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M6decine et Maladies Infectieuses. 1976 - S - 11 . 486 ~z 487 Rage et Lisl6riose A propos d'une vaccination antirabique avant contamination...* par A. GAMET***, A. DOMART**, J. MODAI**, P. ARDOIN*** ct J.P. GHANASSIA** Mlle L... R..., 6g~e de 47 an,s est infirmi$re v~t$rinaire, en service aupr~s d'un praticien, ce qui l'am$ne it manipuler de nombreux animaux, de routes esp~ces, domestiques ou sauvages. L'enzootie de rage vulpine ayant atteirrt la r@ion parg~ienne et en parti- culier les d$partements de l'Oise, de l'Aube et de l'Yonne, les v$t~rinaires praticiens et leur personnel, exposes dans l'exercice de leur profession it un risque permanent de contamination du fait de manipulations d'an:imaux excr$- teurs possibles de virus rabique, ont donc demar~d5 it ~tre p,rot@Ss. Des sdances de vaccination collective ont $t~ organisS'es it l'Institut Pasteur oft Mlle L... R... s'est rendue. Rappelons que l'immunisation de l'homme contre la rage avant route contamination, n'est pas une nouveaut6, puisque les deux assistants de M. Pasteur en 1885, Adrien Loir et Eugene Vialat, furent les deux premiers ~ ~tre ainsi pro- t6g6s en raison du risque couru par des maniplu- lations de mat6riel biologique ou d'animaux infect6s de virus des rues. Mais le protocole d'im- munisation 6tant h l'6poque identique ~ celui utilis6 aprbs contamination par morsure par exemple, soit douze injections cons6cutives de vaccin, il est bien certain qu'un tel proc6d6 6tait difficilement acceptable et aprSs ces deux pre- miers sujets ce type de vaccination ne sera plus utilis& II faudra attendre la derni~re d~cennie off, dSs 1966, disposant de nouveaux vaccins h fort pouvoir immunogSne, il est possible aux U.S.A., en France et dans les laboratoires off l'on manipule le virus rabique, de prot@er correcte- ment les sujets exposes. Deux ou mieux trois injections de vaccin suffisent pour cela, et il est possible de rechercher et de titrer par s6roneutra- lisation sur souris, les anticorps rabiques 61abor$s par les vaccines. L'immunisation est ensnite en- tretenue par une injection de rappel annuelle. OBSERVATION Mlle L... R... rut donc immnnis~e suivant le protocole $tabli depuis plusieurs ann6es tt Fins- titut Pasteur, soit trois injections intradermiques * Communication pr6sent6e le 5-12-1975 au << Col- loque sur les Listeria >> organis6 par la Soci6t6 Fransaise de Pathologic Infectiense. ** Clinique des Maladies Infectieuses, HSpital Claude-Bernard, Paris. *** Centre Antirabique, Institut Pasteur de Paris. de 0,25 ml de vaccin antirabique pratiqu6es trois semaines d'intervalle pour la primo-vacci- nation. C'est une semaine aprbs la troisi~me injec- tion qu'un pr6l~vement de sang permet recherche et titrage des anticorps. Le vaccin utilis6 est obtenu par broyat de cerveaux de souriceaux hg6s de 8 jours au maximum au moment du pr61~ve- ment. I1 s'agit donc d'un broyat de tissu nerveux d6pourvu de my61ine et infect6 de virus rabique souche Louis Pasteur dont les caractbres sont bien connus. La suspension virale esl~ inactiv6e h la b~ta-propiolactone et additionn~e d'un diluant protecteur permettant la lyophilisation. La premi6re injection de vaccin rut pratiqu6e h Mile L... R... le 11 f6vrier 1975, et la seconde intradermique le 4 mars. D6jh avant cette date, cette femme avait ressenti des c6phal6es sans y attacher grande importance. Mais dans les jours qui ont suivi la 2 ° injection de vaccin les maux de t6te deviennent difficilement supportables, la fiSvre apparait et l'hospitalisation h la Cliniqne des Maladies Infectieuses ~ l'HSpital Claude Ber- nard a lieu le 7 mars 1975. A l'entr6e la malade pr6sente un syndrome m6ning6 franc mais sans notion de contage Svi- dente et sans signes Svocateurs d'une m6ningo- coceie ou d'une pneumococcie. Une ponction lom- baire faite h l'arriv~e permet de retirer un liquide c6phalo-rachidien clair, avec 0,5 g %0 d'albu- mine et 0,5 g %0 de glucose, 124 $16ments au mm3 dont 50 % de lymphocytes et 50 % de cellules non identifiables. Absence de germes et cultures stSriles. L'Oiologie virale de ce syn- drome m6ning$ semble la plus probable, mais la notion de vaccination antirabique dans les jonrs precedents avec un vaccin de tissn nerveux, peut faire songer /l un accident ne,:trologique cons6- cutif .h cette vaccination. Ce sera d'ailleurs la 486

Rage et Listériose

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Page 1: Rage et Listériose

M6decine et Maladies Infectieuses. 1976 - S - 11 . 486 ~z 487

Rage et Lisl6riose A propos d'une vaccination antirabique avant contamination...* par A. GAMET***, A. DOMART**, J. MODAI**, P. ARDOIN*** ct J .P. GHANASSIA**

Mlle L... R. . . , 6g~e de 47 an,s est infirmi$re v~t$rinaire, en service aupr~s d'un praticien, ce qui l'am$ne it manipuler de nombreux animaux, de routes esp~ces, domestiques ou sauvages.

L'enzootie de rage vulpine ayant atteirrt la r@ion parg~ienne et en parti- culier les d$partements de l'Oise, de l 'Aube et de l 'Yonne, les v$t~rinaires praticiens et leur personnel, exposes dans l'exercice de leur profession it un risque permanent de contamination du fait de manipulations d'an:imaux excr$- teurs possibles de virus rabique, ont donc demar~d5 it ~tre p,rot@Ss. Des sdances de vaccination collective ont $t~ organisS'es it l 'Institut Pasteur oft Mlle L.. . R... s'est rendue.

Rappelons que l ' immunisat ion de l ' homme contre la rage avant route contamination, n 'est pas une nouveaut6, puisque les deux assistants de M. Pasteur en 1885, Adrien Loir et Eugene Vialat, furent les deux premiers ~ ~tre ainsi pro- t6g6s en raison du risque couru par des maniplu- lations de mat6riel biologique ou d 'an imaux infect6s de virus des rues. Mais le protocole d ' im- munisation 6tant h l '6poque ident ique ~ celui utilis6 aprbs contamination par morsure par exemple, soit douze injections cons6cutives de vaccin, il est bien certain qu 'un tel proc6d6 6tait difficilement acceptable et aprSs ces deux pre- miers sujets ce type de vaccination ne sera plus utilis& II faudra attendre la derni~re d~cennie off, dSs 1966, disposant de nouveaux vaccins h fort pouvoir immunogSne, il est possible aux U.S.A., en France et dans les laboratoires off l 'on manipule le virus rabique, de prot@er correcte- ment les sujets exposes. Deux ou mieux trois injections de vaccin suffisent pour cela, et il est possible de rechercher et de t i trer par s6roneutra- lisation sur souris, les anticorps rabiques 61abor$s par les vaccines. L ' immunisat ion est ensnite en- t retenue par une injection de rappel annuelle.

OBSERVATION

Mlle L.. . R.. . rut donc immnnis~e suivant le protocole $tabli depuis plusieurs ann6es tt Fins- titut Pasteur, soit trois injections int radermiques

* Communication pr6sent6e le 5-12-1975 au << Col- loque sur les Listeria >> organis6 par la Soci6t6 Fransaise de Pathologic Infectiense.

** Clinique des Maladies Infectieuses, HSpital Claude-Bernard, Paris.

*** Centre Antirabique, Institut Pasteur de Paris.

de 0,25 ml de vaccin ant irabique pratiqu6es trois semaines d ' intervalle pour la primo-vacci- nation. C'est une semaine aprbs la troisi~me injec- tion qu 'un pr6l~vement de sang permet recherche et titrage des anticorps. Le vaccin utilis6 est obtenu par broyat de cerveaux de souriceaux hg6s de 8 jours au maximum au moment du pr61~ve- ment. I1 s'agit donc d 'un broyat de tissu nerveux d6pourvu de my61ine et infect6 de virus rabique souche Louis Pasteur dont les caractbres sont bien connus. La suspension virale esl ~ inactiv6e h la b~ta-propiolactone et additionn~e d 'un diluant protecteur permet tant la lyophilisation.

La premi6re injection de vaccin rut pratiqu6e h Mile L.. . R.. . le 11 f6vrier 1975, et la seconde int radermique le 4 mars. D6jh avant cette date, cette femme avait ressenti des c6phal6es sans y attacher grande importance. Mais dans les jours qui ont suivi la 2 ° inject ion de vaccin les maux de t6te deviennent diff ici lement supportables, la fiSvre apparai t et l 'hospital isat ion h la Cliniqne des Maladies Infectieuses ~ l 'HSpi ta l Claude Ber- nard a lieu le 7 mars 1975.

A l 'entr6e la malade pr6sente un syndrome m6ning6 franc mais sans notion de contage Svi- dente et sans signes Svocateurs d 'une m6ningo- coceie ou d 'une pneumococcie. Une ponction lom- baire faite h l 'arriv~e permet de ret i rer un l iquide c6phalo-rachidien clair, avec 0,5 g %0 d 'albu- mine et 0,5 g %0 de glucose, 124 $16ments au mm3 dont 50 % de lymphocytes et 50 % de cellules non identifiables. Absence de germes et cultures stSriles. L 'Oiologie virale de ce syn- drome m6ning$ semble la plus probable, mais la notion de vaccination ant irabique dans les jonrs precedents avec un vaccin de tissn nerveux, peut faire songer /l un accident ne,:trologique cons6- cutif .h cette vaccination. Ce sera d'ailleurs la

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question qui nous sera posse par certains ayaut eu eonnaissance des faiLs, et ayant cru pouvoir t irer cette conclusion hative !

Le 11 mars, alors que la temp6rature de cette malade oscillait entre 370 et 38°6, que les signes m6ning6s sont inchang6s et qu 'aucun t ra i tement antibiotique n 'a 6t6 institu6, une deuxibme ponc- tion lombaire confirme les donn6es pr6c6demment rectteillies : l iquide clair, 0,80 g %o d 'a lbumine, 0,45 g %o de glucose, 83 616ments dont 97 % de lymphocytes et 3 % de polynucl6aires. Pas de germes visibles.

La persistance au cinquibme jour de l 'hospita- l isation du syndrome infectieux, la r6appar i t ion de vives c6phal6es et d 'un 6tat naus6eux conduisent /t pra t iquer une nouvelle ponction lombaire. Celle-ci effectu6e le 13 mars retire un l iquide louche contenant 568 616ments au mm3 dont 60 % de lymphocytes et 40 % de polynucl6aires. Mais le l iquide inocul6 ~ des souris donne enfin l 'agent 6tiologique de ce syndrome m6ning6 : Listeria monocytogenes . Tons les autres examens demeu- rant n6gatifs il s'agit done d 'une list6riose /L loca- lisation m6ning6e. Un trai tement ~ base d 'Ampi- cilline et Streptomycine est institu6 qui appor te une 6volution rapidement favorable, apyrexie dbs le 18 mars, r6gression des signes m6ning6s, hormis une paralysie faciale gauche qui ne r6gresse que l en t emen t .

Les perfusions d 'ant ibiot iques sont arr6t6es le 3 avril, une dernibre ponction lombaire de contr61e f amine un liqui.de clair avec seulement 17 616ments au mm3 qni sont tous des lympho- cytes. La malade part en convalescence.

C O N C L U S I O N

En conclusion, m6ningite /~ Listeria monocy to - genes dont l 'agent 6tiologique n 'a 6t6 mis en 6vi- dence qu'/t la 3 ~ ponction lombaire cons6cutive.

L 'appar i t ion de cette m6ningite sur un terrain non fragilis6 pent 6tre expliqu6e par un contage professionnel. Mais il 6tai~ int6ressant de rappor- ter cette observation en raison du fait que ce syndrome m6ning6 est apparu dans les jours qui ont suivi une vaccination antirabique pr6ventive pratiqu6e avec ,2n vaccin de tissu nerveux. Avec ce type de vaccine obtenu sur cerveaux d 'animaux adultes, on observe parfois des accidents neuro- paralytiques d 'or igine allergique. La tentat ion est donc naturel le d ' imputer ~ l'ae~e vaccinal route manifestation neurologique apparue dans les jours qui suivent la vaccination, surtout si l 'on se dis- pense de faire une recherche attentive de l '6tio- logic r6ellement en cause. Dans le cas present certains pouvaient conclure d 'autant plus rapide- ment qu ' i l s'agissait d 'un syndrome m6ning6 avec r6action lymphocytai re .

I1 est donc heureux que les ponctions lombaires aient 6t6 multipli6es chez cette malade et qu'ainsi l 'agent 6tiologique air pu 6tre isol6 et identifi6, ret irant /t la vaccination antirabique une respon- sabilit6 qu'ell~ n 'avait pas. Tout au plus pourrai t - on discuter le r61e favorisant ou d6clenchant jou6 par l 'acte vaccinal chez cette femme en incuba- t ion de list6riose. Et ceci confirme combien uu acte vaccinal ne dolt 6tre pratiqu6 qu'~ bon escient, uniquement s'il r6pond ~ un risque r6el de conta- mination. Ce risque, dans la rage, est bieu parti- culier et ne concerne que les sujets professionnel- lement expos6s, comme c'6tait le cas de eette femme.

I1 nous faut pr6ciser qu'avec le vaccin antira- bique de cerveaux de souriceaux nouveau-n6s uti- lis6 ~ l ' Inst i tut Pasteur depuis de nombreuses an- n6es et sur 1 555 vaccinations pr6ventives prati- qu6es, aucun incident neurologique n 'a 6t6 enre- gistr6.

RESUME

SUMMARY

Une femme de 47 ans, infirmi6re-v6t6rinaire, pr6sente un syndrome m6ning6 f6brile quelques jours apr~s une deuxibme injection d'un vaecin antirabique, prescrit ~ titre pr6ventif. Ce n'est qu'aprbs 5 jours d'6volution et h la troisi6me ponction lombaire que sera isol6 Listeria monocytogenes responsable de eette m6ningite au liquide initialement clair et lymphoey~aire. Un traitement associant ampieilline et streptomycine poursuivi pendant trois semaines permet ta gu6rison. Les liens possibles entre m6ningite list6rienne et vaccination antirabique sont discut6s.

Mols-clef : Rage - Vaccination - M6ningite - List6riose.

A 47 years old white woman was admitted wi th a clinical syndrome of meningitis . A few days before, she had been vaccinated against rabies since she had been worJdug as veterinary nu,rse. When the third lumbar puncture was carried out on the f i f th day of the illness, Listeria monocytogenes could oaly be isolaied f rom C.S.F. Then the patient was cured by an association ampicil l in- s t reptomycin for three weeks. The relationship between listeriosis and vacci- nation is discussed.

Key-words : Rabies - Vaccination - Meningitis - Listeriosis.

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