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This article was downloaded by: [York University Libraries] On: 19 December 2014, At: 11:46 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Ethnos: Journal of Anthropology Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/retn20 Quelques donnees sur la crosse sacerdotale des Bataks G. L. Tichelman a a Overveen, Nederland Published online: 20 Jul 2010. To cite this article: G. L. Tichelman (1953) Quelques donnees sur la crosse sacerdotale des Bataks, Ethnos: Journal of Anthropology, 18:1-2, 7-20, DOI: 10.1080/00141844.1953.9980759 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/00141844.1953.9980759 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of the Content.

Quelques donnees sur la crosse sacerdotale des Bataks

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This article was downloaded by: [York University Libraries]On: 19 December 2014, At: 11:46Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH,UK

Ethnos: Journal ofAnthropologyPublication details, including instructions forauthors and subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/retn20

Quelques donnees sur la crossesacerdotale des BataksG. L. Tichelman aa Overveen, NederlandPublished online: 20 Jul 2010.

To cite this article: G. L. Tichelman (1953) Quelques donnees sur la crossesacerdotale des Bataks, Ethnos: Journal of Anthropology, 18:1-2, 7-20, DOI:10.1080/00141844.1953.9980759

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Quelques données sur la crossesacerdotale des Bataks

G. L. TICHELMANOverveen, Nederland

Le nom de «bâton magique» appliqué à cet instrument culturalne semble pas tout-à-fait juste: l'objet en question n'est point eneffet, uniquement et en premier lieu, destiné à des buts magiques.Selon le dr. P. Voorhoeve, connaisseur réputé des Bataks, le nomde «vergue ou crosse sacerdotale» lui conviendrait mieux.

Il existe de nombreux exemplaires de cette crosse sacerdotale desBataks (tounggal panalouan). La plupart des Musées ethnologiquesen possèdent quelques-unes. Elles mesurent à peu près i m. 70 delongueur et 5 à 6 cm. d'épaisseur. Leur nom dérive de tounggal(«masculin») et de Panalouan, la racine en est talou, selon Van derTuuk: «être vaincu soit au combat, soit dans un pari, au jeu, dansle commerce, etc.».1 C'est la baguette en forme de lance qui porteen soi la défaite, symbole d'ordre phallique de la puissance mâle et,peut-être, comme telle, porteuse du bien et conjuratrice du mal.Autrefois, ces verges étaient complètement taillées à la main par un

1 En ce qui concerne Mandailing, on trouve dans le lexique de Van der Tuuk,à la suite de tounggal panalouan, l'expression Mandailing-Batak, «toungkotpanalouan djati», non traduite toutefois. Il est probable que l'auteur a eul'intention d'indiquer la dénomination Mandailingue de la crosse magique. Oncherche en vain dans le lexique Angkola et Mandailing-Batak d'Eggink unetraduction de bâton magique. Warneck traduit tounggal panalouan par «Manndurch den man unterliegt» et «Mann der unterliegen macht», ce qui attribue ausujet le caractère de l'imagination d'une personne, de quelque chose de vivant.Selon M. Salomo Pasariboe tounggal panalpuan s'apelle aussi toungkot mpangouloubalang, c'est-à-dire le bâtón de pangouloubalang.

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prêtre magicien (datou), à l'aide d'un simple petit couteau, dans dubois provenant d'un arbre spécial, le piou-piou tanggoulon, poujou-poujou tanggoule ou kajou tanggoulon (protium javanicum Burm.).2

Le tronc de cet arbre est épais, souvent tordu, assez bas et ramifiéà ras du sol, il est couvert de longues épines pointues auxquelles ildoit son autre nom tada-tada: le récalcitrant.3 Le large coeur del'arbre, brun rougeâtre, possède des fibres fines et tordues en cordage.Il peut être sculpté en relief et en creux, il est d'une grande résistanceet les insectes ne l'attaquent point. Aux temps antiques, les crossesauraient été faites aussi avec le bois des poteaux auxquels étaientattachés les condamnés à la torture et à la mort. Le piou-pioutanggoulon donnait de même le bois que l'on brûlait, non fendu,dans l'âtre de la femme en couches, le nourrisson bercé près de cefeu en recevait les chaudes effluves et les propriétés magiques del'arbre.

Les sociétés Bataks sont tout le contraire d'un ensemble homogènequ'unit un étroit contact mutuel. Il se manifeste, en apparence, quantau tounggal panalouan, unité d'interprétation, et cela tant à causede la variété de son exécution par des personnes d'époques et delieux différents éloignés les uns des autres, que par suite des concep-

2 Selon Van der Tuuk: poujou, mamoujou, tordre, retordre une corde. Il estadmissible que le surnom de tanggoulon correspond à tanggoul. Selon Van derTuuk: tanggoel, ce qu'on enroule autour de ses bras, par exemple un vêtementpour amortir les coups. Une note de Winkler qui a eu l'amabilité de me l'envoyerfait remarquer que «houtanggoul bolit na so djadi mahoua» sont les mots aveclesquels le datou se porte garant de ce qu'un pagar réussi a conjuré tout danger.Ensuite, à bolit (Mal.: belit): tiga bolit, une sorte de coiffure masculine en turbanformé de trois bandes enroulées d'étoffe rouge, blanche et bleue (tali-tali). Lesurnom de tanggoulon doit avoir la signification symbolique de garantie, garant,protection dans le danger. Dans Warneck: tanggoule-goule, mélasse. La formetanggoule n'est-elle pas une mutilation basée sur une étymologie populaire Batakerronée?

3 Tada tada concorde avec Van der Tuuk (voir tada II): «le bois de poujou-poujou tanggoule qui sert principalement à faire le poteau d'exécution de quel-qu'un qui doit être mangé, et ensuite le bois du tounggal panalouan»; portada,donner des coups de pied, se battre. Dans Warneck, tada «wiederspenstig»;manada «jemand treten, stossen»; masitadaan «sich befehden». Tada tada signifiepar conséquent à peu près «celui qui oppose la résistance», ce en quoi on peutpenser aux épines, à la dûreté du bois et l'impénétrabilité aux insectes.

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Fig. i . Crosses sacerdotales (tounggal panalouan), ant ique (à droite, I 8 J cm)et moderne (80 cm).

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tions siégeant à la base de l'oeuvre; on ne trouve donc point deuxcrosses sacerdotales complètement semblables. Cela n'empêche toute-fois que l'on puisse constater une unité relative dans cette diversité:la fidélité au type, l'idée-fondamentale dérivée de l'union universellede la vie et de la mort en un formidable ensemble organique.

La plupart des crosses sacerdotales se présentent sous la forme del'amoncellement vertical, s'élargissant quelque peu au sommet, demonstrueuses figures humaines accroupies et debout, et d'animauxgrimpants ou rampants, grouillant pêle-mêle les uns sur les autres,mais qui gardent toujours une certaine régularité dans l'agencementdes données, ce dont résulte un effet plein de style. La ligne en zig-zag que présente le profil de nombreuses crosses sacerdotales, lignequi résulte de la répétition de formes identiques ou de même sorte,peut être considérée comme la représentation d'un éclair plusieursfois brisé. L'éclair qui déchire le firmament et illumine un instantles environs de son effrayante lueur constitue pour le Batak l'ex-pression d'une force maléfique et lui inspire une crainte mortelle.4

Les traités de science divinatoire (poustaha) et les tablettes augurales(batiha) parlent souvent de la foudre dont la vénération se base surune antique croyance indonésienne que l'on rencontre d'ailleurssouvent dans le monde primitif, et selon laquelle le feu du ciel portela fécondité. C'est ainsi que la récolte d'un champ frappé de lafoudre sera particulièrement abondante.

Remarquons ici que tout ce qui tend à imposer du respect chercheà réaliser l'action envisagée selon la ligne perpendiculaire tandis quec'est en verticale que s'exprime l'histoire légendaire.

Toutes les crosses sacerdotales pousaka réellement anciennes quenous connaissons personnellement montrent 7 figures humaines etcelles du serpent, du lézard et du boeuf. Elles sont divisées en deuxparties, supérieure et inférieure; cette dernière est le plus souvent laplus courte; elles sont ouvragées toutes deux et séparées par un espacede 20 cm. environ, dépourvu d'ornements, lequel sert de poignée.

4 Warneck, Tobabataksch-Deutsches Wörterbuch: gana siporhas.

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Fig. 2. Fragment d'une crosse sacerdotale.

Une grande figure masculine occupe le sommet, au dessus d'unefigure féminine plus petite, ce sont les deux principaux personnagesdu drame. La tête des figures humaines est toujours d'une grandeuranormale, caractéristique de tout art primitif parce que la tête estconsidérée comme le siège du pouvoir humain et tout particulièrementdu pouvoir magique. Le sculpteur a souvent rendu à merveillel'affreuse expression fixe, démonique et sardonique des traits duvisage, ce dont la sombre baguette retire un inquiétant mystère. Engénéral, l'art Batak excelle à suggérer ainsi l'idée de la menace; sesaccents nous touchent par leur sombre acuité et la repoussante ex-pression qui contraste si fort avec le caractère affable et charmantde tant d'autres produits de l'art indonésien. L'allure caustique etpossédée, grotesque parfois, de la sculpture des bâtons Bataks etautres objets ethnografiques marche de pair avec une tendance bien

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nette à la schématisation, un besoin de stylisation et de répétitionsystématique.

La tête de l'image supérieure, généralement coiffée d'un casque,est entourée de bandes rouges, bleues et noires qui rappellent unturban (bonang manalou).5 Il s'échappe de ce turban souventvolumineux un gracieux panache de crins et d'élégantes plumes decoq ou bien encore une touffe désordonnée de cheveux. En de trèsrares exceptions, le sommet est constitué par une saillie à la partiesupérieure du casque, dans laquelle sont sculptés des êtres humainset des animaux.

La physionomie des figures humaines sculptées sur les crosses estassez variable. Un type fréquemment observé a le nez droit et fin,des lèvres minces, proéminentes, et souvent marquées d'un rictus,des yeux dont la forme suggère la fixité du regard et un anguleuxmenton agressif.

On déposait dans un creux, au sommet de la tête de la premièrefigure, une bouillie magique (poupouk) préparée avec le cadavred'un enfant assassiné aux fins d'avoir un champion dans le royaumedes esprits (pangouloubalang). Quelquefois, cette bouillie était aussiplacée dans le creux de l'estomac (porateatean) ou bien dans d'autresfigures.6

On remarque généralement parmi les figures de toutes sortes entre-lacées sur la crosse, au côté antérieur, un motif d'animaux dont lagueule béante touche la tête des figures placées au-dessous.

Si ces animaux représentent des singas, êtres fabuleux à l'aspectde buffle qui ornent parfois aussi des façades de maisons du paysdes Toba-Bataks, ils servent de même de monture aux personnagesplacés au dessus d'eux. Dans ce cas, le cavalier tient le plus souvent

5 Dont la racine est talou, de même que l'épithète panalouan. L'action magiquequi s'exprime dans le symbolique du mot, commune aux deux expressions a unesignification essentielle.

6 W. K. H. Ypes note ici: porateatan est: la région hépatique (voir Warneckà ateate). Van der Tuuk traduit ce mot par: coeur, ce qui me semble une erreur.Coeur = poasoa-pousat mot que Van der Tuuk traduit encore par: foie. Je m'entiens à Warneck. Comparez aussi les notes Karo pousouh et ate dans Joustra.Eggink ne donne pas de solution.

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Fig. 3. Fragments d'une crosse sacerdotale.

l'animal par les cornes. Toutefois, la figure humaine peut parfoistenir la queue d'un serpent ou d'un lézard dont la tête pendantetouche la tête d'un être placé au-dessous. On voit de même fréquem-ment un serpent la tête en bas, sortant de la bouche d'une figurehumaine et mordant la queue d'un lézard.

On peut observer en cet ensemble des variations très différentes,quelquefois comiques et portant sur le thème usuel, une rangée detêtes de chevaux par exemple, un entassement de bêtes ressemblantà des chiens, ou une tour formée par des éléphants. Une crossecurieuse, d'époque relativement récente à n'en pas douter et conservéeau Musée de Leiden, montre trois mères portant leurs enfants sur ledos. Sur d'autres crosses, l'extrémité supérieure en cuivre représente

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des êtres humains, ou un cavalier, et l'on en connaît une, unique enson genre, faite en rotan, couverte de textes bataks, formules etdessins cabalistiques (pinarhalak). Dans le bas, la crosse se terminepar une pointe en fer de sorte que si le prêtre la plante dans le solau cours des cérémonies, elle s'y tient droite et vibrante. L'action dufer de cette pointe, refondue et forgée sept fois, passe pour êtremortelle.

On voit parfois une crosse plus petite dont la longueur de quelquesdécimètres ne dépasse pas celle d'une canne, c'est le toungkot malehat(Arabe-malais malaikat, pluriel de malak = ange). On l'appelle le«petit frère du tounggal panalouan». Elle est ornée de sobres sculp-tures et montre généralement à son bout supérieur un personnage,souvent un cavalier, portant devant lui une figure plus petite.

La crosse sacerdotale est la propriété commune d'une tribu oud'une famille, mais non point celle d'une communauté occupant unterritoire déterminé bien que ces deux idées aient été identiquesautrefois. La «pousaka» faisait partie de l'outillage magique, desobjets sacrés (bomitan) appartenant à des communautés généa-logiques plus importantes, il en était de même des divinités donatricesde la vie {debata hidoup); du cheval sacré des dieux (boda midhanou hoda. debata); des fétiches {pangoulouba-lang), constitués à vraidire par un jeune garçon sacrifié après de nombreuses cérémonieset dans la bouche duquel on introduisait à cet effet du plomb enfusion, et, enfin de la terre sainte (porsombaonan).

On peut douter que chaque partie d'une tribu se détachant d'unetribu-souche ait fait ou emporté un tounggal panalouan. Ceci n'eûtété possible que s'il y avait parmi les emigrants une personne aucourant des travaux du datou. Par ailleurs, c'était, au temps antique(le temps «pidari»), une entreprise hasardeuse que de faire un voyageafin de se procurer un peu de bouillie magique pour la fabricationd'un nouveau bâton.

La crosse se conservait dans un lieu réservé au faîte de la demeuredu chef (rouma bolon). La crosse patinée et imprégnée de la fuméede l'âtre est considérée comme authentique et d'âge respectable. En

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Fig. 4. Fragments d'une crosse sacerdotale.

cas de menace de guerre, on construisait pour le datou, avec toutle cérémonial magique requis, un petit édifice provisoire {pantangan)

. dans lequel il avait à faire tout ce qui envisageait le danger de cettemenace. Tant que dure le danger, le datou doit garder cachés dans lepantangan ses ustensils magiques, parmi lesquels naturellement letounggal panalouan.

Le datou qui a taillé une crosse magique reste inconnu, il disparaît,anonyme, dans la nuit du passé, contrairement à ce qui est le casen occident où l'artiste crée de nouvelles normes de par l'expressiontoute individuelle de sa propre émotion et ou, dépassant de loin lesmasses de son époque, il reste souvent incompris de ses contemporains.Si nous, occidentaux, admirons la force plastique qui a su vaincrela dure résistance du bois et donner aux images réunies de la crosse

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la voix qui chante l'hymne profonde d'une sombre et décorativebeauté, sachons bien que pour le primitif ce sentiment d'admirationpour l'art ne saurait aucunement prendre le premier plan. Le primi-tif, en effet, n'a pas cherché à faire un objet d'art comme tel mais àexprimer, suivant une solide tradition, le sentiment de communautési profondément enraciné dans une base religieuse et métaphysique.En d'autres termes, le sculpteur est moins un créateur qu'un organetraduisant sans intérêt personnel les formes et le style qui ont vécudans la communauté et qu'elle se transmet de génération en généra-tion. Et puisque la conception qu'a de l'univers cette communauté,est collective, ses créations sont le bien spirituel du groupe socialdont l'auteur est un élément indétachable, de sorte que sa personnalitése dissimule derrière la forme prescrite. Si l'on admet qu'en générall'image exprime une pensée, la répétition rhytmique de cette penséeproduisant, le plus souvent, un effet remarquable, signifie le re-doublement de son intensité.

Ce n'est pas, en effet, par les qualificatifs «beau» ou «laid» quepeut se traduire l'appréciation du résultat d'une oeuvre de ce genre:ses possibilités d'actions secrète la classent sous les concepts «actif»ou «inactif». Il est donc compréhensible que l'on pense pouvoiraugmenter son activité par la répétition de l'image.

L'individu agissant selon sa propre inspiration, et de son propremouvement, peut attirer une calamité sur le groupe. L'individualismeest considéré comme une défection et comme il est opposé à laconscience du groupe, celui-ci le redoute comme un danger essentielet potentiel. Toutefois, il ne doit point y avoir ici de malentendu,parce que le sculpteur a joui malgré tout d'une certaine liberté. Lacapacité d'invention de son individualisme, tout comme son attache-ment à la tradition et au sens collectif fondé sur la religion et lamétaphysique de la communauté, se font sentir dans son oeuvrecréatrice. On trouve, à la préface des poustahas de livres de magie,l'établissement d'un rapport entre l'implacable tradition (on ma podani datou ... as a ro ma di ho, aie datou na manggourou) et l'autorisa-tion, voire même l'encouragement d'améliorer, de perfectionner la

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Fig. 5. Un datou avec son tounggalpanalouan.

doctrine (ia adong tading sada, langka doua tambai ma, ce qui veutdire: si quelque chose a été omis ou oublié, vous l'ajouterez). Toute-fois, il va sans dire que ces apports ressortissent toujours au cadrede la conception que les Bataks se font de l'univers. C'est ici qu'ilfaut chercher la solution de l'apparente contradiction que l'onconstate dans ce qui précède.

La préparation d'une crosse sacerdotale exigeait beaucoup detemps; elle constituait une oeuvre sacrée effectuée par un individucompétent, soumis à un isolement rigoureux et à l'observance desprescriptions en vigueur. Le prêtre, naturellement au courant desforces et des puissances surnaturelles qui régissent la vie, était ici lapersonne indiquée. Il n'est guère utile de rappeler que cet objet sacréreprésentait une valeur considérable.

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L'introduction du christianisme et la modernisation des Indes fitque le Batak se détacha peu à peu, et complètement, de son antique«adat». Il devint normal selon la norme occidentale; il s'ensuivitque les crosses sacerdotales furent taillées par le premier venu etvendues aux Européens par des marchands d'antiquités ambulantssous le nom de véritables «pousakas». Le prix de vente variaitgénéralement de dixp à trente florins. Des colporteurs les offraientaux étrangers devant les hôtels de Prapat, Kaban Djahé, Brastagi etMédan et même d'Atjeh, tout le long de la côte de Kouala Simpangà Kouta Radja. Beaucoup d'exemplaires fabriqués en série dans destemps récents à l'intention des touristes ont été évidemment inspiréspar des modèles très antiques.

On donne aux nouveaux exemplaires l'aspect vénérable desanciennes crosses que le temps a patinées et sanctifiées, en les ex-posant à d'épaisses fumées, tandis que, par ailleurs, on les enduitde sang et de suie.

Il existe des mythes intéressants sous le rapport des crosses sacerdo-tales des Bataks; tout ce que cet objet contient de condensé et d'indi-visible en tant que symbole par excellence, le sens réel qu'exprimentles figures, la morale de la scène représentée, tout cela, pour le Batak,est contenu dans le mythe.

La vie de l'homme primitif était sujette à de graves secoussesprovoquées par guerres, épidémies, esclavage, exploitation à outrancedes possibilités, et pire encore.

Il ignorait les couleurs estompées, les douces transitions, le passageinsensible d'une teinte vague à une couleur plus vive, et l'Européencultivé peut, en principe, se représenter la scène de l'existence primi-tive sous des couleurs violentes et de durs contrastes nettement tracés.Il est donc fort naturel que ce soit par des excès que nous frappel'imagination du primitif, hantée comme elle l'est par d'angoissanteschimères et une croyance aux démons qui ne laisse point de repos.

L'inceste constitue le point fondamental7 de presque tous les mythes

7 II y a quelques exceptions sans importance. Westenberg donne une versionKaro, dans laquelle il n'est pas question d'inceste, mais d'infidélité conjugale.

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Fig. 6. Le datou exécutant ses actions magiques avec le tounggal panalouan.

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du tounggal panalouan, tout comme il forme d'ailleurs un elementconstant des légendes les plus anciennes marquées d'un caractèreBatak spécifique. S'il ne s'agit parfois que d'une vague allusion àdes rapports incestueux, le plus souvent ils sont mis fortement enavant. De plus, tous les mythes de la crosse sacerdotale traitent unthème commun: celui de la lignification des personnages dramatiques(association psychique: la raideur causée par l'épouvante?) qui suitun cours parallèle à celui du motif de la pétrification en d'autrescontes bataks se rapportant à des lithoplastiques.

Il a été établi un rapport entre la crosse sacerdotale et le «vajra»en forme de croix, l'arme typique du dieu de la foudre et de la pluie,Indra, avec le «dorjé» (noyau) dont se servent les Bouddhistes et lesThibetans du Nord, et avec le «khatwanga», attribut d'Héruha.Cette dernière baguette, composée d'une pyramide de figures parmilesquelles domine la tête humaine, et dont fait usage le rituel Thibé-tain principalement, présente sous plus d'un rapport de la res-semblance avec la crosse Batak, même en ce qui regarde son im-portance magique (Schnitger). La colonne dite céleste des Doulganesde Sibérie est un bâton à sept faces divines (Bergema). Une armechinoise de parade, complètement en fer, est constituée par unecrosse en forme de massue que redoutent les mauvais esprits et surlaquelle on voit différents signes magiques (K. Hagen). Le whaha-papa, bâton généalogique des Ngati-Rangi de la Nouvelle-Zélandeque l'on conserve au British Museum est, quant à sa forme, curieuse-ment conforme au tounggal panalouan. Finalement, on peut luicomparer aussi le tjourounga (touroundja) australien, le bâton quiest le corps mystique de l'ancêtre totémique et par la force duquell'homme peut augmenter la force de son propre corps.

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