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© Henry Roux de Bézieux Réaliser des Interviews - 1 - www.systemique.com Dossier : Réaliser des Interviews Savoir conduire un entretien pour recueillir des données, cartographier un processus, faire exprimer des opinions Par: Henry Roux de Bézieux Ingénieur EPF-Z, DEA Formation des Adultes, Directeur FranceManagement Version 1.0 Version 1.2 © Juillet 2004

Réaliser des Interviews · dessins de type screenbeans dont les droits appartiennent à la société américaine A Bit Better Corporation. Vous ne pouvez passer outre aux devoirs

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Dossier :

Réaliser des Interviews

Savoir conduire un entretien pour recueillir des données,cartographier un processus, faire exprimer des opinions

Par :

Henry Roux de Bézieux

Ingénieur EPF-Z, DEA Formation des Adultes,Directeur FranceManagement Version 1.0

Version 1.2

© Juillet 2004

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Licence d’utilisation de cette œuvreCette œuvre, intitulée “Réaliser des Interviews : Savoir conduire un entretien” est protégé parcopyright :

• © 2004, H. Roux de Bézieux, déposé auprès de la Société des Gens de Lettre, Paris.

Vous êtes libre : de reproduire, de distribuer et d’utiliser cette œuvre librement sans devoir verser aucunerémunération à quiconque ; de créer des versions modifiées de cette oeuvre. L’appellation “version modifiée”désigne toute œuvre contenant la totalité ou seulement une portion de celle-ci, copiée, modifiée et/ou traduite dansune autre langue.

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• Attribution :- Si l’œuvre n’a pas été modifiée, vous devez clairement l’attribuer sur les pagesde titre et en bas de chaque page par une mention © 2004 Henry Roux deBézieux.- Si l’œuvre a été modifiée, vous devez clairement reconnaître la paternité del’oeuvre à Henry Roux de Bézieux sur les pages de titre de l’œuvre ainsi que lescontributions successives des différents co-auteurs.

• Non Exploitation Commerciale :- Vous ne pouvez pas faire une exploitation commerciale directe ou indirecte decette œuvre, en version originale ou modifiée, par exemple en la reproduisant,en vendant les droits ou en y donnant accès contre rémunération. Vous n’avezpas le droit de la reproduire ou de la distribuer dans le but d’obtenir desavantages commerciaux ou une compensation financière personnelle.- Si vous utilisez cette œuvre dans le cadre de services payants que vousproposez par ailleurs, vous devez veiller à ce que l’accès à l’œuvre elle-mêmesoit libre de droits.

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Vous ne pouvez passer outre aux devoirs ci-dessus qu’avec la permission écrite de l’auteur. Tout manquement àcette licence peut être signalé à Henry Roux de Bézieux, FranceManagement, 6 rue du Labech, 34110 Vic laGardiole, France.

Cette licence est une adaptation française non officielle de la Creative Commons License disponible sur le siteinternet : http://creativecommons.org/

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Table des Matières

Page

4 Introduction

5 1• La systémique des interviews

7 2• Avant l’interview : La communication préalable

8 3• Avant l’interview : La liste de thèmes

9 4• Les 5 premières minutes : Cadrer l’interview

10 5• Pendant l’interview : Choisir ses questions

14 6• Pendant l’interview : Le non-verbal

21 7• Pendant l’interview : Faire le tri dans son écoute

22 Annexes23

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Annexe 1 : Exemple de liste de thèmes

Annexe 2 : Bibliographie

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Introduction“Interviewer, oui, mais comment ?”

C’est un étudiant en Mastère de gestion de projet1 qui m’a posé la question et je me suis rendu compte que je nesavais pas lui répondre. Certes, j’avais conduit des centaines d’interviews mais je n’y avais jamais été formé. Al’Université comme dans les grands cabinets de conseils, interviewer semblait aller de soi.

Comment donc interviewer ? L’étudiant qui me posait la question étant à l’origine linguiste, je me demandais s’iln’en savait pas plus que moi. Mais il semblait honnêtement désemparé. Il devait conduire quelques entretiens pourune analyse prospective et ses questions légitimes ne trouvaient pas de réponse.

• Comment aborder les gens qu’on ne connaît pas et les amener à parler ?• Comment s’assurer que les questions posées n’induisent pas les réponses ?• Quelle est la meilleure manière de formuler les questions ?• Faut-il être présent, s’investir beaucoup dans l’entretien, ou se tenir en retrait ?• Comment être sûr de ne pas trahir la pensée des gens qu’on interviewe ?• Etc.

Il me rappela mon propre désarroi lorsque, jeune consultant, j’avais du assurer mes premiers entretiens.- Comment faire, avais-je demandé ?Mon patron de l’époque était lui aussi autodidacte dans ce domaine.- Il suffit de suivre le guide d’entretien, fut sa réponse. Et il me fournit une vilaine page A4 mal dactylographiée quilistait les thèmes à aborder : “l’organisation du service” ; “les pratiques de management”, “la communicationinterne”, etc.- Quoi ?! Dis-je ? Et cela suffit ?Le vrai sujet de mon angoisse, c’était qu’il me faudrait aborder des gens plus âgés, plus expérimentés que moi.Allaient-ils accepter de parler au blanc bec que j’étais ? J’avais de sérieuses réserves.- C’est comme ça que tout le monde fait, rétorqua mon patron.Il n’avait pas tort. J’ai questionné par la suite nombre de consultants seniors. Ils semblaient tous faire comme ça, àquelques variantes près. Mon patron vint néanmoins à ma rescousse.- La première demi-journée, ajouta-t-il, je te prendrai avec moi. Je ferais les deux premiers entretiens devant toi, etensuite tu feras le troisième devant moi. Comme ça je te montrerai comment faire.La veille, je n’en dormis pas de la nuit. J’avais 25 ans, j’étais ingénieur et j’avais le sentiment de ne rien connaître àla communication…

Conscient de mes lacunes, je me suis efforcé au fil des années de glaner ce que je pouvais où je le pouvais… C’est-à-dire pas grand-chose, les sources étant rares sur ce thème, tant en Français qu’en Anglais. Peu de ressourcespédagogiques. Peu de livres, et ceux qui sont disponibles sont pour l’essentiel orientés journalisme ou recrutement.

Il m’apparut bientôt que la systémique offrait un cadre qui rend bien compte de la dynamique intervieweur /interviewé. Qu’elle fournissait des points de repère flexibles et adaptables à chaque cas spécifique. Qu’elle incitait àprendre du recul et à observer la dimension relationnelle, cet enchaînement de questions et de réponses quis’influencent mutuellement… Bref, il m’a semblé que l’art d’interviewer était un espèce de cas particulier d’une“systémique relationnelle” qui reste à inventer.

Ce manuel présente donc les réponses que j’ai pu recueillir en réponse à la question comment donc interviewer ? Etce dans les contextes qui sont ceux des consultants (conseil en management, conseil en organisation…) et desprojets de recherche (business, ressources humaines, sciences sociales, etc.). Ce manuel n’est pas exhaustif, ilest certainement imparfait. Faute de mieux et en attendant qu’un ouvrage se penche enfin sur la question avecautorité, il présente plusieurs stratégies systémiques pour préparer et conduire les interviews. Dans sa moutureactuelle, il laisse de côté les questions d’éthique, de prise de notes et d’exploitation des interviews. Autant dethèmes importants qu’il faudra rajouter ultérieurement.

1 Mastère ITMP, Innovation Technologique et Gestion de Projet, à l’ESIEE (région parisienne).

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1. La systémique des interviews“Marché N° - - - - - de la Communauté Urbaine de D…”. La dossier est non seulement coloré, il est épais. En yregardant de plus près, l’on identifie, à l’intérieur d’une chemise cartonnée verte, cinq chemises cartonnées toutaussi vertes dont aucune ne fait moins de deux centimètres d’épaisseur.

A vrai dire, le décompte ne s’arrête pas là… Ce dossier est situé dans une pile d’autres dossiers comparables, elle-même prise en sandwich entre plusieurs autres piles… Roses, noirs, rouges, jaunes, verts… Les couleurs de chaquedossier ont de toute évidence été choisies de telle façon à garantir des identités visuelles faciles à discerner. Où quese porte le regard, encore des dossiers. Rangés dans les armoires entrouvertes, alignés au-dessus des meubles,entassés en piles sur le sol, posés sur des tables annexes…

Au centre de cet univers dédié au “contrôle de légalité” trône un agent de la Sous Préfecture et son ordinateur,visiblement accaparés l’un par l’autre. “Bonjour…” lançons-nous, ma collègue et moi de façon prudente, ne sachantsi cet univers est régi par des lois amicales ou hostiles. L’agent se lève et arbore un sourire engageant (Ouf !Amical !). Nous nous présentons, l’agent nous attendait, on l’avait prévenu.

Pouvons-nous lui rappeler le but exact de notre visite, demande-t-il ? Du tac au tac, nous répondons que “noussommes venus parler du bureau sans papier”. D’un geste large nous balayons l’environnement. Un regard defranche perplexité gagne le visage de l’agent qui se fige. Nous avisons que, sans tous ces papiers aux couleurs vives,on ne pourrait échapper à l’aspect tristounet du bureau, son méchant lino, ses peintures passées, ses armoiresmétalliques sans âme, son ouverture béante sur des espaces vides. Pas un bruit, sauf celui, lointain, de la circulationextérieure. Pas un téléphone, pas une conversation, pas une visite. Le temps paraît comme suspendu.

L’agent nous regarde toujours d’un air interloqué et nous nous empressons de nous excuser, d’expliquer qu’ils’agissait d’une boutade, que nous sommes en réalité venus faire un audit organisationnel, etc., etc. Nous rentronsdans le vif du sujet, la discussion est factuelle, précise, nous engrangeons des informations, tout le monde respire.

Les couples interviewé / intervieweur sont des systèmes étranges.Deux personnes qui ne se connaissent pas, maisqui vont devoir passer une heure ou quelques ensembles. Qui n’auraient peut-être rien à se dire s’ils serencontraient ailleurs. Mais qui devront néanmoins échanger des informations parfois sensibles, voirepersonnelles. Qui évoquent les “blind dates2” à l’américaine, sauf qu’ici, les sentiments sont plutôt tenus à l’écart.Quoi que…

Sont-ils d’ailleurs vraiment deux, cet intervieweur et cette personne interviewée ? N’y a t il pas en filigrane d’autrespartenaires dont on peut sentir l’ombre roder pendant l’interview ?

• Le donneur d’ordre, le commanditaire qui a ses propres intentions. Dansquel but a-t-il commandé les interviews ?• L’institution (entreprise, organisation…), ses enjeux, ses réseaux, sacommunication informelle : “Ah, tu vas être interviewé… ?”.• L’institution à laquelle appartient l’intervieweur et les stéréotypes qu’ellevéhicule. Les craintes de dégraissage des effectifs associés aux consultantsaméricains, etc.• Les syndicats, corps constitués, autres institutions qui ont des enjeuxpropres et peuvent tenter d’influer sur la démarche.• Le vécu propre à chaque personne. Ses expériences antérieuresd’interviews…• Les avis émis par d’autres personnes et les a priori que cela entraîne…“Tu verras, le consultant X est sympa, avec lui on peut causer. Par contreméfie-toi de Y, c’est une peau de vache…” Etc. …

Face à ces enjeux potentiellement conflictuels, l’intervieweur et la personne interviewée ne peuvent prendre appuisur aucun passé, sur aucune référence commune. Leur relation est à construire. L’univers des possibles est large.Clarté et confiance… ? Dissimulation et méfiance ? Chacun peut vouloir instrumentaliser l’autre … Ou au contraire

2 Pratique de rencontre selon laquelle une homme et une femme qui ne se connaissent pas se donnent un rendez-vous pourdécouvrir s’ils se plaisent.

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l’accueillir et le respecter … Ce couple étrange est caractérisé par son instabilité initiale. On ne sait pas vers quel étatle système va tendre ! On ne sait pas ce qui va se produire ! On ne sait pas s’il s’échangera des paroles significativesou des mots vides ! Si s’agira d’un bon quart d’heure ou une sale demi-heure.

Un système aussi volatil est susceptible de se cristalliser en quelques minutes. Et parfois d’une façon brusque etinattendue. Quelques mots de travers (“le but de l’entretien est de formaliser le processus de travail afin defaciliter sa délocalisation en Asie…”) et après c’est motus et bouche cousue, il n’y a plus qu’une collaborationformelle, froide, de la langue de bois, des faux semblants. Comment faire ?

Autre situation, autres enjeux, consultant sympathique, entretien bien cadré, et soudain, c’est la personneinterviewée qui devient intarissable… La situation présente, ses enjeux, les évolutions possibles les besoins… Est-elle simplement en train de s’épancher ? Cherche-t-elle à dire tous ces mots si longtemps retenus ? Essaye-t-elle aucontraire de “faire passer des messages”, d’instrumentaliser l’intervieweur ?

Quelle systemic attitude développer dans un système aussi volatil ? Voici quelques pistes …

1• Prendre autant de recul que possible par rapport à ses propres préjugés… Faute de quoi ceux-ci peuvent se transformer en “self predicting prophecy3”. Si l’intervieweur s’est laissé conter que Martin étaitirresponsable… Et qu’il le traite comme tel… Il y a fort à parier que Martin, se sentant ainsi traité se comported’une façon qui confirmera le jugement préalable. CQFD, la prophétie s’est auto - réalisée.

2• D’un système aussi peu cadré, il ne faut pas espérer retirer autre chose que ce qu’on yamène. Le consultant qui se montre ouvert, honnête et accessible lors de la présentation de l’entretien a deschances d’induire un dialogue ouvert et honnête. (“A des chances”, faut-il dire, ce n’est pas une certitude).L’intervieweur qui présente l’entretien d’une façon malhonnête, manipulatrice ou confuse… A des chancesd’induire un dialogue orienté ou opaque.

3• Les quelques premières minutes de l’entretien sont essentielles… Depuis la façon de frapper àla porte (un martèlement autoritaire ? Deux petits coups discrets ?)… Jusqu’à la façon de présenter le but del’entretien… De donner sa poignée de main… De regarder (dans les yeux ? par la fenêtre, …) ? C’est unmoment où tous les indices comptent. Que cela soit consciemment ou pas, la personne interviewée est entrain de jauger l’intervieweur. Puis-je lui faire confiance ? A quel jeu ais-je envie de jouer avec lui ?

4• Rendre les règles du jeu explicites contribue à cadrer l’entretien. Il s’agit, en début d’entretiende se mettre d’accord sur le but de l’entretien, son (ses) intention(s), les suites qui y seront données, lesrègles du jeu (les thèmes qu’il est envisagé d’aborder / le respect ou non respect de la confidentialité / l’étatd’esprit de l’entretien, etc.).

5• Le non verbal contribue à cadrer l’entretien. Appréhension, stress, nervosité, agressivité, orgueil…L’intervieweur qui se mord les ongles… Qui ne regarde pas la personne interviewée… Qui prend un ton devoix sentencieux… Subtils mais déterminants, ces indices non-verbaux construisent la tonalité non-verbalede l’entretien, sous jacente à tout ce qui s’y dira.

6• Neutraliser le passé qui est toujours très présent. Si la personne interviewée a déjà vécu desentretiens traumatisants… Si la communication au sujet de l’audit n’a pas été bien faite en amont… Il fauttenir compte de ces éléments pour immédiatement les neutraliser. “On m’a dit que la société X avait fait desentretiens qui se sont mal passés il y a 3 ans…”. “Certains de vos collègues affirment qu’ils n’ont pas étéinformés du but de la démarche. Pouvons-nous en discuter avant de commencer ?”

7• Accueillir avec bienveillance les efforts entrepris par la personne interviewée pour seprotéger. Alors que la confiance se construit progressivement, la défiance est parfois rapide. Lorsque lapersonne interviewée se protége (ses réponses sont incomplètes, abstraites, vagues, à côté de la question), sil’intervieweur réagit par des questions plus directes, plus fermées, plus agressives, c’est le cercle vicieuxs’enclenche. D’un côté la communication se ferme, de l’autre elle devient intrusive. Pour éviter ce piège, uneseule solution : respecter les défenses. Passer à autre chose… Montrer de la compréhension (“J’entends qu’ilest peut-être difficile pour vous de répondre à cette question…”). Enquêter… Renégocier le contrat…

3 Prophétie auto-réalisante.

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2. Avant l’interview : La communication préalable- Venez, me dit le patron, je vous présente mon équipe. Et il se leva. Nous venions de nous mettre d’accord sur lesmodalités de mon intervention. Ça s’annonçait délicat, le patron était stressé.- Stéphanie, le patron était arrivé devant le bureau de sa secrétaire, voici M. Roux qui va nous aider pourl’organisation. Vous lui prendrez ses rendez-vous. Il me sembla que quelques points d’interrogation flottaient dansles yeux de Stéphanie. Je lui serrai la main.- Vous avez un bonzaï lui lançais-je incrédule en remarquant la plante sur sa table ?! Ici ?! Le bureau climatisén’était éclairé que par des néons. Il me fallait bien dire quelque chose de plus personnel, amorcer un premiercontact. Je savais que j’aurais besoin des bons offices de Stéphanie ultérieurement.- Ah Laurent, interjeta le patron en attrapant son collaborateur qui passait par là. Laurent, notre responsable Asie,basé à Singapour, fit le patron à mon intention.- Bonjour, je lui serrai la main.- Monsieur Roux va venir te voir pour parler organisation, fit le patron sur un ton péremptoire.- Nous pouvons faire l’interview à Singapour, c’est une ville que j’ai toujours rêvée de découvrir, lançais-jemalicieusement. Là encore, je trouvais les présentations sommaires. Mais je ne décelais pas d’animosité dans lesyeux dudit Laurent. Son statut d’avocat international le mettait à l’abri de craintes à mon égard. J’optai donc, làencore, pour une boutade anodine. Laurent me parla un instant de Singapour. Nous avons fixé rendez-vous et lepatron m’a emmené vers son collaborateur suivant.

Que l’on se mette quelques instants à la place de la personne qui est sur le point d’être interviewé. Un inconnu vabientôt rentrer dans son bureau. Dans quel but vient-il ? Comment va-t-il se comporter ? La situation estpotentiellement anxiogène… De plus, il est étranger à l’équipe, à l’entreprise…

• Vient-il évaluer les personnes ?• Vient-il en prévision de suppressions d’emplois ?• Vient-il parce que le chef ne sait plus quoi faire ?• Risque-t-il de mettre à jour quelques pratiques soigneusement dissimulées ?• Va-t-il se montrer intrusif ?• Va-t-il bouleverser les relations entre les gens ?

Pour éviter que ces questions ne génèrent de la méfiance, mieux vaut un peu de transparence :• Un coup de fil à chaque personne interviewée pour lui expliquer pourquoi elle a été choisie.• Une discussion franche et honnête pour expliquer le pourquoi et le comment des entretiens.• Un mail de présentation auquel est joint un bref CV de l’intervieweur.• Une réunion pendant laquelle l’intervieweur se présente, avec questions / réponses.

Deux conditions pour que ces dispositifs de communication soient pleinement bénéfiques :

• Qu’il y ait un équilibre entre communication descendante (laDirection informe le personnel…) et communication remontante (lepersonnel a l’occasion d’interroger la Direction, d’exprimer ses doutes, dedemander des informations complémentaires).

➨ Quoi?➨ Pourquoi?➨ Comment?➨ Où et Quand?➨ Et après?

• Que la communication cadre les interviews, c’est-à-dire qu’ellefournisse des réponses honnêtes aux questions suivantes :

- QUOI : De quoi s’agit-il ? De quel type de démarche ?- POURQUOI : Pourquoi lancer cette démarche ? Pourquoi avoir recours àun intervieweur (consultant, chercheur, universitaire…) ? Pourquoiintervieweur des gens ?- COMMENT : Comment choisit-on les personnes à interviewer ?Comment se dérouleront les interviews ? Quelles règles s’appliqueront ?- OU et QUAND : Quel lieu, quelle durée, quelle organisation ?- ET APRES : Les suites de la démarche ? Que fera-t-on des informationsrecueillies ? Quelles actions après les interviews ?

Qu’on ne se leurre pas. L’information préalable n’aplanit pas à elle seule toutes les difficultés… Mais c’est unemesure de prévention indispensable si l’on veut pouvoir établir une relation de coopération par la suite.

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3. Avant l’interview : La liste des thèmes- Bien, allons-y ! La voix du Directeur de Magasin me parvient. Claire, nette, incisive. Il travaille à l’autre bout de laFrance. Nous avons donc décidé de nous fixer rendez-vous par téléphone.- OK. J’inspirais et vérifiai l’ajustement de mon casque Vox4 sur mes oreilles. En tout premier lieu, lançais-je,j’aimerais que vous me parliez de la crise que vous avez vécue au magasin de B. ?La gestion de crise, voilà le thème de notre entretien. Sous les yeux, j’ai la liste des thèmes que j’ai composéquelques jours auparavant.- Il faut comprendre que cette crise a démarré dès l’ouverture du magasin, commença le Directeur. On l’avait àpeine inauguré que le bâtiment donnait déjà des signes de faiblesse structurelle qui allaient conduire à sa fermeturetrois ans plus tard…- Alors expliquez-moi comment ça s’est passé, le coupais-je…Le chef de magasin se lança dans un descriptif fourni. Je pris des notes abondantes, tout en conservant un œil surma liste de thèmes. “Stratégie de communication, communication externe, communication interne”. Voilà lethème suivant vers lequel j’allais tout naturellement pouvoir orienter mon interlocuteur.- Alors au moment où vous avez compris que vous devriez fermer le magasin, demandais-je, comment avez-vousprocédé en matière de communication ?- J’allais y venir, enjoignit le Directeur de Magasin. C’était le point le plus délicat, parce qu’il ne fallait pas que lepersonnel sombre dans la crainte. Ni les clients d’ailleurs. Il marqua une pause. Il fallait qu’ils restent motivés. Maisen même temps, il fallait leur expliquer. J’avais décidé de jouer la transparence. Mais comment leur dire que leurmagasin allait être rasé ?

Une heure au téléphone, c’est vite passé. Vers la fin de l’entretien, je pris conscience que j’avais couvert tous lesthèmes dans ma liste, et certains en grand détail. Je remerciai mon interlocuteur et pris congé.

Constituer une liste des thèmes d’entretien avant même de commencer présente plusieurs avantages :

• C’est l’occasion de prévoir ce que l’on cherche, et l’utilité possible dechaque élément de l’enquête.• C’est l’occasion de structurer son entretien. Par quoi commencer ? Y-a-t-ilun ordre logique dans lequel aborder les thèmes ?• Cela permet de montrer sa liste de thèmes d’entretien aux personnesinterviewées pour leur donner une idée de ce qui les attend.• Cela établit une traçabilité. On peut faire référence à la liste de thèmes etde dire “j’ai enquêté sur A, B et C, …”, etc.

Selon le but de l’entretien (qualité, organisation, marketing, RH, management, etc.), la liste des thèmes sera bienévidemment différente. Puisqu’il n’est pas possible de couvrir tous les cas, un seul exemple a été fourni en Annexe 1.

Quelques remarques toutefois sur les éléments constitutifs de la liste ainsi que sur sa structure :• La liste mettra plus ou moins l’accent sur différentes catégories d’informations. Notamment :

• Les faits quantifiables : chiffres, indicateurs, mesures…• L’historique… Ce qui s’est passé… Les conséquences que cela a eu…• Les descriptions de processus : qui fait quoi, enchaînement des tâches, résultats, etc.• Les opinions, avis, méta perceptions.• Les perspectives, idées, suggestions, priorités. Ce que la personne projette sur l’avenir.

• Les qualificatifs utilisés ne sont pas neutres. Parler de “besoins” donne une connotation revendicative.Parler de “priorités” incite à hiérarchiser. Parler “d’opportunités” plaît aux personnes entreprenantes. Parlerde “souhaits” relativiser la portée de ce qui va être dit, etc.• Certains thèmes sont difficiles à aborder directement. Les craintes, les magouilles, les critiques vis-à-vis dela hiérarchie, l’utilité des tâches de l’individu … Autant de questions qui risquent de se heurter à des réponsesévasives. Il faudra ruser. Parler d’un thème politiquement correct qui permet sert de tremplin vers un thèmeplus sensible.• L’ordre des thèmes n’est pas indifférent. Par exemple : Parler d’abord de l’historique et des processus. Neparler qu’ensuite des opinions. Dans l’ordre inverse, la personne interviewée risque de raconterprioritairement les événements et process qui correspondent aux opinions énoncées.

4 Casques qui permet d’utiliser son téléphone avec les mains libres.

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4. Les cinq premières minutes : Cadrer l’interview

La porte s’ouvrit sur un visage de femme. Son sourire me parut forcé. C’est ça le problème avec les gens qui seprénomment Dominique : on ne sait comment les appeler avant de les rencontrer- Mon chef vient de m’informer de votre venue, esquissa Dominique tout en m’invitant à rentrer.Je pris place dans le bureau qui était étroit et encombré. Dominique s’assit de l’autre côté d’une grande tablecouverte d’une plaque de verre.- Vous avez besoin de combien de temps, fit-elle avec un soupir… ?- Oh, le restant de la journée devrait me suffire, esquissais-je. Je n’étais pas sûr que l’humour était à sa place ici…Mais il fallait bien tenter quelque chose pour dégeler l’atmosphère. Gagné me dis-je quand Dominique releva la têteet me regarda d’un air légèrement incrédule.- Vous semblez peu informée de ma venue, lançais-je, et Dominique acquiesça. Avant de poursuivre, puis-je vousexpliquer pourquoi je suis là ?Dominique me signifia son approbation par un hochement de tête.- Et ensuite, vous pourrez me dire vous même si vous voulez me consacrer plutôt 5 minutes ou plutôt une heure ?Après tout, pensais-je, c’est de l’avenir de son centre de recherche qu’il est question… C’est son activité de l’annéeprochaine qui est en jeu… Et si cela ne l’intéresse pas d’en parler avec moi, c’est plutôt son problème que le mien…- Allez-y, je vous écoute, me lança Dominique.Dominique et moi nous avons parlé d’une façon tout à fait constructive pendant 90 minutes.

Quelle que soit la qualité de la communication préalable (ou encore son absence), il convient toujours de consacrerquelques minutes à cadrer l’entretien au début de celui-ci. C’est-à-dire :

• Se présenter et inciter la personne interviewée à se présenter (et, le caséchéant, présenter son travail, le service dont elle est responsable, etc.).• Rappeler les motifs de l’entretien, son but, ce qu’il est prévu de faire desinformations recueillies.• Rappeler les règles auxquelles on va se tenir. Par exemple :

- Confidentialité des débats.- Pas de citations attribuées aux personnes.- Pas d’évaluation des personnes.- Restitution du diagnostic à toutes les personnes interviewées.

• Rappeler le cadre pratique : la durée, etc.

Au delà de ces consignes se pose toujours la question de comment briser la glace avec son interlocuteur. Quelquespistes :

• Les petites phrases… Ce que les Anglais appellent small talk. Parler du temps qu’il fait, du contexteimmédiat, des événements récents. “Moi qui habite le sud de la France, c’est ici à Dunkerque qu’il fait le plusbeau…”.• L’humour… Excellent mais attention, ce n’est pas du goût de tous ! Et cela peut déstabiliser. Lire parexemple l’histoire du “bureau sans papier” en tête du chapitre 1 (la systémique des interviews).• Les objets et événements immédiatement observable dans le bureau, dans l’instant. “Tous ces trophées icice sont des… Ah, vous êtes marathonien… ?”. “Je viens de sortir du bureau de Mme M. qui m’a dit que c’étaitvous le grand spécialiste de…”.• Une gentille provocation… A manier avec précaution. “A juger par l’épaisseur de la moquette dans lecouloir, vous devez être l’homme le plus puissant de la société…”

Inutile d’en faire trop toutefois. Business is business… Venons-en à l’interview.

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5. Pendant l’interview : Choisir ses questions

- Alors, après avoir été manutentionnaire de 91 à 98, qu’avez-vous fait ? Demandais-je. Cet entretien derecrutement venait à peine de commencer que déjà il me donnait du fil à retordre.- J’ai travaillé comme gardien de nuit, m’expliqua le candidat, et il se lança dans un long descriptif des différentspostes qu’il avait occupé, de ses différentes responsabilités, etc.Je le regardai interloqué. L’homme était grand, black et superbement bien habillé. Son costume trois pièces étaitimpeccable. Je le relançai juste ce qu’il fallait pour qu’il continue son histoire. Un détail par ci, un éclaircissementpar là. Bientôt j’en savais plus sur le gardiennage de nuit que je ne le désirais. Je cherchais à gagner du temps etmon esprit tournait à 150 à l’heure.- Ce changement d’affectation en 2000, c’était donc une promotion, lançais-je ?- Laissez- moi vous expliquer, répondit le candidat qui poursuivit son histoire…C’est qu’il parle si bien, me dis-je ! Il dit qu’il n’a pas le bac, qu’il a fait manutentionnaire et gardien de nuit, mais ilparle mieux que bien des ingénieurs… ! Voilà donc pourquoi je n’arrivais pas à le croire. Je savais bien qu’il n’y apas de sot métier. Qu’on rencontre des talents insoupçonnés dans des lieux étranges… Mais enfin ! Quand même !- Monsieur, fis-je avec courtoisie lorsqu’il eut fini, ce que vous m’avez raconté me paraît fort intéressant, et enmême temps je n’arrive pas à vous croire… Je le regardai dans les yeux et me tus.Mon interlocuteur s’arrêta net. Il ne savait comment réagir. Allait-il contre attaquer ? Le silence dura quelquessecondes puis il se racla la gorge.- C’est pourtant la stricte vérité, m’annonça-t-il avec juste ce qu’il faut de froideur dans la voix.- Certes, Monsieur, certes, tout est possible… Et je lui expliquai les causes de mon désarroi.

Il n’avait menti que par omission. Mon intervention me permit de découvrir qu’il était le responsable Ile de Franced’une église pentecôtiste fort bien introduite. Et donc rôdé aux prêches, aux harangues et à la direction deshommes. Tout s’expliquait.

Quelles questions choisir à quel moment, et dans quel buts ? Comment les formuler ? Le thème de ce chapitre, enapparence simple, dissimule une pratique souvent complexe. Pour le traiter, il a été choisi d’introduire septfamilles de questions décrites ci-dessous. Chaque type de question sert de levier pour orienter l’entretien dans unecertaine direction… Et rattraper les inévitables erreurs de trajectoire.

2Fermées

3d’Approfondissement

?6

Pour fairefinaliser1

Ouvertes7

deRégulation

4 Pour faire décrire5

Pour faire interpréter

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1. Les questions ouvertes.Elles sont non-directives, elles admettent un éventail de réponses large, elles invitent l'interlocuteur à développerou à commenter librement sur le sujet proposé.

• Formulation : Elles commencent par : “Pourquoi …”, “Quand …”, “Où …”, “Quel, …”,“Lequel, laquelle …”, “Que pensez-vous de …”, etc. Elles sont généralement courtes,synthétiques, sans fioritures. Par exemple : “Pourquoi avez-vous fait (telle action) ?”, “Quepensez-vous de (telle situation) ?”, “Quelles démarches avez-vous utilisé jusqu’à présent ?”, etc.

• Utilité : Ce sont des questions qui ouvrent le débat et qui invitent l’autre à exprimer sespensées, ses thèmes, ses idées, ses préoccupations. Elles minimisent l’influence del‘intervieweur sur le contenu des propos.

• Risques : Les réponses peuvent s’avérer longues… Eparpillées… A côté de ce qu’on cherche…L’interview risque de dériver… Il prend plus de temps.

2. Les questions fermées.Elles sont directives, elles appellent des réponses généralement brèves, souvent oui ou non, elles orientent lesréponses vers un nombre limité de choix.

• Formulation : Elles induisent un choix fermé. Elles peuvent être formulées de façonpositive : “Vous envisagez de …”, “Pensez-vous que …”, “Avez-vous (tel type de matériel) ?”.Ou négative : “Ne croyez-vous pas que …, Ne pensez-vous pas que …”, etc.

• Utilité : Les questions fermées sont utiles pour verrouiller les points clefs de l’interview,pour aller vite à l’essentiel, pour clarifier les détails. Elles permettent aussi de (re-) prendre lecontrôle de l’interview et d’acculer son interlocuteur à des clarifications.

• Risques : Les questions fermées sont rapidement irritantes… Elles cadrent la discussion(c’est leur avantage) mais elles empêchent la liberté de parole. Trop c’est trop, il ne faut pas enabuser. Ou alors l’interview sera vécu comme un interrogatoire. Les formulations négativessont par ailleurs perçues comme manipulatrices : “Ne pensez-vous pas que… ?”.

3. Les questions d’approfondissement.Elles réutilisent ce que la personne interviewée vient de dire pour relancer l’entretien, obtenir des précisions ou desrenseignements complémentaires.

• Formulation : Elles s’appuient sur ce que l’interlocuteur vient de dire pour rechercher unplus grand niveau de détail, des explications ou des descriptions complémentaires.

- Pour clarifier le sens d’un mot ou d’une réponse, le reprendre de façoninterrogative “Les conditions ?…”. Poser une question explicite : “De quelles conditionsparlez-vous ?”. Reformuler : “Si j’ai bien compris, vous dites que…”.- Pour obtenir une information de détail, utilisez les questions de base (QQOQCCP) :“Quoi…”, “Qui…”, “Où”, “Quand…”, “Comment…”, “Combien…”, “Pourquoi”. Par exemple :“Vous parlez de cette action X, quand l’avez-vous effectuée ?”.- Pour obtenir un exemple concret à partir d’une idée générale, demander “Donnez-moi un exemple !”. Variantes : “Quand par exemple ?”. Par exemple : “Vous parlez de X,j’aimerais que vous me décriviez un moment précis ou X s’est réellement passé ?”, “A quelmoment est-ce que X est arrivé ? Et comment est-ce que ça c’est passé à ce moment-là ?”.- Pour obtenir une description plus détaillée, posez des questions de type “Quandvous avez fait X, qu’est-ce que vous avez fait ?”. Par exemple : “Quand vous avez lancé ceplan d’action, comment vous y êtes vous pris ?”, etc.

• Utilité : Ces questions servent à descendre à un niveau de détail supplémentaire et à ensavoir plus sur un sujet donné. Elles permettent aussi de mieux comprendre son interlocuteuret de vérifier la justesse de ses jugements et affirmations.

• Risques : Obtenir tous les détails sur tout serait fastidieux et long… Ces questions peuventaussi s’avérer délicates lorsque l’interlocuteur est délibérément dans un discours de typelangue de bois.

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4. Les questions pour faire décrire.

Ces questions cherchent à obtenir des descriptions : descriptions de l’activité de votre interlocuteur, description desa situation, du contexte dans lequel il se trouve, etc…

• Formulation : Il existe plusieurs types de questions descriptives :- Au sujet du contexte d’une action, d’une situation : les questions types sont “Où ?”et “Quand ?”. Par exemple : “Où étais-tu à ce moment-là ?”, “Où est-ce que tu as fait tellechose ?”, “Quand est-ce que ça c’est passé ?”, “A quoi ressemble tel lieu ?”, etc.- Au sujet des faits : la question type est “Qu’est-ce qui s’est passé ?”. Par exemple :“Qu’est-ce qui s’est passé exactement ?”, “Est-ce que tu peux me retracer l’ordre dans lequelles choses se sont passées ?”, “Qu’est-ce qu’il a dit au juste ?”, “Qu’est-ce qu’il a fait à cemoment-là ?”, etc.- Au sujet de l’activité de l’interlocuteur : la question de base est : “Qu’est-ce que tu asfait ?”. Par exemple : “A ce moment là, comment est-ce que tu t’y es pris ?”, “Qu’est-ce quetu avais fait avant ?”, “Et après ?”, etc.- Sur les chiffres : la question type est “Combien ?”. Par exemple : “Combien de packsavez-vous vendus ?”, “Combien en avez-vous en stock ?”, “Quel a été votre chiffred’affaires ?”, etc.

• Utilité : Ces questions sont essentielles pour établir les faits, les gestes et les actions relatifsà une situation. Elles fournissent toutes les informations brutes qui permettront d’évaluer enconnaissance de cause. Idéalement, ces questions sont à poser avant toute question sur lesopinions et les jugements : elles permettront la formulation d’avis plus lucides, pluscirconstanciés.

• Risques : Les descriptions peuvent s’avérer longues et fastidieuses. Ce type dequestionnement prend du temps et ne vaut pas toujours la chandelle. Par ailleurs, lesinformations recueillies ont leur part de subjectivité…

5. Les questions pour faire interpréter.C’est la forme de question probablement la plus utilisée à la télévision… “Que pensez-vous de… ?” Mais elle faitmieux fonctionner l’intellect que la mémoire… Leur but est de faire énoncer par l’interlocuteur la signification qu’ilattribue aux choses, aux situations, aux actions, aux personnes… Son analyse des choses…

• Formulation : Le point commun de ces questions est de faire appel à une explication, à uneopinion, une idée, une pensée qui est sera généralement formulée de façon relativementabstraite. La question fondamentale est “Pourquoi ?”. Mais beaucoup d’autres formes sontpossibles : “Quel est votre avis sûr… ?”, “Que pensez-vous de… ?”, “Quelles sont à votre avisles causes de… ?”, “Pourquoi est-ce que vous avez entrepris telle action ?”, “Quelle est votreanalyse de la situation ?”, “Quand vous avez entrepris telle action, quelles en ont été lesconséquences positives et négatives ?”, etc.

• Utilité : Ces questions sont indispensables pour renseigner sur les cartes mentales del’interlocuteur, sur ses priorités conscientes, sur l’image qu’il voudrait donner de lui-même etde son activité.

• Risques : Expliquer, c’est facile, mais que vaut l’explication ? Se focaliser sur les explicationsdétourne souvent l’attention de la réalité, des faits, de la description de la situation. A poser cesquestions trop tôt, ou de façon trop exclusive, on ouvre la porte à des explications sans valeurqui masquent la réalité. On invite au débat d’idées, mais les idées peuvent s’avérerdéconnectées des process, des réalités observables, des faits.

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6. Les questions pour faire finaliser.Ces questions cherchent à élucider les intentions, les buts, les désirs, les priorités, les enjeux et les projets del’interlocuteur. Leur point commun est de s’intéresser à la finalité des choses.

• Formulation : Ces questions sont toujours orientées vers la finalité des actions entreprises,des projets, des décisions. Quelques exemples :

- “Dans quel but est-ce que vous avez… ?”… Par exemple : “Dans quel but est-ce que vousavez lancé ce plan d’action ?”, “Quelle est votre intention en changeant la disposition desrayons ?”, “Quelles sont vos priorités aujourd’hui ?”, ““Quand vous avez fait ceci, quel étaitvotre objectif en le faisant ?”- “Quelle est l’utilité de… ?”- “Quel a été votre objectif en… ?”- “Quels sont les conséquences, les enjeux ?”. Par exemple : “Si vous faites X, quelles serontles conséquences ?”, “Pour vous, quels étaient les enjeux de faire X ?”.- Attention ! En Français, “pourquoi ?” est ambigu. Cela veut aussi bien dire “pour quellesraisons ?” que “pour quoi, en vue de quel but”. Généralement à éviter.

• Utilité : Ces questions servent à comprendre les motivations et les objectifs del’interlocuteur, à savoir quels désirs ont présidé à ses actions ou à ses prises de décision. Ellespermettent de mettre à jour ses raisonnements (“Je fais telle action dans tel but”).

• Risques : Dans les faits, il arrive souvent qu’une personne agisse de façon assezautomatique, sans vraiment réfléchir. Dans ce cas, les réponses sont parfois sans grandevaleur. Il peut y avoir plusieurs niveaux d’enjeux, dont seul certains sont mis en avant…

7. Les questions de régulation (ou méta-questions5).Ces questions ne visent pas à recueillir des informations, mais à réguler la relation. Importantes et souventméconnues, elles facilitent la conduite de l’entretien. Utilisées à bon escient, elles créent un capital de bonnevolonté, rassurent, évitent les problèmes et donnent à l’entretien rythme et fluidité.

• Formulation : Il existe plusieurs types de questions de régulation et seules les plusessentielles sont présentées ci-dessous :

- Pour établir (rétablir) un contrat de communication. La question type est : “Est-ce que vous êtes d’accord… ?”. Par exemple : “Je n’ai pas le sentiment que vous ayezvraiment répondu à la question X. Est-ce que vous êtes d’accord pour y répondre ?”, etc. Ademander en début d’entretien. A redemander lorsqu’il y a un problème.

- Pour vérifier qu’on ne fait pas de contresens. On aura recours à la reformulation.Cela consiste à redire ce qu’on a compris en vérifiant que c’est bien ça. Par exemple “Si j’aibien compris, vous avez fait d’abord X, puis Y, puis Z… Est-ce bien ça ?”.

- Pour relancer. Ponctuer son discours de “Hum… hum…”. De “oui…”. De petitesquestions : “et après ?”, “et encore ?”. Pour donner du liant. Reprendre simplement lesdernières idées ou les derniers mots dits. “Donc vous avez pris telle décision, et ensuite ?”.

- Pour régler un problème, désamorcer un froid : Faire part de ses perceptions etengager la discussion là-dessus. “je vous vois regarder votre montre, estes vous pressés ?”

- Pour synthétiser un ensemble d’idées : Récapituler ce qu’on a compris et vérifier.“Vous me dites donc A, B, et C, puis vous avez rajouté D, est-ce bien ça ?”

• Utilité : Ces questions visent à établir et à maintenir un climat de confiance, à éviter que lequestionnement ne soit perçu comme intrusif, à minimiser les résistances. Il permet aussi deréduire les risques de malentendus, de donner à l’entretien un climat plus humain.

• Risques : Des questions à formuler en passant, de façon conviviale et simple, sinon ça peutdevenir lourd (“Sachez que vous avez le droit de vous taire tant que votre avocat n’est pasprésent !”).

5 Du grec “méta”, au sujet de, en rapport avec, un niveau au dessus de…

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6. Pendant l’interview : Le non-verbal- Asseyez vous Monsieur ! Le ton du Directeur d’Usine était sans appel. Il avait fait un geste large pour m’indiquermon siège. Pas l’ombre d’un sourire sur son visage, son regard me scrutait comme un boxeur avant le début dumatch.- Bonjour, me hasardais-je, surpris. Entre son ton de voix, sa coupe de cheveux et l’aspect massif du personnage, iln’y avait pas photo. Lieutenant Colonel reconverti dans le management, me suis-je dit en mon fort intérieur.Lieutenant Colonel ou Sergent Chef ? Je ne savais pas trop mais l’heure n’était pas à jouer avec les grades.- C’est donc la Direction à Paris qui vous envoie ! Lança-t-il. Et pour accompagner son propos, il martela la surfacede son bureau d’un geste ample et sonore. Pour enquêter dans mon usine, poursuivit-il et il refit le même geste,heurtant bruyamment le bois avec les paumes de ses deux mains ! Pas surprenant que ses subordonnés soientterrorisés me suis-je dit.- C’est ça répondis-je mollement. Je venais de noter que ses poignets étaient à peu près aussi larges que la totalitéde mes mains. Impressionnant.- On m’a dit que vous aviez déjà sévi à l’usine de G., m’avertit-il, avec un autre de ces gestes dont il avait le secret.- Cela fait effectivement quelques années que j’y travaille, répliquais-je. Je me rendais compte qu’il me faudrait bientrouver une réplique, une parade avant qu’il ne démolisse son bureau sous mes yeux, à défaut de me démolir moi, leblanc bec envoyé par Paris qui osait vouloir enquêter dans son usine.- Alors que comptez-vous faire, asséna-t-il tout en laissant une nouvelle fois tomber les paumes de ses mains sur lebureau ?- Je vais commencer par un état des lieux ! Je retrouvai ma force et me mis à hurler. Les paumes de mes mainss’abattirent sur le bureau et je claquais le bois à mon tour ! Cette fois-ci, je tenais ma chance et je n’allais pas lalâcher. Votre Directeur du Personnel et moi, nous allons constituer un Comité Qualité, poursuivis-je ! Nouvelleclaque sur la table ! D’ici trois mois, nous remettrons à Paris un rapport (nouvelle claque) ! Non sans en avoirdiscuté avec vous (encore une) ! Ensuite, il faudra former les cadres (une autre) ! Et créer le plan qualité (claquesonore) ! Qu’en pensez-vous (dernière claque) ?- Ce qu’en j’en pense, bafouilla le Directeur d’Usine ? Quand j’avais commencé ma série de claques, il m’avaitregardé d’abord incrédule. Que se passait-il au juste ? Il n’avait pas l’air de le savoir… Etais-je la première personneà réagir ainsi dans ce lieu ? Peut-être bien. Il avait toujours l’air hébété.- Ce que vous en pensez ! Martelais-je, avec une nouvelle claque, un peu moins sonore il est vrai.- C’est très bien, dit-il… Et cette fois-ci il esquissa un vague sourire. Je pense qu’il est temps que nous comblionsnotre retard sur les autres usines.Intérieurement, je poussai un ouf de soulagement. Mon comportement n’avait pas été sans risque. Certes, j’avaisgagné, mais j’aurais pu tout aussi bien prendre la porte avec un aller simple pour Paris.

Je m’étais souvenu juste à temps d’une théorie toute subjective et personnelle que j’avais échafaudé quelques tempsauparavant. Que les personnes qui terrorisent leur entourage n’ont pas eux-mêmes l’antidote aux formes de torturequ’ils infligent. Il m’avait donc suffi de reproduire ses claques sur le bureau pour donner à l’entretien une toutenouvelle tournure.

Le non verbal est une variable omniprésente pendant toute la durée des interviews : ton et volume de lavoix, expression faciale, posture, ampleur des gestes, etc. On explorera ici :

• Le non verbal qu’on émet soi-même, et l’influence qu’il exerce sur la relation. Inconscient deson propre non-verbal, on risque d’être en train de “piper les dès” sans le savoir.• Les réponses non verbales données par la personne interviewée. Souvent subtiles, parfois encontradiction avec les propos verbaux, ces réponses fournissent des indices précieux pour orienter lesinterviews.• Le phénomène de synchronisation, phénomène spontané qui amène deux personnes à aligner,généralement de façon inconsciente, les paramètres de leur communication non verbale. Ce phénomène estdoublement important en situation d’interview : en l’absence de synchronisation, il y a inconfort relationnel.Mais s’il y a excès de synchronisation, la relation devient fusionnelle. C’est donc un paramètre à surveiller età gérer.

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6.1. Les dimensions observables du non verbal

Quand on parle du non-verbal, de quoi parle-t-on au juste ? Selon la Programmation Neuro-Linguistique6, le “nonverbal” se rapporte à toutes les dimensions observables du discours en dehors de mots.

Dans le cadre d’un interview, le non verbal comprend :

• La Physiologie et notamment :

- La position du corps. Assis, debout allongé, bras croisés, bras ouverts, angle de la nuque, etc. Etplus particulièrement l'angle de la colonne vertébrale, depuis le bassin jusqu'en haut du cou.(Exemple : La tête un peu penchée de Jean-Pierre Foucauld dans Qui veut gagner des millions).

- Les gestes. Petits gestes, grands gestes, gestes absents, nature exacte des gestes. Gestes des bras,des mains, de la tête, des pieds, gestes de l’ensemble du corps (hausser les épaules), etc. (Exemple : deGaulle dans “Je vous ai compris”).

- L'expression du visage : tension des muscles, y compris les lèvres, les sourcils, le front, lamâchoire, … (Exemple : La fixité des yeux de Marc Olivier Fogiel dans On ne peut pas plaire à tout lemonde).

- Le clignement des cils : vitesse, rythme, périodicité… (Exemple : Mitterrand dans “vous n’avezpas le monopole du cœur”).

- La respiration : rythme, amplitude, localisation (haut, milieu, bas du torse…). (Exemple : le petitsoupir qui indique un discret soulagement).

- La couleur de la peau : rougissement, froncement, émission de sueur visible par de légers refletssur la peau, chair de poule, etc. (Exemple : le teint qui devient livide sous l’effet de la concentration).

• L’auditif et notamment les paramètres suivant de la voix :

- Le volume, (fort - faible)

- Le ton, (haut - bas)

- Le débit, (rapide - lent)

- Le rythme (régulier - irrégulier - etc.)

- Le timbre (nasal - guttural - etc).

• Plus accessoirement, le canal olfactif peut être perçu par les personnes sensibles (odeurs de sueur,phéromones émises par la peau lorsque certaines émotions sont ressenties…).

6 P.N.L., en anglais NLP, discipline de vulgarisation psychologique créée dans les années 70 par les Américains R. Bandler etJ. Grinder. La PNL se veut inspirée de la Cybernétique, de la Sémantique générale, des Sciences Cognitives et des Sciences dela communication. Le discours de la PNL sur le non verbal s’inspire essentiellement des travaux du psychiatre américainMilton Erickson. Voire par exemple Monique Esser, La P.N.L. en perspective, Editions Labor, Bruxelles, 1993.

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6.2. Les positionnements non-verbaux

Qu’est-ce qu’un positionnement non-verbal ? Un ensemble cohérent d’indices non-verbaux qui traduisent laposition de l’individu dans le groupe. Vu sous l’angle d’un observateur neutre (d’une caméra vidéo ?) comment sepositionnent l’intervieweur et la personne interviewée ? Qu’expriment ces personnes par leurs gestes, leursattitudes, leurs tons de voix ?

Les travaux de Virginia Satir7 tendent à montrer que le non-verbal observable dans chaque situation estinfluencé par au moins quatre facteurs :

• Le thème traité. Certains thèmes sont associés à plus de bonheur ou de dynamisme que d’autres. La voixsera plus forte, le débit de parole plus rapide, etc, les gestes plus amples, le regard plus vers le haut… Chaquefois qu’un individu parle d’un thème, il a spontanément tendance à exprimer de façon non verbale les affectset états émotionnels associés à ce thème.

• La personnalité. Certaines personnes sont extraverties et parlent plus haut, plus fort,. D’autres sontintroverties et parlent plus doucement, moins souvent. Certaines, plus axées sur la pensée expriment un nonverbal très “monocorde” et peu varié. D’autres, plus axées sur les sensations auront tendance à émettre uneplus grande variété de signaux non-verbaux…

• La culture : Les latins ont paraît-il tendance à faire plus de gestes que les anglo-saxons (Mister Bean est-ille parfait contre-exemple ?). Ce qui est certain, c’est que chaque culture conditionne des réactions non-verbales spécifiques (voix, gestes…). Attention au “oui” des Grecs ! Il ressemble à un “non” français.

• Le positionnement des autres personnes présentes. S’il y a une “grande gueule” dans un groupe, lesautres auront tendance à s’écraser. A l’inverse, la dépression peut s’avérer contagieuse. Au contact depersonnes fatiguées, on risque de se sentir fatigué soi-même, etc.

Le dernier facteur est typiquement systémique. Chacun se positionne plus ou moins inconsciemment en fonctionde ce qu’il perçoit (tout aussi inconsciemment) dans l’instant. Le Directeur d’Usine ci-dessus semblait tenterd’imposer un positionnement pyramidal avec lui au sommet. Il s’attendait vraisemblablement à ce que soninterlocuteur adopte un positionnement complémentaire, écrasé en bas de l’échelle hiérarchique.

En se basant sur l'observation de petitsgroupes, Virginia Satir a créé une grille delecture des positionnements : impérieux,suppliant, distrayant, ordinateur et fluide.

Selon Virginia Satir, chacun de cespositionnements a son util ité, sesinconvénients. Et chacun exerce une influencesystémique sur les positionnements d’autrui.Prendre conscience de ce phénomène aide àmieux décoder le fonctionnement d’un groupeet à choisir, quand c’est possible, despositionnements adaptés à ce que l’on veutfaire.

7Virginia Satir, fondatrice d’une école de thérapie systémique familiale aux USA. Un personnage à la Françoise Dolto ayantdonné naissance à une abondante bibliographie, essentiellement en Anglais. Ce chapitre est librement adapté de sonenseignement, le modèle ayant été modifié par plusieurs auteurs au fil des années.

✩Impérieux

Suppliant

Ordinateur

Fluide

Distrayant

Meta

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Voici quelques clefs pour reconnaître chaque positionnement :

- IMPERIEUX : C’est le positionnement par lequel on affiche son autorité,qu’elle soit accusatrice ou ennonciatrice, froide ou chaleureuse, affirmative ouaigrie… Il se caractérise par un ton de voix ferme, voire fort, bien placé, unerespiration ample, des gestes précis, énergiques, voire accusatoires ou affirmatifs,une attitude corporelle solide, l’utilisation de mots clefs comme “il faut, tu dois,fais ceci, fais cela, voici ce que nous avons décidé…, voilà la situation, voilà cequ’il faut faire, voici comment sont les choses…”.

Ce positionnement peut avoir pour effet de pousser autrui dans le positionnementcomplémentaire, suppliant. Au fur et à mesure qu’une personne s’affirme etrayonne, l’autre va se ratatiner et s’éteindre.

Ce positionnement peut aussi déclencher une “lutte des chefs” : une surenchèreentre deux personnes souhaitant chacune se montrer plus impérieuse que l’autre.

L’intervieweur impérieux dit ce qu’il pense lui-même du sujet sur lequel ilenquête. Il pose des questions orientées. Il prend beaucoup de place. Il risquerapidement de se plaindre que la personne interviewée ne répond que par des ouiet des non… Envoyez le générique !

- SUPPLIANT : A l’inverse de l’impérieux, ce positionnement est généralementchoisi lorsqu’on se sent en position de (relative) faiblesse. On sait qu’il y a unproblème… On n’a pas travaillé ses dossiers… On ne se sent pas bien ce jour-là…On se sent tout simplement intimidé… Il se caractérise par un volume de voixfaible, un timbre de voix qui peut devenir geignard, des yeux “suppliants”, fuyantsou dans l’évitement, une posture traduisant la soumission (tête penchée en avant,regard vers le bas, bras et jambes croisées… Sur le plan verbal, ce positionnementse traduit par des demandes d’aide : “J’aurais besoin de vous pour faire X”, de laflatterie “heureusement que vous êtes là pour me dire que…”, des manifestationsd’allégeance “Je ferais comme vous le souhaitez”…

La première variante de ce positionnement est intitulé « apaisant » : la personneen entièrement tournée vers la satisfaction des besoins d’autrui et versl’apaisement des conflits. La deuxième variante de ce positionnement est appelée« rebelle » : la personne lutte contre un sentiment de faiblesse ou d’infériorité enadoptant une attitude rebelle, de défi ou de revendication.

Se positionner en suppliant peut amener son interlocuteur à occuper lepositionnement impérieux (“puisque tu ne le sais pas, je te dis ce qu’il faut que tufasses…”) ou apaisant (“laisses moi donc t’aider…”).

- FLUIDE : C’est le positionnement de quelqu’un qui communique de façon toutà fait congruente et fluide. Les mots sont en accord avec les gestes, les intonationsen accord avec les significations, la personne montre une excellente capacité àparler de tous les aspects d’une situation : les tâches, les enjeux et les objectifsbien sûr, mais aussi à parler de soi et de ses émotions, d’autrui et de la relationentre soi et autrui. S’exprimer à partir de cette position, c’est dire « sa vérité dumoment » et se montrer en accord avec soi-même sans toutefois ni agresser nidénigrer qui que ce soit. C’est une position qui porte un profond respect de soi etd’autrui.

Ce positionner de façon fluide invite l’interlocuteur à adopter une positionsimilaire. A ce titre, c’est la position par excellence pour relier les gens, construiredes ponts, surmonter les conflits et les difficultés. A moins que ce positionnementsoit vécu comme une menace par quelqu’un qui manque de confiance en soi.Auquel cas il peut être dénigré.

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- DISTRAYANT : Ce positionnement est centré sur l'émotion et la créativité. Direune ineptie - ou une blague, faire quelque chose qui n'a pas de rapport avec le sujet,se lancer dans une grande diatribe théâtrale, exagérer, faire tomber un objet,éternuer… La communication est colorée, inattendue, riche en métaphores, enimage, souvent rapide, visuelle. Le non-verbal se caractérise par sa mobilité…L'émotion et la créativité sont relativement libres de s’exprimer…

Etre distrayant, c’est l’idéal pour mettre de l’ambiance, dédramatiser un conflit,relativiser tous les autres positionnements lorsqu’ils se prennent trop au sérieux.Mais attention : à trop faire le distrayant, on peut indisposer son interlocuteur qui,selon le cas, passera en impérieux (“Tait toi, ce n’est pas le moment de blaguer !”)ou en ordinateur (“Je ne comprends pas bien ce que votre forme d’humour vientfaire ici…”)

- ORDINATEUR : Ce positionnement est avant tout logique et rationnel. Exitl’émotion. Ce positionnement se caractérise par l’emploi de mots abstraits (etparfois complexes !). Par un ton de voix monocorde. Par une grande stabilité desparamètres non-verbaux. Par une mise en sourdine des gestes, des expressionsfaciales et émotionnelles. Sur le plan verbal, ce positionnement exprime desraisonnements : “je pense que”, “la logique de la situation” ainsi que ses dialoguesinternes “je me dis que”.

C’est le positionnement le plus habituel pour les cadres supérieurs et lesintellectuels. On les écoutera ainsi parler avec sérieux des heures durant, sans qu’iln’y ait jamais un mot vraiment plus haut que l’autre. Rien de surprenant à cela :on ne survivrait pas jusqu’à Bac +5 si l’on n’avait de bonnes aptitudes à occuper lepositionnement “ordinateur”.

Face à quelqu’un dans ce positionnement, on se prend à l’occuper soi-même… Adéfaut de rendre la communication conviviale, on sera au moins occupé pour unbout de temps. Alternativement, à trop se vouloir ordinateur, on peut lasser(exaspérer ?) son interlocuteur et le pousser vers l’impérieux, le suppliant,l’apaisant ou le distrayant… Et l’on est reparti pour un tour.

- META : Ce positionnement est dessiné au centre du schéma. Etre en positionméta, c’est observer et réagir à l’interaction entre les personnes, être conscient desprocessus d’interaction qui se déroulent. Penser, ressentir ou dire quelque choseau sujet de ce qui se déroule à ce moment là. Ce positionnement se caractérisesouvent par une attitude en léger recul (se pencher en arrière sur sa chaise) et parune certaine passivité (peu ou pas de discours… Volume de voix faible… Silences)dû au fait qu’on est occupé à penser à autre chose. Quand on parle à partir de cepositionnement, c’est généralement pour poser des questions de régulation (aussiappelées méta questions). Ou encore pour réagir à ce qui se passe dansl’interaction. On dira par exemple :

• ”Je ne sais comment interpréter votre silence. Ce thème présente-t-il unedifficulté particulière ?”• “Ma question a l’air de vous remuer ! Que pouvons-nous faire ? Commentcontinuer ?”.

Occuper la position méta n’est pas inné. Il faut savoir se décentrer par rapport àsoi-même et faire des hypothèses sur le point de vue de l’autre. Heureusement,cela s’apprend. Certaines personnes réussissent à faire de nombreux passages parle positionnement méta tout en parlant d’autre chose. Le positionnement métaleur fournit des indications précieuses pour orienter la discussion, piloter lesrelations, prendre du recul, analyser, construire une stratégie relationnelle…

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6.3. Les indices non-verbaux

Dans son livre, l’Erreur de Descartes, le Docteur Damasio8 a clairement montré combien les facultés deraisonnement intellectuels sont étroitement imbriquées dans le fonctionnement physiologique du corps. Là où l’onoppose souvent “pensée” et “sensation”, “mental” et “corps”, le Dr Damasio montre que la pensée n’est pas un actepurement cérébral. Mais bel et bien un processus susceptible d’impliquer les muscles, la peau, les tendons, etc.

Quelles sont les conséquences de ce phénomène sur les interviews ?

• On note effectivement la présence de réactions non verbales aux questions qui peuventprécéder, coïncider avec- ou suivre les réactions verbales. Ce phénomène est aisé à démontrer empirement…Il suffit de poser une question un peu provocante pour voir des rougissements du visage, des gestes nerveux(se passer la main dans les cheveux), un regard interloqué (accompagné d’un petit froncement des sourcils).Sur le plan auditif, on constatera peut-être un bref silence, une inspiration plus profonde que d’habitude,etc…

• Le non verbal renseigne sur les processus de pensée de la personne interviewée. Une réponseimmédiate laisse penser que l’information était proche de la conscience, tout de suite disponible. Un tempsde silence long avant la réponse signifie au choix (1) qu’il a fallu aller chercher loin dans la mémoire, (2)réfléchir longuement, ou bien (3) peser savamment ses mots…

• Le non verbal traduit parfois des éléments dont la personne n’est pas consciente. Ou encoredont elle ne souhaitait pas parler. C’est ainsi qu’un plissement des sourcils peut exprimer le stress ou lesouci qu’éprouve une personne, et dont elle ne parle pourtant pas. Un regard fixe, comme “hypnotique”,accompagné d’un timbre de voix voilé pourrait indiquer la présence d’un traumatisme quel qu’il soit (etmême ancien, sans rapport direct avec la situation dont on parle à l’instant).

Que faire de ces réactions non-verbales, that is the question !

• Les observer d’abord. S’il est trop accaparé par sa prise de note, par ses réflexions, l’intervieweur neverra rien.

• Les prendre pour argent comptant ? Non, les études sont formelles : il y a une part importante deprojection dans l’interprétation qu’on fait de ces indices. Ce n’est pas parce quelqu’un rougit qu’il est gêné ! Sil’on observe un rougissement, c’est l’indice qu’il s’est passé quelque chose, mais quoi ? De la gêne ? De lacolère ? De l’excitation ? Un réchauffement dans l’air ? Un sentiment d’intimité ? Autre chose encore ? On nepeut le savoir avec certitude par l’intuition.

• Les laisser de côté alors ? Ce serait dommage de se priver d’une telle manne d’informations.

Il semblerait que les intervieweurs les plus chevronnés sachent faire au moins quatre choses :

• Observer le non verbal tout en parlant d’autre chose…

• Faire des recoupements entre les nombreux indices non-verbaux qu’ils recueillent, émettre des hypothèsesquant à la signification possibles des non verbaux observés…

• Faire la part des choses par rapport au contexte. (C’est assez normal d’hésiter lorsqu’on aborde un sujetdélicat).

• Formuler des relances respectueuses à partir des indices non-verbaux reçus. Celles-ci permettront parexemple de valider une hypothèse “Je vous vois sourire, c’est-il peut-être passé quelque chose de drôle…” oude poursuivre l’enquête : “Vous avez marqué un silence assez long avant de répondre… Y-a-t-il autre choseà ce sujet dont vous pourriez me parler…”.

8 A.R. Damasio, L'erreur de Descartes, La raison des émotions, Editions Odile Jacob Sciences, Paris, 1995.

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6.4. La synchronisation

Quand elle se produit, la synchronisation est généralement inconsciente et spontanée. On peut toutefois apprendreà l’observer et à la moduler. Cela devient alors un outil qui facilite les prises de contact en début d’interview tout enévitant les dérives vers une trop grande proximité en cours d’entretien.

Ce phénomène, lui aussi issu des travaux du psychiatre Milton Erickson et vulgarisé par la PNL se définit ainsi : Ondit de deux personnes qu'elles sont “synchronisées” lorsqu'elles ont adapté les paramètres verbaux et non verbauxde leur communication pour communiquer d'une façon relativement similaire.

• Exemple de synchronisation : Un intervieweur et une personne interviewée assis dans des positionssemblables, utilisant des mots assez intellectuels et abstraits, parlant doucement. Ils parlent d’un conceptd’organisation que tous les deux illustrent en faisant des gestes comme s’ils déplaçaient des objets dansl’espace… Vu de l’extérieur, on pourra penser que ces deux personnes sont “dans une bulle”.

• Exemple de non synchronisation : Un intervieweur superactif, parlant très vite et plutôt fort, utilisantdes mots visuels, gesticulant énormément, avec une personne interviewée introvertie, calme, parlant peu etdoucement, utilisant des mots kinesthésiques. Vu de l’extérieur, on aura peut-être l’impression de voir lacarpe et le lapin.

Phénomène annexe, le pilotage intervient lorsque l'un des interlocuteurs change progressivement lesparamètres de sa communication provoquant un ajustement symétrique de la part de soninterlocuteur.

- Exemple de Pilotage : L’intervieweur se met à poser des questions de plus en plus rapides et incisives. Lapersonne interviewée se met à lui répondre du tac au tac, de façon de plus en plus rapide, avec un ton de voixplus précis (mieux articulé).

Prendre conscience des phénomènes de synchronisation présents pendant les interviews est utile dans quatre typesde circonstances :

• En début d’entretien, il n’y a généralement pas encore eu de synchronisation. Les deuxpersonnes se cherchent. La confiance tarde à s’établir. On pourra donner un petit coup de pouce à la natureen se synchronisant de façon délibérée (en ajustant par exemple sa position, le ton et le rythme de sa voix surcelui de l’autre). Attention toutefois à en faire le strict minimum. Contrairement à ce qu’affirme la PNL, lanature fait souvent les choses d’une façon plus subtile que l’intervention délibérée.

• En cours d’interview, on peut se retrouver enlisé dans une synchronisation excessive. C’estparfois le cas lorsque le sujet est émotionnel… Et lorsque l’intervieweur rentre en résonance avec l’expériencede la personne interviewée. Attention danger, la relation pourrait devenir fusionnelle. On fera alors,consciemment, des efforts pour diminuer le niveau de synchronisation avec l’autre personne (changer deposture, de voix, de type de langage…).

• En cas d’interruption brutale de la synchronisation, volontaire ou pas, il peut y avoir une gênemomentanée. Rien de grave, mais il vaut mieux le savoir, en tenir compte.

• S’il y a pilotage d’une personne par l’autre, cette influence va peser sur l’interview. Si par exemplel’intervieweur, qui a envie de s’amuser, pilote la personne interviewée vers un état d’humour, ça sera sympa…Mais cela risque de conditionner la suite des affaires…

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7. Pendant l’interview : Faire le tri dans son écoute- J’ai travaillé récemment avec un certain Patrice commença Christian… Toujours pour la création d'entreprise…Logique, Christian était le responsable “aide à la reconversion” d’un grand groupe industriel en pleine vague delicenciements. Et je venais de lui demander de me raconter un exemple de ses accompagnements.- Patrice. Je réfléchis un instant. Donc qui était ce Patrice ?- Il est, il était agent de maintenance dans l'entreprise, il était en voie de reconversion. Et il arrive en disant (prendun ton de voix fanfaron) voilà, moi j'ai envie de créer mon entreprise de -, et puis d'un seul coup on entend (prendun ton de voix très faible) de reprographie.Mon interlocuteur était visiblement parti dans son récit. Son regard s’était détourné de moi, il parlait au présent, ilimitait les tons de voix9. Tout indiquait qu’il revivait la scène.- Donc changement de ton notoire, poursuivit-il. Et là je me dis, il y a quelque chose qui se passe. Et j'ai vouluvalider, là volontairement, et je l'ai ramené sur un sujet plus général, parce que le type était physiquement assezcarré et tout, et je me suis dit, il doit faire du sport. Et là j'ai pu écouter le son de sa voix quand il m’a parlé sport. Etje lui ai dis, attend, cette idée de reprographie, c'est quoi ? Et il m'a dit, mais en fait c'est mon père qui me l'adonnée. Je lui ai dis, ben OK. Et en fait ce garçon là aujourd'hui est passé dans le domaine administratif et il restédans l'entreprise. Parce que son projet de reprographie, c’était pas du tout son truc.- Et vous, qu’est-ce qui s’est passé à l’intérieur de vous lorsque vous avez entendu ce changement de voix ? Maquestion poussait Christian dans ses retranchements.- Alors là je me suis dit, attention danger, il y a, il y a quelque chose qui va pas. Il peut pas avoir un ton aussi élevépour faire une chute sur la reprographie. Et donc valide, tu dois valider vraiment son envie.

Cet entretien est extrait d’un projet de recherche que j’ai conduit sur l’écoute dans le cadre du CNAM. Le but del’exercice était de mettre en évidence les perceptions que des personnes en situation d’écoute avaient de leur proprefonctionnement cognitif et corporel.

Dans le cas de Christian, deux éléments forts apparaissaient : l’attention qu’il portait au non verbal, et toutparticulièrement au ton de la voix (“Donc, changement de ton notoire…”). Les dialogues internes qu’il conduisaitpendant que l’autre lui parlait (“Alors je me suis dit, attention danger…”).

De façon plus générale, cette recherche montre qu’on fait beaucoup de choses lorsqu’on écoute. Par exemple :• Visualiser (dans sa propre tête) l’histoire racontée par son interlocuteur (Par exemple, imaginer ceà quoi ressemble Patrice).

• Visualiser des souvenirs personnels qui sont en rapport avec ce que ditl’interlocuteur. (Par exemple, visualisation un ami qui vient de créer une entreprise).• Ressentir ce que suggère le discours de son interlocuteur (par exemple ressentirun vague malaise au sujet de Patrice).• Ressentir dans son corps des sensations, sentiments ou émotionspersonnelles en rapport avec le récit de son interlocuteur. (Par exemple, projeter sur lerécit son propre sentiment de colère par rapport aux sociétés qui licencient et mettent leursalariés à la porte).• Conduire un dialogue interne au sujet de ce que dit l’autre. (Par exemple, se dire“qu’est-ce qu’il radote ce Christian” ou encore “Je ne sais pas si j’aurais repéré les mêmeschoses…”).

• Visualiser, ressentir et se parler au sujet de comment on va piloter l’entretien. (Par exemple,ressentir de la lassitude et se dire “Là, il faut que je l’arrête…”).

Il s’en suit que ce qu’on entend est un mélange d’éléments en provenance de son interlocuteur, et d’autres ajoutéspar soi-même. Et qu’il faut, pour interviewer correctement, apprendre à faire le tri dans tout ça. Faute de quoi, cequ’on appelle “écoute” pourrait être truffé d’imaginations et de projections.

9 L’interprétation de ces indices dépasse le cadre de ce document. Voire les publications sur l’explicitation, et notamment monlivre, L’entretien d’explicitation en entreprise, Dunod, Paris, 1999.

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Conclusion

- On a fait le tour des choses, il me semble… constatais-je…- Je pense que oui… Pour la vingtième fois depuis une heure, mon interlocuteur se manucurait les mains. Quellemanie de se tripoter ainsi les doigts qu’il avait longs et blancs. Il ne me regardait pas. Pas plus qu’il ne m’avaitregardé depuis le début. En bon fonctionnaire, il me répondait de façon disciplinée.- Y-a-t-il peut être d’autres thèmes que vous souhaiteriez aborder de votre côté ? Cette question, je la pose de façonroutinière. C’est rare que qui se soit rajoute quoi que ce soit, mais je la pose quand même. C’est une manie. Les gensréfléchissent, ils se tournent les méninges dans tous les sens, ils se disent que c’est l’occasion ou jamais – non jeblague – bref, cela annonce clairement la fin de l’interview et sent le propre.- Euh, non, fit mon interlocuteur, avec l’un de ses regards furtifs… Je n’arrivais pas à comprendre commentquelqu’un d’aussi haut gradé, ayant fait des études en apparence aussi prestigieuses pouvait communiquer d’unefaçon aussi introvertie ? Se contentait-il de me répondre pour la forme ?- Bon, alors je vous tiendrais au courant dès que la synthèse des entretiens sera terminée, fis-je en me levant.L’entretien avait semblé bien commencer, et puis progressivement, les choses avaient mal tourné. Cet homme meprésentait une énigme que je ne comprenais pas.Je rassemblais mes papiers, prit mon blouson, remit mon stylo dans ma poche. Mon interlocuteur se leva à sontour. Je lui fis la conversation une minute ou deux, puis je le remerciai, lui serrai la main et me dirigeai vers laporte. J’en saisis la poignée, je l’ouvris et je fis un pas vers le couloir avant de m’arrêter…- J’oubliais, dis-je en me retournant, ce projet de réorganisation que votre chef est en train de lancer, vous l’auriezlancé, vous, si vous aviez été à sa place ?

Ce n’étais pas une bonne idée de parodier Colombo ainsi. Revenir à la charge après avoir fait mine de s’en aller,c’est la spécialité du célèbre inspecteur. Toujours est-il que cette ruse ne me permit pas de tirer quoi que ce soit demon interlocuteur. D’autant plus que la question était réellement provocante. Je compris des mois plus tard quejustement, mon interlocuteur se rongeait les ongles de ne pas être à la place de son supérieur. Il botta en touche. Etil se méfia de moi après coup. J’avais été maladroit.

Interviewer est un art, et comme l’affirment les Anglais, practise makes perfect. Au fil des années, je me suis efforcéde devenir plus indulgent. Après coup, bien des interviews m’ont semblé inutiles, pauvres ou vides… Il y a eu desjours où mon esprit était accaparé ailleurs, des démarches dont les dés étaient pipés sans que je ne m’en rendecompte.

Mais nombre d’interviews se sont transformés en moments inspirés, magiques. Le sentiment d’un réel contact,D’une rencontre. D’une connivence. D’autres qui ont été drôles, d’autres à rebondissements, d’autres inattendus.

Il m’a semblé rétrospectivement que j’avais appris quelque chose dans chacun d’eux. Ou du moins, chaque fois quemes oreilles étaient ouvertes. Et notamment comment conduire les entretiens eux-mêmes.

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Annexe 1 : Exemple de liste de thèmes

Contexte

La liste de thèmes ci-dessous a été élaborée dans le cadre de la mission suivante : utiliser des approches decréativité pour repenser les pratiques de recherche dans un laboratoire pharmaceutique.

Une quarantaine de personnes ont été interviewées sur un site. Les entretiens ont duré de une à deux heures.

Vu l’énoncé très vaste (et vague) de la mission, les 4 consultants qui ont participé à l’opération avaient décidé de“ratisser large” et de recueillir une grande diversité d’informations.

Pendant les journées d’entretien, le point était fait (généralement pendant le déjeuner) pour que les 4 intervenantsmettent en commun ce qu’ils avaient appris, et réorientent la suite en conséquence.

Liste des thèmes

• Le passé: Evénements clefs, déroulé, conséquences.

• Le présent : Forces, Faiblesses, Objectifs clefs, Critères de Réussite dans les activités présentes.

• L’avenir : Perspectives, Stratégie, Opportunités, Risques, Facteurs de réussite critiques.

• L’organisation : Processus clefs (vision au moins partielle des étapes, de la valeur ajoutée, des clients). Qui faitquoi, comment et dans quel but ? Processus de soutien (budgétaire, logistique, etc.). Ressources, outils,méthodologies.

• Les Ressources Humaines : Les relations, la communication, le recrutement, les compétences, la formation, larémunération, les profils de carrière. Relations interservices. Etat d’esprit, ambiance, atmosphère.

• Le Management : Processus (prise de décision, résolution de problème, stratégie, coordination, etc.). Pratiques,attitudes, relations.

• La conduite de projets : Ressources, méthodologies, pratiques.

• L’environnement : Les clients, les partenaires, la concurrence, le milieu de la recherche pharmaceutique, lesautres centres de recherche du groupe …

• La culture : Pratiques, règles, valeurs, pouvoirs.

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Annexe 2 : Bibliographie- G. Bateson, Birdwhistell, Goffman, Hall, Jackson, Scheflen, Sigman, Watzlawick, La Nouvelle Communication,Editions du Seuil, Paris, 1981.

- M. Bellet, L'Ecoute, EPI, Paris, 1995

- Y. Blanc, L'Ecoute, Essentialis, Editions Morisset, Paris 1997

- J. Bradey, Interviewer’s Handbook : a Guerilla Guide : Technique & tactics for reporters and writers,Kalmbach Publishing Company, USA, 2004.

- S. Cohen, L’art d’interviewer les dirigeants, PUF, Paris, 1999.

- A. Cornely, Ecouter, Erès, 1983

- M. Crozier, L'Entreprise à l'Ecoute, Intereditions, Paris, 1991

- A.R. Damasio, L'Erreur de Descartes, La Raison des Emotions, Editions Odile Jacob, Paris, 1995.

- M. Esser, La P.N.L. en Perspective, Editions Labor, Bruxelles 1993.

- H. Dorra & G. Millet, Comment mener un entretien individuel, Dunod Entreprise, 1975

- D. Goleman, L'Intelligence Emotionnelle, Robert Laffont, 1997

- S. Freud, La Techniques Psychanalytique, PUF, Paris, 1970

- J.H. Frey, S.M. Oishi, How to conduct Interviews by Telephone and in Person, Sage Publications, USA, 1995.

- E. von Glaserfeld, dans L'Invention de la Réalité, Contributions au constructivisme, sous la direction de PaulWatzlawick, Editions du Seuil, Paris 1988.

- G. Gusdorf, Mémoire et Personne, PUF, Paris, 1950, 2 me Edition 1993, p 45.

- M. Le Saget, Le Manager Intuitif, Dunod, Paris, 1992

- P. Kaeppelin, L'Ecoute, Mieux écouter pour mieux communiquer, ESF

- J. Klein, La Conscience et le Monde, Editions L'Originel, Paris, 1992.

- A. Korzybski, Le Rôle du Langage Dans les Processus Perceptuels, The International Non Aristotelian LibraryPublishing Company, New York, 1966.

- R. Muchielli, L'entretien de face à face dans la relation d'aide, ESF Editeur, Paris, 2003.

- M. Pagès, Traces ou Sens, Le Système Emotionnel, Hommes et Groupes Editeurs, Paris, 1986.

- J. Piaget, La Construction du Réel chez l'Enfant, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1945

- J. Piaget, L'Equilibration des Structures Cognitives, PUF, Paris, 1975.

- H. Roux de Bézieux, L’Entretien d’Explicitation en Entreprise, Dunod, Paris, 1999.

- J. Sur, Une Alternative au Management, La Mise en Expression, La Découverte et Syros, Paris, 1997.

- Virginia Satir, The New Peoplemaking, Science & Behavior Books, Mountain View, California, 1988.

- A.A. Tomatis, Vers l'Ecoute Humaine, ESF, Paris 1991

- P. Vermersch, L'Entretien d'Explicitation, ESF Editeur, Paris, 1994.

- P. Watzlawick, Janet Helmick Beavin, Don D. Jackson, Une logique de la Communication, Editions du Seuil,Paris, 1972

Quelques liens :

http://www.mapnp.org/library/evaluatn/intrview.htmhttp://www.roguecom.com/interview/