marché tout en restant auxavant-postes en cas de manifestation de ce marchéimprobable ;

2) le groupe 2 – « Les entrepreneurs » concerne leschercheurs de marchés qui, de business plans enbusiness plans, essaient de comprendre et deproposer les solutions de demain ;

3) le groupe 3 – « Les intermédiaires » qui agissenten fait en sous-traitants de marché. On retrouvelà les véritables producteurs de services ettechnologies, mais aussi les consultants et autresorganisateurs de congrès ITS ;

4) enfin, « Les coureurs de fond », acteurs dumarché qui parient sur l’action sur la demande etdonc investissent pour un marché qu’ils essaientde créer.

La doctrine du marché tient une place majeuredans la genèse des ITS. En effet, comme souligné, lecadre fonctionnel des ITS intéresse à la fois lesecteur public et le secteur privé, et il n’y a qu’un pasentre le mélange des caractéristiques de marchéspublics et de marchés privés ; ou même mieux, desmises en perspective de marchés privés vus par lesecteur public et de marchés publics vus par lesecteur privé.

Les acteurs des ITS ont longtemps favorisé unevision du marché au travers de la notion departenariat public-privé. Aujourd’hui, la visionchange, peut-être plus rapidement aux États-Unis quiavaient été les plus ardents défenseurs de cette idée departenariat public-privé. L’État de Floride donne leplus parfait exemple de ce revirement (cf.www.itsa.org, Florida Dot Modifies Its Model forWorking with Private-Sector Traveler InformationProviders – Last updated 8/30/02) : « […] Le ministèredes Transports de Floride (FDOT) a décidé de changerson modèle de partenariat public-privé pour le prochainappel d’offre concernant la mise en place des servicesd’information au voyageur de la région de Tampa. Il n’ya plus de référence à la nécessité d’offrir un produit« durable », ni même à la nécessité de prévoir unfonctionnement profitable au bout de quelques années –ce qui était requis dans les contrats précédents passés pard’autres collectivités urbaines. Dans le cas présent, leministère et ses partenaires publics prendront en charge

totalement le coût de développement et de fonction-nement des services aux voyageurs pour le nouveausystème Sunguide de Tempa. On notera que ces deuxréférences, à quelques années de distance, concernent lemême secteur, à savoir le marché de l’informationroutière au sens large » (traduction libre).

Cette orientation se retrouve aussi dansd’autres secteurs d’activité auprès des entreprisespionnières de l’ITS. La société Navtech, start upinnovante dès la fin des années 80 dans la SiliconValley, devenue depuis, avec plus de mille salariés,un des acteurs-clés de la cartographie numériquemondiale pour le support des systèmes ITSembarqués (guidage, navigation), annonce lacréation d’une filiale exclusivement chargée desopérations commerciales avec le secteur public5.

Tout se passe comme si l’État devenait ouplutôt était à nouveau institué par la demande dusecteur privé dans son rôle de moteur d’innovationet de développement. Ces incantations qui appellentl’État au secours pour développer et financer lesinfrastructures, ou qui restent garantes du dévelop-pement ultérieur des marchés pour l’usager, nereposent pas sur une analyse sérieuse de la demandeou bien ne visent en fait que la réalisation de laphase 1) du processus.

B) ET L’USAGER DANS TOUT ÇA ?

Les usagers/concepteursLes usages et les marchés associés aux produits

ITS reflètent une double caractéristique.

Les produits et services des ITS proposent unefacilitation de la mobilité, de la conduiteautomobile, de l’obtention de l’information sur lasituation de transport, etc. ; autant de concepts quientrent dans le champ de la quotidienneté et quidéfinissent de ce fait un lien particulier où les règlesd’usage pensées par les concepteurs/diffuseurs deces technologies se font au travers de leur proprepratique, pensée elle-même comme universelle.

Paradoxalement, si les fonctions et servicesproposés sont souvent universels, le marché n’estpas un marché de masse, loin de là, et même enCalifornie. Ce constat doit amener à comprendre ladifficile diffusion des technologies propres aux ITS,alors que le « sens commun » leur attribue unpotentiel étendu pour résoudre les problèmes decirculation du plus grand nombre. En fait, lesacteurs de l’innovation et de la diffusion de cesproduits relèvent, comme on l’a signalé, dedifférents champs d’action et de pratiques, à savoirle secteur public des transports, la recherchepublique, l’industrie ; ils n’agissent pas dans lesmêmes univers prescriptifs, même si la référence aumarché assure un semblant de lien organique.

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5 www.itsa.org , « NAVTECH Launches Government Solutions Business Unit », last updated on Tuesday, September 17, 2002.

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Les ITS et leur usage renvoient en général àl’usage de l’espace public, celui de la mobilité. Cetespace obéit à des règles de gouvernance, de gestion,de contrôle des flux, qui ne sont pas du registre de laconsommation immédiate. Les technologies déve-loppées au sein de la communauté des ITS renvoientdonc à la mobilité, mais plus particulièrement à unemobilité où les composantes spatiales et temporellespourraient faire l’objet de transactions marchandesqui assureraient un gain de temps, de sécurité, deconfort de voyage, etc. Il est certes bien évident que lesobjets sur lesquels se greffent généralement cesnouveaux attributs ITS comme l’automobile, l’avion,le train, les systèmes de télécommunication nomades,sont eux-mêmes en partie tarifés selon l’apport degain de temps, de confort qu’ils apportent à l’usager-client… Cependant, l’usage de la voirie reste aussi unusage citoyen ; cet usage implique bien sûr un liensocial (respect/transgression des conduites, desrègles), mais qu’en est-il de la nature marchande de celien ? Cet impossible constat continue de tracasser lesproducteurs. Ces derniers précisent inlassablementque le plus souvent, les personnes interrogées autravers d’études de marketing déclarent un intérêt fortpour les technologies, ou plutôt les services d’aide à lamaîtrise de la mobilité, mais le consentement à payerreste toujours proche de zéro. Les industriels les plusoptimistes pensent qu’ils faut donc informer etinformer toujours, car l’acheteur potentiel ne connaîtpas encore l’existence de ces services ou bien nemesure pas correctement les gains apportés auquotidien par l’utilisation de ces services et produits.Les plus pessimistes en concluent qu’il n’y a donc pasde marché.

La genèse du flouOn doit donc revenir sur la nature complexe

des partenariats qui sont mis en œuvre. En effet, cespartenariats guident l’innovation technologiquemais en même temps freinent la visibilité de larelation offre/demande, qui est déjà en soi unprocessus complexe d’adaptation modulé par lespratiques d’appropriation propre à l’usage.

Les programmes publics de R&D ou laréglementation des ITS relèvent donc d’une missiondes pouvoirs publics qui essaient ainsi de favoriserune réponse technologique et un marché en mêmetemps, pour résoudre des dysfonctionnementscollectifs, sociaux de la mobilité, comme la sécurité,la congestion et bien d’autres externalités négativesdu transport.

En parallèle, voire en synergie, les concepteurstentent de décliner ces innovations sous l’angle desbénéfices individuels susceptibles de favoriser unedemande. Ces deux champs de préoccupation ne

convergent pas nécessairement, tout au moins si on seplace du côté de l’image et de l’usage des technologies.

Le cas de la sécurité est un bon exemple de cefonctionnement. Le ministère français desTransports lance en 2002 un projet de R&D de 5,6millions d’euros, LAVIA (Limitateur s’Adaptant à laVItesse Autorisée), en partenariat avec des établisse-ments de recherche publics, Renault et PSA. Cedispositif s’appuie sur des briques technologiquesaujourd’hui commercialisées comme le limiteur devitesse, qui rend la pédale d’accélérateur plus durelorsqu’on dépasse la vitesse limite préétablie par leconducteur, ainsi qu’un dispositif de guidageincluant cartographie numérique embarquée etrécepteur GPS. Le dispositif LAVIA permet donc deréguler automatiquement la vitesse du véhiculeselon les limitations existantes par type de voie.Cette dernière information doit être ajoutée à lacartographie existante. Le projet LAVIA est surtoutinitié pour tester le comportement du conducteurface à cette nouvelle technologie et analyser aussi laperception qu’il en a.

Les médias communiquent par contre sur unebrique technologique existante et la plus visible, leguidage embarqué6 pour montrer que la concréti-sation du projet LAVIA pourrait être une extension« réglementaire » de la fonctionnalité de guidage7 quiest par essence fonctionnelle, voire ludique ou destanding, selon les grilles d’évaluation des experts demarketing chargés de promouvoir le système.

Ce détour par l’exemple illustre la difficulté qu’ilpeut y avoir à comprendre les mécanismes d’appro-priation par l’usager d’un objet technique alors que lecadre de développement de l’objet technique lui-même renvoie à des logiques d’appropriation de lademande sociale très différentes, voire antagonistesentre les acteurs engagés dans la création et ladiffusion des ITS. Ces derniers ne seraient-ils donc pasen partie le point de convergence de ces antagonismes.

Le cas du marché de la téléphonie cellulairemarque aussi ces contradictions. En effet, le dévelop-pement exponentiel de ce média de communicationpousse les opérateurs et l’industrie de services àdévelopper de plus en plus des plates-formes deservice à la mobilité (guidage, alerte, information surl’état du trafic, etc.) et à renforcer la place de « l’intel-ligence » hors du véhicule, qui resterait connecté àces « centres d’appel » en permanence via letéléphone mobile. Parallèlement, les autoritéspubliques, sur beaucoup de continents, renforcent laréglementation tendant à proscrire l’usage dutéléphone mobile en situation de conduite.

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6 La fonction de guidage se matérialise en effet sur un écran soigneusement intégré dans le tableau de bord, écran qui participe à lui seul àla réification de la fonction. L’écran présente en effet le tracé de la route suivie et la position du véhicule est affichée en continu du tracé.

7 « Bridage des voitures par satellite : la France s’y met. Révélation Auto Plus : le gouvernement va tester le bridage par satellite de la vitessedes autos. « Big Brother » est là ! », Auto-Plus, n° 735, octobre 2002.

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2. Trajectoires technologiques, trajectoires d’usage

Les ITS et les discours qui les institutionnalisentsont souvent présentés comme un catalogue quiassocie indirectement fonctionnalités et servicesd’où la dynamique d’usage est exclue. Cependant,tout produit s’inscrit dans la trajectoire d’inno-vation technologique du concept mais marque enmême temps concrètement le rapport « historique »d’un usager à cette même technologie. On peutdéfinir ainsi des catégories de modèles et descatégories d’usagers, irréductibles entre eux maisdont les combinaisons définissent des succès ouinsuccès commerciaux.

On peut aussi s’interroger tout aussivalablement sur la portée d’une innovation et ducadre institutionnel dans lequel elle se développe.Ainsi peut-on définir les ITS comme l’ensemble desproduits et services qu’on associe à ce vocable, quitteà suivre l’évolution quantitative et qualitative de cecatalogue au cours du temps. La nouveauté et lerendement de l’innovation des produits et servicescorrespondent ainsi à de nombreuses variables liéesà l’économie de l’innovation et qui ont déjà étéanalysées8.

On peut aussi observer un élément de cecatalogue et voir ce qu’en fait la communauté ITS aucours du temps. Cette approche par l’objet noussemble plus intéressante pour comprendre ladynamique de la conception voire de l’usage.

A) L’ILLUSTRATION DE LA TRAJECTOIRE :LE CAS DU LIMITEUR D’ALLURE ADAPTATIF

(ADAPTIVE CRUISE CONTROL OU ACC)

Cette technologie qui apparaît aujourd’hui surquelques véhicules appartient au catalogue desoptions du champ des ITS et nous semble pertinenteà analyser selon sa place dans la trajectoire de l’inno-vation des acteurs des ITS.

Plusieurs équipementiers et constructeursautomobiles s’engagent dans le développement del’ACC9.

Ce dispositif a été introduit en 1998 pour lapremière fois sur le marché au Japon par Toyota, trèsvite suivi par Nissan, Jaguar, Mercedes, Lexus,

Renault. Aujourd’hui, quelques milliers dedispositifs sont sur le marché, essentiellement pourles véhicules haut de gamme. On s’attachera àdécrire ici la trajectoire de l’innovation par rapportà l’activité des acteurs de l’ITS (figure n° 4).

L’ACC n’apparaît pas dans le même continuumsocio-technique selon les secteurs qui participent audéveloppement des ITS. Le recours à cette notion decontinuum n’exclut pas les seuils et ruptures techno-logiques qui interférent avec la linéarité duprocessus d’innovation. Ainsi l’analyse de l’ACC nerelève pas de son contenu technique pur, mais bienplutôt de l’angle d’observation :

– Du point de vue de l’industrie automobile (etéquipementière), l’ACC apparaît (conceptuel-lement) après une première rupture qui introduitun certain degré de contrôle automatique de laconduite, à savoir la boîte automatique. Cependant,la liaison n’est pas « causale » car l’ACC est lui-même le développement du régulateur de vitesse debase qui peut fonctionner aussi en l’absence deboîte automatique. Plus intéressant, la mise sur lemarché de l’ACC s’est d’abord faite au Japon et enEurope, continents où la diffusion du régulateurd’allure de base est relativement marginalelorsqu’on la compare aux États-Unis, où cedispositif équipe près de 90 % des véhicules. Il fautaussi signaler que les véhicules y sont équipésmajoritairement de boîtes automatiques. Dans cedernier continent, le cadre réglementaire et lacrainte de prise de responsabilité face aux incidentsou accidents d’usage freinent fortement la diffusionde la technologie.

– Le secteur public, et plus particulièrement lesministères des transports chargés de favoriserl’innovation dans les transports, surtout en matièrede sécurité routière, y voient la possibilité detransfert vers le véhicule de dispositifs de contrôleréglementaire de la vitesse, liés aujourd’hui exclusi-vement à l’infrastructure (panneau designalisation) et dont le respect est laissé àl’initiative du conducteur et/ou de la police. Penserà une prescription et à un contrôle automatiséinterne au véhicule est une véritable rupture« idéologique », même si les moyens et les enjeux demise en œuvre restent encore mal évalués (respon-sabilité, réglementation, certification, …).

– Enfin, la recherche de type universitaire conçoitcette technologie comme un maillon utile dans le

8 Jean-Michel Dalle et Dominique Foray, « Quand les agents sont-ils négligeables (ou décisifs) ? Une approche de l’économie de l’innovationpar les modèles stochastiques d’interactions » in Réseau et coordination, Michel Callon et al., Economica, 1999.

9 http://www.bosch.fr/press/pages/equ_auto/dp/acc.html : « L’ACC (Adaptative Cruise Control) de Bosch sur le Renault Vel Satis. Cerégulateur de vitesse à contrôle de distance détecte le véhicule qui précède, en déterminant la position et la vitesse, et permet ainsi lemaintien de la distance nécessaire en agissant sur le freinage et l’accélération. À partir d’une commande placée sur le volant, le conducteurpeut aussi sélectionner la distance de sécurité à respecter en plus de la vitesse souhaitée. Une information sur tableau de bord renseigne entemps réel sur l’état et le niveau d’activation. L’ACC peut être neutralisé à tout instant par simple action sur le frein. Le cœur du systèmeest un boîtier compact dans lequel sont intégrés le capteur radar et son unité de contrôle. C’est le plus petit actuellement sur le marché etil est discrètement situé dans le bouclier-avant du véhicule. Le capteur radar détecte les véhicules situés dans l’axe avant sur une distanced’au moins 120 mètres. L’unité de contrôle calcule la vitesse des autres véhicules et leur distance par rapport à celui du conducteur. Lescapteurs de l’ESP fournissent alors les informations sur la trajectoire de ce dernier de façon à sélectionner parmi les véhicules qui laprécèdent, celui avec lequel la distance doit être régulée. L’ACC adapte ensuite la vitesse et la distance en intervenant sur le contrôle moteurpour accélérer et sur le freinage pour ralentir. Si la voie est libérée, le véhicule reprend automatiquement la vitesse présélectionnée ».

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développement technologique et la recherche pouraboutir à une automatisation totale de la conduiteautomobile. Cette automatisation totale est penséecomme une réponse aux simulations de trafic quiannoncent une congestion accrue des réseauxroutiers dans un horizon de moyen ou longterme10-11-12.

Mais à quelles conditions pourrait-on parler deconvergence opérationnelle d’éléments techniquesou politiques de ces trajectoires pour expliquerl’innovation en termes de diffusion et de marché ?Comme on l’a déjà précisé, l’ACC n’occupe pas lamême place dans le processus d’innovation selonl’organisation qui lui donne sens. Dans le schémaprésenté figure n° 4, l’équilibre de l’ACC dans lechamp des forces (stratégies des acteurs) est parnature précaire, tant que les volumes de marchén’assoient pas la prééminence d’une vision sur une

autre. En effet, si la diffusion de l’ACC restemarginale, les pouvoirs publics devront envisagerd’autres solutions technologiques ou même agir parvoie réglementaire ; si le marché décolle, l’universitéet les laboratoires publics de recherche pourront plusfacilement obtenir des financements pour envisagerdes étapes ultérieures vers un développement de laconduite totalement automatisée pour augmenter lacapacité routière en réduisant les inter-distancesentre véhicules, bien au-delà des capacités deconduite humaine (trains de véhicules).

La communauté ITS permet et favorise mêmel’organisation de réseaux d’échange et de communi-cation autour de ces nouvelles technologies dontl’ACC est ici un exemple. Mais existe-t-il un lienorganique entre ces différentes visions qui ne soit pasdû à la simple juxtaposition « conjoncturelle »d’intérêts différents ? Le dispositif de contrôle

10 Jean Orselli, Jean-Jacques Chanaron, op. cit. (2001).

11 Jean-Luc Ygnace, Etienne de Banville, op. cit. (2000).

12 Steve Shladover, « What if Cars Could Drive Themselves? », The University of California Transportation Center at Berkeley, Access n° 16,spring 2000.

Figure n° 4 : Cadre analytique d’une innovation ; le régulateur d’allure adaptif (ACC) et trajectoire d’innovation ITS

adaptatif d’allure est-il un simple artéfact optionnelpour l’automobile ou bien est-il un élément-clé quis’intègrera dans un nouvel usage social de l’auto-mobile, rendue automatiquement sécurisée ? L’ACCexisterait sûrement sans cette communauté d’intérêtssouvent divergents, mais l’existence de ce cadredonne une épaisseur sociale bien plus importante àl’innovation en multipliant les points d’application etde référence à l’utilité sociale potentielle.

Cependant, les références au marché restenttrès tributaires de la division du travail entre lesacteurs et au nécessaire travail d’imposition au seinde chaque groupe. Il n’y a pas aujourd’hui de visioncommune établie qui débouche sur un cadred’action unifié.

B) LES ITS, L’ESPACE ET MOBILITÉ

L’analyse des enjeux d’un déploiement et d’unusage généralisés de systèmes de transport intelligentn’a que peu à voir avec le corpus de connaissancesissues de la recherche sur les articulations espace-sociétés, menées depuis de longues années par lacommunauté scientifique souvent avec l’aidefinancière des pouvoirs publics locaux ou nationaux.Dans la plupart des cas, les acteurs du déploiementdes ITS sont beaucoup plus préoccupés par lecontenu technologique de l’innovation que par lebénéfice social ou individuel de l’usage. Tout se passecomme si l’usage des services et produits ITS pouvaits’affranchir des déterminants de la mobilité qui,comme on le sait, ne relèvent pas simplement d’unbesoin d’errance mais s’inscrivent dans un ensemblede contraintes sociales et spatiales.

« L’alpha et l’omega » de l’usage des ITS resteen général pour les offreurs de services et de techno-logies, la recherche supposée de la maximisation dutemps de déplacement par les clients. En fait, lamobilité et l’usage des technologies ITS selon lemode de transport utilisé, se font dans un univers decontraintes dont le temps reste une variable parmibien d’autres.

Par ailleurs, la disponibilité d’un système denavigation automobile n’est toujours pas considéréecomme indispensable par le client mais ne signifienullement que les informations de guidagenécessaires à des déplacements ne soient pasobtenues par d’autres moyens : téléphones portablesou autres. L’intelligence de l’usager à même demobiliser un ensemble de process et d’instrumentstechniques pour arriver à un but, est peut-être plus« porteuse » que l’intelligence mise dans un systèmefonctionnel intégré et prêt à l’emploi.

Tous les discours marketing, les investissementset même les recherches sur les potentialités dessystèmes ITS pour optimiser les choix d’itinéraireen fonction de l’état du trafic13, s’appuient sur desmodèles de comportement des individus avant toutmathématiquement « rationnels » de point de vuede l’optimisation du temps et de l’espace. Est-cebien validé par l’observation des pratiques ? Plusencore, quel est le poids de ces praticiens rationnelspar rapport à l’ensemble de la population ? Làencore, le déploiement et les tentatives de commer-cialisation des produits visent trop souvent unindividu, un consommateur immatériel qui sedéplace le plus souvent dans un espace immatériel.Les choses ne sont pas si simples, et c’est la raisonpour laquelle le marché ne décolle pas. Les déplace-ments se font, en simplifiant, par rapport àl’organisation spatiale, à la nature et aux contraintesdes réseaux de communication, et selon des réseauxsociaux de communicabilité et de consommation14

(figure n° 5). Par une offre (payante) beaucoup tropdétachée des attributs des comportements réels, onne peut satisfaire des besoins non déclarés.

IV. Les ITS et les politiques de transport. Quelles politiquespour quels déploiements ?La difficulté majeure pour comprendre l’orien-

tation du développement des ITS tient à lamultiplicité des discours qui essaient d’en rendrecompte, voire de l’organiser, cette multiplicité étantelle-même le résultat du statut ambigu du secteur.Les ITS relèvent, comme on l’a déjà dit, des lois del’offre sur le marché de la grande consommation desservices et équipements (automobiles, produitsinformatifs dédiés ou non dédiés, etc.) mais aussi, etsûrement bien plus souvent, des lois de diffusion etde déploiement des biens publics (infrastructureroutière, réseaux de transport publics, etc.).

Ces deux champs sont quelquefois indépen-dants, mais dans le cas contraire, la lisibilité de leuravenir reste vague. Dans ce dernier cas, le dévelop-pement des ITS est porté essentiellement par la miseen œuvre de politiques de transport adaptées, oùl’État peut jouer un rôle moteur.

Le cadre général des ITS est en fait l’applicationaux transports et à la gestion de la mobilité, de cequ’il est convenu d’appeler les Technologies del’Information et de la Communication. Ce qui estvalable pour les TIC devrait donc être valable pour

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13 Jean-Luc Ygnace, « Le marché de l’information trafic ; cadrage, organisation et tendances » in Transport Environnement Circulation n° 138,septembre 1996.

14 Kiyoshi Kobayashi et Kei Fukujama, « Human contacts in knowledge society: An analytical perspective », in Martin J. Beckmann, BorjeJohansson, Forke Snickars and Roland Thord (eds.), Knowledge and Networks in a Dynamic Economy : Festschrift in Honor of Ake E.Andersson, Springer Verlag, Berlin-Heidelberg-New York-London, 1988.

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les ITS : « Les TIC sont porteuses de promesses danstous les domaines. Leur vertu est de mettre de larapidité dans ce qui est lent, de la fluidité dans ce quiest lourd, de l’ouverture dans ce qui est fermé…Intervenir directement en tant qu’acteur de lasociété de l’information ; l’État doit donnerl’exemple d’un usage large et innovant des TIC auservice de ses missions essentielles… »15. Cetteréférence au rôle moteur de l’État n’est pasnouvelle16, même si les ITS sont rarement présentéscomme composantes entières des NTIC.

Après presque vingt ans d’observations desdéploiements territoriaux des systèmes de transportintelligent, un résultat s’impose et dont nous feronsnotre hypothèse centrale : les technologies ITSdéployées avec succès traduisent des politiques detransport affirmées.

1. Le cas du Japon

A) LA CHRONOLOGIE DES ACTIONS

Dans le domaine de la mobilité automobile, le« transport intelligent » s’est développé histori-quement selon trois axes principaux :

La gestion du traficLe gouvernement japonais a investi systémati-

quement et massivement dans les centres decontrôle de trafic depuis 30 ans au travers deprogrammes quinquennaux successifs. On estimel’investissement dans ce secteur à 1,5 milliardd’euros pour la seule période 1985-1992. À titre decomparaison, le budget global routier, comprenant

les investissements, s’élèvait à 53 milliards d’eurospour la période 1993-1997.

On dénombre aujourd’hui plus de 160 centresde contrôle de trafic. Les technologies des « boucles »ou autres capteurs de type « vidéo » ou « ultraso-niques » sont en développement constant et le Japona acquis une avance industrielle incontestable dans cedomaine.

Dès 1995, les plus grandes agglomérations sontéquipées de panneaux à messages variables etassurent la diffusion en continu de l’informationroutière sur des radios dédiées.

Dès 1973, le programme de recherche CACS(Comprehensive Automobile traffic Control System) ad’une part, validé la faisabilité technique de systèmescommunicants embarqués de navigation et deguidage dynamique et d’autre part, a développé uneexpérimentation permettant de tester 1 330 véhiculeséquipés, sur une zone urbaine de 30 km2 au sud-ouestde Tokyo. Ce programme de test a été repris ensuiteen 1985 par les programmes AMTICS (AdvancedMobile Traffic Information and CommunicationSystem) et RACS (Road/Automotive CommunicationSystem) respectivement gérés par le ministère de laPolice et par le ministère de la Construction.

Ces deux derniers programmes ont fusionné en1991 sous un même label : le programme VICS(Vehicle Information/Communication System).

Depuis cette époque, les supports d’infor-mation trafic ont pénétré dans les véhicules, et les

15 Discours du Premier ministre français J.-P. Raffarin au SMSI (Sommet mondial de la société de l’information) à Genève, le 10 décembre2003.

16 Interview du Premier ministre français L. Jospin, « Les NTIC constituent désormais une clef du développement local. Laissés aux seulesforces du marché, 25 % des ménages n’auraient pas accès au haut débit en 2005. Or, le haut débit permet un tarif forfaitaire et des servicesnouveaux, notamment pour les usages professionnels ou de service public (raccordement des écoles à haut débit, téléformation, télésanté,etc.). L’action publique est donc primordiale », interview réalisée par e-mail par la rédaction du Journal du Net (21 mars 2002),http://www.journaldunet.com/itws/it_jospin.shtml

Figure n° 5 : Les chaînons d’inscription de la mobilité

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ventes cumulées ont atteint plus de huit millions desystèmes (figure n° 6), ce qui constitue un casd’école pour le passage de la recherche à la commer-cialisation.

Les systèmes de guidage/navigation embarqués Ils concernent l’aide au choix d’itinéraires sur

carte électronique, l’information directionnelle, lalocalisation des centres d’intérêt comme les terrainsde golf et les restaurants. On assiste depuis le débutdes années 1990 à une explosion de ce marché, quece soit en première ou en deuxième monte. Lessystèmes le plus souvent en première monteéquipent aujourd’hui près de treize millions devéhicules (figure n° 7).

Le DSCR (Dedicated Short Range Commu-nication), point focal pour les dispositifs de télépéage(Electronic Toll Collection), mais aussi des communica-tions route/véhicule.

En 2001, le ministère des Transports initie ledéploiement du télépéage sur les autoroutes dupays. Deux composantes essentielles sont retenues :l’équipement des infrastructures en capteurs austandard DSRC et le développement d’unitésembarquées multifonctionnelles (figure n° 8). Deuxans et demi plus tard, 1,8 million d’unitésembarquées sont vendues et le prix unitaire passe de240 à 80 euros environ17.

D’autres aspects, comme l’application de larobotique à la conduite automatique, ont souventtraversé l’espace de recherche japonais mais n’ontpas suscité de développements de marché à ce jour.

B) L’ACTION PUBLIQUE AU SERVICE D’INDUSTRIE

Ainsi, le déploiement des ITS au Japon s’inscritdans la politique industrielle de l’État. Les acteursdes transports calent leur vision et leur action ITSessentiellement autour de la politique industriellede la nation. Il ne semble pas qu’il s’agisse d’un suiviaveugle des autorités publiques à une orientationdonnée par les groupes privés, mais d’un va-et-vientincessant entre des objectifs qui émergent parconsensus au sein de ces deux catégories. L’action del’État reste orientée vers l’investissement en techno-logies ITS de l’infrastructure. La mesure del’efficacité des investissements ne se fait généra-lement pas par rapport aux objectifs régaliens desécurité, efficacité, etc., mais plutôt par rapport auvolume d’affaire généré par le secteur privé autourdes produits de marché grande consommation quipeuvent utiliser cette infrastructure. Ainsi leministère des Transports communique par exemple

sur les huit millions de récepteurs VICS vendus parles équipementiers, mais n’a pas de connaissance surl’usage individuel de ces systèmes et encore moinssur les bénéfices collectifs de cette diffusion entermes de diminution de la congestion.

La réussite du déploiement des ITS dans ce paysest donc avant tout la réussite d’une politiqueindustrielle. Cette stratégie est axée sur l’innovationtechnologique qui met la communication entre laroute et le véhicule (individuel ou collectif) au cœurde l’action. Elle marque aussi la volonté du Japond’entrer totalement dans le développement de lasociété de l’information, qui reste un objectif ayantacquis une dimension politique (au sens d’organi-sation de la vie sociale) de plus en plus importante aucours de la dernière décennie. Il faut aussi préciserque la politique industrielle qui sous-tend ledéploiement des ITS s’organise dans un espaceéconomique qui n’est pas soumis à la moindreconcurrence étrangère, que ce soit pour les techno-logies d’infrastructure routière ou pour lestechnologies embarquées.

2. Le cas des États-Unis

Si les initiatives privées fourmillent depuis denombreuses années autour des services à lamobilité, du consulting dédié aux ITS et autresinnovations liées aux capteurs routiers et systèmesde communications mobiles, que ce soit au niveaude grands groupes ou de PME, toutes ces activitéssont liées à des degrés divers au rôle de la puissancepublique. Celle-ci a participé au déploiement desITS de deux manières essentielles :

– En développant un système de positionnementuniversel de satellites GPS, dans le cadre de lapolitique de défense du pays. C’est sur cetteinfrastructure gratuite pour l’usager et lesopérateurs, que la plupart des applications ITSs’appuient, du « fleet management » à toutes lesfonctionnalités nécessitant à un moment ou unautre, la connaissance de la localisation des mobiles.

– En appliquant aux ITS la politique budgétaire ditedu « Pork-Barrel », qui devient de plus en plus unmode de gestion publique du domaine destransports.

La politique budgétaire dite de « Pork-Barrel »,qui remonte au début du XXe siècle, consiste en uneaffectation (earmark) au niveau fédéral d’une dépenselocalisée et spécifique soumise par un élu local et quiest avalisée au travers d’une loi signée du président desÉtats-Unis18. En d’autres termes moins juridiques, ils’agit d’une politique clientéliste. Le secteur de la

17 Kotaro Kato, “Development of ITS in Japan – Focusing on DSRC”, in 10th ITS World Congress, Madrid, 2003.

18 D’après le dictionnaire Webster, « Pork-Barrel » spending : « […] a government appropriation […] that provides funds for local improve-ments designed to ingratiate legislators with their constituents […] »

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Figure n° 6 : La progression des ventes de systèmes d’information trafic (VICS) sur les véhicules japonais

Figure n° 7 : La progression des ventes de systèmes de guidage sur les véhicules japonais

Figure n° 8 : Palette de services envisagées autour de la communication route/véhicule de type DSRC

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Jean-Luc Ygnace, Asad Khattak & Nobuhiro Uno

route a toujours été très concerné par ces pratiques etl’est de plus en plus depuis les années 8019 (tableaun° 1).

Le domaine des ITS est un élément importantde cette politique clientéliste. Par exemple, le budgetFédéral ITS de 2003 montre que plus de la moitiédes 232 millions de dollars sont affectés à des expéri-mentations ou développements locaux sans aucuneconcertation nationale quant à l’opportunité de cesmesures (tableau n° 2).

Ces financements, qui supportent des applica-tions ITS très diverses, se répartissent cependant surl’ensemble des circonscriptions du pays avec unavantage pour l’est et le centre des États-Unis. Cettepratique d’investissement traduit-elle pour autantune politique industrielle ITS ? Non, si l’onconsidère que les élus locaux qui obtiennent cesdroits d’investissement, n’ont pas nécessairement destratégie industrielle autre que la réponse à unlobbying d’offre ITS locale. Il en va différemment

lorsqu’on considère l’action de groupes industriels àimplantation nationale voire internationale, quiparviennent à « saucissonner » leurs activités ITSsur l’ensemble du territoire par l’obtention decontrats locaux qui leur permettent d’atteindre unemasse critique. Les sociétés de consulting ITS et lesecteur privé de la collecte et de la diffusioncommerciale de l’information trafic21, représenté parMetro Networks par exemple, entrent dans cettedernière catégorie.

La politique industrielle américaine de ladéfense fonctionne aussi sur ce modèle22, où lesgroupes industriels organisent une division de leursactivités sur l’ensemble du territoire en cherchant àmaximiser les supports politiques locaux pourl’attribution de « budgets » discrétionnaires. À la findes années 80, les liens organiques entre la politiquede défense et les politiques de transport se sontprovisoirement resserrés. Les groupes commeHughes, Rockwell, TRW, Lockheed, etc., ont tousconsidéré l’ITS comme un possible secteur dereconversion industrielle. La parenthèse des grandsprogrammes de route automatique, AHS23, s’inscritdans cette politique de reconversion. Le retour deces groupes vers des activités purement militaires asûrement participé au déclin de ces programmes, outout au moins a réduit le lobbying de ces groupes surle sujet.

Aujourd’hui, ITS America se drape dans lanouvelle politique de sécurité nationale, HomelandSecurity24, pour fédérer de nouvelles actions de R&Ddans ce secteur et favoriser de nouveaux finance-ments publics vers des technologies ITS de capteurs,moyens de transmission, d’alerte, d’information, demanagement25, etc., de sites et projets expéri-mentaux surtout ; bref, autour de ce qui a toujoursété le cœur de ces technologies ITS.

Le tissu économique et politique américain atoujours su mobiliser toutes les énergies autour de laconstruction d’une « vision » des ITS ; c’est sur cettevision que les initiatives privées se sont inlassa-blement appuyées pour expérimenter des produits etservices dont bien peu ont atteint la viabilitééconomique dans le contexte des « start up » de la findes années 90, organisé autour de la bulle Internet.

19 Ronald Utt, « How Congressional Earmarks and Pork-Barrels Spending Undermine Sate and Local Decisionmaking », in The HeritageFoundation, Backgrounder, n° 1266, April 1999.

20 Source : « Statement by Senator Connie Mack on McCain Amendment Dealing with Demonstration Projects », March 11, 1998 ; Report105-550, Transportation Equity Act for the 21st Century, Conference Report to Accompany H.R 2400, 105th Cong., 2nd Sess., May 22, 1998.

21 Jean-Luc Ygnace, « Is Road Traffic Information a New Business Opportunity ? », 3ème congrès international ITS, Australie, Brisbane, mars1997.

22 Charles Wolf, Market or Governments: choosing Between Imperfect Alternatives, Cambridge MIT Press, 1988.

23 The Automated Highway System Overview, in http://www-2.cs.cmu.edu/Groups/ahs/sampler.html

24 ITS America, “Homeland Security and ITS ; Using Intelligent Transportations Systems to Improve and Support Homeland Security”, inSupplement to the national ITS program plan : A ten-year vision, septembre 2002

25 OAK RIDGE, TN, Mar. 13, 2004 – Oak Ridge National Laboratory issued a press release discussing its SensorNet public safety project thathas implications to the ITS industry in its public safety applications and as a potential model for the Integrated Network of TransportationInformation (INTI). According to the press release, «SensorNet, which is being developed to provide near real-time detection, identifi-cation and assessment of chemical, biological and radiological threats, will allow informed first responders to be dispatched withinminutes of an event.»

Tableau n° 1 : Nombre d’affectations budgétaires(Pork-Barrel earmarks) de 1987 à 199820

Recherche et développement $52,000,000

Tests opérationnels $12,000,000

Evaluations $ 7,000,000

Standards et architecture $18,000,000

Intégration $11,500,000

Support de programme $11,500,000

Sous-total $110,000,000

« ITS Deployment Incentive

Program » (en fait Pork-Barrel) $122,000,000

Total $232,000,000

Tableau n°2 : Budget fédéral ITS (2003)

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26 Le recours aux lettres de mission demandées par les ministres et cabinets ministériels à de hauts fonctionnaires est une pratique courantequi dépasse largement le seul domaine des ITS. Nous avons sélectionné ici les demandes qui, à notre avis, cernent le mieux les question-nements ministériels sur le sujet.

27 CGPC, décision du 6 juillet 1987, constituant un groupe de travail sur le développement de l’Information Routière.

Les formes sociales de l’innovation technologique dans le domaine du Transport Intelligent

Le secteur public, à tous les niveaux d’action, dufédéral au local, reste un relais efficace de cette« vision », qui a trouvé toute sa place dans la mise enplace de l’architecture cadre des ITS. Les objectifs deréduction de la congestion, d’amélioration de l’envi-ronnement et de la sécurité routière marquenttoujours les effets d’annonce, mais la sécurité natio-nale, comme on l’a vu, est plus « porteuse » en cemoment, de même que les impératifs d’« efficacité »et de « productivité » des organismes publics chargésdes transport (ministères, collectivités territoriales).Ces derniers commencent à considérer les techno-logies ITS comme un outil au service de ces objectifs(mais à usage interne cette fois, et non plus tournévers l’hypothétique développement porté par unmarché grande consommation).

Ces deux derniers objectifs traduisent beaucoupplus la mise en œuvre des politiques de transport : lepremier pour des raisons qu’il est inutile de préciser,le second dans la mesure où les réductionsbudgétaires importantes pour le fonctionnement etl’investissement routier encouragent les références àdes mesures de performance du système detransport. Les ITS (Systèmes d’Information Géogra-phique) utilisés pour la gestion des flottesd’intervention sur les incidents et accidents routiers,la mise en œuvre de nouveaux réseaux de communi-cations sans fil pour les agents de maintenance, etc.,participent à l’innovation technologique au seinmême des organismes publics en charge destransports. Ce mode de déploiement des ITS prendde plus en plus de consistance.

3. Le cas de la France

Le secteur s’organise autour d’une doubleproblématique. D’une part, comme une politique ITSappliquée au transport et d’autre part, comme unepolitique des transports avec un contenu ITS. Cettelogique est inhérente à la participation à lacommunauté européenne, qui revendique en son seinune politique de transport orientée vers le dévelop-pement des systèmes de transports intelligents, etaussi à l’existence d’une industrie nationale qui estnaturellement concernée par les applications techno-logiques structurées par les politiques de transportnationales. La prise en compte nécessaire de tous ceséléments souvent contradictoires, explique ladifficulté à bien circonscrire l’évolution du secteur enFrance.

Depuis la fin des années 80, l’État français,essentiellement le ministère des Transports, s’estintéressé à l’organisation du domaine ITS. Des techno-logies qui s’y référent avaient d’ailleurs été mises enplace bien avant que ce secteur prenne son autonomie.

A) LES « MISSIONS » TRANSPORT INTELLIGENT

La nouveauté du secteur et son importancepressentie ont expliqué la création de missions ITSsuccessives26, initiés entre la haute fonction publiquedes transports et les cabinets ministériels et validéespar plusieurs ministres des transports. Le cadrage deces lettres de mission fait bien apparaître l’incer-titude quant aux objectifs à atteindre, tant leurformulation change au fil du temps.

De 1987 à 1994, la composante essentielle del’ITS concerne l’information routière.

En 1987, le Conseil Général des Ponts etChaussées confie à l’ingénieur général des Ponts etChaussées, René Mayer, la mission de constituer ungroupe de travail chargé de présenter un rapport surle développement de l’information routière27.

L’objet du rapport sera :

– « d’une part, d’engager une réflexion approfondiesur les perspectives de développement de l’infor-mation routière sous les différents aspects (formes etnatures de l’information, innovations, technologies,besoins des usagers, effets de l’information) et sur lesconséquences concernant les rôles respectifs del’administration et de ses partenaires, les aspectsindustriels et l’aspect financier. L’objectif poursuivipar le groupe de travail sera de faire circuler l’infor-mation, de faire prendre conscience de l’évolutiontrès rapide de ce secteur et de mettre en évidence lesprincipales interrogations qui devront faireultérieurement l’objet d’enquêtes ou d’études par lesDirections et établissements publics responsables ;

– d’autre part, de présenter des propositions concrètesrelatives à l’organisation des centres d’informationroutière (C.R.I.R.), notamment en ce qui concerneles problèmes de collaboration interministérielle etles règles de gestion de leur personnel, et àl’évolution des Missions des Directions Départe-mentales de l’Équipement (D.D.E.) […] ».

On note bien que cette action reste tout à faitdans le cadre d’une action d’organisation au sein duministère de l’Équipement, tout en mentionnant laprise en compte d’aspects industriels. Lacomposition du groupe de huit personnalités,toutes issues du corps des Ponts et Chaussées, àl’exception d’un ingénieur général de la Météo,reflète aussi une large représentativité des directionsde ce ministère en incluant la Direction de laSécurité et de la Circulation Routières, la Directiondes Routes, la Direction du Personnel, le Service del’Information et les services techniques comme leSETRA, le CETUR, L’INRETS et aussi URBA2000.

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Jean-Luc Ygnace, Asad Khattak & Nobuhiro Uno

En mars 1994, le ministre des Transports,Bernard Bosson, demande à l’ingénieur en chef desPonts et Chaussées, Thierry Vexiau, en fonction à laDSCR, d’organiser une concertation sur ces mêmestechnologies de l’information routière : « […] Ledéploiement des nouvelles technologies d’exploitationet d’information routière permet d’envisager uneamélioration considérable du service à l’usager de laroute. Ce déploiement nécessite l’organisation d’uneconcertation avec l’ensemble des partenaires concernés.Celle-ci porte plus particulièrement sur le choix desactions destinées à améliorer le service à l’usager, sur lesaspects institutionnels et juridiques de la collaborationentre les différentes autorités publiques en charge de lacirculation et de la gestion du trafic, et sur le dévelop-pement des relations avec des opérateurs privés et desindustriels pour leur mise en œuvre ».

Cette nouvelle mission élargit le champ de laréflexion au secteur autoroutier mais prend aussi encompte la dimension européenne du sujet : « […] Jevous demande donc d’organiser cette concertation, envous appuyant sur un groupe interministériel et descontacts avec les associations représentatives des éluslocaux, sur le travail commun avec les sociétés d’auto-routes, notamment dans le cadre de l’USAP et sur legroupe informel des partenaires français d’ERTICO.Vous veillerez également à ce que ces réflexions soientcohérentes avec les travaux menés au niveau de l’Unioneuropéenne et de la Conférence européenne desministres des Transports dans ce domaine et servent debase aux positions françaises dans les différents groupesde travail européens traitant de ces thèmes[…] ».

En novembre 1994, ce même ministre note :« Le maintien d’une mobilité respectueuse de l’envi-ronnement et du cadre de vie et un système detransports présentant une qualité de service suffisante,sont indispensables à la poursuite de la constructioneuropéenne […]. Je souhaite pouvoir présenter àMonsieur le Premier ministre les décisions politiquesnécessaires à leur mise en œuvre…». Il charge HenriCyna, ingénieur des Ponts et Chaussées et présidentd’honneur de Cofiroute, d’organiser un ensemble decontacts au plus haut niveau « afin de permettre derecueillir un consensus sur l’importance réelle pour laFrance des enjeux et sur les orientations politiquessouhaitables pour le développement de la « routeintelligente ». Henri Cyna doit aussi « examiner lesévolutions possibles à plus long terme pour le dévelop-pement de l’autoroute automatique et l’améliorationde l’intermodalité des transports ». Qualité de service,environnement et mise en place de politiques sontles cadres structurants des ITS à cette époque.

En février 1996, le ministre des Transports,Bernard Pons, initie une nouvelle mission sur le sujet,en faisant explicitement référence à la mission Cyna dugouvernement précédent. L’ingénieur général des Pontset Chaussées, Jacques Rousset, nouveau directeurgénéral de l’INRETS, est chargé de cette mission :

« J’ai décidé de vous confier la mission de mettreen œuvre les recommandations du rapport CYNA.Cette mission s’intitulera « Mission pour les systèmesde transport intelligent ». Son rôle consistera aussi àorienter, promouvoir et coordonner les différentesactions mises en œuvre dans ce domaine par lesdirections centrales du Ministère, sans, bien sûr, sesubstituer à elles. J’ai également proposé à d’autresministères concernés, de s’associer à son travail.

Vous vous assurerez de la conformité des objectifsà la stratégie définie par mes soins et vous veillerez à labonne coordination des actions avec les programmesde recherche et développement issus du PREDIT et duquatrième Programme Communautaire de Rechercheet de Développement de l’Union européenne auxquelsla mission apportera son concours.

Vous vous appuierez sur les expérimentationsentreprises pour élaborer les propositions finales destratégie, d’organisation et de financement dessystèmes de transport intelligent… »

Cette nouvelle mission marque une volonté demise en place, quasiment de déploiement, des ITS autravers d’expérimentations. Les thématiques sontélargies à la billétique et aux systèmes d’alerte. Ils’agit aussi « de préciser les services et technologiesassociées devant faire l’objet de ces opérations, maiségalement de susciter les partenariats nécessaires pourleur réalisation et de proposer les modalités d’organi-sation les plus adaptées à chacune d’elles et de veiller àl’évaluation des unes et des autres ». Les impératifs demarché et de partenariat public/privé sontannoncés.

Enfin, en août 2001, le Directeur de Cabinet duministre des Transports Jean-Claude Gayssot chargel’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, Jean-François Janin, de la DTT, d’une nouvelle missionpour le déploiement des ITS : « Dans le prolon-gement de la démarche d’architecture cadre destransports intelligents en France, un ensemble deservices nouveaux a été identifié, dont le déploiementapporterait un appui déterminant à la politiqued’intermodalité. L’État doit avoir un rôle moteur àl’égard des différents acteurs concernés sur les quatrethèmes prioritaires suivants, dont les enjeux sontparticulièrement importants. Il s’agit de l’infor-mation multimodale pour les usagers des transports,des moyens de paiement et services associés, de lagestion du fret sur les plates-formes multimodales etdes systèmes de surveillance facilitant le contrôle del’application de la réglementation et la sanction desinfractions.

Cette phase de déploiement va nécessiter, pour laDSCR et la DTT, qui sont particulièrement concernéesdu fait de leurs compétences, une coordination étroiteentre des actions de natures diverses : mise au point decahiers des charges, réalisation d’études de standards,pilotage d’expérimentations, concertations,

121

Les formes sociales de l’innovation technologique dans le domaine du Transport Intelligent

adaptation de la réglementation, actions de sensibili-sation et de formation.

J’approuve la proposition de création d’unemission inter-directions chargée de conduirel’ensemble des travaux permettant la mise en place desnouveaux services intermodaux cités ci-dessus. Lamission devra veiller à ce qu’une concertationpermanente s’établisse avec l’ensemble des directionsconcernées du ministère et avec les opérateurs detransport, les industriels et sociétés de service pouvantconcourir à la mise en place des systèmes. Il faudraégalement qu’elle tienne le plus grand compte desévolutions européennes et internationales aux planstechnique et réglementaire… »

La politique d’intermodalité justifie la mise enplace des ITS. Le contrôle des infractions estannoncé.

Les missions ITS, mises en place au cours de cesquatorze années, ponctuent en fait l’état d’avan-cement de projets ou d’initiatives plus qu’ellesn’annoncent de véritables politiques des transportsfavorisant l’utilisation de technologies ITS pouratteindre des objectifs précis. On n’analysera pas icile mécanisme de cooptation des chargés de mission,mais on peut tout au moins émettre l’hypothèseselon laquelle le contenu attribué à chacune de cesmissions marque un état de consensus minima auplus haut niveau de l’administration (des transportsessentiellement), mais aussi du secteur privé, sur laprise en compte des ITS.

Tout se passe comme si, ces décisions ministé-rielles accompagnaient avec un temps de retard desdéploiements déjà engagés. On pense aux initiativesdes industriels Renault, TDF, puis la Générale desEaux et PSA dans le domaine de l’information trafic,au travers des projets CARMINAT, VISIONAUTE,IN-FLUX, etc., qui ont bénéficié d’aide publiquedans les phases de R&D entre 1985 et 1990. Plus tard,à partir de 1995, les projets STACCAD (CGE/PSA)de mise en place de dispositifs automatiques d’alertecouplés à un GPS embarqué dans des véhicules, puisODYSLINE28 de Renault, n’ont pu trouver desconditions de déploiement sur le marché. Par contre,les actions menées par le secteur autoroutier pourdévelopper le marché du télépéage ont étécouronnées de succès.

Les expérimentations, mis à part le déploiementdu service SIRIUS d’information routière en Ile-de-France sur plusieurs centaines de panneaux àmessage variables29-30, n’ont pu trouver de terraind’application fertile. En fait, même annoncée au plus

haut niveau de l’État, il n’y a pas eu de réponsepolitique locale pour favoriser ces expérimentations,comme c’est le cas dans la politique clientélisted’« earmarking » américaine que nous avonssoulignée. D’un autre côté, il n’y a pas eu non plus depolitique industrielle comme au Japon, malgré lapression très forte des constructeurs automobiles audébut des années 90 pour pousser l’État, et dans unebien moindre mesure les collectivités locales, àdévelopper une offre nationale étendue d’infor-mation trafic en temps réel.

Par ailleurs, l’architecture cadre ITS, développéepar le ministère des Transports, a reçu un accueilmitigé de la part des industriels qui n’ont pas évaluétotalement la portée de cet exercice pour les aspectsde standardisation et donc de compétitivité transna-tionale des produits et services ITS qu’elle tentaitd’organiser. Peut-être aussi que la volonté de l’Étatpour investir dans les nouvelles technologies ITS,notamment pour l’infrastructure routière, n’a pasparu suffisamment forte pour mobiliser l’adhésiondu secteur des constructeurs automobile et deséquipementiers, à une architecture différente de leur« business as usual ».

Un des seuls éléments qui atteste de l’usage destechnologies ITS au travers d’une politique destransports, menée en fait par le ministère del’Intérieur, concerne le contrôle sanction. En 200331,il est créé, sous le contrôle et l’autorité du ministre del’Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertéslocales, et sous l’appellation de « système contrôlesanction automatisé » (CSA), un traitementautomatisé d’informations nominatives. De touteévidence, la réalisation de ce projet a nécessité la miseen œuvre de technologies ITS, des radars auxtélécommunications, reconnaissance d’images etbases de données. Les premiers résultats non encorevalidés au travers d’évaluations précises, font étatd’une réduction de la vitesse moyenne automobile de10km/h sur le territoire national.

B) LE SENS D’UNE ACTION À MENER

Le développement des technologies ITS et desmarchés qui permettent leur déploiement, associecomme on l’a vu, les actions publiques supposéesrépondre à une demande sociale et aussi le compor-tement des consommateurs vis-à-vis d’une offre deconsommation de produits et de services spécifiquesau transport. Cette consommation se fait dans lecadre général de la société dite de l’information, quece soit au travers de moyens de transport (automobilemais aussi TC) ou de dispositifs de télécommunica-tions, comme les téléphones portables et autres

28 Voir http://www.chez.com/sclarisse/laguna2/vie_a_bord.htm

29 Yves Durand-Raucher, Jean-Luc Ygnace, « Traveler Information and Traffic Management Issues around Paris », in Pacific RimTransportation Conference, Seattle, USA, 1993.

30 Michel Frybourg, Jean Orselli, « Évaluation technique, sociale et économique de SIRIUS », Direction régionale de l’Équipement Ile-de-France, octobre 1996.

31 J.O. n° 251 du 29 octobre 2003, p. 18472. Décrets, arrêtés, circulaires, textes généraux du ministère de l’Intérieur, de la sécurité intérieureet des libertés locales.

systèmes nomades. La difficulté majeure reste decoordonner les actions et stratégies des acteurs autourde ces biens, qui sont à la fois selon les circonstances,biens publics et biens individuels. Les ITS ne sedéveloppent pas uniquement selon les lois de marchéde consommation, ce qui rend leur compréhensiondifficile et ambiguë, même si on ne peut occulter leurplace de plus en plus importante dans la sociétémobile.

Ce sont les politiques de transport qui ont pourfonction de prendre en compte la demande sociale. LesITS, dans ce contexte, sont un moyen et non une fin.

On voit bien que dans le cas de la mise en placed’une politique de la sécurité automobile autour du« contrôle sanction », les technologies ont surépondre très rapidement à la demande.

• Au Royaume-Uni et en particulier à Londres,la mise en place d’une politique transport orientéevers le péage urbain a montré là aussi que lestechnologies ITS étaient présentes. Le péage urbaina été mis en place en février 2003 et les résultats dessix premiers mois sont positifs : diminution de 30 %des déplacements en voiture particulières, de 10 %pour les transports de fret ; le temps de trajetdiminue de 14 %. Enfin et surtout, 30 % deshabitants de Londres sont satisfaits et 70 % estimentla mesure efficace32.

• En France, dans un pays qui possède uneindustrie « ITS » morcelée il est vrai, il convient detrouver la voie entre politique des transports etpolitique industrielle favorisant le développementde nos technologies pour la satisfaction du plusgrand nombre.

De grandes questions restent en suspens,autour de la complexité des ITS articulée entre

l’administration de la res publicae, celle de larecherche et de l’industrie, et méritent qu’on s’yattarde pour accompagner enfin les politiques detransport :

– au niveau de la recherche : des pans entiers de larecherche transport sur les déterminants et lesconditions de la mobilité, l’organisation spatiale,voire la productivité des métiers du transport,n’abordent pas les ITS à partir des problématiquesde leur champ de connaissance et s’interdisent parlà de comprendre les liens entre innovation techno-logique et innovation sociale dans le rapport autemps et à l’espace des transports. Plus fondamen-talement, les approches d’équité, de redistributionsociale des bénéfices (ou inconvénients) dûs audéploiement de ces technologies, sont quasimentabsentes. Dans ces conditions, l’évaluation restetrop souvent circonscrite, lorsqu’elle existe, àl’analyse d’un « avant » et d’un « après », localisédans le champ d’expériences ponctuelles.

– Les usagers des ITS restent des usagers des réseauxde transport ou même de réseaux tout court,qu’on les perçoive comme des usagers citoyens oudes usagers consommateurs. Les enquêtes pourpercevoir la demande de ces usagers choisissentgénéralement d’analyser l’une ou l’autre desoptions mais rarement les deux ; les ITS se situentpourtant à la convergence de ces options.

– Enfin, les industriels et autres sociétés de servicessont parfaitement à même de proposer denouvelles solutions de déploiement des ITS pourde nouveaux services, aussi bien pour la collec-tivité que pour les clients individuels. Le véritableenjeu consiste à trouver les « business plans »innovants qui permettent de rentabiliser cesoffres, et surtout de capitaliser les connaissancesacquises.

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32 « Le péage urbain de Londres », in Savoir Vite, TEC n° 180, février 2004.

Jean-Luc Ygnace, Asad Khattak & Nobuhiro Uno

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La situation du secteur en matièrede TIC

Pour répondre à la très forte demande dumarché en matière de réduction des coûts detransport, et dans un souci de restaurer des margesdéjà particulièrement érodées, le secteur dutransport a largement démontré sa formidableaptitude à développer des gains de productivité enproposant à sa clientèle des services ajoutés « amontou aval », sans que pour autant le prix de laprestation ait été ajusté dans les mêmes propor-tions. La fonction d’intégrateur de services, qui estune phase encore plus enrichie que la précédente enmatière de valeur ajoutée au service, s’est ainsiprésentée pour les entreprises de transport commeune alternative très attrayante. Cet enrichissementde l’offre s’est traduit pour les prestataires detransport et de logistique, par la prise en charge detoutes les opérations de la chaîne transport depuis ledépart d’usine jusqu’à la destination finale,intégrant ainsi toutes les interventions intermé-diaires, qu’il s’agisse de la fragmentation des envois,de la gestion des stocks, de la manutention,réception et préparation des commandes, duconditionnement ou re-conditionnement, etc., letout associé à une capacité d’accès à uneinformation enrichie, renseignant en temps réel surl’état des mouvements en cours.

En réduisant le nombre de leurs prestataires detransport et de logistique et en exerçant une trèsforte pression sur le marché par appels d’offressuccessifs, les grands donneurs d’ordres ont

largement contribué à accélérer la nécessité d’entrerdans des processus d’enrichissement de l’offre deservice.

Dans leur course à la rentabilité, les entrepre-neurs de transport et de logistique ont mis en œuvredes outils de traitement de l’information destinés àréduire le coût de la collecte des données nécessairesà leur gestion interne, qu’il s’agisse des donnéestechniques, opérationnelles, commerciales ousociales. Dans certains cas, les outils mis en placeont permis d’offrir à la clientèle un accès plus rapideà une information plus précise, laquelle nécessitaitjusqu’alors la mise en place de ressources particuliè-rement onéreuses que le marché n’était pas disposéà prendre en charge. Ces outils ont ainsi contribué àl’émergence d’entreprises qui ont su développer etutiliser l’avantage concurrentiel attractif qui s’endégageait.

Les approches stratégiques en équipement desystèmes d’information sont très différentes enfonction de la taille de l’entreprise, du métierexploité et de son appartenance ou non à ungroupe. On peut observer que les petites entreprisescaptives d’un client subissent les nécessités d’équi-pement en collecte d’information, en fonction decritères qui leur sont imposés, et n’éprouvent pas denécessité particulière d’aller au-delà, sauf par soucide réduction des coûts de traitement documentaire.Leur capacité d’innovation en la matière estquasiment nulle. Les entreprises s’adressant à unepalette de clientèle largement diversifiée ont desapproches différentes. Dans la majeure partie descas, le niveau d’équipement en informatique répond

LES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION(TIC) DANS LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES FRANÇAISES

DE TRANSPORT ET DE LOGISTIQUE

RAPPORT DU CLUB PREDIT TIC*, FÉVRIER 2005

1 À la date du rapport présenté ici, cette instance se composait des personnes suivantes : Maurice Bernadet, professeur à l’Université LumièreLyon II, LET, président et rapporteur ; Daniel Bollo, directeur de recherche à l’INRETS ; Éric Brousseau, professeur à l’Université Paris X-Nanterre ; Gérard Brun, chargé de mission à la DRAST, ministère de l’Équipement ; Yves Decourchelle, vice-président de l’ATMD, secrétairegénéral du groupe SAMAT ; Michel Frybourg, ingénieur général honoraire des Ponts et Chaussées, membre fondateur de l’Académie desTechnologies ; Jean-Rémi Gratadour, chargé de Mission à l’IREEP (Institut de Recherches et Prospectives Postales) ; Michel Julien, chargéde mission à la DRAST, ministère de l’Equipement ; Olivier Maurel, directeur des systèmes d’informations Fret SNCF ; Jacques Roure, experten stratégie logistique ; Christian Saguez, professeur à l’Ecole Centrale de Paris ; Paul Soriano, président de l’IREPP.

* Créé à l’initiative de la DRAST, le Club PREDIT TIC est une instance de réflexion et de proposition rassemblantdes professionnels qualifiés et des enseignants-chercheurs1 sur le thème de la contribution des systèmes d’infor-mation au développement de la compétitivité des entreprises françaises de transport et de logistique. Fruit desanalyses et auditions menées par ce groupe durant l’année 2004, l’exposé qui suit offre un point de vue synthé-tique sur les questions nombreuses qu’induisent, chez les acteurs du transport et de la logistique, le constat ainsique le souci d’un rôle croissant des TIC dans leur champ de prestations. De l’avis de ses rédacteurs, ce documentn’a donc pas valeur de démonstration mais se propose en revanche de fournir des orientations appropriables parle milieu de la recherche, par les pouvoirs publics ou les professionnels eux-mêmes.

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Rapport du Club PREDIT TIC

à la nécessite ressentie par l’entrepreneur de mieuxcollecter automatiquement toute l’informationdont il a besoin et ainsi de réduire ses coûts internespar la suppression de toute circulation papier. D’unemanière générale, les entreprises faisant partie degrands groupes ont développé en interne dessystèmes d’information relativement homogènes,propres à satisfaire à la fois aux besoins internes etexternes, et dont les fonctionnalités et la structu-ration répondent à une double nécessité derecherche de productivité et d’acquisition d’avan-tages concurrentiels.

Ce bref descriptif de la situation des presta-taires du transport et de la logistique en matière deTIC montre déjà la diversité des cas et plus particu-lièrement la diversité des motivations et objectifspoursuivis par les entreprises. La première questionqu’il soulève est donc de savoir quels sont lesvéritables enjeux des systèmes d’informationreposant sur les TIC dans le secteur.

1. Quelles TIC, et pour quoi faire ?Cette question, qui télescope deux interrogations

qui sont à la fois distinctes et reliées, renvoie :

– aux enjeux liés au développement des nouvellestechnologies, ou plus précisément aux enjeux dessystèmes d’information reposant sur ces nouvellestechnologies ;

– aux stratégies que les entreprises, s’appuyant sur cesnouvelles technologies, mettent en œuvre ;

– aux caractéristiques des systèmes d’informationaptes à répondre à ces enjeux et à servir de supportà ces stratégies.

A) Les TIC, pour quels enjeux ?

Les TIC servent, comme dans toutes lesentreprises, de support aux fonctions opération-nelles de base des entreprises (comptabilité,finances, gestion des ressources humaines, etc.) etpermettent d’assurer ces tâches avec plus d’effi-cacité, et donc de réduire les coûts et d’accroître laproductivité. Mais elles peuvent aussi permettred’améliorer la qualité des services offerts, voired’innover plus radicalement en proposant desservices nouveaux. Elles s’inscrivent alors dans desobjectifs stratégiques pour l’entreprise2.

L’amélioration de la productivité est unimpératif pour toute entreprise et dans le marché trèsconcurrentiel du transport et de la logistique, c’estune condition nécessaire à la survie de l’entreprise ;mais ce n’est pas une condition suffisante. Toute

prestation banalisée devient une « commodité »bradée à vil prix. La compétitivité suppose unestratégie de différenciation, seule de nature à assurerune rémunération suffisante. Un transporteur nepeut donc se limiter à un effort de productivité ; il luifaut certes produire moins cher, mais aussiaugmenter la qualité et la sûreté des services qu’ilpropose, voire offrir des services différents, de façon àaugmenter la propension de son client à payer et à lefidéliser.

Les entreprises de transport et de logistique sontconfrontées à des évolutions profondes des marchéssur lesquels elles interviennent. La globalisation lesconduit à assurer la mise en réseau d’entreprises, quiinterviennent de façon de plus en plus morcelée dansla production, sur des espaces de plus en plus larges,et qui formulent des exigences – en matière derapidité, fiabilité, sécurité et sûreté – et des informa-tions sur la marchandise croissantes. Les mêmesexigences sont formulées par les distributeurs. Pourrépondre à ces exigences et relever ce défi, il fautdéfinir une stratégie (un « modèle d’affaires ») c’est-à-dire se fixer des objectifs, choisir les moyens de lesatteindre, mettre en place des indicateurs permettantde mesurer les performances réalisées… Ce n’estqu’après la définition de cette stratégie que l’entre-prise pourra choisir les systèmes d’information et lesoutils informatiques susceptibles de la mettre enœuvre. Mais la stratégie et le système d’informationne sont pas indépendants l’une de l’autre et laréflexion doit intégrer l’objectif (la stratégie) et lesmoyens (le système d’information).

La définition de cette stratégie implique de semettre à l’écoute des besoins du client. Or celui-ciconsidère que ses produits doivent circuler le longd’une chaîne continue, qui va de ses fournisseurs auconsommateur final, la supply chain. Le prestatairedoit donc se positionner dans cette chaîne, sansforcément intervenir à toutes les étapes, mais enassurant la continuité nécessaire, en amont et enaval, de la circulation du produit et de la circulationdes informations.

La manière de s’inscrire dans ces chaînesdépend évidemment de la taille de l’entreprise, deson « métier » orienté plutôt vers le transport ouvers la logistique, et dans le cas du transport, vers letransport de lot, vers la messagerie, vers l’express…

C’est sans doute dans le domaine de lamessagerie et de l’express que la nécessité de sepositionner comme acteur majeur de la supplychain, en définissant des stratégies originalesfondées sur la maîtrise de l’information, a été le plusvite perçue par les prestataires de transport et delogistique. Ils ont pu alors proposer à leurs clients –

2 Il faudrait faire une place à part à l’usage des TIC en matière de commercialisation, car l’introduction d’une entreprise dans le monde du« e-commerce », par l’introduction de ce nouveau canal de distribution, peut constituer une étape décisive de son développement. Elleélargit de fait sa visibilité sur le marché et elle se positionne comme un acteur légitime dans les places de marché organisées par les chargeursou dans les bourses de fret. Mais ce rapport n’a pas envisagé cet enjeu qui devrait faire l’objet de travaux spécifiques.

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Les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC)dans la compétitivité des entreprises françaises de transport et de logistique

en devançant parfois leurs besoins – des prestationsnouvelles, plus « riches », dont la définition reposaitlargement sur le recours aux TIC et sur la mise enplace de systèmes d’information performantsoffrant notamment la traçabilité des colis. Ainsi sesont créées de véritables « entreprises en réseau ».

Dans le transport de lot ou le camion complet,la demande des chargeurs paraît beaucoup plusfruste : souhaitant conserver la maîtrise dutransport, ils attendent d’abord de leurs transpor-teurs qu’ils mettent à leur disposition des flottesbien gérées, de « bons » conducteurs, avec une fortedisponibilité et des prix toujours compressibles.Dans de telles conditions, il est sans doute plusdifficile pour le transporteur d’avoir une véritablestratégie autre que celle d’une gestion rigoureuse.

Toutefois, dans ce domaine également, lamondialisation permet à de très grandes entreprisesde concevoir et de mettre en œuvre des chaînesportant sur des envois beaucoup plus importantsque ceux que gère la messagerie ou la messagerieexpress, et des réseaux à prestations enrichies semettent en place, notamment à partir des postes, desréseaux ferroviaires et des grands transitaires (BTL-Schenker racheté en Allemagne par la DeutscheBahn, ABX filialisé en Belgique par l’opérateurhistorique ferroviaire et Danzas, DHL et Ducrosrachetés par Deutsche Post). Seul un systèmed’information stratégique permet à des telles mega-entreprises de se développer.

Cette première interrogation, concernant lesenjeux de la mise en œuvre des TIC dans les transportset la logistique, renvoie donc aux questions suivantesdont les réponses relèvent d’une démarche derecherche :

– Dans quelle mesure les nouvelles technologiespermettent-elles aux entreprises d’accroître leurproductivité, d’améliorer la qualité de leurs services,d’innover en proposant de nouveaux services ?

– Selon la taille des entreprises, leur situation sur lemarché ou leur « métier », doivent-elles (peuvent-elles) se positionner plutôt sur l’un ou sur l’autre deces objectifs ou sur les trois à la fois ? Le problème est-il le même pour les métiers du transport et lesmétiers de la logistique ? Et dans les métiers dutransport pour les entreprises de lot ou demessagerie ?

– Les systèmes d’information à mettre en œuvre sont-ils les mêmes ou sont-ils différents selon l’objectif (lesobjectifs) visé(s) ?

B) Quelles TIC, pour quelles entreprises ?

Nous avons déjà noté, dans le point précédent,que selon les « métiers » et les objectifs visés, lessystèmes d’information et de communication, etdonc les outils mis en œuvre, liés à la stratégie del’entreprise, doivent être différents. Malgré les diresdes fournisseurs de technologie et de logiciels, iln’existe pas de systèmes universels, capables de toutfaire avec une égale efficacité. Aucun prestataire nepeut donc s’épargner la démarche consistant, unefois la stratégie définie, de réfléchir aux moyenslogiciels à mettre en œuvre pour répondre auxobjectifs qu’elle s’est fixés.

La gestion des contraintes opérationnelles,techniques, commerciales et sociales diffère grande-ment d’une entreprise à une autre. Accessoirement,les avantages concurrentiels qui pourront indénia-blement découler des systèmes d’information misen place par les entreprises, ne seront pas forcémentpressentis et développés à leur juste mesure, souventpour des raisons de ressources (capacité à appréhen-der la problématique et ses enjeux, compréhensionde l’offre du marché des systèmes d’information,ressources financières, etc.).

L’offre du marché en matière de progiciels sedécompose en trois types de systèmes :

– Les progiciels (logiciels standards paramétrables)qui ont pour objet de réduire les coûts de coordi-nation à l’intérieur de l’entreprise, ce qui permetd’augmenter la productivité interne (exemples :ERP, paye, Product Management, Gestion dupersonnel, Gestion des actifs, etc.).

– Les progiciels qui ont pour objet de réduire lescoûts de transaction avec les partenaires (clients,fournisseurs, administrations, personnels…), cequi permet d’augmenter la compétitivité del’entreprise en utilisant le management collabo-ratif3 dans l’entreprise en réseau.

– Les progiciels qui ont pour objet d’accroître lacompétitivité de l’entreprise par l’utilisationd’outils d’aide à la décision (exemples : CRM,APS, Business Objects…).

L’hétérogénéité des métiers du secteur et lavariété de ses besoins complexifient l’offre, de sorteque les entreprises, notamment celles de petite taille,ont des difficultés à l’identifier clairement. Orl’achat de progiciels présente des risques et desdifficultés : l’achat de progiciels spécialisés métierdoit être effectué auprès de fournisseurs dont lapérennité sur le marché et la connaissancesectorielle métier doivent être fermement établies ;les progiciels sont toujours réputés intégrables ouinteropérables, mais avec l’expérience, on s’aperçoit

3 Ce néologisme très utilisé peut être défini de la façon suivante : qui opère la collaboration avec des partenaires internes ou externes (clients,fournisseurs, administrations, autres services) de l’entreprise. Les technologies de l’information et de la communication ont permis àl’entreprise de s’ouvrir à ses partenaires, clients, fournisseurs, etc., pour optimiser de bout en bout chacun de ses processus opérationnelsen équilibrant les rapports de force, toujours présents, par des stratégies « gagnant-gagnant ». On parle alors d’entreprise collaborative ouétendue ou numérisée.

que ce n’est pas toujours aussi simple ; ils sontcensés être capables d’apporter à l’entreprise toutesles informations dont elle a besoin, mais là aussi, lerésultat n’est pas toujours conforme aux promesses.Aussi, nombre d’expériences, pour des raisonsmultiples et variées, se sont-elles malheureusementsoldées par des échecs. Tout ceci incite à faire appelà l’utilisation de consultants compétents à la fois eninformatique et dans les métiers du secteur.

En toute hypothèse, le niveau d’équipement etla qualité des fonctionnalités disponibles sur lesystème d’information de l’entreprise dépendrontessentiellement de sa capacité et de sa volonté àlister et à classifier ses enjeux métiers, à définir lastratégie et les objectifs à atteindre pour répondre àces enjeux, à choisir le système d’information(logiciels et progiciels) – outil qui va sous-tendrecette stratégie – à financer les ressources à mettre enœuvre, à « prioriser » les mises en place en fonctionde ses objectifs, à trouver le bon intégrateur (SSII),à gérer les changements que cette stratégie vaobligatoirement entraîner dans l’entreprise, et àpoursuivre les développements dans la durée. Ledéveloppement de logiciels spécifiques ne pourra sejustifier que dans quelques cas très rares ; enrevanche, l’adaptation des progiciels aux objectifsde l’entreprise est souvent nécessaire.

Comme on peut le pressentir en fonction detout ce qui précède, la problématique à résoudrepour la mise en place d’un système d’informationdans une entreprise de transport et logistique, revêtdes aspects et des risques très différents d’uneentreprise à une autre.

Se pose par ailleurs, de manière très différentepour les PME et les acteurs dominants du système,la question de la dépendance technologique. Apriori, les seconds peuvent être tentés de mettre enœuvre des systèmes « propriétaires » en vued’adapter au mieux leurs systèmes d’information àleur problématique propre et d’intégrer le plusétroitement possible les différents éléments de leurchaîne d’approvisionnement, y compris leurs sous-traitants. Les PME courent alors le risque de setrouver sous la dépendance totale d’un donneurd’ordres.

En réalité, même pour un acteur logistiqueimportant, le recours à des systèmes propriétairesrisque d’engendrer des obstacles à l’interopérabilitéavec les systèmes de leurs propres clients, à savoir leschargeurs qui sont de plus en plus demandeursd’accès aux informations produites par leursfournisseurs (et partenaires) de transport-logistique.

En définitive, dans un monde d’entreprises enréseau, le « verrouillage » ne peut être qu’unestratégie à courte vue, de même que la détentionexclusive de l’information, naguère considérée

comme un moyen de conserver le pouvoir. Sidépendance il y a, elle ne peut être que vis-à-vis destandards qui s’imposeront à tous les acteurs, quelsque soient leur taille et leur positionnement dans lachaîne d’approvisionnement. Encore faut-il quelesdites PME soient en mesure de se conformer àcette « dépendance vertueuse ».

Les prises de position ci-dessus n’empêchent pasqu’il existe, sur les thèmes évoqués, des zones d’ombreconsidérables justifiant des travaux complémentaires.Et notamment qu’on apporte des réponses auxquestions suivantes :

– Quel est le degré d’utilisation des TIC dans lesentreprises de transport et de logistique ? Est-il exactque les entreprises françaises soient en retard dansleur utilisation des TIC par rapport à leurs concur-rentes étrangères ? Et si oui, pourquoi ?

– Quel est le degré de connaissance (de méconnais-sance) des possibilités offertes par les TIC et desoffres correspondantes dans les entreprises detransport et de logistique ? Comment peut-onaméliorer l’information et la formation à leur sujetdans les entreprises de transport et de logistique ?

– Quels sont les critères de choix entre le recours à desprogiciels du marché paramétrables et le dévelop-pement de systèmes « maison » qui risquent d’êtrerapidement obsolètes par suite des difficultés demaintenance et d’adjonction de nouvelles fonctions ?Entre le recours à l’utilisation de systèmes intégrés etla mise en œuvre de progiciels à vocation partiellequ’on cherche à rendre interopérables ? Quelles sontles incidences de ces choix sur l’efficacité du fonction-nement des systèmes d’information et, de façon plusgénérale, sur le(s) rôle(s) du système d’informationdans le fonctionnement de l’entreprise, voire le« style » de son fonctionnement ?

– Comment les systèmes d’information contribuent-ils à façonner les réseaux d’entreprises ? Sont-ils – età quelles conditions – un facteur de domina-tion/subordination entre acteurs participant à cesréseaux ? Comment les entreprises de transport et delogistique peuvent-elles se protéger contre les risquesde domination des systèmes d’information de leurspartenaires ? Comment peuvent-elles mieux assurerleur maîtrise sur ces partenaires en imposant leurspropres systèmes d’information ?

– Entre les divers choix possibles, quels sont les facteurs– taille de l’entreprise, son histoire, son (ses)marché(s), son métier, les enjeux assignés au systèmed’information dans son modèle d’affaires, etc. – quipèsent en faveur d’une solution plutôt que d’uneautre ?

C) Quelles TIC demain, pour quels usages ?

La question de savoir qu’elles seront les techno-logies disponibles dans deux, cinq ou dix (…) ansrelève d’une réflexion technologique et des travauxexistants (exemple : le rapport, publié en juin 2003,

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Rapport du Club PREDIT TIC

d’une recherche réalisée aux États-Unis par l’orga-nisme GARTNER) qui listent les innovationsenvisageables à différentes échéances. Mais c’est unequestion dérivée qui intéresse les sciences sociales,celle des usages attendus de ces innovations. Or, au-delà des réponses générales qui permettentd’affirmer que les usages probables dans le domainedu transport et de la logistique concernent l’identifi-cation et la géolocalisation des marchandises et desvéhicules (avec les exemples de la RFID et desréseaux satellitaires), les incertitudes sont fortes surles possibilités offertes par les innovations technolo-giques envisagées et plus encore sur la manière dontces possibilités pourraient être (ou ne pas être) saisiespar les transporteurs et logisticiens pour réaliser desgains de productivité, améliorer la qualité desservices offerts ou offrir de nouveaux services.L’expérience apprend d’ailleurs que la probabilité dese tromper sur les usages d’une nouvelle technologieest d’autant plus forte que celle-ci est plus « révolu-tionnaire » … Mais les prestations à attendre dufutur Internet et des réseaux satellitaires ne ferontque renforcer l’efficacité des systèmes.

S’il est avéré que les entreprises françaises detransport et de logistique sont plutôt en retard dansla mise en œuvre des technologies existantes, l’infor-mation et la réflexion sur les usages des technologiesde demain sont fondamentales car elles peuventpermettre, non seulement d’éviter que ce retard nese creuse, mais peut-être de le réduire…

Quelles sont les perspectives nouvelles, qu’ils’agisse de nouvelles chances ou de nouveauxproblèmes, que les progrès des TIC ouvrent auxentreprises de transport et de logistique ? Quelsnouveaux « usages » peuvent apparaître, que cesnouvelles technologies autoriseront ?

Les réponses à ces questions impliqueraient ques’associent des spécialistes de technologie (encoopération avec le bureau GO 9 du PREDIT) et desspécialistes des sciences sociales.

2. La mise en œuvre des TIC : quels problèmes ?

Cette question renvoie à de nombreux thèmes quela liste ci-dessous ne prétend pas énoncer de façonexhaustive :

– à la manière dont les systèmes d’information fontévoluer (devraient faire évoluer…) les processus etcomportements dans l’entreprise ;

– aux problèmes de mise en œuvre que les entreprisesrencontrent ;

– aux coûts et aux délais de mise en œuvre…

A) Pourquoi des résultats souvent décevants ?

Depuis plus d’une trentaine d’années, lesentreprises, et en particulier les différents typesd’entreprises dans le secteur du transport de fret(messagerie, vrac, chargements complets, …) et dela logistique, ont investi régulièrement dans lerenouvellement de leurs systèmes informatiques etde communication, et malgré cela, la compétitivitéglobale du secteur n’a cessé de se dégrader. S’agit-ild’une fatalité ou n’est-ce pas lié à une incompré-hension profonde de la nature et des conditions del’utilisation des TIC ?

Il semble que trois réponses globales, distinctesmais liées, puissent être apportées à cette question.

D’abord, si les TIC n’apportent pas de réponsemiracle, c’est parce ce qu’elles doivent être mises auservice d’objectifs et conçues en fonction de cesobjectifs, dans une approche globale qui supposeune réflexion stratégique. En effet, la compétitivitéd’une entreprise dépend :

– de la qualité de l’analyse qu’elle fait de son marché,– de la manière dont elle se positionne par rapport

aux attentes et aux capacités des clients à accepterle produit,

– de la déclinaison de la stratégie adoptée dans lesdifférents domaines (pilotage de l’entreprise,exploitation, fonction marketing et commerciale,service après vente, fonction financière, contrôlede gestion, etc.) sous la forme de plans d’actions etd’objectifs chiffrés à atteindre,

– de l’adaptation des indicateurs de performancequ’elle met en place pour vérifier l’accomplis-sement de ces plans d’actions…

Ce n’est qu’une fois ces tâches accomplies quelledevra définir et mettre en place le système d’infor-mation et de communication le plus approprié pourpouvoir conduire cette stratégie et en contrôler laréalisation.

Il en résulte, et c’est la deuxième réponse, que lamise en œuvre des TIC ne consiste pas à « plaquer »un nouveau dispositif informatique, qui ferait lamême chose mais plus rapidement et plus effica-cement, sur des processus et des modes defonctionnement existants. Les TIC permettentd’imaginer, mais également obligent à concevoir, denouveaux modes de fonctionnement et de nouveauxprocessus à toutes les étapes de la production et dela commercialisation du produit. Le maintien desmanières de travailler antérieures à l’adoption dusystème d’information conduit à l’inefficacité desinvestissements réalisés, et surtout, plus gravement,à passer à côté des objectifs stratégiques en fonctiondesquels ce système a été ou devrait avoir été défini.

Enfin, un troisième élément paraît être assezsouvent négligé ou insuffisamment appréhendé dans

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Les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC)dans la compétitivité des entreprises françaises de transport et de logistique

la mise en place des TIC : la disponibilité et le niveaude compétences, préexistants dans ce domaine dansl’entreprise. L’apport de la maîtrise d’ouvrage dans laconduite du projet est en effet essentiel pour pouvoircontrôler la maîtrise d’œuvre interne ou externe. Siles ressources humaines et matérielles nécessaires àla réussite de la mise en œuvre des TIC ne sont pasmises à sa disposition, la probabilité d’échec estimportante. Ces ressources concernent aussi bien lescompétences métier que les compétences eninformatique et système d’information.

Si ces trois réponses générales à la question posée,paraissent difficilement contestables, elles n’épuisentpas l’analyse qui doit s’appuyer sur des études de caset des comparaisons fines entre des entreprises qui ontréussi leur mutation et d’autres qui, malgré les moyensmobilisés, l’ont échouée. Ces travaux devraient tenterd’apporter les réponses aux questions suivantes :

– Dans quelles conditions les entreprises étudiées ont-elles décidé d’investir dans les TIC ? Quelles sont lesanalyses préalables qui ont conduit à cette décision ?Quels objectifs les entreprises se proposaient-ellesd’atteindre ? Ont-elles fait appel à des consultantsextérieurs (pour les aider à prendre la décision ?Pour procéder aux analyses préalables ? Pour assurerla maîtrise d’ouvrage ou la maîtrise d’œuvre ?)Ont-elles fait appel à des fournisseurs, proposant deleur vendre des systèmes « clé en main » ?

– La mise en place du nouveau système a-t-elle étéprécédée ou accompagnée d’une analyse des processusjusqu’alors utilisés et de la manière dont l’intro-duction des TIC allait (ou pouvait) les modifier ?

– Quel était le profil du maître d’ouvrage ? Avait-il defortes compétences dans les métiers de service dutransport et de la logistique ? Et dans le domaine del’informatique et des systèmes d’information ? Si lesressources et les compétences adéquates n’existaientpas en interne, comment l’entreprise se les est-elleprocurées ? De quelles compétences a-t-elle cherché àse doter en priorité ?

– Comment se sont manifestées les difficultés rencon-trées ? De quelle nature ou de quel ordreétaient-elles ? Dans quels délais sont-ellesapparues ? Sous quelles formes se sont-ellesmanifestées ? Comment l’entreprise a-t-elle réagi ?

– Quels sont les principaux écueils identifiables àéviter ? Que faut-il ne pas croire ou ne pas faire ?

B) Quelles résistances au changement ?

Une des difficultés les plus fréquemmentrencontrées provient de la résistance des hommesaux changements introduits par les TIC, mêmelorsqu’elles ont été conçues pour faire la mêmechose d’une autre manière.

Plusieurs causes sont à l’origine des réticences àl’égard du nouveau système : leur aspect contrai-gnant, qui crée des oppositions ouvertes ou plus

fréquemment larvées ; la crainte d’une déqualifi-cation du travail des opérateurs ; l’inquiétude surl’emploi, à terme. Toutefois, et sauf cas particulier, larésistance au changement demeure limitée car lesentreprises sont sans cesse en train d’effectuer desinvestissements de productivité et l’introduction oule développement des TIC s’inscrit dans unedémarche plus générale, perçue par les personnelscomme inévitable.

Le problème est différent, et sans doute plusgrave, lorsque la mise en œuvre du nouveau systèmed’information est accompagnée d’une refonte plusglobale des organisations et des processus parce quel’objectif à atteindre est stratégique et qu’il s’agitd’augmenter la compétitivité de l’entreprise(changement de la nature des services fournis auxclients) et non plus simplement sa productivité(diminution des coûts). Dans ce cas, les enjeux depouvoir dans l’entreprise sont perçus par lesintéressés et suscitent des réactions.

La mise en place d’un système informatiquestratégique dans une organisation industrielle oudans une société de services a un impact trèsprofond sur le personnel de cette organisation. Eneffet, l’investissement en TIC a fondamentalementpour conséquence de réduire les coûts de coordi-nation à l’intérieur de l’entreprise, tout enaccroissant son efficacité dans ses relations avec sesclients. Or les coûts de coordination sont engendréspar le personnel. Vouloir réduire ces coûts, c’estmodifier les relations entre les individus, ainsi queleurs relations avec l’environnement extérieur ; c’estmodifier l’équilibre des pouvoirs et y introduire deschangements fondamentaux. Le changementprovoque des réactions d’adaptation qui peuventêtre radicalement hostiles.

Le changement doit donc être accompagné etl’outil principal de l’accompagnement auchangement est l’action sur la « frontière-contact »,c’est-à-dire la communication, au sens large duterme. Le changement dans les organisations n’estpas seulement un processus logique ou une simpleapproche linéaire, c’est un processus évolutif, uneco-évolution. Mettre en place le changement, c’estdéfinir des actions, les engager, en mesurer lesrésultats et les améliorer en fonction de ces résultats.

Il s’agit tout d’abord d’envisager lechangement : en définir les motifs, évaluer laposition de départ, établir une vision forte de cechangement, développer la stratégie, le budget et lesactions à accomplir, et finalement, réévaluer laposition de départ. Puis il faut l’engager : établir lediagnostic, effectuer des tests d’impact, en évaluerles coûts, les enjeux et les bénéfices, d’où la mise enplace du plan d’accompagnement du changementactualisé. Il faut ensuite l’améliorer : consolider laformation, mettre en place des processus, évaluerdes performances, effectuer si nécessaire une

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Rapport du Club PREDIT TIC

formation complémentaire pour aider à l’émer-gence du nouveau modèle, etc.

La recherche, s’appuyant là aussi sur laréalisation d’études de cas, doit à la fois mettre enlumière ces difficultés, les expliquer et montrercomment une approche managériale d’accompa-gnement du changement peut les surmonter. Lesinterrogations majeures sont les suivantes :

– Quelles sont les attitudes et réactions des personnels,aux différents niveaux, face à l’introduction d’unnouveau système d’information ? Comment semanifestent les résistances au changement ? Quelssont les facteurs qui déterminent leur intensité etleurs formes ? Comment, si ces résistances auchangement n’ont pas été prévues et compensées, lescomportements peuvent-ils compromettre l’efficacitédes investissements réalisés ?

– Comment l’accompagnement du changement peut-il (doit-il) être conduit pour éviter les attitudes etréactions négatives compromettant l’efficacité desinvestissements en TIC ?

C) Quel est le coût véritable des TIC ?

Pour toutes les entreprises de transport et delogistique, l’accès immédiat à une information fiableconstitue une exigence de tous les instants, mais samise en place constitue aussi un parcours hasardeuxqui peut se révéler particulièrement onéreux, sansque le succès soit garanti pour autant à l’issue de ceprocessus.

Hasardeux, car le parcours qui va de la décisionde principe d’investir en TIC à la mise en marcheopérationnelle du système, est difficile et seméd’embûches. Onéreux, car au regard des investisse-ments ordinairement pratiqués dans les entreprisespour les besoins de l’exploitation, les montants àmettre en jeu sur plusieurs années représentent dessommes considérables alors qu’ils constituent desvaleurs immatérielles très rapidement obsolètes si leniveau des équipements en « hard » et en « soft »n’est pas régulièrement ajusté. Sans que le succès soitgaranti, si l’on en croit les nombreux échecsenregistrés…

Aussi, face à une clientèle particulièrementvolatile qui ne veut pas assumer le coût de l’infor-mation, et dans un contexte de pression tarifaireexacerbé, les entreprises de transport et de logistiquesont tout à fait hésitantes, voire réticentes à se lancerdans des investissements lourds dont la rentabilitéparaît incertaine.

Mais l’incertitude ne concerne pas que lerésultat final et ne dépend pas seulement de laréponse à la question « Pourra-t-on faire payer auxclients l’amélioration de la qualité de service – voireles nouveaux services – que les TIC permettent deleur proposer ? » sur un marché où les rapports de

force ne sont pas favorables aux prestataires detransport et de logistique. L’incertitude porte aussiet peut-être d’abord sur l’évaluation du coût desinvestissements à réaliser et sur les délais de mise enœuvre.

Il est évident que le coût de la mise en placed’un système d’information ne se limite pas à lacomptabilisation du prix d’achat des matériels, deslogiciels, des progiciels et des prestations descabinets conseils accompagnant l’implantation dusystème, sachant d’ailleurs que les prévisions de cescoûts, pourtant les plus facilement identifiables,sont usuellement sous-estimées. Il est en effetfréquent que les clients soient alléchés par des offresqui ne concernent qu’un produit standard et netiennent pas compte des développements indispen-sables pour adapter ce produit aux caractéristiquesde l’entreprise et aux objectifs particuliers qu’elle sepropose d’atteindre. Les dépenses de dévelop-pement, dont on découvre la nécessité tardivement,sont donc facturées en plus au client.

Ne sont pas non plus prises en compte, dansl’évaluation des dépenses, les actions de conduite duchangement dont la nécessité n’a pas été perçue etdont le coût n’a pas été estimé avant que lesdifficultés de mise en œuvre ne fassent apparaîtrel’obligation de les organiser.

L’estimation du coût véritable des TIC doitégalement prendre en compte le décalage quasisystématique entre le délai prévu pour la mise enroute opérationnelle et le délai effectif, décalage quipeut atteindre plusieurs mois, et parfois davantage.

En ces matières, la recherche, s’appuyant sur desétudes de cas, doit s’efforcer d’apporter des évaluationsplus précises des coûts et des délais et proposer desméthodes d’évaluation qui permettent aux entreprisesde prendre leur décision dans un contexte moinsincertain. Le développement des interrogations conduità la liste de questions suivantes :

– Que pèsent, dans les réticences à procéder auxinvestissements nécessaires, les différents facteursévoqués ci-dessus (montant important par rapport àla faible rentabilité des entreprises, manque delisibilité de l’offre, etc.) ?

– Au-delà des coûts directs (coûts facturés par lesfournisseurs de systèmes), quels sont les coûts« cachés » qu’implique la réalisation d’investissementsdans les TIC ? Comment peut-on les identifier et lesestimer ? Quels sont les facteurs qui les déterminent ?Quels dispositifs peuvent être adoptés pour réduire lesincertitudes quant au montant réel des investisse-ments et quant aux délais de mise en œuvre ?

La liste des questions que nous avons formuléesn’épuise pas les interrogations que pose le dévelop-pement – l’insuffisant développement – des TIC dansles entreprises de transport et de logistique. Le rôle de

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Les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC)dans la compétitivité des entreprises françaises de transport et de logistique

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Rapport du Club PREDIT TIC

la recherche, par rapport aux questions de la secondepartie plus encore que celles de la première, devraitêtre non seulement d’établir les faits, de les analyser etde les expliquer, mais également dans une perspectiveplus « utilitaire », de proposer des méthodes pouréviter ou surmonter les obstacles les plus évidents.

Ainsi, l’un des objectifs d’un programme derecherche (une action spécifique finalisée ?) portant surce thème, pourrait être la rédaction d’un véritable« Guide de l’usage des TIC » dans les entreprises detransport et de logistique, comprenant des conseils etdes mises en garde, qui répondrait incontestablement àun besoin d’autant plus important qu’il n’est peut-êtrepas perçu comme tel par beaucoup de ces entreprises !

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Troisième partie :

« VILLES NUMÉRIQUES » ET DÉVELOPPEMENT LOCAL :

DES INFRASTRUCTURES AUX TÉLÉSERVICES

Introduction

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« VILLES NUMÉRIQUES » ET DÉVELOPPEMENT LOCAL :DES INFRASTRUCTURES AUX TÉLÉSERVICES

Caractérisée par un double mouvement de décentralisation et de déréglementation, la situa-tion juridique et économique des collectivités locales vis-à-vis du secteur des télécommunica-

tions est en constante évolution. Non exempte de contradiction, la mise en œuvre concomittantedes principes d’équité et de libre-concurrence questionne le rôle susceptible d’être pris par les pou-voirs locaux dans le déploiement d’infrastructures comme celles que requiert aujourd’hui l’accèsaux réseaux dits « à haut débit ».

Prenant acte de l’actualité d’un tel débat, ce chapitre consacré au développement locals’ouvre par une discussion des différents modèles de relation entre autorités locales et opérateursprivés. Extrait d’un ouvrage dirigé par Daniel Kaplan, le propos soumet à l’analyse divers scéna-rios empruntés aux contextes français et étranger avant de s’interroger sur le niveau souhaitablede l’intervention publique : réponse aux « besoins » et promotion des usages, offre de services ougestion déléguée ? Quelle que soit la forme de partenariat, l’article glisse alors du déploiement desinfrastructures à celui des usages, concluant à la nécessité d’un fort ancrage territorial.

Qu’il s’agisse des réseaux distants ou de tout autre dispositif, les « nouvelles technologies » nese substituent en effet que rarement aux systèmes existants. Elles s’insèrent dans un contexte éco-nomique, social et technique donné, dont elles ne recomposent le jeu que progressivement, enmodifiant la position des acteurs et des savoir faire en présence. En matière de gestion territoria-le, les enjeux que soulève le recours croissant aux TIC ne résident ainsi pas tant dans le rempla-cement de services traditionnels par de nouveaux instruments, que dans l’évolution des politiqueslocales qu’autorise, accompagne ou freine, selon les cas, l’introduction des téléservices dans lechamp urbain.

Dressant un premier inventaire des usages et potentialités ayant gagné la reconnaissance duniveau local au cours des années 90, Jacques Balme et Olivier Jonas poursuivent ainsi la réflexionen traçant le périmètre des principaux téléservices d’intérêt général susceptibles d’être mis enœuvre à l’échelle d’une collectivité. Suivant un découpage empruntant au référentiel des politiqueslocales, les auteurs passent en revue cinq grandes familles de téléservices concourant respective-ment : au développement économique ; à la citoyenneté, la démocratie et l’intégration ; à l’accèsà la culture, à la connaissance et aux loisirs ; à la gestion urbaine et l’environnement ; à la sécu-rité des espaces publics et privés. Illustré par une série d’expériences relativement hétérogènes,l’état des lieux se clôt par un appel aux projets d’ensemble conduits selon un principe d’intégra-tion à la fois technologique (mutualisation), socio-économique (partenariat), territoriale (miseen réseau) et politique (planification).

Fort de ce balayage thématique, la première des deux contributions d’Emanuel Eveno rentredans le vif des différents modèles de déploiement technologique en faisant retour sur deux formesde déterminisme qui, bien que datées, n’ont de cesse de se disputer l’origine du changement social,alternativement porté au crédit de la « technique » ou situé à l’endroit des « usages ». Concluantà une opposition infructueuse pour l’instruction des politiques publiques, l’auteur fait quant à luil’hypothèse que les TIC prennent sens « au sein » des dispositifs socio-spatiaux, qu’elles en sontune composante parmi d’autres et que c’est la conjonction de plusieurs facteurs de changementqui contribuent à la recomposition et à la réappropriation des territoires, selon des processus sedémarquant sensiblement (nature, temporalité) de ceux observés dans la sphère productive ouchez les « usagers ». De là vient une grille d’analyse centrée sur les modèles d’organisationpublique et les jeux d’acteurs. L’esquisse d’une typologie des « habitants, usagers, citoyens,consommateurs », saisis en contexte d’expérimentation, ouvre sur le deuxième article qui consacreun retour d’expérience au cas de la ville de Parthenay.

Des différentes formes d’appropriation technique dans une société, sur un territoire donné,Olivier Jonas aborde enfin la dimension opératoire. Issu d’une étude menée sur la notion de « ville

numérique », son propos dresse à destination des maîtres d’ouvrage locaux un paysage global desattendus de ce que pourrait ou devrait être, à dires d’experts, une politique de déploiement desTIC coordonnée à l’échelle d’une collectivité locale.

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Introduction

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Débats réglementaires

L’intervention des collectivités locales

Depuis une vingtaine d’années, les collectivitéslocales françaises ont connu deux transformationsmajeures qui ont modifié en profondeur leur rôle etleur capacité d’intervention sur le développementdes territoires.

Les lois de décentralisation de 1982 onttransféré au niveau local une partie des compétenceset des financements autrefois assurés par l’État. Lescollectivités locales assurent désormais un rôle accrud’aménageur et exercent une responsabilité dans ledéveloppement de leur territoire. L’émergence dumarketing territorial a conduit à des stratégies dedéveloppement différenciées, et les territoires sonten situation de compétition.

Les lois de réglementation des télécommunica-tions (LRT de 1990 et de 1996) ont ouvert le secteurdes télécommunications à l’initiative privée et à laconcurrence. La desserte du territoire national n’estplus assurée par un opérateur en situation demonopole qui pouvait garantir un principe d’équitéau travers de mécanismes de péréquation tarifaire.À l’exception du service universel qui ne concernepratiquement que la téléphonie fixe, les opérateursdéploient leurs infrastructures et leurs offres deservices en fonction d’impératifs de rentabilité.

Les conséquences du développement de laconcurrence se sont rapidement fait sentir : baissedes prix, diversité de choix, dynamique d’innovationsoutenue. La contrepartie de ces avantages se situedans la mise en œuvre par les opérateurs destratégies ciblées qui privilégient les zones à fortedensité au détriment des autres. Ce qui conduit àune desserte très inégale des territoires, en particulierpour les réseaux haut débit. La concurrence s’exercepleinement là où la demande est la plus dynamique.Ailleurs, l’offre nouvelle peut être limitée à un seulopérateur, voire totalement indisponible.

La loi sur l’aménagement du territoire du 29 juin1999 (dite loi Voynet) a ouvert aux collectivités localesun premier champ d’intervention : l’investissementdans les infrastructures physiques et la mise àdisposition de « fibres noires ». Cependant la nécessitéd’un constat de carence et d’un retour sur investis-sement sur huit ans sont des conditions jugées trèsrestrictives. Elles ont été très récemment assouplies, en

juin 2001, par une nouvelle version de l’articleL. 1511-6 du Code des collectivités territoriales.

Cet article a fait l’objet de nombreux débats àpropos des limites de l’intervention des collectivitésterritoriales. La notion même d’infrastructures’avère complexe. Celle-ci exclut-elle les équipe-ments actifs (multiplexeurs, routeurs …) ou non ?Où fixer la limite, comment la fixer en tenantcompte de l’état des techniques qui évolue trèsrapidement et tend à repousser les limites de lanotion d’infrastructure physique ? La nouvelle loiprévoit par ailleurs des subventions possibles afin decouvrir les coûts de déploiement. Un décret devraitêtre publié afin d’en définir le cadre, mais celui-cin’était toujours pas paru en novembre 2002.

Enfin, si la lutte contre la fracture numérique estbien une réalité politique pour de nombreux élus,elle ne peut s’appuyer sur aucun repère juridique. Iln’existe ainsi aucun élément permettant de qualifierl’intérêt public dans ce domaine, et par conséquentla notion de service public qui pourrait lui êtreassociée. La nouvelle étape de la décentralisation,ainsi que la transposition des directives européennesdu « paquet télécom », fournissent l’occasion derouvrir le débat.

Le dégroupage

Le dégroupage a suscité beaucoup d’intérêt de lapart des opérateurs concurrents de France Télécom.Force est de constater qu’à l’instar de ce qui s’estpassé dans presque tous les pays où il a été mis enœuvre, le dégroupage est pour l’instant un échec.

Au 1er juillet 2002, 9 opérateurs avaient signéune convention de dégroupage avec FranceTélécom. 128 salles de colocalisation avaient étécommandées à France Télécom, mais le nombre delignes locales dégroupées s’élevait seulement à …764, dont la majeure partie en région parisienne.

Le problème n’est pas spécifique à la France. AuxÉtats-Unis, beaucoup d’observateurs considèrent quele dégroupage est un échec. Partout, les opérateurstiers se retrouvent pris en tenaille entre les tarifsd’accès à la boucle locale et les tarifs de l’offre ADSLde l’opérateur dominant. C’est dans cette fenêtrequ’ils doivent faire leur marge. Lorsque l’opérateurdominant baisse ses tarifs, cela génère unesatisfaction générale des clients, mais cela réduitégalement l’espace économique de la concurrence.

PUBLIC-PRIVÉ : QUEL PARTAGE DES ROLES ?1

Daniel KAPLAN

FING – Fondation Internet nouvelle générationwww.fing.org

1 Cet article constitue le 13ème chapitre (pp. 285-306), de l’ouvrage Hauts débits (ACSEL-FING, sous la direction de Daniel Kaplan), L.G.D.J.,2002, 351 pages.

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Daniel Kaplan

Les autorités de régulation ne manquent pas d’inter-venir sur ces baisses de tarifs mais pour elles aussi, lamarge de manœuvre est étroite. L’exemple de lasociété Covad qui n’a pu faire face aux fluctuationstarifaires imposées par US West illustre cettedifficulté.

Il existe cependant deux formes de dégroupagede la ligne téléphonique locale. Le dégroupage« total » consiste, pour un opérateur, à exploiterentièrement la ligne téléphonique à la place deFrance Télécom, qui n’a plus de relation commer-ciale avec le client. Le dégroupage « partiel » ne porteque sur les fréquences de données : France Télécomcontinue de facturer l’abonnement à la ligne, ilfournit (en général) le service téléphonique local,tandis que son concurrent exploite l’accès ADSL.

Il semble que la nouvelle grille des tarifs dedégroupage proposée par France Télécom soit sur lepoint de débloquer le marché en ce qui concerne ledégroupage partiel. Il convient toutefois deconsidérer le dégroupage comme une nécessité quidoit requérir la vigilance du régulateur, maisassurément pas comme la solution miracle dudéveloppement du haut débit.

Vers la séparation des activités réseaux de l’opérateur historique ?

Le processus d’ouverture des secteurs de l’élec-tricité et des transports ferroviaires a conduit, dansles deux cas, à séparer le transporteur du prestatairede service. Ceci s’est traduit notamment par lacréation du RTE (Réseau de transport de l’électricité)et de RFF (Réseau ferré de France).

Une telle séparation n’a pas été prévue dans lecas des télécommunications, que ce soit en Franceou dans les pays étrangers. Les infrastructures onten effet été perçues comme un élément de différen-ciation concurrentielle dans lesquelles les nouveauxentrants entendaient investir. Dès lors, la consti-tution d’une structure unique de transport pouvaitapparaître comme un frein au développement de laconcurrence.

Cette idée n’a pas été contestée tant qu’ils’agissait de développer la concurrence au sein desgrandes agglomérations ou sur les liaisons longuedistance, et que le marché était porté par l’euphoriedes investisseurs.

La question se pose avec plus d’acuité depuis2001 face aux difficultés du dégroupage et auralentissement du déploiement des hauts débits,notamment sur le terrain local.

Séparation structurelle et séparation comptable Deux types de séparation peuvent être

envisagés. La séparation comptable consiste à

identifier les coûts et les revenus de la fonction detransport. Elle s’accompagne implicitement d’uneoffre commerciale permettant un accès équitable etnon discriminatoire à un service de transport. Laséparation structurelle, comme c’est le cas pour RTEet RFF, consiste de manière plus radicale à diviserl’entreprise en deux.

Il n’existe pas de cas de séparation structurelle.La séparation comptable, en revanche, a été mise enœuvre chez Bristish Telecom. BT Wholesale fournitainsi ses services aux différentes entités de BTimpliquées dans les services : BT Retail pour lesparticuliers, BT Ignite pour les entreprises… Sousl’égide de son précédent dirigeant, BT avait prévud’aller jusqu’à une séparation structurelle.Cependant, la nouvelle direction est ensuite revenuesur cette orientation.

Aux États-Unis, l’État de Pennsylvanie a engagéune politique en faveur du développement du hautdébit qui s’est notamment traduite par la signatured’un contrat de services avec un consortiumregroupant la société régionale d’électricité etl’opérateur régional Adelphia. En parallèle, l’Étatvotait une loi obligeant l’opérateur historiqueVerizon à séparer structurellement le transport et leservice.

Cette loi a été contestée par Verizon qui a eupartiellement gain de cause. Une séparationcomptable a finalement été retenue dans sonprincipe. Son application a été bousculée par le 11septembre et par la faillite d’Adelphia. Le sujetcontinue néanmoins de faire l’objet de nombreuxdébats au Congrès.

Si l’idée de la séparation entre transport etservice est intellectuellement séduisante, elle seheurte néanmoins à plusieurs objections.

Contrairement aux réseaux ferroviaires ouélectriques, la question ne se pose pas réellement surle réseau national reliant les centres-villes, maisconcerne la distribution locale. Les situations sont,de plus, extrêmement diverses : dans certainesagglomérations ou zones d’activité, la concurrenceest vive et la séparation des infrastructures et duservice pour le seul opérateur historique pourraitprovoquer plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait.D’autre part, si la séparation conduit à créer unesociété privée en charge de l’infrastructure, celle-cisera également contrainte de rentabiliser ses réseauxdans une période où le capital est rare. L’opérateurd’infrastructures ou de transport fera lui-même faceà une concurrence sur les axes les plus rentables.Pour répondre à cette situation, il sera conduit àapporter des réponses tarifaires adaptées et à seconcentrer sur les grands clients et les aggloméra-tions. Il n’est donc pas évident que ce processusaméliore la couverture territoriale.

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Public – Privé : quel partage des rôles ?

Enfin, la non-dissociation du transport et duservice permet à l’opérateur d’équilibrer ses investis-sements dans les zones moins denses par desrevenus générés là où la demande est la plus forte.Un opérateur d’infrastructures ne bénéficiera pas decette possibilité et devra recourir de manièresystématique au soutien des pouvoirs publics. Deson côté, l’opérateur historique sera amené àdiminuer ses investissements en termes de serviceslà où les gains ne seront pas suffisants.

La séparation n’est donc pas sans risque etl’absence de points de comparaison, ainsi que lesuccès plus que mitigé de certaines expériencesétrangères (les chemins de fer en Grande-Bretagne,l’électricité en Californie …) incitent à la prudence.

La séparation comptable pose, de la mêmemanière, un certain nombre de problèmes. Quefaudrait-il inclure dans la partie transport ? S’agirait-il uniquement de la vente en gros aux opérateurs ouaux fournisseurs de services ? La boucle locale yserait-elle intégrée ? L’option de la séparationcomptable offre en théorie plus d’équité d’accès à unservice national. Pour autant, la question dufinancement des investissements reste dépendante del’intérêt économique des zones desservies ; ce quinous ramène aux inconvénients de la séparationstructurelle.

Une approche locale de la « séparation » ? L’intervention des collectivités dans des

schémas de partenariat avec un opérateur posecependant des questions nouvelles. Par le biais decontrats de services avec un opérateur ou au traversde la concession d’un réseau câblé, la collectivitépeut en effet participer au financement desinfrastructures d’un opérateur. Si c’est le cas, il estlogique que l’opération s’accompagne d’uneséparation comptable et par conséquent, d’une offrecommerciale d’accès pour les autres opérateurs àl’infrastructure financée par la collectivité.

Mais peut-on alors imaginer qu’une offre detransport puisse exister au cas par cas, selon lescollectivités ? La décentralisation sera-t-elle enmesure d’apporter des réponses réglementaires à unetelle question ? Comment exercer un contrôle sur lestarifs pratiqués, sur les conditions de la concur-rence ? Faudra-t-il pour arbitrer et contrôler,disposer de régulateurs à l’échelle régionale à l’imagede ce qui existe aux États-Unis, ou encore de bureauxlocaux du régulateur national comme cela sepratique en Allemagne ?

Il n’existe pas de réponse toute faite à cesquestions. Chaque territoire est dans une situationdifférente des autres. De ce point de vue, il paraîtessentiel que les lois de décentralisation à venirapportent des outils aux collectivités afin qu’elles

trouvent des réponses adaptées à leur problématiqueet à leur stratégie, sans pénaliser la concurrence, quandbien même celle-ci viendrait de l’opérateur historique.

Modèles de développement des hauts débits : quelques points critiques

Notre propos n’est pas d’être exhaustif sur tousles montages publics-privés possibles et leurscontraintes réglementaires ou économiques. Letraitement juridique des montages, en particulier, nesera qu’abordé dans cet ouvrage2. Tout en évoquantcet aspect des choses, nous chercherons surtout àmettre l’accent sur les choix les plus importants dansla perspective du développement des hauts débits.

Développer les réseaux grâce à la commandepublique

Les collectivités sont des utilisateurs importantsde services de télécommunication. Au-delà descommunications téléphoniques et des transferts defichiers entre systèmes informatiques, plusieurséléments viennent renforcer les besoins en débit :

– développer de nouvelles applications avec enparticulier les Systèmes d’information géogra-phique (SIG) qui induisent notamment l’utilisationde stations graphiques ;

– raccorder et développer des services autour desstructures dépendantes des collectivités (centressociaux, musées …) ;

– impliquer des collectivités dans le raccordementdes écoles, collèges et lycées ;

– développer des services liés à la santé, de la mise enréseau des hôpitaux aux soins à domicile ;

– mettre en réseau d’équipements liés au transport,aux parkings, à la sécurité, à l’environnement… ;

– développer des services administratifs en ligne,etc.

Ces applications sont de nature à accroîtrefortement la demande en débit, et ceci d’autant plusque le recours à l’image, fixe et animée, y est de plusen plus banalisé.

Pour les collectivités, la forte croissance deséchanges pose des problèmes de coût lorsqu’il s’agitde payer les services d’un opérateur. C’est lapremière raison pour laquelle les agglomérationsinvestissent de plus en plus fréquemment pourdisposer de leur propre réseau.

Mais le coût de telles infrastructures n’est pasnégligeable. En revanche, l’équation économique

2 Pour plus d’informations, on se reportera à l’ouvrage de la Caisse des Dépôts et Consignations, Le haut débit et les collectivités locales, LaDocumentation Française, 2002.