117

Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement
Page 2: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

S o m m a i r eLA BIOÉCONOMIE, ÉLÉMENT CLÉDES TRANSITIONS ÉNERGÉTIQUEET ÉCOLOGIQUE

3 Avant-proposArnaud Montebourg

Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives

5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développementFrédéric Sgard et Yuko Harayama

12 Les verrous scientifiques et technologiques dans la phase conceptuellede la biologie de synthèseFrançois Képès

17 Les applications industrielles de la bioinformatique Jean-Philippe Vert

24 Inextricably bound: measurement and the bioeconomyEmily M. Leproust, Derek Lindstrom, Maurice Sanciaume et Stephen Laderman

Partie 2 : Les secteurs industriels porteurset leurs technologies phares

2.1. L’énergie

28 Les biofuels de deuxième génération (2G) : un accélérateur de la transitionénergétique vers une économie H2 énergie

Olivier Delabroy

35 Les perspectives de la biologie de synthèse dans la production de carburantsissus de la biomasseVincent Schächter

FÉVRIER 2013 - 23,00 € ISSN 1148-7941R É A L I T É SINDUSTR IELLES

UNE SÉRIE DES

ANNALESDESMINESFONDÉES EN 1794

Rédaction120, rue de Bercy - Télédoc 79775572 Paris Cedex 12Tél. : 01 53 18 52 68Fax : 01 53 18 52 72http://www.annales.org

Pierre Couveinhes, rédacteur en chef

Gérard Comby, secrétaire général

Martine Huet, assistante de la rédaction

Marcel Charbonnier, correcteur

Comité de rédaction de la série « Réalités industrielles » : Grégoire Postel-Vinay, présidentSerge CatoirePierre CouveinhesJean-Pierre DardayrolMichel MatheuFrançoise RoureBruno SauvalleRémi SteinerPierre Amouyel, Christian Stoffaes Claude Trink

Maquette conçue parTribord Amure

IconographeChristine de Coninck

Fabrication :Marise Urbano - AGPA Editions 4, rue Camélinat42000 Saint-ÉtienneTél. : 04 77 43 26 70Fax : 04 77 41 85 04e-mail : [email protected]

Abonnements et ventesEditions ESKA 12, rue du Quatre-Septembre75002 ParisTél. : 01 42 86 55 65Fax : 01 42 60 45 35

Directeur de la publication :Serge KebabtchieffEditions ESKA SA au capital de 40 000 €Immatriculée au RC Paris 325 600 751 000 26

Un bulletin d’abonnement est encartédans ce numéro, pp. 115-116

Vente au numéro par correspondanceet disponible dans les librairies suivantes :Presses Universitaires de France - PARIS ; Guillaume - ROUEN ; Petit - LIMOGES ; Marque-page - LE CREUSOT ; Privat, Rive-gauche - PERPIGNAN ; Transparence Ginestet - ALBI ; Forum - RENNES ; Mollat, Italique - BORDEAUX.

Publicité J.-C. Michalondirecteur de la publicitéEspace Conseil et Communication2, rue Pierre de Ronsard78200 Mantes-la-JolieTél. : 01 30 33 93 57Fax : 01 30 33 93 58

Table des annonceursAnnales des Mines : 2e, 3e et 4e de couverture

Illustration de couverture : Escalier et son reflet en référence à la double hélicede l’ADN. Evry, Genopole Bioparc, bâtiment Genavenir 5.© Patrick Allard/REA

001-2 Sommaire_Sommaire 11/02/13 10:21 Page1

Page 3: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

2.2. La chimie

44 Vers une chimie biosourcéeOlivier Appert et Fabio Alario

2.3. La santé

54 Les virus de synthèse et leurs perspectives thérapeutiques – Le point de vue dela nano-médecineThierry Fusai

60 Virus recombinants et virus synthétiquesAli Saïb

2.4. Les semences et les nouvelles variétés végétales

66 Notre patrimoine génétique végétal est-il menacé par les biotechnologies ?Dominique Planchenault

Partie 3 : Enjeux économiques, stratégiqueset nouvelles frontières sociétales

71 Les contours d’une bioéconomie soutenableDominique Dron

78 Les usages non alimentaires de la biomasseChristophe Attali

80 Les enjeux de la normalisation dans la transition vers la bioéconomieFrançoise Roure

83 L’impact de la bioéconomie sur le secteur de la défense-sécurité :l’exemple de la biologie de synthèsePatrice Binder

91 Biologie de synthèse et questions de sociétéAlexei Grinbaum

HORS DOSSIER

96 Les défis anthropologiques de la robotique personnelleGérard Dubey

102 Biographies des auteurs

106 Résumés étrangers

Le dossier est coordonné par Françoise ROURE

001-2 Sommaire_Sommaire 11/02/13 10:21 Page2

Page 4: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

Avant-propos

Arnaud MONTEBOURG

La bioéconomie : une opportunité décisive pour le redressement industriel de notre pays

A vant la Révolution industrielle, il y a seulement quelques siècles, l’économieétait pour l’essentiel « bio-sourcée », c’est-à-dire fondée sur des matières pre-mières renouvelables, issues de l’agriculture et de l’élevage. Dès le XVIIIe siècle,

la disponibilité et la maîtrise de l’énergie fossile (charbon, puis pétrole) et des matièrespremières minérales sont apparues comme des facteurs essentiels au développement del’industrie. Un effort considérable a alors été mené pour développer les connaissancesscientifiques et techniques, ainsi que les savoir-faire permettant un développement mas-sif de l’exploitation des ressources du sous-sol. Nous continuons à bénéficier des fruits de cette révolution industrielle, qui a libérél’humanité de nombreuses contraintes qui pesaient sur elle, apportant des succès remar-quables en matière de santé ainsi que d’espérance et de qualité de vie. Toutefois, nousvoyons désormais aussi les limites de ce mode de développement, qui conduit à unépuisement progressif des ressources minérales et fossiles accessibles à un coût raison-nable, et crée de multiples tensions sur l’environnement. Mais aujourd’hui, la conjonction des progrès considérables réalisés au cours des der-nières années par la génétique, les nanotechnologies et les technologies de l’informationpermet d’envisager la création de filières industrielles innovantes, utilisant des matièrespremières renouvelables issues du monde du vivant. Il ne s’agit bien sûr en aucun casd’une régression vers des solutions du passé, mais au contraire d’une étape nouvelle quis’ouvre à nous, permettant de lever certaines contraintes que rencontre le modèle dedéveloppement économique actuel.Dans cette « bioéconomie » qui commence à émerger, les filières industrielles ne serontplus fondées sur des matériaux préexistants dans la nature : elles utiliseront des maté-riaux avancés fabriqués grâce aux nanotechnologies à partir de matières premièresrenouvelables, sur la base de cahiers des charges définissant les propriétés spécifiquesattendues. Quatre domaines d’application majeurs ont été identifiés : l’énergie, la chi-mie, la santé et l’agriculture. Quelques exemples remarquables des perspectives ouvertesdans ces secteurs sont présentés dans ce numéro de Réalités Industrielles.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 3

003-4 Avant propos_Avant-propos 11/02/13 10:07 Page3

Page 5: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

Certaines filières nécessiteront des investissements considérables, sur le modèle de laproduction de puces électroniques issues de la filière silicium, où quelques méga-usinessuffisent à desservir le marché mondial. Mais pour bien d’autres filières, les barrièrescapitalistiques à l’entrée devraient être beaucoup plus faibles. Utilisant prioritairementdes ressources locales disséminées (déchets végétaux, etc.), elles permettront la créationd’unités de fabrication bien réparties géographiquement et reliées en réseaux, pour-voyeuses d’emplois directs et indirects dans les territoires.Quelles conditions faut-il réunir pour réussir cette transition industrielle vers uneéconomie biosourcée, que l’OCDE prévoit à l’horizon 2030 ?La première de ces conditions est bien sûr scientifique et technique : il convient de créerdans notre pays un environnement favorable aux nanosciences et aux nanotechnologies,en développant leur enseignement, leur normalisation et la recherche sur leurs usages.La seconde est d’ordre culturel : il faut promouvoir systématiquement la pluridiscipli-narité, afin de développer des représentations communes et des échanges de connais-sances entre des secteurs aussi différents que la production de médicaments, l’aquacul-ture, la fabrication de matériaux avancés et les biocarburants de nouvelle génération,non rivaux des usages alimentaires de la biomasse.La troisième condition est de nature économique : la vitesse de substitution des pro-duits biosourcés aux matières premières traditionnelles d’origine extractive et fossiledépendra de l’évolution des prix relatifs de ces deux familles de produits, qui résulteraelle-même des cotations sur les marchés internationaux, mais aussi des réglementationseuropéenne et nationale visant à susciter des investissements dans des filières porteusesd’avenir.La quatrième condition est d’ordre éthique : la bioéconomie s’appuie sur des technolo-gies en général mal connues du grand public, dont les particularités sont souvent diffi-ciles à traduire dans le langage courant. Un effort pédagogique tout particulier devraêtre mené pour accroître le niveau d’information de la population sur ces sujets et pourmener un dialogue continu et ouvert, afin de lever les obstacles pouvant s’opposer à undéveloppement responsable des industries porteuses de la transition vers la bioécono-mie, dans le respect du principe de précaution.La dernière de ces conditions revêt à mes yeux une importance particulière : il s’agit dela politique publique à conduire. À l’instar des Etats-Unis, de l’Allemagne ou de laCorée du Sud, notre pays a besoin d’une vision prospective d’ensemble qui permette demobiliser les investisseurs, les partenaires sociaux, les enseignants, les forces d’innova-tion autour d’une grande ambition : renouveler en profondeur nos avantages industrielscomparatifs en réussissant cette transition industrielle vers la bioéconomie, afin degarantir une meilleure insertion de notre pays dans la mondialisation tout en respectantses choix sociétaux essentiels.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 20134

003-4 Avant propos_Avant-propos 11/02/13 10:07 Page4

Page 6: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

L’ÉMERGENCE DE LA BIOÉCONOMIE EST LIÉEAU PROGRÈS SCIENTIFIQUE

Qu’est-ce que la bioéconomie ? On peut sans doute ladéfinir comme étant un système dans lequel les bio-technologies contribuent à une part significative de laproduction économique.Les biotechnologies, suivant la définition de l’OCDE,correspondent à « l’application de la science et de latechnologie à des organismes vivants, de même qu’à

leurs composantes, produits et modélisations, pourmodifier les matériaux vivants ou non vivants à desfins de production de connaissance, de biens et de ser-vices » [1]. Elles ont pris leur essor à la suite desgrandes découvertes de la seconde moitié duXXe siècle dans les domaines de la biologie et de labiochimie. Avec la découverte du code génétique, puisdes outils permettant de lire et de manipuler l’ADN,ainsi qu’avec la compréhension des phénomènes liés àla reproduction, se sont ainsi développées de nom-breuses applications du génie génétique et de la trans-génèse.Mais ce sont les avancées scientifiques majeures desdécennies 1990 et 2000 qui ont permis d’envisager unsaut quantitatif dans l’influence des biotechnologies

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 5

La bioéconomieaujourd’hui,et ses perspectivesde développement

Prenant racine dans les spectaculaires découvertes scientifiques surle vivant de ces cinquante dernières années, la bioéconomie consti-tue l’un des secteurs de croissance les plus prometteurs duXXIe siècle. La nécessaire transition de notre système économiquevers plus de durabilité, un plus grand souci pour l’environnement etune moindre dépendance vis-à-vis des ressources naturelles offrent aux bio-technologies, qui sont au cœur de la bioéconomie, de nombreuses opportu-nités. Mais la réalisation de leur potentiel nécessitera la mise en œuvre depolitiques volontaristes, de façon à aplanir les obstacles qui en limitentactuellement le plein développement.

Par Frédéric SGARD* et Yuko HARAYAMA*

L’ÉTAT D

E L’ART

ET LES PER

SPEC

TIVES

* Direction pour la Science, la Technologie et l’Industrie-OCDE.

005-11 Sgard_Sgard 08/02/13 16:32 Page5

Page 7: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

sur l’économie. Le séquençage du génome humain etles progrès spectaculaires en matière de décodage etd’analyse des génomes, les découvertes sur les cellulessouches et leur potentiel, les formidables capacitésd’analyse de la bioinformatique, l’essor de la protéo-mique, de la pharmacogénétique, et plus générale-ment de l’analyse du vivant par des méthodologiesutilisées pour les systèmes complexes ou encorel’émergence de la biologie de synthèse ont révolution-né les approches traditionnelles des biotechnologies.Initialement largement axées sur les applications de lagénétique, les biotechnologies relèvent désormais derecherches multidisciplinaires prenant en comptel’ensemble des processus du vivant et leurs interac-tions avec l’environnement, leur donnant ainsi unéventail d’applications beaucoup plus large.La bioéconomie d’aujourd’hui regroupe les applica-tions des biotechnologies dans trois grands secteurs :l’agriculture, la santé et l’industrie.

L’agriculture

Les biotechnologies sont ici utilisées pour produire(productions animale et végétale). Elles s’imposentnotamment dans la sélection animale et végétale afin de

mettre au point de nouvelles variétés ayant des carac-tères améliorés, de nouveaux outils de diagnostic, ainsique des produits thérapeutiques ou vaccins pour le trai-tement et la prévention des maladies animales. La miseau point et le développement de plantes génétiquementmodifiées en constituent l’application la plus connue,mais cela ne concerne en réalité qu’un nombre limitéde cultures (soja et coton, principalement, dont lesvariétés transgéniques devraient constituer respective-ment environ 75 % et 45 % des surfaces cultivées pources espèces en 2015 [2]). La technologie de sélectionassistée par marqueurs (SAM), qui permet une sélec-tion des variétés présentant les caractères désirés parcroisement génétique naturel, une technique beaucoupplus rapide et fiable que les méthodes plus anciennes,est désormais très répandue. Cette technique concernenon seulement la plus grande majorité des nouvellesespèces végétales cultivées, mais aussi un nombre crois-sant d’espèces animales.

La santé

Les applications des biotechnologies apportent ici dessolutions à des problèmes majeurs dans trois domainesprincipaux : la thérapeutique, le diagnostic et la phar-

6 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013

L’ÉTAT DE L’ART ET LES PERSPECTIVES

« Les biotechnologies s’imposent notamment dans la sélection animale et végétale afin de mettre au point de nouvelles variétésayant des caractères améliorés, de nouveaux outils de diagnostic, ainsi que des produits thérapeutiques ou vaccins pour le traite-ment et la prévention des maladies animales. », arabette des dames, plante modèle pour l’étude de l’embryognèse et desmutations génétiques par le suivi des ARN messagers (marqueurs moléculaires).

© Edouard Golbin/Photothèque CNRS

005-11 Sgard_Sgard 08/02/13 16:32 Page6

Page 8: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

macogénétique. Dans le domaine thérapeutique, laproduction de produits biopharmaceutiques (vaccins,anticorps monoclonaux, hormones…) a connu uneprogression très importante ces vingt dernières années.La proportion de nouveaux composés biopharmaceu-tiques ayant reçu annuellement une autorisation demise sur le marché, par rapport à l’ensemble des nou-veaux produits, est passée de 2 % en 1989 à environ12 % depuis les années 2003-2005 [3]. En revanche,les biothérapies expérimentales (thérapies géniques, cel-lules souches, vaccins thérapeutiques, etc.) constituenttoujours une part très réduite des produits commercia-lisés. Par contre, dans le domaine du diagnostic, l’utili-sation de tests issus des biotechnologies, et notammentles tests génétiques, a connu une croissance très impor-tante ces dernières années. Celle-ci pourrait se pour-suivre avec le développement de la pharmacogénétique,qui s’intéresse aux interactions entre gènes et médica-ments et participe au développement d’une médecineplus personnalisée.

L’industrie

L’utilisation des biotechnologies pour la productionindustrielle de produits chimiques et de biomatériaux

s’envisage ici comme une technologie de substitutionaux procédés classiques. La production de composéschimiques (les biocarburants, bien sûr, mais aussi desspécialités chimiques, comme des enzymes, des sol-vants, etc.) par voie biotechnologique représentaitdans le milieu des années 2000 un peu moins de 2 %de la valeur de la production chimique mondiale(environ 1 200 milliards de dollars) [4]. Mais si cetteproportion ne s’accroît que lentement pour les com-posés chimiques de base, elle est en pleine croissancepour des produits plus spécifiques ou complexes, aupoint d’atteindre actuellement près d’un quart dumarché mondial [5]. La production de biocarburants(principalement l’éthanol) a aussi fortement augmen-té ces dernières années, mais elle demeure largementdépendante des politiques gouvernementales. Ledéveloppement de biomatériaux (biopolymères, bio-plastiques…), bien que représentant un marché glo-bal plus réduit, est, lui aussi, en forte croissance,notamment en raison des prix élevés des produitspétroliers depuis quelques années, mais ces biomaté-riaux ne représentent encore que moins de 1 % dumarché total des polymères.Bien que difficile à mesurer en raison de sa complexi-té et de l’absence d’indicateurs spécifiques pour cer-tains domaines, il est probable que le secteur biotech-nologies ne représentait dans le milieu des années

FRÉDÉRIC SGARD ET YUKO H

ARAYAMA

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 7

« Les applications des biotechnologies, dans le domaine de la santé, apportent des solutions à des problèmes majeurs dans troisdomaines principaux : la thérapeutique, le diagnostic et la pharmacogénétique. », automate pipeteur-diluteur-distributeur uti-lisé pour la transfection automatisée de cellules (introduction d’ARN interférents), l’ensemencement de cellules et les testscellulaires et pharmacologiques.

© Hubert Raguet/Photothèque CNRS

005-11 Sgard_Sgard 08/02/13 16:32 Page7

Page 9: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

2000 qu’à peine 1 % du PIB des pays de l’OCDE. Enrevanche, la production primaire, la santé et l’indus-trie utilisant soit la biomasse soit des applications bio-technologiques totalisaient entre 5 et 6 % du PIB del’Union européenne ou des Etats-Unis, à la mêmepériode [6]. La valeur économique potentielle desbiotechnologies est donc largement supérieure à leurpoids effectif, ce qui justifie l’intérêt porté à la bio -économie, comme potentiellement créatrice de crois-sance et de valeurs.

UN POTENTIEL DE CROISSANCE IMPORTANT

L’intérêt pour la bioéconomie s’est renforcé ces der-nières années, en raison de plusieurs facteurs. En plusdes découvertes scientifiques et technologiquesrécentes, ce secteur bénéficie en effet des préoccupa-tions croissantes des gouvernants et du public enfaveur du respect de l’environnement. De plus, lesbiotechnologies retrouvent une plus grande compéti-tivité face à des produits ou procédés technologiquesconcurrents qui sont impactés par la hausse des prixdes matières premières.Dans le secteur de la production primaire, l’impor-tance des biotechnologies est non seulement liée à lanécessité de nourrir une population toujours plusnombreuse, mais aussi aux changements en coursdans les habitudes alimentaires des habitants de paysen développement. Dans le même temps, les terrescultivables sont déjà très largement occupées et souf-frent de dégradations environnementales liées auxpratiques de l’agriculture intensive, auxquelles pour-raient s’ajouter à l’avenir l’impact de facteurs clima-tiques nouveaux. La nécessité d’accroître les rende-ments agricoles sans nuire de façon prononcée àl’environnement milite en faveur d’une utilisationaccrue des biotechnologies dans ce domaine. Les cul-tures transgéniques de coton, de maïs, de colza et desoja devraient voir leurs surfaces cultivées progresserencore un peu, mais elles se heurtent à des opposi-tions croissantes de la part des consommateurs. Enrevanche, les autres variétés, dont les capacités derésistance aux maladies et aux ravageurs ou auxconditions climatiques ont été améliorées sans faireappel à la transgénèse, mais par le recours à d’autresbiotechnologies comme la SAM, devraient voir leurimportance s’accroître de façon considérable. Cesaméliorations devraient concerner non seulement lesgrandes cultures traditionnelles, mais aussi la plupartdes cultures à marché étroit, ainsi qu’un nombrecroissant de variétés d’arbres, pour ce qui concerne lasylviculture.Dans le domaine animal, la nécessité d’améliorer lesespèces non seulement de bétail, mais aussi de pois-sons pour l’aquaculture, dont l’importance va devenircroissante au fur et à mesure de l’épuisement des res-

sources halieutiques, devrait entraîner une utilisationaccrue des techniques de sélection améliorées.L’utilisation de systèmes de diagnostic plus perfor-mants dérivés des biotechnologies devrait aussi pro-gresser, parallèlement aux besoins d’accroissement desrendements aussi bien animaux que végétaux. À plus long terme, les biotechnologies pourraient per-mettre l’émergence de nouveaux produits, comme lesnutraceptiques, qui sont des aliments adaptés à despopulations spécifiques (par exemple, pour réduire lesrisques d’allergies alimentaires) ou ayant des effetsbénéfiques pour la santé. L’intégration de la produc-tion primaire dans la fabrication de composés chi-miques directement à partir de la biomasse, par l’in-termédiaire de procédés industriels intégrés, pourraitaussi constituer de nouveaux marchés importants.Le secteur de la santé demeure le premier secteur d’in-vestissement des biotechnologies en raison de la fortevaleur ajoutée de ses produits. Grâce aux progrès desconnaissances dans ce secteur porteur, la quasi-totali-té des produits thérapeutiques et une part importantedes dispositifs médicaux mis sur le marché dans lesprochaines années auront inclus les biotechnologiesdans leur phase de développement et utiliseront desprocédés de fabrication faisant appel aux biotechnolo-gies. Les perspectives de croissance de ce secteur sonttirées par le vieillissement de la population dans lespays développés (en 2020, les dépenses de santé dansles pays de l’OCDE hors Etats-Unis devraientatteindre 16 % du PIB, 21 % aux Etats-Unis [7]) etpar la demande des pays émergents.L’évolution des produits biopharmaceutiques, quisont technologiquement plus difficiles à produire queles petites molécules chimiques classiques, a étéencouragée par la nécessité de protéger de la copie lesnouveaux médicaments. Ces produits biotechnolo-giques sont aussi plus nombreux à proposer des amé-liorations thérapeutiques réelles, bien que leur misesur le marché soit ralentie par la complexité des essaiscliniques nécessaires à leur validation. Cette com-plexité est aussi à l’origine du retard pris par les bio-thérapies expérimentales dans leur mise sur le marché.Néanmoins, leur potentiel à répondre à des patholo-gies complexes leur ouvre des perspectives intéres-santes, et elles font l’objet de politiques publiques desoutien très importantes dans certains pays.Le développement de la médecine personnalisée, danslaquelle les traitements sont adaptés au profil géné-tique des patients, ce qui permet de réduire les échecsdans le développement des médicaments et dans leurutilisation, constitue un facteur de croissance impor-tant pour le diagnostic et la pharmacogénétique. Déjàlargement utilisé pour des maladies complexes commele cancer, ce type d’outils est appelé à se développerfortement s’il peut être démontré qu’un ratiocoût/bénéfice (entre le coût des tests et l’améliorationde l’efficacité des traitements et leur coût) est favo-rable pour les systèmes de santé.

L’ÉTAT DE L’ART ET LES PERSPECTIVES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 20138

005-11 Sgard_Sgard 08/02/13 16:32 Page8

Page 10: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

La production industrielle de composés par voie bio-technologique est encouragée par des préoccupationsenvironnementales, de durabilité et de réduction denotre dépendance vis-à-vis des ressources non renou-velables. Le développement de biocarburants à grandeéchelle, déjà dépendant du niveau des subventionspubliques, repose aussi sur de nouvelles avancées tech-nologiques (comme, par exemple, la conversion ligno-cellulosique) devant permettre l’utilisation de biomas-se à caractère non alimentaire. La production decomposés chimiques et de biomatériaux par voie bio-technologique présente, par contre, un potentiel decroissance plus élevé. Le caractère plus « propre » desprocédés de fabrication par rapport à la pétrochimie,le caractère renouvelable desdits composés et bioma-tériaux, le développement de nouvelles technologiesissues de la biologie de synthèse permettant la synthè-se de composés complexes, combinés à la hausse duprix des matières premières, constituent des facteursporteurs. Les prédictions américaines de croissancedes différents types de bioproduits dans le secteur dela chimie suggèrent un doublement de la part de ceux-ci dans le marché mondial d’ici à 2025 (voir letableau 1). À l’horizon 2030, les biotechnologies pourraient assu-rer de façon directe de 2,5 à 3 % du PIB des écono-mies de l’OCDE (contre à peine 1 % actuellement)[8]. Mais cette hypothèse est dépendante d’un certainnombre de facteurs décrits ci-dessous, qui peuventfortement influer sur le développement de la bioéco-nomie.

DES FREINS ENCORE TROP NOMBREUX

Un des obstacles au développement de la bioécono-mie est lié aux difficultés scientifiques et technolo-giques du travail sur le vivant. Comparées à d’autrestechnologies (comme celles de l’information et descommunications), les biotechnologies sont infini-ment plus chronophages. Ainsi, il a fallu attendre plusd’une vingtaine d’années avant de voir aboutir les pre-miers résultats concrets des thérapies géniques, etencore, celles-ci sont toujours restreintes à un nombrelimité de pathologies, et sont mises en œuvre quasi-ment uniquement par le secteur public. De la mêmefaçon, les espoirs mis dans le développement de thé-

rapies à partir de cellules souches sont encore loin des’être pleinement concrétisés.Dans le domaine des biocarburants, la recherche n’atoujours pas permis de trouver des solutions efficaceset rentables pour transformer en carburant les partiesligneuses et cellulosiques des plantes, ce qui limitesérieusement leur rôle potentiel dans le remplacementdes dérivés du pétrole. La durée moyenne entre unedécouverte et sa mise sur le marché, dans les biotech-nologies (notamment dans le domaine de la santé),varie entre 5 et 15 années, et elle va en s’accroissant[9]. Cela a un impact négatif sur le retour sur inves-tissement et explique la faiblesse relative de l’investis-sement privé dans ces secteurs (sauf dans le domainede la santé, où la forte valeur ajoutée des produits peutcompenser ces durées très longues). Un autre facteur important à prendre en considéra-tion est l’existence de produits ou de procédés concur-rents des biotechnologies. C’est particulièrement vraidans le domaine des productions industrielles, danslequel les biotechnologies doivent faire face à la chi-mie et à la pétrochimie classique, qui forment un sec-teur mature dominé par de très grandes entreprisesbien établies. Dans ce secteur, la capacité des biotech-nologies à se substituer à la chimie classique est limi-tée par leur capacité à investir dans des sites de pro-duction à grande échelle et à affronter la puissancefinancière de leurs concurrents.Pour ces raisons, le développement de secteurs clés dela bioéconomie est largement tributaire de l’environ-nement fiscal et régulateur dans lequel ils évoluent. Lacomplexité des mesures d’enregistrement ou de misesur le marché, les orientations plus ou moins rigou-reuses en matière de régulation environnementale,l’application de principes de précaution, l’existence derabais ou de surtaxes fiscales sont autant d’élémentsqui peuvent favoriser ou, au contraire, défavoriser lesproduits biotechnologiques. Or, non seulement cesenvironnements s’avèrent souvent différents d’un paysà l’autre, mais ils évoluent aussi rapidement dans letemps au sein de ces mêmes pays, voire des régions.Les biotechnologies ayant des temps de développe-ment longs, elles sont donc plus sensibles à ces varia-tions.Un dernier facteur à souligner est celui de l’acceptabi-lité sociétale des biotechnologies. Les technologiestouchant au vivant ont toujours suscité un question-nement de nature éthique et/ou sécuritaire. À ce ques-

FRÉDÉRIC SGARD ET YUKO H

ARAYAMA

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 9

Tableau 1 : Parts de marché mondial des bioproduits chimiques 2010-2025.Source: USDA (2008) US Bio-based products market potential and projections through 2025.

Secteur chimique 2010 (% du marché) 2025 (% du marché)Commodités 1-2 6-10Chimie de spécialités 20-25 45-50Chimie fine 20-25 45-50Polymères 5-10 10-20

005-11 Sgard_Sgard 08/02/13 16:32 Page9

Page 11: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

tionnement se sont ajoutées, plus récemment, desconsidérations sur leur impact environnementalpotentiel. Ces questions d’acceptabilité sont très pré-sentes dans le domaine de la production alimentaire(OGM, clonage…) : les incertitudes concernant lesbiotechnologies portent sur l’impact potentiel desnouvelles technologies sur l’environnement et sur lasanté, mais se posent aussi des questions quant à l’ap-propriation de variétés ou d’espèces par un petitnombre d’acteurs économiques. Ces dernières années, ces incertitudes ont aussi affec-té le domaine de la santé. Dans ce secteur, des ques-tions éthiques se posent pour certaines technologies(notamment celles liées à la reproduction et à l’utili-sation des cellules souches). Mais, globalement, lasociété demeure très favorable au progrès technolo-gique pour le traitement des maladies. En revanche,l’utilisation de données génétiques en dehors dudomaine de la santé, et surtout les questionnementssur l’effet bénéfique réel de certains produits par rap-port à leurs effets secondaires et à leur coût élevé sontsusceptibles d’avoir un impact négatif sur l’innovationbiomédicale faute d’un contrôle plus efficient. Dans le domaine de la production industrielle, enfin,si le caractère « soutenable » des productions biotech-nologiques est un facteur très favorable par rapportaux concurrents chimiques traditionnels, l’éventuellecompétition entre production de nourriture et pro-duction de biocarburants, et le bilan énergétique réelde ces derniers entraînent actuellement une révisionprofonde des politiques et un retournement de l’opi-nion.En raison de ces différents facteurs et par rapport àd’autres nouvelles technologies, les produits issus desbiotechnologies se doivent de présenter une réellevaleur ajoutée sociétale (environnementale, parexemple) pour être acceptés, ce qui constitue une dif-ficulté supplémentaire pour le développement de labioéconomie.

RÉALISER TOUT LE POTENTIELDE LA BIOÉCONOMIE

Malgré les obstacles cités plus haut, le développementdes biotechnologies et l’émergence d’une véritablebioéconomie demeurent une ambition clé pour denombreux pays en raison des nombreuses potentiali-tés qu’offre cette dernière. Les solutions à de nom-breux défis liés à la dégradation de l’environnement, àl’épuisement des matières premières et à la santépublique reposent sur des innovations technologiquespermettant de créer de nouvelles ressources et unemeilleure utilisation des ressources existantes. Les bio-technologies peuvent contribuer aux solutions pources grands problèmes globaux, mais cela passe par despolitiques adaptées, à l’échelon national et global, afin

de permettre leur développement et leur mise enapplication.Un premier enjeu est celui du développement desinnovations biotechnologiques elles-mêmes. Les bio-technologies sont des technologies complexes, large-ment multidisciplinaires, qui s’accommodent mal demécanismes traditionnels de soutien public trop cloi-sonnés. Leur développement est devenu dépendant detechnologies convergentes (bio-, nano-, modélisation,etc.) qui nécessitent des programmes de financementet des ressources humaines appropriés. Les biotechno-logies constituent l’exemple type de recherches trans-lationnelles dans lesquelles l’ensemble du systèmed’innovation doit être intégré plutôt qu’éclaté entre demultiples acteurs, et ce afin de raccourcir les délais(actuellement très longs) qui existent aujourd’huientre une découverte scientifique et son applicationconcrète.En raison de la longueur de ces délais et de la com-plexité intrinsèque de ces technologies, les modèlesde développement (business models) traditionnels serévèlent eux aussi souvent insuffisants pour assurer ledéveloppement des biotechnologies. De nouveauxmodèles, comme ceux axés sur la gestion de porte-feuilles de titres de propriété intellectuelle, sur ledéveloppement de procédés intégrés ou sur l’identifi-cation du potentiel commercial des produits, pour-raient permettre un développement accéléré des bio-technologies en facilitant la diffusion des innovationset un étalement des risques et des besoins de finance-ment. Les commandes publiques, lorsqu’elles accom-pagnent ou promeuvent des exigences environne-mentales ou de soutenabilité par exemple, sont ellesaussi susceptibles de compenser les difficultés desentreprises de biotechnologie dans leur recherche definancements.Enfin, la réduction des incertitudes réglementaires etfiscales est une nécessité absolue pour le développe-ment de la bioéconomie. Il est également importantde veiller à ce que les systèmes d’incitation et deréglementation soient propices aux innovations radi-cales, même si celles-ci sont susceptibles de remettreen cause des technologies existantes, dès lors qu’ellesapportent un bénéfice sociétal important. C’est par-ticulièrement le cas dans le domaine de la produc-tion industrielle, mais ça l’est aussi dans le secteur dela santé (par exemple, en permettant un basculementdu financement vers la médecine préventive, plutôtqu’exclusivement vers la médecine thérapeutique).La bioéconomie ne réalisera pas automatiquementson potentiel dans les années à venir. Son succèsdépendra de politiques adaptées, d’aide à la rechercheintégrée, de soutien aux marchés, d’incitation auxinvestissements. La collaboration internationale seradéterminante dans le domaine réglementaire. Et undialogue mieux organisé doit être mis en place avec lasociété civile sur l’impact potentiel d’innovations dis-ruptives.

L’ÉTAT DE L’ART ET LES PERSPECTIVES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201310

005-11 Sgard_Sgard 08/02/13 16:32 Page10

Page 12: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

BIBLIOGRAPHIE

[1] « R&D en biotechnologies », dans Science, techno-logie et industrie : Tableau de bord de l’OCDE 2011,Éditions OCDE. [2] « La bioéconomie à l’horizon 2015 », dans La bioé-conomie à l’horizon 2030 : quel programme d’action ?,Editions OCDE.[3] Informa, Pharmaprojects and PharmapredictDatabases, 2008.[4] USDA (2008), U.S. Biobased Products: Marketpotential and Projections through 2025.

[5] OCDE, “Trends in Industry and Products”, dansFuture Prospects for Industrial Biotechnology, EditionsOCDE, 2011. [6] ZIKA (E.) & al., “Consequences, Opportunitiesand Challenges of Modern Biotechnology forEurope”, 2007.[7] PricewaterhouseCoopers, Pharma 2020 : la vision,2007. [8] « La bioéconomie en 2030 », dans La bioéconomieà l’horizon 2030 : quel programme d’action ?, EditionsOCDE.[9] Datamonitor (2008), Current & Future Trends andStrategic Issues facing Pharma, March and consultationprocess, 2008.

FRÉDÉRIC SGARD ET YUKO H

ARAYAMA

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 11

005-11 Sgard_Sgard 08/02/13 16:32 Page11

Page 13: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

Les verrous scientifiqueset technologiquesdans la phaseconceptuellede la biologie de synthèse

Le génie biologique est actuellement en rapide évolution. Sesformes avancées, actuellement rassemblées sous l’expression biolo-gie de synthèse, couplent itérativement la conception et la fabrica-

tion d’objets complexes basés sur (ou inspirés par) la biologie. Comme lananotechnologie, la biologie de synthèse est susceptible de changer totale-ment notre approche de certaines technologies clés. Ainsi, elle ouvre la voieà une nouvelle génération de produits, d’industries et de marchés construitssur notre capacité de manipuler la matière à l’échelle moléculaire. Les applications potentielles de la biologie de synthèse se situent principale-ment dans les domaines de la santé, de l’agroalimentaire, de l’environne-ment, de l’énergie et des matériaux. La phase de fabrication relève de méthodes biomoléculaires dites post-géno-miques qui font l’objet d’intenses efforts de recherche depuis plusieursdécennies. Mais c’est la phase de conception qui est affectée des verrous scientifiqueset méthodologiques les plus saillants, une situation qui reflète probablementun investissement bien moindre. Dans cet article, nous allons justement identifier certains de ces verrous.

Par François KÉPÈS*

L’ÉT

AT D

E L’ART

ET L

ES P

ERSP

ECTIV

ES

* Programme d’Épigénomique (Genopole®), institut de Biologie des Systèmes et de Synthèse (Genopole®, UEVE, CNRS), Center for Synthetic Biologyand Innovation (Imperial College London).

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201312

012-16 Képès_Képès 08/02/13 16:47 Page12

Page 14: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

FRANÇOIS K

ÉPÈS

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 13

L’ÉTAT DE L’ART

Les ingénieries des systèmes mécaniques, électriquesou chimiques sont rendues possibles par l’existence decadres bien établis pour en gérer la complexité, d’ou-tils fiables pour manipuler les états d’un systèmedonné, et de plateformes de test. A contrario, l’ingénierie de la biologie est, elle, large-ment dépourvue de ces cadres, outils et plateformes.Actuellement, pour développer des composants oudes circuits biochimiques fonctionnant correcte-ment, il faut suivre des protocoles compliqués deconstruction de séquences d’ADN, utiliser desmodèles rudimentaires pour en guider le design, etfaire appel à des cycles répétés d’essais-erreurs se ter-minant par d’interminables réglages tous plus fins lesuns que les autres. À l’intérieur d’une cellule vivante,les interactions entre composants synthétiques etcomposants cellulaires sont difficiles à prévoir ou àcaractériser. En conséquence, les cycles de concep-tion, de fabrication et de dépannage de composantset de circuits biochimiques restent lents et sujets àerreurs.Cependant, quelques progrès ont été enregistrés dansla fabrication de systèmes biologiques artificiels. Cesprogrès concernent en particulier les ressources et lesméthodes permettant de construire des dispositifs oudes systèmes à partir de petits composants, en généraldes segments d’ADN bien définis. En outre, les tech-nologies de lecture et d’écriture de l’ADN à grandeéchelle ont graduellement rendu possible la program-mation directe de gènes faisant éventuellement partiede circuits biochimiques. En coopération avec la bio-informatique, il est également devenu possible d’opti-miser ces séquences d’ADN en fonction d’objectifsingéniéraux.Voici quelques jalons fondamentaux balisant ce ter-rain. * En 1995, le premier génome bactérien est séquencéet le premier gène long est synthétisé. * En 1999, le premier génome viral est synthétisé. * En 2000, est démontrée la faisabilité de concevoirrationnellement des circuits de régulation et de lesimplanter dans des bactéries, et le génome humain estséquencé. * En 2003, un repli (fold) protéique non naturel estconçu, puis réalisé.* En 2008, un génome bactérien est, pour la premiè-re fois, entièrement re-synthétisé chimiquement, maisc’est la copie quasi à l’identique d’un génome naturel ;il n’a fait l’objet d’aucune conception globale. * En 2010, ce génome bactérien est introduit avec suc-cès dans une bactérie hôte capable de se reproduire. * En 2011, une bactérie vit et se reproduit avec ungénome dont l’un des quatre nucléotides constitutifsa été quasi entièrement remplacé par un autre chimi-quement différent.

Malgré ces quelques avancées, la conception et lafabrication de circuits biochimiques artificiels quiremplissent les fonctions souhaitées, restent un arttrès difficile et peu répandu. En outre, la conceptionab initio de génomes, qui étendrait fortement la tailleet la complexité des circuits envisageables, reste irréa-lisable.

VERROUS SCIENTIFIQUES ET VERROUSTECHNOLOGIQUES

Le génie biologique est actuellement en rapide évo-lution. Ses formes avancées, rassemblées sous l’ex-pression biologie de synthèse, couplent itérativementla conception et la fabrication d’objets complexesbasés sur (ou inspirés par) la biologie [1]. La phasede fabrication repose principalement sur lesméthodes de la biologie moléculaire. Ces méthodesprogressent sur une large ligne de front qui concerneun nombre considérable d’acteurs. En revanche, laphase de conception est encore balbutiante et neconcerne que peu d’acteurs hautement spécialisés.Nous présenterons les verrous scientifiques et tech-nologiques de cette phase de conception, ceux deson articulation avec la fabrication, mais nous netraiterons pas de la phase de construction propre-ment dite. Les objets concernés par les formes avancées du géniebiologique sont typiquement des biomolécules et descircuits biochimiques assurant un métabolisme ou larégulation d’une fonction biologique, ainsi que descellules ou des particules abritant ces biomolécules etces circuits. Ce sont donc typiquement des objets micrométriquesou nanométriques. Les propriétés de ces objets minus-cules exigent une intermédiation technique, qui four-nira la dimension méthodologique de la présente dis-cussion. Développer cette intermédiation revient non seule-ment à bénéficier de l’usage direct de nos capacitéscognitives et sensorielles, dont on sait qu’elles sontconsidérables, mais aussi à outiller notre intelligencecollective. Cela participe également à démystifier desbiotechnologies qui nous sont sensibles parce qu’ellestouchent au biotope. Cependant, pour pouvoir enregistrer durablement desprogrès dans ce domaine, les défis à relever sont éga-lement d’ordre scientifique. Ces défis scientifiquestouchent aussi bien à une meilleure compréhensiondu vivant qu’à des progrès dans des domaines théo-riques aussi variés que l’intelligence artificielle ou laphysique des milieux désordonnés. Notons que, sépa-rément, les domaines techniques et scientifiquesconcernés existent bien, mais qu’ils devront progresseret, surtout, coopérer entre eux. C’est là que réside levéritable défi, qui exigera l’ouverture d’un espace de

012-16 Képès_Képès 08/02/13 16:47 Page13

Page 15: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

créativité à la mesure de ce que fut l’élan vers la bio-logie moléculaire, à la fin des années 1960.Globalement, notre thèse est que la phase de concep-tion souffre d’un outillage insuffisant à la fois pourépauler et exploiter les facultés humaines.

Épauler

Le processus de conception d’objets biologiques estactuellement obéré par la fragmentation de ses seg-ments logiciels, qui ont été développés indépendam-ment et dont les interfaces n’ont pas été accordées. Laraison est d’ordre historique, car chaque segmentconcrétise un état de l’art pointu dans un domainedistinct, avec ses notions idiosyncratiques de ce quedoivent être ses entrées et ses sorties. Il serait très utilede fluidifier ces processus. La jeune pousse américaineGingko Bioworks [2], établie dans la région de Boston,a notablement avancé dans cette direction. Elle a ainsidémontré la validité et la faisabilité d’une telleapproche. En revanche, ses solutions ne présententpas de caractère générique et servent uniquement à sestravaux internes. Aussi, le défi consistant à établir uncadre procédural à valeur quasi-universelle resteentier. En amont de la conception, se trouve le cahier descharges du circuit biochimique souhaité. Ce cahierdes charges comporte deux versants distincts, l’untechnique et l’autre réglementaire (droit, normes etpropriété intellectuelle). Prenons un exemple qui vautpour l’ensemble du versant réglementaire. La proprié-té intellectuelle des composants biochimiques àassembler dans un circuit un tant soit peu complexeest une véritable jungle. Pendant un certain temps, lanégociation des « paquets » de brevets permettra lasurvie dans cette jungle, mais elle atteindra vite seslimites. Il serait donc utile, et bientôt nécessaire, d’assisterl’expert en formalisant les aspects réglementaires,normatifs et de propriété intellectuelle. Pour cela,il conviendrait de s’appuyer sur des bases de don-nées qui souvent existent (comme, par exemple, lesbases d’ordre réglementaire sur la toxicité ou, enmatière de propriété intellectuelle, sur les bio-briques). Au plan technique, le facteur très limitant est leniveau d’expertise nécessaire pour rédiger un cahierdes charges et en éliminer les erreurs en l’absenced’une médiation adéquate. Pour que cette maîtrise serépande, il est nécessaire d’outiller l’ingénieur. Celareprésente un défi majeur. En effet, depuis les débutsde la révolution industrielle, il est clair qu’il n’existepas d’autre approche pour développer massivementun domaine technologique que celle de le « démocra-tiser », et donc d’outiller, en l’ouvrant à un grandnombre d’ingénieurs, une expertise jusque-là réservée

à un groupe très restreint de personnes hyperspéciali-sées.En outre, la phase de conception n’est pas actuelle-ment alimentée en retour par l’analyse des résultats etpar celle de leur reproductibilité expérimentale. Pourmettre en place ces boucles de rétroaction, il faudraitintégrer l’expérimentation robotisée et la documenta-tion digitale complète des protocoles expérimentaux. Durant la phase de conception, une approche clé dugénie biologique avancé consiste à identifier le (ou les)génotype(s) qui conduira(ont) au phénotype désiré.Par exemple, dans le cadre du design de protéines, ils’agirait de découvrir les séquences d’ADN dont ledécodage aboutirait à une protéine présentant telle outelle structure ou ayant telle ou telle activité. C’est ceque l’on appelle le problème inverse, par oppositionau problème direct, qui consisterait dans notreexemple, à partir d’une séquence – le génotype – pourcalculer la structure reployée d’une protéine – le phé-notype. Or, dans tous les cas, le problème inverse est pluscomplexe à traiter que le problème direct. Pour poursuivre avec le même exemple dans lequel leproblème direct est déjà en lui-même malaisé àrésoudre sauf à recourir à des analogies avec des pro-téines connues, le problème inverse consisterait àreployer un nombre énorme de séquences possiblespour identifier celles qui donneront la structure dési-rée. L’espace des génotypes est démesuré et chaquetest par reploiement est coûteux. La parallélisation etl’augmentation constante des capacités de calculscientifique vont certes dans le bon sens. Cependant,nos capacités calculatoires resteront incommensu-rables, face à la démesure de l’espace des génotypes. Ilsera donc indispensable de développer des heuris-tiques sophistiquées pour n’avoir à explorer qu’unpetit sous-espace utile des génotypes. Un dernier verrou, enfin, tient à la difficulté de fabri-quer un produit en très petite série dans des condi-tions économiquement viables. Prenons le cas du traitement d’une seule personne oud’une petite population, par exemple pour des mala-dies du système immunitaire ou pour des maladiesrares. Le nombre de tels cas augmente actuellement àvive allure, et ce pour deux raisons. La première rai-son est la constante augmentation du nombre despersonnes atteintes de maladies immunitaires. Laseconde raison est la fragmentation des maladies nonrares. En effet, les méthodes moléculaires de diagnos-tic affinent les distinctions entre des sous-cas, dont lepronostic et le traitement doivent être différenciés.Ce phénomène fragmente de fait les cohortesatteintes de maladies non rares en plusieurs petitespopulations, chacune étant affectée par une maladierare. Ces cas de plus en plus nombreux sont incom-patibles avec le schéma traditionnel de productionthérapeutique et diagnostique de masse. Certes, ceschéma traditionnel ne se dévalorisera pas, mais une

L’ÉTAT

DE L’ART

ET LE

S PE

RSP

ECTIVES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201314

012-16 Képès_Képès 08/02/13 16:47 Page14

Page 16: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

FRANÇOIS K

ÉPÈS

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 15

approche supplémentaire, à petite échelle, devraitémerger pour permettre une personnalisation de laproduction thérapeutique, diagnostique, ou dansd’autres domaines.

Exploiter

Il est paradoxal et dommageable que le génie biolo-gique avancé, alors même qu’il résulte de conceptsdécouverts et orchestrés par des hommes, sous-exploi-te les facultés humaines durant sa phase de concep-tion. Les facultés utiles dans ce contexte résident dansune exceptionnelle capacité de chaque individu àrésoudre des énigmes et à reconnaître des configura-

tions ou des patrons via l’un ou l’autre de ses cinqsens. En outre, l’intelligence humaine distribuée per-met de résoudre de manière collaborative des énigmesplus complexes qu’un individu ne saurait aborderseul. Cependant, que cela soit au niveau individuel oucollectif, un outillage approprié est absolument néces-saire pour que certains de nos sens puissent appré-hender et manipuler des objets virtuels, ne fût-cequ’en raison de leur taille micrométrique ou nanomé-trique. À ce titre, la vision, l’audition et le toucherdevraient être immergés dans une boucle de rétroac-tion sensorimotrice. Cependant, l’intelligence collective des experts neconcerne par définition qu’un très petit nombre d’indi-vidus. Le succès récent du jeu Foldit dans le domainedu reploiement des protéines, avec 50 000 joueurs dans

Image 1 : Schématisation des notions de problèmes directs et problèmes inverses.

012-16 Képès_Képès 08/02/13 16:47 Page15

Page 17: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

L’ÉTAT

DE L’ART

ET LE

S PE

RSP

ECTIVES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201316

le monde, suggère de tirer profit d’une source pluslarge, même si elle est moins experte, d’intelligence col-lective. Foldit est un jeu coopératif en ligne qui permetà des volontaires, issus du grand public, de contribuer àl’intelligence collective en résolvant des problèmesscientifiques [3]. De plus, ces volontaires peuvent éven-tuellement apporter de la puissance de calcul à traversleurs ordinateurs, tout en s’éduquant et en contribuantà diffuser largement la culture scientifique.

BIBLIOGRAPHIE

[1] KÉPÈS (F.), « La biologie de synthèse : dévelop-pements, potentialités et défis », in « Des nanotech-nologies à la biologie de synthèse », RéalitésIndustrielles (Annales des Mines), février 2010.[2] http://ginkgobioworks.com[3] http://fold.it/portal/info/science

012-16 Képès_Képès 08/02/13 16:47 Page16

Page 18: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

L es progrès technologiques fulgurants des vingtdernières années ont eu un impact radical sur lessciences du vivant. Les techniques de puces à

ADN, de protéomique, d’imagerie, ou, aujourd’hui,de séquençage génomique se sont invitées au cœur deslaboratoires, offrant aux scientifiques de nouveauxoutils pour scruter et quantifier le vivant jusque dansses moindres détails. Il est désormais possible de mesurer au niveau molé-culaire l’ensemble des modifications génétiques por-tées par les cellules cancéreuses d’un patient pour ten-

ter d’y répondre par un traitement complètement per-sonnalisé [1], de quantifier les millions de microorga-nismes évoluant dans un milieu naturel particulierafin d’identifier de nouvelles manières de transformerla matière [2], ou d’observer les changements mor-phologiques induits par la suppression de chacun desmilliers de gènes d’un organisme donné par vidéo-microscopie, pour identifier de nouvelles cibles théra-peutiques [3]. Les possibilités offertes par l’utilisation de ces nou-velles technologies pour étudier et comprendre levivant ne semblent avoir d’autre limite que celle denotre imagination. De par leur caractère systématiqueet quantitatif, elles ouvrent notamment la voie à denouvelles approches quantitatives pour modéliser le

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 17

Les applicationsindustriellesde la bioinformatique

À l’heure où les technologies en génomique et en protéomique àhaut débit envahissent les laboratoires de biologie, les sciences dela vie font face à un déluge de données extraordinairement volumi-neuses et complexes. Manipuler ces données et en extraire un sensbiologique requièrent de nouvelles approches basées sur la modéli-sation et l’informatique. La bioinformatique est tout à la fois unescience à l’interface entre l’informatique et la biologie et une indus-trie vitale pour stocker, diffuser, analyser et interpréter les donnéesbiologiques en vue de leur exploitation dans l’industrie de la santé, dansl’agroalimentaire ou encore en matière d’énergie. Cet article propose unrapide tour d’horizon du domaine, de ses acteurs et de ses défis.

Par Jean-Philippe VERT*

L’ÉT

AT D

E L’ART

ET LES

PER

SPEC

TIV

ES

* Directeur du Centre de Bioinformatique de Mines ParisTech.

017-23 Vert_Vert 08/02/13 16:50 Page17

Page 19: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

vivant. Elles posent cependant de nouveaux défis quidépassent largement le cadre traditionnel des sciencesdu vivant de par les vastes quantités de données com-plexes qu’elles génèrent. Par exemple, le projet améri-cain TCGA (The Cancer Genome Atlas), qui vise àcataloguer les variations génomiques à l’origine de10 000 cas de cancer, génère 10 téraoctets de donnéeschaque mois et devrait en produire un total de10 pétaoctets (1). Pour transmettre, stocker, analyseret interpréter cette masse de données afin d’aboutir àun résultat biologique, la biologie s’appuie naturelle-ment de plus en plus sur les mathématiques et lestechnologies de l’information et de la communica-tion. Une discipline nouvelle est d’ailleurs née pourrépondre à ces défis depuis une quinzaine d’année : labioinformatique, qui s’épanouit à la fois comme undomaine scientifique à part entière et comme unensemble de technologies devenues indispensables à larecherche académique et industrielle. Dans lesquelques pages qui vont suivre, nous nous efforceronsde mieux définir cette discipline et d’en illustrer lesprincipaux domaines d’application en nous concen-trant essentiellement sur les applications industrielles.Nous brosserons ensuite un rapide portrait du marchéet des acteurs de ce secteur, avant de conclure enouvrant quelques pistes de réflexion sur les défis quinous sont lancés et qui représentent autant d’oppor-tunités scientifiques et industrielles.

QU’EST-CE QUE LA BIOINFORMATIQUE ?

La bioinformatique est une discipline à l’interfaceentre la biologie et l’informatique, qui recouvre l’en-semble des technologies et des méthodes permettantde collecter, de stocker, d’analyser et d’interpréter lesdonnées biologiques. Elle désigne donc tout à la foisa) le développement d’infrastructures et d’outils (telsdes systèmes de stockage de données, des logiciels debase de données et de visualisation) et b) le dévelop-pement et la mise en œuvre de méthodes mathéma-tiques et informatiques s’appuyant sur ces outils pouranalyser des données et les interpréter biologique-ment. Ces deux aspects de la discipline sont d’ailleurssouvent désignés en anglais sous deux noms diffé-rents, la bioinformatics, terme recouvrant le dévelop-pement d’infrastructures et d’outils, et la computatio-nal biology, qui désigne, quant à elle, la mise au pointde méthodes d’analyse spécifiques et leur utilisationpour traiter un problème biologique particulier. Enschématisant à l’extrême, la bioinformatics se rap-proche plus d’un travail d’ingénierie en infrastructureset en logiciels (pas toujours spécifique, d’ailleurs, à

son domaine d’application que sont les sciences duvivant), tandis que la computational biology s’apparen-te à une discipline scientifique à part entière consis-tant à modéliser et à analyser des systèmes biologiquesau moyen de modèles informatiques, en empruntantd’ailleurs de nombreuses approches aux mathéma-tiques et à la physique.

LES APPLICATIONS INDUSTRIELLESDE LA BIOINFORMATIQUE

La bioinformatique, dans son ensemble, est donc uneactivité transverse qui peut être appliquée à de nom-breux secteurs des sciences de la vie et des biotechno-logies confrontés à l’étude et à l’utilisation du vivant.Elle joue de ce fait un rôle important et croissant dansde nombreuses industries, allant de la recherche bio-médicale jusqu’à l’agroalimentaire, en passant parl’énergie et l’environnement.En volume, les entreprises pharmaceutiques et bio-technologiques sont certainement les premières utili-satrices de la bioinformatique. En effet, elles utilisentde plus en plus de technologies à haut débit, commela protéomique ou le séquençage, pour étudier les sys-tèmes biologiques qui les intéressent. Elles s’appuientnaturellement sur les outils et les méthodes de la bio-informatique pour décoder l’information biologiquecachée dans les multiples données qu’elles génèrent etainsi faciliter la traduction de ces données en avancéesmédicales. Un domaine particulier, au cœur de larévolution en cours, est la pharmaco-génomique, unediscipline qui vise à prédire la probabilité qu’un indi-vidu réponde à un traitement en fonction de sonpatrimoine génétique ou de marqueurs moléculaires,ouvrant ainsi la voie à la médecine personnalisée.Cette discipline s’appuie sur des traitements informa-tiques et mathématiques précis nécessitant des statis-tiques en grande dimension et l’exploitation de nom-breuses données pour identifier les combinaisons demarqueurs permettant de diagnostiquer avec préci-sion une pathologie et de prédire l’efficacité-toxicitéd’un traitement sur un individu donné. Les enjeuxsociétaux et économiques de la médecine personnali-sée sont considérables, puisqu’il s’agit d’améliorer lasûreté et l’efficacité des traitements en prenant encompte les spécificités biomoléculaires de chaqueindividu. La bioinformatique joue également un rôle importantdans l’identification de nouvelles cibles thérapeu-tiques correspondant à des molécules (typiquementdes protéines) dont l’inhibition par un traitementadapté permettrait de traiter la pathologie. Elle four-nit, d’une part, des outils pour interpréter systémati-quement les résultats d’études visant à caractériser lesvariations moléculaires entre individus (anomaliesgénomiques, différences au niveau de l’expression des

18 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013

L’ÉTAT

DE L’ART

ET LES PERSPEC

TIVES

(1) 1 pétaoctet = 1015 octets = 1 000 téraoctets = 1 000 000 gigaoctets =1 000 000 000 mégaoctets.

017-23 Vert_Vert 08/02/13 16:50 Page18

Page 20: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

gènes ou des marqueurs épigénétiques, etc.) et à lescorréler avec l’apparition, puis le développement decertaines maladies. Ce travail peut permettre d’identi-fier au niveau moléculaire des anomalies qui sont res-ponsables du développement de la pathologie et d’endéduire des stratégies thérapeutiques, comme l’inhibi-tion d’une protéine mutée conférant une propriétéparticulière à une cellule cancéreuse. Une autreapproche, complémentaire, pour identifier de nou-velles cibles thérapeutiques, consiste à modélisermathématiquement le fonctionnement d’une celluledans un environnement donné puis, par simulation etanalyse du modèle obtenu, d’en déduire des interven-tions thérapeutiques possibles. Ce genre de modèle(qui est au cœur de ce que l’on appelle la biologie dessystèmes) apporte d’ailleurs bien plus que l’identifica-tion de cibles candidates : il fournit également uncadre conceptuel et computationnel permettant d’in-tégrer des connaissances d’experts et des donnéesmesurées sur des échantillons biologiques, ouvrantainsi la voie à une compréhension holistique de méca-nismes parfois très complexes [4]. La modélisation devoies de signalisation cellulaires ou de réseaux de régu-lation décrivant, au niveau moléculaire, comment unecellule réagit à son environnement et met en place desprogrammes d’activité particuliers, peut ainsi aider àcomprendre et à prédire de quelle manière une cellu-

le réagirait à une ou à plusieurs perturbations spéci-fiques, permettant ainsi, d’une part, d’identifier lesmeilleures interventions possibles et, d’autre part,d’en prédire les effets secondaires (voir la figure 1).La bioinformatique intervient également de plus enplus et de manière multiforme, avec sa cousine la ché-moinformatique, dans le processus de recherche demédicaments qui est au cœur de l’activité des entre-prises pharmaceutiques. La recherche de nouvellesmolécules inhibant ou, au contraire, promouvant l’ac-tivité d’une cible identifiée et susceptible de débou-cher sur l’élaboration d’un nouveau médicament, esten effet un processus long et coûteux qui souffred’une chute de productivité depuis de nombreusesannées, notamment parce que de trop nombreusesmolécules se révèlent inefficaces ou trop toxiques lorsde la phase finale des essais cliniques. Qu’il s’agisse demodéliser les interactions moléculaires en 3D entredifférentes molécules afin d’identifier la meilleuremolécule à synthétiser pour inhiber une cible donnée,ou, au contraire, afin qu’elle n’interagisse pas avec uneautre protéine pour garantir sa spécificité (voir la figu-re 2), ou encore de développer des modèles in silico(c’est-à-dire des modèles informatisés, ndlr) permet-tant de prédire la toxicité et les effets secondairesd’une molécule avant de la synthétiser et de la testersur des patients lors d’essais cliniques, les modèles

JEAN-PHILIPPE VERT

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 19

Figure 1 : La biologie des systèmes cherche à comprendre les propriétés biologiques d’un échantillon en appréhendant lacomplexité des interactions moléculaires.Cette image est une représentation schématique d’un réseau de régulations décrivant la manière dont certains gènescontrôlent l’activation (ou au contraire l’inhibition) d’autres gènes.

017-23 Vert_Vert 08/02/13 16:51 Page19

Page 21: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

mathématiques et les outils informatiques abondentdans l’ensemble du processus de recherche de nou-veaux médicaments mis en œuvre par les entreprisespharmaceutiques.À côté de ses applications dans les industries de lasanté, la bioinformatique joue un rôle important etcroissant dans l’ensemble des industries manipulantdes organismes vivants et désireuses de les étudier, deles optimiser ou de les contrôler. L’industrie agroali-mentaire s’appuie, par exemple, de plus en plus surdes technologies à haut débit pour disséquer et opti-miser les organismes (bactéries ou levures) qu’elle uti-lise pour produire des aliments dans le but d’amélio-rer leur goût, leur odeur, leur texture ou leur valeurnutritionnelle. Une tendance similaire est observéedans l’optimisation des propriétés des aliments eux-mêmes (végétaux ou animaux) par modification géné-tique. Dans les deux cas, l’utilisation croissante detechniques à haut débit s’accompagne naturellementd’une utilisation croissante de la bioinformatiquepour analyser et exploiter les données générées, ainsi

que pour remplacer des expérimentations réelles pardes simulations numériques. D’autres domaines d’ap-plication, comme les énergies renouvelables, la méta-génomique ou la biologie de synthèse, suivent évi-demment la même tendance.

LE MARCHÉ DE LA BIOINFORMATIQUEET SES ACTEURS

Compte tenu de l’importance et de la variété de sesapplications, la bioinformatique s’est non seulementdéveloppée en tant que discipline scientifique, maiségalement comme un secteur industriel à part entièreet en forte croissance depuis une quinzaine d’années. Aujourd’hui, schématiquement, on peut segmenter lemarché de la bioinformatique en trois sous-marchésprincipaux : – a) les logiciels d’analyse et les services associés, – b) les contenus,

L’ÉTAT

DE L’ART

ET LES PERSPEC

TIVES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201320

Figure 2 : Dans l’industrie pharmaceutique, les simulations en trois dimensions permettent d’optimiser virtuellement lesstructures des molécules permettant d’inhiber une cible donnée (ici, une protéine de la famille des tyrosines kinases, quipermet à certains cancers de se développer).

017-23 Vert_Vert 08/02/13 16:51 Page20

Page 22: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

– c) et les infrastructures. a) Le marché des logiciels d’analyse et des services asso-ciés comprend la fourniture de solutions pour analyseret exploiter les données générées par les utilisateurs,comme par exemple les données de séquençage ou deprotéomique étudiées par la recherche pharmaceutique. b) Le marché des contenus recouvre de nombreusesbases de données plus ou moins spécialisées permet-tant à leurs utilisateurs d’avoir accès à des connais-sances, comme par exemple les cartes des réseaux bio-logiques ou les informations sur les gènes et lesvariations génomiques les plus fréquentes. c) Enfin, le marché des infrastructures se concentresur l’élaboration de solutions permettant à un labora-toire ou à une entreprise de stocker ses données, d’endonner l’accès aux utilisateurs et de permettre leuranalyse en termes de stockage, de puissance de calculet de réseaux. Le marché global total de la bioinformatique est passéd’environ 840 millions de dollars en 2002 à près de3 milliards de dollars en 2010, enregistrant une crois-sance régulière d’environ 25 % par an [5]. Plusieursanalystes considèrent que ce taux de croissance seramaintenu au moins dans les cinq prochaines années dufait des investissements importants réalisés par lesindustriels concernés dans les technologies à hautdébit. En termes de volume, le marché de la bioinfor-matique est actuellement dominé par le secteur descontenus ; viennent ensuite les logiciels, les servicesd’analyse et, enfin, les infrastructures. La croissance dumarché des logiciels et des services d’analyse est cepen-dant la plus forte pour les trois segments précités. Les acteurs de ce marché sont nombreux et variés, carles coûts d’entrée sont relativement faibles et lesbesoins multiples. On y retrouve aussi bien des géantsdes technologies de l’information comme IBM, qui acréé sa division Life Sciences Solutions dès 2000, desgrandes entreprises plus spécialisées en bioinforma-tique comme Accelrys (600 employés, 150 millionsde dollars de chiffre d’affaires), qu’une myriade depetites et moyennes entreprises (comme SoftGenetics,DNAStar, DNAnexus ou NextBio), proposant souventdes solutions ou des services spécifiques pour des mar-chés très porteurs. D’autres acteurs importants sontles grandes entreprises pharmaceutiques ou de bio-technologie, qui ont souvent investi dans des équipesde bioinformatique en propre plus ou moins dévelop-pées, et les fournisseurs de technologies pour la biolo-gie (comme Affymetrix ou Applied Biosystems), quivendent de plus en plus de solutions bioinformatiquespermettant de récupérer, de stocker et d’analyser lesdonnées produites par leurs technologies. Enfin, denombreuses sociétés de biotechnologie intègrent desoffres de bioinformatique en complément des pro-duits qu’elles vendent pour la biologie, commeKinexus Bioinformatics (Canada) qui vend des pro-duits et des prestations de protéomique et de bioin-formatique.

Du point de vue de la géographie, les Etats-Unisdominent largement le marché mondial, devantl’Europe. Certains pays d’Asie enregistrent une trèsforte croissance, comme l’Inde, qui bénéficie d’un trèsgrand vivier d’informaticiens de qualité. Malgré sesefforts manifestes, depuis une dizaine d’année, pourdévelopper la bioinformatique dans son secteur aca-démique, la France reste malheureusement en retraitpar rapport à ses concurrents directs dans ce secteurindustriel porteur.

LES DÉFIS À RELEVER

La bioinformatique est devenue une discipline omni-présente dans la recherche biomédicale et un secteurindustriel en forte croissance. Cette croissance s’ex-plique notamment par l’augmentation des volumes dedonnées disponibles pour étudier les systèmes biolo-giques et par le basculement progressif de la biologied’une science qualitative vers une science plus quanti-tative. Elle répond également à la nécessité d’amélio-rer la productivité des industries qui utilisent la biolo-gie grâce à leur meilleure exploitation de ces données.De nombreux défis scientifiques et technologiquesrestent cependant à relever, qui représentent autantd’opportunités pour l’avenir. Tout d’abord, les volumes de données générés en bio-logie croissent actuellement beaucoup plus vite queles capacités de stockage et la puissance de calcul desordinateurs disponibles. Alors que celles-ci augmen-tent du double environ tous les dix-huit mois (selonla « loi » de Moore), le coût du séquençage a été divi-sé par 1 000 entre 2008 et 2012 (voir la figure 3 de lapage suivante) et les infrastructures se sont rapide-ment développées. Fin 2011, le plus grand centremondial de séquençage, basé en Chine, disposait de167 séquenceurs capables de séquencer l’équivalent de4 000 génomes humains par jour (voir la figure 4 dela page suivante) ! Nous sommes entrés brutalementdans une ère où le coût et les capacités de productiondes données s’effacent devant le coût de leur stockage,de leur transmission et (surtout) de leur analyse. Alorsque l’on s’achemine rapidement vers la possibilité deséquencer un génome humain pour un coût de1 000 $ (2), de nombreux experts ont mis en avantrécemment les coûts réels, beaucoup plus élevés si l’onprend en compte toute la chaîne des traitements desdonnées nécessaires à leur exploitation. C’est ce à quoifait allusion Bruce Korf, ancien président del’American College of Medical Genetics, lorsqu’il dit“the $1000 genome, the $1 million interpretation” [6].Des géants de l’Internet ont commencé à s’intéresseraux problèmes du stockage et de la dissémination de

JEAN-PHILIPPE VERT

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 21

(2) Le séquençage du premier génome humain (en 2001) a coûté 2,7 mil-liards de dollars.

017-23 Vert_Vert 08/02/13 16:51 Page21

Page 23: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

L’ÉTAT

DE L’ART

ET LES PERSPEC

TIVES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201322

Figure 3 : Le coût du séquençage d’un génome humain est passé de presque 100 millions de dollars en 2001 à moins de10 000 dollars en 2010. La brusque décroissance de coût à partir de 2007 correspond à l’arrivée sur le marché de tech-niques de séquençage massivement parallèles. En comparaison, la loi de Moore décrivant l’amélioration des performancesdes ordinateurs fait piètre figure (Source : KA Wetterstrand, NHGRI).

Figure 4 : L’institut BGI, basé en Chine, est le plus grand centre de séquençage génomique du monde. Il possède des cen-taines de séquenceurs de dernière génération qui sont capables de générer plus de 5 téraoctets de données par jour, équi-valent aux données de séquençage des génomes de 4 000 êtres humains… (Source : BGI).

017-23 Vert_Vert 08/02/13 16:51 Page22

Page 24: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

l’information biologique, comme Amazon qui met àla disposition de la communauté scientifique les don-nées du projet 1000 Genomes (correspondant auxgénomes séquencés de 1 000 individus) sur son servi-ce de cloud (3). Il reste cependant évident que lesquestions de stockage, de transmission et d’algo-rithmes capables de s’adapter à la croissance vertigi-neuse des volumes de données que nous observonsactuellement vont constituer très bientôt un fantas-tique défi à relever.Par-delà les questions techniques liées à l’accroissementdu volume des données, de nombreuses questions plusscientifiques sur la manière d’analyser les données res-tent ouvertes. Que faire, une fois que l’on aura carto-graphié systématiquement toutes les différences, auniveau moléculaire, entre des milliers d’individus, ouentre des milliers d’échantillons biologiques ? La der-nière décennie nous a montré à maintes reprises que labiologie est une science d’autant plus complexe que

l’on observe la réalité à une échelle plus fine, et lesmodèles mathématiques permettant de modéliser cettecomplexité restent en grande partie à inventer.

BIBLIOGRAPHIE

[1] STRATTON (M. R.) & al., “The cancergenome”, Nature, 458: 719-724, 2009. [2] TRINGE (S. G.) & al., “ComparativeMetagenomics of Microbial Communities”, Science,308(5721): 554-557, 2005.[3] NEUMANN (B.) & al., “Phenotypic profiling ofthe human genome by time-lapse microscopy revealscell division genes”, Nature, 464: 721-727, 2010.[4] BARILLOT (E.) & al., Computational SystemsBiology of Cancer, CRC Press, 2012.[5] RNCOS E-Service Pvt. Ltd. Bioinformatics mar-ket outlook to 2015, mars 2012.[6] DAVIES (K.), “The $ 1.000.000 GenomeInterpretation”, Bio-IT World, octobre 2010.

JEAN-PHILIPPE VERT

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 23

(3) http://aws.amazon.com/1000genomes

017-23 Vert_Vert 08/02/13 16:51 Page23

Page 25: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

INEXTRICABLY BOUND:MEASUREMENTAND THE BIOECONOMY

Synthetic biology has been described as the design and construc-tion of biological devices and systems for useful purposes [1]. Thesynthesis of DNA is a critical part of this construction. Advancedmeasurements have been both enabling and motivating foradvances in DNA synthesis chemistry. Building on decades of deve-lopment of chemical synthesis of DNA [2] and the development ofDNA microarrays [3], additional careful attention to minimizingrare side reactions and very small non-idealities in reaction yields

has enabled unprecedented levels of synthesis perfection and throughput[4]. The industrialization of this advanced chemistry has been shown toserve as a robust and economical basis for highly sensitive and specifichybridization assays [5]. It has also been shown to serve as a robust andeconomical source of user defined DNA oligonucleotides of sufficient quali-ty to be used for synthetic biology [6]. The availability of high quality DNAoligonucleotides, coupled with analogously industrialized processes forcombining them into larger constructs, opens up the possibility of wides-pread adoption of synthetic biology methods. New measurement modalitiesare being developed as a consequence. These examples, along with otherselaborated elsewhere in this journal, illustrate the close and sometimesunpredictable interplay amongst measurement, science, and biotechnology,and the foundational role of measurement in advancing the bio-economy.

By Emily M. LEPROUST*, Derek LINDSTROM*, Maurice SANCIAUME** and Stephen LADERMAN*

L’ÉT

AT D

E L’ART

ET L

ES P

ERSP

ECTIV

ES

* Agilent Technologies, Inc., Santa Clara, California 95051, Etats-Unis.

** Agilent Technologies France, S.A.S., Diegem, BC B1813, Belgique.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201324

024-27 Leproust_Leproust 08/02/13 16:55 Page24

Page 26: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

EMILY M

. LEPROUST &

COLL.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 25

MEASUREMENT MOTIVATES AND ENABLES HIGHQUALITY DNA OLIGONUCLEOTIDE SYNTHESIS

The function of synthetic DNA in the laboratory, likenaturally occurring DNA, is determined by itssequence, or order in the polymer chain, of the bases(A, C, G or T). Over the years, a number ofchemistries have been developed for the serial addi-tion of bases to synthesize DNA, most notably themethod developed by Marvin Caruthers [7]. In thisapproach, the synthesis of DNA is performed by theserial addition of bases (A, C, G or T) onto an attach-ment linker on a solid support. The incoming base iscreated to be a highly reactive moiety, which couplesonto a particular chemical site, a hydroxyl group, onthe growing DNA chain. The bond created betweenthe two bases is an unnatural phosphite (PIII oxida-tion state), which is subsequently oxidized into a nat-ural phosphate (PIV oxidation state) bond. Followingoxidation, the terminal end of the newly added base,previously protected by a Di O-Methyl Trytil (DMT)group, is de-protected to create a hydroxyl end. Thisstep, called de-block, creates the attachment point forthe next base addition. The combination of the cou-pling, oxidation, de-block steps is called DNA syn-thesis cycle, and as many cycles as necessary are per-formed to synthesize a DNA strand of a given length.This chemistry was advanced to an unprecedentedlevel in the course of pursuing high performanceDNA microarray assays [4].By enabling complete flexibility of the synthesizedsequences, chemical synthesis of DNA is also essentialfor synthetic biology applications. At the same time,many synthetic biology applications require longerlengths of DNA than can yet be achieved with chem-ical synthesis. These demands require a balancebetween chemical synthesis and subsequently combin-ing the chemically synthesized oligonucleotides intolonger constructs with enzymes. The longer and moreperfect the initially chemically synthesized materials,the more universal and practical is the entire process.The overall length of the synthetic DNA strand islimited by the chemical efficiency of the DNA syn-thesis cycle, as any error in any step will result in afailed DNA synthesis. For each cycle, there is, even inthe best chemistries, a small probability of failure. Theoverall yield of the synthesis is determined by com-pounding the errors in each cycle. The overall yield,then, is the yield of each cycle raised to the power ofthe length. Small effects become compounded veryquickly. As an example, a cycle yield of 99% results inan overall yield of only 36% after 100 cycles, or 13%after 200 cycles. Typically, cycle yields of 99.8% andbetter are necessary to obtain synthetic DNA suitablefor widespread application. To achieve high yieldsafter two-hundred or three-hundred cycles requiredthe development of creative chemistry and imagina-

tive engineering translatable to high precision, robustmanufacturing processes, quality control, and qualityassurance.As with the manufacturing of DNA microarrays, theDNA synthesis cycle may be controlled spatially toenable the simultaneous synthesis of tens of thou-sands of different DNA sequences on a flat solid sup-port, typically glass or silicon, enabling high through-put downstream applications [3]. One approach forsuch spatial control is the use of inkjet printing tech-nology to print fluids containing coupling phospho-ramidite derivatives of the four DNA bases: A, C, Gand T; analogous to the four standard color inks:black, magenta, cyan, and yellow. Since only one stepof the synthesis cycle needs to be spatially controlled,the other steps, oxidation and de-block, may be per-formed in a non-spatially controlled manner in a flowcell. In addition to a printing module and flow cellmodule, a DNA synthesis instrument would also con-tain an automation module to transfer the solid sup-port to and from the printing and flow cell modules,as well as an inspection module to image the printeddrops and detect any misprinting. Engineering controls during DNA synthesis on anautomated instrument are essential to achieve thehigh quality and robustness required for routine com-mercial operation. For example, during printing, thesolid support is maintained at sub-millimeter dis-tances from the print heads and displaced at speeds ofabout one meter per second (m/s) over more than ameter during printing of drops at millions of discreetlocations and densities up to 1,000 features per mm2.Since the droplets of all four bases must always beprinted at the same location, relative alignment of theprint heads is essential. This is achieved by three-dimensional, piezo-assisted precision movements ofeach print head, along with precision timing of thesignals initiating delivery of ink from the print headnozzles. Similarly, in the flow cell, the thickness mustbe tightly controlled over the dimensions of the solidsupport to ensure uniform flow of the reagents.The fluid or “ink” formulation is a key aspect of thistechnology. The ink composition must be optimizedto ensure efficient 1. jetting, i.e. ejection of dropletsfrom the print heads of uniform volume, speed andtrajectory, 2. printing, i.e. landing of the droplets onthe solid support without splashing or spreading, and3. coupling, i.e. the chemical attachment of theincoming base onto the growing DNA chain. Thesurface tension and viscosity of the ink are the twoexamples of parameters affecting the droplet forma-tion at the print head and the absorption of thedroplet kinetic energy at impact, and are among thosethat must be tightly controlled. The chemical compo-sition of the ink must also be controlled to ensurehigh reaction rates, low side reactions and the physi-cal integrity of the reaction area despite the largehydrodynamic forces accompanying the process.

024-27 Leproust_Leproust 08/02/13 16:55 Page25

Page 27: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

The solid support used during the synthesis also has keycharacteristics that must be tightly controlled, such as itsdimensions, to ensure reproducible and effective move-ment by transfer robots and to avoid even slight bowingin flow cells. The active surface must have an optimumand reproducible loading of DNA attachment pointswhere DNA synthesis is initiated. To that end, glass, ora silicon oxide layer on silicon, is treated to achieve adurable attachment of a monolayer of a material withoptimized physical and chemical properties. Its qualitymust be carefully measured to insure utility.High quality DNA synthesis writers must be fully auto-mated. An efficient and automated machine that canprocess twelve wafers simultaneously has a printingcapacity of 1Giga bases per day. To balance printingand flow chemistry, such a machine is composed of oneprinting module linked to twelve flow cell modules sothat there is always one wafer ready to print as soon asprinting of a previous wafer is completed. The instru-ment can be run asynchronously where a wafer can beadded or removed from the synthesis instrument, andscheduler software can be used to optimize the transferof wafers from module to module in order to minimizewaiting times, similarly to logistics software optimizingthe inventory of goods between a warehouse and stores.Finally, each module can be driven by an independentlogic center, which interfaces with the scheduler toexchange status, and with a central data storage to cap-ture log information for future traceability. After syn-thesis, the wafers are de-protected in basic solution, tofinalize the synthetic DNA into its natural structure,and washed. Each wafer can then be diced, for exam-ple, into approximately 25 mm by 75 mm slides usingnon-contact laser dicing, after each slide has been indi-vidually labeled. Multiple layers of quality control of the syntheticDNA are critical to ensure accurate and reproducibleresults for downstream applications. First, duringincoming inspection, the DNA synthesis reagents aretested analytically and functionally prior to use inmanufacturing to ensure that they contain the intend-ed active ingredients at the appropriate concentration,and that they do not contain any known detrimentalcontaminants. Second, during in-process quality con-trol of the synthesis on the instrument, the instru-ment checks the correct execution of the process bymeasuring reaction times, reagent pressures and tem-peratures, as well as by imaging every printed dropletto ensure its correct location and volume. If any devi-ation is observed, the instrument is stopped and cor-rected immediately, ensuring that a minimal, if any,quantity of product has to be discarded. Third, dur-ing destructive testing, a portion of each wafer is ana-lyzed in a way similar to downstream use to ensurethat the synthesized DNA meets specification. Thistest usually involves the hybridization of the synthet-ic DNA with a mixture of simple and complex labeledtargets to measure background signal, linearity of

binding, lower level of detection and the extent of anyside reaction such as de-purination. Fourth and final-ly, all the manufacturing and QC parameters are stud-ied using statistical process control methodologies todetect any drift from standard behaviors. This ensuresongoing and continuously improving control of theprocesses and provides early warning of any qualitycontrol issues. All data acquired for each reagent lot,wafer and slide can be stored to provide a device his-tory file that can be queried later, if needed, in thecourse of routine or special troubleshooting.

SYNTHETIC BIOLOGY MOTIVATES AND ENABLESNEW MEASUREMENTS

Single celled organisms such as bacteria have long beenthe focus for synthetic biology because of their simplic-ity: They are easy to manipulate genetically and envi-ronmentally. By growing large populations of identicalcells under defined conditions, a wealth of RNA, pro-tein, and metabolite data has been collected and ana-lyzed using in vitro measurements. Interestingly, mea-suring the number of RNA or protein molecules in asingle cell often shows a population average which is anincomplete description of an individual cell. Part of thediscrepancy is due to how RNA is produced fromDNA: RNA messages are not always churning out con-stantly from a DNA template like a smooth-runningprinting press. Instead, many are produced in discreetbursts of activity [8]. Thus, the concentration of a givenmessage will spike and decline over time due to burstsof synthesis followed by degradation and dilution. Thisdissonant production schedule is further confounded bythe fact that many RNAs exist at very low copy number.A burst may produce 10 copies of RNA, which candecline to zero before the next burst of synthesis. Lowcopy numbers lead to high stochastic variation, espe-cially during cell division. If a cell contains only a hand-ful of molecules of a particular RNA, when it divides itcan often give birth to one cell with the entire handfuland a second cell with none. These variations in RNAlevels can also be compounded during their translationinto protein, which can exhibit the same burst-likemode of synthesis. The end result is wide cell-to-cellvariation of these molecules within a population. Thesevariations in molecular components translate into dif-ferences in phenotype. The fact that genetically identi-cal cells can behave so differently can profoundly affectour ability to predict the outcomes of modificationssuch as introducing new metabolic systems or geneticcircuits. Measuring the phenotypic probability distribu-tions of individual RNAs, proteins and metabolites insingle cells has become an important source of dataneeded to accurately model gene expression, systems-level interactions, and even whole cell behavior [9].Indeed, the understanding of basic biology has been

L’ÉTAT

DE L’ART

ET LE

S PE

RSP

ECTIVES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201326

024-27 Leproust_Leproust 08/02/13 16:55 Page26

Page 28: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

changed by the results of single-cell measurements onpopulations of genetically identical cells grown in thelaboratory. Dramatic differences are seen between theDNA instructions (the genotype, identical in each cell)and the products of those instructions (the phenotype,or resulting behaviors) [10]. These differences have notonly changed the implications of genetic inheritance,they have also contributed significantly to the refine-ment and success of synthetic biology. The realizationthat phenotype is not a simple value derived from theproduct of genetics and environment, but is betterdescribed as a probability function derived from theseinputs, has led to more robust predictive modeling ofsystems and even whole cells [11].If a given phenotype is derived from a probability dis-tribution of certain RNAs and proteins, what set ofmeasurements should be made to determine pheno-type at the single-cell level? Predictive approaches firstidentify all of the RNAs and proteins that contributeto a particular phenotype and then measure them allto predict the phenotypic outcome. While becomingmore tractable over time as measurement and compu-tation advance, both making and fully interpretingmore than a few measurements on a single cellremains slow and expensive.At the other extreme, if the phenotype can be definedby a single molecule, a single measurement would suf-fice. If that single molecule is an RNA or protein, it isalready known how to genetically encode fluorescentreporters for most such molecules. But if the molecularphenotype of interest is best represented by a metabo-lite, there is not yet a systematic method for generatingreporters for these chemically diverse molecules. Here,using synthetic biology as a means for generating newtools shows great promise for developing precise mea-surement devices, or biosensors, to measure metabolitelevels in single cells. Biosensors are genetically encodedmolecules that provide two functions: An input func-tion accomplished by binding to the molecule of inter-est and an output function comprising the generationof a measureable signal. Many modular outputs havebeen developed for biosensors, but a predictable way togenerate a desired input for any molecule of interest isstill lacking. Inputs have been appropriated on an adhoc basis from natural sources, for example a proteinknown to bind to a particular metabolite. With theadvent of high throughput sequencing, many DNAsequences encoding potential binding proteins havenever actually been physically isolated. Synthetic biolo-gy now enables the testing of such a large number ofcandidate inputs from natural sources by enabling theirconstruction and testing. Moreover, synthetic biologyapproaches can be used to generate large libraries ofvariations on a theme: to create new candidates basedon variations of a single natural source that can bescreened for new functions. Ultimately, libraries ofcompletely novel protein sequences can be screened fornew functions [12]. In this way, advanced synthesis

provides an opportunity to overcome a lack of priorknowledge, accelerating the development of com-pelling new measurements.

BIBLIOGRAPHY

[1] ENDY (D.), Foundations for engineering biology,Nature, 438, 449-453, 2005.[2] CARUTHERS (M.H.), Chemical Synthesis ofDNA and DNA Analogues, Acc. Chem. Res., 24, 278-284, 1991.[3] FRIEND (S.H.) and STOUGHTON (R.B.), TheMagic of Microarrays, Scientific American, 286, 44-53, 2002.[4] LEPROUST (E.M.), PECK (B.J.), SPIRIN (K.),MCCUEN (H.B.), MOORE (B.), NAMSARAEV(E.) and CARUTHERS (M.H.), Synthesis of high-quality libraries of long (150mer) oligonucleotides bya novel depurination controlled process, Nucleic AcidsResearch, 38, 2522-2540, 2010.[5] BARRETT (M.T.), SCHEFFER (A.), BEN-DOR (A.), SAMPAS (N.), LIPSON (D.), KINCAID(R.), TSANG (P.), CURRY (B.), K BAIRD (K.),MELTZER (P.S), YAKHINI (Z.), BRUHN (L.) andLADERMAN (S.): Comparative genomic hybridiza-tion using oligonucleotide microarrays and totalgenomic DNA, PNAS, 101, 17765-17770, 2004.[6] KOSURI (S.), EROSHENKO (N.), LEPROUST(E.M), SUPER (M.), WAY (J.), LI (J.B) andCHURCH (G.M.), Scalable gene synthesis by selec-tive amplification of DNA pools from high-fidelitymicrochips, Nat Biotechnol, 28, 1295-1299, 2010.[7] CARUTHERS (M.), Gene Synthesis Machines:DNA Chemistry and Its Uses, Science, 230, 281-285,1985.[8] SEGAL (E.) and WIDOM (J.), From DNAsequence to transcriptional behavior: a quantitativeapproach, Nat Rev Genet, 10, 443-456, 2009.[9] KARR (J.R), SANGHVI (J.C.), MACKLIN(D.N.), GUTSCHOW (M.V.), JACOBS (J.M.), JRBOLIVAL (B.), ASSAD-GARCIA (N.), GLASS(J.I.), and COVERT (M.W.), A whole-cell computa-tional model predicts phenotype from genotype, Cell,150, 389-401, 2012.[10] NANDAGOPAL (N.) and ELOWITZ (M.B.),Synthetic biology: integrated gene circuits, Science,333, 1244-1248, 2011.[11] CARDINALE (S.) and ARKIN (A.P.),Contextualizing context for synthetic biology - iden-tifying causes of failure of synthetic biological sys-tems, Biotechnol J, 7, 856-866, 2012.[12] CHERNY (I.), KOROLEV (M.), KOEHLER(A.N.) and HECHT (M.H.), Proteins from anUnevolved Library of de novo Designed SequencesBind a Range of Small Molecules, ACS Synth Biol, 1,130-138, 2012.

EMILY M

. LEPROUST &

COLL.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 27

024-27 Leproust_Leproust 08/02/13 16:55 Page27

Page 29: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

Les biofuels de secondegénération (2G) :un accélérateurde la transitionénergétique versune économie H2 énergie

Le développement d’une bioéconomie, en particulier pour lestransports, passe par le développement d’une filière biocarburant. Outre lavoie biologique, la production de biocarburants de deuxième génération(2G) s’opère par la voie thermochimique, aussi appelée BtL (Biomass toLiquids). Les acteurs de la filière, dont Air Liquide, se mobilisent pour faireémerger une feuille de route technico-économique garantissant à terme lacompétitivité de cette filière émergente.Cette voie thermochimique, basée sur la gazéification de la biomasse, per-met également d’obtenir de l’hydrogène à grande échelle. L’industrialisationde cette filière émergente et la production associée de bio-hydrogène à prixcompétitifs constituent un levier majeur pour accélérer la transition vers dessolutions de mobilité hydrogène.

Par Olivier DELABROY*

LES SE

CTE

URS IN

DUST

RIELS

PORT

EURS ET

LEU

RS

TECHNOLO

GIES PH

ARES

* Directeur R&D, Air liquide.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201328

028-34 Delabroy_Delabroy 08/02/13 16:57 Page28

Page 30: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

OLIV

IER D

ELABROY

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 29

BIOMASSE ET TRANSPORTS :LES BIOCARBURANTS

Selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) [1],la part de la biomasse représente aujourd’hui environ10 % de la demande totale d’énergie primaire. Selonles projections de l’AIE (jusqu’en 2035), sa part suivral’augmentation de la demande globale en énergie dansles scénarios conservatifs, et cette contribution devraitexcéder 15 % dans les scénarios limitant la concentra-tion de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.Au niveau global, les ressources potentielles de la bio-masse sous ses différentes formes seraient largementsuffisantes pour répondre à la demande attendue, sansforcément entrer en concurrence avec la productiond’aliments et tout en garantissant un usage durabledes terres mobilisées. Cependant, aux niveaux local etrégional, des disparités entre production et demandesont avérées, entre autres pour des raisons sociolo-giques, climatiques ou réglementaires. Ainsi, il estprévisible que des régions importatrices nettes d’éner-gie (comme l’Europe ou le Japon) augmenteront defaçon importante leurs importations de biomasse (àpartir de régions comme l’Amérique du Sud oul’Afrique).

Transports et biocarburants

En 2010, le secteur des transports a consommé envi-ron 2 200 millions de tonnes d’équivalent pétrole(Mtep) [2] de produits pétroliers (kérosène, essence,gazole), un secteur représentant un quart des émis-sions mondiales de CO2 et connaissant, ces dernièresannées, une croissance soutenue (plus forte dans lespays émergents) en particulier dans le transport demarchandises et le transport aérien.Entraînés par des considérations liées aux objectifs deréduction des émissions de CO2, d’indépendanceénergétique et de développement économique rural,les biocarburants peuvent, aujourd’hui, remplacerpartiellement les produits issus du pétrole dans le sec-teur des transports. La pénétration des biocarburantsprogresse, elle était de 1,11 million de barils d’équiva-lent pétrole (Mbep) en 2009, soit ~3 % des carbu-rants mondiaux consommés. Et les projections desexperts s’accordent pour reconnaître que cette substi-tution devrait atteindre les 8 % autour de 2030-2035.Dans le secteur de l’aviation, la substitution de bio-carburants liquides au kérosène issu du pétrole est unenjeu majeur, car les contraintes imposées au carbu-rant sont strictes et réduisent le nombre des alterna-tives possibles. Des expériences réalisées avec du bio-kérosène se sont avérées concluantes. C’est ainsiqu’une norme de l’American Society for Testing andMaterials (ASTM) autorise des mélanges pouvant en

comporter jusqu’à concurrence de 50 %. En ce quiconcerne le secteur du transport de marchandises parroute ainsi que par bateau, le pétrole continuera à pré-dominer, mais les solutions alternatives pour une sub-stitution partielle sont plus nombreuses : biocarbu-rants, moteurs à gaz, électrification et recours à despiles à combustible.

LES FILIÈRES BIOCARBURANTS

La pénétration des biocarburants dits de premièregénération (éthanol obtenu à partir de sucres oud’amidon, ou biodiesel issu des huiles végétales) a étéfacilitée par leur bonne compatibilité avec les pro-duits pétroliers, permettant ainsi l’utilisation desinfrastructures existantes. Cependant, ces mêmesplantes peuvent également être utilisées pour l’ali-mentation humaine. Leurs méthodes de cultureposent la question de leur impact sur la disponibilitédes terres, sur la biodiversité et sur la déforestation,leur bilan global doit inclure ces externalités.Toutefois, dans certains pays qui possèdent des dis-ponibilités locales importantes et un climat appro-prié, des considérations relatives à l’indépendanceénergétique (voire de coût) soutiennent toujours desinvestissements industriels.

Les biocarburants de deuxième génération

Les filières des biocarburants de deuxième génération(2G) utilisent comme matière première la planteentière, et en particulier les déchets agricoles et sylvi-coles, élargissant ainsi considérablement la ressourcedisponible, cela sans même concurrencer les usagesalimentaires. Elles permettent une réduction bien plussignificative (allant de 60 à 120 %) des émissions degaz à effet de serre du puits à la roue, par rapport auxcarburants fossiles de référence [3].Deux grandes filières de production de biocarburants2G se sont ainsi développées :– une voie biologique, qui permet de transformer lescomposants cellulosiques et hémi-cellulosiques de labiomasse en sucres fermentescibles, puis en éthanol.Elle a comme étapes principales un prétraitement,une hydrolyse enzymatique, une fermentation dessucres hydrolysés, une séparation de l’éthanol produitet, enfin, une déshydratation ;– une voie thermochimique, aussi appelée BtL (pourBiomass to Liquids), dont les étapes principales sont lapréparation de la biomasse, suivie d’une gazéificationet d’une épuration du gaz de synthèse produit, puisd’une synthèse catalytique Fischer-Tropsch (FT), elle-même suivie d’un hydrotraitement, le tout pour pro-duire du biodiesel ou du bio-kérosène de synthèse.

028-34 Delabroy_Delabroy 08/02/13 16:57 Page29

Page 31: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

LES SECTE

URS IN

DUST

RIELS

PORT

EURS ET

LEU

RS TE

CHNOLO

GIES-PH

ARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201330

D’autres voies (en cours de mise au point), comme laproduction d’huiles à partir d’algues, nécessitent desavancées de la recherche fondamentale pour arriver àdes ordres de grandeur de compétitivité qui soientacceptables pour le marché de gros des carburants.Des voies de biologie de synthèse avancées pour obte-nir des carburants liquides à partir de sucres affichentdes avancées spectaculaires, mais leur adaptation àl’utilisation d’un éventail de substrat plus élargi estnécessaire pour afficher des performances environne-mentales probantes.

Les biocarburants 2G ne sont pas encore compétitifs

Aujourd’hui, ces filières n’en sont encore qu’au stadede la démonstration technologique. Pour qu’ellespuissent devenir des filières industrielles de produc-tion de carburants à grande échelle, leur compétitivi-té en termes de coût et de capacité à mobiliser desvolumes de ressources à la hauteur de l’enjeu doitencore être améliorée.Le coût de production des biocarburants 2G estaujourd’hui considérablement plus élevé que celui descarburants fossiles (voir la figure 2 de la page suivan-te). Des avancées technologiques au niveau des procé-dés (qui se traduisent en des gains d’efficacité, d’échel-le et de productivité) et des approvisionnementsoptimisés en biomasse (dont l’exploitation rationnelleet élargie devrait permettre de minimiser les coûts

pour de gros volumes) doivent être mises en œuvresimultanément, afin de réduire ces coûts.L’élaboration de la courbe d’apprentissage industrielnécessite la construction et le retour d’expérience depremières unités de développement et de démonstra-tion, dans un cadre législatif et économique privilégié.Ensuite, un cadre incitatif durable s’appuyant sur unefeuille de route industrielle pourra favoriser l’effetd’échelle et un déploiement conséquent permettant àterme l’instauration d’une filière compétitive.

LA FILIÈRE THERMOCHIMIQUE(BTL – BIOMASS TO LIQUID) : LA GAZÉIFICATIONDE LA BIOMASSE

L’approche thermochimique est basée sur la décons-truction thermique de la biomasse à haute températu-re en présence d’un oxydant (tel que la vapeur et/oul’oxygène), produisant un gaz de synthèse composémajoritairement d’hydrogène (H2), de monoxyde decarbone (CO), de gaz carbonique (CO2) et de vapeurd’eau.Comme l’étape de synthèse catalytique de carburant(Fischer-Tropsch, ou FT) opère à des pressions supé-rieures à 30 bars, l’optimisation économique veut quela gazéification opère également à pression élevée etque la quantité de gaz inerte en amont de l’étape FTsoit minimale, ce qui implique une utilisation majori-taire de l’oxygène comme oxydant à la place de l’air.

Figure 1 : Arborescence des processus industriels de transformation de la biomasse en biocarburants.Source : Plateforme biocarburants Suisse

028-34 Delabroy_Delabroy 08/02/13 16:57 Page30

Page 32: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

OLIV

IER D

ELABROY

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 31

Les technologies de gazéification à lit entraîné à hautepression utilisant l’oxygène comme oxydant sontmatures pour des combustibles fossiles (charbon, rési-dus pétroliers ou gaz naturel). Ces réacteurs opèrent àdes pressions élevées (allant jusqu’au-delà de 60 bars)et à de hautes températures (de 1 200 à 1 500°C), etpermettent d’atteindre des productivités très élevéesgrâce à des temps de résidence réduits à quelquessecondes seulement. Par contre, leur fonctionnementnécessite un débit fiable du combustible, avec pour lescombustibles solides, une granulométrie contrôléeautour de 100 microns, ce qui, dans le cas de la bio-masse, représente un verrou technologique. En effet,le broyage du bois ou des plantes herbacées est diffici-le et gourmand en énergie. De plus, une fois broyée,la biomasse a tendance à s’agglomérer, ce qui rend dif-ficile son introduction dans un réacteur sous pression.

Les prétraitements de la biomasse

Nécessaires, des prétraitements de la biomasse ontdonc été proposés, notamment :– la torréfaction qui est un traitement thermiqueréalisé en absence d’oxygène, à une tempéra -ture modérée (200-300°C), pendant un temps long

Figure 2 : Projection (jusqu’en 2050) des coûts du biodiesel BtL et de l’éthanol obtenu à partir de cellulose (on remar-quera qu’en raison de l’augmentation du prix du pétrole, le biodiesel BtL et l’éthanol deviennent compétitifs dès 2030).Source : IEA - Biofuels for transport 2011 [3].

Figure 3 : Schéma de la synthèse du biogaz à partir de bio-masse, d’oxygène et de vapeur, avec élimination de scories.

028-34 Delabroy_Delabroy 08/02/13 16:57 Page31

Page 33: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

(15-60 minutes) et à la pression atmosphérique. Ceprocédé est relativement efficace (85-95 % de ren-dement) et délivre une matière plus friable (dont lebroyat peut être comparé à celui du charbon) ;– la pyrolyse rapide, qui est un autre traitement ther-mique consistant à chauffer à des températuresmoyennes (400-500°C) et très rapidement (enquelques secondes) la biomasse, avec à la clef la pro-duction d’un gaz. La majeure partie de ce gaz estcondensée sous la forme d’une « huile de pyrolyse ».Afin d’atteindre de bonnes efficacités énergétiques(85-90 %), la phase solide résultante peut être re-mélangée à cette huile, formant ainsi une bio-slurry,une suspension liquide présentant une densité énergé-tique élevée. Cette bio-slurry peut ensuite être portéeà haute pression par un simple pompage, pour êtreensuite introduite dans le gazéifieur.Ces procédés et leur intégration dans une chaîne déli-vrant le gaz de synthèse sont en cours de développe-ment et des pilotes ont été ou sont en train d’êtreconstruits.

Les procédés aval

L’aval du gazéifieur profite directement des technolo-gies et procédés éprouvés pour les combustibles fos-siles. Une adaptation aux spécificités et à la taille desunités BtL est néanmoins nécessaire à l’échelle dedémonstrateurs industriels.À la sortie du gazéifieur, le gaz de synthèse généré doitêtre refroidi, lavé, nettoyé et purifié avant de pouvoirêtre introduit dans des réacteurs, en présence de cata-lyseurs. En effet, les catalyseurs utilisés dans la réac-tion FT peuvent être facilement empoisonnés par desimpuretés (telles que des métaux alcalins, des halogé-nures, des composés soufrés ou azotés, du CO2, etc.)et à des concentrations de l’ordre des parties pourmille (ppm), voire des parties pour un milliard (ppb)pour certains composés.Le ratio H2/CO dans le gaz de synthèse est souventdéséquilibré en faveur du CO et doit donc être ajustéen amont du réacteur FT pour obtenir une conver-sion optimale. Cet ajustement peut se faire soit lorsd’une étape de conversion catalytique de CO en H2 àla vapeur d’eau, soit par l’ajout d’H2 extérieur, unajustement qui permet d’augmenter la productivité del’unité BtL.

AIR LIQUIDE, PARTIE PRENANTE DE LA FILIÈREBTL

Air Liquide, en partenariat avec le Karlsruhe Instituteof Technology (KIT), développe une chaîne technolo-gique, BtL (bioliqR), qui transforme la biomasse cel-

lulosique en carburants de synthèse. L’unité piloted’une puissance de 500 kg/h opère une pyrolyse de labiomasse pour produire un bio-slurry liquide, il s’agitde la première étape de cette chaîne (bioliq 1). Lepilote, d’une capacité d’une tonne horaire correspon-dant à la deuxième étape (bioliq 2), celle de la gazéifi-cation en lit entraîné de la bio-slurry, a été démarré en2012. Ces deux projets sont fortement soutenus parles pouvoirs publics allemands (BMELV-FNR) (DasBundesministerium für Ernährung, Landwirtschaft undVerbraucherschutz – Die Fachagentur NachwachsendeRohstoffe).En plus des technologies de production d’oxygène,Air Liquide possède également les technologies néces-saires pour l’aval de la chaîne : – le nettoyage et la purification du gaz de synthèse(Rectisol) ;– la conversion catalytique par vapeur d’eau, ainsi quele portefeuille complet de production d’hydrogèneafin d’ajuster le ratio H2/CO ;– la technologie avancée de synthèse Fischer-Tropsch(GTL.F1) basée sur un catalyseur à base de cobalt enphase slurry (démontrée avec succès en Afrique duSud).L’ensemble de ces briques technologiques permet àAir Liquide de proposer des chaînes complètes etoptimisées permettant la production des biocarbu-rants 2G de demain.

LES TECHNOLOGIES BTL POUR LA PRODUCTIOND’HYDROGÈNE « VERT »

Pour la filière BtL, l’effet d’échelle est fondamentalpour atteindre des performances économiques ; celaimpose une réflexion sur les moyens d’assurer unemobilisation massive de la ressource biomasse. Unprojet commercial type (200 000 tonnes de biocarbu-rant par an) mobiliserait, par an, environ 700 000tonnes de biomasse sèche.Les premières étapes de la chaîne de production BtLvisant à produire des biocarburants à grande échelledans le futur seront directement applicables pour pro-duire de l’hydrogène à partir de biomasse. En effet,une fois le gaz de synthèse obtenu et purifié, les tech-nologies existent à l’échelle industrielle pour uneconversion catalytique approfondie (à la vapeur) duCO en H2, puis pour en séparer un produit H2 pur,typiquement par adsorption.Ainsi, si les technologies associées à une filière biocar-burants BtL deviennent matures, et si la filière devientcompétitive et déployable à grande échelle, les basescompétitives seront posées pour une production d’hy-drogène « vert » à des volumes importants. Le projetévoqué ci-dessus permettrait une production de103 000 normaux mètres cubes par heure (Nm3/h)d’hydrogène.

LES SECTE

URS IN

DUST

RIELS

PORT

EURS ET

LEU

RS TE

CHNOLO

GIES-PH

ARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201332

028-34 Delabroy_Delabroy 08/02/13 16:57 Page32

Page 34: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

OLIV

IER D

ELABROY

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 33

Ensuite, grâce à la versatilité du gaz de synthèse, etselon le profil du projet et la demande de produits,des logiques d’optimisation multi-produits (biocarbu-rants, hydrogène, bioénergie, produits chimiques)peuvent être envisagées pour un même site.

L’ÉCONOMIE « HYDROGÈNE ÉNERGIE »

L’hydrogène est massivement utilisé comme produitde base dans l’industrie chimique et dans le raffinage.Il est très majoritairement produit par reformage degaz naturel (Air Liquide a produit plus de 10 milliardsde normaux mètres cubes (Nm3) d’hydrogène en2011).L’économie Hydrogène Énergie est fondée sur l’utili-sation de l’hydrogène comme vecteur énergétique etsur sa valorisation en électricité via des piles à com-bustible, qui présentent des atouts certains par rap-port à des systèmes thermomécaniques classiques, enraison :– d’un rendement électrique élevé (~50 %),– d’un rendement énergétique global (électricité etchaleur) supérieur à 80 %,– de l’absence d’émission de gaz à effet de serre aupoint d’utilisation (les piles à combustible ne déga-gent que de la vapeur d’eau), – d’un fonctionnement n’émettant aucun bruit.De plus, l’hydrogène permet de stocker l’énergie élec-trique renouvelable sur de longues périodes, et il faitle lien entre la production d’électricité renouvelable etles transports électriques décarbonés.Depuis dix ans, les progrès technologiques réalisés enmatière de piles à combustible ont été significatifs etde nombreux projets de démonstration de leurs per-formances ont été lancés. Ils ont permis aux acteurs dela filière de définir une feuille de route technico-éco-nomique ambitieuse, mais réaliste, pour la décennie àvenir.Air Liquide participe à travers le monde à un grandnombre de projets visant à accompagner le déploie-ment de cette technologie et à favoriser l’acceptationsociétale de cette filière innovante.

Des marchés précoces

Les avantages de l’hydrogène et des piles à combus-tible leur permettent d’ores et déjà d’être compétitifssur des marchés précoces. Les plateformes logistiquesaux Etats-Unis et en Europe en sont un parfaitexemple, avec plus de 2 000 chariots élévateurs équi-pés d’une pile à combustible permettant un gain d’ef-ficacité de 10 % par rapport à leurs homologues à bat-terie électrique classique. D’autres applicationscommerciales incluent la fourniture combinée d’élec-tricité et de chaleur pour répondre à des besoins rési-dentiels (près de 10 000 références installées au Japon)et pour la fourniture d’électricité à des sites isolés(notamment l’alimentation d’antennes de télécom-munications, en Europe).De premières références commerciales de déploie-ment du stockage d’énergie électrique renouvelable aumoyen de stockages d’hydrogène de grande capacitésont envisagées pour les années 2020, elles serontassociées à des électrolyseurs de grande taille (100-300mégawatts). Des projets de démonstration sont encours de démarrage en Allemagne. En parallèle, desunités émergent qui sont destinées à des stockagesd’énergie décentralisés en vue de répondre à desbesoins locaux.

Mobilité

Dans le domaine des transports, en particulier pour lesvéhicules légers, la volonté de diminuer les émissionsde CO2 conduira à une électrification progressive duparc automobile et à une utilisation accrue de sourcesd’énergie renouvelables. À court et à moyen termes,cela se traduira par le recours aux biocarburants et àdes véhicules électriques à batterie, puis, à moyen-longterme, par l’utilisation de véhicules électriques à pile àcombustible, et roulant de fait à l’hydrogène.Ces motorisations électriques à pile à combustibleprésentent dès aujourd’hui des performances remar-quables, et des objectifs d’amélioration ont d’ores etdéjà été identifiés et balisés :

Figure 4 : Enchaînement des processus industriels conduisant de la biomasse à la production d’hydrogène pur ou à la pro-duction de biodiesel au moyen d’une synthèse de Fisher-Tropsch.

028-34 Delabroy_Delabroy 08/02/13 16:57 Page33

Page 35: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

LES SECTE

URS IN

DUST

RIELS

PORT

EURS ET

LEU

RS TE

CHNOLO

GIES-PH

ARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201334

– consommation : 1 kg d’hydrogène pour 100 km,– autonomie : supérieure à 500 km, avec des réser-voirs en composite contenant de 5 à 6 kg d’hydrogè-ne gazeux à la pression de 700 bars,– durée de vie de la pile : plus de 2 500 heures (en2012), avec pour objectif 5 000 heures à l’horizon2020,– une température de démarrage pouvant descendrejusqu’à -30°C.Au-delà des développements technologiques sur lesvéhicules eux-mêmes, il est nécessaire de développeret de déployer l’infrastructure de distribution et d’ap-provisionnement en hydrogène (les stations service).La technologie de remplissage des réservoirs d’hydro-gène à haute pression commence à être déployée : lestemps moyens de remplissage du réservoir d’un véhi-cule sont de l’ordre de 3 à 5 minutes. Cette technolo-gie est mise en œuvre dans plusieurs dizaines de sta-tions service à travers le monde, avec l’objectif d’undéploiement de plusieurs centaines de stations servicefournissant de l’hydrogène en 2020.

L’approvisionnement en hydrogène décarboné :un enjeu pour la filière

Le bilan carbone au kilomètre parcouru pour un véhi-cule roulant à l’hydrogène d’origine fossile (obtenupar reformage de gaz naturel) est déjà inférieur d’en-viron 20 % à celui d’un véhicule à essence. La pro-duction d’hydrogène à partir d’énergie décarbonéepermettra de réduire encore plus drastiquement l’em-preinte carbone de ces véhicules.Pour les marchés précoces évoqués précédemment, lereformage de biogaz et l’électrolyse de l’eau à partird’électricité renouvelable peuvent fournir les volumesd’hydrogène nécessaires. De surcroît, la productiond’hydrogène à partir d’électrolyse permettra, demain,de stocker de l’électricité renouvelable et de contri-buer ainsi à l’équilibrage du réseau électrique. Cethydrogène sera valorisé dans des applications mobili-té (véhicules électriques à pile à combustible) ou dansdes applications stationnaires (comme la générationcombinée de chaleur et d’électricité). Pour des marchés de masse comme celui de la mobi-lité, le volume d’hydrogène requis exigera de surcroîtun changement d’échelle des moyens de productiond’hydrogène « vert ». En plus des électrolyseurs degrande taille (actuellement en cours développement),une technologie de gazéification de la biomasse ame-née au stade industriel peut contribuer à fournir les

volumes requis. En effet, le projet de gazéification del’exemple cité précédemment peut fournir l’hydrogè-ne nécessaire pour alimenter plus de 500 000 véhi-cules électrique à pile à combustible. Les avancéesrequises pour que la filière BtL devienne compétitiveconduiraient à des coûts de production d’hydrogènefortement avantageux. Les retombées de la filière BtLseraient ainsi décuplées tant en termes d’efforts dedéveloppement que de coûts d’opération et d’investis-sement.

CONCLUSION

Le développement d’une bioéconomie doit inclure laproduction des biocarburants avancés pour permettrede faire face à l’accroissement du volume des trans-ports, contribuant ainsi à obtenir une certaine indé-pendance énergétique nationale et une meilleure pré-servation de l’environnement.Ce secteur particulier de la bioéconomie cible la pro-duction de grands volumes de biocarburants à partirde ressources somme toute finies. Sa compétitivitédoit être améliorée grâce à des solutions technolo-giques avancées et à une exploitation rationnelle etélargie de la ressource. Son développement et sondéploiement doivent être favorisés par un cadre inci-tatif durable devant permettre l’établissement d’unefilière compétitive à terme.L’économie Hydrogène Énergie, qui est basée sur l’hy-drogène comme vecteur énergétique, possède desatouts certains en termes d’efficacité et de respect del’environnement. Cette filière est d’ores et déjà uneréalité pour cetains marchés spécifiques.L’industrialisation massive de certaines technologiesde production de biocarburants avancés permettra deproduire du bio-hydrogène à des prix compétitifs. Lalevée de ce verrou, accompagnée de la réalisation desinfrastructures adaptées, accélérera la transition éner-gétique vers des solutions de mobilité H2.[Remerciements : L’auteur remercie chaleureusementDenis Cieutat et Ivan Sanchez Molinero pour leurexpertise et leur forte contribution à cet article].

BIBLIOGRAPHIE

[1] IEA (2012) – World Energy Outlook, 2012.[2] IEA (2012) – Key World Energy Statistics, 2012.[3] IEA (2011) – Biofuels for transport.

028-34 Delabroy_Delabroy 08/02/13 16:57 Page34

Page 36: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

INTRODUCTION

La recherche de solutions durables pour approvision-ner la planète en énergie tout en maîtrisant les émis-

sions de gaz à effet de serre constitue un enjeu écono-mique et sociétal majeur à l’origine de nombreusesinitiatives et de débats passionnés. La biomasse (1), qui pèse aujourd’hui 10 % de laconsommation mondiale en énergie (mais essentiel-lement sous forme de bois, pour le chauffage et lacuisson) figure en bonne place parmi les pistesexplorées. En sus de ses usages traditionnels, ellereprésente en effet la seule alternative renouvelableaux ressources fossiles pour produire des carburants

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 35

Les perspectivesde la biologie de synthèsedans la productionde carburants issusde la biomasseLa biologie de synthèse appliquée à l’ingénierie du métabolismedes microorganismes étend considérablement le spectre des biomo-lécules que l’on peut produire à partir des sucres, et bientôt à partirde la biomasse non alimentaire. Ce faisant, elle relie les marchésdes biocarburants à ceux de la chimie via un tronc commun technologique,et démultiplie les voies de transformation possibles de différents types debiomasse en différents produits, permettant une plus grande flexibilité desstratégies de développement, et à terme des opérations industrielles. Cetteouverture est la bienvenue, à l’heure où l’environnement économique etsociétal n’est guère favorable aux biocarburants. Quelques années et desefforts de R&D significatifs restent nécessaires pour amener à maturité indus-trielle ces nouvelles voies vers des biocarburants avancés, qui seront les der-niers bioproduits à passer les seuils de rentabilité hors subventions.

Par Vincent SCHÄCHTER*

LES SECTEURS INDUSTRIELS

PORT

EURS ET LEU

RS

TECHNOLO

GIES PH

ARES

* Total Énergies Nouvelles.

(1) La biomasse recouvre la fraction biodégradable des produits, déchetset résidus d’origine biologique et des déchets industriels, domestiques eturbains.

035-43 Schachter_Schachter 08/02/13 16:58 Page35

Page 37: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

liquides pour les transports ou des molécules pour lachimie.Les dernières décennies ont vu se développer l’utilisa-tion de technologies matures de conversion de bio-masse en biocarburants. Les deux grandes filièresindustrielles opérationnelles aujourd’hui, dites de pre-mière génération, visent, d’une part, l’éthanol pour lesmoteurs à essence (130 millions de m3 en 2011) et,d’autre part, le biodiesel pour les moteurs diesel(27 millions de m3 pour la même année). L’éthanol est produit via la fermentation de sucres(canne à sucre, betterave sucrière) ou d’amidon (issude céréales, comme le maïs ou le blé). En Europe, le biodiesel est surtout produit à partird’huiles végétales extraites de graines de colza ou detournesol ; ailleurs dans le monde, il est produit à par-tir de palme ou de soja.Les politiques publiques ont créé les marchés des bio-carburants et continuent d’en rythmer le développe-ment à la faveur d’objectifs d’incorporation très

variables d’un pays à l’autre (mais globalement enprogression). L’Europe a ainsi fixé en 2009 un objectif contraignantde 10 % de renouvelables à l’horizon 2020 dans laconsommation d’énergie des transports, un objectifassorti de critères de durabilité. De tels objectifs, en vigueur dans plus de cinquantepays, tirent leur légitimité politique d’une combinai-son de grandes causes : la valorisation de l’agriculturelocale, la création d’emplois, une volonté d’indépen-dance (ou, tout au moins, de diversification des res-sources énergétiques) ou encore l’impératif de laréduction des émissions de CO2.Un consensus s’est construit, depuis 2008, sur le faitque les filières de « première génération » montrentdes limites que seuls des progrès significatifs – dans lestechnologies de transformation, dans les rendementset les pratiques agricoles, et dans l’intégration de lachaîne agriculture-collecte & transport-transforma-tion-formulation permettront de dépasser :

36 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013

LES SECTEURS INDUSTRIELS PORTEU

RS ET LEU

RS TECHNOLO

GIES-PH

ARE

Figure 1 : Cartographie des procédés classiques et avancés de production de biocarburants.

035-43 Schachter_Schachter 08/02/13 16:58 Page36

Page 38: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

– Suivant le type de biomasse utilisé, les compétitionsd’usage, notamment avec l’alimentaire, sont parfoistrop élevées (maïs, aux Etats-Unis (en 2008), huilesvégétales, de manière générale) ;– Les performances environnementales elles-mêmesne sont pas toujours au rendez-vous : dans certains cas(comme pour une partie de l’éthanol issu de maïsaméricain), les émissions de gaz à effet de serre sontcomparables, voire supérieures, à celles qui auraientété produites pour des quantités équivalentes de car-burants d’origine fossile ; dans d’autres (déforestation,en Indonésie, liée à l’utilisation accrue de l’huile depalme), les écosystèmes pâtissent de la création d’ex-ploitations agricoles destinées à produire des biocar-burants ;– Les molécules produites (éthanol ou esters méthy-liques d’huiles végétales) ne sont pas aussi perfor-mantes que les carburants d’origine fossile, et ne s’in-tègrent pas parfaitement dans les infrastructuresexistantes, ce qui limite leur taux d’incorporation(principalement dans les transports routiers), voiremême les rend inutilisables (aviation).Des efforts de R&D conséquents ont donc été enga-gés pour développer de nouveaux procédés de trans-formation. Ceux-ci sont souvent catégorisés en deuxvoies, suivant la nature des procédés utilisés, la voiethermochimique et la voie biochimique (voir la figure 1de la page précédente). Les procédés thermochi-miques adaptent des technologies relativementmatures à la production de biocarburants : ainsi, lagazéification produit, par exemple, un gaz de synthè-se (2) qui peut être transformé en biodiesel par desréactions chimiques de type Fischer-Tropsch.Les procédés biochimiques utilisent des cellulesvivantes (levures ou bactéries) pour transformer, parfermentation, des sucres en éthanol et en d’autresmolécules d’intérêt pour l’industrie, ou pour produiredes enzymes, qui serviront à transformer la lignocel-lulose en sucres susceptibles d’être à leur tour fermen-tés. La taille critique et les investissements nécessairespour les unités de production utilisant ces procédésbiochimiques sont typiquement moindres par rapportà ce qui est observé pour les unités recourant aux voiesthermochimiques.On peut également cartographier les recherches exis-tantes en fonction de la position dans la chaîne devaleur des transformations qu’elles développent. Lamajeure partie des efforts de R&D déployés à ce jourvise à élargir la gamme des ressources utilisables enl’ouvrant notamment à l’utilisation de la partie nonalimentaire des plantes (la lignocellulose), aux déchetsorganiques ou encore aux algues et autres photo-trophes (3) aquatiques. Ils portent sur le premier segment « Biomasse àIntermédiaires » de la chaîne de transformation de labiomasse de la figure 1 de la page précédente. Ladéconstruction de la lignocellulose permet ainsi d’ac-céder à des macromolécules qui peuvent ensuite être

transformées en sucres via des procédés d’hydrolyse(chimique ou biochimique) ; les sucres ainsi obtenuspeuvent alimenter des procédés de fermentation (clas-siques ou non). Les biocarburants obtenus à partir delignocellulose sont dits de seconde génération (ou 2G)et l’on en attend une réduction des compétitionsd’usage, de meilleures performances environnemen-tales et de meilleurs rendements surfaciques, puis-qu’ils permettraient de valoriser l’intégralité de laplante.

LES POTENTIALITÉS DE LA BIOLOGIEDE SYNTHÈSE

Une autre partie de ces efforts de R&D, plus récenteet moins connue, vise non pas à rendre possible l’uti-lisation de ressources différentes, mais à permettre laproduction de molécules nouvelles, mieux adaptées àune utilisation comme carburants et aux infrastruc-tures existantes, à partir d’intermédiaires comme lessucres et le gaz de synthèse. Cela correspond ausecond segment « Intermédiaires à Produits » deschaînes de transformation illustrées par la figure 1 dela page suivante. Les procédés visés sont essentielle-ment de nature biochimique et sont issus des progrèsrécents de l’ingénierie métabolique, dont la biologiede synthèse. Parmi les molécules visées, on peut citerles alcools lourds (comme le butanol), mais égalementdes lipides, des isoprénoïdes, ou même des alcanes.« La biologie de synthèse est l’ingénierie de composantset de systèmes biologiques qui n’existent pas dans lanature, et la réingénierie d’éléments existants » (4). Cette définition peut être complétée par deux caracté-ristiques, plus précises, que propose Jay Keasling (5) :– « la conception et la construction de composantsessentiels (parties d’enzymes, circuits génétiques, voiesmétaboliques, etc.) qui puissent être modélisés, com-pris et fabriqués, afin de satisfaire à des critères opéra-tionnels particuliers » ;– « l’assemblage de ces composants dans des systèmesintégrés plus grands, en vue de résoudre des pro-blèmes spécifiques ».

VIN

CENT SCHÄCHTER

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 37

(2) Mélange d’hydrogène et de monoxyde de carbone (également appelésyngaz).

(3) Organismes vivants qui tirent leur énergie de la lumière, notammentpar photosynthèse, c’est-à-dire en utilisant l’énergie des photons pourréduire le carbone minéral du dioxyde de carbone (CO2) en produisantdu carbone organique.

(4) Définition proposée par le consortium européen de rechercheSynbiology (6e PCRD), reprise dans FIORASO (2013).

(5) Professeur à l’Université de Californie - Berkeley, pionnier de la biolo-gie synthétique appliquée aux biotechnologies industrielles et fondateurd’Amyris.

035-43 Schachter_Schachter 08/02/13 16:58 Page37

Page 39: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

Lorsqu’elle est appliquée aux biotechnologies indus-trielles, la biologie de synthèse alimente et renforcel’ingénierie métabolique, qui est définie comme« l’amélioration des activités cellulaires par la manipu-lation des réseaux métaboliques via l’utilisationd’ADN recombinant » (TAI, 2012) et qui a émergé audébut des années 1990. Depuis, les sciences du vivant ont vécu une véritablerévolution : décryptage de séquences de génomescomplets, développement de technologies de mesure àhaut débit des phénotypes cellulaires et de la synthèsed’ADN à bas coût, essor de modèles globaux du méta-bolisme et de la régulation, arrivée d’une générationde chercheurs désireux d’appliquer à la biologie molé-culaire des méthodologies issues de l’informatique...La palette de méthodes et des outils disponibles pourmanipuler à des fins utilitaires les réseaux de réactionschimiques se produisant au sein des cellules vivantess’est considérablement enrichie. La biologie de synthèse ouvre la perspective d’unereprogrammation plus systématique et plus rapide dumétabolisme de différentes espèces de microorga-nismes (bactéries, levures, algues hétérotrophes…)dans des usines chimiques spécialisées dans la trans-formation de sucres en molécules d’intérêt pour lesmarchés des carburants, de la chimie, des matériauxou encore des cosmétiques (voir la figure 2, extraite deKEASLING, 2010).

Les sucres passent donc du statut d’intermédiairesissus des plantes sucrières ou céréalières sur la voie versl’éthanol, à celui de molécules plateformes : à partir desucres issus aujourd’hui de la partie alimentaire desplantes (et, demain, de la biomasse lignocellulosique),de nombreux produits deviennent accessibles. Cechamp des possibles évolue au rythme des progrèsaccomplis dans la compréhension de la chimie duvivant – c’est-à-dire dans la compréhension de ladiversité des réactions chimiques que la nature saitcatalyser à l’aide d’enzymes encodés dans le génomede telle ou telle espèce –, et de l’ingénierie métabo-lique, qui permet d’assembler ces enzymes afin deconstituer des voies métaboliques fonctionnelles. Pourchaque molécule visée, il s’agira d’imaginer des voiesbiochimiques de synthèse qui permettront de la pro-duire in vivo, de tenter leur construction jusqu’à laréussite apportant ainsi la preuve de concept, puisd’optimiser le fonctionnement des souches ainsi obte-nues pour en améliorer le rendement et la productivi-té, jusqu’à l’obtention de coûts de production attei-gnant les seuils de rentabilité.Ces avancées scientifiques ont des conséquences par-fois assez radicales sur les chaînes de valeur écono-miques. Ainsi, si le biodiesel n’est produit, aujour-d’hui, qu’à partir d’huiles végétales, une matièrepremière dont la production peine à croître au rythmede la demande alimentaire sans s’accompagner deLE

S SECTEURS INDUSTRIELS PORTEU

RS ET LEU

RS TECHNOLO

GIES-PH

ARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201338

Figure 2 : Conversion biochimique de sucres en produits d’intérêt.

035-43 Schachter_Schachter 08/02/13 16:58 Page38

Page 40: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

conséquences fortes sur l’environnement, la biologiede synthèse permettra demain de le produire à partirde sucres, et donc à partir de ressources en biomassepour lesquelles les équations agricoles, les équilibresoffre-demande et les dynamiques de prix sont très dif-férents.Une autre conséquence notable des premiers succès dela biologie de synthèse est un brouillage des frontièresentre les biocarburants et la chimie du végétal. Lesmolécules issues de la fermentation de souches géné-tiquement modifiées sont en effet souvent des pro-duits intermédiaires (terpènes, alcools lourds, acidegras) que des transformations chimiques simples per-mettent de convertir en carburants, mais égalementen produits pour la chimie. Ainsi, par exemple, le far-nésène, un alcène à quinze atomes de carbone,qu’Amyris synthétise à partir de levures génétique-ment modifiées, peut être transformé aisément endiesel, en huile de base pour lubrifiants, en bases pourles parfums, en composants de fluides de forage ouencore en cosmétiques. Par ailleurs, la panoplie desméthodes et des outils de l’ingénierie métabolique estpour partie indépendante des molécules spécifiquesvisées. Le savoir-faire acquis pour développer une voiede synthèse vers un bioproduit est réapplicable àd’autres voies.

DU POTENTIEL À SA RÉALISATION

Quatre défis jalonnent le chemin qui mène des pro-messes technologiques de la biologie de synthèse à desfilières industrielles rentables et durables : a) le déve-loppement de marchés pour les biocarburants et pourd’autres biomolécules, b) la disponibilité d’une quan-tité suffisante de biomasse, c) la performance environ-nementale des filières complètes et, enfin, d) le déve-loppement des technologies de conversion à des coûtset à des volumes de production industriels. Nous n’es-quisserons ici que le premier et le dernier points, seulsen rapport direct avec la biologie de synthèse.

Le développement des marchés

Comment les marchés des biocarburants incorpo-rables, respectivement, à l’essence et au diesel, sont-ilssusceptibles d’évoluer ? Les scénarios à long termedivergent largement : de 4 à 27 % de la consomma-tion d’énergie pour les transports en 2050(International Energy Agency, 2011), une amplitudequi s’explique par la nature et par l’horizon éloigné deces exercices prospectifs portant sur le mix énergé-tique.On peut toutefois noter quelques éléments deréflexion :

– les biocarburants pour les transports terrestresseront à terme en concurrence avec les véhicules élec-triques ou hybrides fonctionnant à l’électricité« propre » ;– le marché favorisera des biocarburants, dits drop-in,qui sont dotés de propriétés très proches de celles descarburants d’origine fossile. À l’inverse, l’entrave àl’adoption de solutions nécessitant un changementglobal des infrastructures sera forte.– l’industrie aéronautique soutient de manière trèsaudible le développement des bio-kérosènes, voyanten eux la seule solution potentielle au problème desémissions de CO2. Les vols de démonstration les uti-lisant se multiplient. La résolution de l’équation éco-nomique est toutefois beaucoup plus lointaine quepour les véhicules terrestres, car il n’y a pas aujour-d’hui de soutien ou de réglementation pour contri-buer à l’essor de la filière.Les marchés de la chimie du végétal sont tirés par lesdéveloppements technologiques et par une certainepréférence des clients pour le biosourcé, qui peuventse traduire par des gains de parts de marché pour lespremiers entrants. En revanche, les réglementationssont balbutiantes et les clients ne sont pas encore prêtsà payer plus cher.

Développement technologique, réduction des coûtset industrialisation

Les voies de bioconversion issues de la biologie desynthèse sont nées, il y a très peu de temps, dans deslaboratoires universitaires. Ainsi, la démonstration dela production d’artémisinine avec des bactéries E. coligénétiquement modifiées date de 2003 (MARTIN etal., 2003) ; la production de butanol remonte à 2008(ATSUMI et al., 2008) et celle de farnésène, avec deslevures, à 2007.Ces travaux ont prouvé la capacité de l’ingénieriemétabolique à construire des souches de laboratoirequi soient capables de produire la molécule recher-chée. Mais les rendements de la conversion de sucresvers la cible sont faibles, les souches sont instables, etles coûts de production, pour peu qu’on les extrapoledu laboratoire à l’usine, sont incompatibles avec uneactivité industrielle. À partir de ces preuves deconcept, de longs efforts de R&D ont été engagéspour développer des procédés de fermentationrobustes, et des procédés chimiques, en amont et enaval, intégrés dans une chaîne logistique fonctionnel-le, le tout pour un coût de production compétitif aveccelui des produits similaires d’origine fossile. Les coûts de production industriels dépendront de lachaîne complète des transformations : de la biomasseen sucres, puis des sucres en biomolécules issues deleur fermentation et, enfin, de ces biomolécules enproduits d’intérêt. Dans cette chaîne successives, c’est

VIN

CENT SCHÄCHTER

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 39

035-43 Schachter_Schachter 08/02/13 16:58 Page39

Page 41: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

le coût de la biomasse qui pèse le plus lourd (80 %pour l’éthanol obtenu à partir de maïs, 60 % pour lebiodiesel produit à partir de soja). Le rendement de latransformation détermine la quantité de biomassenécessaire pour produire un volume donné de biocar-burant, ce qui en fait l’indicateur clef de l’efficacité dela technologie concernée. La productivité de la fer-mentation est également un indicateur important :elle détermine le volume des fermenteurs, et donc lesinvestissements nécessaires pour un débit-cibledonné. Le coût des sucres est un déterminant du coûtglobal tout aussi important que les rendements desprocédés de conversion.L’amélioration des rendements et de la productivité dela phase de fermentation passe par l’optimisation dumétabolisme des souches génétiquement modifiées,un processus qui tenait, jusqu’à très récemment, del’artisanat, mais que l’ingénierie métabolique et la bio-logie de synthèse s’attachent à rendre plus systéma-tique et plus efficace. Les cellules vivantes sont en effetdes systèmes d’une très grande complexité qui fonc-tionnent en un équilibre dynamique encore mal com-pris. Chaque tentative d’ingénierie du génome visantà en faire de meilleures « vaches à lait » perturbe cessystèmes de manières peu prévisibles. L’effort d’opti-misation procède donc par tâtonnements, par itéra-tions successives. Le passage d’un schéma métabo-lique au suivant peut se faire en testant un grandnombre de modifications aléatoires, ou un petitnombre de nouveaux schémas mûrement pesés, fon-dés sur des modèles détaillés du métabolisme ou de lastructure 3D des enzymes qui catalysent les réactionsbiochimiques concernées. Beaucoup des nouvellessouches ainsi conçues ne seront pas viables, mais cer-taines amélioreront le rendement, la productivité oula robustesse : elles serviront de point de départ à l’ité-ration suivante. Les souches les plus prometteusesseront testées en conditions réelles. Mais elles se com-porteront alors souvent différemment, produisantmoins, mutant vers des équilibres plus « confor-tables », voire mourant. Il faudra alors soit les modi-fier pour corriger le défaut ainsi apparu, soit ajuster lesconditions et les procédés de fermentation, soit reve-nir en arrière.Bref, le vivant est capricieux, et le chemin nécessairepour amener des microorganismes de synthèse à uncertain niveau de performance est difficile à prévoir enl’état actuel de nos connaissances. La difficulté et l’in-certitude s’accroissent lorsque la performance visée serapproche des capacités limites théoriques de la cellu-le considérée.Ces difficultés ont été sous-estimées par les start-upsdu domaine, qui ont souvent été fondées par desscientifiques souvent plus familiers avec la recherchede pointe en laboratoire qu’avec les opérations indus-trielles. Leurs programmes de R&D avancent, maismoins vite que ce qu’elles avaient promis aux investis-seurs et aux marchés. C’est ainsi qu’Amyris, Gevo,

LS9 et Solazyme sont toutes en retard par rapport àleur calendrier industriel et que plusieurs autres start-ups, moins bien dotées, ont mis la clef sous la porte.Leurs investisseurs et leurs partenaires, des industrielsexpérimentés dans ces domaines, ont déjà commencéà corriger le tir...

LA STRATÉGIE DE TOTAL ÉNERGIES NOUVELLESEN MATIÈRE DE BIOTECHNOLOGIESINDUSTRIELLES

Si Total incorpore des biocarburants traditionnels àses essences et à ses diesels depuis 1993, c’est en 2008que le groupe s’est engagé activement dans le déve-loppement d’énergies complémentaires des hydrocar-bures fossiles et moins émettrices de gaz à effet deserre que ces derniers. Après une phase, très ouverte, d’exploration et d’ana-lyse des différents types de renouvelables, de leursperspectives industrielles et commerciales, et de leurssynergies avec les compétences préexistantes de notregroupe, nous avons choisi de nous focaliser sur lesolaire photovoltaïque et sur la valorisation de la bio-masse, notamment par des voies biotechnologiques.Les biotechnologies sont donc devenues pour Totalun axe stratégique de développement vers des voiesindustrielles durables conciliant performance envi-ronnementale, acceptabilité sociétale, performancestechniques et rentabilité économique.Le défi est de taille : d’une part, les biotechnologiesindustrielles sont en pleine évolution technologiqueet, d’autre part, elles sont prises dans un réseau decontraintes économiques, réglementaires et sociétalescomplexe et fluctuant. Outre les start-ups, qui sontsouvent porteuses des innovations les plus auda-cieuses, nombre d’acteurs industriels de la chimie, del’agroalimentaire et de l’énergie se positionnent surdivers segments des chaînes de valeur, existantes oupressenties, avec des stratégies d’investissement et desniveaux d’appétence au risque très variables. Au seinde cet écosystème émergent, des partenariats senouent, mais les choix entre compétition et coopéra-tion restent le plus souvent ouverts. Autant dire quede nombreuses stratégies coexistent, que toutes neseront pas gagnantes, et que la manière de préparerl’avenir pourrait être déterminante pour le succès d’icià 5 ans.La démarche que nous avons retenue découle de notrevision de cette industrie émergente (que nous avonsesquissée ci-dessus), une vision qui découle de la cul-ture d’industriel de l’énergie et de la chimie de Total,mais aussi de deux choix structurants : – le souhait de Total de développer une activité indus-trielle intégrée sur l’ensemble (ou au moins une gran-de partie) de la chaîne de valeur,

LES SECTEURS INDUSTRIELS PORTEU

RS ET LEU

RS TECHNOLO

GIES-PH

ARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201340

035-43 Schachter_Schachter 08/02/13 16:58 Page40

Page 42: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

– la poursuite de la différenciation par les technolo-gies dans le but d’en faire un avantage compétitif.

Développer dans la durée en privilégiant la flexibilité

Nous pensons que quelques années de R&D serontencore nécessaires pour aboutir à une production ren-table de biocarburants avancés, et nous nous prépa-rons donc à un effort dans la durée.Au fur et à mesure de la décroissance des coûts de pro-duction d’intermédiaires, comme le farnésène, cer-tains acides gras ou le butanol, différents produits auxprix et aux marges plus élevés que ceux des biocarbu-rants atteindront les seuils de rentabilité. C’est le parique font déjà les pionniers du domaine : ainsi,Solazyme vend aujourd’hui des nutraceutiques et descosmétiques, et Amyris commercialise des cosmé-tiques et des bases pour parfums, même si ces deuxentreprises visent à terme les biocarburants.Beaucoup de choses peuvent advenir en cinq ans : desévolutions et des surprises technologiques, bien sûr,mais également des modifications de la conjonctureéconomique, une évolution du prix des matières pre-mières ou du pétrole brut, un ajustement des grandséquilibres énergétiques de la planète, une évolution del’opinion publique quant à l’acceptabilité de telle outelle solution, une modification des priorités poli-tiques dans un sens favorable ou défavorable aux bio-carburants... Pour nous y préparer au mieux, et optimiser ainsi noschances de succès, nous privilégions une triple flexibi-lité :– une flexibilité en matière de marchés et de produitsvisés (pouvant être obtenus à partir des sucres ou d’unintermédiaire, comme le farnésène),– une flexibilité en matière de voies technologiquessuivies pour accéder à un marché donné, condition dusuccès pour les développements technologiques,– enfin, une flexibilité dans le choix de la ressourcebiomasse, notamment afin de préparer la transitionvers la deuxième génération de molécules à partir deressources non alimentaires.

Une R&D ambitieuse, organisée en réseau de partenariats

Nous avons conçu notre R&D comme un réseau departenariats avec des start-ups et des laboratoires aca-démiques, un réseau qui nous donne à la fois lesmoyens de développer des briques technologiquesdifférenciantes et de jouer le rôle d’un intégrateursur l’ensemble de la chaîne de valeur (voir la figure 3de la page suivante). Le développement de nouvelles

voies de production fait en effet appel à plusieursdomaines scientifiques et technologiques. Pour cha-cun de ces domaines, il n’existe qu’une poignée delaboratoires ou de startups qui soient réellement à lapointe. Nous définissons et conduisons conjointe-ment des programmes de R&D avec certains d’entreeux, via des équipes communes. Ce dispositif vise ànous permettre de développer rapidement unensemble de briques technologiques (parfoisuniques), de gérer le risque technologique via unportefeuille d’approches complémentaires ou alter-natives, de construire notre compétence propre envue d’une intégration ultérieure de ces briques dansdes filières industrielles et, enfin, de piloter lesefforts de R&D au plus près de nos objectifs indus-triels, en fonction des aléas technologiques, écono-miques et réglementaires.En 2010, nous avons noué un partenariat stratégique– combinant prise de participation, collaborationR&D et accord industriel – avec Amyris, la startupcalifornienne déjà évoquée plus haut. Ce choix étaitmotivé par la qualité des équipes scientifiques, lesavoir-faire accumulé sur les modifications d’une voiemétabolique particulière (celle des terpénoïdes), à lasuite des travaux du fondateur d’Amyris, mais aussi, etsurtout, par la plateforme de biologie de synthèseindustrielle développée par cette société. Il s’agit d’unensemble de procédés, d’outils et d’équipements per-mettant d’accélérer considérablement le processus dereprogrammation des microorganismes, tel que décritplus haut. Cette plateforme est potentiellement appli-cable à un large éventail d’espèces microbiennes et devoies métaboliques, ce qui en fait un remarquableoutil technologique pour obtenir la flexibilité quenous souhaitons en matière de produits et de voiesmétaboliques. Cette plateforme ne remplit sa fonction que lorsqu’el-le est alimentée par un flux suffisant de schémas méta-boliques, à tester ou à améliorer, provenant d’expertsdans différents domaines de l’ingénierie métaboliqueet de la biologie cellulaire, ou encore de spécialistes dedifférentes espèces microbiennes potentiellement uti-lisables. Nous nous efforçons d’y pourvoir via notreréseau de collaborations dans la R&D. L’ensemblereprésente un effort annuel de plusieurs dizaines demillions d’euros.En parallèle de nos efforts de R&D, nous exploronsles modalités d’un accès durable et rentable à la bio-masse, pour des volumes et à des coûts compatiblesavec les produits visés, et en minimisant les compéti-tions d’usage ainsi que les impacts négatifs sur les éco-systèmes. Enfin, la réduction des impacts sur l’environnementest l’une des deux motivations essentielles de notrestratégie en matière de renouvelables : les critères deperformance environnementale et d’acceptabilitésociétale guident donc nos choix au même titre queles critères de performance technologique. Les ana-

VIN

CENT SCHÄCHTER

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 41

035-43 Schachter_Schachter 08/02/13 16:58 Page41

Page 43: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

lyses de cycle de vie sont, dans ce domaine, des outilsprécieux.

CONCLUSION

Les progrès récents de l’ingénierie du métabolismemicrobien, dont la biologie de synthèse, ont considé-rablement ouvert le champ des applications possiblesdes biotechnologies industrielles.Nombre de startups et certains grands industrielscommercialisent déjà des bioproduits. Pour la phar-macie, bien sûr, mais également pour la cosmétique,la chimie de spécialité, voire la chimie de base. Les carburants sont les cibles les plus difficiles àatteindre, car elles correspondent aux volumes les plusimportants, et aux prix les plus bas.L’enjeu des prochaines années est de réduire les coûtsde production associés à ces nouvelles technologies.Le ratio prix du pétrole/prix des matières premièresvégétales et le rythme relatif de cette réduction descoûts non seulement entre les différentes voies bio-technologiques, mais aussi thermochimiques, décide-ront du succès des produits biosourcés et fixerontleurs seuils de rentabilité. Pour les acteurs du domai-ne, les deux défis majeurs à relever seront de mener les

développements technologiques à leur terme, tout enajustant leur calendrier industriel et commercial à lacourbe de la réduction des coûts. Des politiques incitatives et des dispositifs de sou-tien, lisibles et stables, seront indispensables pouraccompagner les filières émergentes dans leur déve-loppement vers la maturité industrielle et commer-ciale. Une des leçons des cinq dernières années est qu’il vautmieux fonder les mécanismes incitatifs sur des objec-tifs de performance (par exemple, de réduction desémissions de CO2), plutôt que de favoriser des tech-nologies ou des filières particulières, car le paysage, enla matière, change vite. Les pouvoirs publics améri-cains l’ont appris à leurs dépens, forcés qu’ils ont étéde réduire à plusieurs reprises les objectifs ambitieuxd’incorporation de biocarburants cellulosiques qu’ilsavaient définis en 2008, face aux très faibles quantitésindustrielles disponibles. Le Department of Energy etl’Environmental Protection Agency ont fini par redéfi-nir la cible des obligations : les « biocarburants avan-cés » définis par un taux de réduction des émissionssupérieur à 50 %. Pour le législateur comme pour les acteurs industriels,c’est la combinaison d’un cap à long terme stable etd’une grande flexibilité en matière de moyens quiaugmentera les chances d’arriver à bon port.

LES SECTEURS INDUSTRIELS PORTEU

RS ET LEU

RS TECHNOLO

GIES-PH

ARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201342

Figure 3 : Le réseau de partenariats de Total dans les biotechnologies.

035-43 Schachter_Schachter 08/02/13 16:58 Page42

Page 44: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

BIBLIOGRAPHIE

ADEME (2011), Feuille de route biocarburants avancés. ATSUMI (Shota), HANAI (Taizo) & LIAO (JamesC.), “Non-fermentative pathways for synthesis ofbranched-chain higher alcohols as biofuels”, inNature, 451 (7174), pp. 86-89, 2008.FIORASO (G.), Rapport de l’OPECST, Les enjeux dela biologie de synthèse, 2012.International Energy Agency, Biofuels for Transport,Paris, OECD Publishing, 2011.

KEASLING (J. D.), “Manufacturing MoleculesThrough Metabolic Engineering”, in Science, 330(6009), pp. 1355-1358, 2010.MARTIN (Vincent J. J.), PITERA (Douglas J.),WITHERS (Sydnor T.), NEWMAN (Jack D.) &KEASLING (Jay D.) (2003), “Engineering a meval-onate pathway in Escherichia coli for production ofterpenoids”, in Nat. Biotechnol, 21 (7), pp. 796-802.TAI (M.) & STEPHANOPOULOS (G.N.),“Metabolic engineering: enabling technology for bio-fuels production”, in WIREs Energy Environment 1,pp. 165-172, 2012.

VIN

CENT SCHÄCHTER

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 43

035-43 Schachter_Schachter 08/02/13 16:58 Page43

Page 45: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

LE NOUVEAU CONTEXTE PÉTROCHIMIQUE

Généralités

La pétrochimie est l’industrie qui transforme des res-sources fossiles en grands produits intermédiairespétrochimiques de base, qui seront transformés parl’industrie chimique pour produire de multiples pro-duits finis, tels que les engrais (ammoniac), les caout-choucs, les solvants, les détergents, les peintures, lesmatières plastiques, etc.Les principales ressources fossiles transformées parl’industrie pétrochimique sont aujourd’hui l’éthane(un coproduit du gaz naturel) et le naphta (qui est unecoupe pétrolière obtenue grâce au raffinage du pétro-le brut). Ils permettent de produire les deux grandesfamilles de grands intermédiaires pétrochimiques quesont, d’une part, les oléfines (regroupant notammentl’éthylène, le propylène, les butènes et le butadiène)et, d’autre part, les aromatiques (tels que le benzène,le toluène et les xylènes, essentiellement) (voir la figu-re 1 de la page suivante).

Les deux grandes technologies mises en œuvre pourles produire sont : le vapocraquage, qui produit prin-cipalement des oléfines à partir du gaz éthane ou dunaphta, et le reformage catalytique du naphta, quiproduit exclusivement des hydrocarbures aroma-tiques. Le propylène et les butènes sont égalementproduits, en proportions plus faibles, par un procédépropre à la raffinerie qui est le craquage catalytique enlit fluidisé.Les différentes molécules issues de la pétrochimie,amenées au degré de pureté requis, sont ensuite trai-tées par les polyméristes et les chimistes au traversd’étapes de transformations complexes qui condui-ront aux produits finis utilisables par les industrielsspécialisés ou le consommateur final. Ces produitsconcernent les principaux secteurs d’activité que sontl’emballage, le bâtiment, les transports, l’électricité/électronique, etc.

Une industrie cyclique

L’économie de cette industrie dépend étroitement,d’une part, de la disponibilité et du prix des matièrespremières qu’elle traite (gaz naturel et pétrole brut) et,d’autre part, de l’état de l’offre et de la demande engrands intermédiaires pétrochimiques (oléfines et aro-matiques), qui sont elles-mêmes liées à la demande de

Vers une chimiebiosourcée

Certaines matières premières fournies par la pétrochimie à l’indus-trie chimique peuvent poser, à plus ou moins long terme, des pro-blèmes d’accessibilité. Une chimie biosourcée est-elle une alterna-tive viable à la pétrochimie classique reposant sur la transformationdes ressources fossiles ? À quelles conditions ? Quel pourrait être lerôle des pouvoirs publics dans ce domaine ?

Par Olivier APPERT* et Fabio ALARIO**

LES SECTEURS INDUSTRIELS

PORTEURS ET LEURS

TECHNOLOGIES PHARES

* Président d’IFP Énergies nouvelles.

** Ingénieur Économiste à la Direction Économie et Veille d’IFP Énergiesnouvelles.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201344

044-53 Appert_Appert 08/02/13 17:01 Page44

Page 46: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

OLIVIER APPERT ET FABIO ALARIO

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 45

produits finis, dont la croissance est largement tribu-taire de l’évolution de la richesse mondiale. Les capa-cités de production de la pétrochimie augmentent deleur côté par paliers successifs, plus ou moins brutaux,en fonction des décisions d’investissement dans denouvelles capacités qui sont prises d’autant plus faci-lement que la santé économique de la filière estbonne. La mise en production de ces capacités n’in-tervenant que deux à trois années plus tard, il en résul-te l’existence de phases de surcapacité pendant les-quelles la rentabilité du secteur est dégradée : au final,

la rentabilité présente un caractère cyclique (voir lafigure 2 ci-dessous).Les années récentes en sont une illustration : après2008 et 2009, qui ont marqué le début d’une criseéconomique majeure à l’échelle planétaire, le secteurpétrochimique a connu en 2010 et 2011 des margeshonorables, avec des retours sur actifs supérieurs à9 %. Ces bons résultats sont en partie dus à unedemande restée soutenue en Asie, ainsi qu’à unereconstitution des stocks écoulés durant les deuxannées précédentes. Bien que l’année 2011 ait été très

Figure 1 : Production des grands intermédiaires pétrochimiques.

0.0%

2.0%

4.0%

6.0%

8.0%

10.0%

12.0%

14.0%

1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012

Source : Petroleum Economist

Figure 2 : Retour sur actifs du secteur pétrochimique.

044-53 Appert_Appert 08/02/13 17:01 Page45

Page 47: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

LES SECTEURS INDUSTRIELS PORTEURS ET LEURS TECHNOLOGIES-PHARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201346

bonne (en moyenne), le deuxième semestre a été mar-qué par un fléchissement, qui s’est confirmé au pre-mier semestre 2012. Les années 2012 et 2013 serontsans doute encore difficiles, avec le ralentissement del’activité économique mondiale.Mais ce paysage a priori bien établi risque d’êtrebouleversé dans les prochaines années si l’industriechimique cliente de la pétrochimie parvient à diver-sifier ses sources d’approvisionnement en dévelop-pant une chimie biosourcée, s’affranchissant ainsi dematières premières non renouvelables (pétrole ougaz).

Des bouleversements récents accentuentcette tendance

L’Amérique du Nord (les États-Unis notamment)devrait voir dans les prochaines années sa capacité deproduction augmenter de manière inhabituelle et trèssignificative en raison d’un différentiel de prix de plusen plus favorable (et ce, durablement) entre le gaz etles intermédiaires pétrochimiques oléfiniques. Ledéveloppement des gaz de schiste a rendu les prix dugaz particulièrement attrayants dans cette région dumonde : les prix sur le marché “Henry Hub” (la réfé-

rence régionale) ont évolué en 2012 entre 2 et 3 dol-lars/Mbtu (milliers de British Termal Units), soit à unniveau bien inférieur aux prix de référence européens(voir la figure 3) et asiatiques.Un parallèle peut être fait avec le Moyen-Orient, oùles opérateurs de cette région souhaitent capter davan-tage de valeur en privilégiant la transformation del’éthane pour la pétrochimie au détriment de son uti-lisation comme simple combustible. Le gaz auquelont accès ces opérateurs est abondant et les prixseraient particulièrement attractifs.Les prix des grands intermédiaires pétrochimiques,tels que l’éthylène, le propylène ou le benzène, ontsuivi les mêmes évolutions, à l’exception notable dubutadiène. Dans le même temps, conséquence de lacrise économique et de la hausse du prix du pétrolebrut, le ratio entre le prix de ces produits et celui dunaphta s’est continuellement dégradé depuis 2008(voir la figure 4 de la page suivante), entraînant uneforte érosion des marges.La conséquence de toutes ces évolutions est l’accéléra-tion de la montée en puissance de la pétrochimie ex-gaz naturel, qui est a priori plus rentable. Cette ten-dance a un impact important sur la disponibilité desdifférentes oléfines produites, leurs rendements étantdirectement liés à la nature des charges. Ainsi, la partcroissante des vapocraqueurs de gaz est en partie res-

Figure 3 : Prix moyens mensuels du gaz en Europe et aux Etats-Unis.

044-53 Appert_Appert 08/02/13 17:01 Page46

Page 48: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

OLIVIER APPERT ET FABIO ALARIO

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 47

ponsable des fortes tensions observées sur les prix dubutadiène (voir la figure 4 de la page suivante), qui aatteint, en moyenne, au mois de juin 2011, plus de3 000 €/t en Europe, soit au moins trois fois son prix« historique ».Par conséquent, les industriels utilisant ce type d’olé-fines sont soucieux de sécuriser et de diversifier deplus en plus leurs sources d’approvisionnement. Deplus, la pression croissante sur les contenus en gaz àeffet de serre (et plus généralement sur les impactsenvironnementaux) de tous ces composés pousse lesacteurs du secteur à rechercher des solutions alterna-tives. Pour atteindre ces deux objectifs, une des straté-gies possibles est la transformation de la biomasse enproduits directement utilisables par les polyméristes etles chimistes : c’est la chimie biosourcée. Nombred’industriels ont d’ores et déjà opté pour cette orien-tation stratégique.

CHIMIE BIOSOURCÉE : QUELS DÉFIS MAJEURSÀ RELEVER ?

Lorsque l’on cherche à identifier les principauxmoteurs de développement d’une chimie biosourcée,plusieurs axes émergent fortement :

– la perspective d’un accès de plus en plus difficile (entermes de prix ou de quantité) aux matières premièresfossiles pour les industries chimiques transformatrices ;– la limitation des émissions de gaz à effet de serre, ausens de l’analyse du cycle de vie, en principe favoriséepar l’utilisation de ressources renouvelables et, plusgénéralement, la demande récurrente d’une réductionde l’ensemble des impacts environnementaux (toxici-té, déchets, etc.) ;– la disponibilité géographique et économique de labiomasse, à un prix acceptable, et ce malgré l’antici-pation de l’augmentation de son exploitation ;– une demande plus importante en produits « verts »exprimée par les utilisateurs ;– des politiques publiques incitatives.

La ressource biomasse (agricole et forestière)

La biomasse utilisée aujourd’hui (qui est estimée à6 Gt) ne représente qu‘environ 3,5 % des 170 Gt debiomasse totale disponible sur la planète. On estimeque seules 17 Gt de cette biomasse sont accessibles,c’est-à-dire physiquement et économiquement exploi-tables. Près des deux tiers de ces 6 Gt utilisées sontdévolus à l’alimentation, et une faible partie (300 Mt)

0,5

1,0

1,5

2,0

2,5

3,0

3,5

4,0

4,5

5,0Propylène / Naphta NWE

Butadiène / Naphta NWE

Source : Platt's

Figure 4 : Prix des produits par rapport au naphta en Europe du Nord-Ouest.

044-53 Appert_Appert 08/02/13 17:01 Page47

Page 49: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

LES SECTEURS INDUSTRIELS PORTEURS ET LEURS TECHNOLOGIES-PHARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201348

est destinée aux industries textiles et chimiques (voirla figure 5 ci-dessus).Pour les (bio)chimistes, la biomasse représente unextraordinaire réservoir de molécules offrant à l’in-dustrie de nouvelles opportunités en termes de pro-duits et de marchés. La chimie biosourcée peutthéoriquement produire la plupart des intermé-diaires (oléfines ou alcools, par exemple) aujour-d’hui issus de la pétrochimie. Ces bioproduits (chi-

miquement identiques aux produits de la pétrochi-mie) viennent ainsi se substituer aux moléculesissues de ressources fossiles dans les schémas de pro-duction actuels.La biomasse permet aussi de développer de nouvellesmolécules intermédiaires qui , combinées ou non auxintermédiaires existants, permettraient de développerde nouveaux produits finis (voir la figure 6 ci-dessous)présentant de nouvelles propriétés.

Alimentation62%

Biomassedisponible

Non alimentaire(textile, chimie)

5%

Bois-énergie, papier, mobilier

et bâtiment33%

Biomasseutilisée3.5%

Biomasse : 170 Gt disponibles, 6 Gt utilisées

Source : Thoen et Busch

Figure 5 : Disponibilité et utilisation de la ressource biomasse.

Figure 6 : Intégration de la biomasse dans les schémas de production.

044-53 Appert_Appert 08/02/13 17:01 Page48

Page 50: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

OLIVIER APPERT ET FABIO ALARIO

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 49

Dans tous les cas de figure (intermédiaires biosourcéséquivalents aux grands intermédiaires actuels, ou nou-veaux intermédiaires), les voies chimiques ou biotech-nologiques de transformation de la biomasse en sontencore, le plus souvent, au stade de la recherche ou dudéveloppement, avec un besoin de les améliorer dupoint de vue technologique et économique. Peu denouvelles filières, hormis certaines applications spéci-fiques ou traditionnelles (textile ou cosmétique), sontdéjà à maturité industrielle.Au-delà de la nécessaire identification des biomolé-cules les plus intéressantes à développer, l’optimisa-tion des procédés industriels et la diminution descoûts de production sont de vrais défis, que la chimiebiosourcée doit relever.

Le développement des produits biosourcés

Les verrous que doit lever la chimie biosourcée sontd’ordres stratégique, technologique et économique :– la disponibilité de la ressource végétale en quantitépérenne et sous une forme exploitable reste un pro-blème majeur ;– ayant été développé et optimisé pour traiter descomposés d’origine fossile, l’outil industriel existantn’est pas toujours adapté à une mutation (parfois pro-fonde) des procédés, des filières (recyclage) et des pro-duits (maintien de la qualité des performances) ;

– les rendements globaux de certains procédés encoreau stade de la recherche sont insuffisants ;– les coûts de production peuvent être, dans des casextrêmes, dix fois supérieurs à ceux des voies pétro-chimiques classiques, alors que le marché n‘est pasprêt à accepter un tel surcoût.Les défis que doit relever la chimie biosourcée expli-quent en grande partie le faible taux de pénétrationactuel des produits fabriqués à partir de biomasse.Dans le cas des matières plastiques, qui représententenviron 40 % (en volume) de l’activité pétrochimique(280 Mt produits en 2011 dans le monde – source :Plastics Europe), ce taux n’est estimé qu’à 0,5 % en2012, ce qui correspond à une production mondialede matières plastiques biosourcées inférieure à 1,4 Mt.Un certain nombre de scénarios envisagent que laproduction de plastiques biosourcés pourrait se situerentre 1,6 Mt et 2,3 Mt en 2013 et entre 3,5 Mt et5 Mt en 2020. Malgré un taux de croissance annuelmoyen record entre 2010 et 2020 estimé à 20 %, letaux de pénétration des matières plastiques biosour-cées dans la production totale de plastiques devraitrester à un niveau très faible (inférieur à 2 %).La répartition géographique des capacités de produc-tion devrait être hétérogène (voir la figure 7). En2020, les parts de capacité de production de bioplas-tiques de l’Europe et des États-Unis devraient être voi-sines, avec respectivement 27 % et 24 %. L’Amériquedu Sud serait capable de produire 18 % des bioplas-tiques dès 2020, alors qu’elle n’en produisait prati-

0

500

1 000

1 500

2 000

2 500

3 000

3 500

4 000

2003 2007 2020

tk

AutresAmérique du SudAsie-PacifiqueÉtats-UnisEurope

Source : Université d'Utrecht - juin 2009

Figure 7 : Prévisions d’accroissement de la production de plastiques biosourcés par région.

044-53 Appert_Appert 08/02/13 17:01 Page49

Page 51: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

LES SECTEURS INDUSTRIELS PORTEURS ET LEURS TECHNOLOGIES-PHARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201350

quement pas en 2007. Leur taux de croissance annuelmoyen pourrait y atteindre 50 % sur la période 2007-2020, grâce notamment à un coût de productionmodéré de l’éthanol brésilien issu de la canne à sucre.Malgré les défis technologiques et économiquesmajeurs que devra relever la chimie biosourcée durantla prochaine décennie, certains produits d’originerenouvelable ont toutefois réussi à s’imposer indus-triellement. Les trois principales clés de ce succès sontune économie favorable, un produit performant et/ouune volonté des entreprises concernées de se construi-re une image éco-responsable.

Un exemple industriel : l’acide succinique

Les biopolymères représentent aujourd’hui le princi-pal débouché des intermédiaires biosourcés, qui sontsurtout utilisés en substitution des monomères ou desco-monomères ex-fossiles constitutifs du polymèrecorrespondant.C’est le cas de l’acide succinique (AS), une moléculeplateforme (synthon) conduisant à la fabrication denombreux produits de commodité ou de spécialitédans les domaines des revêtements de surface, des sol-vants, des résines, des composés chimiques pourl’agriculture, du placage de métaux, des additifs ali-mentaires ou de la pharmacie.L’AS peut être obtenu par voie pétrochimique (a) oubiosourcée (b) :(a) – à partir de benzène ou de n-butane, par oxyda-tion via les anhydrides maléique et succinique ;(b) – à partir d’un hydrate de carbone (le glucose, parexemple) par fermentation, séparation et purification.Le développement de cette voie fermentaire de pro-duction d’AS repose sur les éléments suivants :

– un prix le plus bas possible de la matière premièrebiomasse qui est très fortement dépendant de la natu-re, de la qualité et de l’origine géographique du sucreutilisé ;– un microorganisme actif et sélectif dans la synthèsed’AS ;– enfin, une séparation/purification de l’AS suffisam-ment performante pour atteindre le degré de puretérequis par l’industrie, en aval.Les prix de plus en plus élevés des matières premièrespétrochimiques et la toxicité du benzène ont favoriséle développement d’une voie biosourcée pour la pro-duction d’AS. Ainsi, on estime que la capacité de pro-duction par voie bio, qui n’était que de 2 kt (soit 3 %de la capacité totale) en 2010 contre 56 kt pour lavoie pétrochimique, pourrait atteindre 420 kt en2016, pour une capacité totale de production voisinede 470 kt au titre de la même année, soit une part del’ordre de 90 %.Ces prévisions très optimistes s’appuient sur un faitavéré : les coûts de production de l’AS par voie fer-mentaire sont devenus compétitifs, voire inférieurs àceux de la voie pétrochimique, grâce notamment à uncoût de la matière première plus faible. Par exemple,mi-2011, les coûts de production nord-américains del’AS étaient en moyenne de 2 000 dollars/t par voiefermentaire et atteignaient 2 700 dollars/t dans le casde la voie pétrochimique.Les freins au développement de l’AS biosourcé sontprincipalement liés au contexte des produits qu’ilconcurrence, et donc à celui des marchés aval aux-quels il s’adresse. En effet, l‘AS peut être utilisé dans lafabrication d’un intermédiaire chimique important, le1,4-butanediol (BDO), qui sert à la fabrication dessolvants (le tétrahydrofurane, notamment), des poly-esters et des polyuréthanes (voir la figure 8). Dansl’hypothèse où cette voie de production de BDO à

Figure 8 : Production et utilisation de l’acide succinique.

044-53 Appert_Appert 08/02/13 17:01 Page50

Page 52: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

partir d’AS ne serait pas concurrencée technologique-ment et économiquement par une nouvelle voie desynthèse directe d‘un BDO biosourcé, elle pourraitêtre amenée à se développer très rapidement pours’imposer sur le marché du BDO, qui est estimé à1 400 kt/an.L’AS et le BDO sont également utilisés conjointementcomme matières premières dans la fabrication dupolybutène succinate (PBS) qui est utilisé en tant queplastifiant. Il s’agit d’un concurrent direct des phta-lates, dont l’avenir est très incertain en raison du dur-cissement des règlementations en vigueur dans lespays développés (pour ce qui concerne l’emballage ali-mentaire et les jouets, notamment). Le PBS est d’oreset déjà considéré comme une alternative crédible auxphtalates, et s’il devait s’imposer à terme, alors le mar-ché de l’AS se développerait très significativement.Par conséquent, si aucune voie biosourcée directe nevient concurrencer économiquement la productiondu BDO issu de l’AS et si le PBS s’impose comme unealternative durable aux phtalates sur le marché desplastifiants, la demande en AS pourrait dépasser les400 kt/an à l’horizon 2016, tirée par le BDO et lePBS, qui représenteraient respectivement environ57 % et 14 % de cette demande.Certains industriels ont déjà fait le pari d’un accrois-sement rapide de la demande en AS biosourcé à courtet moyen terme. À titre d’exemple, les sociétés BASF(1er producteur mondial de BDO) et CSM ontannoncé qu’elles travaillaient conjointement sur l’aug-mentation de la capacité de production d’AS biosour-cé, souhaitant la porter à 25 kt en 2013 sur le siteespagnol de Purac (filiale de CSM). Une unité de pro-duction de 50 kt/an est également envisagée à l’hori-zon 2014.L’exemple de l’AS montre qu’un des premiers moteursde développement de la chimie biosourcée est sonattractivité économique par rapport aux voies pétro-chimiques existantes. Mais cet intérêt économiquepeut aussi être indirectement illustré au travers del’image que certaines sociétés souhaitent renvoyer auconsommateur, notamment en termes d’éco-respon-sabilité.

Éco-responsabilité et approche commerciale

Il est assez emblématique que la société Coca-Colaambitionne de produire à l’horizon 2020 toutes sesbouteilles en plastique à partir de polyéthylènetéréphtalate (PET) d’origine 100 % renouvelable,alors qu’aujourd’hui elles sont très majoritairementproduites à partir de matières premières pétrochi-miques. Coca-Cola s’est associé à la société indienneJBF Industries pour construire, au Brésil, une unité deproduction de 500 kt/an de glycol (possible précur-seur du PET) à partir de canne à sucre. Cette unité

devrait être opérationnelle fin 2014. Aujourd’hui,Coca-Cola produit des bouteilles contenant environ23 % de PET biosourcé issu d’un partenariat avec lasociété américaine Gevo visant à utiliser du PET pro-duit à partir de paraxylène issu d’isobutanol biosour-cé (2011).Adoptant une démarche qui peut sembler analogue àcelle retenue par Coca Cola, la société Nike a com-mercialisé en 2012 un modèle de chaussures de sports’adressant surtout aux sportifs de haut niveau, deschaussures dotées de semelles contenant pour moitiéun thermoplastique (a priori à base de polyamide)fabriqué par la société Arkema à partir d’huile de ricin,l’autre moitié étant constituée de polyuréthane. Ils’agit d’un cas encore rare d’une innovation due àl’amélioration des propriétés physiques des polymèresbiosourcés : Nike revendique le fait que ses nouvelleschaussures sont plus légères et d’une flexibilité amé-liorée par rapport à l’existant.Mais si, en première analyse, les approches des socié-tés Coca-Cola et Nike apparaissent similaires, l’intro-duction de matières premières renouvelables dans lesproduits commercialisés par ces deux sociétés est lerésultat de stratégies différentes.En effet, Coca-Cola souhaite se bâtir une image éco-responsable en utilisant des bouteilles plastiques bio-sourcées, mais sans modifier la nature même de cetemballage, qui reste constitué de PET. La cible-mar-ché de cet éco-emballage est très large puisqu’ils’adresse à tous les consommateurs de boissons pro-duites par Coca-Cola.Nike est allé plus loin dans sa démarche, car cettesociété a réussi à améliorer les propriétés d’un de sesproduits en y introduisant de nouveaux élastomèresbiosourcés. Si, potentiellement, la cible-marché seveut être la plus large possible, cette nouvelle chaus-sure très « technique » s’adresse surtout aux sportifs dehaut niveau, avec un prix élevé permettant d’inclurefacilement un éventuel surcoût.

En résumé

Les industries qui n’arrivent plus à maîtriser la dis-ponibilité et le prix des matières premières fossilesqu’elles utilisent, ou qui souhaitent acquérir uneimage éco-responsable en améliorant éventuelle-ment les propriétés de leurs produits, diversifientleurs approvisionnements et s’orientent vers desmatières premières renouvelables. Certaines d’entreelles cherchent aussi à maîtriser cet approvisionne-ment pour s’affranchir le plus possible des incerti-tudes liées à la disponibilité de ces matières pre-mières agricoles en s’implantant dans des régionsproductrices.Ce mouvement devrait s’amplifier si de nouvellesvoies de transformation de la biomasse voient leurs

OLIVIER APPERT ET FABIO ALARIO

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 51

044-53 Appert_Appert 08/02/13 17:01 Page51

Page 53: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

technologies et leur rentabilité économique s’amélio-rer ou se confirmer, à l’instar de la production d’acidesuccinique biosourcé.Même si aucune prévision ne peut anticiper précisé-ment les conséquences chiffrées d’une crise écono-mique majeure telle que celle que connaît l’Europedepuis 2008, toutes les tendances montrent néan-moins un accroissement significatif de la part des pro-duits biosourcés dans les produits chimiques conven-tionnels, comme l’illustrent les exemples précédents.Mais le rythme de cette augmentation reste encoreincertain et dépendra étroitement, entre autres, despolitiques publiques incitatives et des réglementationsqui seront mises en place.

DES POLITIQUES PUBLIQUES INCITATIVES

Si la chimie biosourcée a de fortes probabilités dedéveloppement pour les raisons stratégiques et écono-miques qui viennent d’être exposées, il n’en reste pasmoins que cette montée en puissance s’appuiera aussisur un accompagnement volontariste des pouvoirspublics.Dans le paysage règlementaire et incitatif qui existeaujourd’hui, on peut tout d’abord citer, au niveaueuropéen, la réglementation REACH (Registration,Evaluation, Authorisation and restriction ofCHemicals), qui est entrée en vigueur en 2007. Ellevise à enregistrer, évaluer, autoriser et restreindre lessubstances chimiques afin de protéger la santé humai-ne et l’environnement. Son objectif est également derenforcer la compétitivité et l’innovation en substi-tuant des produits non nocifs aux produits actuelle-ment les plus critiques. Cette réglementation n’a, enrevanche, pas particulièrement été élaborée dans l’idéede promouvoir la chimie biosourcée.En France, dans le cadre du Grenelle del’Environnement, les pouvoirs publics ont incité l’in-dustrie chimique à définir des objectifs chiffrés d’in-troduction de composés biosourcés, à un horizontemporel défini. Ainsi, par exemple, l’industrie chi-mique française s’est engagée à introduire 15 % dematières premières renouvelables dans ses approvi-sionnements en 2017, doublant ainsi ce pourcentagesur dix ans. On estime que ce taux était de l’ordre de12 % (hors fibres naturelles) en 2011.En dehors de ces cadres et de quelques autres initia-tives européennes ou nationales, il n’existe pasaujourd’hui de politique industrielle globale visant àintensifier durablement le développement d’uneindustrie chimique biosourcée, cette initiative reve-nant aux seuls industriels du secteur. Il est par consé-quent important que les pouvoirs publics (nationauxou internationaux) se positionnent encore davantageet agissent au travers des trois types d’actions sui-vants.

La cohérence des actions de soutien publicavec une politique industrielle de long terme

Il apparaît nécessaire, au préalable, de réaffirmer lapolitique industrielle qu’un État (ou un groupe d’É-tats) souhaite mener et voir aboutir au bout d’unedurée déterminée, à différents termes. S’agissant de lachimie biosourcée, la sécurisation de l’accès auxmatières premières, le progrès technologique au servi-ce d‘une rentabilité économique (le développementindustriel) et la diminution de l’impact des filières ex-fossiles actuelles sur l’environnement sont des nécessi-tés partagées par le plus grand nombre.La cohérence des différentes actions à lancer à l’échel-le nationale ou internationale doit être assurée demanière à ce que les divers financements soientalloués aux filières les plus porteuses. Un certainnombre de grands projets de recherche et développe-ment ont été engagés ces dernières années, et ilconvient de maintenir une gouvernance vigilantequant au choix des projets futurs.

Le soutien à la recherche et développement

Le développement de nouvelles filières est un proces-sus relativement long qui nécessite des années derecherche et de développement et, par conséquent,une continuité dans l’effort et le soutien apporté. Undes rôles des pouvoirs publics est de favoriser l’émer-gence de nouvelles idées au travers de la recherche. Cesidées doivent ensuite pouvoir être développées afind’en valider la faisabilité technique, sous la forme d’unpilote démonstrateur. Enfin, l’étape d’industrialisationpeut intervenir à la fois via des PME (en particulierdans les filières biotechnologiques) et de grandsgroupes industriels commercialisant ces produits. L’ensemble de ce processus est particulièrement coû-teux en temps et en moyens humains et matériels, maisreste incontournable pour assurer l’avenir de l’indus-trie à moyen et long termes. Aussi, il est indispensableque les pouvoirs publics sécurisent et pérennisent lesfinancements aux divers stades de développement,comme, par exemple, la construction de pilotes préin-dustriels, qui nécessite d’importantes levées de fonds.

L’incitation par la réglementation

Une bonne réglementation doit respecter deux cri-tères complémentaires : limiter (voire interdire) etinciter (voire obliger).La chimie biosourcée, qui sera dans quelques années àun tournant de son développement, a besoin d’uncadre règlementaire qui, par exemple, interdise lacommercialisation de substances chimiques dange-

LES SECTEURS INDUSTRIELS PORTEURS ET LEURS TECHNOLOGIES-PHARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201352

044-53 Appert_Appert 08/02/13 17:01 Page52

Page 54: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

OLIVIER APPERT ET FABIO ALARIO

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 53

reuses, à l’instar du règlement REACH, qui existe déjàau niveau européen. Mais elle doit aussi pouvoir s’ap-puyer sur un cadre qui prenne en compte le caractèrerecyclable et/ou biodégradable des produits, cela d’au-tant plus qu’un produit biosourcé n’est pas implicite-ment biodégradable (le polyéthylène, qui est très lar-gement utilisé dans le secteur de l’emballage, peut êtrebiosourcé, mais il reste non biodégradable). Des tra-vaux de normalisation au niveau du Comité Européende Normalisation sont en cours sur ces questionsd’évaluation des produits biosourcés.La chimie biosourcée a peut-être aussi besoin d’uncadre incitatif qui, d’une part, favorise l’incorporationde produits biosourcés dans les produits classiquesactuels et, d’autre part, facilite l’émergence de nou-velles voies conduisant à de nouveaux produits.Par exemple, au-delà des aspects majeurs de santépublique, cette réglementation pourrait définir :– un niveau d’incorporation de carbone biosourcé parfilière ou par grande famille de produits,– des facteurs d’impact environnemental et un taux derecyclage effectif pour la plupart des biens de consom-mation,– des labels et un processus de certification transpa-rent permettant au grand public d’identifier la pré-sence de produits biosourcés,– un cadre fiscal incitant à la production et à l’achatde produits biosourcés.Enfin, ce cadre réglementaire, voire normatif, doit seconstruire progressivement, en veillant à ne pas altérerla compétitivité économique du tissu industriel.

CONCLUSION

La pétrochimie est une industrie mature qui connaîtaujourd’hui de profonds changements. Le développe-ment des gaz de schiste, aux États-Unis, et celui d’unepétrochimie à partir du gaz, au Moyen-Orient, modi-fient le contexte économique pour les acteurs euro-péens et créent des tensions sur la disponibilité et leprix de certains intermédiaires pétrochimiques.

Une des solutions qui s’offrent à l’industrie chimiquecliente de la pétrochimie pour diversifier et sécuriserses approvisionnements, est d’utiliser, voire de pro-duire elle-même, des matières premières alternativesbiosourcées. Le développement de cette chimie bio-sourcée est conditionné par la conjonction de plu-sieurs facteurs d’ordres économique, technologique etcommercial : le coût de l’accès aux matières premières,l’efficience des procédés de transformation de cettebiomasse et la volonté des sociétés productrices d’ac-quérir une image éco-responsable. S’y ajoute l’expres-sion nécessaire de la volonté des clients de consommerdes produits biosourcés. Un autre élément détermi-nant va être la demande réelle du marché vis-à-vis deces produits.Sur le plan technologique, les procédés de transfor-mation de la biomasse en intermédiaires chimiquessont en grande partie des procédés basés sur la fer-mentation. Leur rentabilité économique ne peut êtreatteinte que si les microorganismes mis en œuvre sontsuffisamment actifs et sélectifs pour prévenir autantque faire se peut la formation de coproduits et ainsilimiter le coût de l’étape ultérieure de séparation et depurification. Dans le cas de certaines voies parallèlesde production d’un même intermédiaire chimique, ila été possible d’atteindre des coûts de production dubioproduit inférieurs à ceux du même produit obtenupar voie pétrochimique, grâce notamment à un diffé-rentiel de prix très attractif entre les matières pre-mières biosourcées et les matières premières fossiles.Ce différentiel favorable pourrait toutefois se dégraderdans le cas où les prix de la biomasse viendraient àaugmenter sensiblement, notamment à cause de saplus grande exploitation.Malgré quelques réussites notoires, la chimie biosour-cée industrielle n’en est qu’à ses débuts, et est encorelargement immature. De grands développements sontattendus dans la décennie à venir, pour une maturitéqui pourrait être atteinte à l’horizon 2030. Pour cela,au-delà des initiatives de développement qui ont étédéjà prises, une politique industrielle incitative s’avèrenécessaire pour assurer l’avenir de cette alternativeréelle à la pétrochimie.

044-53 Appert_Appert 08/02/13 17:01 Page53

Page 55: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

A près des années de recherche en biologieconsistant à analyser, compartiment aprèscompartiment, les relations entre la structure

et les fonctions des différents composants cellulaires,nous assistons depuis une dizaine d’années à une véri-table révolution conceptuelle : le vivant est appréhen-dé dans sa totalité et le chercheur s’essaie à des rap-prochements entre l’information biologique obtenueet des pathologies connues. Cette approche a bénéfi-cié, d’une part, dans un premier temps, de la

démarche des technologies convergentes (dites« NBIC », pour Nano-Bio-Info-Cogno) et, aujour-d’hui, de la biologie de synthèse et, d’autre part, d’ou-tils d’analyse de plus en plus performants, mais com-plexes. Les sciences dites « -omiques » ont bouleversé laconception de la biologie en développant une biologiedes systèmes. S’appuyant largement sur les technologies de pointeet les avancées des technologies de l’information, cessciences « -omiques » regroupent des champs d’étu-de de la biologie qui s’intéressent aux interactionsdans et entre des ensembles vivants complexes(espèces, populations, individus, cellules, protéines,

Les virus de synthèseet leurs perspectivesthérapeutiques –Le point de vuede la nano-médecine

Après des années de recherche en biologie ayant consisté à analy-ser, compartiment après compartiment, les relations entre la structu-re et les fonctions des composants cellulaires, nous assistons à une

révolution conceptuelle : le vivant devient système ; des technologiessophistiquées, comme la biologie de synthèse, transforment le génome enproduits chimiques. Dans ce contexte, des virus hautement pathogènes sont maîtrisés à des finsthérapeutiques et les nanotechnologies nous offrent des outils de vectorisa-tion pour cibler et optimiser leurs effets.

Par Thierry FUSAI*

LES SECTEURS INDUSTRIELS

PORTEURS ET LEURS

TECHNOLOGIES PHARES

* Médecin en chef, Institut de Recherche Biomédicale des Armées, chef dela division Appui Scientifique.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201354

054-59 Fusai_Fusai 11/02/13 10:09 Page54

Page 56: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

THIERRY FUSAI

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 55

ARN, ADN) en prenant en compte l’environnementauquel ces ensembles vivants sont exposés et l’éco-système dans lequel ils vivent. Les « -omiques » lesplus connues sont la génomique, la protéomique, latranscriptomique et la métabolomique (voir la figu-re 1). Les sciences « -omiques » permettent le développe-ment et l’application de nouvelles technologies pourla prévention de maladies (biocapteurs, outils dia-gnostiques, nouveaux traitements...). Il s’agit de com-prendre comment les gènes, les protéines, etc., inter-agissent pour former des circuits biochimiques, etd’en avoir une vision causale et dynamique. Ces cir-cuits biochimiques sont soit régulatoires (influencesmultiples entre des gènes et leurs produits), soit méta-boliques (séries de transformations de molécules pardes enzymes), auquel cas ils font l’objet de la métabo-lomique [1, 2, 3].

LA MÉTABOLOMIQUE

À l’instar de l’étude du transcriptome et du protéome,la métabolomique (l’étude du métabolome) s’inscritdans un contexte post-génomique.

Le métabolome représente l’ultime réponse d’un orga-nisme à une altération génétique, à une pathologie, àune exposition à un toxique ou à tout autre facteursusceptible de perturber son fonctionnement. Commele protéome, le métabolome est dépendant du contex-

Figure 1 : La taxonomie des sciences « -omiques ».

Figure 2 : La biologie de synthèse (Dossier de presse, biologie de Synthèse, publication GENOPOLE, décembre 2010).

054-59 Fusai_Fusai 11/02/13 10:09 Page55

Page 57: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

te, c’est-à-dire que les taux de protéines ou de métabo-lites sont modifiés en fonction de l’état physiologique,développemental ou pathologique d’une cellule, d’untissu, d’un organe ou d’un organisme. La métabolomique repose sur l’obtention d’em-preintes métaboliques obtenues à l’aide de différentesméthodologies analytiques, dont la spectrométrie demasse qui est l’une des principales techniques à cejour. L’analyse différentielle des empreintes issues de diffé-rents groupes d’échantillons vise à caractériser lesrépercussions de la modification d’un facteur externeet à visualiser la manière dont un système biologiqueréagit à cette modification. Elle permet, ainsi, unemeilleure compréhension de la biologie des systèmesen mettant en évidence des interrelations métabo-liques qui n’auraient pas pu être détectées par lesapproches biochimiques traditionnelles. Lesapproches métabolomiques trouvent des applicationsen médecine (recherche de biomarqueurs en toxicolo-gie, en pharmacologie ou en nutrition, étude dumétabolisme des xénobiotiques) ainsi que dansl’agroalimentaire ou en matière d’environnement(phénotypage, caractérisation d’organismes modifiés,suivi de procédés de fabrication). Sur le plan fondamental, la compréhension du fonc-tionnement de la cellule ou de l’organisme requiertplus qu’une simple liste de leurs composants, telle quela fournissent certaines technologies « -omiques ».Cette compréhension, qui progresse grâce à desapproches dites de biologie systémique, fournit lesoutils conceptuels requis. Par la suite, dans le cadre dela biologie de synthèse, on parlera d’ingénierie régula-toire (ou métabolique), à la fois pour le design et laconstruction rationnelle de circuits biochimiques.

LA BIOLOGIE SYNTHÉTIQUE

La biologie synthétique consiste, en utilisant des com-posants ou systèmes biologiques, à modifier des cel-lules vivantes pour leur conférer des fonctions non« naturelles ». Deux démarches sensiblement diffé-rentes relèvent de la biologie synthétique : – la construction de systèmes métaboliques mini-maux, de dispositifs ou de systèmes artificiels biochi-miques ou biomécaniques ayant un comportementspécifié au moyen de l’assemblage de « briques » stan-dardisées et réutilisables,– la synthèse de génomes minimaux, afin de mieuxappréhender le fonctionnement des cellules et afin decréer des cellules hôtes (châssis) capables d’une bio-production efficace ou de fonctions simples prédéter-minées (par exemple, la synthèse complète d’un petitgénome bactérien et sa transplantation dans une bac-térie hôte, telles que les a réalisées la société CraigVenter).

LA VIROLOGIE À L’ÈRE DE LA SYNTHÈSEDE GÈNES

Des progrès sans précédents dans la synthèse et dansl’analyse des séquences de l’ADN sont au cœur de latransformation récente de la biologie moléculaire etde l’émergence de la biologie synthétique. Le séquen-çage d’un brin d’ADN de la taille d’une méga-base estdésormais à la portée des chercheurs. La synthèse,quant à elle, peut atteindre de 8 à 30 milliers de pairesde bases, ce qui représente la taille du génome de laplupart des virus à ARN et de celui de l’ADN.Les virus ne possèdent qu’un seul type d’acidenucléique (soit de l’acide désoxyribonucléique, ADN,soit de l’acide ribonucléique, ARN). Ils se reprodui-sent à partir d’un seul acide nucléique, alors que lesautres organismes vivants se reproduisent à partir de lasomme de leurs constituants. Ils sont incapables decroître et de subir des divisons binaires. Ils ne contien-nent aucune information génétique concernant lesenzymes du métabolisme. Enfin, la multiplication desvirus implique l’utilisation des structures des celluleshôtes, et plus spécifiquement de leurs ribosomes [4]. Avec une telle définition des virus il n’est pas surpre-nant que la synthèse de génomes viraux, en l’absenced’un modèle naturel, ait trouvé toute sa place au seinde la biologie de synthèse. La synthèse chimique desgénomes viraux constitue un nouvel outil, puissant,pour étudier la fonction et l’expression des gènesviraux, ainsi que leur potentiel pathogène et leurimplication dans le métabolisme de la cellule hôte.Cette méthode est particulièrement utile si le modèlenaturel viral n’est pas disponible. Elle permet égale-ment la modification génétique des génomes virauxsur une échelle qui serait impossible à atteindre par lesméthodes classiques de la biologie moléculaire. Comment un virus à ARN peut-il s’intégrer dans lesmondes de la synthèse de l’ADN et du séquençage del’ADN ?La réponse à cette question réside dans la « génétiqueinverse ». Dans leur article de référence de 1978,Weissmann et ses collègues [5, 6] ont transformé l’ARNgénomique (comportant 4 127 nucléotides) du phageQß ARN en ADN double-brin, à l’aide de la transcripta-se reverse, un enzyme (des rétrovirus) qui transcrit l’ARNen ADN complémentaire (ADNc). Après intégration decet ADNc dans un plasmide et la transfection dans unebactérie, un phage Qß authentique a été obtenu. Mais cette méthode avait un faible rendement.L’explication résidait dans la nature de l’ARN du virus(à polarité brin positif, dans le cas où son génome étaitde la même polarité que l’ARNm [L’acide ribonu-cléique messager (ARNm) est une copie d’un gène,destinée à être lue par les ribosomes pour permettre lasynthèse d’une protéine (Source : http://www.futura-sciences.com/)] , ou à polarité brin négatif, dans le cascontraire).

LES SECTEURS INDUSTRIELS PORTEURS ET LEURS TECHNOLOGIES-PHARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201356

054-59 Fusai_Fusai 11/02/13 10:09 Page56

Page 58: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

THIERRY FUSAI

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 57

L’ADNc peut aujourd’hui être facilement préparé etutilisé par différentes stratégies pour régénérer levirus parental à ARN, et ce avec un haut rende-ment. L’utilité de la génétique inverse a été rapidementreconnue et, sans surprise, elle a été mise au pointpour presque toutes les familles connues de virus àARN, comme par exemple le virus de la rage (1994),le virus respiratoire syncytial (1995), le virus de lagrippe A (1999), le virus de la rougeole (2002), levirus Ebola (2002) et les bunyavirus (2006).En 2002, Cello et ses collègues [7] ont publié la syn-thèse chimique acellulaire du poliovirus de type 1(SPV1). En introduisant volontairement des modifi-cations dans la séquence de son ADNc, ces auteursont constaté que ce virus ne se développait que peu,ou pas du tout. Ainsi lorsqu’un virus infecte une cel-lule, il détourne pour sa propre synthèse les voiesmétaboliques de la cellule hôte, alors que le poliovi-rus complet synthétisé chimiquement est capable dese développer dans les cellules hôtes.

Ces travaux permettent d’envisager de nouveaux typesde vaccins à partir de virus de synthèse. Ces principesont été utilisés en 2009 lors de l’épidémie de grippe AH1N1 pour l’élaboration des vaccins. Mais égalementpour comparer les séquences virales des virus H1N1provenant de l’épidémie de 1918 [8] avec celles desvirus H1N1 provenant de l’épidémie de 2009, quiont été obtenus à partir de tissus. Ces travaux ont per-mis de mieux comprendre le rôle de l’hémagglutinine(HA) et de la neuraminidase (NA), deux enzymesimpliquées dans la virulence des virus de la grippe de1918 et de celle de 2009, ainsi que les points de muta-tion impliqués dans le virus de la grippe aviaireH5N1, à partir de la séquence de l’HA et de sa capa-cité de liaison avec les membranes endothéliales. Dautres virus à ARN ont été synthétisés chimique-ment, comme le virus HIV (agent pathogène du sida)et le SARS-like coronavirus. En 2003, l’Institut de Craig Venter a assemblé legénome du virus bactériophage (virus à ADN)PhiX174 (5 386 paires de bases) en seulement deux

Figure 3 : Le virus de la grippe aviaire.

054-59 Fusai_Fusai 11/02/13 10:09 Page57

Page 59: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

semaines [9] (c’est le virus de la vaccine (2002 et2005)). Actuellement, par biologie de synthèse, onpeut construire des génomes chimères utilisant telle outelle séquence du génome d’un virus pour en com-prendre l’implication dans la virulence du virus et l’ac-tion sur le métabolisme de la cellule hôte, et ce afin dedévelopper des contremesures médicales, thérapeu-tiques ou prophylactiques.

LES MOTEURS ACTUELS DE L’ÉVOLUTIONDE LA BIOLOGIE DE SYNTHÈSE

La biologie de synthèse trouve ses modes d’action dansdifférentes avancées technologiques :– Les convergences « NBIC » (Nano-Bio-Info-Cogno)entre les nano-techno-sciences, les sciences de la vie etles sciences de l’information et de la cognition caracté-risent une tendance de fond, depuis 2005, – L’amélioration des méthodes computationnellesappliquées en biologie. Aujourd’hui, l’état avancé del’art permet de concevoir et de réaliser des protéines-enzymes et de nouveaux replis protéiques ; des modèlespermettent de prédire le résultat de modifications deschemins métaboliques, – La découverte assistée en biologie. Il ne s’agit plusseulement de robotiser l’expérimentation, mais biend’assister l’ensemble du cycle cognitif de la découverte(formation d’hypothèses plausibles, déduction deconséquences testables, induction expérimentale),– Parmi les technologies de miniaturisation/robotisa-tion, la micro-fluidique offre la possibilité de diminuerdrastiquement les coûts (étude de petits échantillons),de paralléliser et de mieux contrôler les processus. Cettetechnologie innovante en pleine expansion devrait per-mettre, à terme, d’appréhender la complexité biolo-gique au niveau de la cellule et de la molécule, – L’utilisation de codes génétiques ou de chimies diffé-rentes (« xénobiologie ») de l’existant présente l’intérêtde rendre les produits issus de la biologie de synthèsedépendants de composés absents de l’environnement.Elle permet aussi de mieux s’affranchir des interférencesentre la cellule et un composant synthétique unique. – L’hybridation entre nanoélectronique et nano-bio-logie commence à être envisagée. La biologie de syn-thèse peut ainsi (par exemple) permettre de réaliser unnano-capteur dans lequel la mesure est effectuée pardes macromolécules biologiques hybridées avec deséléments nanoélectroniques servant au calcul et à l’af-fichage du résultat. Des applications existent déjà,comme ces « laboratoires » des pilules ou sur despuces. Ces moteurs technologiques doivent être regroupés surun même site afin de concentrer les plateaux tech-niques, d’optimiser les résultats et de constituer unemasse critique en termes de personnels (sans oublier laformation). Ce type de concentration se retrouve, parexemple, au sein de l’Université de Berkeley, avec le

Synthetic Biology Engineering Research Center(SynBERC) » [10].

UN PONT ENTRE LES NANOTECHNOLOGIES,LA NANO-BIOLOGIE ET LA BIOLOGIE

Les nanoparticules et les nano-objets mis en œuvre parles nanotechnologies sont des assemblages d’atomes oude molécules ayant au moins une dimension inférieureà 100 nanomètres. À cette échelle, la matière présentesouvent des propriétés physiques et chimiques spéci-fiques du fait de la petite taille des objets et de leur sur-face importante rapportée à leur volume. Ainsi, unnano-objet est généralement plus réactif au plan chi-mique que son homologue courant micro-structuré(c’est-à-dire au moins mille fois plus gros). Il peut aussiavoir une résistance mécanique et une conductivitéthermique ou électrique beaucoup plus importantes. Sacapacité à s’associer avec d’autres molécules peut êtremodifiée et mise à profit, par exemple, pour transpor-ter dans l’organisme des médicaments ou capturer despolluants dans l’environnement. Les nanoparticulessont incorporées (en général en petite quantité, dans lamasse ou en surface) aux matériaux existants afin d’enaméliorer les caractéristiques physiques et/ou chi-miques.

LES IMPLICATIONS DES NANOTECHNOLOGIES DELA VIROLOGIE DE SYNTHÈSE –LE MÉTABOLOME EN PATHOLOGIE HUMAINE

Si nous considérons un schéma simple, dans lequel desnanoparticules, que l’on pourrait façonner afin qu’ellesacquièrent un tropisme spécifique d’anticorps, deligant, etc., joueraient le rôle d’un vecteur, c’est-à-dired’un véhicule dans lequel on pourrait mettre tout oupartie d’un virus de synthèse (pour des vaccins, parexemple, ou encore pour transporter des activateurs degènes déficients en utilisant la capacité des virus à s’in-tégrer dans les génomes ou de se reproduire dans lecytoplasme des cellules), serions-nous dans la science-fiction ?Il n’y a pas d’exemple complet de ce schéma, mais destravaux de recherche existent qui démontrent que celasera possible un jour.La dengue, une arbovirose [c’est-à-dire une maladiecausée par un arbovirus dont la transmission nécessiteun arthropode vecteur, ndlr] est un problème mondialde santé publique : il n’existe ni médicament ni vaccinpermettant de la traiter. Un candidat vaccin pourraitêtre obtenu à partir du domaine III de la protéine struc-turale majeure du virus de la dengue (DENVs) connuesous le nom de domaine III enveloppe (EDIII).L’utilisation de nanoparticules bio-composées de poly-peptides recombinants EDIII viraux, associées à un

LES SECTEURS INDUSTRIELS PORTEURS ET LEURS TECHNOLOGIES-PHARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201358

054-59 Fusai_Fusai 11/02/13 10:09 Page58

Page 60: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

antigène recombinant issu du virus de l’hépatite B, per-met d’obtenir une réponse protectrice vis-à-vis deEDIII plus rapidement que par une immunisation tra-ditionnelle (les nanoparticules jouant dans ce cas ledouble rôle de transporteur et d’adjuvant). Les applica-tions sont doubles : diagnostic de la dengue chez unpatient et préparation de vaccins [11]. Certains paramyxovirus (virus à ARN) infectent la cel-lule après fusion membranaire. Cette fusion est laconséquence de la liaison d’une protéine virale (F) avecun récepteur endothélial (Ephédrine-B2, ou EFB2).Les auteurs de cette recherche ont imaginé de synthéti-ser un protocell constitué d’une membrane nano-poreu-se porteuse du récepteur EFB2. En ajoutant ce protocellà une culture cellulaire en présence de virus, ils ontconstaté que les virus se fixaient sur le protocell préfé-rentiellement et y restaient, apportant ainsi la preuvedu concept de bio-épurateur du protocell [12].La livraison de peptides et de protéines via les voiesaériennes est l’une des applications les plus intéressantesde la nano-médecine. Ces macromolécules peuvent êtreutilisées pour de nombreuses applications thérapeu-tiques, comme la délivrance d’anticorps à visée théra-peutique. Fait intéressant : non seulement les méca-nismes facilitant leur dissémination et leur action surles cellules pourraient impliquer la polarité des peptideset des variations de pH, mais la composition interne deNP pourrait également jouer un rôle dans la détermi-nation de leur efficacité en tant qu’outils d’administra-tion des protéines à différents compartiments cellu-laires [13].L’hépatite C (VHC) est susceptible de perturber les dif-férentes facettes du métabolisme des lipides. Ceux-cisemblent jouer un rôle crucial dans le cycle de vie duvirus. Une étude en cours permettra une meilleurecompréhension des altérations du métabolisme deslipides provoquées par des infections à tropisme hépa-tique.Les particules virales synthétiques (qu’elles soient ounon vectorisées) peuvent dans certaines conditionsinteragir directement avec les cellules dendritiques quijouent un rôle clé dans la réponse immunitaire, et accé-lérer de ce fait ladite réponse [14].On peut combattre des bactéries pathogènes grâce à lafabrication de phages (des virus). Il s’est agi d’éradiquerdes bio-films, qui jouent un rôle crucial dans la patho-génèse d’importantes infections cliniques. Certains tra-vaux ont ainsi consisté à modifier des bactériophages envue de cibler les mécanismes de résistance aux antibio-tiques utilisés contre les infections à la bactérieEscherichia coli.

CONCLUSION

La biologie de synthèse représente bien un champnouveau de la biologie, avec son approche méthodo-

logique mêlant l’analyse scientifique de la biologie àl’ingénierie des biotechnologies. Le diagnostic et lathérapeutique vont bénéficier des avancées biotech-nologiques. Quant à la nano-médecine, elle n’en estqu’à ses débuts.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Biologie de synthèse : développements, potentia-lités et défis, stratégie nationale de recherche et d’in-novation, www.enseignementsup-recherche.gouv.fr,2011.[2] FIORASO (G.), « Les Enjeux de la Biologiede Synthèse », Office Parlementaire d’Evalua -tion des Choix Scientifiques et Technologiques,n°4554 Assemblée nationale, n°378 Sénat, France,2012.[3] Synthetic Biology: scope, applications and impli-cations, the Royal Academy of Engineering, UnitedKingdom, 2009.[4] GIRARD (M.) & HIRTH (L.), Virologie généra-le et moléculaire, Decitre Ed. 1998.[5] WIMMER (E.) & al., Synthetic viruses: a newopportunity to understand and prevent viral disease,Nat. Biotechnol., 27 (12), 2009.[6] WEISSMANN (C.) & al., Reversed genetics: anew approach to the elucidation of structure–functionrelationship, Ciba. Found Symp, 66:47-61, 1979.[7] CELLO (J.) & al., “Chemical synthesis ofpoliovirus cDNA: generation of infectious virus inthe absence of natural template”, 297:1016-1018,Science, 2002.[8] TAUBENBERGER (J.K.) & MORENS (D.M.),1918 Influenza: the mother of all pandemics. Emerg.Infect. Dis., 12:15-22, 2006.[9] SMITH (H.O.) & al., Generating a syntheticgenome by whole genome assembly: �phiX174 bacterio-phage from synthetic oligonucleotides, Proc Natl AcadSci USA, 100:15440-15445, 2003.[10] http://www.synberc.org/http://synberc.org/sites/default/files/vol1_2012-02-24.pdf[11] ARORA (U.) & al., “Chimeric Hepatitis B coreantigen virus-like particles displaying the envelopedomain III of dengue virus type 2”, Journal ofNanobiotechnology, 13:10-30, 2012.[12] POROTTO (M.) & al., Synthetic protocellsinteract with viral nanomachinery and inactivatepathogenic human virus, PLoS One, Mar 1;6(3):e16874, 2011.[13] DOMBU (C. Y.) & BETBEDER (D.), “Airwaydelivery of peptides and proteins using nanoparti-cles”, Biomaterials, 34(2):516-25, 2013 (Jan).[14] SHARMA (R.), Synthetic virus-like particles tar-get dendritic cell lipid rafts for rapid endocytosis pri-marily but not exclusively by macropinocytosis, PLoSOne, 7(8):e43248, 2012.

THIERRY FUSAI

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 59

054-59 Fusai_Fusai 11/02/13 10:09 Page59

Page 61: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

Virus recombinantset virus synthétiques

L’émergence de la biologie moléculaire et des technologies asso-ciées, qui ont constitué le terreau à partir duquel ont pu se structu-rer les prémices de la biologie de synthèse, est intimement liée àl’histoire de la virologie. Même si la biologie de synthèse ne s’estrépandue dans la communauté scientifique qu’à partir des années2000, l’ingénierie biologique a fait ses premières armes avec, et surles virus, dès les années 1960. Aujourd’hui, les nombreux outilstechniques à la disposition non seulement de la communautéscientifique, mais également de biologistes amateurs, qui structu-rent un nouvel espace d’échange libre (une sorte d’open source

biologique) et qui sont de plus d’un coût dérisoire, permettent de manipulerdes virus existants, d’en créer de nouveaux, voire de faire « revivre » desvirus disparus. Ces manipulations s’inscrivent souvent dans le cadre d’appli-cations thérapeutiques, ou plus simplement participe à une meilleure com-préhension du vivant. Au-delà des applications porteuses de promesses, cesnouveaux possibles soulèvent de nombreuses questions qui doivent êtreintégrées dans un dialogue sociétal permettant de prendre toute la mesuredes enjeux, des implications et des risques associés.

Par Ali SAÏB*

LES SECTEURS INDUSTRIELS

PORT

EURS ET LEU

RS

TECHNOLO

GIES PH

ARES

* Recteur de l’Académie de Caen, professeur titulaire de la chaire de biologie du CNAM, directeur de la recherche du CNAM (2009-2012), coordon-nateur de l’Observatoire de la biologie de synthèse.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201360

060-65 Saib_Saib 08/02/13 17:09 Page60

Page 62: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

ALI SAÏB

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 61

Pour comprendre pourquoi les virus ont été des enti-tés biologiques clés dans l’émergence de la biologiemoléculaire et de la biologie de synthèse, il est essen-tiel de remonter le cours de l’histoire. La découvertedu premier virus (le virus de la mosaïque du tabac, leVMT) par Martinus Willem Beijerinck, ingénieurchimiste et père conceptuel de la virologie, à la fin duXIXe siècle, laisse la communauté scientifique scep-tique. Ce n’est que quarante ans plus tard que les pre-

miers clichés obtenus par la microscopie électronique,une technique alors émergente, confirmaient l’exis-tence des virus. On y voyait des particules de tailleallant de 20 à 100 nanomètres (nm). Mais restaitencore à découvrir la nature des virus. C’est là encoreun chimiste, Wendell Stanley, qui permit pour la pre-mière fois d’avoir une idée de la nature d’un virus. Enobtenant le premier cristal protéique du virus VMTen 1935 – cristal qui conservait les propriétés infec-tieuses du virus – Stanley conclut que le virus VMTest un simple assemblage protéique doté d’une activi-té catalytique. Ce travail lui a valu le Prix Nobel deChimie en 1946, et non celui de Médecine et dePhysiologie. Même si certaines conclusions furentinfirmées par la suite (il a été rapidement démontréqu’un virus était constitué à la fois de protéines etd’acides nucléiques), les études en microscopie élec-tronique et ce Prix Nobel ont conduit à considérerdurablement les virus comme des entités particulairesproches de l’inerte, comme de simples assemblagesmoléculaires reliant la chimie à la biologie.À cette époque, la structure des gènes était encoreinconnue. Les généticiens les considéraient commedes entités purement théoriques, des unités algé-

Encadré 1La biologie de synthèse désigne un champ scien-tifique expérimental interdisciplinaire auxcontours et aux objets en évolution qui allie, enparticulier, les techniques de génie génétique, lachimie, les sciences de l’ingénieur et l’informa-tique. Cette ingénierie en biologie vise plusieursobjectifs, dont celui de créer (partiellement outotalement) et/ou de réorienter des systèmes bio-logiques à des fins utilitaires ou en vue d’unemeilleure compréhension du vivant et de ses ori-gines.

© BIOSPHOTO-LAGUNA DESIGN-SCIENCE PHOTO LIBRARY

« La découverte du premier virus (le virus de la mosaïque dutabac, le VMT) par Martinus Willem Beijerinck, ingénieurchimiste et père conceptuel de la virologie, à la fin duXIXe siècle, laisse la communauté scientifique sceptique. »,virus de la mosaïque du tabac.

© Jacques Boyer/ROGER-VIOLLET

« En 1935, Stanley conclut que le virus VMT est un simpleassemblage protéique doté d’une activité catalytique. Ce travaillui a valu le Prix Nobel de Chimie en 1946, et non celui deMédecine et de Physiologie. », portrait de Wendell MeredithStanley (1904-1971), biochimiste américain, Prix Nobel deChimie en 1946.

060-65 Saib_Saib 08/02/13 17:09 Page61

Page 63: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

briques, sans en connaître le support matériel. Leurcaractère moléculaire était loin de faire l’unanimité.C’est une série de découvertes réalisées entre lesannées 1940 et 1970 et issues en partie du travail deconvergence de médecins, de biologistes, de chimisteset de physiciens qui considéraient le virus comme un« gène pur», et donc comme un modèle de choix pourl’étude du vivant sous sa forme la plus simple, qui ontjeté les bases de la biologie moderne, en particulier dela biologie moléculaire. C’était le cas, notamment, du« groupe du phage » coordonné par Salvador Luria etMax Delbrück, ce dernier étant un physicien qui avaitorienté ses travaux vers la biologie afin de comprendreles fondements du vivant. La mise à nu de la structu-re de l’ADN par Watson et Crick et le décryptage ducode génétique ont ouvert la voie au développementdes techniques de l’ADN recombinant, qui permet-tent de manipuler le patrimoine génétique à volontéet de créer en laboratoire de nouveaux génomes issusd’organismes totalement différents (le code génétiqueétant universel). Les pionniers de la biologie molécu-laire étaient persuadés d’avoir percé le secret de la vieen ayant découvert l’ADN et le code génétique. Legène devenait dès lors le déterminant majeur duvivant et, pour certains, « l’essence même de la vie ».C’est donc tout naturellement que les virus, avec leurpatrimoine génétique de taille réduite (quelques mil-liers de nucléotides pour une grande majorité d’entreeux) et le rôle qu’ils ont joué dans la découverte desprincipes fondateurs de la biologie moléculaire,devinrent les modèles d’étude et d’expérimentation lesplus répandus dans les laboratoires académiques, cequi a conduit à la « création/construction » d’unemultitude de virus recombinants, principalement àdes fins de recherche fondamentale.

Très rapidement, l’idée est venue d’assembler artifi-ciellement des fragments d’ADN issus de différentsorganismes, comme par exemple des fragmentsd’ADN bactériens ou humains, tout d’abord pours’assurer de l’universalité du code génétique, puis envue d’utiliser ces nouveaux ADN recombinants dansle cadre de diverses applications. C’est ainsi que leconcept de thérapie génique a émergé.Considérée depuis plus de trente ans comme uneapproche thérapeutique prometteuse, la thérapie

génique a pour principe fondateur la correction d’unefonction cellulaire perdue ou altérée du fait d’unemutation génétique par l’apport d’une copie nonmodifiée du gène sain la générant. Il existe cependantune grande diversité des applications possibles quidépassent le cadre du traitement de la maladie géné-tique. Si, en théorie, cela peut sembler aisé à réaliser,la pratique s’avère difficile à mettre en œuvre, car plu-sieurs conditions doivent être réunies pour espérerune amélioration clinique, comme par exemple le sta-tut monogénique du caractère à corriger, ou encorel’efficacité du gène correcteur qui sera implanté dansles cellules qui en ont besoin. Pour cela, les virus onttrès rapidement été perçus comme des « outils » dechoix. En effet, la coévolution des virus et de leur cel-lule hôte pendant des milliers d’années a conduit àfaire de ces entités biologiques d’excellents chevaux deTroie, franchissant aisément les barrières physiquespour transporter leur patrimoine génétique au seind’un environnement cellulaire qui leur fournit toutela « machinerie » nécessaire à leur multiplication. Ilsuffisait alors de modifier à façon le patrimoine géné-tique d’un virus (pour lui enlever tout caractère délé-tère et y incorporer le gène « médicament ») et/ou demodifier les caractéristiques de surface de celui-ci(afin d’orienter son tropisme cellulaire, par exemple)pour en faire un virus recombinant doué des proprié-tés qui en font un vecteur efficace. Plusieurs types devirus ont ainsi été manipulés à des fins thérapeutiques(adénovirus, rétrovirus, herpesvirus, parvovirus…). En 2000, trente ans après les prémices de ce concept, uncommuniqué de presse annonçait le premier succès dethérapie génique grâce à l’utilisation d’un rétrovirusmurin. Une équipe de chercheurs français était parve-nue à guérir des enfants atteints d’un déficit immunitai-re grave qui les obligeait à rester confinés dans desenceintes totalement stériles. Même si des effets adversesgraves stoppèrent temporairement les essais cliniques,une nouvelle génération de virus et des protocoles thé-rapeutiques modifiés allaient conduire à de nouveauxsuccès dans le traitement d’autres maladies génétiques.Depuis quelques années, l’attention des scientifiquess’est également concentrée sur certains virus qui pos-sèdent d’étonnantes propriétés. En effet, ces virus semultiplient préférentiellement dans les cellules tumo-rales conduisant à leur destruction ; on les appelle desvirus oncolytiques. C’est le cas, par exemple, de cer-tains parvovirus ou de certains adénovirus. Par lesmêmes approches d’ADN recombinant décrites plushaut, il est possible de modifier ces virus pour lesrendre plus spécifiques vis-à-vis des cellules tumoraleset plus efficaces dans leur fonction destructrice.De la même manière, il est possible d’utiliser des virusnaturels ou recombinants pour détruire plus spécifi-quement certaines bactéries pathogènes. Ces virusappelés bactériophages (ou tout simplement phages)sont actuellement utilisés pour traiter certaines infec-tions bactériennes multi-résistantes.

LES SECTEURS INDUSTRIELS PORTEU

RS ET LEU

RS TECHNOLO

GIES-PH

ARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201362

Encadré 2Au croisement de la génétique, de la biochimieet de la physique, la biologie moléculaire vise àcomprendre les mécanismes de fonctionnementde la cellule au niveau moléculaire. Elle s’at-tache en particulier à étudier les molécules por-teuses de l’information génétique (ADN et ARN),les protéines produites à partir des gènes et larelation existant entre ces trois types de molé-cules.

060-65 Saib_Saib 08/02/13 17:09 Page62

Page 64: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

ALI SAÏB

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 63

D’autres applications sont possibles dans le domainede la santé, comme en vaccinologie. Le principe est demodifier la structure génétique d’un virus donné (nonpathogène pour l’homme) afin qu’il se mette à expri-mer des antigènes spécifiques d’un autre virus (ou decellules tumorales), qui activeront à leur tour le systè-me immunitaire pour assurer une meilleure actionanti-infectieuse (ou anti-tumorale).Les progrès réalisés dans le séquençage de l’ADN,l’amélioration considérable des techniques de synthè-se d’ADN ainsi que leur coût de plus en plus acces-sible ont révolutionné l’étude des génomes et leurmanipulation depuis les années 1990. Et comme dans

le cas de l’émergence de la biologie moléculaire, lataille réduite du patrimoine génétique des virus et larapidité avec laquelle ils se multiplient en ont fait lespremiers « cobayes » pour être entièrement synthéti-sés. En 2002, l’équipe d’Eckard Wimmer synthétiseentièrement un poliovirus constitué de 7 741 nucléo-tides qui, placé au sein d’une cellule, a conduit à laproduction de virus infectieux. Techniquement, ils’agit de synthétiser chimiquement le patrimoinegénétique d’un virus, puis de l’insérer au sein d’unecellule hôte (par des techniques simples) afin que lamachinerie cellulaire se mette au service du « pro-gramme » génétique viral pour le multiplier. Cette

© BIOSPHOTO-AMI IMAGES-SCIENCE PHOTO LIBRARY

« Il est possible d’utiliser des virus naturels ou recombinants pour détruire plus spécifiquement certaines bactéries pathogènes. Cesvirus appelés bactériophages (ou tout simplement phages) sont actuellement utilisés pour traiter certaines infections bactériennesmulti-résistantes. », virus bactériophage ciblant la bactérie Escherichia Coli.

060-65 Saib_Saib 08/02/13 17:09 Page63

Page 65: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

publication faisait suite à un travail précédent de lamême équipe, publié dix ans plus tôt, qui décrivait lepoliovirus par une simple formule chimique :C332 652H492 388N98 245O131 196P7 501S2 340 (le chiffreen indice correspondant au nombre de chaqueatome). Cette avancée technique fut suivie, un an plustard, par la synthèse d’un phage par l’équipe de JohnCraig Venter. Dans la foulée, en 2008, cette mêmeéquipe a réussi la synthèse d’un génome bactérien(381 gènes, sur 580 000 paires de bases) ayant la capa-cité de se multiplier lorsqu’il est placé dans un envi-ronnement adéquat (cette nouvelle bactérie créée enlaboratoire a été baptisée Mycoplasma laboratorium).Plus récemment, la synthèse d’un génome bactériende 1,08 million de paires de bases a été publiée(Mycoplasma mycoides) ! E. Wimmer et J.C. Venter nesont pas les premiers scientifiques à avoir ainsi « créé »artificiellement un virus. Dans les années 1950,Arthur Kornberg, Prix Nobel de Médecine et dePhysiologie en 1959, défrayait la chronique pouravoir synthétisé par des approches plus rudimentairesle premier phage en laboratoire. Les journaux améri-cains titraient alors : « On a créé la vie dans un tube àessai ! », alors que le président Lyndon Johnson enpersonne qualifiait cette découverte de « réalisationremarquable ». Mais cette aventure ne faisait quecommencer.Contrairement à ce qui avait été énoncé, J.C. Ventern’a pas créé la vie en laboratoire, mais il a synthétiséun patrimoine génétique à façon qui a pu prendre les« commandes » d’une bactérie qui a été préalablementdépouillée de son propre génome. Les outils tech-niques que nous possédons aujourd’hui ne nous per-mettent pas encore de « créer » la vie en laboratoire,mais ils nous permettent d’agencer différemment lesbriques élémentaires du vivant à la manière d’un jeude LEGO® pour créer de nouvelles entités vivantesautonomes. Après le réductionnisme biologique, utileinitialement pour appréhender le vivant (mais donton sait aujourd’hui qu’il ne permet pas de l’aborderdans toute sa complexité), nous entrons dans unephase de mécanisation du vivant. Mais tout n’est passi simple, puisqu’en réaction se développe une nou-velle branche de la biologie, appelée biologie des sys-tèmes, qui tente d’aborder les questions biologiquesde manière holistique.Grâce à ces progrès techniques, toutes les applicationsavérées ou envisagées mettant en œuvre des virusrecombinants sont aisément déclinées via les versionssynthétiques virales. La nouveauté réside dans le faitqu’il est maintenant techniquement possible derecréer de toutes pièces des virus pathogènes ayantexisté par le passé mais totalement disparus, ou enco-re de créer de nouveaux virus. Les chercheurs à l’ori-gine de ces travaux précisent que cela servira à mieuxcomprendre l’évolution des maladies virales et leurtransmission face au développement des zoonoses. En2005, ces avancées technologiques ont permis de

« ressusciter» un des virus les plus dévastateurs del’histoire humaine, celui de la grippe espagnole, lequela été reconstitué à partir d’un morceau de poumond’un cadavre congelé retrouvé dans le Grand Nordcanadien. Cette publication a donné lieu à un intensedébat éthique parmi les scientifiques, débat qui s’estrépété début 2012 conduisant à un moratoire sur lapublication de deux articles de recherche explicitant laprocédure à suivre pour créer un virus grippal poten-tiellement hautement pathogène pour l’homme.Rappelons qu’un tel débat avait déjà eu lieu en 1975lors d’une conférence organisée par Paul Berg àl’Asilomar State Beach (qualifiée par certains de« conférence de la boîte de Pandore »), qui avaitregroupé des médecins, des biologistes et des juristessur la position à tenir face aux potentialités offertespar les techniques émergentes de l’ADN recombi-nant. La santé n’est pas le seul terrain ciblé par l’utilisationde virus synthétiques. De par leur petite taille, leurstructure et leurs propriétés d’auto-assemblage, cer-tains chercheurs n’hésitent pas à qualifier les virus de« nano-objets naturels », faisant d’eux des outils privi-légiés reliant les biotechnologies aux nanotechnolo-gies. Ainsi, la mise au point de batteries électriques àbase de protéines virales (pour les objets nomades,civils ou militaires) ou encore l’utilisation de viruscomme matrice pour la fabrication de nanoconduc-teurs, de nanocapsules (transportant des principesactifs) ou de puces biocatalytiques sont autant d’ap-plications qui sont en cours d’évaluation.

CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES

L’objectif du projet de consortium internationalHUGO (HUman Genome Organisation) initié aumilieu des années 1980 était d’établir la séquence dupatrimoine génétique de l’homme pour tenter, entreautres, d’appréhender à travers les gènes la naturehumaine. Nous connaissons aujourd’hui la séquencetotale du génome humain, c’est-à-dire l’enchaînementcomplet des quatre « lettres » qui composent notregénome [les quatre bases : l’adénine, la guanine, lacytosine et la thymine, ndlr]. Mais nous ne sommespas pour autant en mesure de comprendre avec préci-sion le développement et le fonctionnement de notreorganisme. Les gènes ne constituent qu’une partied’un système plus vaste, qui contrôle le développe-ment d’un organisme vivant. Les gènes collaborententre eux, se régulent mutuellement et peuvent fonc-tionner en réseau ; les parties non codantes du patri-moine génétique jouent également un rôle majeurdans la régulation de l’expression des gènes, commeviennent de le démontrer les premiers résultats duprojet international ENCODE (Encyclopedia of DNAElement) lancé en 2003. De plus, les aspects épigéné-

LES SECTEURS INDUSTRIELS PORTEU

RS ET LEU

RS TECHNOLO

GIES-PH

ARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201364

060-65 Saib_Saib 08/02/13 17:09 Page64

Page 66: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

ALI SAÏB

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 65

tiques, héritables pour certains d’entre eux, ainsi quel’environnement, jouent également un rôle dans ledevenir d’un organisme. Il est vrai que l’erreur desbiologistes moléculaires de la première heure a été deconfondre codage et programme. L’ADN porte bien uncode : les séquences sont traduites en acides aminéspar l’intermédiaire du code génétique. Mais il neconstitue pas un programme.De la même manière, définir les virus uniquement parleur stade particulaire (comme imposé par les clichésde microscopie électronique) ou par leur nature uni-quement chimique (représentation issue des pre-mières études de leur composition), en mettant decôté l’ensemble du cycle infectieux, qui passe par uneétape cellulaire (pouvant aller jusqu’à l’intégrationphysique du patrimoine génétique viral dans celui dela cellule) au cours de laquelle des milliers d’interac-tions prennent place et qui se poursuit par unensemble complexe d’autres interactions au niveaud’un organisme ou de toute une population (on parlealors d’écologie virale), procède d’une vision trèsréductionniste de ces entités biologiques. L’étude desgénomes et de leur évolution a permis de préciser lerôle des virus non seulement dans les transferts géné-tiques horizontaux, et ce dans l’ensemble des troisrègnes du vivant (eucaryotes, archées et bactéries) aucours de l’évolution, mais également dans la plasticitédes génomes des organismes.Une des caractéristiques fondamentales du vivant estd’être un processus dynamique en constante évolu-tion, pas toujours prévisible. Bien sûr, toutes les pré-cautions sont prises pour éviter la dissémination deces nouveaux virus. Bien sûr, les modélisations mathé-matiques des voies cellulaires, voire d’une celluleentière dans un écosystème donné, se développent àgrands pas pour tenter de prévoir les possibles dans cemonde de relations (y compris en développant denouveaux ordinateurs basés sur le concept d’informa-tique inexacte, qui intègre un certain pourcentaged’erreurs dans le calcul des processeurs). Comme pour toute technologie émergente, la capaci-té à produire des virus à façon par synthèse conduit àune multitude de questions. Qu’est-ce qui est souhai-table, acceptable ? Qui décidera ? Comment évaluerles risques inhérents à ces développements ? Il est dès lors essentiel de structurer de manièredurable, par une diversité de dispositifs, un dialogueentre toutes les parties prenantes afin d’évaluer lesenjeux, les implications et les risques. La responsabili-té des chercheurs, des pouvoirs publics et des citoyensest engagée.C’est dans cette perspective d’une nécessaire structu-ration du dialogue entre sciences, technologies etsociété que l’Observatoire de la biologie de synthèse(OBS) a été créé, en janvier 2012, au sein duConservatoire national des arts et métiers (CNAM).

L’OBS a pour mission de cartographier le paysage –français et international – (acteurs impliqués,recherches conduites, publications scientifiques…) dela biologie de synthèse et de suivre, en temps réel, lesdébats, les questionnements et les prises de positionssuscités par l’émergence de ce domaine scientifiqueaux enjeux forts, encore marqués par l’incertitude.La mise en place de cette plateforme d’information etd’échange répond au souci du ministère del’Enseignement supérieur et de la Recherche, mais aussià celui des acteurs impliqués (académiques, industriels,associatifs…), de suivre l’évolution des sciences et destechnologies émergentes afin de préparer, d’initier et demaintenir de manière durable un dialogue ouvert etéquilibré avec toutes les composantes de la société.Un site Internet (1) entièrement dédié à la biologie desynthèse, portail de convergence des connaissances etdes questionnements, constitue le premier outil misen place par l’OBS. Cette première étape doit permettre, grâce à la circu-lation de l’information et à l’identification des acteurset des lignes de force, de préparer la deuxième phasedu processus (2), à savoir la mise en discussion de labiologie de synthèse dans le cadre d’un Forum quisera initié en 2013.

Encadré 3De tailles généralement comprises entre 20 et400 nm, les virus, sous leur forme particulaire,sont constitués d’un acide nucléique support del’information génétique virale (qui peut être ADNou ARN – quelquefois ces deux types d’acidenucléique sont retrouvés dans la particule virale),protégé par une structure protéique spécifique aumonde viral (appelée capside). Tout en présen-tant des constituants biochimiques de base iden-tiques, le monde des virus est extraordinairementhétérogène. Les particules virales présentent unemultitude de tailles, de structures génomiques,de cycles réplicatifs, et elles sont présentes danstous les biotopes. Contrairement à la grandemajorité des bactéries, les virus sont des parasitesobligatoires : ils ne se multiplient qu’au seind’une cellule hôte. Ils ne présentent aucun méta-bolisme propre, l’énergie nécessaire à leur mul-tiplication étant fournie par la cellule hôte.

(1) Site Internet de l’Observatoire de la biologie de synthèse : http://biolo-gie-synthese.cnam.fr

(2) Ce processus s’inscrit dans le cadre des préconisations faites parl’Institut francilien recherche innovation et société (IFRIS) dans son étude« Biologie de synthèse, conditions d’une dialogue avec la société » (publiéeen décembre 2011).

060-65 Saib_Saib 08/02/13 17:09 Page65

Page 67: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

LES RESSOURCES GÉNÉTIQUES VÉGÉTALESDE LA FRANCE : UN PATRIMOINE NATIONAL

Si la naissance de l’agriculture se situe aux environs de12 000 ans avant JC, c’est à la même époque que noussituons le début du processus de domestication desprincipales espèces végétales. Deux contraintes gui-dent alors la transformation d’espèces végétales sau-vages en espèces de plus en plus « domestiquées ».

La première de ces contraintes réside dans la nécessitéd’obtenir un caractère différent de celui de la variétésauvage, et si possible aisé à repérer. Cette variabilitéentre les individus est primordiale : des fruits plusgros, des graines plus nombreuses, une fleur de cou-leur différente et d’une plus grande précocité, une ger-mination plus rapide. En d’autres termes, il ne peuty avoir de nouvelles variétés que s’il y a des caractèresfacilement repérables et/ou des outils qui permettentde les repérer. L’existence d’une variabilité et sonmaintien au fil des générations suivantes sont les com-posantes majeures d’une capacité d’améliorationgénétique.Mais pour pouvoir exercer un choix sur un caractèrerecherché, la deuxième contrainte est de pouvoirsélectionner et multiplier l’individu porteur. De

Notre patrimoinegénétique végétalest-il menacépar les biotechnologies ?

Les outils utilisés pour l’obtention de nouvelles variétés végétalessont nombreux et extrêmement variés. Ils ont aussi la particularitéd’être plus ou moins bien perçus par la société. L’amélioration desplantes, même si elle reste fondamentalement le fruit du hasard,résulte de l’exercice de choix déterminés par les besoins des agri-

culteurs, des industriels ou des consommateurs finaux. Hasard, contrainteset exigences sont les maîtres-mots d’un dialogue qu’il convient d’instaurerentre tous les acteurs.

Par Dominique PLANCHENAULT*

LES SECTEURS INDUSTRIELS

PORT

EURS ET LEU

RS

TECHNOLO

GIES PH

ARES

* Inspecteur général de la santé publique vétérinaire, membre du Conseilgénéral de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Espaces ruraux(CGAAER).

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201366

066-70 Planchenault_Planchenault 08/02/13 17:10 Page66

Page 68: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

DOMIN

IQUE PLANCHENAULT

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 67

manière intuitive, la capacité de sélection est directe-ment liée à la reproduction. Au cours de l’évolution,les plantes se reproduisant par autofécondation (auto-games) avaient une sécurité quasi automatique deproliférer. En revanche, les plantes devant trouverdans leur voisinage une plante sœur pour pouvoir semultiplier se trouvaient défavorisées. Cependant, siles plantes autogames ont pu se développer rapide-ment dans des milieux stables, la chute de la variabili-té concomitante au sein de l’espèce les rendait parti-culièrement vulnérables lors d’un changementaffectant leur milieu. A contrario, les espèces allogamespeuvent avoir plus de mal à se reproduire, mais la per-sistance d’une variabilité forte est la garantie d’unebonne adaptabilité. Le travail de l’homme va être defavoriser l’émergence des individus porteurs du carac-tère recherché en leur donnant des conditions favo-rables ou en les aidant à se reproduire s’ils ne peuventle faire naturellement.L’approche est alors relativement simple. À partir deces deux exigences – la nécessité de préserver la varia-bilité (visible ou non) et celle de promouvoir la repro-duction des individus porteurs du caractère recher-ché –, le sélectionneur va créer une plante nonseulement porteuse de ces nécessités, mais également

à même de satisfaire les nouveaux besoins de l’hom-me.À ce stade, deux autres points doivent être pris enconsidération. a) Au cours des millénaires, les agriculteurs ont apprisà conserver les semences des cultures qui leur sem-blaient les plus simples à transformer ou à stocker, lesplus résistantes et/ou les plus savoureuses. Plus de 7 000 espèces végétales ont été cultivées oucueillies pour être consommées. Cependant,30 espèces couvrent 95 % des besoins énergétiqueshumains et, parmi elles, quatre (le riz, le blé, le maïset les pommes de terre) en assurent plus de 60 %. S’il est indéniable que l’exploitation des espèces parl’homme est très réductrice, les exploitants (agricul-teurs, jardiniers) ont parfaitement su garder la varia-bilité de celles-ci. En France, plus de 7 800 variétés, toutes espècesconfondues, étaient inscrites au Catalogue en 2004,avec près de 4 200 variétés destinées aux grandes cul-tures, plus de 2 200 variétés d’espèces potagères etplus de 1 400 variétés d’espèces fruitières et de vignesLe nombre des variétés a été multiplié par treize enquarante ans, si l’on considère les 135 espèces aujour-d’hui répertoriées au Catalogue.

© Jean-Claude N’Diaye/BIOSPHOTO

« La culture de tissus végétaux in vitro et les modifications génétiques au sens large, dont les prémices remontent au début dusiècle dernier, ont été les deux premiers piliers, techniques et conceptuels, des biotechnologies végétales. », culture de jeunespousses de blé transgénique in vitro.

066-70 Planchenault_Planchenault 08/02/13 17:10 Page67

Page 69: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

Plus spécifiquement, dans le monde entier, le nombredes variétés de blé existantes avoisinerait les 25 000.En France, plus de 200 variétés de blé tendre sont cul-tivées sur un total disponible de plus de 350. Ceschiffres sont révélateurs d’un dynamisme importantdes divers acteurs : les sélectionneurs (qui ont su pré-server la diversité), les agriculteurs (qui ont su préciserleurs besoins pour répondre aux demandes des indus-triels et des consommateurs).b) Le deuxième point découle des définitions donnéesdans la Convention sur la diversité biologique (CDB)de 1992. Celle-ci définit les ressources génétiquescomme « le matériel génétique ayant une valeur effec-tive ou potentielle », le matériel génétique étant lui-même défini comme « le matériel d’origine végétale,animale, microbienne (ou autre) contenant des unitésfonctionnelles de l’hérédité ». La définition des ressources génétiques est donc pluspointue que celle des ressources biologiques.Concrètement, pour ce qui concerne les végétaux, lesressources génétiques recouvrent les espèces (ou popu-lations) sauvages, traditionnelles ou primaires, et lesvariétés standardisées.Les ressources génétiques forment avec les écosys-tèmes et les espèces, les trois niveaux de la diversitébiologique (appelée aussi biodiversité). Elles com-prennent à la fois la diversité des gènes et desgénomes, ces combinaisons originales qui constituentun organisme et en déterminent la capacité d’évolu-tion et d’adaptation. En plus de cette informationgénétique, elles contiennent des éléments qui permet-tent à ladite ressource de s’exprimer de manière àsatisfaire à une demande ou de répondre à un besoin.La ressource génétique est donc à la fois matérielle etimmatérielle. Cette composante immatérielle estconstituée du travail de l’homme au cours des siècles.Elle recouvre les techniques de culture, de traitement,de récolte, de conservation, de transformation indus-trielle ou de préparation culinaire. Cet ensemble desavoir-faire apportés par l’homme permet de considé-rer les ressources génétiques végétales nationalescomme un véritable patrimoine national, qu’il fautgérer, protéger et valoriser.

L’INTÉGRATION DES DIVERS OUTILSDE LA SÉLECTION VÉGÉTALE

L’approche des outils servant à répondre aux besoinsde la sélection variétale peut être abordée à traversdeux périodes. La première, préscientifique, est trèslongue et va des débuts de l’agriculture jusqu’au XVIesiècle de notre ère. Sans avoir connaissance des modesde reproduction et des mécanismes génétiques en jeu,mais par une série de tâtonnements, d’essais et d’er-reurs successifs, l’agriculteur, en choisissant et en iso-lant les plants intéressants, a pu mettre en place une

amélioration empirique des variétés utilisées. Cettesélection s’exerçait sur des critères essentiellementvisibles (hauteur de la plante, précocité, largeur del’épi, etc.), mais aussi sur des critères plus subtils(goût, critères de panification, etc.) relevant du savoir-faire propre à l’agriculteur. Certains facteurs recher-chés, comme la résistance aux maladies, ne pouvaientêtre appréhendés qu’à la faveur d’une erreur ou del’apparition d’un pathogène, qui révélait les individusrésistants. Selon l’opportunité des « accidents », ilpouvait y avoir création d’une nouvelle variabilité, surlaquelle une nouvelle sélection allait s’opérer par lasuite. L’agriculteur progressait par défaut. Cette pério-de préscientifique a assuré le maintien d‘une impor-tante variabilité et a présidé à la mise en place de nosvariétés locales à partir desquelles s’est exercée notresélection moderne.La deuxième période, scientifique, quant à elle, se dis-tingue de la précédente en cela qu’elle débute avec lacompréhension de la reproduction et du système dereproduction des plantes, puis se poursuit avec l’in-troduction et l’acclimatation de plantes, comme, enFrance, le houblon, le mûrier, la canne à sucre, le riz,la tomate et la pomme de terre. Cependant, les diffé-rences immédiatement visibles restent, quoiqu’il ensoit, le résultat de croisements entre les espèces. Les avancées importantes réalisées qui reposent tou-jours sur la mise en évidence d’une variabilité, puisl’exercice d’un choix, n’auraient pas été possibles sansl’entrée en lice aux côtés des sciences agronomiques etde la biologie de la reproduction, des mathématiques,des statistiques et de l’informatique. La possibilité detravailler sur de grands échantillons a permis de nou-velles approches. Les choix ont pu être plus précis etcela a permis de détecter des croisements intraspéci-fiques.Ainsi, entre les hybridations naturelles interspéci-fiques (qui sont les seules à pouvoir être constatées àtravers les mutations apportant des modificationsimportantes au sein d’une espèce donnée) et les hybri-dations intraspécifiques réalisées par l’homme, il n’y apas de rupture. Il n’y en a pas davantage aujourd’hui,lorsque les outils modernes permettent de réaliser descroisements interspécifiques.La culture de tissus végétaux in vitro et les modifica-tions génétiques au sens large, dont les prémicesremontent au début du siècle dernier, ont été les deuxpremiers piliers, techniques et conceptuels, des bio-technologies végétales. Le premier utilise la multipli-cation végétative, qui est le propre de la quasi-totalitédes végétaux. Le second intensifie et met en évidenceles modifications du génome qui peuvent se produirenaturellement. Leur application aux processus desélection par croisements interspécifiques a permisl’obtention de nouvelles variétés. Leur utilisation dansles processus de mutagénèse, de transgénèse et degénie génétique introduit une nouvelle variabilité ausein des espèces et garantit les possibilités d’adaptation

LES SECTEURS INDUSTRIELS PORTEU

RS ET LEU

RS TECHNOLO

GIES-PH

ARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201368

066-70 Planchenault_Planchenault 08/02/13 17:10 Page68

Page 70: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

et de sélection des diverses espèces dans les milieux enconstante évolution. Le déchiffrage de plus en plusbanalisé des génomes par séquençage et les nouvellesméthodes d’appréciation des phénotypes ouvrent lechamp de la sélection génomique et de l’exploitationà haut débit de la diversité génétique des espèces.La mise au point des principaux outils mis en jeu par-ticipe au développement des connaissances. Si lasélection, l’hybridation, la mutagénèse et même, dansune certaine mesure, la transgénèse reposent sur desprocessus naturels, ceux-ci se produisent soit à unrythme très lent, soit avec une probabilité très faible.Seules, leur accélération et leur amplification ne sontdonc pas « naturelles ». Il convient donc de s’interro-ger non pas sur les outils eux-mêmes, mais sur l’utili-sation qui en est faite. Cette réflexion est essentielle.

LES ENJEUX ET LES PISTES ENVISAGEABLESPOUR LES RELEVER

Pour nourrir le monde en 2050, la production ali-mentaire mondiale devra avoir augmenté de 70 % parrapport à aujourd’hui. Mais la société n’attend pas del’agriculture qu’elle se borne à nourrir les hommes,elle lui demande également de préserver l’environne-ment, de maintenir la biodiversité, de préserver lesressources en eau, de produire une part de l’énergie etde fournir des aliments de qualité, voire « médica-menteux ». Ces demandes sont en lien avec des aspi-rations plus générales : le développement durable, lechangement climatique, la préservation de la planète,le respect des générations futures, etc. Le challenge àrelever est important. Mais l’amélioration variétalen’est pas la seule voie possible. Les techniques agrono-miques apportent, elles aussi, des solutions, qui peu-vent être transitoires et partielles, mais qui bien sou-vent nécessitent des semences adaptées. Une action auniveau des semences apparaît être un levier judicieuxet pertinent pour apporter une partie des réponses auxdéfis à relever.La société a développé à la fois des exigences en matiè-re de qualité de vie et une peur vis-à-vis des nouveauxaliments consommés issus des biotechnologies(risques, à plus ou moins long terme, d’allergies, detumeurs bénignes, voire de cancers). Ces deuxconstats nous placent dans une situation ambiguë.D’un côté, la société souhaite restreindre l’utilisationde certains outils biotechnologiques pour la produc-tion des produits alimentaires, tout en gardant desexigences fortes. De l’autre, les acteurs de la filière(chercheurs, obtenteurs, semenciers, agriculteurs) neveulent pas être freinés dans l’atteinte de leurs objec-tifs, ni dans le choix des outils mis à leur disposition.Pour rompre cette incompréhension, un véritablecercle vertueux d’échanges doit s’établir entre la socié-té et les acteurs des biotechnologies, avec l’État

comme arbitre. Compréhension et transparence sontalors les deux maîtres-mots. L’homme a marqué de son empreinte quasimenttoutes les espèces végétales qui sont utilisées dansl’agriculture et dans l’alimentation. Il faut égalementy ajouter les plantes qui participent à notre santé, ànotre cadre de vie et à nos loisirs (plantes médicinales,plantes à parfum, plantes potagères, fleurs, gazon).Toutes les espèces végétales domestiques sont sou-mises à un processus d’amélioration et sont appelées àêtre « travaillées » au moyen de l’ensemble des outilsde sélection disponibles. Il apparaît dès lors essentielnon seulement de savoir comment une nouvelle varié-té est produite, mais aussi et surtout pourquoi ellel’est. Cette connaissance passe par une gestion organi-sée des ressources génétiques végétales qui s’intègredans une véritable stratégie nationale de développe-ment agronomique répondant aux attentes de lasociété.

UNE NOUVELLE RESPONSABILITÉ

Au cours des vingt prochaines années, de nouvellesvariétés végétales arriveront sur le marché. Il est fortprobable que nous aurons des tomates plus riches encarotènes, des céréales moins gourmandes en intrantsagricoles, des maïs résistants à la sécheresse, des fraisesplus sucrées ou des pommes résistantes aux princi-pales maladies. Ce sont les orientations actuelles denotre société. Cependant, il reste utopique de croirequ’il serait possible de connaître les diverses variétésculturales qui sont en cours de création, de réalisation,de sortie ou même, plus simplement, en projet.Faudra-t-il interdire les fleurs bleues lorsqu’elles sontnaturellement blanches ou roses ? Faudra-t-il régulerles « alicaments » qui se situent au croisement de lanutrition et de la santé, alors que ces denrées promet-tent non seulement de nous nourrir, mais égalementde nous soigner ? Les milieux scientifiques, techniques et économiquesdirectement concernés ont sous-estimé les risquescroissants liés aux interactions entre l’écologie et l’éco-nomie. Aujourd’hui, le danger d’une érosion biolo-gique accélérée constitue pour les équilibres de la pla-nète un handicap majeur reconnu. La Convention surla diversité biologique (CDB) met l’accent sur desthèmes à la fois scientifiques, techniques, écono-miques et réglementaires, qui mêlent tout naturelle-ment coopération fraternelle et compétition impi-toyable. Dans le domaine agricole, et plusparticulièrement dans celui des ressources phytogéné-tiques, elle joue un rôle stratégique.La France y joue un rôle majeur, de par son histoire etsa situation géographique. Elle doit répondre auxengagements qu’elle a pris lors de la signature de laCDB. Elle doit adopter une nouvelle posture pour

DOMIN

IQUE PLANCHENAULT

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 69

066-70 Planchenault_Planchenault 08/02/13 17:10 Page69

Page 71: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

LES SECTEURS INDUSTRIELS PORTEU

RS ET LEU

RS TECHNOLO

GIES-PH

ARE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201370

que les termes de ressources génétiques, de patrimoi-ne, de gènes, de combinaison de gènes, de réponse àdes besoins, d’adaptation, d’évolution, etc. soientcompris de tous. Des actions d’éducation sont en cesens primordiales.Un gène, dans ces multiples expressions, ou une com-binaison de gènes permettent une adaptation à unmilieu naturel donné et apportent une réponse à unedemande humaine. Mais dans un milieu changeant etface à une demande évolutive, il n’y a pas de bonnecombinaison, ni de bonne expression d’un gène. Il y aun choix compris de tous (grâce à des actions de for-mation) à un instant donné. Mais comment conserver ce qui ne s’exprime pas ?Comment conserver une résistance à une maladie sicelle-ci n’est pas encore connue ? La conservationdevient alors une stratégie qui trouve un juste équi-libre entre ce qu’il faut conserver et les moyens àmettre en œuvre pour ce faire. Un effort de dialogues’impose dans les divers domaines de la recherche, del’enseignement, de l’agriculture, de l’industrie, del’environnement, de la santé, de la coopération, etc.L’objectif, c’est l’émergence sur le terrain, et pas seule-ment dans les organigrammes, d’un réseau qui puisseaider ses membres à réfléchir et à avancer ensemble.Ce réseau doit devenir crédible aux yeux des autorités,des médias et de l’opinion publique, ainsi qu’à l’étran-ger, en rassemblant les acteurs capables de participeraux projets internationaux.L’absence, en France, d’une politique nationale pourla gestion et la conservation des ressources génétiques

constitue un handicap pour la participation desFrançais à l’élaboration d’une véritable stratégie mon-diale en la matière.Il y a moins d’un siècle, la vitesse des trains faisaitpeur. Depuis, le TGV est devenu une fierté nationale.Aujourd’hui, la génétique fait peur. Mais plus que lesgènes ou les outils utilisés, c’est l’idée que les hommesse font des ressources génétiques qui pose problème. Ily a un quart de siècle, les gènes étaient vus comme deséléments stables détenteurs de notre hérédité. Ils sontdevenus des éléments que l’on transporte et que l’ontransforme, qui témoignent et révèlent et, enfin, quis’adaptent et assurent l’avenir. Il n’y a pas eu change-ment, mais révolution dans la perception de nos res-sources génétiques. La société réclame un accompa-gnement dans les transformations qui peuvent encorese produire en matière de ressources génétiques. Àl’exercice des responsabilités se substitue le temps desexigences sociétales.Il est important que la France se dote d’un observa-toire de la diversité des ressources génétiques. Il doitpermettre de répondre aux principales contraintesinhérentes à la gestion des ressources génétiques ani-males, végétales et microbiennes (1).

(1) D’après Les biotechnologies et les nouvelles variétés végétales – Ministèrede l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt/CGAAER –Dominique Planchenault, coordonnateur du groupe de travailBioPaGe/Rapport n°10157, juin 2012.

066-70 Planchenault_Planchenault 08/02/13 17:10 Page70

Page 72: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

L oin d’avoir échappé à la pesanteur, nous sommestoujours soumis aux lois écologiques qui régissenttoute forme de vie. Selon la moins révocable de

ces lois, une espèce ne peut occuper une niche écologiqueet s’emparer de toutes ses ressources : un certain partage estnécessaire. Toute espèce qui ignore cette loi finit pardétruire sa communauté pour nourrir sa propre expan-sion », Janine Benyus, Biomimétisme, 1998.« La preuve que les biens naturels sont inépuisables, c’estque nous pouvons les obtenir gratuitement », Jean-Baptiste Say.

LA BIOÉCONOMIE, UNE STRATÉGIE ANTI-CRISES ?

Le 13 février 2012, la Commission européennepubliait une stratégie intitulée « Innover pour unecroissance soutenable : une bioéconomie pourl’Europe ». Cette réflexion se fondait sur la finitudedes ressources terrestres face aux plus de 9 milliardsd’êtres humains attendus pour 2050, alors que lapopulation actuelle, qui est de 7 milliards d’habitants,laisse déjà se profiler des impasses redoutables : mise àmal des régulations planétaires fondamentales, tellesque le climat et les écosystèmes ; tensions (dans cer-tains cas à l’échéance de quelques années seulement)sur des ressources minérales indispensables aux nou-

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 71

Les contoursd’une bioéconomiesoutenable

Les matériaux et processus dits « biosourcés » suscitent un énormeintérêt au plan mondial, tant chez les acteurs privés que publics. Eneffet, ces matériaux, théoriquement renouvelables, sont susceptiblesde remplacer des ressources épuisables ou confiscables, tandis queles processus pourraient être moins nocifs que leurs prédécesseursconventionnels pour la santé et l’environnement, que ce soit dansl‘industrie ou l‘agriculture. Certes, mais se précipiter dans la bioéconomie (c’est-à-dire dansl’économie du vivant) en ayant cette seule vision réductrice et en conservantles raisonnements de l’économie du minéral, nous exposerait non seulementà de rapides déconvenues, mais encore à des dommages supplémentairessérieux. Il s’agit donc non seulement de science, mais aussi de culture.

Par Dominique DRON*EN

JEUX ÉC

ONOMIQUES,

STRA

TÉGIQUES ET NOUVELLES

FRONTIÈRES SOCIÉTA

LES

* Mission Financement de la transition écologique. PrécédemmentCommissaire générale et Déléguée interministérielle au Développementdurable.

«

71-77 Dron_Dron 07/02/13 14:10 Page71

Page 73: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

velles technologies ; perspectives proches de manqued’eau pour deux, puis trois milliards de Terriens (enparticulier autour du bassin méditerranéen, dans lesud des Etats-Unis et sur la ceinture tropicale asia-tique) ; destructions rapides de sols fertiles et de leursource première que sont les zones humides et lesforêts ; disparition des espèces vivantes par surexploi-tation ; pollution et destruction des habitats natu-rels… Malgré les progrès technologiques et en dépitdes difficultés économiques récentes, les consomma-tions et pollutions anthropiques se sont amplifiées defaçon accélérée. Il reste utile de rappeler, par exemple,à l’instar de l’OCDE et de la FAO, que les pollutionsazotées mondiales ont crû de 30 % ces trente der-nières années, que les trois quarts des espèces pêchéessont en voie d’extinction ou en limite d’exploitabilité,et que, depuis 1970, les émissions de gaz à effet deserre ont augmenté de 80 %, alors que dans le mêmetemps l’intensité énergétique de la croissance dimi-nuait de 30 %.Le tableau est connu, les processus sont observés etmesurés. La pression globale sur l’espèce humaine estréelle (1). Pour répondre à la menace émanant desrejets de CO2, des déchets, des polluants non recy-clables et de l’épuisement des ressources minérales, lamatière vivante apparaît comme un recours : élaboréeà partir des substances les plus répandues, a priorirenouvelable, censée être recyclable et non génératricede rejets toxiques, capable de remplacer des composésorganiques et minéraux épuisables, soulageant desdépendances géopolitiques accentuées, d’une diversitéinouïe de structures et de propriétés, la matière orga-nique et ses processus naturels de fabrication offrenttoutes les caractéristiques d’un alambic ayant bénéfi-cié de millions d’années de perfectionnements,d’adaptation, de spécialisation et de… durée. Il s’agit pour la Commission européenne d’assurer lasécurité alimentaire européenne, de gérer durable-ment les ressources renouvelables ou non, de réduirela dépendance de l’Union vis-à-vis des matières nonrenouvelables, de lutter contre le changement clima-tique et de s’y adapter, de créer des emplois et de pré-server la compétitivité européenne. En commençant,bien sûr, par le remplacement des hydrocarbures– charbon, pétrole et gaz – par des produits dont l’ori-gine planctonique ou végétale rend leurs chaînes aro-matiques et aliphatiques proches de celles du vivant.La capacité des plantes à repousser fait des végétaux,au regard du protocole de Kyoto, une source d’éner-gie conventionnellement neutre du point de vue cli-matique. Certains ont déjà eu l’occasion de discuterce point, qui, s’il était avéré, rendraient neutres lesincendies de forêts, alors que ceux-ci sont respon-sables d’une partie des 18 à 20% des émissions mon-diales de gaz à effet de serre liées aux activités agricoleset forestières (2). La Commission européenne entendintroduire le recours aux matières organiques rudé-rales, terrestres et marines, aussi bien pour l’énergie, la

chimie et les produits industriels, que pour la nourri-ture animale et humaine. Elle estime qu’un euro enga-gé aujourd’hui dans cette direction lèverait 10 eurosde valeur ajoutée en 2025. Les marchés, annoncés àbrève échéance, sont colossaux.Les liens de la bioéconomie sont étroits avec la poli-tique agricole commune, la politique de cohésion et lapolitique marine de l’Union européenne, mais aussiavec sa Stratégie 2020 et son programme de rechercheHorizon 2020, ainsi qu’avec la capacité de l’Unioneuropéenne à tenir son rang dans le monde en matiè-re d’innovation et d’activités. Le plan de laCommission européenne en matière de bioéconomiecomporte trois volets : a) recherche et innovation,pour lesquelles les fonds publics et privés sont sollici-tés, b) développement des marchés et de filières deproduction adaptées à partir d’une « intensificationsoutenable » de la production agricole et forestière etd’un recyclage plus systématique des déchets orga-niques et, enfin, c) soutien politique et réglementaire(on pense notamment au rôle structurant que jouentla réglementation et les marchés publics pour toutdéveloppement techno-économique) et facilitationdes regroupements d’acteurs. Plusieurs milliards sont proposés, dans le cadred’Horizon 2020, pour soutenir ces développements.Les secteurs ciblés comportent toutes les activités àbase biologique directe (agriculture, pêche, foresterie),ainsi que la papeterie, la chimie, l’alimentation, lesbiotechnologies et l’énergie. Non seulement l’Europe,mais aussi les Etats-Unis, la Chine, le Brésil, l’Afriquedu Sud, la Corée du Sud…, se sont engouffrés dansl’utilisation accrue de la matière organique à des finsciviles ou militaires (en particulier les « carburantsaériens »).

LE MEILLEUR, OU LE PIRE ?

Cette attention soudain généralisée tournée vers lamatière vivante porte, en elle, le meilleur comme lepire. Le meilleur, au sens où mieux vaut, bien sûr, setourner vers des procédés moins destructeurs, moinspolluants, et, pour beaucoup d’entre nous, découvrirl’ingéniosité infinie des fonctionnements et des régu-lations des espèces et des écosystèmes affinés par desmilliers d’années d’essais-erreurs. Le pire, au sens où larenouvelabilité, sans que les conditions du ménage-ment qui la rendent possible soient réunies, n’est que

72 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013

ENJEUX ÉCONOMIQUES, STR

ATÉG

IQUES ET NOUVELLES FRONTIÈRES SOCIÉTA

LES

(1) L’OCDE parle de “global survival strategy” dans son EnvironmentalOutlook 2012. A lire également : Effondrement : comment les civilisationschoisissent de survivre ou de disparaître, de Jared Diamond, 2006.

(2) RABL (A.), BENOIST (A.), DRON (D.), PEUPORTIER (B.),SPADARO (J.) & ZOUGHAIB (A.), How to account for CO2 emissionsfrom biomass in an LCA, Int J LCA 12 (5) 281, juin 2007.

71-77 Dron_Dron 07/02/13 14:10 Page72

Page 74: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

théorique, et où considérer « la biomasse » comme ungisement inerte à exploiter en se livrant à nouveau àun pillage aveugle ne conduirait qu’à aggraver desdégâts que l’on cherche à atténuer. En effet, qui dit « bio » ne dit pas forcément soute-nable. Ainsi, au pire, les cultures conventionnelles deplantes-carburants accélèrent l’appauvrissement dessols et la disparition des espèces vivantes (commelorsque l’extension du palmier à huile est source dedéforestation en Indonésie) et, au mieux, prolongentles pratiques culturales érosives et polluantes clas-siques, sans se soustraire non plus au risque d’un épui-sement des phosphates minéraux ni aux tensions surl’eau disponible. Doubler ou tripler les usages indus-triels de la matière organique dans le monde ne peuts’envisager de façon raisonnable sans systématiser uneméthode d’obtention qui préserve et renouvelle lessols, et n’excède pas les ressources en eau véritable-ment disponibles. Cela d’autant plus que, pourdiverses raisons, le rythme d’élévation des rendementsagricoles, en moyennes mondiales glissantes sur 10ans, ne cesse de ralentir, passant de 3,5 % en 1971 à1,3 % en 2007, pendant que le taux de croissance dela population glisse seulement de 2 % à 1,3 %, entre1994 et 1999, Une étude de la FAO de 2010 (étuderéalisée sur la période 1994-1999) montre qu’enChine, au Vietnam, en Thaïlande, en Inde, enIndonésie, la montée des températures minimalesjournalières a déjà réduit les rendements agricoles de10 à 20 % durant le dernier quart du XXe siècle.Il serait trop long d’aborder ici les vraies et les faussespromesses des biotechnologies végétales en la matière,qui exigent de mettre en regard non seulement lesconditions socio-économiques et les techniques d’ob-tention des produits, mais également les stratégies desdifférents acteurs et les ordres de grandeur en causeentre les approches agronomiques, d’une part, et lesgains publiés et les questions soulevées, d’autre part.En tout état de cause, nulle issue n’est à attendre de labioéconomie, qui repose sur le vivant, sans une priseen compte des conditions nécessaires à ce dernierpour se renouveler. Cet apparent truisme n’est pasaussi répandu dans les esprits qu’il serait logique de lepenser.Enfin, qu’il s’agisse de bioéconomie ou juste de l’aug-mentation des besoins d’une humanité en croissancese voulant, en moyenne, de plus en plus mobile et deplus en plus carnivore, l’intérêt des terres cultivables,des forêts (source de régulations et de productionsdiverses) ou simplement des écosystèmes encorecapables d’assurer ce renouvellement du vivant, àcommencer par les habitats des pollinisateurs indis-pensables à toutes les plantes à fleurs, cultivées ounon, n’a pas échappé aux entreprises, ni aux Etats :ainsi, entre 2006 et 2009, ce sont de 15 à 20 millionsd’hectares agricoles que les pays pauvres ont cédés àdes acteurs publics ou privés originaires de pays tiers.Le rythme de ces cessions s’est intensifié depuis, et

elles se sont généralisées à l’ensemble des pays dumonde qui acceptent de louer ou de vendre leursterres, ce qui se reflète dans l’évolution des prix desterrains : ainsi, en France, la valeur de l’hectare de préou de terre libre a grimpé de 42 % depuis 1997, etcelle de l’hectare de terre déjà loué de 25 %. Dans lemonde, selon la Fédération Nationale des SAFER(société d’aménagement foncier et d’établissementrural), ce serait quelque 71 milliards d’hectares (cor-respondant à 1 200 transactions) qui, depuis 2000,auraient changé de mains.

MIMER LA NATURE POUR DURER

Non directement visée par la Commission européen-ne, et néanmoins prometteuse, l’approche biomimé-tique ou éco-mimétique consiste à s’inspirer des pro-cessus et matériaux naturels pour en reproduire le pluspossible les caractéristiques conjointes de performan-ce et de soutenabilité (3). En quelques exemples, le biomimétisme, aujourd’hui,c’est déjà :– fabriquer du verre en tirant parti du processus desynthèse de fibres de silice mis au point par leséponges des fonds marins ;– améliorer la régulation thermique des bâtiments ens’inspirant du système de ventilation des termitières ;– développer des revêtements autonettoyants à partirde l’étude de la microstructure des feuilles de lotus ;– concevoir des structures légères et durables en« copiant » certains réseaux tridimensionnels naturels ;– constituer, à l’échelle du bâtiment ou de l’îlot, dessystèmes d’échange circulaire de matière et d’énergie,où les « rejets » des uns servent de « matière premiè-re » à d’autres, en s’appuyant sur les modes d’organi-sation des écosystèmes.Cela pourrait aussi être de savoir fabriquer, à pressionet à température ambiantes, à partir de substancescourantes et sans rejets toxiques l’équivalent du fild’araignée, qui est composé d’une seule macromolé-cule géante aux propriétés de résistance et d’élasticitébien plus étendues que celles des matériaux connusfabriqués à grand renfort d’énergie. Cela pourrait êtreaussi de savoir élaborer, plutôt que des céramiques exi-geant des acides agressifs et de hautes températures,des matériaux d’une résistance équivalente en s’inspi-rant de la structure des coquilles d’ormeaux décritepar Janine Benyus. Le principe directeur, capable derenouveler fortement l’innovation en matière de pro-cédés, en serait non plus « de combien puis-je amélio-rer la performance ou la sobriété de ce procédé indus-triel existant ? », mais « de combien, en termes de

DOMIN

IQUE D

RON

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 73

(3) Janine BENYUS, Biomimétisme, quand la nature inspire des innovationsdurables, , 1998.

71-77 Dron_Dron 07/02/13 14:10 Page73

Page 75: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

soutenabilité, suffit-il de dégrader le processus naturelparfaitement soutenable qui conduit aux caractéris-tiques souhaitées pour en faire un système industriali-sable ? »En matière agricole, l’écomimétisme consiste égale-ment à partir de la capacité d’un écosystème donné àproduire énormément de matière organique tous lesans sans intrants, et à se poser la question non pas dece qu’il faut apporter à un terrain débarrassé de toutpour y faire pousser quelque chose, mais de ce qu’ilsuffit de déplacer, ou de modifier, dans les fonction-nements de l’écosystème observé, pour obtenir unequantité suffisante de cultures utiles. C’est ainsi queplusieurs universités (notamment américaines) onttravaillé depuis les années 1980. Avec beaucoup deretard sur le plan académique, et ce malgré l’existencede quelques chercheurs et groupes de praticiensdepuis longtemps passionnés, la France s’intéresse, ànouveau, aux successions et aux associations deplantes capables de renouveler les sols et de réduire lesdommages des ravageurs, ainsi qu’aux interactionsencore mésestimées entre les arbres et les cultures (4).Les rendements obtenus sont intéressants, parfois

supérieurs à l’hectare par rapport à ceux des pratiquesconventionnelles, notamment par l’association de cul-tures. Bien entendu, la mécanisation doit être adap-tée, la technicité et les connaissances exigées sont pluspointues et plus diverses, et le travail humain est plusimportant à l’hectare, mais pas à la journée. Mais l’hu-manité manque-t-elle vraiment de bras et de compé-tences ?

LA FRANCE, À LA FOIS SUIVEUSE ET PIONNIÈRE

La France, qui est un pays d’agriculteurs et d’ingé-nieurs, a d’abord regardé avec intérêt et méfiance, à lafaveur des chocs pétroliers, puis dans les années 1990,les perspectives offertes par les énergies à base végéta-

ENJEUX ÉCONOMIQUES, STR

ATÉG

IQUES ET NOUVELLES FRONTIÈRES SOCIÉTA

LES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201374

© Pascal Goetgheluck/BIOSPHOTO

« Le biomimétisme, aujourd’hui, c'est déjà… développer des revêtements autonettoyants à partir de l'étude de la microstructuredes feuilles de lotus », tissus hydrophobe inspiré de la feuille de lotus.

(4) Voir les travaux de l’Association Française d’Agroforesterie et les résul-tats du programme européen SAFE (Silvoarable Agroforestry for Europe),RDT Info n°43, novembre 2004, pp. 36-39, coordonnés par l’INRA. Destravaux qui étonnamment n’ont été redécouverts qu’en 2012, mais quin’ont pas eu d’effets apparents sur les négociations PAC.

71-77 Dron_Dron 07/02/13 14:10 Page74

Page 76: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

le, déchets ou matière première : « biomasse » desréseaux de chaleur et des poêles à bois, agrocarburantsde première génération, combustibles industriels desubstitution. Sans refaire l’histoire, observons que lesagrocarburants ont été contestés sur la base de leurconcurrence surfacique avec les cultures alimentaires,et des analyses de leurs cycles de vie, dont les résultatsvarient beaucoup selon le périmètre et le type des cul-tures analysées (5). Les projets industriels de carburants de deuxièmegénération (utilisant des cultures ou des ressourceslignocellulosiques non alimentaires) ont été très pré-sents dans les premiers choix des Investissementsd’Avenir ainsi que dans les programmes de recherched’institutions, comme l’IFPen, l’INRA ou le CEA.Les molécules tirées des cultures algales y sont aussitrès présentes, ainsi que les biotechnologies.Comme Commissaire générale au Développementdurable, j’ai fait établir, en 2011, sous l’égide duCommissariat, un panorama du biomimétisme enFrance (6), lequel a été suivi le 10 décembre 2012,d’un colloque sur les recherches bio-inspirées qui aréuni chercheurs, praticiens, sociologues et philo-

sophes. Cela montre que, si la France possèdequelques groupes fertiles de chercheurs sur ces sujets(7), les interfaces interdisciplinaires qu’ils exigent res-tent de fait mésestimées par les institutions de larecherche, alors que l’Allemagne investit annuelle-ment plusieurs millions d’euros publics depuis dix anset dispose d’une feuille de route complète sur cessujets, que la Chine s’en dote également, que les Etats-Unis et le Royaume-Uni s’y sont lancés depuis long-temps... Ignorer ou minorer plus longtemps ceschamps d’investigation serait plus que dommageable.

DOMIN

IQUE D

RON

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 75

© Martin Jehnichen/LAIF-REA

« Le biomimétisme pourrait aussi être de savoir fabriquer, à pression et à température ambiantes, à partir de substances couranteset sans rejets toxiques l’équivalent du fil d’araignée, qui est composé d’une seule macromolécule géante aux propriétés de résistan-ce et d’élasticité bien plus étendues que celles des matériaux connus fabriqués à grand renfort d’énergie. », production de fild’araignée synthétique, Faculté d’ingénierie et des sciences de Bayreuth (Allemagne), novembre 2009.

(5) BENOIST (A.), DRON (D.) & ZOUGHAIB (A.), “Origins of thedebate on the life-cycle greenhouse gas emissions and energy consumptionof first generation - A sensitivity analysis approach”, Biomass andBioenergy, février 2012. À titre d’exemple, la Beauce a perdu plus du tiersde sa matière organique en quarante ans.

(6) Hermine DURAND, Etude sur la contribution du biomimétisme à latransition vers une économie verte en France : état des lieux, potentiels, leviers,12 février 2012.

(7) À paraître, les actes du colloque du 10 décembre 2012, Recherches bio-inspirées, une opportunité pour la transition écologique ?, CGDD/MNHN.

71-77 Dron_Dron 07/02/13 14:10 Page75

Page 77: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

Trois exemples remarquables de biomimétisme ayantdonné lieu à dépôts de brevets montrent ce que peu-vent réussir des laboratoires français n’ayant pas craintl’interdisciplinarité, ni parfois la marginalisation.L’institut Hubert Curien, dirigé par Yvon Le Maho, adécouvert (à partir de l’observation éthologique desmanchots de Terre Adélie) des peptides permettant àces oiseaux marins de conserver dans leur estomac, àla température corporelle, le poisson frais pendantune dizaine de jours : des molécules qui pourraientrévolutionner la chaîne du froid. À l’UniversitéMontpellier 2, le laboratoire de Claude Grison amontré que les molécules organiques permettant à desplantes de stocker abondamment des métaux toxiques(arsenic, cuivre, zinc...) présents dans des terrains pol-lués s’avéraient également des catalyseurs de réactionsinédites, voire des molécules anticancéreuses. Au labo-ratoire de Vincent Artero (CEA), les hydrogénases Fe-Ni des processus de photosynthèse se sont révéléesêtre d’aussi bons catalyseurs des transformations del’hydrogène (H+/H2) que le platine, un métal cher etépuisable (8). Malheureusement, pour des raisonssemble-t-il culturelles, ces sujets d’interface entre éco-

logie, biologie et physico-chimie n’intéressent quepeu, dans l’ensemble, les institutions françaises.

LES GRANDS OUBLIÉS DE LA BIOÉCONOMIE :LES ÉCOSYSTÈMES !

Retranchés dans leurs univers urbains, les hommesoublient volontiers leur dépendance vis-à-vis des éco-systèmes et des services que ceux-ci leur rendent (9).À titre d’exemple, le service économique duCommissariat général au Développement durable aréévalué en 2010-2012 l’ensemble des fonctionsassurées par les zones humides, que le drainage, lesmises en culture et l’urbanisation réduisent rapide-ment : protection anti-inondations, stockage impor-tant de carbone, épuration des eaux, alimentation des

ENJEUX ÉCONOMIQUES, STR

ATÉG

IQUES ET NOUVELLES FRONTIÈRES SOCIÉTA

LES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201376

© BIOSPHOTO-BJORN RORSLETT-SCIENCE PHOTO LIBRARY

« À l'Université Montpellier 2, le laboratoire de Claude Grison a montré que les molécules organiques permettant à des plantesde stocker abondamment des métaux toxiques (arsenic, cuivre, zinc...) présents dans des terrains pollués s'avéraient également descatalyseurs de réactions inédites, voire des molécules anticancéreuses. », Noccaea caerulescens, plante « hyper accumulatrice »de métaux lourds.

(8) Ibidem.

(9) Biodiversité, services compris, Conseil scientifique du patrimoine natu-rel et de la biodiversité, 2012.

71-77 Dron_Dron 07/02/13 14:10 Page76

Page 78: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

nappes phréatiques, entretien d’espèces pêchables etchassables, ressources génétiques... La méthode actu-alisée reconnue par l’OCDE les estime à entre 2 400et 4 400 euros par hectare et par an (10) (les tour-bières du Cézallier pouvant dépasser 22 000 euros parhectare, selon l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne).Quelles que soient les promesses des processus tirés duvivant, les ressources de ce dernier ne sont pas inépui-sables, contrairement à une perception encore troprépandue. Parmi d’autres, les exemples de la pêche etdes sols rendus phytotoxiques ou stériles montrentque l’humanité sait très bien épuiser des ressources apriori renouvelables ! La demande d’eau doucedevrait, quant à elle, augmenter de 55 % entre 2012et 2050 (OCDE, 2012) pour pouvoir répondre auxbesoins croissants des industries manufacturières, dela production d’électricité thermique et des ménages,et les quantités d’eau consacrées à l’agriculturedevraient croître de 25 à 50 % à l’horizon 2050 pourpouvoir nourrir une population toujours plus nom-breuse menaçant très sérieusement non seulementl’équilibre des aquifères, mais aussi les écosystèmescorrespondants et les autres régulations et ressourcesqu’ils représentent. Avec 9 à 10 milliards d’habitants d’ici à moins de qua-rante ans, la sobriété des processus, même « biosour-cés », et le ménagement des écosystèmes restent doncdes exigences générales et vitales. Jusqu’ici, curieuse-ment, l’entretien des conditions du vivant – ou, pourle dire plus techniquement, la maintenance des ser-vices écosystémiques (sols, eau, pollinisations, renou-vellement des chaînes trophiques...) – n’est pas enco-re apparu comme un volet à part entière de labioéconomie : tout ne se fera pourtant pas en cuvesfermées...En outre, se reposer davantage sur des ressources bio-logiques, en dehors de ce qui peut se pratiquer enréacteurs avec des microorganismes, cela demanded’articuler un schéma industriel classique, où sontrecherchées permanence et standardisation, avec dessources de production qui dépendent des « éco-

logiques », par exemple des saisons, des variations cli-matiques et de l’état des écosystèmes avoisinants. Dans un univers où la ressource n’était pas limitante,l’aval pouvait exiger de l’amont qu’il se plie à sa proprestandardisation et passe par pertes et profits variationset dégâts éventuels. Dans le monde dans lequel noussommes entrés, nous pourrions bien être contraintsd’inverser ce raisonnement en faisant preuve de prag-matisme. Enfin, la bioéconomie intensifie les intrusions dans lesfonctionnements des êtres vivants, notamment dansceux du corps et du cerveau humain, parfois en sui-vant des logiques dangereusement réductionnistes, latentation de l’action conduisant parfois à négliger lescomplexités réelles (11). C’est dire que la société doit aussi avoir son mot à diresur l’expansion et les usages effectifs des technologiesqui en émergent, au-delà du fait qu’une économiefondée sur l’exploitation du vivant doit d’abord sesoucier d’en entretenir les conditions de … vie !Ainsi, la bioéconomie constitue non seulement unbeau défi à relever pour les scientifiques, les ingénieurset les économistes, mais aussi une véritable révolutionculturelle.

DOMIN

IQUE D

RON

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 77

(10) Quelques parutions du Commissariat général au Développementdurable (SEEIDD/ERNR) : – Évaluation économique des services rendus par les zones humides -Enseignements méthodologiques de monétarisation (Études et Documents,2011).– Les méthodes et les valeurs de référence pour la valorisation des services ren-dus par les zones humides (Le Point Sur, 2011).– Évaluation économique des services rendus par les zones humides -Complémentarité des méthodes de monétarisation (Études et Documents,2011).– Actes du séminaire « Monétarisation des biens et services environnemen-taux » (Études et Documents, 2011).– Spatialisation des valeurs monétaires des services rendus par les forêts enFrance (Études et Documents, 2011).– Évaluation des fonctions écologiques des milieux en France (Études etDocuments, 2010).

(11) À lire absolument : La réforme du vrai, de Gérard NISSIMAMZALLAG, Editions de la Fondation pour le Progrès de l’Homme,2010.

71-77 Dron_Dron 07/02/13 14:10 Page77

Page 79: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

À côté de son exploitation pour la satisfactiondes besoins alimentaires de l’humanité, la bio-masse donne lieu à des usages non alimen-

taires susceptibles d’absorber une fraction croissantedes ressources disponibles et d’orienter, en consé-quence, les choix d’affectation des sols (déforestation,nouvelles cultures…). Diverses filières se sont ainsi récemment constituéesdans les domaines de l’énergie (production d’électrici-té et de chaleur, biocarburants), des nouveaux maté-riaux (fibres) ou encore de la chimie (chimie dite bio-sourcée). Des incitations publiques ont été mises en place pourcertaines de ces filières (énergies renouvelables) dontles bilans économiques et environnementaux sont dis-cutables, alors même que se renforcent des contraintesnouvelles liées aux objectifs d’efficacité énergétique oud’atténuation du changement climatique (via la tran-sition vers une économie décarbonée).Il est indispensable que des régulations efficacesaccompagnent le développement de ces filières. À défaut, de graves déséquilibres peuvent apparaîtredans l’utilisation des terres et des ressources agricoleset sylvicoles, au détriment des exigences de durabili-té (renouvellement des peuplements forestiers ; pré-

servation de la qualité des sols, des ressourceshydriques, de la biodiversité ; réduction des émis-sions de gaz à effet de serre…). Des risques d’évictionde certaines activités de transformation peuvent aussiapparaître, avec leurs effets négatifs sur la compétiti-vité et l’emploi. À l’inverse, des stratégies équilibrées combinant inno-vations technologiques et respect des contraintes d’ex-ploitation durable des ressources primaires peuventfavoriser la revitalisation des territoires, grâce notam-ment à de nouvelles formes d’organisation agro-industrielle (les bio-raffineries, par exemple) optimi-sant la valeur créée par les activités agricoles etsylvicoles en amont, tout en y incluant la valeur desservices éco-systémiques auxquels ces nouvellesformes d’organisation contribuent.Ce rapport, établi à la demande des décideurs publics,mais élaboré en concertation avec toutes les profes-sions concernées, constitue une contribution à l’effortcollectif de réorientation de l’économie vers un déve-loppement plus durable : les nouveaux usages de labiomasse, dans toute leur diversité, contribuent, dès àprésent, à faire émerger la bioéconomie.

Les usagesnon alimentairesde la biomasse

Rapport conjoint du Conseil général de l’Alimentation, del’Agriculture et des Espaces ruraux (CGAAER), du Conseil généralde l’Environnement et du Développement durable (CGEDD) et duConseil général de l’Économie, de l’Industrie, de l’Énergie et desTechnologies (CGEIET) (Septembre 2012).

Par Christophe ATTALI*

ENJEUX ÉCONOMIQUES,

STRATÉGIQUES ET NOUVELLES

FRONTIÈRES SOCIÉTALES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201378

* Ingénieur général des Mines en fonction au CGEIET.

078-79 Attali_Attali 08/02/13 17:11 Page78

Page 80: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

CHRISTOPHE ATTALI

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 79

La synthèse de ce rapport rédigée par M. ChristopheAttali, ingénieur général des Mines en fonction auCGEIET, est disponible sur le site des Annales desMines à l’adresse suivante :http://www.annales.org/ri/2013/ri_fevrier_2013/Synthese-rapport-usages-biomasse.pdfLe rapport public (composé de deux tomes) est, quantà lui, consultable en ligne sur le site Internet du Conseilgénéral de l’Économie, de l’Industrie, de l’Énergie etdes Technologies (CGEIET) aux adresses suivantes :

– Tome 1 :http://www.cgeiet.economie.gouv.fr/Rapports/2012_12_07_RAPPORT_def_USAGES_NON_ALIMENTAIRES_BIOMASSE_TOME_1_2012%2012%2006.pdf– Tome 2 (Les annexes) :http://www.cgeiet.economie.gouv.fr/Rapports/2012_12_07_RAPPORT_def_USAGES_NON_ALIMENTAIRES_BIOMASSE_TOME_2_2012%2012%2006.pdf

078-79 Attali_Attali 08/02/13 17:11 Page79

Page 81: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

L ’utilisation de produits bio-sourcés dans deschaînes de valeur mondialisées requiert d’ores etdéjà, à l’ère de la bioinformatique et de la nano-

informatique, des normes de mise en forme des don-nées afin de permettre une interaction entre les diffé-rents acteurs tout au long de ces chaînes. Pour mémoire, une chaîne d’activité mondialisée, quise traduit par la répartition de la production de lavaleur entre les différents segments de cette chaîne, estdéfinie par Eurostat dans son enquête sur les GlobalValue Chains (GVC), comme recouvrant la gammecomplète des fonctions et tâches qui sont nécessaires pour

fournir un bien ou un service, depuis sa conception jus-qu’à sa livraison au consommateur final, en passant parles différentes phases de sa production.Dans la transition vers la bioéconomie, un segment-clé de la chaîne de valeur consiste à procéder auséquençage de l’ADN d’un organisme à partir d’uncode informationnel donné issu des phases de concep-tion, de design et d’expérimentation nécessaires avantle passage à la production industrielle (scale up), lequelconstitue un défi en soi. La question de la disponibilité et de l’interopérabilitédes données numérisées constitue un enjeu majeurpour l’innovation, la sûreté et la sécurité des applica-tions qui sont et seront développées dans le cadre dela bioéconomie.L’expérience passée des biotechnologies et, dans unemoindre mesure, des matériaux à l’échelle nanomé-

Les enjeuxde la normalisationdans la transitionvers la bioéconomie

La question de la disponibilité et de l’interopérabilité des donnéesnumérisées constitue un enjeu majeur pour l’innovation, la sûretéet la sécurité des applications qui sont et seront développées dansle cadre de la bioéconomie.Un nécessaire travail de normalisation à l’échelle internationale

dans lequel s’inscrira la création au sein de l’ISO (International Organizationfor Standardization) d’un comité technique dédié aux biotechnologies.

Par Françoise ROURE*

ENJEUX ÉC

ONOMIQ

UES

,ST

RATÉ

GIQ

UES

ET NOUVEL

LES

FRONTIÈR

ES SOCIÉTA

LES

* Contrôleur général Économique et Financier, Présidente de la sectionTechnologies et Société au Conseil général de l’Économie, de l’Industrie,de l’Énergie et des Technologies (CGEIET) – Ministère de l’Économie etdes Finances et ministère du Redressement productif.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201380

080-82 Roure_Roure 08/02/13 17:11 Page80

Page 82: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

FRANÇOISE R

OURE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 81

trique et des nano-procédés de fabrication, a conduità une course aux brevets, avec d’inévitables recouvre-ments, et à une situation qui est considérée par lesexperts en propriété intellectuelle, comme un véri-table maquis de brevets où l’insécurité juridiquerègne, mais où surtout l’innovation ouverte est entra-vée au détriment des bénéfices attendus et, en parti-culier, du retour sur investissement des recherchespubliques.

QUELLE NORMALISATION INTERNATIONALEPOUR SOUTENIR LA TRANSITIONVERS LA BIOÉCONOMIE ?

La stratégie nationale de recherche et d’innovationpubliée en 2009 faisait à sa manière mention de cephénomène lorsqu’elle établissait que « l’ingénierie duvivant, les biotechnologies et la biologie synthétiqueouvrent des opportunités de développement indus-triel considérables, que les entreprises françaises debiotechnologie ont du mal à saisir ». Ce n’est pas le casdes entreprises allemandes, qui ont identifié la nor-malisation internationale comme une voie précompé-titive nécessaire à la réduction des coûts de produc-tion et au développement des marchés industriels. EnAllemagne, il existe une tradition d’échanges et desynergies entre les acteurs, par filière industrielle, quirecherchent les bénéfices qu’ils pourraient retirer d’uneffort mutualisé. C’est ainsi que le bureau de norma-lisation allemand, le Deutsches Institut für Normung(DIN), a proposé en 2012 à l’ISO la création d’uncomité technique sur les biotechnologies.L’objet de cette proposition est de rechercher des défi-nitions et des termes internationalement reconnus,des méthodes analytiques et des méthodes de dia-gnostic, des outils numériques et la métrologie per-mettant la comparabilité et l’intégrabilité internatio-nale des données. Ce nouveau comité encourageraitles experts issus de la recherche et des PME à partici-per activement à la normalisation des produits, destechniques et des procédés de fabrication biotechno-logiques, aux côtés des grands groupes. Le programme de travail initial de ce nouveau comitétechnique de l’ISO (à la création duquel la France aémis un avis favorable via son Bureau national de nor-malisation AFNOR et après consultation) serait cen-tré sur les priorités suivantes :– l’établissement d’une terminologie reconnue dans ledomaine de la biotechnologie (une action considéréecomme étant des plus prioritaires) ;– le développement d’outils informatiques et demétrologie appliqués à la biotechnologie (prioritéhaute, notamment pour l’enzymologie des process etles données de séquençage) ;– le développement de méthodes analytiques et dediagnostic, y compris dans le domaine applicatif légal

(forensic), en commençant par une méthode d’analysede l’expression de gènes ;– enfin, les produits de culture cellulaire et les bio-réacteurs à usage unique.Le comité technique de l’ISO sur les nanotechnolo-gies est cité dans ce projet comme devant faire l’objetd’une liaison avec ce futur comité technique de l’ISO,ainsi qu’avec le comité technique du ComitéEuropéen de Normalisation (CEN) sur la biotechno-logie, dont il est observé qu’il est « dormant » depuis2001.

QUELS SONT LES BÉNÉFICES ATTENDUSD’UNE NORMALISATION INTERNATIONALEDANS LE DOMAINE DES BIOTECHNOLOGIESAU REGARD D’UNE DÉMARCHE NATIONALEOU EUROPÉENNE ?

Des travaux de normalisation épars sur des sujets pré-cis du domaine ont été identifiés lors des travaux pré-paratoires ad hoc de l’ISO. Ainsi une cinquantaine deformats d’échange de données et plus de deux centsterminologies ont été développées par les entités quien avaient besoin. Parmi celles-ci, l’initiative de la BioBricks Foundation,installée sur le campus de l’Université de Stanford (enCalifornie), mérite d’être citée, car contrairement aumodèle de brevetabilité dominant, cette entité pro-meut l’accès ouvert et libre et l’utilisation de logicielslibres, et elle associe ses adhérents et ses partenairesindustriels à l’établissement des normes de formats dedonnées nécessaires à tout le processus d’ingénierierequis pour développer les applications de la biologiede synthèse, qui se situent à l’échelle nanométrique.L’intérêt de promouvoir des standards internationauxest de permettre de gagner du temps et d’associer descatégories d’acteurs qui, sinon, continueraient d’igno-rer leurs travaux respectifs, alors que les applicationset leur mise en œuvre s’adresseront à des acteurs sinonmondialisés, à tout le moins interagissant en réseauxinternationaux. Ces acteurs restent ancrés dans leurterritoire et participent à des chaînes de valeur à dueconcurrence des avantages qu’ils présentent.

UN PRÉREQUIS EXIGEANT : DÉCRIRE ET MESURERLES OBJETS, BIO-SOURCÉS OU NON, À L’ÉCHELLENANOMÉTRIQUE

Le champ des nano-biotechnologies évolue très rapi-dement. Durant une phase préparatoire au dévelop-pement des applications industrielles, il a été reconnuque les expériences et l’innovation dépendent demanière critique des technologies. La priorité durablepour l’établissement de normes est de disposer des élé-

080-82 Roure_Roure 08/02/13 17:11 Page81

Page 83: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

ments qui permettront, d’une part, des mesures quisoient solides et raccordées au système des unitésinternationales et, d’autre part, des caractérisations àpartir de techniques d’analyse reposant sur unensemble minimal de représentations et d’informa-tions permettant une description certaine d’objetsuniques ou équivalents. Une étape importante dans la mobilisation de lacoopération scientifique internationale multidiscipli-naire, sur ce sujet, a été franchie en avril 2012 par leConseil international pour la Science (InternationalCouncil for Science – ICSU). En effet, à l’issue d’un séminaire international organi-sé au ministère de l’Enseignement supérieur et de laRecherche, à Paris (en février 2012), par l’entitéCODATA (Committee on Data for Science andTechnology) de l’ICSU, sur proposition du groupeNanotechnologies de l’OCDE et avec la participationde la Commission européenne, une alliance s’est crééeentre l’ICSU et l’entité VAMAS (Versailles Project onMaterials and Standards ), qui dispose d’un protocoled’accord avec le Bureau international des poids etmesures (BIPM), le gardien du temple s’agissant dusystème international des unités de mesures. Cettealliance se traduit par un groupe de travail conjointdont l’objet est, dans un premier temps, la rédactiond’un livre blanc sur la description des matériaux àl’échelle nanométrique et de proposer, dans unsecond temps, la mise en œuvre d’une base deconnaissances scientifiques sous la forme de méta-basede données évaluée et fournie par les scientifiques, réa-lisée avec logiciel libre et en accès ouvert.Cette démarche de coopération scientifique interna-tionale a vocation à fonder l’organisation des connais-sances fondamentales à l’échelle nanométrique,constituant la base d’un système de description unifié,qui reposera lui-même sur une métrologie hybride.Cette métrologie en quatre dimensions s’appliqueraaux représentations de la structuration et du compor-tement de la matière à l’échelle nanométrique, objetsnanométriques biosourcés inclus.La résolution de la question des normes des donnéesnumérisées, de celle de leur accès et de celle de leurorganisation dans des bases de connaissances d’accèsuniversel, dès lors que ces normes portent sur desaspects scientifiques fondamentaux et peuvent êtreconsidérées comme patrimoine commun, est désor-mais reconnue comme l’enjeu premier de la normali-sation. Elle permettra en effet de réaliser dans lesmeilleures conditions, et ce pour le plus grandnombre, la transition vers une économie biosourcée.L’évaluation de la qualité des données, celle de la com-parabilité des résultats des analyses de caractérisationet la possibilité d’intégrer des sous-ensembles de basesde données issues de différentes sources condition-nent la capacité de traduire, à l’échelle de la bio-nano

manufacture, les avancées scientifiques et techniqueset les innovations.

QUELLE EST LA PART DE L’ÉTHIQUEET DE L’INNOVATION RESPONSABLEDANS LA NORMALISATION INTERNATIONALE –SUPPORT DE LA TRANSITIONVERS LA BIOÉCONOMIE ?

La sensibilisation à ces questions est réelle à l’échelonde l’Union européenne. La communication “Innovation for sustainable growth:A Bioeconomy for Europe” (1) ouvre la voie à une dyna-mique de normalisation conjointe ISO-CEN enmatière de produits biosourcés, de leur cycle de vie, demétrologie et de caractérisation. L’OCDE a, quant à elle, également annoncé un agen-da de politiques pour la bioéconomie à l’horizon 2030et adopté, en conseil ministériel (en mai 2012), unerecommandation sur l’évaluation de la durabilité desproduits biosourcés, qui inclut les aspects de biosécu-rité. Les politiques scientifiques et techniques préco-nisées par l’OCDE en matière de nanotechnologies etde biotechnologies prennent toute la mesure de ladimension éthique tant de leurs développements res-pectifs que de leur convergence, notamment dans ledomaine de la biologie de synthèse.Du point de vue de la cohérence du travail de l’ISO etau-delà de la création souhaitable d’un mécanisme deliaison entre le Comité technique « Nanotechnolo -gies » (TC 229) et celui à venir, consacré aux biotech-nologies, des propositions plus précises ont été faites àl’AFNOR dans le cadre de la consultation :– étant donné l’importance des structures informa-tiques et des baisses de coûts bénéfiques pour tousattendues de la normalisation internationale, un grou-pe de travail commun (Joint Working Group) devraitêtre créé sur les ontologies et certaines bases de don-nées ;– un mécanisme de liaison de l’ISO avec le groupe detravail de l’OCDE sur la biotechnologie devrait êtreenvisagé ;– enfin, un groupe technique sur la dimension socié-tale des normes en matière de biotechnologies et debiologie de synthèse devrait être prévu dès la créationdu Comité technique de l’ISO sur les biotechnolo-gies, en prenant appui sur le retour d’expérience dugroupe de travail créé à cet effet au sein du Comitétechnique « Nanotechnologies » de l’ISO, sous l’ap-pellation TG 2, Consumers and societalDimension/CASD.

ENJEUX ÉCONOMIQ

UES

, STR

ATÉG

IQUES

ET N

OUVEL

LES FR

ONTIÈR

ES SOCIÉTA

LES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201382

(1) COM (2012) 60 final, European Commission, 13 février 2012.

080-82 Roure_Roure 08/02/13 17:11 Page82

Page 84: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 83

L’impactde la bioéconomiesur le secteurde la défense-sécurité :l’exemple de la biologiede synthèse

La biologie de synthèse est déjà une des filières d’avenir de la bioé-conomie. Le secteur de la défense et de la sécurité s’y intéresse, d’une part,en raison des perspectives et des opportunités de développement technolo-gique qu’elle lui offre et, d’autre part, pour les questions de sûreté qu’ellesoulève en matière de « biens à double usage » (civil et militaire). Le déve-loppement des « clubs de biologistes amateurs », ou de la « biologie à lamaison », inquiète également l’opinion publique. Si l’encadrement juridiqueet réglementaire peut aujourd’hui répondre à certaines de ces inquiétudes, ilest nécessaire d’apporter d’autres garanties en marge de ce cadre purementjuridique – des garanties éthiques. Des « engagements de déontologie scien-tifiques » et la mise en place d’un Comité scientifique pour la sûreté biolo-gique pourraient répondre à cette attente, à côté de la mission d’informationdu public qu’assure l’Observatoire de la Biologie de Synthèse.

Par Patrice BINDER*

ENJEUX ÉCONOMIQUES,

STRATÉGIQUES ET NOUVELLES

FRONTIÈRES SOCIÉTALES

* Médecin général inspecteur (2S).

083-90 Binder_Binder 08/02/13 17:12 Page83

Page 85: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

INTRODUCTION

« Les sciences biologiques apportent une valeur ajoutée à detrès nombreux biens et services qui sont génériquementréunis sous le terme de « bioéconomie » (…) La bioécono-mie se réfère à un ensemble d’activités économiques liées àl’innovation, au développement, à la production et à l’uti-lisation de produits et de procédés biologiques. Les progrèsdans le domaine de la bioéconomie peuvent aboutir à desavancées socioéconomiques majeures (…) et contribuer àaméliorer la santé, les rendements agricoles, les processusindustriels et la protection de l’environnement ». C’est ainsi que l’OCDE introduit son rapport intitu-lé « La bioéconomie à l’horizon 2030 : quel program-me d’action ? » [1]. C’est la santé, l’agriculture et l’environnement quiorientent le choix des priorités en bioéconomie, Lapolitique de défense et de sécurité n’est pas pourautant absente de ce secteur. Sur le plan de larecherche et développement (R&D), c’est essentielle-ment le domaine de la biodéfense qui s’intéresseaujourd’hui aux biotechnologies. En matière de programmes de biodéfense, le rapport del’OCDE précité note que « Les Etats-Unis sont passés de576 millions de dollars en 2001, à 5,4 milliards en 2008.Le nombre des projets a été multiplié par quinze, passantde 33 entre 1996 et 2000 à 497 entre 2001 et 2005 ». Demain, notamment à travers la biologie de synthèse, lepérimètre occupé par les besoins de défense et de sécu-rité pourrait s’élargir à des capacités, spécifiques ou non,qui présenteraient des avantages techniques ou opéra-tionnels pour les forces armées et la sécurité civile.À côté de ces perspectives économiques et capaci-taires, les technologies biologiques intéressent le sec-teur de la défense en raison de leur caractère de tech-nologies « à double usage ». La possibilité dedétourner le savoir et les savoir-faire en biotechnolo-gie moléculaire et, demain, ceux issus de la biologie desynthèse à des fins de production d’armements prohi-bés ou de terrorisme est une question qui est au centredes débats de société auxquels le monde de larecherche scientifique, très conscient de ses responsa-bilités, participe activement [2]. Pour toutes ces raisons, et à travers l’exemple de la bio-logie de synthèse, il importe d’examiner comment lapolitique de défense et de sécurité s’inscrit dans le pay-sage de la bioéconomie et comment elle peut l’encadrer.

LA BIOLOGIE DE SYNTHÈSEDANS LES PROGRAMMES DE RECHERCHEDE DEFENSE ET DE SÉCURITÉ DE PLUSIEURSGRANDS PAYS

La biodéfense et les équipements de soutien de l’hom-me sont les points sur lesquels portent les budgets de

recherche en biologie de synthèse du secteur de ladéfense et de la sécurité : équipements destinés ausoutien médical, senseurs ou détecteurs de contami-nants (chimiques ou biologiques), solutions de décon-tamination ou de bioremédiation [3], ou encore destissus et vêtements « intelligents ». Aujourd’hui, il n’y a guère que le département de laDéfense américain (DOD) qui affiche une réelledétermination en matière d’investissement dans labiologie de synthèse. Dans les rapports consacrés parl’Union européenne à la biologie de synthèse, lesquestions de défense et de sécurité portent exclusive-ment sur les aspects « biens à double usage », c’est-à-dire sur les risques de détournement de bioproduits àdes fins de prolifération d’armements ou de bioterro-risme. On constate toutefois que, ponctuellement, commec’est le cas en Grande-Bretagne ou même en France,des pays de l’Union européenne financent des actionsde recherche pouvant avoir un lien direct avec desproblématiques de défense. Ces programmes concer-nent le plus souvent des capacités liées à la biodéfen-se. On peut également constater que la Chine devraitrapidement devenir un acteur important de ce secteuret que les militaires chinois n’hésiteront pas à y inves-tir, si cela peut leur procurer un avantage compétitifet/ou stratégique.

La bioéconomie dans les programmes militairesaméricains

Les Etats-Unis ont compris qu’il était primordial poureux de se poser dès à présent en leader de la compéti-tion scientifique et économique, et ce quel que soit lesecteur d’activité dans lequel la biologie de synthèsepourrait prendre son essor, c’est-à-dire y compris enmatière de recherche de défense et de sécurité. Denombreux projets ont donc été pris en charge (totale-ment ou partiellement) par des financements mili-taires ou de défense [4].Pour Zachary Lemnios [5], le directeur de laRecherche et de la Technologie au département de laDéfense américain, « Le Pentagone est intéressé à lacompréhension des mécanismes de réponse des organismesaux stimuli, tels que les ions, les substances chimiques, lesmétaux, les impulsions (électromagnétiques, optiques oumécaniques), notamment au niveau de leur génome, carces connaissances pourraient aider les chercheurs [nonseulement] à créer des organismes sentinelles pour détec-ter et suivre la présence d’explosifs, de polluants chi-miques, mais aussi à avoir un niveau d’expertise suffisantpour être à même de prévenir des utilisations néfastes dela biologie de synthèse ». Dès le début des années 2000, le département de laDéfense des Etats-Unis, grâce aux moyens de la

84 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013

ENJEUX ÉCONOMIQUES, STRATÉGIQUES ET NOUVELLES FRONTIÈRES SOCIÉTALES

083-90 Binder_Binder 08/02/13 17:12 Page84

Page 86: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

DARPA (US Defense Advanced Research ProjectsAgency), a contribué au financement des recherchesqui ont conduit à la publication, en 2002, de la syn-thèse de novo du gène du virus de la poliomyélite àl’Université de Stony Brook, par le Docteur EckardWimmer. Cet organisme a également participé aufinancement du séquençage et de la synthèse du virusH1N1 à l’origine de l’épidémie de grippe « espagno-le » de 1918, qui ont fait l’objet de publications en2005.Concrètement, un programme appelé LivingFoundries (Fonderies du vivant) a été lancé en 2011.Son but est de mettre en place une architecture d’in-

génierie biologique devant conduire à des plateformesindustrielles pour des productions issues desrecherches en biologie de synthèse. Ce programmepropose un financement de 15,5 millions de dollarspour soutenir sept programmes de recherche.Le domaine des biocarburants est à l’évidence un dessecteurs clés de ce projet structurant de la DARPA. Ledéveloppement de filières dans le domaine de la pro-duction de biocarburants est effectivement straté-gique. Sandia est ainsi partenaire dans un projetfinancé à hauteur de 134 millions de dollars (sur cinqans) par le département de l’Energie, et que pilote leLawrence Berkeley National Laboratory. Ce program-

PATRICE BINDER

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 85

© PHOTO RESEARCHERS-PHANIE

« Le département de la Défense des Etats-Unis, grâce aux moyens de la DARPA (US Defense Advanced Research Projects Agency)a participé au financement du séquençage et de la synthèse du virus H1N1 à l’origine de l’épidémie de grippe « espagnole » de1918, qui ont fait l’objet de publications en 2005. », virus reconstitué de la grippe de 1918, également nommée « grippeespagnole ».

083-90 Binder_Binder 08/02/13 17:12 Page85

Page 87: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

me est destiné à explorer les pistes pouvant conduire àla mise au point à l’aide de la biologie de synthèse debiocarburants, tels que l’isopentanol, ou de biocarbu-rants « avions ».La DARPA participe à la montée en puissance d’uneplateforme de biologie de synthèse chez Amyris Inc. LaDARPA investit environ 8 millions de dollars pourpermettre à cette compagnie d’étendre sa plateformeindustrielle de biologie de synthèse pour la productionde différents types de cellules et de produits, notam-ment les biocarburants. Ainsi, Amyris deviendracapable de produire aussi bien des médicaments (telsque des antipaludéens) que des dérivés chimiques des-tinés à la grande consommation ou à des applicationsplus spécialisées (y compris dans le domaine militaire). À côté de ces programmes, de grands laboratoiresmilitaires, tel le Naval Research Laboratory – NRL, selancent, quant à eux, dans des projets plus spéci-fiques : le recours aux techniques de biologie de syn-thèse pour produire des antibiotiques ciblant lesagents pathogènes prioritaires pour la défense ouencore pour produire à moindre coût des explosifs« verts » à base de nitrocellulose.

Les relations entre les recherches de sécurité/sûretéet la biologie de synthèse en Europe et en France

La plupart des grands pays européens se sont très tôtintéressés au potentiel technologique et industriel dela biologie de synthèse [6]. Pourtant, en Europe, leseul programme qui ait permis de lancer des projetsde recherche coordonnés en biologie de synthèse estfinancé dans le cadre du programme New EmergingTechnologies (NEST), lequel s’inscrit dans le program-me d’architecture n°6 (Framework Program 6, ouFP6). Dix-huit projets ont été financés, pour un totalde 32 millions d’euros. Ce sont tous des projets aca-démiques, et aucun n’intéresse directement les ques-tions de défense et de sécurité.En revanche, à travers la lecture d’une étude duDocteur Lei Pei et du rapport de l’Office parlemen-taire d’évaluation des choix scientifiques et technolo-giques (OPECST) intitulé « Les enjeux de la biologiede synthèse » et présenté par Mme G. Fioraso enfévrier 2012, on peut constater que les pays européensse sont inquiétés très tôt des aspects éthiques et sécu-ritaires, ainsi que des possibles détournements d’usagedes technologies de la biologie de synthèse. EnFrance, des rapports ont été commandés par les res-ponsables de la défense et de la sécurité nationale avecpour objectif de répondre à un besoin de surveillancede technologies duales dans le cadre du fonctionne-ment du groupe Australie (1) : il s’agissait, parexemple, de réfléchir à un système permettant decanaliser et de contrôler les exportations des oligonu-cléotides.

Pour les responsables de la défense et de la sécuriténationale, la biologie de synthèse reste donc avanttout un problème de sûreté biologique lié aux risquesd’« usage dual ». Toutefois, même très limités, des programmes natio-naux de R&D « défense et sécurité » s’intéressent à labiologie de synthèse. C’est le cas en Grande-Bretagne, où la Joint Synthetic Biology Initiative (JSBI)est un programme qui associe le Biotechnology andBiological Sciences Research Council (BBSRC), leDefence Science and Technology Laboratory (DSTL),l’Engineering and Physical Sciences Research Council(EPSRC) et le Medical Research Council (MRC). Ceprogramme d’une durée maximale de deux ans, dontl’appel d’offres a été lancé en 2011 [7] (2), est doté de2,4 millions de livres destinés à financer vingt projets,dont le but est d’apporter des preuves de concepts,parfois spéculatifs, destinés à explorer le potentiel dela biologie de synthèse dans différents champs d’ap-plication directement liés à la défense et à la sécurité.Cet appel d’offres est manifestement très inspiré parles programmes de défense contre les agents chi-miques et biologiques et par ceux visant les systèmesde santé pour la prise en charge des blessés. La recherche de défense française fait également desincursions dans des domaines qui touchent la biologiede synthèse. Par exemple, il a été noté que la conceptiondes outils de détection et de diagnostic biologique doitévoluer avec les capacités de séquençage de masse et l’ar-rivée de la xénobiologie, qui pourrait rendre obsolète lestechniques conventionnelles de la biologie moléculaireou de l’immunologie. C’est la raison pour laquelle leministère de la Défense, via la direction générale pourl’Armement (DGA), soutient certains travaux de thèseen métagénomique et en bioinformatique. De même,dans le domaine thérapeutique, ce même ministèrefinance des recherches fondamentales sur le potentiel dela phagothérapie dans la lutte contre certaines infectionsà bactéries multirésistantes aux antibiotiques. Pour lemoment, ce type de projet de phagothérapie ne s’adres-se qu’à des phages naturels. Mais pour des raisons desécurité d’emploi, il pourrait être avantageux, à terme,d’utiliser des phages de génome de toute petite tailleobtenus par la biologie de synthèse.

La biologie de synthèse en Chine

La biologie de synthèse n’en est encore qu’à ses pre-miers balbutiements en Chine [8]. Les applications

ENJEUX ÉCONOMIQUES, STRATÉGIQUES ET NOUVELLES FRONTIÈRES SOCIÉTALES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201386

(1) Le groupe Australie (GA) est une instance informelle réunissant despays qui tentent par l’harmonisation des contrôles d’éviter que les expor-tations contribuent à la prolifération des armes chimiques et biologiques.

(2) Joint Synthetic Biology Initiative, Call for Proposal, novembre 2011http://www.bbsrc.ac.uk/web/FILES/Guidelines/rc-dstl-synbio-call.pdf

083-90 Binder_Binder 08/02/13 17:12 Page86

Page 88: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

dans le secteur agroalimentaire sont prioritaires sur lesapplications médicales et pharmaceutiques : leProgramme de recherche 973 (Research on Key-processof Eco-Valued Products from Straw Resources) seconcentre sur des recherches destinées à valoriser labiomasse et la production agricole.De son côté, le programme 863 (National High-techR&D Program) cible des projets de recherche en bio-logie de synthèse qui s’inspirent largement des priori-tés du National Institute for Health (NIH) et du dépar-tement de la Défense (DoD) américains.En Chine, la recherche de configurations ou de solu-tions originales pour la mise au point de filières méta-boliques destinées à des productions d’intérêt indus-triel est assez à la mode. Ainsi, le Qingdao Institute ofBioenergy and BioprocessTechnology a l’intention dedévelopper des produits d’intérêt économique à bascoût : biocarburants, antibiotiques (synthèse de larifamycine, de la vancomycine...). Un groupe derecherche s’intéresse à la reprogrammation demicroorganismes (Pseudomonas putida, Escherichiacoli, Aeromonas hydrophila…) pour la production depolymères biodégradables (de la famille des poly-hydro-alcaloïdes). Autre exemple : un laboratoire de l’Université dePékin, qui travaille sur les mécanismes d’émergencede la résistance aux antibiotiques, a construit unmodèle de régulation génétique illustrant la manièredont émergent ces résistances, ainsi que les circuits dereprogrammation génétique qui y conduisent. Il s’agitde recherches susceptibles de déboucher sur de nou-velles voies d’approche en matière de lutte contre lesmaladies infectieuses. À l’Université de technologie de Tianjin, un groupede recherche a pour objectif de collecter et de recensertoutes les données accessibles sur les gènes indispen-sables à la vie cellulaire et à la survie d’un organisme.Cette étape de collecte et d’analyse multicritère etmultiparamétrique est un travail de base particulière-ment important pour pouvoir envisager la reconstitu-tion de novo de formes de vie minimales et des voiesmétaboliques originales. Ces recherches, qui restent encore très académiques,démontrent l’intérêt de la Chine pour la biologie desynthèse, ainsi que le foisonnement de la recherchedans ce domaine. Il faut noter l’impressionnant effortd’équipement en plateformes de synthèse d’oligonu-cléotides : le Beijing Genomics Institute (BGI) etd’autres compagnies chinoises font actuellement par-tie des fournisseurs majeurs de séquences nucléoti-diques. Ce n’est pas anodin en termes de positionne-ment de la Chine sur les futurs développements de labiologie de synthèse.Si ces projets et programmes restent avant tout desprojets civils et industriels, il faut noter que les uni-versités militaires chinoises (tout au moins les univer-sités de médecine militaire) s’intéressent à ces déve-loppements et ont des programmes de recherche en

biologie de synthèse. Ainsi, la Troisième Université deMédecine Militaire conduit un projet de synthèse decircuits génétiques pour la reprogrammation cellulai-re et l’étude de leur comportement à travers les géné-rations successives d’une population donnée. Si les Chinois manifestent donc une forte volonté dese positionner dans le secteur de la biologie de syn-thèse, c’est parce qu’ils ont une vision claire de sonpotentiel et disposent de moyens pour y investir.Cependant comme le rappelle le Docteur Lei Pei,“They are not aware of the associated concerns of biosafe-ty, biosecurity, and ethics. Debates on the societal impactof emerging science in China are always delayed until thematuration of the technology” [« ils n’ont pas con-science des préoccupations associées en matière debio-sûreté, de biosécurité et d’éthique. En Chine, lesdébats sur l’impact sociétal des sciences émergentessont toujours remis à plus tard, jusqu’à ce que la tech-nologie en cause ait « mûri » », traduction deM. Marcel Charbonnier]. Les scientifiques chinois nes’intéressent pas suffisamment au caractère dual decette technologie et, de fait, aux problèmes de sécuri-té et de sûreté qu’elle pose. En Chine, il n’y a pas oupeu de débat à ce sujet, du moins pour le moment.

BIOLOGIE DE SYNTHÈSE ET BIENS À DOUBLEUSAGE : PRISE EN COMPTE DES QUESTIONSDE SÉCURITÉ ET DE SÛRETÉ BIOLOGIQUES

Le libre accès au savoir et aux moyens de mise enœuvre des techniques en biologie de synthèse estrevendiqué au motif que celles-ci sont la clé de l’amé-lioration de la santé et de l’alimentation, notammentpour des populations défavorisées. Dans un rapportremis à l’Académie des sciences [9], les auteurs écri-vaient : « Les développements inévitables de la biologiemoléculaire, de la conception assistée par ordinateur deprincipes actifs pour de nouveaux médicaments, l’opti-misation des systèmes de production par fermentation oupar culture de cellules, la synthèse peptidique sont autantde techniques complémentaires qui favorisent l’essor desapplications en biotechnologies. La construction de trans-gènes exprimant des protéines destinées à répondre à desfonctions précises fait partie de ces développements dontla dualité nécessite à la fois un débat éthique et uncontrôle scientifique et réglementaire ».La biologie de synthèse ouvre aujourd’hui de nou-veaux horizons et des perspectives qui renforcent ceconstat [10]. En effet, d’une part, elle permet de pas-ser de la « compréhension des mécanismes biolo-giques » à la « manière de les reconstruire » pour lesfaire fonctionner, elle devient donc une véritablescience de l’ingénieur, avec ses exigences de normes etde stratégies, et, d’autre part, elle fait largement appelà des kits et à des automates. La généralisation de cesmoyens facilite la mise en œuvre des techniques bio-

PATRICE BINDER

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 87

083-90 Binder_Binder 08/02/13 17:12 Page87

Page 89: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

logiques et, par l’abaissement des coûts, les rend acces-sibles au plus grand nombre. Le corollaire de cettebanalisation de l’ingénierie biologique, c’est la possi-bilité de créer son propre laboratoire pour se lancer,« à domicile », dans la recherche de molécules inno-vantes (biocarburants, médicaments…). Le Do ItYourself (DIY bio), les « clubs de biologistes ama-teurs » et la « biologie à la maison» sont désormais uneréalité. Il va de soi que l’émergence de cette forme devulgarisation scientifique inquiète, car elle échappe àtoute régulation et pose déjà des problèmes de sécuri-té et de sûreté qui ne feront que s’accroître [11]. Le rapport de l’OPECST précité revient à plusieursreprises sur ces questions de sécurité et de sûreté bio-logiques, y compris dans ses recommandations. Il enva de même du rapport « Biologie de synthèse :Développements, potentialités et défis » publié en 2011dans le cadre de la Stratégie Nationale de Recherche etd’Innovation (SNRI). La plupart des experts du domaine s’accordent pourestimer qu’il y a aujourd’hui des moyens beaucoup plussimples et moins onéreux pour conduire une action ter-roriste. Toutefois, les inquiétudes en la matière, au vudes avancées réalisées dans le domaine de la biologie desynthèse, sont légitimes. C’est pourquoi, selon lesscientifiques eux-mêmes, le contrôle de l’accès auxoutils et matières indispensables pour développer desapplications à l’aide de la biologie de synthèse doit êtreassez strict et organisé au niveau international. Parexemple, il est certain que la question de la légitimité del’emploi de la biologie de synthèse dans des filières ori-ginales de production d’armements offensifs se poseraconcrètement un jour, tout comme celle de la bioinfor-matique et de la biomodélisation, notamment auregard des exigences de la Convention d’interdictiondes armes biologiques (CIAB). En 2011, la 7ème confé-rence d’examen de la CIAB a proposé que « l’examendes développements de la science et de la technologie » soitsystématiquement inscrit à l’ordre du jour des réunionsannuelles des Etats parties. La question des développe-ments de la biologie de synthèse ne manquera pasd’être soulevée lors de ces réunions.Plus concrètement, l’encadrement juridique et régle-mentaire du développement de la biologie de synthè-se concerne deux domaines : – celui de la protection du savoir et des savoir-faire (enraison des enjeux économiques qui en découlent). Endehors de débats sur la brevetabilité du vivant qui, vuà travers le prisme spécifique de la biologie de synthè-se, présente un jour particulier, la question relève desaspects liés au droit de la propriété intellectuelle etcommerciale (ADPIC). Elle ne sera pas abordé ici ;– celui de l’évaluation des risques pour l’homme etl’environnement, pour lesquels le « principe de pré-caution » est mis en avant et qui intéressent, au pre-mier chef, les débats « science et société ». C’est cettequestion qui intéresse plus particulièrement la poli-tique de défense et de sécurité.

Les questions de sécurité et de sûreté biologiques fontl’objet de plusieurs recommandations internationales.À cet égard, le guide OMS sur la bio-sûreté, qui date de2006, est un cadre qui fait référence, notamment dansle domaine de la santé. Sa déclinaison aux champs cou-verts par la biologie de synthèse est tout à fait pertinen-te et appropriée, que ce soit en termes de protectiond’un potentiel économique, technique ou scientifiqueou pour limiter les risques d’un détournement d’usage(dual use), qu’il soit volontaire ou involontaire. Leguide intitulé Best practice guidelines on Biosecurity forBiological Resources Centres (BRCs), publié par l’OCDEen 2007, a une vocation équivalente. Aux Etats-Unis, la nécessité d’une réflexion sur l’enca-drement juridique, réglementaire et éthique de la bio-logie de synthèse s’est imposée dès 2004 [12]. Cetteréflexion a porté sur les questions de prolifération liéesà la généralisation des techniques de production d’oli-gonucléotides ou d’ADN artificiels. Depuis 2006, leNational Science Advisory Board for Biosecurity(NSABB) a présenté plusieurs rapports, dont le plusrécent date de 2010 et passe en revue l’ensemble destechnologies duales dans le domaine biologique. Ilpropose « une évaluation des questions de sûreté biolo-gique soulevées par la capacité de synthétiser de nouveauxgènes, de construire de novo des voies de biosynthèse etdes composés biologiques présentant des propriétés spéci-fiées ou nouvelles ». Ce rapport insiste notamment surl’importance de mettre en place des programmesd’enseignement sur les recherches duales afin de res-ponsabiliser la communauté scientifique sur ces ques-tions, en particulier dans le domaine de la biologie desynthèse. En 2010, la Presidential Commission for Study ofBioethical Issues (PCSBI) publiait un autre rapport,dont les conclusions ont permis aux pouvoirs publicsaméricains de proposer un guide intitulé ScreeningFramework Guidance for Synthetic Double-StrandedDNA Providers (2010). Son but est de « réduire lerisque que des individus mal intentionnés puissentexploiter les applications commerciales des technologies desynthèse des acides nucléiques pour avoir accès à des déri-vés de matériels génétiques appartenant à des agents ou àdes toxines particuliers ». L’objectif est bien de concilierles intérêts commerciaux des entreprises effectuant cessynthèses avec la nécessité de répondre aux inquié-tudes de certaines parties prenantes. Les Etats-Unis ont choisi de privilégier une approches’appuyant sur un autocontrôle des partenaires plutôtqu’un renforcement de la réglementation. C’est le« principe de responsabilité » des acteurs qui prévaut.Il s’appuie sur des procédures très décentraliséesbasées sur des déclarations. Ainsi, l’AssociationInternationale de biologie synthétique (InternationalAssociation for Synthetic Biology-IASB) et leConsortium International des gènes de synthèse(Gene Synthesis Consortium) ont mis en place en 2009leur Code of Conduct for Best Practices in Gene Synthesis

ENJEUX ÉCONOMIQUES, STRATÉGIQUES ET NOUVELLES FRONTIÈRES SOCIÉTALES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201388

083-90 Binder_Binder 08/02/13 17:12 Page88

Page 90: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

(Code de conduite en vue des meilleures pratiques enmatière de synthèse de gènes). Ce code impose notamment de passer au crible lesséquences génomiques commandées, à l’aide de basesde données intégrant les séquences correspondant àcertaines toxines ou à des facteurs de virulence ou depathogénicité de certains agents infectieux, afin depouvoir renoncer, le cas échéant, à leur fabrication etde s’assurer de la légitimité du commanditaire et de ladestination finale de la commande pour éviter desenvois de matériels à des clients douteux. L’Union européenne est moins avancée sur ces ques-tions même si, depuis cinq ans, plusieurs réunions detravail se sont tenues et même si plusieurs études ontété publiées : il n’y a aucun plan spécifique visant lesquestions de sûreté biologique que pose la biologie desynthèse. On peut toutefois raisonnablement parierque le travail accompli aux Etats-Unis aura un effetd’entraînement sur l’Union européenne. La Task forceon Biotechnology Research établie entre les Etats-Unis etl’Europe depuis 1990, s’intéresse désormais aux déve-loppements de la biologie de synthèse (notamment auxquestions de standardisation) et soutient un certainnombre de recommandations qui tournent autour :– de la nécessité d’une grande transparence sur lesinnovations et les choix stratégiques, prenant encompte les conséquences possibles pour la santé etl’environnement ;– de la prise en compte des dispositifs de régulationétablis en matière d’organismes génétiquement modi-fiés (OGM) dans le développement de la biologie desynthèse, et de la responsabilisation directe des cher-cheurs et des expérimentateurs, y compris, et peut êtresurtout, dans des concours de type iGEM(Compétition internationale des « machines » généti-quement modifiées).En pratique, des discussions sont en cours au niveaueuropéen entre les principaux partenaires intervenantdans le domaine de la biologie synthétique en vue deproposer un code de conduite et un processus d’auto-régulation. Par ailleurs, plusieurs pays européens ontpris des initiatives nationales en ces matières. On peutmême se réjouir du fait que des « clubs de biologistesamateurs », tels que La Paillasse, aient d’emblée impo-sé dans leur charte de fonctionnement la mise enplace de règles éthiques que devront respecter les pro-jets de leurs membres. L’Union n’est en effet pas complètement démunie enmatière de contrôle des technologies et des biens àdouble usage. Ainsi, les recommandations du groupeAustralie ont été prises en compte dans un règlementdu Conseil (EC n°1334/2000) et plusieurs amende-ments relatifs à la mise en place d’un régime decontrôle des transferts de technologies duales s’impo-sent aux membres de l’Union. Le règlement cité ci-dessus et ses amendements ontété traduit en droit français par le décret n°2010-292du 18 mars 2010 (JORF du 20 mars 2010), qui a

modifié le décret n°2001-1192 du 13 décembre 2001relatif au contrôle à l’exportation, à l’importation etau transfert de biens et technologies à double usage.Une commission interministérielle des biens à doubleusage et un service à compétence nationale dénommé« service des biens à double usage » ont été créés pourmettre en œuvre les dispositions du décret précité, quis’appuie sur un guide pour les exportations de biens ettechnologies à double usage. Ce dispositif ne vise pasdirectement la biologie de synthèse, mais bien enten-du des systèmes et des produits issus de cette filièrepourraient, le cas échéant, être concernés. Par ailleurs, différents textes législatifs et réglemen-taires faisant référence entre autres au Code du travail,au Code de la santé publique et au Code de l’envi-ronnement s’intéressent à la sécurité [13] et à la sûre-té biologiques [14]. Ils encadrent, d’une part, l’utilisa-tion confinée et la dissémination d’organismesgénétiquement modifiés (OGM) et, d’autre part, ladétention, la cession, l’acquisition l’utilisation ou letransfert de certains microorganismes et toxinespathogènes pour l’homme. Ils se préoccupent d’abordde la sécurité des utilisateurs et de l’environnement,mais également, notamment pour certains microorga-nismes et toxines, de la sûreté des installations qui lesdétiennent et de celle de leurs échanges. Le renforce-ment de la protection du potentiel scientifique ettechnique de la Nation (PPST), qui s’appuie désor-mais sur le Code pénal, vise également les questionsde sûreté des installations, du savoir et des savoir-faire,si le niveau de risque lié à leur dualité le justifie.

CONCLUSION

Depuis maintenant plus de dix ans, la biologie de syn-thèse est une réalité attestée par un certain nombre deréalisations, dont la construction de génomes com-plets de virus et, aujourd’hui, de bactéries possédanttoutes les caractéristiques fonctionnelles des génomesnaturels correspondants. Issues de savoirs et de savoir-faire en biotechnologie, en chimie et en informatique,ces réalisations rationnelles développées par l’ingénie-rie et les perspectives ouvertes par une autre variantede la biologie, la xénobiologie, suscitent autant d’in-térêt que d’inquiétudes au sein du grand public. Les politiques de défense et de sécurité s’intéressent àcette technologie émergente du secteur de la bioéco-nomie, car elle offre des perspectives technologiqueset capacitaires intéressantes, mais en soulevant desquestions en matière de sécurité et de sûreté. En effet,les chemins pris par le développement de la biologiede synthèse échappent souvent à tous les contrôles,hormis ceux des organisateurs des forums d’échangeset des clubs de biologistes amateurs. Internet et lesréseaux sociaux favorisent des initiatives qui permet-tent de véhiculer des idées et des savoir-faire nou-

PATRICE BINDER

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 89

083-90 Binder_Binder 08/02/13 17:12 Page89

Page 91: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

veaux. Ces creusets de créativité et d’innovation sontsource potentielle de perte pour l’économie nationaleet de détournement d’usages à des fins prohibées, siaucune règle ni aucun système de contrôle n’étaientmis en place pour les canaliser. L’Observatoire de laBiologie de Synthèse, qui se propose d’informer lepublic, ne doit pas laisser de côté les questions de poli-tique de défense et de sécurité liées à la biologie desynthèse. Par ailleurs, l’établissement d’un « engage-ment de déontologie scientifique » préalable à touterecherche à caractère potentiellement dual et, commecela avait été proposé en 2008 par un rapport remis àl’Académie des Sciences [15], la mise en place d’unComité Scientifique National de Sûreté pour larecherche en charge de se prononcer sur la légitimitééthique de projets ou de publications à caractère dualpourraient contribuer à rassurer l’opinion et à renfor-cer la crédibilité éthique des politiques de développe-ment des nouvelles techniques de la biologie, notam-ment de la biologie de synthèse.

BIBLIOGRAPHIE

[1] http://www.oecd.org/fr/prospective/[2] MAURER (S.R.), “End of the Beginning orBeginning of the End? Synthetic Biology’s StalledSecurity Agenda and the Prospects for Restarting It”,Valparaiso Law Review, 45 (4), pp. 73-132, 2011.[3] Synthetic Biology : scope, applications and implica-tions, The Royal Academy of Engineering, 2009.[4] HAYDEN (E.C.), “Bioengineers debate use ofmilitary money, US Department of Defense’s call forgreener ways to make explosives worries syntheticbiologists”, Nature, 479, p. 458, 2011.[5] WEINBERGER (S.), “Pentagon turns to ‘softer’sciences ; US defence research to focus more on biol-ogy, cybersecurity and social sciences to help win con-flicts”, Nature, 464, p. 970, 2010.[6] PEI (L.), GAISSER (S.) & SCHMID (M.),Synthetic biology in the view of European public fund-ing organisations, Public Understand. Sci. 21(2),pp. 149–162, 2012.

[7] Joint Synthetic Biology Initiative, Call for propos-all, novembre 2011.http://www.bbsrc.ac.uk/web/FILES/Guidelines/rc-dstl-synbio-call.pdf[8] PEI (L.), SCHMIDT (M.) & WEI (W.),“Synthetic biology: An emerging research field inChina”, Biotechnology Advances 29, pp. 804–814,2011.[9] BINDER (P.), HERNANDEZ (E.), KORN (H.)& MEYNARD (J.B.), « Maladies infectieuses et bio-terrorisme », in La maîtrise des maladies infectieuses, undéfi de santé publique, rapport RST n°24 del’Académie des Sciences, note n°7 », pp. 191-214,2006.[10] http://humanitieslab.stanford.edu/2/282[11] BÜGL (H.), “DNA synthesis and biologicalsecurity”, Nature Biotechnology 25, 6, pp. 627-629,2007.[12] FINK (G.R.), Fink Committee of the US NationalAcademies of Sciences on Research Standards andPractices to Prevent the Destructive Application ofBiotechnology, 2004. [13] Loi n°2008-595 du 25 juin 2008 relative auxorganismes génétiquement modifiés. Décret n°2008-1273 du 5 décembre 2008 relatif au Haut Conseil desbiotechnologies. Décret n°2008- 244 du 7 mars 2008relatif à l’exposition des travailleurs aux risques biolo-giques – codifié dans le titre II Code du travail(articles R4421-1 à R4427-5). Arrêté du 16 juillet2007 fixant les mesures techniques de prévention,notamment de confinement à mettre en œuvre dansles laboratoires de recherche (…) où les travailleurssont susceptibles d’être exposés à des agentsbiologiques pathogènes.[14] Décret n°2010-736 du 30 juin 2010 relatif auxmicroorganismes et toxines et les arrêtés qui s’y rap-portent. Décret n°2011-1425 du 2 novembre 2011portant application de l’article 413-7 du Code pénalet relatif à la protection du potentiel scientifique ettechnique de la Nation, et les arrêtés qui s’y rappor-tent.[15] KORN (H.), BERCHE (P.) & BINDER (P.), Lesmenaces biologiques. Biosécurité et responsabilité desscientifiques, Paris, Académie des Sciences/PUF, 2008.

ENJEUX ÉCONOMIQUES, STRATÉGIQUES ET NOUVELLES FRONTIÈRES SOCIÉTALES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201390

083-90 Binder_Binder 08/02/13 17:12 Page90

Page 92: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

Les avis publiés par des comités d’éthique, depuisle Groupe européen d’éthique (1) jusqu’à laCommission présidentielle de bioéthique des

Etats-Unis (2), prolongent dans le contexte de la bio-logie de synthèse une réflexion portant sur certaines

des grandes thématiques de la bioéthique, que cesgroupes avaient examinées auparavant. Typiquement,ces thématiques incluent :– des questions juridiques : les problématiques soule-vées par la brevetabilité du vivant, la propriété intel-lectuelle pour des objets qui se trouvent à la frontièreentre nature et artifice, l’encadrement juridique desrecherches sur le vivant,– des questions de justice distributive : qui doit profi-ter des produits et des organismes synthétisés ?Comment assure-t-on la justice internationale, inter-générationnelle, sociale ? – des questions de biosûreté (3) : l’accessibilité crois-sante des biotechnologies rend nos sociétés plus vul-nérables face à des usages malintentionnés de ces der-

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 91

Biologie de synthèseet questions de société

Parmi les questions d’ordres social, économique, politique, éthiqueet métaphysique liées au développement des biotechnologies, labiologie de synthèse suscite certes quelques interrogations nou-velles. Mais surtout, elle en réactualise d’anciennes.La confiance que le citoyen place dans le scientifique n’est plusaujourd’hui acquise par défaut. Il en va de même pour les techno-logues, les ingénieurs et les industriels.Dans ce dialogue renouvelé entre la science et la société s’imposela nécessité d’élaborer sans attendre un cadre normatif qui devra,autant que faire se peut, anticiper les problématiques futures quesoulèvera une diffusion à grande échelle des produits issus de la biologie desynthèse.

Par Alexei GRINBAUM*

ENJEUX ÉCONOMIQUES,

STRATÉGIQUES ET NOUVELLES

FRONTIÈRES SOCIÉTALES

* CEA-Saclay/LARSIM.

(1) European Group on Ethics, Opinion n°25 on ethics of synthetic biol-ogy, Brussels, 2009.

(2) Presidential Commission for the Study of Bioethical Issues, NewDirections: The Ethics of Synthetic Biology and Emerging Technologies,Washington, 2010.

(3) En anglais, biosecurity.

091-95 Grinbaum_Grinbaum 08/02/13 17:12 Page91

Page 93: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

nières ; quelles limitations devons-nous instaurer pourprévenir de tels usages ?– des questions sur la mesurabilité de certains risques(questions de biosécurité) (4). L’évaluation des risquessanitaires et environnementaux des produits et desdéchets de la biologie de synthèse prendra beaucoupde temps. Or, leur mise sur le marché est imminente.Dans certains cas, nous croyons avoir des garantiesscientifiques de leur innocuité, comme leur extrêmefragilité en milieu naturel ou leur « orthogonalité »aux formes naturelles de la vie. Mais disposons-nouségalement de mesures empiriques qui viennentconfirmer ces garanties toutes théoriques ? Que fai-sons-nous pour protéger les travailleurs et les consom-mateurs ?– enfin, des questions relatives à la gestion de l’incer-titude. Le développement de la science est imprévi-sible et est propice aux surprises. Par conséquent,toutes les technologies émergentes produisent de l’in-déterminisme social et augmentent notre incertitudequant à l’avenir. Faut-il dans cette situation opposer leprincipe de précaution ou un autre principe décision-nel ? Le principe de précaution suffit-il pour assurerune gestion des incertitudes qui ne mène pas à descatastrophes ?La plupart de ces problèmes science/société ont déjà étédiscutés en lien avec les précédentes générations detechnologies émergentes (notamment la reproductionin vitro, l’ingénierie génétique et le clonage).Toutefois, ce manque de nouveauté ne diminue enrien leur importance. Si le Groupe européen d’éthiquerecommande, dans son Opinion n°25, un dialoguepermanent et des mesures nouvelles de régulation enbiologie de synthèse, ce n’est pas seulement dû au faitqu’il existe quelques innovations conceptuelles que labiologie de synthèse introduit dans le vaste panoramades différentes problématiques éthiques. Cette recom-mandation est en effet tout autant motivée par l’im-possibilité de répondre une fois pour toutes aux ques-tions éthiques complexes. Un des objectifs desinterrogations contemporaines sur la science et lasociété est de maintenir un niveau constant et élevéd’alerte qui permettrait à ces deux sphères d’assurerune progression qui leur soit mutuellement béné-fique. Cette progression n’équivaut ni à l’acceptationmuette par la société de tout ce que lui propose lascience via la technologie ni au façonnage mécaniquede l’institution scientifique par les « besoins sociaux »qu’elle serait censée servir. Chacune de ces deuxsphères possède sa propre logique et nourrit une dyna-mique propulsée par un moteur épistémologique etanthropologique autonome. Pourtant, là où ces deuxdynamiques se croisent, il se forme des turbulencesque le dialogue entre la science et la société est appeléà réduire. Ces turbulences sont inévitables, car il estbon que la science et la société s’influencent mutuel-lement en interagissant. Mais la violence des conflitsprovoqués lors de ces collisions doit être atténuée à

l’aide de mécanismes de dialogue et d’une réflexioncontinue, à la fois normative et institutionnalisée.

L’IMPORTANCE DE LA RESPONSABILITÉ

La situation présente est fortement marquée par plu-sieurs « affaires » ayant marqué ces dernières décenniesliées à la science et à la technique : Tchernobyl etFukushima, l’affaire du sang contaminé, les médica-ments nocifs, les diverses crises épidémiologiques, etc.Que le mal fait à l’homme soit d’origine artificielle ounaturelle, sa propagation a été facilitée, voire renduepossible, par la technique et la prépondérance moralede cet effet amplificateur dû à l’omniprésence desobjets techniques dans notre vie. La responsabilité desfiascos du passé a été étendue à tous : aujourd’hui, lasociété tient l’institution scientifique dans sonensemble pour responsable de tout le bien et de tout lemal que lui apporte la technique. Or, cette responsabi-lité ne mène pas nécessairement à la condamnation del’entreprise scientifique. Sa reconnaissance nous incite àélargir et à problématiser l’envergure morale de la tech-nologie et à politiser la science (au sens noble de polis(la cité)). Celle-ci, en tant que grande puissanceinfluençant les choix des voies faits par l’humanité, nepeut plus s’abstenir d’assumer pleinement son rôle et laplace qu’elle occupe dans la polis.On entend souvent que l’art de l’ingénieur, la tekhnê,est moralement indifférent et que l’on peut l’utilisertout autant pour faire le bien que le mal. C’est là unargument ancien, qu’invoquait déjà Sophocle :« Maître d’un savoir dont les ingénieuses ressourcesdépassent toute espérance, il [l’homme] peut prendreensuite la route du mal comme du bien » (5). Mais cen’est pas le manque de nouveauté qui compte : l’ex-tension de la responsabilité au-delà des « techniciens »et sa généralisation à l’ensemble des scientifiques – des« initiés » – sont la marque de notre époque. Aumoment où la biologie de synthèse rejoint la cohortedes nouvelles technologies émergentes, cette questionde responsabilité devient essentielle. De moins enmoins éduqué en sciences et de plus en plus tenté pardes formules faciles, le « profane » ne fait pas de dis-tinction entre les personnes exerçant tel ou tel métierscientifique, ni entre groupes et institutions dont lesmissions vont de la découverte fondamentale jusqu’austade de la réalisation technologique. À tous cesacteurs individuels comme collectifs, il attribue uneresponsabilité ou, plus précisément, différentes

92 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013

ENJEUX ÉCONOMIQUES, STRATÉGIQUES ET NOUVELLES FRONTIÈRES SOCIÉTALES

(4) En anglais, biosafety.

(5) SOPHOCLE, Antigone, 365 (traduction (P.) MAZON, Paris, Folio,p. 31, 2007.

091-95 Grinbaum_Grinbaum 08/02/13 17:12 Page92

Page 94: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

formes de responsabilité (6). Même si cela n’impliquepas nécessairement le blâme ou la culpabilité légale, laresponsabilité en question pèse inévitablementcomme une charge morale. En cette qualité, elle enga-ge la décision politique puisqu’elle contribue à la défi-nition des nouvelles orientations de la recherche et àla formation de l’image de la science.En pleine évolution depuis les années 1960, les pro-blèmes science-société ont atteint un stade où la chargede responsabilité qui pèse sur le scientifique boulever-se la tranquillité des laboratoires et ne peut plus êtreignorée par quiconque. Certains voudront, à titre per-sonnel, se révolter contre cette démarche de responsa-bilisation « irrationnelle » et contre l’assombrissementdes relations science-société, dont témoigne la crois-sance des peurs. Mais pour poser la question du« vivre ensemble » de la science et de la société, ilconvient de procéder à un constat plutôt que de for-muler un jugement :– la confiance que place le citoyen dans le scientifiquen’est plus acquise par défaut. L’avantage épistémique –la formation spéciale du scientifique – ne lui donnepas d’avantage d’ordre politique ou moral. Le citoyenexige que son opinion soit entendue, au même titreque celle de l’expert.– de la même manière, la confiance du citoyen dansles technologues, les ingénieurs et les industriels n’estplus acquise par défaut : l’avantage que leur confèreleur savoir-faire ne se traduit pas automatiquementpar un bénéfice économique. Le citoyen exige quetoute innovation technologique soit conforme auxnormes et aux valeurs qu’il souhaite imposer à la sphè-re technologique.Ces deux processus n’étant pas nécessairement trans-parents, leurs acteurs n’en sont pas toujoursconscients. Un scientifique curieux poursuit sesrecherches dans le silence d’un laboratoire, tandisqu’un ingénieur obstiné conçoit un objet techniqueselon sa volonté. Aucun des deux n’a pour autant l’en-vie de consulter le traité de Lisbonne ou le Code debonne conduite en nanosciences et nanotechnologiespublié par la Commission européenne (7). Les désirsrespectifs du chercheur et de l’ingénieur les motiventsuffisamment : ils ne ressentent pas le besoin d’uneincitation ou d’une autorisation accordée par un jour-nal, un parlement ou une assemblée populaire. On nes’aperçoit de la gravité de la situation présente qu’à unniveau d’analyse collectif global.Ce décalage entre le labeur individuel, pour l’instantencore tranquille, et sa potentielle portée sociale etpolitique produit deux exigences, celle d’une gouver-nance lucide, mais aussi celle d’une nouvelle éduca-tion. Le scientifique travaillant dans une discipline depointe exposée à des pressions sociales fortes n’est pasformé à s’intéresser à ces processus et à les com-prendre. En conséquence, sur la place publique, savoix est moins entendue que celle d’un citoyenconcerné. Ce déséquilibre provoque des crises vio-

lentes qu’il ne sera possible d’atténuer qu’à la condi-tion expresse que toutes les parties prenantes prennentintérêt aux modes de pensée et aux arguments desautres.

POUR UNE RÉGLEMENTATION ANTICIPATRICEDE LA BIOLOGIE DE SYNTHÈSE

Les questions d’encadrement normatif, de réglemen-tation et de standardisation sont fondamentales pourle développement de toutes les technologies émer-gentes. De la même façon que la frontière de l’Empireromain, où se rencontraient le citoyen et le barbare,attirait l’intérêt des juristes appelés à définir des sta-tuts légaux nouveaux, se concentrent sur la frontièreentre nature et artifice les agissements et les tensionséthiques qui échappent aux classifications d’usage etaux normes actuelles. Lorsqu’il crée un objet artificiel, l’ingénieur imite cer-taines fonctions et certains comportements du vivant.Si son travail est couronné de succès, l’objet qu’ilfabrique devient, selon la conception fonctionnelle,réductionniste, de la vie, véritablement vivant. Unedes aspirations fondamentales qui motivent cet arti-san d’organismes est son désir de perfection. Or, l’his-toire documentée de ce désir remonte loin dans letemps. Ainsi, Apollodore rapporte que Dédale avaitfait sculpter une statue si parfaite d’Héraclès quecelui-ci s’y était trompé et avait frappé sa propre sta-tue, croyant avoir affaire à un adversaire (8). AuXVIe siècle, Bernard Palissy prétend « insculpter etémailler [les animaux] si près de la nature que lesautres lézards naturels et serpents les viendront sou-vent admirer » (9). Lorsqu’il affirme, en 1988, nepouvoir comprendre que ce qu’il peut créer (10),Richard Feynman reprend le mot d’ordre deGiambattista Vico dans son ouvrage La Science nou-velle (publié en 1725) et il perpétue ainsi une longuelignée d’ingénieurs, dont le métier consiste à fabriquerdes choses artificielles semblables en tout point auxchoses naturelles.

ALEXEI GRINBAUM

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 93

(6) GRINBAUM (A.) & GROVES (Ch.), “What is ‘Responsible’ aboutResponsible Innovation? Understanding the Ethical Issues”, in ResponsibleInnovation, eds. R. Owen and J. Bessant, Wiley Academic Publishers,2013, pp. 119-142.

(7) European Commission, 2008, Recommendation on “A code of con-duct for responsible nanosciences and nanotechnologies research”, C(2008) 424, Brussels.

(8) FRONTISI-DUCROUX (F.), Dédale, Paris, La Découverte, p. 100,2000.

(9) PALISSY (B.), Recette véritable, Paris, Macula, p. 142, 1996.

(10) GLEICK (J.), Genius: The Life and Science of Richard Feynman,Pantheon, New York, p. 437, 1992.

091-95 Grinbaum_Grinbaum 08/02/13 17:12 Page93

Page 95: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

Le biologiste de synthèse appartient à cette lignée,mais il possède une méthodologie dont les répercus-sions sociales seront plus importantes que celles de lasculpture des lézards. Car il ne dissèque pas un orga-nisme vivant pour l’étudier, mais il le fabrique afin dele connaître et de l’utiliser. Le fruit de son travail est àcheval sur plusieurs dichotomies : vivant et artificiel,auto-suffisant et dépendant, organisme et machine,être autonome et esclave. L’avènement du vivantfabriqué inaugure le besoin de décider d’un statutmoral et juridique pour celui-ci. Un encadrement normatif doit voir le jour au plustôt, bien avant la diffusion à grande échelle des pro-duits issus de la biologie de synthèse, même s’il nepourra qu’anticiper sur les progrès futurs de celle-ci.Ce point est essentiel : l’élaboration d’un cadre nor-matif joue un rôle prépondérant dans le dialogueentre la science et la société. Il vaut mieux avoir unenorme imparfaite, ayant peut-être une allure futuris-te, que l’on révisera régulièrement pour l’adapter aux

développements technologiques, que d’attendre, sansrien faire, qu’un consensus s’installe parmi les expertset les politiques. En effet, lorsqu’apparaîtra ce consen-sus, il sera déjà trop tard ; les critiques virulentes de lapart de la société civile auront commencé bien avant.L’importance d’une réglementation spécifique, quiutilise explicitement le vocabulaire des nouvelles tech-nologies émergentes, a été fort bien démontrée dans lecas des nanomatériaux et des nanotechnologies.Certes, il est difficile de créer des normes anticipa-trices et de légiférer, même provisoirement, dans undomaine en plein essor. L’incertitude est trop grande :les contraintes imposées par la réglementation ne doi-vent pas empêcher le potentiel technologique inno-vant de se réaliser. Mais tout cela ne supprime pointl’exigence d’une action réglementaire. Trop souvent,le juriste et le législateur contemporains, comme leSocrate imaginé par Valéry, refusent d’intégrer aumonde ces êtres dont on ne peut pas décrire la prove-nance et la finalité en termes de catégories établies :

ENJEUX ÉCONOMIQUES, STRATÉGIQUES ET NOUVELLES FRONTIÈRES SOCIÉTALES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201394

© KEYSTONE-FRANCE

« Lorsqu’il affirme, en 1988, ne pouvoir comprendre que ce qu’il peut créer, Richard Feynman reprend le mot d’ordre deGiambattista Vico dans son ouvrage La Science nouvelle (publié en 1725). », Les sept lauréats de Prix Nobel en 1965 : degauche à droite, les Américains Robert Woodward (Chimie), Julian Schwinger (Physique), Richard Feynman (Physique),les Français François Jacob (Médecine), André Lwoff (Médecine), Jacques Monod (Médecine) et le Russe MichailCholochov (Littérature), Stockholm (Suède), 11 décembre 1965.

091-95 Grinbaum_Grinbaum 08/02/13 17:12 Page94

Page 96: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

« Que cet objet singulier fût l’œuvre de la vie, ou cellede l’art, ou bien celle du temps et un jeu de la nature,je ne pouvais le distinguer... Alors, je l’ai tout à couprejeté à la mer » (11). De leur point de vue, l’appari-tion de ces êtres intermédiaires constitue une menacepour l’ordre social, une menace due au brouillage desdistinctions morales en vigueur dans la société. Or,cette menace est constructive. Elle permet d’envisagerla direction que prendra le progrès et de préparer lesévolutions futures des valeurs et des normes éthiques.Il faut prendre cette menace à bras-le-corps : elle inci-te à l’imagination morale et à l’action juridique sans

attendre l’avènement incertain des certitudes. Le dia-logue social qui procède par le biais d’une révisionplanifiée des normes sera plus fécond et plus serein,moins violent et moins malsain, que la politique desbiorefuzniks ou que celle du laissez-faire. Les vagues dela mer évoquée par Socrate dévorent les bons et lesméchants sans faire de distinction : rejeter un objetnouveau dans cette mer d’indifférence éthique seraitune bien mauvaise idée. A

LEXEI GRINBAUM

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 95

(11) VALÉRY (P.), Eupalinos, Gallimard, p. 67, 1970.

091-95 Grinbaum_Grinbaum 08/02/13 17:12 Page95

Page 97: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

Les défisanthropologiquesde la robotiquepersonnelle (1)

Les occasions de dialogue entre les sciences appliquées et lessciences humaines sont assez rares, dès lors que l’on touche auxprésupposés théoriques sur la base desquels se sont constituées nosdisciplines respectives. Or, dans la mesure où elle s’inscrit, histori-quement, dans un jeu spéculaire avec l’humain, la figure du robot

invite naturellement à renouveler et à renforcer ce type de dialogue. C’est àn’en pas douter encore plus vrai de la robotique personnelle ou collaborati-ve – la cobotique –, objet de cet article, qui constitue actuellement l’une desvoies de recherche les plus fécondes en robotique (2). Le fait que ces objetsdoivent agir dans la proximité des êtres humains, dans leur environnementquotidien et intime, ouvre un champ immense de questionnements quin’entre pas traditionnellement dans celui de l’ingénierie. En replaçant cesobjets dans le cadre anthropologique et sociologique où ils prennent sens, jepropose d’identifier quelques-uns des défis aussi bien pratiques qu’épisté-mologiques, auxquels renvoie la perspective de leur développement àl’échelle industrielle.

Par Gérard DUBEY*

HORS-DOSSIER

* Professeur de sociologie. Institut Mines-Télécom/TEM.

(1) Cet article est la version écrite d’un exposé de présentation du numéro des Annales des Mines de février 2012 consacré aux nouveaux enjeux de larobotique et intitulé « Les robots : nouveaux concepts, nouveaux usages », dans le cadre d’une conférence-débat qui s’est tenue à l’Ecole des Mines deParis, le 24 mai 2012.

(2) Voir : Le développement industriel futur de la robotique personnelle et de service en France, DGSCIS/Pipame, 2012.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201396

096-101 Dubey_Dubey 07/02/13 14:47 Page96

Page 98: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

GÉRARD D

UBEY

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 97

Q ue l’usage doive être intégré très en amontdu processus de conception constitueaujourd’hui presque un truisme. Nous

savons qu’en raison de leur destination – la vie quoti-dienne de personnes fragilisées –, le développementde robots grand public ne pourra pas faire l’économied’une compréhension fine des contextes d’usage.Mais, de ce point de vue aussi, la robotique person-nelle constitue un cas limite puisque la notion de per-sonne rend toute distinction entre conception etusage pour ainsi dire caduque et illégitime. La per-sonne que le robot devra soutenir ou assister dans savie quotidienne est aussi bien son concepteur lui-même (dans son état présent ou à venir) qu’unmembre de sa famille ou l’un de ses proches. Si, par conséquent, tout semble techniquement pos-sible, grâce en particulier à la miniaturisation constan-te des composants électroniques (je pense ici au pas-sage à l’échelle nano) et aux possibilités apparemmentillimitées qu’offrent la mise en réseau et le perfection-nement des capteurs, d’un point de vue anthropolo-gique, nous passons – et ce malgré l’apparente trivia-lité des problèmes à résoudre – à un niveau decomplexité inédit. Les roboticiens Olivier Ly et HugoGimbert évoquent quelques-unes de ces difficultéslorsqu’ils rappellent, par exemple, que « l’environne-ment n’est pas, a priori, adapté au robot » ou que cetenvironnement est « a priori inconnu » (3).La robotique personnelle s’inscrit en fait au carrefourd’au moins deux façons de penser la relationhomme/machine, dont elle contribue de la sorte àredéfinir les frontières. Ces deux façons renvoientelles-mêmes à des traditions philosophiques dis-tinctes, voire antinomiques. Une première traditionmet l’accent sur la fonction spéculaire du robot : cequi dans la machine aide, par comparaison, à dessinerles contours de l’humain. Elle est orientée vers la com-préhension et la connaissance. La seconde traditionest dominée par le principe d’efficacité (produire leplus possible avec le moins possible). La fonction sub-stitutive ou « répliquante » y est centrale. La supério-rité de la machine sur les savoir-faire et les tours demain humains y est mise en avant (4). Naturellement,il existe, entre ces deux extrémités, une multitude dedegrés et d’associations possibles. C’est précisémentcette cartographie que la problématique de la robo-tique personnelle nous invite à transgresser et à revisi-ter. C’est en ce sens, aussi, qu’elle constitue un défiaussi bien théorique que pratique.

POUR DES ROBOTS À HAUTEUR D’HOMME :LA NORMATIVITÉ TECHNIQUE EN QUESTION

Lorsque nous sommes confrontés à un nouveau pro-blème ou à une situation inédite, nous cherchons,très logiquement, dans notre mémoire et notre expé-

rience des cas comparables déjà résolus, et nous ten-tons de nous en inspirer. Ainsi, pour ce qui concer-ne la robotique personnelle, la tentation est grandede s’inspirer en priorité de ce qui a été réalisé dans ledomaine de la robotique industrielle et qui a fait sespreuves (principalement dans le domaine des activi-tés à risque). Or, on ne prête pas suffisammentattention au fait qu’avec la solution technique estégalement importé tout un imaginaire (social) (5)propre au champ d’application initial, celui danslequel la solution en question a vu le jour. Dans lecas de la robotique personnelle, on appliquera, parexemple, certaines des règles de la robotique indus-trielle propres à la robotique substitutive et auxreprésentations de l’humain et de ses relations à lamachine et à l’environnement, que celle-ci véhiculede façon tout à fait inconsciente. Ce point aveugleest sans aucun doute à l’origine de nombreusesconfusions et sophistications inutiles, sur un planstrictement technique.Un robot démineur, un robot capable d’agir sur unsite nucléaire contaminé, et même un robot de pro-duction sur une chaîne automobile, ont par exemplepour dénominateur commun leur capacité d’interve-nir et/ou d’agir là où les humains ne peuvent pas allerou, dans le cas des robots de production, là où cesmêmes humains ne peuvent pas intervenir avec lamême dextérité, la même puissance ou la même vélo-cité. Dans tous ces cas de figure, l’autonomie de l’ob-jet robot lui permet de pallier une défaillance ou uneincapacité humaine. Les environnements concernéspar l’intervention de ces machines ont pour caracté-ristique d’être inhumains, soit parce qu’ils présententun danger mortel (espaces contaminés, monde sub-aquatique, chaîne de montage automatisée), soit parcequ’ils exigent une précision que les êtres humains nepossèdent pas, comme le montre bien l’exemple de larobotique chirurgicale. L’être humain est appréhendéà partir de ses limites, de ses faiblesses et par rapport àun niveau de performance idéal. L’aide technologique est ainsi souvent pensée en fonc-tion de la déficience et présuppose implicitement unusager « par défaut », ou un usager captif. J’entendspar là un usager tenu dans un état de relative passivi-té du fait de sa déficience fonctionnelle. C’est l’une

(3) LY (O.) & GIMBERT (H.) « L’insertion des robots dans la vie quoti-dienne », in Les robots : nouveaux concepts, nouveaux usages, Annales desMines, février 2012.

(4) Je renvoie ici à la lecture de livre du sociologue américain RichardSennett. Ce que sait la main, Paris, Albin Michel, 2010, et au travail deWinner (L.), en particulier son ouvrage La baleine et le réacteur, Paris,Descartes & Cie, 1988. Voir aussi, pour la réception sociale de ces inven-tions, les travaux de l’historien des techniques François Jarrige, et notam-ment son ouvrage Les monstres mécaniques.

(5) CASTORIADIS (C.), L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil,1975.

096-101 Dubey_Dubey 07/02/13 14:47 Page97

Page 99: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

des raisons pour lesquelles le handicap (lourd),moteur ou cognitif, constitue l’un des terrains privilé-giés de la recherche en robotique d’aide à la personne.Or, comme nous allons le voir, cette orientationcontient et tend à généraliser des préconceptions del’humain, du handicap ou de l’autonomie (héritées enpartie, comme je l’ai dit plus haut, de contextesd’usages antérieurs et de la survalorisation de l’exposi-tion au danger) qui sont tout à fait discutables. Cespréconceptions conduisent à privilégier un certainnombre de choix technologiques, au dépens d’autreschoix, mais aussi – et surtout – à préformer la réalitésociale et humaine à laquelle ces objets s’adressent. Labalance penche ainsi du côté d’une logique substituti-ve dans laquelle s’inscrit aussi la vision d’un humaintechnologiquement augmenté. L’innovation est beau-coup plus rarement pensée en fonction des compé-tences ou des capacités développées par la personnedans le cadre même de son handicap ou de l’expé-rience qu’elle a acquise du fait de sa fragilité.L’exemple du handicap est à cet égard révélateur. Pourle sens commun, les prothèses techniques doivent per-mettre à la personne handicapée de s’adapter aux exi-gences du milieu, un milieu de surcroît de plus enplus caractérisé et défini en fonction de critères tech-niques de performance. Il s’agit donc d’éliminer cequi est conçu comme un défaut ou un écart à lanorme dominante, sans interroger davantage la défi-nition du rapport à la norme. Or, le message porté parnombre d’associations impliquées dans la reconnais-sance du handicap est d’une tout autre nature. Parleurs actions, ces dernières mettent au contraire l’ac-cent sur la variabilité de la norme et la nécessité dereconnaître le handicap comme l’expression de la plu-ralité des normes et de leur plasticité (6). L’écart parrapport à la norme dominante représente alors la pos-sibilité de créer de nouvelles normes, de nouveauxsavoirs, de nouvelles pratiques, et non pas une erreurde programme ou un bruit qu’il conviendrait d’élimi-ner. C’est la condition du changement. L’exemple dela langue des signes, qui permet à des personnesatteintes de surdité de communiquer dans le mondeentier, offre un exemple de cette création de normequi déborde largement la définition traditionnelle duhandicap en termes de privation (7). Cela exige de réviser le cadre théorico-pratique à l’in-térieur duquel la conception des robots d’assistance àla personne doit désormais se situer. L’assistance tech-nique devra en particulier prendre en compte, et pro-longer par ses fonctionnalités, les pratiques originalesimaginées par les personnes handicapées. L’attractionexercée par les situations exceptionnelles – celles danslesquelles l’hostilité de l’environnement disqualifie apriori les ressources humaines « naturelles » – doitainsi céder la place à l’examen attentif des situations« normales » dans lesquelles l’écart à la norme consti-tue la principale modalité d’un monde humainementhabitable.

LE CAS DE LA CONCEPTION D’UN ROBOTD’ASSISTANCE AUX PERSONNES ATTEINTESDE LA MALADIE D’ALZHEIMER

Dans le domaine des gérontechnologies, l’urgenced’un tel questionnement s’impose très vite. Le projetANR TecSan, auquel j’ai participé et dont il va êtremaintenant question, rassemblait des industriels, desroboticiens, des électroniciens, ainsi que des représen-tants du monde médical (8). L’objectif était double :a) permettre la stimulation cognitive de personnesatteintes de troubles cognitifs à leur domicile mêmeet, b) mettre en place un système de télé-vigilance despatients à domicile capable de prolonger et d’aug-menter les services offerts par la téléassistance. Lerobot faisait office de plateforme mobile capable d’ac-cueillir ces fonctionnalités au domicile de la personne.Il s’agissait donc pour l’essentiel de permettre aux per-sonnes atteintes d’Alzheimer ou fragilisées de demeu-rer dans leur environnement familier en conservant leplus longtemps possible une autonomie relative.Plusieurs facteurs de résistance apparurent très tôt. Enpremier lieu, il y a le simple fait que la présence d’unrobot suffit à suggérer une perte d’autonomie et decapacité décisionnelle importante. La figure du robotrenvoie à la personne, pour ainsi dire par anticipation,l’image de sa propre dégradation. Pour cette raison, laprésence physique de l’objet robot a souvent été perçuecomme intrusive. Nombreuses sont les expressions quimontrent que le rejet du robot tient moins à sa nou-veauté qu’à l’image – redoutée – de déclin et de dépen-dance qu’il véhicule : « Il faut être vraiment maladepour l’utiliser, ou en grand manque d’amis ou de famil-le » « Je ne pense pas être au stade d’avoir besoin d’unrobot qui me suit, mais peut-être, dans l’avenir… » ;« Du point de vue de la santé, je suis bien… mais decelui de la mémoire, je suis mal… Mais je ne vois pasla nécessité d’avoir un appareil chez moi ; je bougebeaucoup, dans la maison d’une place à l’autre…, alors,d’avoir un appareil comme ça, qui me suit, ça vien-

HORS-DOSSIER

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 201398

(6) Je renvoie ici à la définition de la norme donnée par GeorgesCanguilhem : « Il suffit pourtant qu’un individu s’interroge dans unesociété quelconque sur les besoins et les normes de cette société et lesconteste – signe que ces besoins et ces normes ne sont pas ceux de toute lasociété – pour que l’on saisisse à quel point le besoin social n’est pas imma-nent, à quel point la norme sociale n’est pas intérieure, à quel point, en finde compte, la société, siège de dissidences contenues ou d’antagonismeslatents, est loin de se poser comme un tout ».CANGUILHEM (G.), Le normal et le pathologique, Paris, PUF, p.191,1966.

(7) Voir à ce sujet la réflexion du philosophe Benasayag (M.), notammentdans son livre Organismes et artefacts, Paris, La Découverte, 2010, pp.157-185.

(8) Projet ANR-07- TecSan-019 - « Aide à Distance à la Vie Quotidiennepour des personnes âgées atteintes de troubles cognitifs », Programme2007-2011, rapport final. Voir notamment, DUBEY (G.), La gérontech-nologie à l’épreuve de la complexité culturelle et sociale : le cas d’une assistan-ce robotique.

096-101 Dubey_Dubey 07/02/13 14:47 Page98

Page 100: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

dra… » ; « Je n’ai pas eu de problèmes jusqu’à mainte-nant, sauf, une fois… Donc, je ne vois pas la nécessitémaintenant » ; « Je ne le veux pas, il est intéressant maisje n’en ai pas besoin… ; il faut être en fin de vie ». Le second facteur tient aux modalités d’inscription spa-tio-temporelle des êtres humains dans leur environne-ment familier. Dans le cas de personnes atteintes detroubles cognitifs, certaines de ces modalités revêtentune importance cruciale. Ainsi que la désignent lesinfirmières, avant d’être la maladie de la perte demémoire, Alzheimer est avant tout la maladie de laperte des repères, c’est-à-dire des régularités qui per-mettent de se reconnaître dans le monde, et de s’y sen-tir en relative sécurité. Lorsque ces points de stabilité(dont les habitudes et les petits rituels quotidiens) sedétériorent, c’est tout l’environnement qui devientpotentiellement source d’angoisse. La régularité et lafamiliarité de l’environnement spatial constituentautant de moyens de compenser les défaillances ducorps et de la mémoire (cela est vrai, de manière géné-rale, pour le vieillissement). Fabrice Gzil (9), auteurd’une thèse en philosophie sur la question, remarquepar exemple que chez certains malades symptomati-quement atteints de démence, certaines capacitéscognitives sont maintenues du fait qu’elles continuaientd’être soutenues par des routines. L’insertion d’unrobot dans l’environnement domestique de ces per-sonnes menace de modifier assez radicalement cet équi-libre et d’avoir, par conséquent, des effets déstabilisantspeu souhaitables. Le robot devra donc se faire discret.Il en va de même sur le plan du contexte relationnelde la personne. Les repères sont constitués de routinesinscrites dans l’espace, mais aussi de l’attention, desexigences et des attentes de l’entourage, qui assurentun ancrage affectif de la personne dans le monde. Laperte de mémoire est ainsi fortement corrélée au sen-timent que l’on a de ne plus être « utile » socialement,autrement dit de ne plus être attendu par personne.Or, j’ai pu noter que dans la plupart des situations etdes scénarios d’usages proposés, la relationrobot/patient est exclusive d’autres présenceshumaines. L’objet est pensé à l’intérieur d’un désertsocial (comme dans le cas de la robotique industriel-le). Le curseur penche alors du côté des fonctionnali-tés de surveillance permettant d’assurer la sécurité dela personne, au sens sécuritaire du terme. La prioritéest donnée au maintien des fonctions vitales, c’est-à-dire à la personne en tant qu’être biologique.L’objectif se concentre sur les moyens d’assurer lacontinuité de ces fonctions, en facilitant, le caséchéant, l’intervention réparatrice des services spécia-lisés (en vérifiant, par exemple, s’il y a eu chute ounon, si la personne est consciente ou non, éventuelle-ment en établissant une communication verbale ou/etvisuelle avec elle). Or, les représentations et les normesqui correspondent à cette manière d’interpréter lasituation sont celles qui prévalent dans les environne-ments hostiles.

Tout le problème résulte de l’inadéquation de cetteapproche avec les caractéristiques cliniques et socialesdes personnes qu’il s’agit d’accompagner, et dont laprincipale crainte est précisément de se voir peu à peuréduites par la maladie ou le grand âge à l’état d’enti-té biologique. Qu’il s’agisse d’agnosie, c’est-à-dire del’incapacité à reconnaître et à analyser ce que l’on voit,entend ou touche, ou de la perte progressive de cer-taines capacités cognitives, ce qui est perdu touchefondamentalement au pouvoir d’inscrire les gestes lesplus quotidiens de l’existence dans un champ de signi-fications sociales plus vaste (10). C’est de la compré-hension des conditions qui favorisent et accélèrent ceprocessus de désapprentissage, que la robotique per-sonnelle devrait partir avant de proposer des solutionspratiques. Cela commence peut-être par le repéragede tout ce qui est en mesure d’entretenir et de soute-nir l’activité sociale de ces personnes. Ce que je veux suggérer ici, c’est l’idée qu’avant d’an-ticiper ou de scénariser des usages (comme le veut latendance actuelle dans le domaine de la conception),il serait souhaitable que la réflexion autour de l’inno-vation technique dresse l’inventaire de la sommed’impensés sur lesquels celle-ci fait fond. Cet effortréflexif qui consiste à savoir d’où l’on parle, devientprimordial dans le cadre de l’aide à la personne. Danscet impensé et pour ce qui concerne la robotique per-sonnelle, il y a, nous l’avons entrevu, le statut quenous attribuons par exemple à l’humain et au vivant,avec son corollaire, les représentations que nous nousfaisons du grand âge, du vieillissement et de l’autono-mie de la personne. Il n’est pas anodin, comme jeviens de le montrer, de mettre l’accent sur les défi-ciences de la personne plutôt que sur ses capacitésencore intactes. Pour ce qui concerne Alzheimer, cer-tains spécialistes en neurologie gériatrique nous invi-tent, par exemple, partant du constat de l’extrêmecomplexité du tableau clinique de cette maladie, àconsidérer celle-ci comme un changement d’identitéplutôt que comme une perte d’identité ou d’humani-té, autrement dit, à accepter les signes du vieillisse-ment comme faisant partie du déroulement normalde l’existence plutôt que l’inverse. Pour ces praticiens,les personnes en proie à des troubles cognitifs conser-vent un potentiel de vitalité et d’épanouissement toutau long de leurs années de déclin, qu’il faut apprendreà reconnaître et à stimuler. Aussi, ces personnes peu-vent-elles être insérées dans « une société dans laquel-le les troubles cognitifs sont admis » (11).

GÉRARD D

UBEY

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 99

(9) Voir GZIL (F.), Problèmes philosophiques soulevés par la maladied’Alzheimer, Thèse de doctorat, Université de Paris 1, 2007.

(10) Il s’agit, à toutes ces étapes, d’un processus de désapprentissage social(symétrique à celui de l’apprentissage chez l’enfant).

(11) Voir « La maladie d’Alzheimer : un mythe ? », Sciences Humaines,n°19, juillet-août 2010, WHITEHOUSE (J.) & GEORGE (D.), Lemythe de la maladie d’Alzheimer, Paris, Solal, 2010.

096-101 Dubey_Dubey 07/02/13 14:47 Page99

Page 101: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

On le voit, la question de la norme occupe ici encorele premier plan. La définition du périmètre d’actiond’un robot d’aide à la personne atteinte de troublescognitifs exige que l’on s’interroge au préalable sur lesenjeux anthropologiques sous-jacents à la norme de lamaladie elle-même. Dans la tradition de pensée occi-dentale, la qualité de sujet humain s’est construite parcontraste avec la figure, dévalorisée et refoulée, del’animal. L’animal-objet est le symétrique du sujet-humain, en même temps que son faire valoir (12). Lavie, l’existence individuelle est sacrée, mais cette sacra-lité se lit dans les signes du langage et de la raison.Une partie du trouble que nous ressentons à l’égarddes malades atteints d’Alzheimer tient justement aufait que les signes par quoi nous identifions l’humani-té n’existent plus chez eux. La personne qui en estatteinte est toujours considérée comme un être vivant,mais plus vraiment comme un être humain (au sensdonné plus haut). L’allongement de la vie, qui prend,

dans le très grand âge, l’apparence d’une « régression »à des formes d’existence non reconnues, revêt dès lorsun caractère anxiogène. Il en va tout autrement dansd’autres civilisations. L’anthropologue François Lupurappelle, par exemple, que les démences séniles ou lamaladie d’Alzheimer n’existent pas dans le tableau cli-nique de la vieillesse dressé par la médecine chinoise.La perte du langage ou les troubles cognitifs ne sontpas ressentis comme une destitution devant entraînerl’exclusion de la communauté des humains, maiscomme la manifestation d’une autre normalité, cellede la vieillesse (13) (14).La possibilité pour des objets techniques de s’insérerdans l’environnement familier des personnes et deleur apporter réellement une assistance exige, parconséquent, un effort de clarification de certains denos présupposés et de nos préjugés les plus enracinés.Dans cette perspective, il convient aussi de prendre encompte, selon une approche qui reste pour une bonnepart à inventer, tout le savoir pratico-empirique ouprofane des aidants.

CONCLUSION : VERS UN CHANGEMENTDE PARADIGME

Tels sont, me semble t-il, quelques-uns des change-ments majeurs auxquels nous convie à réfléchir ledéveloppement d’une robotique personnelle. On nese meut plus dans un environnement séparé constituéseulement d’objets et d’entités physiques, mais dansun monde de sujets qui parlent, portent des juge-ments et délibèrent en fonction de valeurs et d’his-toires de vies singulières, et cela nécessite de réviser enprofondeur la démarche de conception des robotsd’assistance à la personne. C’est toute l’épaisseursociale et normative de la technique que les recherches

HORS-DOSSIER

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013100

© Stephen Crowley/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA

« Les personnes en proie à des troubles cognitifs conservent unpotentiel de vitalité et d’épanouissement tout au long de leursannées de déclin, qu’il faut apprendre à reconnaître et à sti-muler. », patiente atteinte de démence en compagnie d’unrobot personnel ressemblant à un phoque en peluche etrépondant à certains stimulis (caresses, lumière, voix),Washington, juillet 2010.

(12) Dans ce contexte, l’animal, la force animale, a longtemps servi demétaphore à la machine dans une vision mécanique du vivant. La figuredu robot elle-même n’est pas étrangère à cette représentation objectivée etmécaniste du corps de l’animal.

(13) Cette approche de la sénescence rejoint les témoignages de certainsaidants. Les accompagnants, les praticiens savent que dans les stades lesplus avancés, cette communication à laquelle rien ne nous prépare, existe ;qu’elle est même la seule possible (un langage du corps qui passe par letoucher). « L’aidant articule dans ce cas son expérience de proche du mala-de à son existence quotidienne. Le point important – écrit à ce sujet SandaSamitca, qui rapporte les propos d’une aidante – réside alors dans la pos-sibilité d’apprendre à négocier et à s’adapter aux situations modifiées parla maladie : “Et, là aussi, alors ça, je dois vous dire que dans la maladie, j’aidécouvert des moments, mais merveilleux ; des moments merveilleux quel’on aurait peut-être pas vécus si tout allait bien ; des moments de ten-dresse, de partage, des moments de complicité, il suffit quelquefois d’unregard, ou je lui prends la main, ou lui me prend la main” ».SAMITCA (S.), « Les secondes victimes : Vivre au quotidien auprès despersonnes atteintes de la maladie d’Alzheimer », in Sciences sociales etSanté, vol. 22, n°2, juin 2004.

(14) Voir LUPU (F.), « La maladie d’Alzheimer en Chine ? », in Gérontologieet société, 2009/1-2, n°128-129, pp.57-73.

096-101 Dubey_Dubey 07/02/13 14:47 Page100

Page 102: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

GÉRARD D

UBEY

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 101

en robotique personnelle nous obligent donc àprendre en compte comme participant du processusde conception lui-même. C’est donc plus d’un sautqualitatif que d’un saut quantitatif dont il s’agit. Lapolyvalence fonctionnelle, la performance des cap-teurs, l’intelligence algorithmique des objets « com-municants » ne rendent pas ce travail moins nécessai-re : au contraire, elles en augmentent l’urgence. Lescritères de puissance et de performance doivent céderà la compréhension des facteurs de familiarité et denormalité, aux routines, aux habitudes par le biaisdesquelles les êtres humains sont en intelligence avecle monde.Dans le domaine de la robotique personnelle, plusque dans tout autre, s’imposent d’autres logiques, etprobablement une autre culture technique. Il s’agiramoins de dépasser ou de supplanter, dans le cadred’une logique essentiellement substitutive, les savoirspratico-cognitifs des êtres humains, que de s’inspirerd’eux, d’en comprendre les subtilités et les logiquesinternes. Sur le plan de la connaissance, le principal défi quej’aperçois réside dans la possibilité d’articuler cettelogique, que je qualifierai d’empirico-historique, avecla logique, plus théorique, de la modélisation, qui estdominante en matière d’ingénierie. La traditionempirico-historique met l’accent sur ce qui est parti-culier, elle explique l’événement en ayant recours à des

analogies ou à des associations libres d’idées (15).C’est un savoir par listes, qui n’applique pas la règledu tiers exclu et qui fonctionne sur la base du « et »conjonctif, plutôt que du « ou » disjonctif. Les normeslogiques y sont subordonnées à la pluralité des faitshistoriques. C’est aussi ce qui rend ce type de connais-sance difficilement modélisable (voire impossible àmodéliser), puisque la modélisation met, quant à elle,l’accent sur ce qui est généralisable. De manière plus concrète encore, cela exigera certai-nement la révision de nos croyances en matière deperfection technique. L’élément, à mon sens crucial,sur lequel repose l’avenir de la robotique personnellesera la capacité dont elle fera montre de s’affranchir dela clôture de l’automatisme (16), c’est-à-dire d’unecertaine vision de la place de l’homme dans le monde.Cela nécessitera de combiner différentes formes d’in-telligence et de normativité. Mais, encore une fois,cela passera surtout, dans un premier temps, par notrecapacité à reconnaître une telle pluralité, avec tout ceque cela implique en termes de renoncement et d’hu-milité.

(15) Je reprends cette formulation au philosophe des sciences PaulFeyerabend. FEYERABEND (P.), Adieu la raison, Paris, Seuil, 1989.

(16) Voir BAUDRILLARD (J.), Le système des objets, Paris, Gallimard,p.155, 1966, et SIMONDON (G.), Du mode d’existence des objets tech-niques, Paris, Aubier, 1958.

096-101 Dubey_Dubey 07/02/13 14:47 Page101

Page 103: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

ALARIO Fabio

Ingénieur chimiste, diplômé del’École Supérieure de ChimieIndustrielle de Lyon (CPELyon), Fabio Alario a soutenu,en 1989, une thèse de Doctoraten Sciences Pétrolières, aprèsavoir obtenu les Diplômes d’É-tudes Approfondies en ChimieOrganique et en SciencesPétrolières. Il a ensuite effectuéun stage post-doctoral àl’Université de Texas A&M, en1990.Fabio Alario a commencé sa car-rière en tant qu’ingénieur derecherche à l’IFP Énergies nou-velles en 1989, où il a conduit,jusqu’en 2002, plusieurs projetsde recherche et développementde catalyseurs pour différentsprocédés de raffinage et de pétro-chimie. Et ensuite, jusqu’en2004, il a été responsable à ladirection générale d’IFP Énergiesnouvelles d’un projet d’entrepri-se visant à la mise en place deméthodes de gestion de projet.Depuis 2004, Fabio Alario estingénieur économiste à la direc-

tion Économie et Veille d’IFP Énergies nouvelles, oùil est chargé d’études technico-économiques dans lesdomaines de la chimie et de la valorisation du gaz car-bonique, de la pétrochimie et du raffinage.

APPERT OlivierOlivier Appert a été nommé Président directeur géné-ral d’IFP Énergies nouvelles en avril 2003. Par ailleurs,il préside le Conseil français de l’Énergie et le Comitéfrançais du Conseil mondial de l’Énergie. Il estmembre de l’Académie des Technologies.Ancien élève de l’Ecole Polytechnique, ingénieurgénéral des Mines, Olivier Appert a commencé sa car-rière au service des mines de Lyon, puis a occupé dif-férents postes au ministère de l’Industrie et au cabinetdu Premier ministre. En 1987, il a pris en charge laresponsabilité de l’activité radiocommunication mobi-le au sein de la société TélécommunicationsRadioélectriques et Téléphoniques (TRT). Nomméen 1989 directeur des Hydrocarbures au ministère del’Industrie, il a rejoint en 1994 la direction de l’IFP, oùil a été en charge notamment de la recherche et déve-

loppement et de sa filiale, une holding technologiquecotée en Bourse. En octobre 1999, il a été nommédirecteur de la Coopération long terme et de l’Analysedes politiques énergétiques au sein de l’AgenceInternationale de l’Énergie (AIE).

ATTALI ChristopheAncien élève de l’Ecole Polytechnique (1971),Christophe Attali est ingénieur général des Mines etmembre du Conseil général de l’Économie, del’Industrie, de l’Énergie et des Technologies(CGEIET) au ministère de l’Economie et desFinances. Il a exercé des responsabilités de conceptionet de conduite du changement à la direction généraledes Télécommunications, notamment dans le domai-ne financier et celui des systèmes d’information, ainsique des responsabilités de direction dans des unitésterritoriales et des services nationaux de soutien deFrance Télécom. En charge de projets de refonte dessystèmes d’information de santé à la direction desHôpitaux (1995-1997) et pour le compte de la direc-tion de la Sécurité sociale et de la Caisse nationaled’assurance-maladie (2006-2009), il a été de 1997 à2006 sous-directeur dans les Services du Premierministre (Secrétariat général de la Défense nationale).

BINDER PatricePatrice Binder est Médecin général inspecteur (2S).Ancien auditeur du CHEAr (32), Patrice Binder estspécialisé en recherche de « biodéfense ». Sollicité parle ministère des Affaires étrangères, il a participé auxtravaux de la Convention d’interdiction des armesbiologiques, et il a été associé à la Commission spécia-le des Nations Unies (UNSCOM) pour les inspec-tions du désarmement de l’Irak. Il a piloté un projetfédératif pour la recherche au sein du Service de santédes armées (SSA) avant de devenir directeur del’Institut de médecine aérospatiale du SSA. Atteint parla limite d’âge de son grade, Patrice Binder a rejointl’Institut national pour la santé et le recherche médi-cale (INSERM) pour y exercer des fonctions deconseiller pour les questions de sécurité et de défense.Depuis 2004, il préside le conseil scientifique duRéseau national des laboratoires « Piratox-Biotox » etparticipe à la formation d’étudiants sur les questionsde sécurité et de sûreté biologiques.

DELABROY OlivierOlivier Delabroy est directeur de la Recherche etDéveloppement d’Air Liquide. Il définit l’orientationstratégique de la R&D du groupe, dont il gère le

LA BIO

ÉCONOMIE, ÉLÉM

ENT CLÉ

DES TRANSITIO

NS ÉN

ERGÉT

IQUE

ET ÉCOLO

GIQ

UE B I O G R A P H I E S D E S A U T E U R S

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013102

102-105 Biographies_Biographies 07/02/13 14:07 Page102

Page 104: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

BIO

GRAPHIE D

ES AUTEURS

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 103

réseau mondial de ses centres R&D (Europe,Amérique du Nord, Asie). Les 1000 chercheurs dugroupe travaillent sur le développement de technolo-gies innovantes pour l’industrie (énergie, métallurgie,agroalimentaire, chimie, automobile, pharmacie,etc.), la santé (dans les hôpitaux et à domicile) et l’en-vironnement (réduction des émissions polluantes etproduction des énergies vertes de demain).Il a débuté sa carrière en 1998, chez Air Liquide, à laR&D, dans les domaines de la combustion et de lamétallurgie.Il prend ensuite la direction d’American Combustion,une division d’Air Liquide Advanced TechnologiesUS, dont le siège est basé à Atlanta (États-Unis). En2004, il revient en France pour y occuper différentesresponsabilités de management, jusqu’à prendre encharge la direction Industrielle et Logistique dudépartement Gaz Industriel Services d’Air Liquide(France). En 2010, il est chargé par le comité exécutif du grou-pe de définir le nouveau chapitre du programme stra-tégique d’Air Liquide pour la période 2011-2015, leprogramme ALMA, avant de revenir à la R&D entant que directeur R&D.Diplômé de Centrale Paris, titulaire d’une thèse dedoctorat, Olivier Delabroy dispose de la double natio-nalité, Français et Américain.Olivier Delabroy est membre du comité d’orientationFUTURIS (ANRT), du Conseil de la Fondation AirLiquide et est le Président de la Chaire de Captage,Transport et Stockage du CO2 (CODOR).Olivier Delabroy est détenteur de plusieurs brevetsdans le domaine des technologies de combustion, dela réduction de la pollution et de la sidérurgie.

DRON DominiqueIngénieur général des Mines, Dominique Dron est encharge de la mission Financement de la transition éco-logique. Précédemment, elle occupait les fonctions deCommissaire générale et de Déléguée interministé-rielle au Développement durable.

DUBEY GérardGérard Dubey est Professeur de Sociologie à l’InstitutMines-Télécom TEM et est titulaire d’uneHabilitation à Diriger des Recherches (EHESS).Il est responsable de l’équipe UCOTIC (UsagesCollectifs des TIC) au TEM et est chercheur au CET-COPRA (Centre d’Etude des Techniques desConnaissances et des Pratiques-Université Paris 1).Il est également :– membre de l’école doctorale de l’Université Paris 1(Panthéon-Sorbonne) ;– membre du comité de pilotage du RT6 « Santénumérique » de l’Institut Mines-Telecom ;

– membre du LIED (Laboratoire Interdisciplinairedes Énergies de Demain)-Université Paris 7.

FUSAI ThierryThierry Fusai est Médecin en chef (MD, PhD).Docteur en Médecine, Docteur de l’Université Aix-Marseille et titulaire d’une Maîtrise de Science et deBiologie médicale (Immunologie et parasitologie),Thierry Fusai est directeur de recherche à l’Institut deRecherche Biomédicale des Armées (IRBA) et est chefde la division Appuis scientifique (responsable de lavalorisation de la recherche).Titulaire d’une Habilitation à Diriger des Recherches,ses travaux de recherche portent sur le paludisme,notamment :– l’étude des interactions des globules rouges parasitéspar le Plasmodium falciparum avec l’endothélium vas-culaire dans le cas du paludisme grave ;– la recherche des marqueurs de résistance duPlasmodium falciparum aux anti-paludiques ;– le développement de tests rapides pour le diagnosticdu paludisme ;– la recherche de marqueurs d’exposition aux mala-dies à transmission vectorielle ;– la vectorisation des molécules leishmanicides…Les enseignements qu’il dispense portent sur :– la parasitologie,– les maladies infectieuses et tropicales,– l’immunobiochimie et la biotechnologie des anti-corps.Il est Auditeur à l’Institut des Hautes Etudes de laDéfense Nationale, 48e session.Thierry Fusai est Officier dans l’ordre de la Légiond’Honneur.

GRINBAUM AlexeiAlexei Grinbaum est chercheur au laboratoire LAR-SIM du CEA-Saclay. Ses travaux portent sur la philo-sophie de la physique et les fondements de la théoriequantique.Depuis 2003, il s’intéresse aux questions éthiques etsociales des nouvelles technologies, en particulier desnanosciences et des nanotechnologies. Il étudie lesincertitudes du progrès technique et leur impact sur lagouvernance, l’application du principe de précautionet la perception des innovations technologiques par legrand public.Ses publications sont consacrées aux grands récitstechnologiques et à l’analyse de la responsabilité deschercheurs. Il applique des concepts anthropologiquesafin d’analyser les images des nano-objets. Sesrecherches les plus récentes portent sur les questionséthiques de la biologie de synthèse.Il a été coordinateur pour la France du projet euro-péen « Observatoire européen des nanotechnologies »,dans le cadre duquel il a contribué au Toolkit for

102-105 Biographies_Biographies 07/02/13 14:07 Page103

Page 105: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

LA BIOÉCONOMIE, ÉLÉMEN

T CLÉ DES TRA

NSITIONS ÉN

ERGÉTIQUE ET ÉCOLO

GIQUE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013104

Ethical Reflection and Communication onNanotechnology.Il est membre de la CERNA (Commission deréflexion sur l’éthique de la recherche en sciences ettechnologies du numérique) d’Allistene.

HARAYAMA YukoYuko Harayama était jusquà peu directrice adjointede la direction de la Science, de la Technologie et del’Industrie (STI) à l’OCDE (www.oecd.org/sti). Elle ya coordonné les activités de la DSTI, et a identifié lesenjeux et les moyens permettant à l’OCDE d’aider leséconomies à déployer tout leur potentiel d’innova-tion.De nationalité japonaise, Yuko Harayama justifie deprès de 20 années d’expérience dans les domaines dela science, de la technologie et de l’innovation. Elle aété chargée de mission à l’Agence japonaise pour laScience et la Technologie (JST), puis a siégé, en 2006et 2007, au Conseil pour la politique scientifique ettechnologique (CSTP), organisme placé sous l’autori-té du Premier ministre.Elle a occupé plusieurs postes universitaires en Suisseet au Japon, les plus récents étant ceux de Conseillerauprès du Président de l’Université Tohoku (depuis2005) et de Professeur au sein du Département degestion des sciences et des technologies de l’Écoled’ingénieurs de l’Université Tohoku (depuis 2002).Ses derniers travaux ont porté sur les mesures prisespar les pouvoirs publics afin de relever les défissociaux, sur les systèmes d’innovation et sur la poli-tique des pôles de compétitivité, ainsi que sur le rôlejoué par le système d’enseignement supérieur enmatière d’encouragement à l’innovation.Yuko Harayama est titulaire de deux doctorats del’Université de Genève, l’un en Économie, l’autre enSciences de l’Éducation.

KÉPÈS FrançoisFrançois Képès est un biologiste cellulaire dont lesapproches mêlent la biologie moléculaire, la biologiedes systèmes et la biologie de synthèse. Les travauxmenés actuellement par son équipe ont pour objectifde comprendre les liens entre le plan du génome, lereploiement du chromosome et l’expression des gènes.Son ambition est d’arriver, pour la première fois, àconcevoir ab initio un génome bactérien fonctionnel.François Képès est directeur de recherche au CNRSL.Il est co-fondateur et directeur du Programme d’Épi-génomique (Genopole®), et est responsable d’équipe àl’institut de Biologie des Systèmes et de Synthèse(iSSB). Il est Professeur Invité permanent à l’ImperialCollege London.Auteur de plus d’une centaine d’articles ou chapitresscientifiques, et auteur ou éditeur de 16 livres,François Képès a, ces dernières années, organisé ou

présidé 3 à 7 manifestations scientifiques internatio-nales par an. Depuis 2005, il a participé en tantqu’orateur invité ou organisateur à plus d’une trentai-ne de manifestations scientifiques portant sur la bio-logie de synthèse.http://www.iSSB.Genopole.fr/~kepes/

LADERMAN StephenStephen Laderman exerce au sein d’AgilentTechnologies, Inc., Santa Clara, California 95051,États-Unis.

LE PROUST Emily M.Emily M. Le Proust exerce au sein d’AgilentTechnologies, Inc., Santa Clara, California 95051,États-Unis.

LINDSTROM DerekDerek Lindstrom exerce au sein d’AgilentTechnologies, Inc., Santa Clara, California 95051,États-Unis.

PLANCHENAULT DominiqueDocteur vétérinaire et Docteur en génétique,Dominique Planchenault est inspecteur général de lasanté publique vétérinaire. Il est membre du Conseilgénéral de l’Agriculture, de l’Alimentation et desEspaces ruraux, et membre de l’Académie d’agricultu-re de France.De 1996 à 2008, il a été directeur du bureau desRessources génétiques et responsable du Point FocalEurope pour les ressources génétiques animales.De 1986 à 1996, il a occupé les fonctions de directeurdes Productions animales au CIRAD.De 1979 à 1986, il a été chercheur et ses travaux ontporté sur la productivité et les maladies non spéci-fiques du bétail en milieu difficile.

ROURE FrançoiseContrôleur général Economique et Financier, leDr Françoise Roure est la Présidente de la sectionTechnologies et Société au Conseil général de l’Écono-mie, de l’Industrie, de l’Énergie et des Technologies(CGEIET) au ministère de l’Économie et des Finances.

SAÏB AliAli Saïb est Recteur de l’Académie de Caen, depuis le28 septembre 2012.Avant sa nomination à la tête du rectorat, il occupaitles fonctions de directeur de la Recherche auConservatoire national des arts et métiers (CNAM),et ce depuis janvier 2009.

102-105 Biographies_Biographies 07/02/13 14:07 Page104

Page 106: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

Il dirige, depuis 1996, une équipe de recherche àl’Institut universitaire d’hématologie à Paris. Il a éga-lement été membre de nombreuses instances d’éva-luation de la recherche.Après avoir obtenu un doctorat de l’Université ParisDiderot en 1996, Ali Saïb devient chargé de rechercheà l’INSERM à partir de 1997. Puis, en 2005, il estnommé professeur à l’Université Paris Diderot, avantd’intégrer, en 2008, le CNAM, en tant que professeurtitulaire de la chaire de Biologie.Ali Saïb est co-fondateur de l’Association pour laPromotion des Sciences et de la Recherche et est co-auteur d’un documentaire télévisuel « Dr Virus etMr Hyde » (TGA Production, France 5), qui a obte-nu le Grand prix AST Ville de Paris du festival inter-national du film scientifique (2006) et le prix dumeilleur film scientifique du Festival International duScoop et du journalisme (2006).Depuis janvier 2012, il coordonne l’Observatoire dela biologie de synthèse.

SANCIAUME MauriceMaurice Sanciaume exerce au sein d’AgilentTechnologies France, S.A.S., Diegem, BC B1813,Belgique.

SCHÄCHTER VincentVincent Schächter est directeur R&D de Total Gaz etÉnergies Nouvelles. Il est notamment responsable desprogrammes et partenariats de recherche de Totaldans les domaines du solaire, des biotechnologies etdu stockage d’énergie. Avant de rejoindre Total, en 2009, pour y lancer les acti-vités de biotechnologies, il a dirigé au CEA un labora-toire à l’interface entre les mathématiques et la biologie.De 2003 à 2007, il est en charge au sein du CentreNational de Séquençage, en tant que directeurBioinformatique, de la supervision des équipes char-gées d’analyser les génomes.Entre 1999 et l’été 2002, il participe à la création dela start-up de biotechnologie Hybrigenics, la premièrespin-off de l’Institut Pasteur. Auparavant, il a été cher-cheur au département d’informatique de l’ENS et aassuré pour l’ambassade de France à Washington lesuivi du secteur des Télécommunications et del’Internet.

Il est l’auteur de plus de 20 publications dans lesdomaines de la biologie des systèmes, de la bioinfor-matique et de l’informatique théorique. Il a organiséplusieurs conférences internationales ; il a été membredu comité de pilotage de la Génopole Pasteur Île-de-France et a coordonné des projets collaboratifs finan-cés par la Commission européenne.Vincent Schächter est ancien élève de l’Ecole NormaleSupérieure et est docteur en mathématiques.

SGARD FrédéricFrédéric Sgard est analyste des politiques scientifiquesau Forum Mondial de la Science de l’Organisation deCoopération et de Développement Économiques(OCDE) (www.oecd.org/sti/gsf ). Il est responsabled’un certain nombre d’activités du Forum, notam-ment de celles qui portent actuellement sur larecherche clinique et la coopération internationale enmatière de recherche agronomique. Avant son entréeà l’OCDE en 2003, il a dirigé pendant 8 ans uneéquipe de recherche dans le domaine de la pharmaco-logie moléculaire au sein d’une grande entreprisepharmaceutique.Frédéric Sgard a étudié la Génétique Moléculaire àl’Université Paris XI-Orsay (France), et a obtenu sondoctorat à l’Université de Reading (Grande-Bretagne). Très impliqué dans les relations science-société, il est aussi Vice-président de l’AssociationFrançaise pour l’Avancement des Sciences (AFAS).

VERT Jean-PhilippeDiplômé de l’Ecole Polytechnique (X92) et issu ducorps des Mines, Jean-Philippe Vert a obtenu unethèse de mathématique à l’Ecole Normale Supérieurede Paris avant de travailler à l’Université de Kyoto(Japon), puis à l’Ecole des Mines de Paris, où il dirigele Centre de Bioinformatique qu’il a créé. Il est égale-ment directeur adjoint d’une unité mixte de recherche(Mines ParisTech, l’Institut Curie et l’INSERM) surla bioinformatique du cancer. Il est expert en appren-tissage statistique et en bioinformatique, et s’intéresseen particulier à leurs applications dans la recherchecontre le cancer. Auteur de plus de 80 publicationsscientifiques, il est lauréat de la médaille de bronze duCNRS et d’une bourse du Conseil européen de laRecherche.

BIO

GRAPHIE D

ES AUTEURS

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 105

102-105 Biographies_Biographies 07/02/13 14:07 Page105

Page 107: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

THE BIOECONOMY: KEYSTO THE TRANSITIONS INENERGY AND THEENVIRONMENT

Issue editor

Françoise ROURE

Foreword

Arnaud MONTEBOURG

February 2013

Part I: State of the art andprospects

The bioeconomy today and prospects for development

Frédéric SGARD and Yuko HARAYAMA

Rooted in the spectacular scientific discoveriesabout life made over the past fifty years, the

“bioeconomy” is a promising sector for growth in this21st century. A broader concern for the environment, lessdependence on natural resources and the requisite transitionof our economic system toward more sustainability openseveral opportunities for biotechnology, which lies at the coreof bioeconomics. Realizing them necessitates implementingdeliberate policies for leveling the obstructions todevelopment.

The scientific and technological locks on the conceptual phase ofsynthetic biology’s development

François KÉPÈS

Engineering is evolving fast in biology. Its advanced forms,grouped under the phrase “synthetic biology”, iteratively pairthe designing and making of complex objects based on (orinspired by) biology. Like nanotechnology, synthetic biologymight fully alter our approach to key techniques. Thanks toits ability to manipulate matter at the molecular level, a newgeneration of products, industries and markets lies ahead withapplications notably in health, agribusiness, the environment,energy and materials. Making these new products involvespost-genomic bimolecular methods, which have been thefocus of intense efforts in research for several decades now.However the most noticeable scientific and methodological“locks” are on the phase of conception – a situation probablyreflecting inadequate investments. This article identifiescertain locks.

Industrial applications of bioinformatics

Jean-Philippe VERT

Even as high-speed technology in genomics and proteomics isinvading laboratories, the life sciences are coping with anextraordinarily huge, complex mountain of data.Manipulating it to extract something biologically meaningfulrequires new approaches involving simulations andcomputers. Bioinformatics lies at the interface between

computer science and biology. It is also a vital industry forstocking, diffusing, analyzing and interpreting biological datafor uses in the health industry, agribusiness or even the fieldof energy. An overview of bioinformatics, its stakeholders andchallenges…

Inextricably bound: Measurement and the bio-economy

Emily LEPROUST, Derek LINDSTROM, Maurice SANCIAUME and Stephen LADERMAN

Measurement and synthetic biology symbiosis

Synthetic biology has been described as the design andconstruction of biological devices and systems for usefulpurposes. The synthesis of DNA is a critical part ofconstruction. Advanced measurements have been bothenabling and motivating for advances in DNA synthesischemistry. Building on decades of development of chemicalsynthesis of DNA and the development of DNA microarrays,additional careful attention to minimizing rare side reactionsand very small non-idealities in reaction yields has enabledunprecedented levels of synthesis perfection and throughput.The industrialization of this advanced chemistry has beenshown to serve as a robust and economical basis for highlysensitive and specific hybridization assays. It has also beenshown to serve as a robust and economical source of userdefined DNA oligonucleotides of sufficient quality to be usedfor synthetic biology. The availability of high quality DNAoligonucleotides, coupled with analogously industrializedprocesses for combining them into larger constructs, opens upthe possibility of widespread adoption of synthetic biologymethods. New measurement modalities are being developedas a consequence. These examples, along with otherselaborated elsewhere in this volume, illustrate the close andsometimes unpredictable interplay amongst measurement,science, and biotechnology, and the foundational role ofmeasurement in advancing the bio-economy.

Part 2: Growth industries and theirflagship technologies

2.1. Energy

Second generation biofuels, an accelerator of the transition towardan economy driven by energy drawn from hydrogen

Olivier DELABROY

The growth of a bioeconomy, especially in transportation,involves developing a biofuel industry. Second generationbiofuels can be made with not only biological methods butalso biomass-to-liquid processes borrowed fromthermochemistry. Players in this field, including Air Liquide,are drawing up a technical and economic roadmap forcompetitiveness in this emerging branch of industry. Since thethermochemical approach for gasifying a biomass also yieldslarge quantities of hydrogen, the industrialization of thisbranch and concomitant production of biohydrogen atcompetitive prices provide leverage for accelerating thetransition toward using H2 for transportation.

RÉSUMÉS É

TRANGERS FOR OUR ENGLISH-SPEAKING READERS

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013106

106-114 Résumés_Résumés 07/02/13 14:39 Page106

Page 108: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

RÉSUMÉS É

TRANGERS

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 107

The prospects of synthetic biology for the production of fuel fromthe biomass

Vincent SCHÄCHTER

When applied to engineering the metabolism ofmicroorganisms, synthetic biology produces a broad spectrumof biomolecules from carbohydrates and, in the near future,from the biomass in general. The markets for biofuels and forchemicals are thus hooked up through a commontechnological core. Synthetic biology also opens newpossibilities for switching from different types of biomass todifferent products, thus allowing for more flexibility indevelopment strategies and eventually in industrial operations.This opening is to be welcomed even though the economicand societal environments hardly favor biofuels. A few moreyears of R&D are needed to bring these new possibilities toindustrial maturity. Advanced biofuels will pass the thresholdat which they become profitable and will no longer needsubsidies.

2.2. ChemistryToward a chemistry with “biosources”

Olivier APPERT and Fabio ALARIO

Raw materials produced by petrochemistry for the chemicalindustry might, at sometime or another, be hampered byproblems of accessibility. Is a “biosource chemistry” a viablealternative to classical petrochemistry, which transforms fossilresources? Under what conditions? What role might publicauthorities play in this field?

2.3. HealthSynthetic viruses and therapeutic prospects: The viewpoint ofnanomedicine

Thierry FUSAI

After years of biological research – of analyzing step by step therelations between the structure and functions of cellularconstituents – a revolution is taking place in our conceptions:life is coming to be seen as a system; and sophisticatedtechnologies, such as synthetic biology, are turning thegenome into chemical products. In this context, highlypathogenic viruses are being used for therapy; andnanotechnology provides us with the tools of vectorization fortransporting such products to their targets, thus optimizingtheir effects.

Recombinant and synthetic viruses

Ali SAÏB

Molecular biology and associated techniques are the groundswhere the seeds for synthetic biology were planted; but theyare linked to the history of virology. Whereas synthetic biologystarted infusing scientific circles in 2000, biologicalengineering arose out of work on viruses in the 1960s. Severaltechniques – now available to amateur biologists as well asscientists – have created a new forum of free exchanges, a sortof “open source” biology. Techniques increasingly available atridiculously low costs can serve to manipulate existing viruses,create new ones or even bring extinct viruses “back to life”.These manipulations are often performed in a therapeuticsetting or, more simply, in the pursuit of a betterunderstanding of life. Beyond the promising applications,several questions arise that must be submitted to debate insociety so as to gauge the issues, implications and risks.

2.4. Seeds and new plant varietiesDoes biotechnology threaten our genetic pool of plants?

Dominique PLANCHENAULT

The many and varied tools used to obtain new varieties ofplants are more or less well perceived by society. Improvingplants, though still mainly a matter of luck, involves choicesdetermined by the needs of farmers, industrialists orconsumers. Luck, conditions and requirements are the keywords for a dialog that should take place among allstakeholders.

Part 3: Economic and strategic issues…and new societal frontiers

The contours of a sustainable bioeconomy

Dominique DRON

Materials and processes from “biosources” have arousedenormous interest worldwide among both private companiesand public officials. Theoretically “renewable” materials mightreplace resources that can be depleted or confiscated; andbioprocesses might cause less harm than conventional ones forhealth and the environment, whether in industry oragriculture. True; but rushing into the bioeconomy — aneconomy based on living beings — guided solely by thisreductionistic view and a form of reasoning inherited from themineral economy might soon lead to disappointment andeven prove more harmful. This is a matter not just of sciencebut also of culture.

Using the biomass for purposes other than food

Christophe ATTALI

The joint report by the Conseil Général de l’Alimentation,de l’Agriculture et des Espaces Ruraux (CGAAER), theConseil Général de l’Environnement and duDéveloppement Durable (CGEDD) and the ConseilGénéral de l’Économie, de l’Industrie, de l’Énergie etdesTechnologies (CGEIET) is part of a collective effort toreorient the economy toward a more sustainabledevelopment. The wide variety of new uses of the biomass isalready shaping an emerging bioeconomy.

The issue of standards in the transition toward a bioeconomy

Françoise ROURE

Questions about the availability and interoperability of digitaldata are essential for the innovation of the applications that areor will be used in the bioeconomy, and for their safety andsecurity. International standards must be worked out by atechnical committee devoted to biotechnology in theInternational Standards Organization.

The bioeconomy’s impact on defense and security: The case ofsynthetic biology

Patrice BINDER

Synthetic biology is already a major, promising branch of thebioeconomy. Officials in defense and security are interested init because of both its potentially relevant prospects and thequestions raised about the safety of “goods with a dual use”(civilian and military). The development of “clubs of amateurbiologists” and of a “home biology” increasingly worries publicopinion. Although laws and regulations provide responses in

106-114 Résumés_Résumés 07/02/13 14:39 Page107

Page 109: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

RÉSUMÉS É

TRANGERS

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013108

certain cases, other guarantees — ethical ones — must also beforthcoming. Other responses involve the commitment to ascientific code of conduct, the formation of a scientificcommittee on biological security and a public informationcampaign like the one launched by the Synthetic BiologyObservatory in France.

Synthetic biology: Questions for society

Alexei GRINBAUM

To the stock of social, economic, political, ethical andmetaphysical questions having to do with the developmentof biotechnology, synthetic biology has added newinterrogations but, more importantly, has revived andupdated older ones. Citizen confidence in scientists is nolonger to be taken for granted; and as much can be saidabout technologists, engineers and industrialists. A newdialog between science and society must lead without delayto a set of norms for anticipating, insofar as possible, theissues that will arise as the products of synthetic biology aremore widely circulated.

MISCELLANY

The anthropological challenge of personal robotics

Gérard DUBEY

Occasions for a dialog between the applied and humansciences are few and far between, at least when the theoreticalpresuppositions underlying these disciplines are in the agenda.Since robots are, historically, a mirror image of human beings,they are a natural reason for reopening this dialog. This holdseven more in the case of personal robotics, or “cobotics”, thesubject of this article and one of the most promising fields ofresearch in robotics. Given that these objects must act in theproximity of human beings, in our everyday environment andin close relations with us, broad questions arise that do not fitwithin the traditional bounds of engineering. By placing theseobjects in the anthropological and sociological frameworkwhere they take on meaning, some of the issues, practical aswell as epistemological, are identified that will emerge asrobots enter production on an industrial scale.

106-114 Résumés_Résumés 07/02/13 14:39 Page108

Page 110: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

RÉSUMÉS É

TRANGERS

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 109

DIE BIOÖKONOMIE,EIN SCHLÜSSELFAKTORDES ENERGETISCHENUND ÖKOLOGISCHEN WANDELS

Vorwort

Arnaud MONTEBOURG

Teil 1 : Der neueste Stand der Technikund ihre Perspektiven

Die Bioökonomie heute und ihre Entwicklungsperspektiven

Frédéric SGARD und Yuko HARAYAMA

Die Bioökonomie, die aus den spektakulärenEntdeckungen der Lebenswissenschaften der letzten 50Jahre hervorgegangen ist, gehört zu den besondersvielversprechenden Wachstumssektoren des 21.Jahrhunderts. Die notwendige Entwicklung einesnachhaltigeren Wirtschaftssystems, eine stärkereBerücksichtigung der Umwelt und eine geringereAbhängigkeit gegenüber den natürlichen Ressourcen sinddie Voraussetzungen, die den Biotechnologien, die denKern der Bioökonomie ausmachen, zahlreiche Perspektivenbieten. Doch die Verwirklichung ihres Potenzials erfordertentschlossenes politisches Handeln, denn es gilt dieHindernisse zu beseitigen, die zur Zeit deren allseitigeEntwicklung einschränken.

Die wissenschaftlichen und technologischen Hemmnisse in derkonzeptuellen Phase der synthetischen Biologie

François KÉPÈS

Die Biotechnologie befindet sich zur Zeit in einer schnellenEntwicklungsphase. Ihre fortgeschrittenen Formen, dieheute unter der Bezeichnung synthetische Biologiezusammengefasst sind, koppeln in häufigen Wiederholungendie Konzeption und Herstellung von komplexen Objekten,die auf der Biologie beruhen oder von ihr inspiriert sind.Ebenso wie die Nanotechnologie kann die Biotechnologieunser Verständnis gewisser Schlüsseltechnologien totalverändern. So bahnt sie den Weg für eine neue Generationvon Produkten, Industrien und Märkten, die auf unserenFähigkeiten beruhen, die Materie auf molekularer Ebene zumanipulieren. Die potenziellen Anwendungen derBiotechnologie sind hauptsächlich in den Bereichen derGesundheit, der Nahrungsmittelindustrie, der Umwelt, derEnergie und der Materialwirtschaft zu finden.

Die Phase der Herstellung verdankt sich biomolekularen, sogenannten post-genomischen Methoden, die seit mehrerenJahrzehnten Gegenstand intensiver Forschungsbemühungensind. Aber es ist die Konzeptionsphase, die von erheblichenwissenschaftlichen und methodologischen Hemmnissenbetroffen ist. Diese Situation ist wahrscheinlich auf einengeringeren Forschungseinsatz zurückzuführen.

In diesem Artikel werden wir zu Recht einige dieserHemmnisse identifizieren.

Die industriellen Anwendungen der Bioinformatik

Jean-Philippe VERT

Zu einem Zeitpunkt, zu dem die Verfahren in der Genomikund die großen Leistungen in der Proteomik in dieBiologielaboratorien vordringen, sind die Lebenswissenschaftenmit einer Flut von außerordentlich hohen und komplexenDatenmengen konfrontiert. Die Manipulation dieser Datenund deren Auswertung erfordern neue Methoden, die auf derModellierung und der Informatik beruhen. Die Bioinformatikist gleichzeitig eine Wissenschaft an der Schnittstelle zwischenInformatik und Biologie und eine lebensnotwendige Industriefür die Speicherung, die Analyse und die Auswertung derbiologischen Daten, die in der Gesundheitsindustrie, derNahrungsmittelindustrie und auch in der Energieerzeugungverwertet werden sollen. Dieser Artikel möchte einen kurzenÜberblick über diesen Bereich, seine Akteure und seineHerausforderungen geben.

Unauflöslich miteinander verbunden : Messung undBioökonomie

Emily M. LEPROUST, Derek LINDSTROM, Maurice SANCIAUME und Stephen LADERMAN

Die synthetische Biologie ist als eine Konzeption undKonstruktion von biologischen Substanzen und Prozessendefiniert worden, die genutzt werden sollen, um neueProdukte herzustellen. Die DNA-Synthese ist einentscheidendes Element dieser Konstruktion. Immerperfektere Messsysteme haben in der Chemie der DNA-Synthese Fortschritte erlaubt und hervorgebracht. Diejahrzehntelange Entwicklung der DNA-Synthese und dieEntwicklung von DNA-Chips sowie die besondere Bemühungum die Minimalisierung seltener Nebenwirkungen und sehrgeringer Defekte in der Reaktionsausbeute haben es erlaubt,beispiellose Resultate hinsichtlich der Genauigkeit und derSyntheseleistung zu erzielen. Es wurde bewiesen, dass dieIndustrialisierung dieser perfektionierten Chemie eine robusteund ökonomische Basis für hochsensible und spezifischeHybridisierungstests schuf. Es wurde ebenfalls bewiesen, dasssie als robuste und ökonomische Quelle für ADN-Oligonukleotide dienen kann, die den Spezifikationenentspricht, die vom Benutzer definiert werden, und die voneiner Qualität sind, die für ihre Benutzung in dersynthetischen Biologie hinreicht. Dank der Verfügbarkeit vonADN-Oligonukleotiden guter Qualität und dank demgleichzeitigen Vorhandensein von ebenfalls industrialisiertenProzessen, die in größeren Konstruktionen kombiniert werdenkönnen, lassen sich die Methoden der synthetischen Biologiein großem Maßstab anwenden. Dies hat zur Folge, dass neueMessungsmodalitäten entwickelt werden. Diese Beispieleveranschaulichen wie andere, die in weiteren Artikeln dieserAusgabe vorgestellt werden, die enge und manchmalunvorhersehbare Wechselwirkung zwischen der Messung, derWissenschaft und der Biotechnologie, und sie unterstreichendie fundamentale Rolle der Messung für den Fortschritt derBioökonomie.

AN UNSERE DEUTSCHSPRACHIGEN LESER

106-114 Résumés_Résumés 07/02/13 14:39 Page109

Page 111: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

RÉSUMÉS É

TRANGERS

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013110

Teil 2 : Die zukunftsträchtigenIndustriesektoren und ihreSpitzentechnologien

Die Energie

Die Biokraftstoffe der zweiten Generation (2G) : einBeschleuniger des energetischen Übergangs zu einerWasserstoffwirtschaft

Olivier DELABROY

Die Entwicklung einer Bioökonomie, insbesondere imTransportwesen, setzt die Entwicklung einesBiokraftstoffsektors voraus. Die Herstellung vonBiokraftstoffen der zweiten Generation (2G) vollzieht sichnicht nur auf biologische, sondern auch auf thermochemischeWeise, die auch als BtL (Biomass to liquids) bezeichnet wird.Die Akteure dieses Sektors, zu denen Air Liquide gehört,verfolgen eine technisch-wirtschaftliche Strategie, die inabsehbarer Zeit die Wettbewerbsfähigkeit dieser neuenTechnologie garantieren soll.

Dieser thermochemische Weg, der auf der Gasbildung durchBiomasse beruht, erlaubt es, Wasserstoff in großem Maßstabzu gewinnen. Die Industrialisierung dieser neuen Technik unddie sich daraus ergebende Herstellung von Bio-Wasserstoff zuwettbewerbsfähigen Preisen sind entscheidende Faktoren, diedie Entwicklung einer Mobilität durch Wasserstoff zubeschleunigen vermag.

Die Perspektiven der synthetischen Biologie in der Produktion vonKraftstoffen auf der Basis von Biomasse

Vincent SCHÄCHTER

Die synthetische Biologie, die Verfahren zur Konstruktion vonStoffwechselwegen in Mikroorganismen gefunden hat,erweitert beträchtlich das Spektrum der Biomoleküle, die sichauf der Basis von Zucker und bald auch aus nicht derErnährung dienender Biomasse herstellen lassen. Somitverbindet sie die Märkte der Biokraftstoffe mit denen derChemie auf dem Wege einer gemeinsamen technologischenGrundlage und vermehrt die Möglichkeiten der Verwertungverschiedener Sorten von Biomasse zu verschiedenenProdukten um ein Vielfaches, und ermöglicht eine größereFlexibilität der Entwicklungsstrategien und in absehbarerZukunft auch industrielle Projekte. Eine solche Perspektive istsehr erwünscht, denn die aktuelle wirtschaftliche undgesellschaftliche Konstellation ist für Biokraftstoffe nichtbesonders günstig. Einige Jahre und beträchtlicheBemühungen in Forschung und Entwicklung sind nochnotwendig, um diese neuen Verfahren zur Herstellung neuerKraftstoffe zur industriellen Reife zu bringen. Es werden dieletzten Bioprodukte sein, die die Rentabilitätsschwellen –abgesehen von jeder Subventionspolitik - überschreiten.

Die ChemieEine biobasierte Chemie

Olivier APPERT und Fabio ALARIO

Gewisse Rohstoffe, welche die chemische Industrie von derErdölchemie bezieht, können über kurz oder lang nicht mehrso leicht zugänglich sein. Ist eine biobasierte Chemie einedenkbare Alternative zur klassischen Erdölchemie, die auf derTransformation fossiler Ressourcen beruht ? Zu welchen

Bedingungen ? Welche Rolle könnte der Staat auf diesemGebiet spielen ?

2.3. Die Gesundheit

Die synthetischen Viren und ihre therapeutischen Perspektiven –Der Standpunkt der Nano-Medizin

Thierry FUSAI

Nach jahrelanger biologischer Forschung, die darin bestand,einen Teilbereich nach dem anderen zu analysieren und dieBeziehungen zwischen der Struktur und den Funktionen derzellularen Bestandteile verstehen zu wollen, sind wir mit einerkonzeptuellen Revolution konfrontiert : das Lebendige wirdzum System ; raffinierte Technologien, wie die synthetischeBiologie, verwandeln das Genom in chemische Produkte.

In diesem Zusammenhang werden hoch pathogene Viren zutherapeutischen Zwecken gezielt verwendet und dieNanotechnologien bieten uns die Werkzeuge zurVektorisierung, um ihre Wirkung genau bestimmen undoptimieren zu können.

Neukombinierte Viren und synthetische Viren

Ali SAÏB

Die Entwicklung der Molekularbiologie und der mit ihrverbundenen Technologien, die die Grundlagen für dieAnfänge der synthetischen Biologie schufen, ist aufs Engstemit der Geschichte der Virologie verbunden. Auch wenn diesynthetische Biologie erst seit dem Jahr 2000 in der Welt derWissenschaft Verbreitung fand, haben die biologischenIngenieurswissenschaften ihre ersten Schritte mit dem Virusund seiner Erforschung schon seit den 1960er Jahren getan.Heute erlauben es die zahlreichen technischen Möglichkeiten,die nicht nur den Wissenschaftlern, sondern auch denAmateurbiologen zur Verfügung stehen, die einen neuenfreien Raum des Austauschs strukturieren (eine Art opensource für Biologie), zu überdies lächerlich geringen Kostenexistierende Viren zu manipulieren, neue zu schaffen, odersogar verschwundene Viren neu zu „erschaffen“. DieseManipulationen werden oft im Rahmen therapeutischerAnwendungen vorgenommen oder dienen einfacher gesagteinem besseren Verständnis des Lebendigen. Jenseits dervielversprechenden Anwendungen lassen diese neuenMöglichkeiten zahlreiche Fragen aufkommen, die in einengesellschaftlichen Dialog integriert werden müssen, der dasganze Ausmaß der Anliegen, Problematiken und möglichenRisiken zu umfassen vermag.

Das Saatgut und die neuen Pflanzensorten

Ist unser pflanzliches genetisches Erbgut durch dieBiotechnologien bedroht ?

Dominique PLANCHENAULT

Die Methoden zur Erzeugung neuer Pflanzensorten sindzahlreich und äußerst vielfältig. Sie haben außerdem dieBesonderheit, mehr oder weniger gut von der Gesellschaftakzeptiert zu werden. Selbst wenn die Verbesserung derPflanzen im Grunde genommen das Ergebnis eines Zufallsbleibt, hängt sie von bestimmten Entscheidungen ab, die sichaus dem Bedarf der Landwirte, der Industriellen und derEndverbraucher ergeben. Zufall, Zwänge und Ansprüche sinddie wichtigsten Begriffe eines Dialogs, der zwischen allenAkteuren geführt werden muss.

106-114 Résumés_Résumés 07/02/13 14:39 Page110

Page 112: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

RÉSUMÉS É

TRANGERS

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 111

Teil 3 : Wirtschaftliche und strategischeHerausforderungen und neuegesellschaftliche Grenzen

Die Umrisse einer vertretbaren Bioökonomie

Dominique DRON

Die so genannten „biobasierten“ Substanzen und Prozessewecken weltweit bei privaten wie bei öffentlichen Akteurenein äußerst lebhaftes Interesse. Tatsächlich können dieSubstanzen, die theoretisch erneuerbar sind, erschöpfbare oderkonfiszierbare Ressourcen ersetzen, während die Prozesseweniger schädlich für Gesundheit und Umwelt als ihrekonventionellen Vorgänger sein könnten, sei es in derIndustrie oder in der Landwirtschaft.

Gewiss. Aber verließe man sich übereilt auf die Bioökonomie(d.h. auf die Lebenswissenschaften) und folgte nur dieserbegrenzten Vision unter Beibehaltung der Denkweise derorganischen Ökonomie, so bestünde nicht nur sehr schnell dieGefahr, Enttäuschungen zu erleben, sondern zudem nochernste Schäden zu verursachen. Es handelt sich also nicht nurum Wissenschaft, sondern auch um Kultur.

Die nicht der Ernährung dienenden Nutzungsweisen derBiomasse

Christophe ATTALI

Der gemeinsam erstellte Bericht des Conseil général del’Alimentation, de l’Agriculture et des Espaces ruraux (Generalratfür Ernährung, Landwirtschaft und ländliche Räume), desConseil général de l’Environnement et du Développement durable(Generalrat für Umwelt und nachhaltige Entwicklung) unddes Conseil général de l’Économie, de l’Industrie, de l’Énergie etdes Technologies (Generalrat für Wirtschaft, Industrie, Energieund Technologien) ist ein Beitrag zur kollektivenAnstrengung, die der Wirtschaft durch mehr Nachhaltigkeiteine neue Orientierung geben soll : die neuen Nutzungsweisender Biomasse tragen in ihrer ganzen Vielfalt schon heute zurEntstehung der Bioökonomie bei.

Die Bedeutung der Normierung in der Entwicklung derBioökonomie

Françoise ROURE

Die Frage der Verfügbarkeit und der Interoperabilität derdigitalen Daten ist für die Innovation, den Schutz und dieSicherheit der Anwendungen, die im Rahmen derBioökonomie entwickelt wurden und werden, von großerBedeutung.

Es handelt sich um eine notwendige Normierungsaufgabe aufinternationaler Ebene, für die ein technischer Ausschuss in derISO (Internationale Organisation für Standardisierung)geschaffen wurde, der mit den Biotechnologien befasst ist.

Die Auswirkung der Bioökonomie auf den Sektor derVerteidigung und Sicherheit : das Beispiel der synthetischenBiologie

Patrice BINDER

Die synthetische Biologie ist schon einer der Zukunftssektorender Bioökonomie. Der Sektor der Verteidigung und derSicherheit bekundet Interesse für dieses Gebiet, denn zumeinen bietet es Perspektiven und Möglichkeiten technischer

Entwicklung für den Sektor, und zum anderen wirft es Fragender Sicherheit hinsichtlich der „Güter mit doppelter Nutzung“(für zivile und militärische Zwecke) auf. Die Entwicklung von„Amateurbiologen-Clubs“ oder von Angeboten für „Biologiezu Hause“ beunruhigt auch die Öffentlichkeit. Wenn Gesetzeund Vorschriften heute diese Sorgen gebührendberücksichtigen, so ist es doch notwendig, andere Garantienzusätzlich zum rein rechtlichen Rahmen einzuführen –ethische Garantien. „Wissenschaftliche Verpflichtungen zurDeontologie“ und die Bildung eines wissenschaftlichenAusschusses für biologische Sicherheit könnten dieserErwartung entsprechen, um die Aufgabe des Observatoire de laBiologie de Synthèse, das zur Information der Öffentlichkeitverpflichtet ist, zu ergänzen.

Synthetische Biologie und gesellschaftliche Fragen

Alexei GRINBAUM

Unter den Fragen gesellschaftlicher, wirtschaftlicher,politischer, ethischer und metaphysischer Natur, die sich ausder Entwicklung der Biotechnologien ergeben, wirft diesynthetische Biologie sicher einige neue Fragen auf. Doch vorallem aktualisiert sie erneut alte Fragen. Das Vertrauen in denWissenschaftler ist heute nicht mehr unbedingt sicher.Dasselbe gilt für Technologen, Ingenieure und Industrielle. Indiesem erneut geführten Dialog zwischen Gesellschaft undWissenschaft ist es absolut notwendig, unverzüglich einennormativen Rahmen zu erarbeiten, der so weit als möglich diezukünftigen Problematiken antizipieren soll, die durch eineweitreichende Verbreitung der Produkte der synthetischenBiologie hervorgerufen werden können.

ANDERE THEMEN

Die anthropologischen Herausforderungen der kooperativenRobotik

Gérard DUBEY

Die Gelegenheiten zum Dialog zwischen den angewandtenWissenschaften und den Humanwissenschaften sind ziemlichselten, sobald man die theoretischen Voraussetzungen berührt,auf deren Basis sich unsere jeweiligen Disziplinenherausgebildet haben. Doch in dem Maße wie das Bild desRoboters historisch aus der Selbstwahrnehmung desMenschen im Spiegel abzuleiten ist, lädt es natürlich dazu ein,einen solchen Dialog erneut aufzunehmen und zu vertiefen.Dies trifft zweifelsohne noch stärker auf die kooperativeRobotik – für die Mensch-Roboter-Kooperation – zu, demGegenstand dieses Artikels, denn sie stellt zur Zeit eins derfruchtbarsten Forschungsfelder der Robotik dar. Die Tatsache,dass diese Objekte im Nahbereich der auf sie angewiesenenMenschen agieren müssen, in ihrem täglichen undpersönlichen Umfeld, löst einen Komplex von Fragen aus, mitdenen die Ingenieurswissenschaften traditionell nicht befasstsind. Indem ich diese Objekte wieder in denanthropologischen und soziologischen Zusammenhang stelle,der ihnen Sinn verleiht, schlage ich vor, einige der sowohlpraktischen als auch epistemologischen Herausforderungen zuidentifizieren, mit denen man sich angesichts der inindustriellem Maßstab vorangetriebenen Entwicklungauseinandersetzen muss.

Koordinierung der Beiträge von Françoise ROURE

106-114 Résumés_Résumés 07/02/13 14:39 Page111

Page 113: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

RÉSUMÉS É

TRANGERS

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013112

LA BIOECONOMÍA, FACTOR CLAVEDE LA TRANSICIÓN ENERGÉTICA YECOLÓGICAPrefacio

Arnaud MONTEBOURG

1a parte: Situación actual y perspectivas

La bioeconomía hoy en día y sus perspectivas de desarrollo

Frédéric SGARD y Yuko HARAYAMA

Gracias a los espectaculares descubrimientos científicos de losúltimos cincuenta años, la bioeconomía es uno de los sectoresde crecimiento más prometedores del siglo XXI. La transiciónnecesaria de nuestro sistema económico hacia una mayorsostenibilidad, mayor preocupación por el medio ambiente ymenor dependencia de los recursos naturales ofrecen a labiotecnología, núcleo de la bioeconomía, grandesoportunidades. Pero la realización de su potencial requerirá laaplicación de políticas proactivas, con el fin de superar losobstáculos que actualmente limitan su desarrollo pleno.

Las restricciones científicas y tecnológicas en la fase conceptual dela biología sintética

François KÉPÈS

La bioingeniería evoluciona rápidamente. Sus formasavanzadas, actualmente agrupadas bajo el término de biologíasintética, reúnen iterativamente el diseño y fabricación deobjetos complejos basados en (o inspirados por) la biología. Aligual que la nanotecnología, es probable que la biologíasintética cambie totalmente nuestro enfoque de algunastecnologías clave . De esta forma, abre el camino para unanueva generación de productos, industrias y mercadosconstruidos sobre nuestra capacidad de manipular la materia alnivel molecular.

Las aplicaciones potenciales de la biología sintética seencuentran principalmente en las áreas de sanidad,alimentación, medio ambiente, energía y materiales.

La fase de fabricación emplea métodos biomolecularesconocidos como post-genómicos que han sido objeto deprofundas investigaciones desde hace varias décadas.

Ahora bien, la fase de diseño se ve afectada por restriccionescientíficas y metodológicas importantes, una situación querefleja probablemente una menor inversión.

En este artículo, identificaremos precisamente algunas de estasrestricciones.

Las aplicaciones industriales de la bioinformática

Jean-Philippe VERT

En la época en la que las tecnologías genómicas y proteómicasde alta velocidad invaden los laboratorios de biología, lasciencias de la vida se enfrentan a una avalancha de datosextremadamente grandes y complejos. Manipular estos datos yextraer su significado biológico requiere nuevos enfoques

basados en la modelización y la informática. La bioinformáticaes una ciencia entre la informática y la biología, y una industriavital para almacenar, distribuir, analizar e interpretar los datosbiológicos para su uso en la industria sanitaria, agro-alimentaria o energética. Este artículo proporciona una brevevisión general del campo, sus actores y desafíos.

Inextricably bound: measurement and the bio-economy

Emily M. LEPROUST, Derek LINDSTROM, Maurice SANCIAUME y Stephen LADERMAN

La biología sintética se ha definido como el diseño y laconstrucción de herramientas y sistemas biológicos con finesutilitarios. La síntesis de ADN es un elemento crítico para estaconstrucción. Los sistemas avanzados de medición hanpermitido obtener avances en la química de síntesis de ADN.Asimismo, se han alcanzado niveles sin precedentes entérminos de perfección y velocidad de síntesis gracias aldesarrollo de la síntesis química de ADN y de microchips deADN, desde hace varias décadas, así como la atención prestadaa la reducción de las pocas reacciones secundarias eimperfecciones en los rendimientos de las reacciones. Se hademostrado que la industrialización de esta química avanzadacrea una base sólida y económica para ensayos de hibridaciónaltamente sensibles y específicos. También se ha demostradoque podría servir como una fuente sólida y económica paraoligonucleótidos de ADN que cumplen con especificacionesdefinidas por el usuario, con calidad suficiente para quepuedan ser utilizados en biología sintética. La disponibilidadde oligonucleótidos de ADN de buena calidad, asociada conprocesos industrializados permite combinarlos en estructurasmás grandes, abriendo la posibilidad de una adopción muyamplia de los métodos de la biología sintética. Nuevosmétodos de medición se desarrollan en consecuencia. Estosejemplos, como otros que se presentan en otros artículos deeste número, ilustran la relación cercana y a veces impredecibleentre la medición, la ciencia y la biotecnología; y el papel clavede la medición en el progreso de la bioeconomía.

2a parte: Los sectores industrialesvanguardistas y sus tecnologías depunta

2.1. La energía

Los biocombustibles de segunda generación (2G), aceleradores dela transición energética hacia una economía H2 energía

Olivier DELABROY

El desarrollo de una bioeconomía, en particular para eltransporte, pasa por el desarrollo de un sector debiocombustibles. Además de la vía biológica, la producción debiocombustibles de segunda generación (2G) se realiza deforma termoquímica, también llamada BTL (Biomasa aLíquido). Los actores del sector, incluyendo Air Liquide, semovilizan para llevar producir una hoja de ruta técnica yeconómica que asegure la competitividad de este sectoremergente a largo plazo.

A NUESTROS LECTORES DE LENGUA ESPAÑOLA

106-114 Résumés_Résumés 07/02/13 14:39 Page112

Page 114: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

RÉSUMÉS É

TRANGERS

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • FÉVRIER 2013 113

El proceso termoquímico, basado en la gasificación de labiomasa, también permite producir hidrógeno a gran escala.La industrialización de este sector emergente y la producciónasociada de bio-hidrógeno a precios competitivos constituyeun estímulo importante para acelerar la transición hacia lassoluciones de movilidad a base de hidrógeno.

Las perspectivas de la biología sintética en la producción decombustibles provenientes de la biomasa

Vincent SCHÄCHTER

La biología sintética aplicada a la ingeniería del metabolismode microorganismos amplía enormemente el espectro de lasbiomoléculas que se pueden producir usando azúcares, ydentro de poco a partir de la biomasa no alimentaria. Alhacerlo, se conecta el mercado de biocombustibles con el de laquímica a través de un tronco tecnológico común, y semultiplican las vías posibles de paso de diferentes tipos debiomasa a diferentes tipos de productos, lo que permite unamayor flexibilidad en las estrategias de desarrollo y, a ciertoplazo, en las operaciones industriales. Esta apertura cae bien enun momento en que el entorno económico y social no esfavorable a los biocombustibles. Aún se requieren unoscuantos años y algunos esfuerzos de I + D para que estosnuevos caminos hacia los biocombustibles avanzados lleguen asu madurez industrial. De esta manera los biocombustiblesserán los últimos productos biológicos en pasar el punto deequilibrio económico sin subvenciones.

2.2. La químicaHacia una química con fuentes biológicas

Olivier APPERT y Fabio ALARIO

El acceso a ciertas materias primas suministradas por laindustria química petroquímica puede convertirse en un serioproblema a mediano o largo plazo. La química con fuentesbiológicas, ¿es una alternativa viable a la petroquímicaconvencional basada en la transformación de combustiblesfósiles? ¿Bajo qué condiciones? ¿Cuál podría ser el rol delgobierno en esta área?

2.3. La saludLos virus sintéticos y sus perspectivas terapéuticas. El punto devista de la nano-medicina

Thierry FUSAI

Después de años de investigación en biología pasados aanalizar, compartimiento tras compartimiento, la relaciónentre la estructura y las funciones de los componentescelulares, asistimos a un cambio de paradigma: los seres vivosse convierten en sistema; tecnologías sofisticadas, tales como labiología sintética, transforman el genoma en productosquímicos.

En este contexto, se controlan virus altamente patógenos confines terapéuticos y la nanotecnología nos ofrece herramientasde vectorización para orientar y optimizar sus efectos.

Virus recombinantes y virus sintéticos

Ali SAÏB

El surgimiento de la biología molecular y de las tecnologíasasociadas, que fueron la base para estructurar los principios dela biología sintética, está íntimamente relacionado con lahistoria de la virología. Aunque la biología sintética sólo se hageneralizado en la comunidad científica en los años 2000, la

ingeniería biológica ha hecho su debut con los virus desde losaños 1960. Hoy en día, muchas herramientas técnicasdisponibles no sólo para la comunidad científica, sino tambiénpara los biólogos aficionados, que estructuran un nuevoespacio de libre cambio (una especie de open source biológico)y que además tienen un coste muy bajo, permiten manipularlos virus existentes, crear nuevos e incluso “revivir” virusdesaparecidos. Estas manipulaciones se realizanfrecuentemente en el contexto de aplicaciones terapéuticas osimplemente contribuyen a una mejor comprensión de losseres vivos. Más allá de las aplicaciones prometedoras, estasnuevas posibilidades plantean muchas preguntas que necesitanser integradas en un diálogo social que permita apreciar suimportancia, implicaciones y riesgos asociados.

2.4. Las semillas y las nuevas variedadesvegetalesNuestro patrimonio genético, ¿está amenazado por lasbiotecnologías?

Dominique PLANCHENAULT

Las herramientas utilizadas para la obtención de nuevasvariedades vegetales son múltiples y muy variadas. Tambiéntienen la particularidad de ser más o menos apreciadas por lasociedad. Aunque principalmente sea el resultado de lacasualidad, el fitomejoramiento resulta de seleccionesdeterminadas por las necesidades de los agricultores, losindustriales y los consumidores finales. Casualidad,restricciones y exigencias las palabras clave de un diálogo quedebe establecerse entre todos los interesados.

3ª parte: aspectos económicos,estratégicos y nuevas fronteras sociales

Los contornos de una bioeconomía sostenible

Dominique DRON

Los materiales y procesos de origen biológico renovabledespiertan gran interés en todo el mundo, tanto para losactores privados como públicos. De hecho, los materiales,teóricamente renovables, pueden sustituir recursos agotables oconfiscables, mientras que el proceso puede ser menos nocivopara la salud y el medio ambiente, que los procesostradicionales, ya sea en la industria o la agricultura.

Ahora bien, precipitarse de lleno en la bioeconomía (es decir,la economía de los seres vivos) con esta visión restringida y losrazonamientos de la economía mineral nos expondría no sóloa rápidas decepciones, sino también a graves daños colaterales.Por lo tanto, no sólo se trata de ciencia, sino también decultura.

Los usos no alimentarios de la biomasa

Christophe ATTALI

El informe conjunto del Consejo General de la Alimentación,la Agricultura y el Medio Rural (CGAAER), del ConsejoGeneral del Medio Ambiente y del Desarrollo Sostenible(CGEDD) y del Consejo General de la Economía, Industria,Energía y Tecnología (CGEIET) contribuye al esfuerzocolectivo para reorientar la economía hacia un desarrollo mássostenible. Los nuevos usos de la biomasa, en toda sudiversidad, contribuyen desde ahora a la aparición de la bio-economía

106-114 Résumés_Résumés 07/02/13 14:39 Page113

Page 115: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

Los problemas de la normalización en la transición hacia labioeconomía

Françoise ROURE

La cuestión de la disponibilidad e interoperabilidad de losdatos digitales es un reto importante para la innovación y laseguridad de las aplicaciones que están siendo y serándesarrolladas como parte de la bioeconomía.

Un trabajo necesario de normalización a nivel internacionalrequiere la creación de un comité técnico en la ISO(International Organization for Standardization), dedicado ala biotecnología.

El impacto de la bioeconomía en el sector de la defensa-seguridad,el ejemplo de la biología sintética

Patrice BINDER

La biología sintética ya es un sector prometedor de labioeconomía. El sector de la defensa y la seguridad se interesaen ella porque, por un lado, las perspectivas y oportunidadesde desarrollo tecnológico que ofrece y, en segundo lugar, porlas cuestiones de seguridad que plantea en términos de “bienesde doble uso” (civil y militar). El desarrollo de los “clubes debiólogos aficionados“ o de “biología en casa”, tambiénpreocupa la opinión pública. Si bien el marco legal yregulatorio puede responder por el momento a algunos deestos problemas, es necesario aportar otras garantías además deeste marco puramente legal, garantías éticas. Los“compromisos de ética científica” y el establecimiento de unComité Científico para la bioseguridad podría responder a esteinterrogante, junto a la misión de información públicaasegurada por el Observatorio de Biología Sintética.

Biología sintética y problemas sociales

Alexei GRINBAUM

Entre los temas sociales, económicos, políticos, éticos ymetafísicos relacionados con el desarrollo de la biotecnología,

la biología sintética plantea nuevas preguntas. Pero lo másimportante, reactualiza preguntas antiguas.

La confianza que el ciudadano otorga al científico ya no seadquiere automáticamente. Lo mismo sucede con lostecnólogos, ingenieros e industriales.

En este diálogo renovado entre la ciencia y la sociedad seimpone la necesidad de establecer sin demora un marcojurídico que, en la medida de lo posible, anticipe los futurosproblemas que plantearía una amplia difusión de los productosde la biología sintética.

OTROS TEMAS

Los desafíos antropológicos de la robótica personal

Gérard DUBEY

Las oportunidades para el diálogo entre las ciencias aplicadas ylas humanidades son relativamente raras cuando se tratan lossupuestos teóricos en los que se han constituido nuestrasrespectivas disciplinas. Sin embargo, en la medida en que seinscriba históricamente, en un juego especular con la figurahumana, la figura del robot invita naturalmente a renovar yfortalecer este tipo de diálogo. Esto es aún más cierto cuandose habla de robótica personal o colaborativa - la cobótica -tema de este artículo, que actualmente es una de las áreas deinvestigación más fructífera en la robótica. El hecho de queestos objetos deben funcionar cerca a los seres humanos en suentorno cotidiano e íntimo abre un vasto campo de preguntasque es tradicionalmente no forman parte de la ingeniería. Alsituar estos objetos en el marco antropológico y sociológico enel que tienen sentido, el autor trata de identificar algunos delos retos tanto prácticos como epistemológicos, que suscita laperspectiva de su desarrollo a escala industrial.

El dossier ha sido coordinado por Françoise Roure

RÉSUMÉS É

TRANGERS

© 2013 ANNALES DES MINES Le directeur de la publication : Serge KEBABTCHIEFF

Editions ESKA, 12, rue du Quatre-Septembre 75002 Paris Impression : Ona Industria Grafica – 31013 Pamplona – Navarra - EspagneRevue inscrite à la CPPAP : n° 0216 T 87571 Dépôt légal : Février 2013

106-114 Résumés_Résumés 07/02/13 14:39 Page114

Page 116: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

ABONNEZ-VOUSAUX

ANNALES DES MINES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES

et

GÉRER & COMPRENDRE

et

RESPONSABILITÉ

& ENVIRONNEMENT

DEMANDE D ES P É C I M E N

Publié par

ANNALESDES

MINESFondées en 1794

F ondées en 1794, les Annales des Mines comp-tent parmi les plus anciennes publications éco-

nomiques. Consacrées hier à l’industrie lourde,elles s’intéressent aujourd’hui à l’ensemble de l’ac-tivité industrielle en France et dans le monde, sousses aspects économiques, scientifiques, techniqueset socio-culturels.

D es articles rédigés par les meilleurs spécialistesfrançais et étrangers, d’une lecture aisée,

nourris d’expériences concrètes : les numéros desAnnales des Mines sont des documents qui fontréférence en matière d’industrie.

L es Annales des Mines éditent trois séries com-plémentaires :

Réalités Industrielles,Gérer & Comprendre,

Responsabilité & Environnement.

Q uatre fois par an, cette série des Annales desMines fait le point sur un sujet technique, un

secteur économique ou un problème d’actualité.Chaque numéro, en une vingtaine d’articles, pro-pose une sélection d’informations concrètes, desanalyses approfondies, des connaissances à jourpour mieux apprécier les réalités du monde indus-triel.

Q uatre fois par an, cette série des Annales desMines pose un regard lucide, parfois critique,

sur la gestion « au concret » des entreprises et desaffaires publiques. Gérer & Comprendre va au-delàdes idées reçues et présente au lecteur, non pas desrecettes, mais des faits, des expériences et des idéespour comprendre et mieux gérer.

Q uatre fois par an, cette série des Annales desMines propose de contribuer aux débats sur

les choix techniques qui engagent nos sociétés enmatière d’environnement et de risques industriels.Son ambition : ouvrir ses colonnes à toutes les opi-nions qui s’inscrivent dans une démarche deconfrontation rigoureuse des idées. Son public :industries, associations, universitaires ou élus, ettous ceux qui s’intéressent aux grands enjeux denotre société.

GÉRER & COMPRENDRE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES

RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT

115-116 encart 2013_RI Novembre 2011 07/02/13 14:08 Page115

Page 117: Réalité industrielle - février 2013 - La bioéconomie ... · Partie 1 : L’état de l’art et les perspectives 5 La bioéconomie aujourd’hui, et ses perspectives de développement

BULLETIN D’ABONNEMENT

A retourner accompagné de votre règlement aux Editions ESKA 12, rue du Quatre-Septembre - 75002 ParisTél. : 01 42 86 55 73 - Fax : 01 42 60 45 35

Je m’abonne pour 2013, aux Annales des Mines

Réalités Industrielles + Responsabilité & Environnement

8 numéros France Etrangerau tarif de :Particuliers � 171 € � 206 €Institutions � 215 € � 278 €

Réalités Industrielles + Gérer & Comprendre+ Responsabilité & Environnement

12 numéros France Etrangerau tarif de :Particuliers � 219 € � 276 €Institutions � 324 € � 387 €

Nom ......................................................................................Fonction .................................................................................Organisme ..............................................................................Adresse .................................................................................................................................................................................Je joins : � un chèque bancaire à l’ordre des Editions ESKA

� un virement postal aux Editions ESKA,CCP PARIS 1667-494-Z

� je souhaite recevoir une facture

A retourner à la rédaction des Annales des Mines120, rue de Bercy - Télédoc 797 - 75572 Paris Cedex 12Tél. : 01 53 18 52 71 - Fax : 01 53 18 52 72

Je désire recevoir, dans la limite des stocks disponibles, un numéro spécimen :

� de la série Réalités Industrielles� de la série Gérer & Comprendre� de la série Responsabilité & Environnement

Nom .............................................................................Fonction .......................................................................Organisme.....................................................................Adresse ...............................................................................................................................................................

DEMANDE DE SPÉCIMEN

Réalités Industrielles + Gérer & Comprendre

8 numéros France Etrangerau tarif de :Particuliers � 171 € � 206 €Institutions � 215 € � 278 €

Publié par

ANNALESDES

MINESFondées en 1794

F ondées en 1794, les Annales des Mines comp-tent parmi les plus anciennes publications éco-

nomiques. Consacrées hier à l’industrie lourde,elles s’intéressent aujourd’hui à l’ensemble de l’ac-tivité industrielle en France et dans le monde, sousses aspects économiques, scientifiques, techniqueset socio-culturels.

D es articles rédigés par les meilleurs spécialistesfrançais et étrangers, d’une lecture aisée,

nourris d’expériences concrètes : les numéros desAnnales des Mines sont des documents qui fontréférence en matière d’industrie.

L es Annales des Mines éditent trois séries com-plémentaires :

Réalités Industrielles,Gérer & Comprendre,

Responsabilité & Environnement.

Q uatre fois par an, cette série des Annales desMines fait le point sur un sujet technique, un

secteur économique ou un problème d’actualité.Chaque numéro, en une vingtaine d’articles, pro-pose une sélection d’informations concrètes, desanalyses approfondies, des connaissances à jourpour mieux apprécier les réalités du monde indus-triel.

Q uatre fois par an, cette série des Annales desMines pose un regard lucide, parfois critique,

sur la gestion « au concret » des entreprises et desaffaires publiques. Gérer & Comprendre va au-delàdes idées reçues et présente au lecteur, non pas desrecettes, mais des faits, des expériences et des idéespour comprendre et mieux gérer.

Q uatre fois par an, cette série des Annales desMines propose de contribuer aux débats sur

les choix techniques qui engagent nos sociétés enmatière d’environnement et de risques industriels.Son ambition : ouvrir ses colonnes à toutes les opi-nions qui s’inscrivent dans une démarche deconfrontation rigoureuse des idées. Son public :industries, associations, universitaires ou élus, ettous ceux qui s’intéressent aux grands enjeux denotre société.

GÉRER & COMPRENDRE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES

RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT

Réalités Industrielles

4 numéros France Etrangerau tarif de :Particuliers � 89 € � 109 €Institutions � 117 € � 141 €

115-116 encart 2013_RI Novembre 2011 07/02/13 14:08 Page116