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JEAN-BAPTISTE MARCELLESI Quelques problemes de Phegemonie culturelle en France: langue nationale et langues regionales ABSTRACT In a French context the language/dialect opposition cannot be viewed in terms of distinct scientific concepts. The real problems of diglossia-in a broad sense - appear in the opposition between French and regional languages, e.g. Basque, Breton, Catalan, Corsican, Flemish, Occitan and the language of Alsace-Lorraine. Inasmuch as French is a vehicular language spoken by the French as a whole, it is first and foremost a written language, but orally a single written form may vary geographically on a large scale. This normative French is negatively defined by the exclusion of a number of pronunciations, lexemes and syntactic structures. Such an exclusion is based on an ideological which does not mean non-functional aesthetics of the language. In fact the ideology of the culturally dominant social strata has pigeonholed each linguistic system and has justified up to the 1950s the refusal to introduce regional languages into the educational system. As a consequence regional features developed especially from a phonetic point of view as well as in lexical and syntactic matters, while feelings of aliena- tion and linguistic and cultural claims multiplied. A new language policy - limited and sometimes without any practical consequences goes together with a change in the mentalities of the culturally dominant strata, but the necessity for a cultural revolution in this field remains. 1. REMARQUES PRELIMINAIRES Un volume entier ne suffirait sans doute pas a situer vraiment les rapports entre langue standard et langues en situation dialectale en France et les problemes culturels et socio-politiques que ces rapports impliquent. Π est seulement possible dans le cadre du present article de donner un aper^u de la complexite de la situation en avansant, en maniere d'illustration, tel ou tel exemple concret. Pour une prise de contact plus large, le lecteur se reportera aux numeros speciaux de Intl. J. Soc. Lang. 21 (1979), pp. 63-80 Brought to you by | Heinrich Heine Universität Düsseldorf Authenticated | 134.99.128.41 Download Date | 11/8/13 4:30 PM

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J E A N - B A P T I S T E M A R C E L L E S I

Quelques problemes de Phegemonie culturelleen France: langue nationale et langues regionales

ABSTRACT

In a French context the language/dialect opposition cannot be viewed in termsof distinct scientific concepts. The real problems of diglossia-in a broad sense -appear in the opposition between French and regional languages, e.g. Basque,Breton, Catalan, Corsican, Flemish, Occitan and the language of Alsace-Lorraine.Inasmuch as French is a vehicular language spoken by the French as a whole, itis first and foremost a written language, but orally a single written form mayvary geographically on a large scale.

This normative French is negatively defined by the exclusion of a number ofpronunciations, lexemes and syntactic structures. Such an exclusion is based onan ideological — which does not mean non-functional — aesthetics of thelanguage.

In fact the ideology of the culturally dominant social strata has pigeonholedeach linguistic system and has justified up to the 1950s the refusal to introduceregional languages into the educational system.

As a consequence regional features developed especially from a phoneticpoint of view as well as in lexical and syntactic matters, while feelings of aliena-tion and linguistic and cultural claims multiplied. A new language policy -limited and sometimes without any practical consequences — goes together witha change in the mentalities of the culturally dominant strata, but the necessityfor a cultural revolution in this field remains.

1. REMARQUES PRELIMINAIRES

Un volume entier ne suffirait sans doute pas a situer vraiment lesrapports entre langue standard et langues en situation dialectale enFrance et les problemes culturels et socio-politiques que ces rapportsimpliquent. Π est seulement possible dans le cadre du present articlede donner un aper^u de la complexite de la situation en avansant,en maniere d'illustration, tel ou tel exemple concret. Pour une prisede contact plus large, le lecteur se reportera aux numeros speciaux de

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Ethnologie Fran$aise 3/4, 1973 et de Langue Frangaise 25, 1975Venseignement des langues regionales. D'autre part il y a lieu de poserau depart que 1'opposition langue/dialecte ne refere pas a des conceptslinguistiques, mais ä des distinctions ideologiques qui ont sans douteleur importance mais qui dependent de la representation qu'a de larealite la classe culturellement hegemonique laquelle, est-il besoinde le rappeler, ne se confond pas, en tout cas en France, ä l'heureactuelle, avec la classe politiquement dominante. Quand il s'agit dela France toute etude qui se contenterait du cadre offert par 1'opposi-tion langue/dialecte(s) donnerait necessairement une idee fausse dela question. Pour des raisons qui apparaitront par la suite, nous nousplacerons done deliberement hors de cette perspective.

Caracterisons ä grands traits la situation qui existe en France. Sion veut reduire 1'opposition langue vs dialectes ä 1'opposition fran^aisstandard vs variantes locales du fran9ais standard, lalimite est souventvague et incertaine a moins qu'on ne se refdre ä un corpus de juge-ments normatifs, c'est-ä-dire ä la censure que pratique la classelinguistiquement hegemonique (cf. Warnant, 1973). Mais il existeen France, autres que le fransais ou les fran9ais, une bonne demi-douzaine de langues regionales'1 nettement differenciees, nonassimilable ä des varietes geographiques du fran9ais et dont leslocuteurs peuvent utiliser egalement le frangais standard et desfran9ais regionaux qui se developpent de maniere dialectique parl'interaction des langues regionales et du fran9ais standard. En realitela diffusion du fran9ais standard a ete si poussee qu'en pays d'oil2

1'usage coherent des anciens dialectes a ete souvent reduit ä des ilotsde peu d'importance et qu'ailleurs les systemes etaient nettementdifferents de la langue officielle (pays ä langue regionale3) serencontrent les problemes socio-culturels et socio-politiques dediglossie et que ce dernier terme doit etre entendu ici au sens large:pour qu'il s'applique il suffit qu'il y ait usage simultane, dans unecommunaute donnee, de deux systemes linguistiques dont 1'un a unesituation de prestige et de dominance, sans pour autant qu'ils soient,l'un et l'autre, necessairement de la meme famille.

II n'est peut-etre pas inutile dans un premier temps de s'entendresur les termes: nous appellerons 4fran9ais institutionnel'4 le Systemelinguistique qui seit de vehiculaire dans tout l'hexagone et dont laforme de reference est essentiellement ecrite. Prone par 1'ecole,diffuse par les media, ce fran9ais est assez remarquablement unifie,pratique de maniere identique partout, sans distinction geographique,a Vecrit, par ceux qui ecrivent. On peut ajouter que la puissanced'expansion de ce fran9ais ecrit a ete assez grande puisqu'il a pu,

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hors des frontieres de l'etat et de la colonisation frangaise, s'imposercomme forme de deference au Quebec, en Belgique, en Suisse fran-gaise etc. au detriment des systemes linguistiques locaux. Mais qu'ilsoit unifie n'implique pas necessairement qu'il soit commun, c'est-a-dire susceptible d'etre ecrit par tous et parle de la meme maniere:d'un cote, comme partout, la pratique ecrite reguliere de la languen'est pas si frequente que cela; d'autre part les chaines parlees parlesquelles on realise ce frangais ä l'oral peuvent differer d'une regionä l'autre, nous y reviendrons (differences phonetiques, accentuelles,phonologiques) comme 1'ont montre divers travaux (Seguy, 1951;Tabouret-Keller, 1959; Philipp, 1965; Simon, 1969; Bourcelot,1973; Carton, 1973; Francois, 1973 et 1974;Lanly, 1973;Taverdet,1973). Par rapport ä ce frangais institutional, il faut distinguer lessituations de diglossie ou de bilinguisme franco-bretonne, franco-basque franco-alsacienne, franco-flamande, franco-catalane, franco-corse, enfin franco-occitane dans toute la partie meridionale dudomaine gallo-roman. Du point de vue sociolinguistique, ce dernierse trouve done divise en deux zones5: les anciens pays d'ofl ou lesformes locales continuant tel ou tel trait des anciens dialectesapparaissent comme des varietes locales par rapport au frangaisinstitutionnel, et les anciens pays d'oc ou existe une revendicationd'identite linguistique culturelle (cf. Lafont, 1975) analogue ä cellequi se developpe dans les pays de langue autochtone6 non gallo-romane (euro-caucasienne pour le basque, indo-europeennes pour lesautres: celtique pour le breton, germanique en Alsace et aussi enFlandre frangaise, italo-roman pour le Catalan du Roussillon, ibero-roman pour le corse).

2. LE FRANgAIS INSTITUTIONNEL ET LA VARIATION REGIONALE

Le frangais institutionnel ne peut se definir que par la censure d'uncertain nombre de pronunciations, de lexemes, de constructionsclasses comme 'provinciaux' ou 'regionaux' s'ils n'apparaissent pasdans 1'usage parisien comme populaires s'us apparaissent aussi dans1'usage parisien. D'une maniere ou d'une autre ce sont la des ecartspar rapport ä une langue consideree comme moyenne ou neutralisee(cf. Dubois, 1965). II importe peu ici de montrer le caractdrearbitrake, l'illogisme des actes de censure: on doit admettre le carac-tere ideologique des jugements de censure linguistique qui cherchentdans leur existence meme leur propre justification. On pourrait sansdoute montrer que 'les traits regionaux' (formulation que L. Warnant

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(1973) prefere ä 'fran9ais regionaux') peuvent dans certains casetre la pratique courante de la majorite des Fran9ais: on ne les auraitpas pour autant constitues en norme. Disons que les 'traitsregionaux' du fransais de Belgique comme nonante, septante, avoirbon, avoir difficile de, assez grand que pour, assez bien de, les ceuxqui, ne pouvoir mal de enumeres par L. Warnant (1973) ou ceux dufrangais de Picardie comme savoir 'pouvoir \pour mo i aller 'pour quej'aille' sont regionaux parce que On' (designation ici de l'ideologiela plus couramment admise) les considere et exceptionnellement lesutilise comme etant 'regionaux'. Pour quitter ce Statut il faut qu'ilsacquierent une frequence süffisante chez des locuteurs d'autresregions (et notamment de la region parisienne) sans reference par-ticuUere ä la region d'origine.

Cette circularite de l'auto-justification du fran^ais institutionnelest parfois utilisee pour le mettre en cause, par une sorte de realismenaif au nom duquel on lui demande de trouver des raisons de säpreeminence ailleurs que dans l'ideologie ou d'y renoncer. Cettecritique se developpe selon deux axes: on critique le fran9ais institu-tionnel parce qu'il est langue ecrite et on lui oppose ce qui serait lalangue naturelle, 'le fran9ais parle'; ou bien on oppose ä ce fran9aiscentral, le frangais des regions et les langues regionales. Avec debouchesur deux themes: celui du frangais institutionnel langue de classe etcelui du fran9ais institutionnel langue colonisatrice. Ces deux posi-tions bien qu'on les trouve implicites ou explicites chez les memesauteurs (Balibar et Laporte, 1974 qui pourtant condamne les thesesde Marr; Bourdieu et Boltanski, 1975) sont finalement contradic-toires, puisque discuter d'un 'frangais parle' qu'il faudrait substituer,dans l'enseignement, ä l'usage du fran9ais ecrit c'est encore nier ladiversite geographique des 'fran9ais paries', ou bien accepter degaite de coeur la disparition de l'enseignement du vehiculaire.

L'attitude des divers appareils educatifs en face des traits regionauxvarie selon le niveau linguistique du phenomene, selon les epoques,selon les circonstances. Contrairement ä une opinion assez repandueles regionalismes linguistiques en France ne sont plus en tant quetels causes importantes d'echec7. C'est en tant que marqueurssociaux (et non geographiques) qu'ils sont censures (cf. Lafont,1975). C'est ainsi que le langage joue le role important qu'on lui areconnu avec P. Bourdieu dans les mocanismes de selection: 1'elevequi comprend mal apprend mal et l'eleve qui parle mal (le meme)est sanctionne parce qu'il parle mal. Mais le temps ou les instructionsofficielles recommandaient de desapprendre aux enfants les formeslocales (cf. Marchand, 1971) et les langues regionales (cf. LeMenn,

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1975) est revolu. y a eu une epoque ou on refusait aux concoursde recrutement, ä 1'oial, un candidat en lui declarant qu'il avaitun 'accent' qui ferait rire les eleves. AujourdTiui, il n'en va plusainsi, meme si la prononciation standard se trouve socialementvalorisee: Assez curieusement c'est le plan de renovation del'enseignement du franQais — dit plan Rouchette — qui a suscite biendes inquietudes chez les regionalistes en insistant sur Funification dela prononciation. En revanche le rapport du concours de C.A.P.E.S.1976, pour le recrutement des professeurs des colleges indique quepour la transcription de sommeil, on 'tolere', ä cöte de [sDmej], laVariante regionale' [somej] alors que [someX] - prononciationencore vivante dans le midi et en Corse, est admise 'a condition depreciser que cette prononciation etait encore entendue au XVIIesiecle'. Enfin dans curieux [R] et [r] sont admis Tun et l'autre.Au niveau du lexique la situation est difficile ä apprecier puisque lesregionalismes seront surtout des termes concrets qui pourront etretaxes de 'pittoresques'. C'est sans doute au niveau de la syntaxe quele trait regional apparait le plus facilement comme 'incorrect' etson utilisateur comme 'parlant mal' 'le fran^ais'. On peut notertoutefois que les rapports du concours d'agregation, hauts-lieux del'elitisme satisfait et beat8, ne contiennent pas dans les listes d'in-corrections relevees chez des candidate des prononciations ou destours syntaxiques regionaux (le probleme se pose encore moins pourle lexique) alors que les prononciations parisiennes [aRtis] pourartiste [aRtist], [not] pournotre [notR] sont taxees de vulgarismeset provoquent une censure severe.

La encore rien n'interdit de penser qu'au niveau des comporte-ments individuels, qu'au niveau des motivations inconscientes, larealite est moins simple, mais de toute maniere le fait que les'traits regionaux' ne soient pas mis ä l'index dans les rapports, quesur ce point les universitaires qui font passer les epreuves ne veuillentpas etre en contradiction avec le programme de la Pleiade, n'est passans consequence et fait signe ä sä maniere, d'autant plus que pourrecruter les enseignants de langues etrangeres, il n'en va pas de meme.

En realite a ce niveau l'importance des regionalismes se trouvetres reduite. Les mecanismes de la selection sur des bases — enderniere instance — sociales a dejä elimine des l'ecole primaire oule premier cycle du second degre ceux qui avaient le fra^ais le plustype regionalement: parce que la societe qui ne reussissait pas ä leurdonner la maitrise du frangais institutionnel ne reussisait pas plus äleur fake dominer les autres disciplines, rendant ainsi egalementvain le programme - genereux certes - des educateurs qui revent de

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supprimer les inegalites sociales entre petits frangais en rapprochantla langue enseignee de la 'langue parlee'. Pour le maitre toutefoisnous allons le voir l'ignorance des 'regionalismes' du fransais peutetre parfois un lourd handicap dans la pratique enseignante.

3. QUELQUES TRAITS REGIONAUX'

Pour ce qui est de la phonetique on a reconnu depuis longtempsl'existence de differences. On peut montrer qu'il y a de ce pointde vue un fran9ais d'Alsace (Philipp, 1965; Matzen, 1973), unfran9ais meridional caracterise notamment par les enormes differ-ences de cadence et de phonetisme impliquees par le maintien dansla prononciation courante du e dit muet ou caduc [0] (Mazel, 1975),et qui ne vont pas sans inconvenients considerables quand le maitreenseigne le fran9ais institutionnel sans avoir re9u la formationlinguistique indispensable. Mais meme dans des regions comme laNormandie les choses ne sont pas simples: on enseigne partout enFrance que I'opposition phonetique de longueur entre le masculindes adjectifs et participes passes ä terminaison vocalique et lefeminin ou le pluriel n'existe plus en fran9ais. Une enquete a conduitR. Lepelley (1975) a conclure qu'en Normandie cette 'affirmationest tres discutable en ce qui concerne le nombre et irrecevable en cequi concerne le genre'.

'Lorsqu'on affirme aux etudiants bas-normands de l'Universite deCaen que le fran9ais central ne fait aucune difference entre chante etchantee, entre jott et jolis, ils sont d'abord tres surpris. Us ont ensuitel'une des deux reactions suivantes: ou bien ils se sentent coupables demal parier le fran9ais, ou bien ils refusent categoriquement (ä justetitre, nous semble-t-il) de se voir imposer par Paris une prononciationuniforme qui neglige des oppositions particulierement utiles ä lacomprehension des enonces. Quoi qu'il en soit, il nous parait indis-pensable que les instituteurs et les professeurs qui enseignent enBasse-Normandie, surtout ceux qui enseignent le fran9ais, connaissentl'existence du phenomene analyse dans la presente etude. Si, faisantfaire une dictee, un maitre lit "les chansons que vous avez chantees"en pronon9ant un /e/ bref et ferme ä la finale du participe passe,il engagera certains de ses eleves ä ecrire "les chansons que vous avezchante" nom chantees. Le meme probleme se pose lorsqu'il s'agitd'ecrire le fran9ais selon une notation phonologique. Faute deconnaitre le phenomene, on court le risque de ne pas se fakecomprendre.'

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Plus etonnant encore:L'une des moindres surprises de la geolinguistique n'a pas ete la

decouverte faite par M.-R. Simoni (1973) dans le cadre des enquetespour l'Atlas de Vile de France et de l'Orleanais: ä la limite des grandsensembles qui entourent la capitale on pratique encore ä cote dufransais institutionnel des systemes locaux relativement bien vivants.Et ce que les temoins croient etre le fran9ais institutionnel en estbien affecte; citons A. Lerond, (1975:6) Oans une region tradi-tionnellement regardee comme le berceau du frangais, dans laquelleon se s'attend guere ä trouver d'ecart par rapport ä la "normeparisienne", l'enqueteur et le temoin — croyant pourtant parier lameme langue — engagent quelquefois un dialogue de sourds. A peinefranchies les portes de Paris, la conversation se charge d'ambiguites etde "bruits" ... les serpents n'existent pas en De de France ... Cesanimaux vivent au-delä des mers, dans des pays tres chauds, les seulsophidiens connus des paysans sont les viperes et les couleuvres.9Comment s'etonner des lors de l'importance des differences avecle frangais regional de Belgique que souligne L. Warnant (1973)? Ontire generalement de cette situation la conclusion que le frangaisinstitutionnel est 'artificiel', qu'il n'est parle nulle part, ou ä Parisseulement, ou par les enseignants seulement; qu'il faudrait le definira partir des fran9ais regionaux en s'appuyant sur la plus ou moinsgrande pertinence linguistique (Warnant, 1973), ou meme en faisantappel ä des donnees statistiques. C'est oublier, croyons-nous, au nomdu realisme de la langue le caractere ideologique — mais necessaire-ment ideologique — des jugements qu'on porte sur la langue qu'ilfaut parier.

C'est pourquoi la seule possibilite de definir la norme du frangaisc'est la designation exacte de la pratique linguistique prise commereference, comme le fait J. Dubois (1965). Faute en effet de tenircompte de jugement qui pour les locuteurs consiste ä dire 'ceci c'estdu dialecte' et 'ceci est du bon fran9ais', aucune distinction n'estpossible. Quand J. Ross (1976) ecrit que 'pour que le Statut de"langue" soit accorde, il faut que le repertoire linguistique enquestion soit capable de remplir toutes les fonctions communicativesde tous les membres de la societe correspondante', il neglige un aspectessentiel: nous disons que le 'patoisant' utilise le dialecte pourparlerdes travaux de la ferme et le fran9ais institutionnel pour discuter depolitique, parce que, implicitement, nous posons que tout ce qui estcommun, n'est que du standard.

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4. LES LANGUES REGIONALES DE FRANCE

La liste des 'langues regionales' de France doit elle-meme etre con-sideree comme fondee sur l'etat des revendications et de leur accep-tabilite par les couches culturellement hegemoniques; qu'il n'y aitplus actuellement dans la liste qu'occitan pour auvergnat, provengal,languedocien, etc., qu'il n'y ait qu'un corse au lieu de corseseptentrional et corso-gallurais, qu'il n'y ait pas (pas encore?)lefranco-provengal ou meme les formes d'ofl picard ou wallon est unelement de la representation — actuelle — qui s'impose dans cescouches culturellement hegemoniques et qui est admise — du faitdes lüttes diverses — par l'etat.

La culture hegemonique en France est caracteriseeparl'importancede la dichotomic

, patoislangue vs. *dialecteet par l'usage qui en a ete et qui en est encore fait. Jusqu'au milieudu XXe s. les couches culturellement hegemoniques ont reserve leterme de langue au fran9ais institutionnel et tous les autres systemesse sont vu conferer de ce fait, par l'ideologie dominante, c'est-ä-dirependant longtemps par la grande majorite qu'elle influence, ladenomination de dialecte ou de patois. L'ignorance linguistiqueaidant, les masses ont meme eu tendance a surencherir dans cedomaine et ä croire que toutes les langues regionales, malgre parfoisleur grand eloignement structurel et genetique du fransais n'etaientque des 'patois' de celui-ci. L'ideologie dominante refletait ainsi enmeme temps qu'elle justifiait et consolidait la politique d'uniformisa-tion et d'homogeneisation linguistiques et le refus de toutenseignement de (et en) langue regionale. On a mis souvent l'accent(Balibar et Laporte, 1974) sur le fait que la francisation etruniformisation linguistique servaient les interets de la bourgeoisiedans la mesure oü elles accompagnaient la politique de suppressiondes barrieres commerciales interieures. II faut toutefois comprendreque cette politique servait egalement - contradictoirement - äl'epoque du developpement industriel — le mouvement ouvrier.Aussi la revolution fran9aise apres toutes sortes de flottements apratique, ä partir de 1792, une politique de francisation linguistiquesystematique en lui ajoutant la pratique de la traduction des texteset decrets revolutionnaires. Cette politique s'est trouvde renforceeet justifiee aux yeux des revolutionnaires par le fait que les pays älangues regionales ont ete aussi les pays oü la contre-revolution s'esttrouvee tres forte. L'illustration officielle de cette politique a ete le

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rapport Gregoire (Giacomo, 1975). Pendant tout le XIXe siecle,cette politique a trouve son illustration dans la pratique enseignante.Sous le poids de leur conviction intime et des instructions officiellesles instituteurs ont condamne et vise ä interdire 1'usage par lesenfants de toute langue locale denoncee, quelle qu'elle füt, commepatois. Corollaire de cette politique: les 'fautes de fransais' les pluspourchassees etaient les regionalismes.

Le symbole de cette politique a ete la pratique du signum. Unobjet quelconque souvent vache ou sabot — pour denoncer le carac-tere 'rural' de l'acte - etait impose ä l'enfant qui dans la cour parexemple utilisait la langue locale le premier. Et l'objet passait decontrevenant en contrevenant pour valoir une punition au dernier,en fin de semaine. L'auteur du present article, a connu commesignum une 'büchette' ä l'ecole du hameau de Purgo, dans le sud dela Corse, juste avant la guerre de 1939.

Mais l'efficacite douteuse du procede — celui qui avait la büchetteavait tout interet ä faire parier notre corso-gallurais — s'accompagnaitde 1'intime conviction chez les maitres, chez les eleves et chez lesparents de l'utilite de la contrainte: meme chez eux, enfants etparfois parents s'astreignaient ä ne parier que la langue nationale,souvent mal maitrisee par les premiers et encore plus par les seconds.D'ou la naissance des fransais regionaux. De toute maniere unepolitique globale a tendu ä restreindre le plus possible l'utilisation deslangues regionales et les instructions officielles de 1923 (cf.Marchand, 1971) denoncent aux instituteurs les defauts des enfantsdont le vocabulaire appartient 'ä l'argot du quartier', 'au patois duvillage', 'au dialecte de la Province' au lieu d'etre 'celui de la languede Racine et de Voltaire'. Les Instructions officielles de 1938 nereaffirmen t pas cette Strategie qui pourtant continuera longtempsencore a etre appliquee.

La rupture officielle est constituee par la loi sur les langues etdialectes locaux dite loi Deixonne (du nom du depute qui fut lerapporteur au parlement) cf. J.O. du 11 Janvier 1951 avec extensionau corse par decret du 16 Janvier 1974 (cf. Giacomo, 1975;Gardin, 1975).

Cette loi prevoit des epreuves de basque, breton, Catalan et occitanau baccalaureat et organise avec des restrictions qu'aggraveront lescirculates d'application un enseignement. C'est encore dans le cadrede cette loi que se fait l'enseignement des langues regionales dontnous pourrons esquisser la situation.

Ces dispositions ont ete insuffisantes et depuis lors une vingtainede projets de lois sur la question ont ete deposes et jamais discutes.

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II n'en reste pas moins vrai qu'elles doivent etre analysees enfaisant litiere d'un certain nombre de prejuges. On accuse tressouvent en France la politique linguistique d'avoir ete de tout tempset uniformemenj: 'jacobine', negatrice des langues regionales. Et onchante volontiers ä 1'envie la generosite de tel ou tel autre pays quireconnait les langues des minorites nationales. En realite les chosesne sont pas si simples et pour comprendre la situation des languesregionales de France il faut d'abord localiser les couches linguistique-ment hegemoniques.

En 1951 pour chacune des sept langues regionales la situationetait en gros la suivante. Les couches qui avec bien des disaccordsdefinissent le breton et l'occitan se trouvent en France meme. Lesgroupes de prestige du basque et du Catalan se trouvent en Espagnemais s'ils sont hegemoniques par rapport aux Basques et auxCatalans de France, us se trouvent eux-memes en position domineeen Espagne. Pour les langues regionales de la Flandre frangaise, de

Alsace et de la Lorraine thioise la reference culturelle majoritaire,pour la langue regionale, se fait aux langues nationales de paysetrangers (neerlandais dans un cas, allemand dans 1'autre). Enfin lalangue regionale en Corse, se trouvait consideree avant guerre, puispar la loi Deixonne, comme un dialecte de l'italien. Assez curieuse-ment, contrairement ä bien des idees precon?ues, la solution adopteepar la loi Deixonne est la moins jacobine meme si eile est la plusnationaliste. En effet d'autres etats ont concede ä la meme epoquebon gre mal gre la possibilite d'un certain bilinguisme aux minoritesde langues etrangeres mais ont refuse 1'autonomie aux systernesproches parents de la langue d'etat (L'ltalie a accepte un certainbilinguisme au Val d'Aoste ou au Sud Tyrol mais a rejetel'enseignement du Sarde); au contraire par la loi de 1951 la France arejete les irredentismes linguistiques en considerant que leneerlandais, l'allemand et l'italien etaient enseignes en tant quelangues etrangeres et n'avaient pas ä etre enseignees en tant quelangues regionales — attitude nationaliste — a accepte le principe del'enseignement du basque et du Catalan (langues ä reference extra-nationale non hegemoniques ä l'etranger si Ton fait abstraction del'etat d'Andorre dont la langue officielle est le Catalan), du bretonet aussi de l'occitan, l'autre grande langue romane dont pourtantla reconnaissance et le developpement pouvait paraitre menacerconsiderablement l'unite linguistique.

En rupture avec son rattachement ä l'italien, avec l'irredentismelinguistique analyse ou senti comme porteur de l'irredentismepolitique, le corse est proclame et reconnu actuellement langue

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regionale. II faut chercher dans le temps, dans Tespace et dans lemarche du travail, dans la geographic, dans l'histoire et 1'economie,les raisons qui peuvent expliquer que cette voie diverge de celle quiest suivie en Alsace et en Flandre. En tout cas le refus des Corsessoutenu par leurs actions d'accepter toute reference ä l'italien (memesi de-ci, de-lä, les discussions sur l'orthographe laissent deviner desadherences (cf. Ettori, 1975; Marcellesi, 1975:8) s'est accompagnede la loi Deixonne ä Tile.

Des problemes considerables restent ä regier pour mettre d'accordtous ceux qui sont favorables a l'enseignement des langues regionales.Les maitres doivent-us etre formes regionalement? Les avantages quecela presente pour la maitrise de la langue regionale sont compensespar les risques de repliement sur soi, de limitation des idees, de 'guerrelinguistique'. En outre certaines des communautes linguistiques sontde veritables diasporas (Corses, Bretons), ce qui a pour consequenceque la revendication de l'enseignement des langues regionales estvalable partout.

Discussions et lüttes aussi autour de Fobligation ou de la non-obligation. D'un cote on avance que la sauvegarde des languesregionales exige I'officialisation de cefles-ci, destinee ä mettre fin ä1'insecurite linguistique. Mais d'un autre cote on insiste sur lesdangers de l'obligation qui pour compenser la violence passee yrepondrait, notamment en milieu urbain, par une Violence inverse',generatrice de phenomenes de rejet. Finalement la seule obligationsur laquelle on soit d'accord, c'est celle qui incomberait ä 1'etat dontOn attend qu'il fournisse l'enseignement de la langue regionale toutesles fois qu'il est demande, meme en dehor de la region d'origine, parun nombre determine de personnes. (Marcellesi, 1975:127). Problemesegalement que celui de l'extension: la langue regionale doit-elleuniquement etre enseignee ou etre utilisee egalement pour d'autresdisciplines. Enfin on se demande si cet enseignement doit commencerä la maternelle au risque de constituer une source de segregation ouun handicap pour la maitrise de la langue nationale. Voilä les princi-pales questions qui sont debattues dans les milieux s'interessantä l'enseignement des langues regionales de France.

L'ensemble des constatations que nous faisions il y a quatre ans(Marcellesi, 1975:125) ne se modifie que lentement, surtout äl'initiative d'actions militantes. A l'ecole primaire, d'une manieregenerate, il n'y avait pratiquement aucun enseignementofficiellement organise des langues regionales, serait-ce des plusfavorisees d'entre elles, alors que les experiences de bilinguismefransais-langues etrangeres n'ont pas manque. L'Alsace etait une

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exception mais parce que c'est Fallemand, langue etrangere, qui esten cause sur ce plan. Le premier cycle du second degre, les lyceesagricoles et techniques, les colleges d'enseignement techniquescommencent ä peine ä etre mieux lotis. Seuls les etablissements dusecond cycle long et aussi les Ecoles Normales d'Instituteurs organi-sent des cours de langue regionale dans la mesure ou celle-ci donnelieu ä une epreuve facultative au baccalaureat. Seul 1'enseignementsuperieur, surtout au niveau de la recherche (maitrise, thdses de Hiecycle, theses d'Etat) fait sa part ä la langue regionale; cette situationdejä ancienne a ete considerablement amelioree depuis 1968. Mais iln'y a pas de diplomes nationaux, (licence, maitrise) ou des concoursde recrutement qualifiant pour enseigner la langue regionale. Ce quia pour consequence que ces cours ne peuvent etre dispenses que pardes maftres auxiliaires, ou des enseignants titulaires d'une autrediscipline acceptant de faire des heures supplementaires.

Aussi cet enseignement dans les etablissements publics, estdispense souvent par des personnes volontaires, enthousiastes maisqui y reproduisent, faute de formation scientifique, les pires erreurs.II y a en outre tout un enseignement parallele relativement importantqui offre, beaucoup plus marques, les memes inconvenients.

5. LES DIGLOSSIES EN FRANCE

La situation culturelle des diglossiques est souvent presentee entermes d'alienation. Majoritairement les locuteurs (cf. Lafont, 1975)et les femmes plus que les hommes se sentent culpabilises des qu'ilsparlent la langue regionale: ils utilisent le fransais d£s qu'ils sont enpresence d'un etranger, meme si celui-ci a pris l'initiative de parierla langue regionale. Quand on sollicite un jugement de valeur sur lalangue regionale, les usagers de celle-ci, generalement, ont tendanceä la sous-estimer. Les arguments explicites portent sur son incapaciteconsideree comme congenitale ä servir dans I'administration, dans lavie publique, pour l'expression des idees, ou bien ä avoir une ortho-graphe et une certaine unite dans 1'usage. Ces jugements s'accom-pagnent d'une surestimation de l'unite, voire de l'uniformite, dufrangais. Cette depreciation ne va pas toutefois sans le sentimentd'une unite profonde de la langue regionale: parfois la communautede destin fait faire la synthese de ce qui linguistiquement pouvaitapparaitre comme divers (par ex. sentiment de l'unite du corsemalgre 1'existence d'une opposition Nord/Sud).

Ce sentiment s'accompagne de l'opinion que les locuteurs ont de

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ne pas parier le 'vrai corse', le 'vrai breton', qui est generalementrefere geographiquement ä un aüleurs indefinissable. Comme le ditLafont (1975) 'la localisation de cette "langue" est parfaitementfantaisiste ... et varie selon les accidents biographiques (contact avecun parier qui a plu, qui a semble "elegant", lecture d'un ecrivain detel ou tel lieu).'

Cette situation toutefois est en train de se modifier. Paradoxale-ment c'est sans doute le developpement de l'instruction et 1'elevationdu niveau culturel general intervenant dans la crise generate quiconduit les utilisateurs des langues regionales ä se chercher uneidentite culturelle ethnique, ä approfondir la dialectique de l'unitenationale et des traits particuliers aux langues et cultures regionales.Parfois toutefois la recherche de cette identite aboutit ä desphenomenes de reproduction par lesquels on remodele la langueregionale ä l'image de la langue nationale. Nous avons montre ailleurs(Marcellesi, 1975:8-10) comment cette tendance ä la reproduc-tion pouvait etre saisie au niveau de l'orthographe et du refus de ladifference que nous appellerons intra-ethnique. Au plan de 1'ortho-graphe cette tendance est tres nette pour le corse. Elle est moinsmarquee pour 1'occitan (cf. Giordan, 1975).

Cette situation a aussi pour consequence dans certains milieux lasurvalorisation de la langue regionale presentee comme naturelle paropposition au caractdre artificiel prete au fransais — c'est Fideologiede la compensation — d'oü le conservatisme etroit, le refus de touteinnovation, de toute adaptation. Cette recherche de compensationfait naitre un front ideologique de propositions comme 'le frangaisne peut pas exprimer cela, alors que le corse (ou le breton) le peut'.Ce trait de comportement rejoint d'un cote oppose l'illusion de ceuxqui, entre autres pour se justifier ä eux-memes leur pratiquepedagogique, ont tendu ä minimiser le role et la legitimite de lalangue regionale en reprenant ou en retrouvant les positions desInstructions de 1923.

Le refus de la difference, constante de la planification linguistiqueproduit, devant la variation linguistique, un raidissement dont onconnait les causes sociales (cf. Marcellesi et Gardin, 1974:204): telediteur de la Corse septentrionale, au nom des bienseances et du beauparier, 'corrige' les formes sudistes contenues dans les manuscritsqu'il regoit. Les lettres en Flandre ont choisi . . . au detrimentdes formes locales du Westhock; en Alsace on s'occupe du Hoch-deutsch au detriment du francique et de Talemanique (Hug, 1975);on unifie le basque (Haritschelhar, 1975), on generalise le Cataland'Espagne (Bernardo, 1975), dans les deux cas au detriment des

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formes locales de France; tout cela n'est evidemment pas innocent,pas plus que ne sont innocentes les unifications projetees du bretonet de l'occitan (notons toutefois que dans ce dernier cas, le reved'uniformisation est tres minoritaire cf. Giordan, 1975). C'est encoreune maniere de pratiquer une politique alienante pour les utilisateursdes formes rejetees. C'est reproduire au niveau de la langue regionale1'ideologie uniformisatrice. C'est finalement pratiquer soi-meme cecontre quoi on a pretendu s'elever. C'est pour eviter ces palinodiesque certains defenseurs des langues regionales proclament la necessited'un nouveau front culturel (Giordan, 1975) ou d'une revolutionculturelle democratique (Giacomo, 1975) seuls susceptibles de faireaux langues regionales et ä la langue nationale leur juste part.

Ainsi le probleme franfais/langues regionales se pose dans unenation, qui tres diversifiee du point de vue linguistique a I'origine, ageneralise une langue unique, seule officielle, dans toutes les regions.Pour atteindre ä la communaute de langue, la classe dominante avolontairement ignore la richesse linguistique du pays, ce qui a eupour effet la complexite et l'ünportance des situations de diglossie.Le developpement de la crise generate s'accompagne ici de larecherche d'identites culturelles et d'enracinements soit dans le passesoit dans une politique culturelle d'un type nouveau.

Universite de RouenFrance

NOTES

1. 'langues regionales' doit etre entendu guillemete et employe comme un termecommode mais discutable et discute. On admettra assez facilement 'langue'au sens saussurien du terme; par 'langue regionale* on entendra 'langue re£uesur une partie geographiquement definie de la France, etant admis que lefransais est la langue commune ou vehiculaire sur toute l'etendue nationale'(cf. Marcellesi 1975, pp. 6 et 7 ou nous nous sommes explique longuementsur cette denomination.)

2. Les dialectes d'oil, plus proches parents du francien, sont paries presqueuniquement en zone rurale desormais dans la moitie nord de la France - misea part la Bretagne, Alsace et la Lorraine thioise, la Flandre fran9aise — maisaussi en Belgique francophone.

3. Les 'pays a langues regionales' doivent etre definis selon le niveau actuel derevendication (Marcellesi 1975, p. 7) et non dans 1'absolu: ce sont done laBretagne, le pays basque fran9ais, le Roussillon (catalan), la Corse, tout lemidi de la France (sauf pays basque et Roussillon) ou 'pays d'oc', Alsace etla Lorraine thioise, la Flandre franpaise entre Dunkerque et la frontiere beige.

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4. Balibar et Laporte parlent de 'frahgais national'. Cette denomination estemployee assez couramment aujourd'hui avec une reference approbative,explicite ou implicate, a leur these selon laquelle *le franpais national' est lalangue de la bourgeoisie dominante. La denomination que nous proposons,celle de 'fransais institutionner est liee a notre these selon laquelle la selec-tion des variantes ne trouve pas ses criteres ailleurs que dans 1'ideologie elle-meme liee non pas directement a la domination mais a Thegemonie d'ungroupe social. On constatera assez facilement en France qu'il n'y a pas du pointde vue de la langue coincidence exacte ou meme approximative entre laclasse dominante (c'est-a-dire la couche monopolistique) et les groupes quiont I'hegemonie dans le domaine de la definition, de l'utilisation et de lacensure de la langue (c'est-a-dire les couches intellectuelles). L'importance de1'intersection entre un groupe et 1'autre a varie en France selon les epoques;son existence est liee a la fonction de 1'hegemonie qui tend a favoriser lareproduction des rapports de production.

5. On s'etonnera sans doute de ne pas voir figurer ici le troisieme ensemblelinguistique gallo-roman, 'le franco-proven qaT. C'est que (cf. note 3 ci-dessus)il n'y a pas de revendication importante en faveur du franco-provencal quipartage done sur ce point le sort des anciens dialectes d'o'il.

6. L'autochtonie doit etre entendue comme dans Marcellesi 1975 p. 6: 'le motrefere ainsi au fait que lors de la constitution des nations modernes, a la findu Moyen Age, ces langues etaient parlees, en gros, dans leur ressort actuel:mais il suffirait de referer 1'autochtonie a un ou deux siecles avant notre erepour constater qu'une seule (le basque), parmi les langues actuelles, franqaiscompris, serait autochtone.'

7. Le fait que le franpais enseigne est, par rapport aux couches populaires, un'franqais de nulle part', pas plus de Paris que d'ailleurs, tend finalement amettre a egalite de difficult es tous les enfants, quelle que soit leur originegeographique.

8. Le plus bei exemple de cet elitism e est le n° de septembre 1971 de la treshonorable Revue des Deux Mondes; des universitaires y denoncent la 'grandecoalition' contre la langue franqaise mise de ce fait 'en peril', 'en desherence'par les enseignants novateurs atteints de 'pedagogite'. On peut jaugerle poidssociologique de ces croises en constatant qu'ils ont pu bloquer au plus hautniveau la renovation de Fenseignement du franqais.

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