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antibiorésistance | actualités 9 OptionBio | Lundi 14 novembre 2011 | n° 462 L e traitement des infections à entérocoques est devenu de plus en plus difficile en raison de la résistance fréquente de ces bactéries aux antibiotiques standard comme l’ampicilline, la vancomycine et les aminoglycosides. De plus, l’iso- lement de souches d’entérocoques résistant à la vancomycine en milieu hospitalier s’avère plus fréquent à travers le monde, ce qui a entraîné une augmentation significative de la mortalité due à ce type d’infection. Utilisée en cas de résistance à la vancomycine La daptomycine est un antibioti- que de type lipopeptide qui a une activité bactéricide vis-à-vis de l’entérocoque. Active au niveau de la membrane cellulaire de manière calcium-dépendante, elle est souvent utilisée en pratique clinique pour trai- ter les patients infectés par un enté- rocoque résistant à la vancomycine. Néanmoins, l’émergence de souches résistantes à la daptomycine durant les traitements s’avère une réalité. Les mécanismes de ce phénomène de résistance ne sont pas encore connus. Pour la première fois, une équipe de chercheurs américains a permis de mettre en évidence chez l’entérocoque trois gènes qui seraient impliqués dans la résistance à cet antibiotique. Trois gènes mutants expliquent la résistance Un séquençage entier du génome de l’enveloppe cellulaire de souches d’Enterococcus faecalis résistant à la vancomycine a été réalisé à partir du sang de patients septicémiques. Deux échantillons sanguins ont été analysés : l’un avant le traitement par daptomycine et l’autre après traite- ment. Ainsi, après le traitement par daptomycine, on a pu observer une délétion de trois gènes. Deux de ces gènes codent des enzymes primor- diales dans le métabolisme phos- pholipidique. Le dernier d’entre eux code une protéine de la membrane cellulaire et serait impliqué dans le système régulateur lié aux réponses de stress de l’enveloppe cellulaire vis- à-vis des antibiotiques. Les souches bactériennes d’entérocoques mutées après leur contact avec la daptomy- cine présentent des changements de la structure de l’enveloppe cellulaire et des altérations dans la perméabilité de la membrane. En conclusion, une mutation de ces trois gènes semble suffisante pour le développement d’une résistance vis-à-vis de la daptomycine durant la durée du traitement. | OPHÉLIE MARAIS Source Arias CA, Panesso D, McGrath DM et al. Genetic basis for in vivo daptomycin resistance in enterococci. N Engl J Med. 2011 Sep 8;365(10):892-900. Quelles réponses pour les bactéries multirésistantes ? Résistance de l’entérocoque à la daptomycine L es bactéries multirésistantes (BMR) constituent un problème de plus en plus préoccupant pour les services hospitaliers. Leur émergence en médecine de ville concerne maintenant l’ensemble de la population. Il existe un contraste entre les infec- tions à bacilles à Gram+ et les enté- robactéries. L’incidence des staphy- locoques résistant à la méthicilline diminue nettement alors que le taux des entérocoques résistants demeure stable. Des souches résistant à la van- comycine n’ont pas été retrouvées en France. En revanche, l’incidence des entérobactéries et autres bacilles à Gram– sécrétant des β-lactamases à spectre étendu (BLSE) est en augmen- tation constante. Les colibacilles (E. coli) résistant à la céfotaxime (CTX-M) sont de plu- sieurs types : CTX-M 15 et autres. Ces infections sont devenues com- munautaires : 2 à 4 % des infec- tions urinaires sont dues à des E. coli BLSE. Ces souches résistent également pour 63 % d’entre elles au cotrimoxazole. En réanimation, le nombre des klebsielles CTX-M est également en augmentation – les gènes de résistance étant proba- blement acquis à partir d’E. coli. D’autres mutations génétiques, révélées par séquençage, se pro- pagent à travers le monde et d’une entérobactérie à une autre : métallo- β-lactamases (carbapénémase) de type NDM (New Delhi Metallo-beta- lactamase) et autres, oxacillinases expliquant le haut niveau de résis- tance des klebsielles, Acinetobacter, Citrobacter et autres. Les réservoirs de ces entérobactéries sont l’Inde, le Pakistan, le Moyen-Orient. Comment utiliser les antibiotiques de recours face aux résistances ? Peu d’antibiotiques (AB) nouveaux sont en développement et leurs indications, comme celles des AB existants, sont particulièrement difficiles à poser en raison du caractère mouvant des BMR et de leur résistance à de multiples anti- biotiques transmise par les mêmes mutations. Plusieurs nouveaux AB, dont le tomopénème sont en phase III. Les résultats concernant la tigécycline, AB bactériostatique disponible, sont discordants. Sou- vent utilisée comme traitement de sauvetage, hors AMM, les succès vont de 12 à 75 %. Les indications sont les infections des tissus mous et les infections intra-abdominales, mais non les pneumopathies. Des réserves sont émises sur sa sécurité et son efficacité : une mortalité plus élevée a été constatée en référence aux AB comparatifs. Son utilisation en association est préconisée avec le monopénème ou la colimycine. Parmi les AB anciens, la colimycine est bactéricide, mais une résistance secondaire apparaît car les bactéries survivantes ont une CMI augmentée et des entérobactéries résistantes sont apparues depuis 2009. En association, de nombreuses syner- gies sont possibles mais la posologie n’est pas parfaitement établie. Au total, les situations d’impasse thérapeutique ne sont pas exception- nelles et on ne peut prévoir la mise à disposition de nouveautés dans un avenir proche. Il est ainsi indispensa- ble de tester les associations d’AB. Comment prévenir la dissémination des BMR ? Le dépistage des BMR concerne en France les sujets transférés d’un hôpital étranger et tous ceux qui ont été déjà hospitalisés. Le dépistage de ces BMR est fondamental pour tout malade venant des pays à risques. Les mesures de prévention sont pri- ses à l’admission : connaître l’origine des patients, précautions d’hygiène draconiennes, dépistage des BMR par écouvillonnage rectal, isolation stricte du patient et des sujets contact. Ces BMR ne doivent pas être l’incitation à une escalade thérapeutique. Toute tentative de décontamination est illu- soire et dangereuse. | JEAN-JACQUES BAUDON © www.jim.fr Source Nordmann P. Quelles actualités sur les BMR en réanimation ? Gauzit R. Quelles modalités d’utilisation pour les antibiotiques de recours ? Rabaud C. Comment prévenir la dissémination des BMR : les dernières recommandations. Sym- posium Sanofi-Aventis France : « Quelle réponse pour les BMR ? », lors des 12 es Journées nationa- les d’infectiologie, Toulouse, 8-10 juin 2011.

Quelles réponses pour les bactéries multirésistantes ?

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antibiorésistance | actualités

9OptionBio | Lundi 14 novembre 2011 | n° 462

Le traitement des infections à entérocoques est devenu de plus en plus difficile en raison

de la résistance fréquente de ces bactéries aux antibiotiques standard comme l’ampicilline, la vancomycine et les aminoglycosides. De plus, l’iso-lement de souches d’entérocoques résistant à la vancomycine en milieu hospitalier s’avère plus fréquent à travers le monde, ce qui a entraîné une augmentation significative de la mortalité due à ce type d’infection.

Utilisée en cas de résistance à la vancomycineLa daptomycine est un antibioti-que de type lipopeptide qui a une

activité bactéricide vis-à-vis de l’entérocoque. Active au niveau de la membrane cellulaire de manière calcium-dépendante, elle est souvent utilisée en pratique clinique pour trai-ter les patients infectés par un enté-rocoque résistant à la vancomycine. Néanmoins, l’émergence de souches résistantes à la daptomycine durant les traitements s’avère une réalité. Les mécanismes de ce phénomène de résistance ne sont pas encore connus. Pour la première fois, une équipe de chercheurs américains a permis de mettre en évidence chez l’entérocoque trois gènes qui seraient impliqués dans la résistance à cet antibiotique.

Trois gènes mutants expliquent la résistanceUn séquençage entier du génome de l’enveloppe cellulaire de souches d’Enterococcus faecalis résistant à la vancomycine a été réalisé à partir du sang de patients septicémiques. Deux échantillons sanguins ont été analysés : l’un avant le traitement par daptomycine et l’autre après traite-ment. Ainsi, après le traitement par daptomycine, on a pu observer une délétion de trois gènes. Deux de ces gènes codent des enzymes primor-diales dans le métabolisme phos-pholipidique. Le dernier d’entre eux code une protéine de la membrane cellulaire et serait impliqué dans le

système régulateur lié aux réponses de stress de l’enveloppe cellulaire vis-à-vis des antibiotiques. Les souches bactériennes d’entérocoques mutées après leur contact avec la daptomy-cine présentent des changements de la structure de l’enveloppe cellulaire et des altérations dans la perméabilité de la membrane. En conclusion, une mutation de ces trois gènes semble suffisante pour le développement d’une résistance vis-à-vis de la daptomycine durant la durée du traitement. |

OPHÉLIE MARAIS

SourceArias CA, Panesso D, McGrath DM et al. Genetic

basis for in vivo daptomycin resistance in enterococci.

N Engl J Med. 2011 Sep 8;365(10):892-900.

Quelles réponses pour les bactéries multirésistantes ?

Résistance de l’entérocoque à la daptomycine

Les bactéries multirésistantes (BMR) constituent un problème de plus en plus préoccupant

pour les services hospitaliers. Leur émergence en médecine de ville concerne maintenant l’ensemble de la population. Il existe un contraste entre les infec-tions à bacilles à Gram+ et les enté-robactéries. L’incidence des staphy-locoques résistant à la méthicilline diminue nettement alors que le taux des entérocoques résistants demeure stable. Des souches résistant à la van-comycine n’ont pas été retrouvées en France. En revanche, l’incidence des entérobactéries et autres bacilles à Gram– sécrétant des β-lactamases à spectre étendu (BLSE) est en augmen-tation constante.Les colibacilles (E. coli) résistant à la céfotaxime (CTX-M) sont de plu-sieurs types : CTX-M 15 et autres. Ces infections sont devenues com-munautaires : 2 à 4 % des infec-tions urinaires sont dues à des E. coli BLSE. Ces souches résistent également pour 63 % d’entre elles au cotrimoxazole. En réanimation, le

nombre des klebsielles CTX-M est également en augmentation – les gènes de résistance étant proba-blement acquis à partir d’E. coli. D’autres mutations génétiques, révélées par séquençage, se pro-pagent à travers le monde et d’une entérobactérie à une autre : métallo-β-lactamases (carbapénémase) de type NDM (New Delhi Metallo-beta-lactamase) et autres, oxacillinases expliquant le haut niveau de résis-tance des klebsielles, Acinetobacter, Citrobacter et autres. Les réservoirs de ces entérobactéries sont l’Inde, le Pakistan, le Moyen-Orient.

Comment utiliser les antibiotiques de recours face aux résistances ?Peu d’antibiotiques (AB) nouveaux sont en développement et leurs indications, comme celles des AB existants, sont particulièrement difficiles à poser en raison du caractère mouvant des BMR et de leur résistance à de multiples anti-biotiques transmise par les mêmes mutations. Plusieurs nouveaux

AB, dont le tomopénème sont en phase III. Les résultats concernant la tigécycline, AB bactériostatique disponible, sont discordants. Sou-vent utilisée comme traitement de sauvetage, hors AMM, les succès vont de 12 à 75 %. Les indications sont les infections des tissus mous et les infections intra-abdominales, mais non les pneumopathies. Des réserves sont émises sur sa sécurité et son efficacité : une mortalité plus élevée a été constatée en référence aux AB comparatifs. Son utilisation en association est préconisée avec le monopénème ou la colimycine.Parmi les AB anciens, la colimycine est bactéricide, mais une résistance secondaire apparaît car les bactéries survivantes ont une CMI augmentée et des entérobactéries résistantes sont apparues depuis 2009. En association, de nombreuses syner-gies sont possibles mais la posologie n’est pas parfaitement établie.Au total, les situations d’impasse thérapeutique ne sont pas exception-nelles et on ne peut prévoir la mise à disposition de nouveautés dans un

avenir proche. Il est ainsi indispensa-ble de tester les associations d’AB.

Comment prévenir la dissémination des BMR ?Le dépistage des BMR concerne en France les sujets transférés d’un hôpital étranger et tous ceux qui ont été déjà hospitalisés. Le dépistage de ces BMR est fondamental pour tout malade venant des pays à risques. Les mesures de prévention sont pri-ses à l’admission : connaître l’origine des patients, précautions d’hygiène draconiennes, dépistage des BMR par écouvillonnage rectal, isolation stricte du patient et des sujets contact. Ces BMR ne doivent pas être l’incitation à une escalade thérapeutique. Toute tentative de décontamination est illu-soire et dangereuse. |

JEAN-JACQUES BAUDON

© www.jim.frSourceNordmann P. Quelles actualités sur les BMR

en réanimation ? Gauzit R. Quelles modalités

d’utilisation pour les antibiotiques de recours ?

Rabaud C. Comment prévenir la dissémination

des BMR : les dernières recommandations. Sym-

posium Sanofi-Aventis France : « Quelle réponse

pour les BMR ? », lors des 12es Journées nationa-

les d’infectiologie, Toulouse, 8-10 juin 2011.