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CRITIQUE ET APPRÉCIATIONS : MORT À VENDRE par Anatole Poisson Lycée Thiers, classe de seconde L e film Mort à vendre est un film très spécial. C’est un film que j’ai trouvé en même temps magni- fique, tragique et grave. Un peu trop grave. C’est un film que je considère assez violent du point de vue du monde arabe : les seuls personnages mis en valeurs de la société sont les islamistes, qui paraissent être de par- faits soigneurs, des moines secourant les mendiants et leurs redonnant vie. La société arabe est très critiquée, et me donne à moi, qui ne connait pas très bien le monde arabe, une image plutot négative de celui-ci. Les femmes sont descendues au rang de voleuses sans coeur, les flics au rang de monstres qui tuent les cri- minels de sang froid. Comme je le dis, je ne connais pas très bien le monde arabe, ce qui ne me donne pas la possibilité de prouver que ce n’est pas vrai, mais je trouverais cela très cliché si cela s’avérait être le cas. Mais ces points négatifs sont en grande partie rattrapés par un ensemble extraordinaire, que sont l’histoire, composée autour des trois personnages principaux, puis ensuite autour de deux qui resteront en ville tandis que le troisième sera un peu isolé. Cette histoire qui renverse totalement la fin attendue, totalement in- croyable et ironique à la fois. De plus, les longs plans larges permettent au spectateur de voyager, de décou- vrir des paysages et des lieux inconnus, variés : de la ville à la forêt, du salon traditionnel marocain au camps d’entrainement islamiste, avec des personnages qui vont changer au cours du film, et qui finiront dans des conditions totalement différentes. Ces mêmes points négatifs précédemment évoqués rendent en même temps un côté grave et cynique au film, ce qui en quelques sortes le caractérise, que cela soit positif ou négatif. Certains disent qu’il faut de tout pour faire un monde, et d’autres pas, mais je pense que ce film nous apprend beaucoup de choses. Et bien qu’arabe, il reflète d’une certaine façon la société occidentale, d’une manière assez inexplicable. En fait dans ce film, seule la prostituée s’en sort : ni l’amoureux naïf, ni le religieux endoctriné ni le frère libertaire et ambitieux ne finissent bien. Mort à vendre, bien que film assez misogyne, explique que la femme est la seule à s’en sortir dans la société d’une façon ou d’une autre, du moment que celle-ci peu avoir un certain recul sur les choses. La femme est présente dans le film sous les traits de trois identités féminines : la mère, femme forte et très importante dans la famille, la soeur, qui travaille de façon irrégulière à l’usine, qui finira de façon tragique, et enfin la prostituée amoureuse, ou du moins qui prétend l’être, et qui est la femme parmi ces trois qui aura le rôle le plus important, qui au début nous apparaît utile mais que l’on oublie vite, pour fi- nalement se révéler être la bascule du film, son per- sonnage le plus cruel. VENDREDI 31 MAI 2013

Quotidien des Jeunes#2 - Rencontres Internationales des Cinémas Arabes - Marseille

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DESCRIPTION

Les Rencontres Internationales des Cinémas Arabes, organisées par Aflam en coproduction avec Marseille-Provence 2013 se déroulent à Marseille du 28 mai au 2 juin 2013. Elles s’articulent autour de cinq sections thématiques.

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CRITIQUE ET APPRÉCIATIONS : MORT À VENDREpar Anatole PoissonLycée Thiers, classe de seconde

Le film Mort à vendre est un film très spécial. C’estun film que j’ai trouvé en même temps magni-

fique, tragique et grave. Un peu trop grave. C’est unfilm que je considère assez violent du point de vue dumonde arabe : les seuls personnages mis en valeurs dela société sont les islamistes, qui paraissent être de par-faits soigneurs, des moines secourant les mendiants etleurs redonnant vie. La société arabe est très critiquée,et me donne à moi, qui ne connait pas très bien lemonde arabe, une image plutot négative de celui-ci.Les femmes sont descendues au rang de voleuses sanscoeur, les flics au rang de monstres qui tuent les cri-minels de sang froid. Comme je le dis, je ne connaispas très bien le monde arabe, ce qui ne me donne pasla possibilité de prouver que ce n’est pas vrai, mais jetrouverais cela très cliché si cela s’avérait être le cas.Mais ces points négatifs sont en grande partie rattrapéspar un ensemble extraordinaire, que sont l’histoire,composée autour des trois personnages principaux,puis ensuite autour de deux qui resteront en ville tandisque le troisième sera un peu isolé. Cette histoire quirenverse totalement la fin attendue, totalement in-croyable et ironique à la fois. De plus, les longs planslarges permettent au spectateur de voyager, de décou-vrir des paysages et des lieux inconnus, variés : de laville à la forêt, du salon traditionnel marocain aucamps d’entrainement islamiste, avec des personnagesqui vont changer au cours du film, et qui finiront dansdes conditions totalement différentes. Ces mêmespoints négatifs précédemment évoqués rendent enmême temps un côté grave et cynique au film, ce qui

en quelques sortes le caractérise, que cela soit positifou négatif. Certains disent qu’il faut de tout pour faireun monde, et d’autres pas, mais je pense que ce filmnous apprend beaucoup de choses. Et bien qu’arabe,il reflète d’une certaine façon la société occidentale,d’une manière assez inexplicable. En fait dans ce film,seule la prostituée s’en sort : ni l’amoureux naïf, ni lereligieux endoctriné ni le frère libertaire et ambitieuxne finissent bien. Mort à vendre, bien que film assezmisogyne, explique que la femme est la seule à s’ensortir dans la société d’une façon ou d’une autre, dumoment que celle-ci peu avoir un certain recul sur leschoses. La femme est présente dans le film sous lestraits de trois identités féminines : la mère, femmeforte et très importante dans la famille, la soeur, quitravaille de façon irrégulière à l’usine, qui finira defaçon tragique, et enfin la prostituée amoureuse, ou dumoins qui prétend l’être, et qui est la femme parmi cestrois qui aura le rôle le plus important, qui au débutnous apparaît utile mais que l’on oublie vite, pour fi-nalement se révéler être la bascule du film, son per-sonnage le plus cruel.

VENDREDI 31 MAI 2013

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ENTRETIEN AVEC

FAOUZI BENSAÏDI

C'est pour provoquer que vous avez fait ce film? Avec lesscènes de sexe et tout ?Pas du tout. Quand on fait un film pour provoquer, je ne suis passûr qu'on a une chance de le réussir. On fait des films pour d'autresraisons, pour exprimer des choses intérieures. Peut-être qu'un filmpeut contribuer à ce que les limites bougent un peu, je ne me suispas dit : moi, je vais faire ça exprès pour que ça provoque.En fait, c'était pour vous démarquer, c'est ça ?Non, on fait un film avec ses tripes, avec sa sensibilité, son intel-ligence, son background, ses douleurs, avec ce qui ne marchepas... Mais on ne maîtrise pas la vie du film, après. On ne sait pass'il va se démarquer ou pas, s'il va provoquer ou pas, s'il va réussirou pas. Pour ça, personne n'a la recette. Et d'où vous est venue l'idée de ce film ?De plusieurs choses. D'abord de souvenirs de ces bandes de gar-çons que je connaissais dans le quartier dans mon adolescence etqui ont mal tourné. J'ai toujours une affection pour les petitesfrappes, pour les petits bandits. Pas pour les grands bandits, maispour les petits, ceux qui sont des fils, des frères et qui, à un mo-ment donné, glissent, font des des conneries. Parce que ce n'estpas du banditisme. Ils ne sont pas en train de voler des millions etdes millions. J'ai fait un film pour eux, pour les petits voleurs.Et pourquoi vous avez montré l'islam radical, avec ce jeunequi se fait endoctriner? Parce que c'est là autour de nous. Ça fait partie du paysage. J'enparle comme j'aurais parlé du colonialisme si on avait été encorecolonisé, ou des luttes de la gauche si j'avais été dans les années70. D'ailleurs le film a été fait juste avant le printemps arabe et onvoit bien que ces réalités-là, qui on fait que ça a éclaté dans lemonde arabe, étaient très présentes. Le film a dû capter quelquechose de l'air du temps. Je ne sais pas si vous êtes musulman, mais le Maroc est unpays musulman. Et la religion musulmane n'est pas compati-ble avec ce genre de films. Il y a beaucoup de filles – avec lehijab, avec le jilbab – qui sont parties parce que ça leur a faitoffense, vu qu'elles voient des personnes musulmanes maisdans un film pas trop musulman... Vous voyez ce que je veuxdire?C'est vrai, mais ce sont des problématiques qui dépassent le film.Au jour d'aujourd'hui, refuser de voir quelque chose parce qu'elleest différente de nous, c'est le début de la grande ignorance. Et lagrande ignorance serait une terre fertile pour le fascisme. Je res-pecte celles qui veulent mettre le voile, j'irais voir le film d'un ci-néaste islamiste, il a le droit d'exister aussi. Donc, être dans cetteposition de dire je ne veux même pas voir, c'est comme si je disais«Je ne veux pas que ça existe» ou «Ce film-là ne doit pas exister».Et ça, c'est dangereux.Et ça vous fait mal?Moi, ça me fait mal pour eux et pour le monde qui est en train denaître. Si c'est ça le monde, je n'ai pas envie d'y vivre. Si après on

ne voit que des femmes voilées et des hommes barbus, si les cafésmixtes et les écoles mixtes n'existent plus, alors... Le sort réservéaux femmes est quand même terrible. Si ça avait été un film chrétien, des sœurs chrétiennes auraientréagi pareil, parce que c'est juste une question de religion. Lesfilles qui sont parties de la salle, elles l'ont pris pour elles.Mais la religion n'interdit pas ça, hein? Il y a quelque chose quiest dommage, c'est l'hypocrisie. J'ai aussi l'impression que c'estun peu une guerre de sexes, que la liberté des femmes commenceà faire peur et qu'il y a une espèce de retour à cette tradition parceque c'est la seule manière de museler les femmes.Mais pas ici en France. Ici, il n'y a pas ça.Non non, ici vous n'avez pas de problèmes (rires). Mais au Maroc,si on compare avec d'autres pays arabe, il y a une ouverture. Après,il y a une confrontation entre deux modèles de société : d'un côtédes gens qui veulent avancer vers des choses qui permettentqu'une société ouverte et moderne s'installe et d'un autre côté unevision beaucoup plus traditionaliste qui cherche à revenir à unemanière de vivre ancienne qui exclut beaucoup de choses gagnéesdepuis des années, que ce soit par les femmes ou par les hommes.Votre film n'est pas un peu sexiste? Il y a une fille facile et quitrahit...Mais il n'y a pas qu'elle, il y a la sœur aussi, qui est une fille cou-rageuse. Mais même Dounia, c'est une fille entière. On oubliequ'elle a tout quitté pour lui, Malik. Elle était, dans cette boîte, lafille que tout le monde veut etc. On peut imaginer qu'elle menaitla belle vie, qu'elle avait de l'argent facile. Elle a quitté tout çapour vivre dans la misère avec lui. Pour moi, elle était amoureusede lui.Il y a une morale à ce film ?Non, je ne donne pas de morale.Et l'actrice qui a joué ce rôle, ça n'a pas dû être facile de latrouver...Oui, elle a du courage...Et le garçon qui s'est mis tout nu aussi.Merci de l'avoir dit, parce qu'il n'y a pas que la fille qui a du cou-rage, le garçon aussi.C'est peut-être même plus dur de trouver un garçon qui ac-cepte de se mettre nu.C'est vrai, c'est pourquoi je salue tous les comédiens. Ils sont auxavant-postes. D'une manière générale, ce sont eux qui prennent leplus parce que ce sont eux qu'on voit.Merci.Je m'aperçois qu'il n'y a que des filles dans votre groupe. Merci àvous pour vos questions. Et soyez libres et heureuses.

Propos recueillis par Inès Lémis et Yness Nemer, avec la par-ticipation de Miranda Bourass, Narimène Fakroune, RashaRezaikia et Sophie Zaïter.

Jeudi 30 mai à 14h, des élèves de seconde du lycée Saint-Exupéry ont assisté à laprojection de Mort à vendre, un film de Faouzi Bensaïdi à qui elles ont pu, par lasuite, poser quelques questions.