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Échanges 226 Ethique & Santé 2004; 1: 226-230 • © Masson, Paris, 2004 Toutes vos analyses et commentaires de livres, de revues, de sites Internet ou d’autres médias, peuvent être adressées à Florence Quinche : [email protected] Échanges LU, VU, ENTENDU Quelques publications Le raisonnement médical, une approche socio-cognitive A.V. Cicourel Seuil, collection Liber, 2002, 235 p. Ce recueil de textes, rassemble des articles classiques des années 70 à 90 de la sociolinguistique appliquée au champ médical. Cicourel, professeur de sciences cognitives, sociologie et pédiatrie est un des pionniers de ce type de recherches sur le discours en médecine. Les méthodes employées sont proches de l’éthnométhodologie, dans la lignée des recherches d’E. Goffman. L’originalité de ces études consistant en l’analyse de situations concrètes de communication, aussi bien des dialogues entre médecins et patients, que dans les groupes de soignants. Ces analyses très fines de dialogues et de conversations en contexte permettent de mieux comprendre notam- ment les processus d’apprentissages des jeunes médecins, par le contact avec leurs pairs. L’acquisition de connaissances pratiques grâce au réseau communicationnel du milieu hospitalier (contacts avec les soignants, les médecins plus expérimentés, les enseignants), ainsi que la construction des différents rapports d’autorité. Pour dis- tinguer la pratique d’un novice de celle d’un médecin expérimenté, il compare leurs entretiens avec le même patient, en cherchant les différences dans leurs modes d’investigation, à savoir, leur habileté à interroger, analyser et évaluer les réponses significatives. Cicourel s’interroge ainsi sur la manière dont le savoir pratique se transmet au sein des équipes hospitalières. Ces recherches ont mis en évidence des processus de validation et de contrôle en grande partie de nature interpersonnelle. La notion de travail de groupe devient ainsi centrale à la compréhension même de la pratique hospitalière. Le réseau communicationnel contribue aussi bien à la formation des médecins, qu’à la pratique même de la clinique. La difficulté peut- être centrale de la clinique consistant à relier savoirs théoriques ou li- vresques et situations concrètes, capacité qui ne peut être acquise que par l’expérience partagée, d’où l’importance de la formation par le contact et la discussion avec les praticiens plus expérimentés. Sont ainsi dégagées de manière très empirique de profondes inter- relations entre autorité-transmission du savoir et compétences communicationnelles. Mise en avant également l’importance de la collaboration et de la coopération entre médecins, en particulier lors de cas difficilement identifiables : la construction commune de l’infor- mation apparaît très clairement dans les divers exemples présentés (172). D’où une analyse critique de l’utilisation des systèmes experts pour le diagnostic, qui ne permettent pas de hiérarchiser l’informa- tion, ni de tenir compte de ses sources, de leur degré d’autorité et d’expérience (comme c’est le cas dans la pratique). Les entretiens médecin-patient sont également analysés dans leur as- pect diachronique, à divers moments d’un traitement, parfois à des années d’intervalle. Ceci permet de montrer l’importance de la tem- poralité dans les difficultés de communication et d’information. Les données proviennent souvent d’un patient, fatigué, ne se souve- nant plus très bien des traitements suivis dans d’autres établisse- ments, de la chronologie des événements, d’où une perte de données, des oublis, imprécisions, mais également nombre de difficultés de compréhension de l’information transmise (notam- ment par le changement d’interlocuteurs, de lieux etc.), tout un en- semble d’éléments qui font intimement partie du contexte de la pra- tique hospitalière. L’entretien médical s’apparentant ainsi à une enquête sur plusieurs plans (notamment diachronique, synchronique, etc.) où les éléments de communication, tout comme leurs limites gagneraient à être mieux pris en compte. La difficulté de transmission, de compréhen- sion et de sélection des informations pertinentes apparaît ainsi comme centrale. L’articulation entre un vécu (celui de la maladie, mais aussi du côté du soignant, l’expérience acquise par la pratique) et un savoir nécessitent ces éléments de communication, car le sens même se construit dans la relation de discours, dans la manière dont les faits sont rattachés à ces éléments discursifs. Le raisonnement médical apparaît alors dans sa fragilité et sa complexité, qui sont peut-être indissociables. L’ouvrage contient une bonne bibliographie d’introduction aux recherches en analyse du discours et sociolinguistique appliquées à la médecine clinique. Florence Quinche Génétiquement incorrect G.E. Séralini, Éd. Flammarion, Paris, 2003, 322 p. Le livre du professeur Séralini, biologiste moléculaire à l’Université de Caen, paraît 50 ans après la découverte de la structure en double hélice de l’ADN par Watson et Crick, se base sur de nombreuses ré- férences souvent très récentes. Cet ouvrage de vulgarisation de bon niveau, explique d’une part les notions de base de la génétique et d’autre part porte un regard critique sur certaines de ses applications et des espoirs véhiculés. Ce type de perspective critique, prenant en compte la notion de risque, de la part de scientifiques reconnus est encore suffisamment peu répandu pour qu’il soit remarqué. L’auteur insiste tout d’abord sur la complexité même de la définition du gène et sur certains aspects négligés : « Ces approches donnant une image fixe et linéaire du gène ont éloi- gné la biologie moléculaire d’une conception globale du vivant et fait d’elle une spécialité de la biologie plus dure et plus réductionniste que les autres, plus mathématique- conception qui domine encore. » (p. 19). Des facteurs importants ont en effet été mis de côté dans l’étude des gènes, notamment les aspects aléatoires et les influences de l’environnement. Lorsque la cellule se multiplie, les transposons (« gènes sauteurs ») s’insèrent au hasard, en sautant d’un endroit à l’autre de l’ADN, engendrant ainsi des mutations aléatoires. D’autre part, les gènes étant des molécules particulièrement longues (envi- ron 2 000 paires de bases chez l’homme) ils sont de ce fait très influençables par leur environnement (substances cancérigènes, rayonnements ionisants etc.). Ceci remet en cause une vision trop déterministe de l’hérédité génétique. Le traitement de maladies comme les cancers par les manipulations génétiques ont selon le professeur Seralini peu de chances de succès vu la complexité même des gènes et de leurs interactions avec l’environnement.

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226 Ethique & Santé 2004; 1: 226-230 • © Masson, Paris, 2004

Toutes vos analyses et commentaires de livres,de revues, de sites Internet ou d’autres médias,

peuvent être adressées à Florence Quinche :[email protected]

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LU, VU, ENTENDU

Quelques publications

Le raisonnement médical, une approche socio-cognitiveA.V. Cicourel Seuil, collection Liber, 2002, 235 p.

Ce recueil de textes, rassemble des articles classiques des années 70 à90 de la sociolinguistique appliquée au champ médical. Cicourel,professeur de sciences cognitives, sociologie et pédiatrie est un despionniers de ce type de recherches sur le discours en médecine. Lesméthodes employées sont proches de l’éthnométhodologie, dans lalignée des recherches d’E. Goffman. L’originalité de ces étudesconsistant en l’analyse de situations concrètes de communication,aussi bien des dialogues entre médecins et patients, que dans lesgroupes de soignants. Ces analyses très fines de dialogues et deconversations en contexte permettent de mieux comprendre notam-ment les processus d’apprentissages des jeunes médecins, par lecontact avec leurs pairs. L’acquisition de connaissances pratiquesgrâce au réseau communicationnel du milieu hospitalier (contactsavec les soignants, les médecins plus expérimentés, les enseignants),ainsi que la construction des différents rapports d’autorité. Pour dis-tinguer la pratique d’un novice de celle d’un médecin expérimenté, ilcompare leurs entretiens avec le même patient, en cherchant lesdifférences dans leurs modes d’investigation, à savoir, leur habileté àinterroger, analyser et évaluer les réponses significatives.Cicourel s’interroge ainsi sur la manière dont le savoir pratique setransmet au sein des équipes hospitalières. Ces recherches ont mis enévidence des processus de validation et de contrôle en grande partiede nature interpersonnelle. La notion de travail de groupe devientainsi centrale à la compréhension même de la pratique hospitalière.Le réseau communicationnel contribue aussi bien à la formation desmédecins, qu’à la pratique même de la clinique. La difficulté peut-être centrale de la clinique consistant à relier savoirs théoriques ou li-vresques et situations concrètes, capacité qui ne peut être acquise quepar l’expérience partagée, d’où l’importance de la formation par lecontact et la discussion avec les praticiens plus expérimentés.Sont ainsi dégagées de manière très empirique de profondes inter-relations entre autorité-transmission du savoir et compétencescommunicationnelles. Mise en avant également l’importance de lacollaboration et de la coopération entre médecins, en particulier lorsde cas difficilement identifiables : la construction commune de l’infor-mation apparaît très clairement dans les divers exemples présentés(172). D’où une analyse critique de l’utilisation des systèmes expertspour le diagnostic, qui ne permettent pas de hiérarchiser l’informa-tion, ni de tenir compte de ses sources, de leur degré d’autorité etd’expérience (comme c’est le cas dans la pratique).Les entretiens médecin-patient sont également analysés dans leur as-pect diachronique, à divers moments d’un traitement, parfois à desannées d’intervalle. Ceci permet de montrer l’importance de la tem-poralité dans les difficultés de communication et d’information. Lesdonnées proviennent souvent d’un patient, fatigué, ne se souve-nant plus très bien des traitements suivis dans d’autres établisse-ments, de la chronologie des événements, d’où une perte dedonnées, des oublis, imprécisions, mais également nombre de

difficultés de compréhension de l’information transmise (notam-ment par le changement d’interlocuteurs, de lieux etc.), tout un en-semble d’éléments qui font intimement partie du contexte de la pra-tique hospitalière.L’entretien médical s’apparentant ainsi à une enquête sur plusieursplans (notamment diachronique, synchronique, etc.) où les élémentsde communication, tout comme leurs limites gagneraient à êtremieux pris en compte. La difficulté de transmission, de compréhen-sion et de sélection des informations pertinentes apparaît ainsicomme centrale. L’articulation entre un vécu (celui de la maladie,mais aussi du côté du soignant, l’expérience acquise par la pratique)et un savoir nécessitent ces éléments de communication, car le sensmême se construit dans la relation de discours, dans la manière dontles faits sont rattachés à ces éléments discursifs. Le raisonnementmédical apparaît alors dans sa fragilité et sa complexité, qui sontpeut-être indissociables.L’ouvrage contient une bonne bibliographie d’introduction auxrecherches en analyse du discours et sociolinguistique appliquées à lamédecine clinique.

Florence Quinche

Génétiquement incorrectG.E. Séralini, Éd. Flammarion, Paris, 2003, 322 p.

Le livre du professeur Séralini, biologiste moléculaire à l’Universitéde Caen, paraît 50 ans après la découverte de la structure en doublehélice de l’ADN par Watson et Crick, se base sur de nombreuses ré-férences souvent très récentes. Cet ouvrage de vulgarisation de bonniveau, explique d’une part les notions de base de la génétique etd’autre part porte un regard critique sur certaines de ses applicationset des espoirs véhiculés. Ce type de perspective critique, prenant encompte la notion de risque, de la part de scientifiques reconnus estencore suffisamment peu répandu pour qu’il soit remarqué.L’auteur insiste tout d’abord sur la complexité même de la définitiondu gène et sur certains aspects négligés :« Ces approches donnant une image fixe et linéaire du gène ont éloi-gné la biologie moléculaire d’une conception globale du vivant et faitd’elle une spécialité de la biologie plus dure et plus réductionnisteque les autres, plus mathématique- conception qui domine encore. »(p. 19). Des facteurs importants ont en effet été mis de côté dansl’étude des gènes, notamment les aspects aléatoires et les influencesde l’environnement. Lorsque la cellule se multiplie, les transposons(« gènes sauteurs ») s’insèrent au hasard, en sautant d’un endroit àl’autre de l’ADN, engendrant ainsi des mutations aléatoires. D’autrepart, les gènes étant des molécules particulièrement longues (envi-ron 2 000 paires de bases chez l’homme) ils sont de ce fait trèsinfluençables par leur environnement (substances cancérigènes,rayonnements ionisants etc.). Ceci remet en cause une vision tropdéterministe de l’hérédité génétique. Le traitement de maladiescomme les cancers par les manipulations génétiques ont selon leprofesseur Seralini peu de chances de succès vu la complexitémême des gènes et de leurs interactions avec l’environnement.