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Quos ego réemplois chez Dumas-Flaubert-Hugo

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quel parti des écrivains français du dix-neuvième siècle ont su tirer d'une citation classique de Virgile

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Quos ego : remplois chez Dumas, Flaubert, Hugo Quos ego est la faon dont Neptune, au vers 135 du premier chant de lnide, menace Eurus et Zphyr (aveu dimpuissance, en ralit, car cette gesticulation lui vite daffronter ole et, surtout, Junon) : Si je ne me retenais pas, je vous Il serait difficile de trouver un exemple plus clair daposiopse. [Rtcenta est la traduction d.] Voici un aperu dchos quon peut en trouver chez des crivains franais du XIXe sicle.

Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne (en feuilleton, 1847-1850), I, XXII: DArtagnan voyage pour la maison Planchet et Compagnie (mle gnrale lauberge du Grand-Monarque, Calais, mettant aux prises dix mercenaires recruts par dArtagnan et des matelots en nombre indtermin) Le sol tait donc jonch de blesss et la salle pleine de cris et de poussire, lorsque dArtagnan, satisfait de lpreuve, savana lpe la main, et, frappant du pommeau tout ce quil rencontra de ttes dresses, il poussa un vigoureux hol ! qui mit linstant mme fin la lutte. Il se fit un grand refoulement du centre la circonfrence, de sorte que dArtagnan se trouva isol et dominateur. Quest-ce que cest ? demanda-t-il ensuite lassemble, avec le ton majestueux de Neptune prononant le Quos ego linstant mme et au premier accent de cette voix, pour continuer la mtaphore virgilienne, les recrues de M. dArtagnan, reconnaissant chacun isolment son souverain seigneur, rengainrent la fois et leurs colres, et leurs battements de planche, et leurs coups de trteau. De leur ct, les matelots, voyant cette longue pe nue, cet air martial et ce bras agile qui venaient au secours de leurs ennemis dans la personne dun homme qui paraissait habitu au commandement, de leur ct, les matelots ramassrent leurs blesss et leurs cruchons. Les Parisiens sessuyrent le front et tirrent leur rvrence au chef. Le zeugma ou attelage (pleine de cris et de poussire et leurs colres, et leurs battements de planche, et leurs coups de trteau cette longue pe nue, cet air martial et ce bras agile leurs blesss et leurs cruchons) fait partie des pchs mignons de Dumas : il sy adonne sans modration. Une dition (moderne) donne avec le ton majestueux de Neptune prononant le Cos ego et, un peu plus en amont dans le chapitre M. les hommes du banc ni les hommes des tables (cest--dire Ni les hommes ), erreurs imputables une reconnaissance optique de caractres dfectueuse suivie dune relecture lacunaire ; dautres ditions (modernes) la reproduisent les yeux ferms et sont donc reprables par ce moyen. Une dition lectronique prenant comme rfrence la Collection Bouquins, chez Robert Laffont, indique en note page 312 : Lnide, livre I, vers 135 : Vous que je , menace suspensive que Neptune adresse aux vents dchans par le roi sans son ordre ; et Claude Schopp aurait crit a ? Je prsume quil faut lire par leur roi . Aux fins de comparaison, je recopie lessentiel de lentre correspondante dans le Larousse du XXe Sicle (tome V, p. 892, 2e col.) : Quos ego (littralem. Vous que je), mots suspensifs dont le sens quivaut Je devrais vous Menace que Virgile (Enide, liv. I, v. 135) met dans la bouche de Neptune, irrit contre les Vents, que

leur roi a dchans sans son ordre. Cest un exemple fameux de rticence. Aujourdhui, on emploie ces mots pour exprimer une menace. [] Voir la fin lentre dans le Dictionnaire Universel du XIXe Sicle de Pierre Larousse, Tome XIII (1875), p. 576.

Gustave Flaubert, Madame Bovary (en feuilleton, 1856), Ire Partie, chapitre I : Levez-vous, dit le professeur. Il [le nouveau] se leva; sa casquette tomba. Toute la classe se mit rire. Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber dun coup de coude, il la ramassa encore une fois. Dbarrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui tait un homme desprit. Il y eut un rire clatant des coliers qui dcontenana le pauvre garon, si bien quil ne savait sil fallait garder sa casquette la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tte. Il se rassit et la posa sur ses genoux. Levez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom. Le nouveau articula, dune voix bredouillante, un nom inintelligible. Rptez ! Le mme bredouillement de syllabes se fit entendre, couvert par les hues de la classe. Plus haut ! cria le matre, plus haut ! Le nouveau, prenant alors une rsolution extrme, ouvrit une bouche dmesure et lana pleins poumons, comme pour appeler quelquun, ce mot: Charbovari. Ce fut un vacarme qui slana dun bond, monta en crescendo, avec des clats de voix aigus (on hurlait, on aboyait, on trpignait, on rptait: Charbovari ! Charbovari !), puis qui roula en notes isoles, se calmant grand-peine, et parfois qui reprenait tout coup sur la ligne dun banc o saillissait encore et l, comme un ptard mal teint, quelque rire touff. Cependant, sous la pluie des pensums, lordre peu peu se rtablit dans la classe, et le professeur, parvenu saisir le nom de Charles Bovary, se ltant fait dicter, peler et relire, commanda tout de suite au pauvre diable daller sasseoir sur le banc de paresse, au pied de la chaire. Il se mit en mouvement, mais, avant de partir, hsita. Que cherchez-vous ? demanda le professeur. Ma cas..., fit timidement le nouveau, promenant autour de lui des regards inquiets. Cinq cents vers toute la classe ! exclam dune voix furieuse, arrta, comme le Quos ego, une bourrasque nouvelle. Restez donc tranquilles ! continuait le professeur indign, et sessuyant le front avec son mouchoir quil venait de prendre dans sa toque: Quant vous, le nouveau, vous me copierez vingt fois le verbe ridiculus sum.

Puis, dune voix plus douce: Eh ! vous la retrouverez, votre casquette; on ne vous la pas vole ! Le narrateur en prend son aise avec linterprtation de sa source : il ny est pas question d arrter une bourrasque nouvelle ; cest un dtournement de citation (trs russi). Au passage, Ma cas aussi est un exemple dabruption, autre nom de laposiopse.

Victor Hugo, 2 occurrences dans Chansons des rues et des bois (1865): Livre I (Jeunesse), II (Les complications de lidal), IX (Senior est junior), IV, strophe 5 : Nos Phyllyres, nos Gloriantes, Nos Lyds aux cheveux flottants, Ont fait beaucoup de variantes ce programme des vieux temps. Aujourdhui, monsignor Nonotte Nentre chez Blanche au cur dacier Quaprs avoir pay la note Quelle peut avoir chez lhuissier. Aujourdhui, le roi de Bavire Nest admis chez doa Carmen Que sil apporte une rivire, De fort belle eau, dans chaque main. Les belles que, sous son feuillage, Retient Bade aux flots non bourbeux Ne vont point dans ce vieux village Pour voir des chariots bufs. Sans argent, Bernis en personne, Balbutiant son quos ego, Tremble au moment o sa main sonne la porte de Camargo. DEms Cythre, quel fou rire Si Hafiz, fumant son chibouck, Prtendait griser Sylvanire Avec du vin de peau de bouc ! Phyllyre est Philyre [ tilleul ; nom, par exemple, de la nymphe mre du centaure Chiron]. Monsignor Nonotte : Un autre ex-jsuite, nomm Nonotte, dont nous avons quelquefois dit deux mots pour le faire connotre (on reconnat la patte de Voltaire : il sagit de Claude-Franois Nonnotte (1711-1793), frre cadet du peintre prnomm Donat et qui, bien entendu, na jamais occup de hautes fonctions la Curie romaine). Bernis est le cardinal (1715-1794) et Camargo la danseuse (1710-1770) ; Casanova a vu danser cette dernire le 16 juin 1750 lors de la reprsentation lOpra des Ftes vnitiennes, de Danchet et Campra, et Patu prcise cette occasion qu elle a accompli son douzime lustre , soit une erreur de 10 ans, et aussi quelle ne porte point de caleon , sujet plus captivant pour le chevalier de Seingalt. Est-ce l ce qui a

moustill notre pote ? lintention de qui et pour quelle raison Bernis, au moment o sa main sonne la porte, peut-il bien balbutier son quos ego ? ( Si vous ne mouvrez pas, je ? Pure spculation.) propos de fou rire, imaginer Hafiz (XIVe sicle) fumant son ou sa chibouque Du vin de peau de bouc est une ellipse audacieuse pour dire du vin bu la rgalade, coulant dune outre. Lensemble est une ribambelle de galjades. Hugo a le chic de jouer sur deux tableaux : autant il parsme son uvre dlments, allusions, citations et rfrences classiques et historiques, autant il traite avec dsinvolture peut-tre mme avec indiffrence leur pertinence et leur graphie. La fibule de Djanire gratigne Laomdon me permet de jouer sur la puissance dvocation des noms (la mention de lpouse dHracls et du pre de Priam oriente ou gare le lecteur), mais ce sont des leurres, des miroirs aux alouettes. La fibule de son Elvire gratigne lautomdon et dgonfle la baudruche. Commentaire de George Sand : Il vous est permis, vous, de placer dans votre universelle symphonie le mirliton de Saint-Cloud ct de la lyre de Thbes . Vous avez le droit de mettre Pgase au vert. Nouvelles lettres dun voyageur (1877), II. Les Chansons des bois et des rues Victor Hugo Sand fait une double citation et une allusion : a) Livre Ier (Jeunesse), I (Floral), IV (Le pote bat aux champs), VII (Genio libri), strophe 17 : Sois le chrubin et lphbe. Que ton chant libre et disant tout Vole, et de la lyre de Thbe [licence potique, que Sand ne reprend pas] Aille au mirliton de Saint-Cloud. Rappelons ce quon entendait par mirliton (le terme, qui nest pas attest avant le XVIIIe s., est sans tymologie) : Littr : Tube creux de roseau garni par les deux bouts avec une pelure doignon ou avec un morceau de peau de baudruche, et autour de laquelle senroule souvent un papier contenant un rbus ou des devises ; on a pratiqu, aux extrmits, deux ouvertures latrales, sur lune desquelles on applique la bouche, en chantant un air populaire ; la vibration des pelures doignon donne la voix un son nasillard et ridicule, qui fait que le mirliton nest employ que par plaisanterie et pour faire rire ; on le nomme cause de cela flte loignon. Des chansons en quatre points Le froid nous dsole, Mirliton sen est all, BRANG., Gaudriole. Quelque drame la mode, O lintrigue, enlace et roule en feston, Tourne comme un rbus autour dun mirliton, A. de Musset, Posies nouvelles, Une soire perdue Vers de mirliton, posie de mirliton, mauvais vers, posie commune, vulgaire. Larousse du XIXe s. : Espce de flte denfant, forme dun roseau ferm aux deux bouts avec une pelure doignon ou une peau de baudruche : la foire de Saint-Cloud, il se fait un grand dbit de MIRLITONS. Les MIRLITONS eux-mmes se guirlandaient de distiques rims trois lettres. (Th. Gaut.) Fam. Vers de mirliton, Vers dtestables, vers comparables en mrite ceux que lon imprime sur les bande de papier dont on entoure les mirlitons : Rien nest plus mal coup pour la musique que les VERS DE MIRLITON donns pour canevas aux mlodies de Rossini, de Meyerbeer, etc. (Th. Gaut.)

b) dernire strophe de la pice douverture Le Cheval : Que fais-tu l ? me dit Virgile. Et je rpondis, tout couvert De lcume du monstre agile : Matre, je mets Pgase au vert. Livre II (Sagesse), IV (Nivse), I (Va-ten, me dit la bise), incipit : Va-ten, me dit la bise. Cest mon tour de chanter. Et, tremblante, surprise, Nosant pas rsister, Fort dcontenance Devant un Quos ego, Ma chanson est chasse Par cette virago. Il y a, si lon veut, un retournement de situation par rapport Virgile : cest le vent qui profre une menace. Mais, ici comme dans le cas prcdent, il est permis de se demander si Hugo na pas tout bonnement cd la facilit des rimes Quos ego / Camargo / virago. Nous avons chapp fandango, Rovigo, vertigo et quelques autres.