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N ° 1408 ______ ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUATORZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 octobre 2013. RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du Gouvernement Président M. Charles de COURSON Rapporteur M. Alain CLAEYS Députés. ——

Rapport final de la commission Cahuzac - 15 octobre 2013

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Le rapport final de la commission d'enquête de 'Assemblée nationale sur l'affaire Cahuzac. Rédigé par le PS Alain Claeys, il a été rejeté par l'UMP, les centristes et les écologistes, et adopté par les seuls socialistes majoritaires

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    N 1408 ______

    ASSEMBLE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

    QUATORZIME LGISLATURE

    Enregistr la Prsidence de l'Assemble nationale le 8 octobre 2013.

    RAPPORT

    FAIT

    AU NOM DE LA COMMISSION DENQUTE relative aux ventuels dysfonctionnements dans laction du Gouvernement et des services de ltat, notamment ceux des ministres de lconomie et des finances, de lintrieur et de la justice, entre le 4 dcembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion dune affaire qui a conduit la dmission dun membre du Gouvernement

    Prsident M. Charles de COURSON

    Rapporteur M. Alain CLAEYS

    Dputs.

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    La commission denqute relative aux ventuels dysfonctionnements dans laction

    du Gouvernement et des services de ltat, notamment ceux des ministres de lconomie et des finances, de lintrieur et de la justice, entre le 4 dcembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion dune affaire qui a conduit la dmission dun membre du Gouvernement est compose de : MM. Charles de Courson, prsident ; Alain Claeys, rapporteur ; Christian Assaf, Dominique Baert, Mme Marie-Franoise Bechtel, MM. tienne Blanc, Emeric Brhier, Sergio Coronado, Jacques Cresta, Mme Marie-Christine Dalloz, MM. Grald Darmanin, Patrick Devedjian, Christian Eckert, Daniel Fasquelle, Georges Fenech, Hugues Fourage, Jean-Marc Germain, Jean-Pierre Gorges, Mmes Estelle Grelier, Danile Hoffman-Rispal, MM. Philippe Houillon, Guillaume Larriv, Pierre-Yves Le Borgn', Jean-Ren Marsac, Pierre Morel-A-L'huissier, Herv Morin, Jean-Philippe Nilor, Stphane Saint-Andr, Thomas Thvenoud, Mme Ccile Untermaier.

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    SOMMAIRE

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    Pages

    AVANT-PROPOS DE M. CHARLES DE COURSON, PRSIDENT DE LA COMMISSION DENQUTE .............................................................................. 7

    INTRODUCTION ........................................................................................................... 9 PRINCIPAUX VNEMENTS SURVENUS ENTRE LE 2 DCEMBRE 2012

    ET LE 4 AVRIL 2013 ................................................................................................... 13

    I. AU 4 DCEMBRE 2012, LES INFORMATIONS DONT POUVAIENT DISPOSER LES SERVICES DE LTAT SONT RESTES SANS SUITES, FAUTE DE SAISINE DANS LES FORMES APPROPRIES ......................................................................................... 15

    A. EN 2000, LENREGISTREMENT NEST PAS TRANSMIS LA JUSTICE PAR MICHEL GONELLE .................................................................... 15 1. Les conditions dans lesquelles lenregistrement de la conversation entre

    Jrme Cahuzac et son charg daffaires a t ralis ........................................... 16

    2. Labsence de saisine de la Justice ........................................................................... 17

    B. EN 2001, LE SIGNALEMENT INDIRECT AUX SERVICES FISCAUX NABOUTIT PAS .................................................................................................... 18 1. Une saisine inapproprie des services fiscaux ........................................................ 18

    2. Les vrifications entreprises en 2001 sont demeures tonnamment superficielles .......................................................................................................... 19

    3. Le dossier fiscal de Jrme Cahuzac est conserv pendant sept ans, sans raison apparente, Bordeaux ............................................................................................ 21

    C. IL NEST PAS DMONTR QUE LES DOUANES ONT T INFORMES, NI EN 2001, NI EN 2008 .............................................................. 21

    D. EN 2006, LENREGISTREMENT NEST APPAREMMENT PAS UTILIS PAR JEAN-LOUIS BRUGUIRE ......................................................................... 24

    E. LA MENTION, EN 2008, DU COMPTE DANS LE MMOIRE EN DFENSE DE RMY GARNIER NA JAMAIS T SIGNALE AUX DIRECTEURS GNRAUX .................................................................................. 27 1. Un inspecteur des impts en conflit avec sa hirarchie .......................................... 27

    2. Quelle tait la crdibilit de la note du 11 juin 2008 ? ........................................... 28

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    3. Le contenu de la note du 11 juin 2008 na pas t port la connaissance du DGFiP ou des ministres, avant les rvlations de Mediapart ................................ 30

    II. DANS LES SEMAINES SUIVANT LES RVLATIONS DE MEDIAPART, LAPPAREIL DTAT RAGIT DANS LE RESPECT DE LA LGALIT ......................................................................................................... 33

    A. LADMINISTRATION FISCALE TIRE LES CONSQUENCES DU DPORT DE SON MINISTRE DE TUTELLE .................................................... 33 1. Ltablissement trs rapide de la muraille de Chine ......................................... 33

    2. La poursuite de lexamen de la situation fiscale de Jrme Cahuzac ..................... 35

    3. Lenvoi Jrme Cahuzac dune demande type de renseignements dans la perspective dune ventuelle saisine des autorits suisses ..................................... 37

    B. LA JUSTICE NEST SAISIE QUE DE DEUX PLAINTES EN DIFFAMATION ........................................................................................................ 40 1. La question de la base juridique de la plainte en diffamation du 6 dcembre

    2012 ........................................................................................................................ 40

    2. La seconde plainte et le droul normal de la procdure ........................................ 42

    C. LE MINISTRE DE LINTRIEUR INTERROGE LA DIRECTION CENTRALE DU RENSEIGNEMENT INTRIEUR ............................................ 43 1. Lincident mettant en cause la direction dpartementale de la scurit publique

    du Lot-et-Garonne .................................................................................................. 43

    2. La question de la note blanche de la direction centrale du renseignement intrieur .................................................................................................................. 46

    D. LA PRSIDENCE DE LA RPUBLIQUE INVITE MICHEL GONELLE SAISIR LA JUSTICE DES INFORMATIONS QUIL DTIENDRAIT ............. 48 1. La conversation tlphonique entre Michel Gonelle et le directeur de cabinet

    adjoint du prsident de la Rpublique .................................................................... 49

    2. Les suites de cette conversation .............................................................................. 51

    a. Le compte rendu au prsident de la Rpublique et la raction de celui-ci .............. 52

    b. Labsence de second change tlphonique .......................................................... 53

    c. La rvlation, par la presse, de la conversation du 15 dcembre............................ 54

    d. La lettre adresse par Michel Gonelle au juge Daeff ........................................... 55

    III. COMPTER DE LOUVERTURE DE LENQUTE PRLIMINAIRE, LA JUSTICE NEST NI ENTRAVE, NI RETARDE .. 57

    A. LENQUTE PRLIMINAIRE EST MENE AVEC EFFICACIT .................. 57 1. Louverture de lenqute, dclenche par le courrier dEdwy Plenel ..................... 57

    a. Linitiative prise par Edwy Plenel ........................................................................ 57

    b. La dcision du parquet de Paris ............................................................................ 59

    2. Une enqute conduite avec diligence ...................................................................... 61

    a. Les principales tapes de lenqute prliminaire ................................................... 61

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    b. Le rle dterminant des expertises de lenregistrement ......................................... 63

    3. Une enqute mene en toute autonomie par le parquet de Paris ............................. 64

    a. La remonte dinformations au sein de la hirarchie judiciaire ............................. 64

    b. Le suivi de laffaire par le ministre de la Justice ................................................. 67

    c. Le rle du ministre de lIntrieur ........................................................................ 69

    B. LA DEMANDE DASSISTANCE ADMINISTRATIVE LA SUISSE TAIT-ELLE OPPORTUNE ET BIEN FORMULE ? ...................................... 71 1. Lchange de renseignements : une procdure la disposition de

    ladministration fiscale ........................................................................................... 72 a. Depuis 2009, lvolution positive du cadre de lchange de renseignements

    bancaires avec ladministration fiscale suisse ...................................................... 72 b. Une dmarche fiscale indpendante des procdures judiciaires, conformment

    au principe de spcialit ...................................................................................... 76

    c. Cette dmarche a abouti une rponse rapide des autorits suisses ....................... 78

    2. tait-il opportun de saisir les autorits suisses dune demande dassistance administrative ? ...................................................................................................... 79

    a. Un instrument qui reste dun maniement dlicat ................................................... 79

    b. Une procdure qui ntait pas sans risques ........................................................... 80 i. Jrme Cahuzac a t averti du lancement de la procdure, en marge du conseil des

    ministres .......................................................................................................... 80

    ii. Le ministre du budget a t inform du contenu de la demande par ses avocats suisses . 81 iii. Une tentative de manipulation : la publication dans la presse de la rponse au dbut

    du mois de fvrier .............................................................................................. 83

    c. La transmission de la rponse la Justice nallait pas de soi ................................. 84

    i. La question de la transmission de la rponse la Justice a donn lieu controverse ...... 84 ii. La DGFiP navait pas inform le parquet de Paris de la question, mais elle a transmis

    rapidement la rponse ........................................................................................ 84

    3. Ladministration fiscale a-t-elle utilis toutes les possibilits ouvertes par la procdure dchange de renseignements ? ............................................................. 86

    a. Quelles banques devaient tre vises dans la demande ? ....................................... 86

    i. Un seul tablissement est vis ................................................................................ 86 ii. Une demande non cible, thoriquement possible, aurait probablement t juge non

    pertinente ......................................................................................................... 88

    b. La priode vise par la demande pouvait-elle tre plus large ? .............................. 88

    c. La rfrence la notion dayant droit conomique tait-elle oprante ? ................ 89 d. Pourquoi ladministration fiscale franaise na-t-elle pas galement interrog

    Singapour ? ......................................................................................................... 90

    CONCLUSION ................................................................................................................ 93

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    EXAMEN EN COMMISSION .................................................................................... 97

    CONTRIBUTIONS ........................................................................................................ 109

    ANNEXES ........................................................................................................................ 115 I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS .................................................................... 117 II. DOCUMENTS ................................................................................................................ 715

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    AVANT-PROPOS DE M. CHARLES DE COURSON, PRSIDENT DE LA COMMISSION DENQUTE

    Au moment de la cration de cette commission denqute, charge de dterminer les ventuels dysfonctionnements dans laction du Gouvernement et des services de ltat, notamment ceux des ministres de lconomie et des finances, de lintrieur et de la justice, entre le 4 dcembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion dune affaire qui a conduit la dmission dun membre du Gouvernement , jai numr (1) les points, nombreux, sur lesquels je souhaitais que les travaux de la commission fassent la lumire, afin de rpondre au besoin de transparence de nos concitoyens : raisons pour lesquelles le ministre de lconomie et des finances, sur dcision du Prsident de la Rpublique, avait formul une demande dentraide fiscale la Suisse deux semaines aprs louverture, par le parquet de Paris, dune enqute prliminaire, contenu de cette demande, choix de ne pas interroger les autorits singapouriennes, ventuelle instrumentalisation de ladministration fiscale, existence possible, au sein de cette administration ou dans dautres services de ltat, dlments antrieurs aux rvlations de Mediapart sur lexistence du compte ltranger non dclar de Jrme Cahuzac, actions du ministre de lIntrieur et du ministre de la Justice la suite de ces rvlations et pendant lenqute prliminaire, degr dinformation des plus hautes autorits de ltat quant la dtention dun compte ltranger par Jrme Cahuzac.

    Je considrais en effet que les pouvoirs dune commission denqute devaient permettre dobtenir des rponses sur tous ces points.

    Aprs plusieurs mois de travail, jestime que les travaux de la commission denqute ont t utiles. Nous avons pu entendre les principaux protagonistes de laffaire Cahuzac , certains mme par deux fois, ainsi que ceux, membres du Gouvernement et fonctionnaires, qui ont t concerns par la gestion de cette affaire, et nous avons rassembl un nombre important de documents. Je regrette que la majorit des membres de la commission denqute ait cart deux auditions, que je jugeais pertinentes, celle du Premier ministre et celle de Patricia Cahuzac, lpouse de Jrme Cahuzac. Nous avons nanmoins runi de nombreuses informations qui nous ont conduits mieux comprendre lenchanement des vnements et les choix faits par les uns et les autres.

    (1) Rapport (Assemble nationale, n 925, XIVme lgislature) de M. Charles de Courson sur la proposition de

    rsolution tendant la cration dune commission denqute relative au fonctionnement de laction du Gouvernement et des services de ltat entre le 4 dcembre 2012 et le 2 avril 2013 dans la gestion dune affaire qui a conduit la dmission dun membre du Gouvernement, 16 avril 2013.

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    On peut discuter du fait de qualifier telle ou telle action de dysfonctionnement : ce qui napparat que comme une maladresse certains peut constituer une erreur pour les autres. Cest ainsi que mon apprciation diffre de celle du Rapporteur de la commission denqute sur un certain nombre de points, en particulier en ce qui concerne la raction de la prsidence de la Rpublique fin dcembre 2012 ou plutt ce que je perois comme une absence critiquable de raction et laction de ladministration fiscale, sur dcision du prsident de la Rpublique, que je juge inopportune et dont lissue tait mon avis parfaitement prvisible. Le Rapporteur a le mrite de signaler, dans ses dveloppements, les sujets sur lesquels les opinions des membres de la commission denqute sont diffrentes voire opposes. Je prciserai mon analyse dans la contribution de mon groupe.

    En revanche, je partage la prsentation faite par le Rapporteur des raisons pour lesquelles lexistence des avoirs dissimuls de Jrme Cahuzac est reste dans lombre, en dpit de sa dcouverte par Michel Gonelle la fin de lanne 2000. Comme lui, je rends hommage au travail de la Justice dans cette affaire et je constate que les travaux de la commission nont pas rvl dinterfrences de la part de la chancellerie ou du ministre de lIntrieur.

    Sans partager toutes les conclusions du prsent rapport, je salue le travail accompli par la commission denqute. Il est vrai que des questions importantes restent poses, telle que celle relative linaction du prsident de la Rpublique fin dcembre 2012 alors quil disposait dinformations privilgies permettant de douter de la vracit des affirmations de Jrme Cahuzac de non-dtention dun compte ltranger, mais il ne peut en tre fait reproche la commission. Le respect de la sparation des pouvoirs, le primtre bien dfini de lenqute et le refus de Jrme Cahuzac de rpondre aux questions et pas seulement celles qui taient extrieures au strict champ de nos travaux faisaient obstacle ce que nous obtenions des rvlations sur lorigine des fonds, leurs montants et les montages financiers utiliss ; cest lenqute judiciaire en cours de faire la lumire sur ces points. Cette commission denqute a fait ce quelle devait, dans le cadre et dans les limites de ses pouvoirs : remplacer la rumeur, poison de la dmocratie, par la vrit, quel que soit le jugement que lon porte sur celle-ci.

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    INTRODUCTION

    Je dmens catgoriquement les allgations figurant sur le site Mediapart. Je nai pas, monsieur le dput, je nai jamais eu de compte

    ltranger, ni maintenant, ni auparavant. Je dmens donc ces accusations, et jai saisi la justice dune plainte en diffamation, car ce nest que devant la justice,

    hlas, que les accusateurs doivent prouver la ralit des allgations quils avancent.

    Et cest donc devant la justice que je mexpliquerai face ces contradicteurs, en attendant deux des lments probants qui, ce jour, font

    manifestement dfaut. Merci, monsieur le dput, de mavoir permis de le dire devant la reprsentation nationale.

    Interrog, ce mercredi 5 dcembre, par lun de nos collgues (1) au dbut de la sance des questions au Gouvernement, le ministre dlgu au budget, dans lhmicycle de lAssemble nationale, proteste de son innocence et rejette dans les termes les plus nets les accusations parues la veille dans la presse. Il expliquera plus tard (2) avoir tromp, avec la mme assurance, le prsident de la Rpublique et le Premier ministre, qui lavaient questionn quelques heures auparavant.

    Ce mensonge profr devant la Reprsentation nationale, Jrme Cahuzac la renouvel maintes reprises dans les mdias, au cours des semaines suivantes. Ses aveux la justice, quinze jours aprs sa dmission du Gouvernement, ont choqu nos concitoyens, comme ils ont choqu lensemble des responsables politiques.

    Il est vrai que, au-del du mensonge, les agissements de lancien ministre dlgu au budget sont particulirement condamnables : il sest rendu coupable de fraude fiscale alors mme quil tait, de par ses fonctions, le garant de la lgalit fiscale et quil stait fait le champion de la lutte contre la fraude.

    *

    (1) Rponse une question de M. Daniel Fasquelle, compte-rendu intgral de la premire sance

    du 5 dcembre 2012 de lAssemble nationale. (2) Audition de M. Jrme Cahuzac, le 26 juin 2013.

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    Trs peu de temps aprs ces aveux, des accusations graves ont t portes quant laction des services de ltat dans la gestion de cette affaire. Il revenait, ds lors, au Parlement de substituer la rumeur la vrit, dans le cadre de la mission de contrle qui est [la sienne], tout en respectant la sparation des pouvoirs et lindpendance de la justice (1).

    Sur la proposition du groupe UDI (2), lAssemble nationale a ainsi dcid, ds le 24 avril, la cration dune commission denqute, de trente membres, charge de dterminer les ventuels dysfonctionnements dans laction du Gouvernement et des services de ltat, notamment ceux des ministres de lconomie et des finances, de lIntrieur et de la Justice, entre le 4 dcembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion dune affaire qui a conduit la dmission dun membre du Gouvernement.

    Cette commission sest rapidement mise au travail, procdant en cinq mois trente-six auditions. Elle a entendu pendant plus de cinquante heures de runions cinquante-deux tmoins, dont trois lont t deux reprises. Usant des prrogatives que lui reconnat lordonnance du 17 novembre 1958 (3), le Rapporteur de la commission denqute sest fait communiquer de nombreux documents, sans que le secret fiscal ne puisse lui tre oppos.

    *

    Le champ des investigations de la commission tait strictement limit dabord par le texte de la rsolution mais, surtout, par le principe de sparation des pouvoirs, en vertu duquel il est interdit aux travaux dune commission denqute de porter sur des faits ayant donn lieu des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours . Louverture, par le parquet de Paris, le 8 janvier dernier, dune enqute prliminaire, puis, le 19 mars, dune information judiciaire pour blanchiment de fraude fiscale et blanchiment de fonds provenant de la perception par un membre dune profession mdicale davantages procurs par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la scurit sociale lencontre de Jrme Cahuzac et, enfin, lannonce de sa premire mise en examen le 2 avril, interdisaient la commission de sintresser au volet judiciaire de cette affaire.

    Dans ces conditions, il nappartenait pas la commission dclairer lorigine des fonds dissimuls par lintress ltranger. La lgalit des activits de consultant de Jrme Cahuzac, entre 2002 et 2008, nentrait pas non plus dans le champ de lenqute parlementaire. (1) Intervention de M. Charles de Courson, compte-rendu intgral de la premire sance

    du mercredi 24 avril 2013 de lAssemble nationale. (2) Proposition de rsolution n 896 rectifie de M. Jean-Louis Borloo, Jean-Christophe Lagarde et plusieurs

    de leurs collgues. (3) Le II de larticle 6 de lordonnance n 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des

    assembles parlementaires dispose : Les rapporteurs des commissions d'enqute exercent leur mission sur pices et sur place. Tous les renseignements de nature faciliter cette mission doivent leur tre fournis. Ils sont habilits se faire communiquer tous documents de service, l'exception de ceux revtant un caractre secret et concernant la dfense nationale, les affaires trangres, la scurit intrieure ou extrieure de l'Etat, et sous rserve du respect du principe de la sparation de l'autorit judiciaire et des autres pouvoirs.

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    En revanche, les travaux de la commission ont port sur lexistence ou non de dysfonctionnements au sein de lappareil dtat afin de rpondre aux interrogations de nos concitoyens. Le Prsident et le Rapporteur, dun commun accord, ont retenu une interprtation large du champ de la commission denqute. Ils ont tendu la prsidence de la Rpublique les investigations, dans les limites poses par larticle 67 de la Constitution (1) ; le directeur adjoint du cabinet du prsident de la Rpublique a ainsi pu dposer (2) devant les commissaires. Le champ temporel retenu par la rsolution crant la commission a galement t compris avec souplesse, permettant de remonter le temps jusqu lenregistrement dune conversation tlphonique de Jrme Cahuzac la premire preuve matrielle, dans cette affaire la fin de lanne 2000.

    *

    Du point de vue des commissaires, trois questions principales se posaient au dbut des travaux de la commission denqute :

    1/ Les services de ltat disposaient-il, avant le 4 dcembre 2012, dlments matriels permettant de caractriser une fraude fiscale de la part de Jrme Cahuzac ?

    2/ En dehors de lintress, dautres membres de lexcutif, ou leurs collaborateurs, taient-ils, avant les aveux du 2 avril, informs de la vracit des faits allgus par Mediapart et ont-ils cherch peser sur le droulement de laffaire ?

    3/ Aprs la rvlation de laffaire, les services de ltat, et en particulier ceux du ministre de lconomie et des finances, du ministre de lIntrieur et de la Chancellerie, ont-ils agi opportunment et conformment la lgalit ? Leur action a-t-elle entrav, en quoi que ce soit, la bonne marche de la justice ?

    En suivant ce fil conducteur, la commission a tch de faire uvre de transparence en dmlant les faits, parfois confus ou imprcis, relats par la presse. Elle a entendu les acteurs de cette affaire (3) et rassembl les documents permettant de recouper les faits allgus, dans le respect des limites des poursuites judiciaires en cours.

    Se fondant exclusivement sur des lments objectifs et vrifiables, le Rapporteur a examin laction du Gouvernement et des services de ltat au cours de ces quatre mois. Le prsent rapport livre ses conclusions.

    (1) Les dispositions de la Constitution qui rgissent les rapports du prsident de la Rpublique et du

    Parlement font obstacle laudition devant une commission denqute du prsident de la Rpublique. Lextension de lirresponsabilit du prsident de la Rpublique (article 67) ses collaborateurs est demeure pendant longtemps un point dbattu. Les auditions du secrtaire gnral de llyse, M. Claude Guant, et du conseiller diplomatique, M. Jean-David Lvitte, en 2007 par la commission denqute sur les conditions de la libration des infirmires bulgares constituent cependant deux prcdents rcents.

    (2) Audition de M. Alain Zabulon, le 18 juin 2013. (3) Les comptes rendus des auditions sont regroups dans lannexe I.

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    PRINCIPAUX VNEMENTS SURVENUS ENTRE LE 2 DCEMBRE 2012 ET LE 4 AVRIL 2013

    4 dcembre 2012 : Mediapart fait tat de la dtention par Jrme Cahuzac dun

    compte bancaire en Suisse. Selon le site, ce compte, non dclar, dtenu lUBS de Genve aurait t clos en 2010 et les avoirs transfrs lUBS de Singapour.

    5 dcembre 2012 : interrog par Daniel Fasquelle, au cours de la sance des questions au Gouvernement, sur la vracit des informations publies la veille, Jrme Cahuzac proteste solennellement de son innocence. Mediapart met alors en ligne un enregistrement, prsent comme un change entre Jrme Cahuzac et Herv Dreyfus, son gestionnaire de fortune en 2000, qui corroborerait ces informations.

    10 dcembre 2012 : une note signe Jrme Cahuzac, dite muraille de Chine , le met lcart de toute procdure relevant de ladministration fiscale pouvant concerner sa situation.

    11 dcembre 2012 : Mediapart mentionne pour la premire fois les liens familiaux entre Herv Dreyfus et le fondateur de Reyl et Cie.

    14 dcembre 2012 : ladministration fiscale adresse Jrme Cahuzac une demande type de renseignements linvitant fournir des informations sur les comptes bancaires et les avoirs quil dtiendrait ltranger.

    15 dcembre 2012 : Michel Gonelle, ancien maire RPR de Villeneuve-sur-Lot, prend contact avec Alain Zabulon, directeur adjoint du cabinet du prsident de la Rpublique pour lui rvler quil est le dtenteur de lenregistrement publi par Mediapart, et lui expliquer comment il tait entr en sa possession.

    27 dcembre 2012 : le prsident de Mediapart, Edwy Plenel, adresse une lettre au Procureur de Paris, Franois Molins, pour demander l'ouverture dune enqute.

    8 janvier 2013 : le Parquet ouvre une enqute prliminaire pour blanchiment de fraude fiscale, confie la Division nationale des investigations financires et fiscales (DNIFF) de la police judiciaire.

    16 janvier 2013 : lissue du Conseil des ministres, un change a lieu entre le prsident de la Rpublique, le Premier ministre, le ministre de lconomie et des finances et Jrme Cahuzac, au cours duquel ce dernier est inform de la dcision de lancer une demande dassistance administrative auprs des autorits Suisses.

    24 janvier 2013 : ladministration fiscale adresse la demande dassistance administrative aux autorits suisses.

    31 janvier 2013 : ladministration fiscale reoit la rponse des autorits helvtiques sa demande : elle indique que Jrme Cahuzac na pas dtenu de compte lUBS de Genve pour la priode courant partir du 1er janvier 2006.

    Du 6 au 9 fvrier 2013 : le Journal du dimanche et le Nouvel Observateur font tat de la rponse ngative apporte par la Suisse, rponse couverte par le secret fiscal.

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    19 mars 2013 : le Parquet ouvre une information judiciaire contre X pour

    blanchiment de fraude fiscale, et perception par un membre dune profession mdicale davantages procurs par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la Scurit sociale, blanchiment et recel de ce dlit . Jrme Cahuzac dmissionne du Gouvernement en raffirmant son innocence.

    2 avril 2013 : Jrme Cahuzac dclare la justice qu'il dtient un compte non dclar l'tranger. Il est mis en examen.

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    I. AU 4 DCEMBRE 2012, LES INFORMATIONS DONT POUVAIENT DISPOSER LES SERVICES DE LTAT SONT RESTES SANS

    SUITES, FAUTE DE SAISINE DANS LES FORMES APPROPRIES

    Pour pouvoir juger des ventuels dysfonctionnements dans laction du Gouvernement et des services de ltat entre la rvlation, par Mediapart, du compte non dclar quaurait dtenu en Suisse celui qui tait alors ministre dlgu en charge du budget, et les aveux de lintress devant la Justice, il est essentiel de savoir de quelles informations ladministration, voire les membres du Gouvernement eux-mmes, pouvaient alors disposer. Certains, dans les milieux mdiatique et politique, ont affirm que lexistence de ce compte tait connue depuis longtemps par un nombre important de personnes, et notamment par les plus hautes autorits de ltat. Aucune preuve nen a cependant jamais t apporte, et les travaux de la commission denqute nont pas non plus permis de confirmer de telles assertions.

    En revanche, la commission denqute a pu tablir que cette information a t communique, deux occasions, dailleurs lies entre elles, des agents de ladministration fiscale, mais dans des conditions qui nont pas permis sa vrification. Les travaux de la commission denqute ont en outre conduit mettre trs srieusement en doute laffirmation selon laquelle la douane aurait aussi t informe de lexistence de ce compte.

    Dans tous les cas, la circulation de cette information est la consquence de lutilisation qui a t faite de lenregistrement de la conversation entre Jrme Cahuzac et son charg daffaires, ralis fin 2000. Or cette utilisation a beaucoup surpris les membres de la commission denqute. En effet, chacune des initiatives qui ont t prises par le dtenteur de lenregistrement pour en faire connatre le contenu peut tre qualifie d oblique , pour reprendre la formule utilise par un membre de la commission denqute (1). Cest trs clairement le choix de ces voies dtournes qui explique quelles naient jamais eu de suites.

    A. EN 2000, LENREGISTREMENT NEST PAS TRANSMIS LA JUSTICE PAR MICHEL GONELLE

    Si lenqute de Mediapart ne sest pas rsume la dcouverte de cet enregistrement, dont M. Fabrice Arfi navait pas connaissance lorsquil la engage (2), il a jou un rle cl dans le dclenchement de laffaire comme il en a jou un dans lenqute prliminaire, le Rapporteur y reviendra infra. Il est donc utile de comprendre dans quelles conditions il a t ralis, avant de prciser lutilisation qui en a t faite. (1) Audition de M. Michel Gonelle, le 21 mai 2013 : cette expression est utilise par Mme Marie-Franoise

    Bechtel. (2) Audition de MM. Edwy Plenel et Fabrice Arfi, le 21 mai 2013.

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    1. Les conditions dans lesquelles lenregistrement de la conversation entre Jrme Cahuzac et son charg daffaires a t ralis

    Mediapart a, ds le 5 dcembre 2012, mis en ligne des extraits de cet enregistrement et expliqu son origine, sans citer le nom de Michel Gonelle. Ce dernier a, devant la commission denqute (1), confirm le rcit publi par Mediapart. Fin 2000, la suite dun message laiss par Jrme Cahuzac sur son tlphone portable relatif la venue Villeneuve-sur-Lot du ministre de lIntrieur pour linauguration dun commissariat de police, Michel Gonelle, qui en est alors le maire, dcouvre lenregistrement dune conversation entre le dput du Lot-et-Garonne et une autre personne quil na pas identifie et qui se rvlera tre Herv Dreyfus, son gestionnaire de fortunes et charg daffaires propos dun compte dtenu par Jrme Cahuzac en Suisse, la banque UBS.

    Devant la commission denqute, Michel Gonelle a prsent sa raction cette dcouverte dans les termes suivants : De tels enregistrements sont conservs dans la mmoire du tlphone pendant quatorze jours. lpoque maire dune commune de 23 000 habitants ne sachant pas si jallais le demeurer , jai immdiatement compris le caractre sensible et choquant du message. Je nai donc pas souhait que ce document disparaisse. Il demande donc un ingnieur du son quil connat de bien vouloir sauvegarder cette conversation, ce qui est fait au cours des jours suivants. Le spcialiste renregistre cet change sur un minidisque, le support couramment utilis cette poque par les professionnels pour les enregistrements audios de qualit.

    Interrog par crit par le Rapporteur (2), lingnieur du son concern confirme quil a enregistr sur un minidisque la totalit du message lchange avait commenc avant le dbut de lenregistrement sur le rpondeur et le message sinterrompt brutalement et quil nen a pas conserv de double. Il se souvient avoir effectu cette opration fin 2000 pendant la priode de Nol. Il indique clairement navoir remis Michel Gonelle quune copie, sur un seul minidisque, alors que celui-ci affirme en avoir reu deux exemplaires, sur deux minidisques identiques (3).

    Paralllement, selon ses dires, Michel Gonelle fait couter lenregistrement un petit cercle damis moins de cinq personnes . Parmi ces personnes, la commission a pu identifier un ancien gendarme devenu dtective priv et un inspecteur des finances publiques, quelle a entendus (4), ainsi quun

    (1) Audition de M. Michel Gonelle, le 21 mai 2013. (2) Le prsident et le rapporteur de la commission denqute ont dcid de procder par crit aprs que la

    personne qui indiquait avoir effectu lenregistrement M. Jacques Menaspa leur a fait part de son tat de sant lui interdisant de se dplacer. Dans la rponse crite, il apparat que ce nest pas cette personne, mais son fils M. Julien Menaspa , qui a ralis lopration. Le courrier qui a t adress M. Menaspa et la rponse qui y a t apporte figurent en annexe au prsent rapport (annexe II, document n 1).

    (3) Michel Gonelle a ritr cette affirmation dans sa rponse au courrier du Prsident et du Rapporteur dat du 4 septembre 2013 (annexe II, document n 2).

    (4) Audition de MM. Alain Letellier et Florent Pedebas, le 24 juillet 2013, et audition de M. Jean-Nol Catuhe, le 3 juillet 2013.

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    huissier de Justice. Le premier et le troisime semblent avoir entendu lenregistrement depuis le portable de Michel Gonelle, le deuxime partir de la copie faite sur minidisque.

    2. Labsence de saisine de la Justice

    la question du Rapporteur relative aux initiatives quil avait prises ensuite, Michel Gonelle a apport la rponse suivante : Trois voies taient possibles. La premire consistait en parler devant les mdias : je lai immdiatement rejete. La deuxime, dune certaine faon, simposait moi, mais je ne lai pas choisie : ctait celle de larticle 40 du code de procdure pnale, cest--dire aller trouver le procureur de la Rpublique de mon dpartement pour lui signaler ce qui constituait un fait dlictueux. Jai adopt une autre voie [celle dun signalement ladministration fiscale par lintermdiaire dun agent de cette administration, voir infra].

    Il a justifi ce choix ainsi : Nous tions la veille des lections, et je dtenais un document sensible. Je navais aucune assurance, en lcoutant, que le compte ltranger dont il tait fait mention ntait pas dclar, mme si javais une forte prsomption. Si javais livr ce document sur la place publique en plein dbat lectoral, je me serais probablement expos une action en diffamation ou, plus grave encore, en dnonciation calomnieuse.

    Il ne fait pourtant aucun doute que, comme il le reconnat lui-mme, Michel Gonelle aurait d transmettre lenregistrement au procureur de la Rpublique, en application de larticle 40 du code de procdure pnale. Le deuxime alina de cet article dispose en effet que toute autorit constitue, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans lexercice de ses fonctions, acquiert la connaissance dun crime ou dun dlit est tenu den donner avis sans dlai au procureur de la Rpublique et de transmettre ce magistrat tous les renseignements, procs-verbaux et actes qui y sont relatifs . Michel Gonelle tait alors maire de Villeneuve-sur-Lot, et donc autorit constitue . Il est vrai que la Cour de cassation a eu loccasion de prciser que les prescriptions du second alina de larticle 40 du code prcit ne sont assorties daucune sanction pnale (1), seules des sanctions disciplinaires pouvaient tre encourues par les fonctionnaires ou les magistrats. Un lu qui ne respecte pas ces dispositions ne peut tre sanctionn, mais elles nen constituent pas moins une obligation, laquelle M. Gonelle naurait pas d manquer. Le contenu de la conversation enregistre ne laissait en fait gure de doute sur le caractre non dclar du compte en question (2).

    (1) Sauf en cas de non-dnonciation dun crime dont il est encore possible de prvenir ou de limiter les effets,

    ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient tre empchs, laquelle constitue un dlit en application de larticle 434-1 du code pnal.

    (2) Selon la transcription publie par Mediapart, Jrme Cahuzac dit par exemple : a me fait chier davoir un compte ouvert l-bas, lUBS cest quand mme pas la plus planque des banques.

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    Toujours au cours de sa premire audition par la commission denqute, Michel Gonelle ajoute ensuite de nouveaux arguments pour justifier le fait quil navait pas saisi la Justice : un point de lenregistrement, on entend M. Cahuzac dire quil ny a plus rien sur le compte (1). Ce dtail a pes sur ma dcision. Beaucoup dentre vous pensent que jaurais d agir de faon plus nergique, saisir le procureur, par exemple. Mais mettez-vous un instant ma place : il sagissait dun compte ouvert ltranger, sur lequel il ne restait plus dargent. Jtais dans lembarras. Je craignais une action en retour contre moi, de surcrot dans un contexte de campagne lectorale. Ne me faites pas grief de navoir pas utilis ce document dans la bataille lectorale, selon ma conception, ce nest pas le lieu de tels dballages. Elle est faite pour voquer des ides, des projets, les positions politiques respectives des candidats. .

    Le fait que largent qui avait t dpos sur ce compte ait t soit dpens, soit transfr ailleurs navait nullement pour effet de faire disparatre lventuel dlit de fraude fiscale constitu par son placement illgal en Suisse. Saisie de lenregistrement, la Justice aurait pu soit transmettre cette information ladministration fiscale, soit ouvrir une enqute prliminaire pour blanchiment de fraude fiscale, comme elle la fait en janvier 2012. Il semble que ce soit bien moins un raisonnement juridique que la crainte que lui inspirait Jrme Cahuzac dont il na pas fait mystre au cours de cette audition , qui conduit Michel Gonelle ne pas aviser le procureur de la Rpublique et choisir une autre voie, celle du signalement auprs de ladministration fiscale.

    Mais, au lieu de sadresser directement cette administration, il recourt des intermdiaires, ce qui a eu pour effet de rendre sa dmarche inefficace.

    B. EN 2001, LE SIGNALEMENT INDIRECT AUX SERVICES FISCAUX NABOUTIT PAS

    Les travaux de la commission denqute ont permis dclairer les conditions dans lesquelles des soupons relatifs aux avoirs dtenus par Jrme Cahuzac ltranger ont t, une premire fois, ports la connaissance dagents de ladministration fiscale.

    1. Une saisine inapproprie des services fiscaux

    Plutt que dutiliser larticle 40 du code de procdure pnale, Michel Gonelle sest tourn la toute fin de lanne 2000 ou au dbut de lanne 2001 vers un inspecteur des impts, Jean-Nol Catuhe, alors en poste Villeneuve-sur-Lot et avec lequel il entretenait une relation de confiance. Cet ami a fait partie du petit cercle de familiers auxquels Michel Gonelle a laiss couter lenregistrement quil avait ralis.

    (1) Toujours selon la transcription publie par Mediapart, il aurait en effet dit : Moi, ce qui membte, cest

    que jai toujours un compte ouvert lUBS, mais il ny a plus rien l-bas, non ? .

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    Comme il la expliqu lors de son audition (1), Jean-Nol Catuhe se souvient davoir propos, lors dun entretien auquel Michel Gonelle lavait convi son cabinet, de faire un signalement et de transmettre linformation au service ad hoc, qui se chargerait de faire une enqute . Il a ainsi pris contact avec lun de ses anciens condisciples lcole nationale des impts, Christian Mangier, qui travaillait la brigade interrgionale dintervention (BII) de Bordeaux, dpendant de la direction nationale denqutes fiscales (DNEF).

    La saisine de cette direction nationale, au-del du caractre officieux de la procdure suivie par MM. Catuhe et Gonelle, parat surprenante. Sil ny a pas de comptence dattribution stricte en matire de recherche des infractions fiscales, la DNEF a plutt vocation prendre en charge des oprations collectives centres non sur un contribuable en particulier mais sur une thmatique (par exemple, les carrousels en TVA et la fraude internationale, au cours des trois dernires annes), comme la rappel lors de son audition lun de ses anciens directeurs (2). Les BII, Bordeaux ou ailleurs, nont donc pas vocation procder lexamen de la situation fiscale personnelle des contribuables : une telle mission relve dautres services au sein de ladministration fiscale, sauf sur demande expresse de la direction gnrale ce qui ntait pas le cas, en lespce.

    Un inspecteur des impts chevronn, comme Jean-Nol Catuhe, ne pouvait ignorer que son signalement du dbut de lanne 2001 aurait d tre adress au centre des impts de Paris Sud, en charge du dossier fiscal personnel des poux Cahuzac demeurs domicilis Paris, ou la direction nationale des vrifications de situations fiscales (DNVSF), qui tait le service comptence nationale spcialis en matire de fiscalit personnelle. Il faut sans doute voir dans le choix de se tourner vers la DNEF, moins le hasard (3) dune rencontre avec un ancien camarade de promotion que la recherche dlibre dune voie informelle. Cette option initiale peut expliquer, en tout cas, limpasse sur laquelle dboucheront finalement les vrifications de Christian Mangier.

    2. Les vrifications entreprises en 2001 sont demeures tonnamment superficielles

    Si la commission denqute na pu entendre ce fonctionnaire de la DNEF, aujourdhui dcd, elle a convoqu trois de ses anciens collgues, en fonction Bordeaux entre 2000 et 2007. Leurs tmoignages attestent de labsence de toute entrave. Ils rvlent cependant de stupfiantes lacunes dans le fonctionnement de ce service.

    Interrog par le Rapporteur, Patrick Richard, le contrleur des finances publiques qui travaillait alors en binme avec Christian Mangier, a confirm que son collgue lavait inform, en fvrier 2001, dun renseignement reu sur la dtention, par M. Cahuzac, dun compte bancaire en Suisse, lequel lui aurait (1) Audition de M. Jean-Nol Catuhe, le 3 juillet 2013. (2) Audition de M. Bernard Salvat, le 4 juin 2013. (3) Audition de M. Jean-Nol Catuhe, le 3 juillet 2013.

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    permis de financer ses activits lectorales . Comme cest lhabitude en la matire, M. Mangier a demand (1) communication du dossier fiscal du contribuable concern, afin de dmarrer leurs vrifications mais galement pour sassurer que celui-ci ne faisait pas lobjet dune enqute par un autre service.

    Le centre des impts de Paris Sud a adress sans dlai lintgralit du dossier fiscal des poux Cahuzac, par voie postale. Lorsque le dossier est arriv, il a t examin pour vrifier en premier lieu que le contribuable navait jamais dclar de compte bancaire ltranger. Patrick Richard a indiqu aux commissaires avoir ensuite discut de son contenu avec son collgue et mis le souhait de rencontrer la source du renseignement afin d en valuer la crdibilit avant dentamer quelque action que ce soit (2). Jamais pourtant il ne rencontrera Jean-Nol Catuhe, ni mme ne connatra son nom.

    Cette manire de procder conduit un premier dysfonctionnement. Lorsque linformateur tait un fonctionnaire dune autre administration et a fortiori un collgue de la direction gnrale des impts, les deux hommes avaient en effet coutume de recevoir ensemble, dans les locaux de ladministration, la personne ayant donn le renseignement, afin de mesurer sa proximit avec la source principale, de comprendre par quel moyen linformation lui tait parvenue, de rechercher de premires pistes pour commencer lenqute [ ;] en gnral, ce que lun savait, lautre le savait aussi, car avant de prendre une dcision ou douvrir une enqute, nous en discutions entre nous . En lespce, Patrick Richard a indiqu, lors de son audition, que la source avait requis lanonymat, ce que dmentent les intresss. Disposant de peu dlments, et ne pouvant interroger plus avant leur source, les fonctionnaires de la DNEF ont rapidement interrompu leurs investigations sur Jrme Cahuzac.

    Labsence dinformation de lautorit hirarchique constitue une autre anomalie. Comme il la expliqu aux membres de la commission denqute, lancien chef de la brigade de Bordeaux de 1998 2003, Olivier Andr, na jamais t averti par ses deux subordonns. Il aurait pourtant d tre avis dans la mesure o ce renseignement concernait une personnalit exerant des fonctions lectives et non pas un contribuable ordinaire (3) : Dans le cas despce, et dans la mesure o il sagissait dune notorit , la rgle qui na pas t respecte voulait que lenquteur vienne me demander lautorisation de se faire communiquer le dossier. Je la lui aurais certainement accorde, et jaurais inform ma hirarchie, Pantin. .

    Comme la confirm sous serment Patrick Richard (4), Christian Mangin et lui nont transmis ni leur chef de service, ni aucune autorit de ltat les renseignements quils avaient recueillis en 2001 sur le dput Jrme Cahuzac. La

    (1) Le formulaire correspondant cette demande est dat du 9 fvrier 2001 et il porte la seule signature de

    Christian Mangier ; le motif du prlvement est consultation . (2) Audition de M. Patrick Richard, le 18 juin 2013. (3) Audition de M. Olivier Andr, le 18 juin 2013. (4) Audition de M. Patrick Richard, le 18 juin 2013.

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    commission denqute na dcouvert aucun lment accrditant lhypothse dune information des ministres de lpoque en charge de lconomie ou du budget, et encore moins la preuve dune intervention politique pour faire cesser lenqute de la BII. Le Rapporteur en conclut que cest linsuffisance des renseignements ainsi que les rticences de MM. Catuhe et Gonelle utiliser les voies officielles qui, principalement, expliquent que ce premier signalement nait pas abouti.

    3. Le dossier fiscal de Jrme Cahuzac est conserv pendant sept ans, sans raison apparente, Bordeaux

    Les travaux de la commission denqute ont mis en vidence une dernire anomalie. Les bordereaux de transmission du dossier fiscal ont en effet mis en vidence que ce dossier tait demeur jusquen 2007 dans les locaux de la BII. Aucune justification la conservation de ces pices pendant sept ans na pu tre fournie par ladministration fiscale (1) ; seule la ngligence parat pouvoir expliquer pareil enlisement. Apparemment, comme cela a t confirm au Rapporteur (2), le traitement des dclarations dimpts des poux Cahuzac na pas t entrav pour autant : un nouveau dossier avait t ouvert partir de la transmission en 2001, mais il na pas non plus permis de dtecter le dlai anormalement long de conservation du dossier Bordeaux.

    C. IL NEST PAS DMONTR QUE LES DOUANES ONT T INFORMES, NI EN 2001, NI EN 2008

    La commission denqute sest efforce de faire la lumire sur les informations relatives la dtention ltranger par Jrme Cahuzac dun compte non dclar quauraient pu avoir les services de la direction gnrale des douanes et des droits indirects (DGDDI). Cette direction gnrale est en effet mise en cause par certaines des personnes quelle a entendues.

    Cest dabord Fabrice Arfi qui y a fait allusion : au cours de son audition (3), il a invit la commission denqute aller chercher des documents auprs, notamment, des douanes, o, selon lui, des gens ont des choses dire ; dans son livre sur laffaire, il parle d un correspondant de la DCRI et des douanes qui [lui] parle de la connaissance du compte suisse de Cahuzac par ces deux services de renseignements franais (4).

    Michel Gonelle abonde dans le mme sens. Il a ainsi dclar lAFP, qui la publi dans un communiqu du 3 avril 2013 : Selon ce que je sais de bonne source et qui ma t rapport, un haut fonctionnaire des douanes avait identifi le compte en 2008 , avant de prciser, toujours selon lAFP : ce haut fonctionnaire est lu dune ville de lOise . (1) Audition de M. Laurent Habert, le 18 juin 2013. (2) Contrle sur place la DRFiP Paris - le-de-France, le 10 juillet 2013. (3) Audition de MM. Edwy Plenel et Fabrice Arfi, le 21 mai 2013. (4) Fabrice Arfi, avec la rdaction de Mediapart, Laffaire Cahuzac. En bloc et en dtail, Don Quichotte,

    mai 2013, p. 21.

  • 22

    Au cours de sa premire audition par la commission denqute (1), M. Gonelle est interrog par le Rapporteur sur cette dclaration. Sa rponse est la suivante : En ralit, il y a une erreur dans la transcription de mes propos, car cette administration le savait bien avant 2008. Jai entendu dire par plusieurs sources journalistiques concordantes que le service comptent des douanes, le chef du 4me bureau de la Direction nationale du renseignement et des enqutes douanires - une des divisions de la DNRED - avait obtenu ce renseignement ds 2001, mme si jignore de quelle faon. Selon mes informations, dont jai tout lieu de penser quelles sont srieuses, ce cadre de haut niveau, administrateur civil dorigine, a t interrog par plusieurs journalistes sur ce fait, sans jamais le dmentir ni le confirmer. la demande du prsident de la commission denqute, il donne son nom : il sagirait de Thierry Picart qui est lu local dans le Val dOise.

    Entendu son tour par la commission denqute (2), M. Picart, aujourdhui chef du bureau de lutte contre la fraude la DGDDI, a trs vivement contest cette affirmation. Il a dmontr que le changement de la date de la prtendue information des douanes (2008 dans un premier temps, 2001 ensuite) tait loin dtre anodin. Il a dabord contest que la mention de lanne 2008 ait pu tre une erreur de transcription puisque Michel Gonelle mentionne cette mme anne dans un entretien BFM TV. Il a soulign que certains journalistes (3) avaient alors dduit de cette date que linformation serait parvenue jusquau ministre du budget de lpoque, ric Woerth, qui laurait enterr.

    Pourtant, en 2008, Thierry Picart ne pouvait absolument pas avoir rdig une note sur le compte en Suisse de Jrme Cahuzac dans la mesure o il avait t affect, depuis septembre 2006, la direction du budget, o il tait charg du suivi des crdits de la mission Aide publique au dveloppement , fonction quil na quitte quen juillet 2009, pour rejoindre son poste actuel la DGDDI. Il pense donc que Michel Gonelle a prtendu que linformation de la douane ne datait pas de 2008 mais de 2001 pour rendre crdible le reste de ses affirmations : en 2001, M. Picart dirigeait la quatrime division denqute de la direction nationale du renseignement et des enqutes douanires, charge notamment de lutter contre les mouvements financiers illicites ; il pouvait donc, ventuellement, avoir connaissance de transferts de fonds vers un compte non dclar dtenu en Suisse par Jrme Cahuzac.

    Interrog par le Rapporteur sur le point de savoir sil avait eu connaissance, dans lexercice de ses fonctions passes, quelle que date que ce soit, dlments relatifs la situation financire ou fiscale de Jrme Cahuzac, Thierry Picart a avou ne pas pouvoir rpondre cette question parce que le travail habituel de cette division tait justement denquter sur des personnes ayant transfr physiquement des avoirs ltranger . Il voyait donc plusieurs (1) Audition de M. Michel Gonelle, le 21 mai 2013. (2) Audition de M. Thierry Picart, le 4 juin 2013. (3) Cette thse apparat dans un article du Courrier picard du 5 avril 2013, puis dans un article de Marianne,

    le 13 avril 2013.

  • 23

    centaines de dossiers par an de personnes ayant investi ou transfr des comptes ltranger. Dans ces conditions, il ne peut ni confirmer ni infirmer avoir eu traiter du cas de Jrme Cahuzac, nayant aucun souvenir de chacun des dossiers que lui-mme ou son service a traits cette poque. Il a en outre prcis que le systme dinformation Lutte contre la fraude conservait au maximum pendant dix ans des informations nominatives relatives des auteurs de fraude constituant un dlit dune certaine gravit les dures tant moins longues en cas de suspicion sans infraction conteste ou de dlit mineur (1). Il a nanmoins concd quil se serait probablement souvenu du dossier dun dput-maire, sauf si celui-ci navait pas mentionn ses mandats et sil ne bnficiait que dune faible notorit.

    Lors de son audition par la commission denqute (2), Jrme Fournel, qui a t directeur gnral des douanes et des droits indirects entre fvrier 2007 et fvrier 2013, a confirm que des contrles et des vrifications avaient t faits, aprs le dclenchement de laffaire, sur les donnes informatiques disponibles et que le nom de Jrme Cahuzac ny avait pas t trouv.

    Lors de sa seconde audition (3), Michel Gonelle a reconnu quil stait tromp lorsquil avait parl dun signalement la douane en 2008 et que la date exacte tait 2001, et a rpt quil tenait ces informations de sources journalistiques.

    Lanne 2001 est aussi celle pendant laquelle Christian Mangier est inform, par lintermdiaire de Jean-Nol Catuhe, de la conversation intercepte par Michel Gonelle propos du compte de Jrme Cahuzac : peut-tre la concomitance des deux prtendus signalements ne relve-t-elle pas du hasard. Lors de son audition (4), M. Catuhe a indiqu quil avait revu Christian Mangier, son ancien condisciple, quelque temps auparavant, alors que celui-ci tait en mission dans le secteur de Villeneuve-sur-Lot pour une affaire de fraude assez importante, en liaison avec les personnels des douanes . Il nest pas impossible que certains aient dduit de cette proximit professionnelle entre linspecteur des impts et des agents des douanes que ces derniers avaient aussi t informs de lexistence du compte en Suisse non dclar de Jrme Cahuzac.

    Quelle que soit lorigine des assertions publies dans la presse et relayes par Michel Gonelle, la commission denqute na pas pu tablir que les services de la DGDDI avaient eu connaissance, un moment ou un autre, de lexistence de ce compte.

    (1) Il existe depuis peu un dlai maximal de vingt ans, pour les informations relatives aux auteurs de

    manquements lobligation de dclaration des transferts de fond, notamment. (2) Audition de Mme Hlne Croquevieille et de M. Jrme Fournel, le 4 juin 2013. (3) Audition de M. Michel Gonelle, le 9 juillet 2013. (4) Audition de M. Jean-Nol Catuhe, le 3 juillet 2013.

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    Afin de complter linformation de la commission denqute, le Rapporteur a interrog par courrier, le 25 juin 2013, Jean-Baptiste Carpentier, le directeur de TRACFIN. Celui-ci lui a indiqu que avant le 4 avril 2013, le service ne dtenait aucune information se rapportant directement ou indirectement laffaire dont est saisie [la] commission .

    D. EN 2006, LENREGISTREMENT NEST APPAREMMENT PAS UTILIS PAR JEAN-LOUIS BRUGUIRE

    Aprs lchec de ce signalement indirect, Michel Gonelle indique ne plus avoir utilis lenregistrement jusqu ce qu une autre opportunit se prsente lui le 12 novembre 2006, avec la venue de Jean-Louis Bruguire (1). Cette entrevue a eu lieu dans le cabinet davocat de Michel Gonelle, alors que le juge anti-terroriste envisageait de se prsenter contre Jrme Cahuzac llection lgislative du printemps 2007.

    Michel Gonelle a dcrit la commission denqute avec beaucoup de dtails son entrevue avec Jean-Louis Bruguire et les conditions dans lesquelles il lui a remis une copie de lenregistrement (2). Au cours de ses deux auditions (3), Jean-Louis Bruguire a fait part de ses souvenirs, nettement moins prcis, de cet entretien. Ces deux rcits prsentent un certain nombre de diffrences ; cest pour tenter dy voir plus clair que la commission denqute a dcid, aprs leur premire audition, dentendre les deux hommes une nouvelle fois. Ces diffrences portent notamment sur la question de savoir si M. Bruguire a demand une copie de lenregistrement, M. Gonelle nayant plus lquipement technique ncessaire pour le lui faire entendre, ou sil a simplement pris la copie qui lui tait offerte. Lancien magistrat a, devant la commission denqute, regrett davoir accept demporter cet enregistrement. Il ne se souvient pas avoir t inform par M. Gonelle des conditions dans lesquelles lenregistrement avait t effectu et nie lui avoir indiqu quil disposait des moyens den amliorer la qualit ; il conteste aussi quil se soit agi dun simple prt.

    En tout tat de cause, ces diffrences ne portent pas sur lessentiel : Jean-Louis Bruguire a effectivement eu en sa possession une copie de lenregistrement de la conversation entre Jrme Cahuzac et son charg daffaires et il en connaissait, en substance, le contenu. Reste savoir ce quil en a fait.

    Devant la commission denqute, il a confirm les informations quil avait donnes un journaliste de Paris-Match le 23 dcembre 2012 : il na jamais cout lenregistrement, nen a parl personne, et, peu de temps aprs, la jet dans la poubelle familiale , son domicile lot-et-garonnais. Il explique ce qui peut apparatre, au minimum, comme un manque de curiosit par la conception quil se fait de la politique.

    (1) Audition de M. Michel Gonelle, le 21 mai 2013. (2) Auditions de M. Michel Gonelle, le 21 mai et le 9 juillet 2013. (3) Auditions de M. Jean-Louis Bruguire, le 19 juin et le 24 juillet 2013.

  • 25

    Son mandataire financier et directeur de campagne, Grard Paqueron a indiqu la commission denqute (1) navoir jamais entendu parler, avant dcembre dernier, ni de cet enregistrement, ni dun compte que Jrme Cahuzac aurait dtenu illgalement ltranger. Il a aussi confirm que Jean-Louis Bruguire navait jamais voulu utiliser les rumeurs qui courraient alors sur son adversaire politique (2) et que M. Gonelle ne faisait pas partie de son quipe de campagne.

    M. Bruguire a en effet expliqu que ce quil a peru comme une tentative dinstrumentalisation de la part de lavocat, ajout dautres incidents, avait contribu dtruire la confiance quil accordait M. Gonelle, ce qui lavait conduit se passer de son aide pour sa campagne lectorale. Ce dernier a infirm cette thse et fourni la commission des documents qui prouveraient le contraire. Ceux-ci montrent quil figurait dans un organigramme de la future quipe de campagne du magistrat, en janvier 2007, et quil tait associ la prparation de cette campagne. Mais, une exception prs (3), ces documents datent de janvier et fvrier. En outre, loccasion de sa seconde audition (4), Jean-Louis Bruguire a indiqu que cet organigramme navait pas t mis en uvre. Il ne fait en tout cas aucun doute que les deux hommes se sont loigns lun de lautre, mme si le candidat malheureux a adress une lettre de remerciement lancien maire de Villeneuve-sur-Lot aprs sa dfaite et sa dcision de renoncer toute activit politique.

    La commission denqute na aucun moyen de sassurer de la vracit du rcit de lancien magistrat mais elle ne dispose daucun lment susceptible de conduire la mettre en doute. Michel Gonelle, qui dment tre celui qui a fourni lenregistrement Mediapart ce qui a t confirm la commission par Edwy Plenel (5) , explique ainsi lorigine de sa transmission la presse : Ds lors que ce nest pas mon exemplaire qui a t transmis Mediapart, puisque je lai donn la police judiciaire, il sagit forcment de lautre qui a circul. Je nimagine pas une seconde que M. Bruguire ait donn Mediapart lexemplaire quil dtenait. Je ne pense pas, en effet, que les relations quil entretient avec ce journal soient au beau fixe. Mon hypothse est qu lpoque, en 2006 et 2007, ce disque a d circuler entre les mains de plusieurs personnes avant daboutir Mediapart. Je nen ai cependant aucune preuve. (6) Jean-Louis Bruguire rpond, quant lui, quil navait aucune raison de le faire (7).

    (1) Audition de M. Grard Paqueron, le 17 juillet 2013. (2) Notamment relatives au fait quil employait une ressortissante sans-papier sa clinique : cette affaire lui a

    valu, la fin 2007, une procdure devant le tribunal correctionnel de Paris, lequel la dclar coupable tout en le dispensant de peine et dinscription au casier judiciaire.

    (3) Un courriel du mois de mai, adress un groupe de destinataires, lui demande de confirmer sa prsence une runion.

    (4) Audition de M. Jean-Louis Bruguire, le 24 juillet 2013. (5) Audition de MM. Edwy Plenel et Fabrice Arfi, le 21 mai 2013. (6) Audition de M. Michel Gonelle, le 21 mai 2013. (7) Audition de M. Jean-Louis Bruguire, le 24 juillet 2013.

  • 26

    Force est de constater que les travaux de la commission denqute nont permis de trouver ni une quelconque trace de lutilisation que lancien magistrat aurait pu faire de lenregistrement, ni une personne laquelle il laurait fait couter.

    Ils ont en revanche mis en vidence le manque de sincrit de Michel Gonelle lorsquil laisse entendre que lancien juge anti-terroriste aurait jou un rle dans la circulation de lenregistrement.

    La dduction prsente par Michel Gonelle repose sur un lment dterminant : le nombre de copies de lenregistrement dont il dit tre en possession depuis fin 2000. Comme mentionn supra, lingnieur du son indique navoir alors effectu quune seule copie. Puisquil est tabli que Michel Gonelle en a remis au moins un exemplaire Jean-Louis Bruguire sur un support dont ce dernier ne se souvient pas du type et un autre la police judiciaire celui qui a t expertis, qui tait en effet un minidisque (1) , si le souvenir de lingnieur est exact, alors il devient vident que Michel Gonelle a fait raliser au moins une autre copie de lenregistrement de dcembre 2000. Comment, dans cette hypothse, tre sr quil nen a pas fait faire plusieurs ?

    La suite du tmoignage de lingnieur du son met encore plus directement en cause le discours tenu par Michel Gonelle devant la commission denqute (2). Le spcialiste indique, en effet, quil a effectu, le 1er dcembre 2012, la demande de lavocat, une copie numrique et une copie sur CD audio du contenu du minidisque sur lequel il avait sauvegard, fin 2000, lchange entre Jrme Cahuzac et son charg daffaires. Il prcise que la copie numrique permet lexpdition du fichier par courrier lectronique. Sil dit la vrit et le Rapporteur ne voit pas pourquoi il mentirait , les accusations formules par Michel Gonelle contre Jean-Louis Bruguire perdent toute crdibilit.

    M. Gonelle na jamais fait la moindre allusion cet pisode et a encore rpt devant la commission, le 9 juillet, quil avait ralis en tout et pour tout deux sauvegardes de cet enregistrement. La premire a t remise le 12 novembre 2006 Jean-Louis Bruguire, la seconde le 16 janvier 2013 la police judiciaire . Interrog par courrier par le Prsident et le Rapporteur le 4 septembre 2013, lavocat a reconnu avoir fait faire ces copies supplmentaires, tout en affirmant, sans plus de prcision, quelles nont rien voir avec la publication par le site Mediapart , ce qui ne peut que laisser dubitatif tant donn la concordance des dates.

    Le but de la commission denqute nest pas de retrouver la source de Mediapart, mais le recoupement du tmoignage de lingnieur du son et du contenu des auditions de Michel Gonelle par la commission denqute jette le soupon sur les propos quil a tenus devant elle, alors quil avait prt serment, et entretient le doute sur le nombre total de copies de lenregistrement. (1) Voir infra, III, A, 2. (2) Le tmoignage crit de M. Julien Menaspa figure en annexe au prsent rapport (annexe II, document n 1).

  • 27

    E. LA MENTION, EN 2008, DU COMPTE DANS LE MMOIRE EN DFENSE DE RMY GARNIER NA JAMAIS T SIGNALE AUX DIRECTEURS GNRAUX

    Ds le 4 dcembre 2012 (1), les journalistes de Mediapart ont cit, lappui de leur enqute, un document qui leurs yeux tablissait que les agents de la Direction gnrale des Finances publiques (DGFiP) avaient eu connaissance des soupons relatifs aux avoirs dtenus ltranger par Jrme Cahuzac, au moins compter de 2008. Ctait placer une confiance excessive dans lattention que les services centraux avaient prt une note, trs allusive, produite par un agent aujourdhui la retraite, lappui dune des onze instances qui lopposaient ou lavaient oppos son administration.

    1. Un inspecteur des impts en conflit avec sa hirarchie

    Lacteur-cl de ce nouvel pisode est un ancien inspecteur des impts, Rmy Garnier, en poste dans le Lot-et-Garonne jusquen 2010. Auditionn par la commission denqute, celui-ci a racont en dtail les circonstances dans lesquelles [son] destin a crois celui de Jrme Cahuzac .

    Le premier pisode remonte 1999, aprs que Rmy Garnier a notifi deux redressements fiscaux une cooprative fruitire du Lot-et-Garonne France Prune en dcembre 1998. Le dput de la circonscription, Jrme Cahuzac, intercde alors auprs du secrtaire dtat au budget de lpoque, Christian Sautter. Cette dmarche est justifie lpoque par la crainte que ces redressements ne se traduisent par des licenciements (2). Le 2 juin 1999, le secrtaire dtat donne instruction ses services dabandonner les redressements ; linspecteur Garnier proteste, refuse dexcuter la consigne relaye par sa hirarchie avant de recevoir un ordre crit qui ne lui laisse dautre possibilit que dobtemprer. Ses relations avec sa hirarchie se dgradent par la suite et il est sanctionn, comme il la lui-mme expliqu devant la commission denqute : je suis rinvesti contre mon gr, en dpit dun document dans lequel jexplique pourquoi il est inutile de procder une nouvelle vrification sur place [de France Prune] [...]. Mes suprieurs profitent dune lettre de dnonciation dont le contenu ne me sera rvl que cinq ans plus tard [...] pour me dessaisir avec la plus grande brutalit et pour me dplacer doffice de la direction rgionale Sud-Ouest vers un placard de la direction dpartementale Agen. Cest mon premier placard, jen connatrai trois .

    Dplac dans lintrt du service, Rmy Garnier passe six annes (doctobre 2001 juillet 2006 (3)) dans ce nouveau poste, la direction des services fiscaux du Lot-et-Garonne. Il conteste la lgalit de cette mutation et (1) Article de Fabrice Arfi, Le compte suisse du ministre du budget Jrme Cahuzac . (2) Audition de M. Jrme Cahuzac, 26 juin 2013. (3) Il se voit infliger, pendant cette priode, la sanction de lexclusion temporaire de fonctions pour une dure

    de deux ans, dont un an avec sursis, en 2004 raison de manquements son obligation de secret professionnel, de discrtion professionnelle et de rserve, confirme par deux dcisions de premire instance et dappel des 7 octobre 2009 et 15 novembre 2010.

  • 28

    obtient du juge administratif, en juin 2006, le droit dtre rintgr dans le service o il tait prcdemment affect, lantenne dAgen de la direction spcialise de contrle fiscal (DIRCOFI) Sud-Ouest. Il nest toutefois pas rintgr dans ses anciennes fonctions de vrificateur, mais lui sont confies des missions denqute et de programmation. ce titre, il obtient un accs lapplication informatique Adonis de ladministration fiscale ; le 9 mars 2007, il utilise cet outil pour consulter le dossier fiscal des poux Cahuzac, toujours domicilis Paris. Estimant quil navait aucune raison professionnelle de consulter ces donnes, son directeur Joseph Jochum engage une enqute disciplinaire au terme de laquelle, en juin 2008, il propose ladministration centrale dinfliger un avertissement. Lavertissement est entrin par un arrt ministriel du 17 dcembre 2008, dont la signature est dlgue au directeur adjoint au directeur gnral des finances publiques.

    Cest dans le cadre de la phase administrative de cette procdure disciplinaire que Rmy Garnier formule ses observations, le 11 juin 2008, sous la forme dune note au ministre du budget intitule Sadonner Adonis , quil transmet par la voie hirarchique normale. Une fois lavertissement prononc, Rmy Garnier conteste la lgalit de larrt du 17 dcembre 2008 devant le tribunal administratif de Bordeaux, puis interjette appel du rejet de sa requte en annulation devant la Cour administrative dappel de Bordeaux. La note du 11 juin 2008 est verse au dossier contentieux (1) mais, contrairement ce qui a t souvent dit ou crit, il ne sagit pas proprement parler dun mmoire en dfense (2) devant une juridiction puisquil est antrieur mme la sanction conteste. Dans les mois qui suivent, Rmy Garnier crit de nombreuses reprises aux ministres du budget successifs : ric Woerth le 13 fvrier 2009, Franois Baroin le 23 septembre 2010, le 29 mars 2011 et le 2 mai 2011, Valrie Pcresse le 8 mai 2012, sans toutefois jamais renouveler ses rvlations concernant Jrme Cahuzac.

    2. Quelle tait la crdibilit de la note du 11 juin 2008 ?

    Au dbut de ses travaux, la commission denqute sest intresse au contenu exact de la note du 11 juin 2008, mise en avant par Mediapart sans pour autant la publier. Il sagissait pour les commissaires de mesurer la prcision et la crdibilit des informations incidemment portes la connaissance de ladministration. Dans ce document de douze pages (plus les annexes) Rmy Garnier rfute, point par point, les griefs soulevs contre lui ; une premire partie rappelle les faits et rsume les tapes de la procdure disciplinaire, tandis quune seconde partie de la note critique, avec virulence, les contradictions quil a

    (1) Cette note est annexe au mmoire introductif dinstance dat du 14 avril 2009 devant le Tribunal

    administratif de Bordeaux (requte n 0901621-5, enregistre le 16 avril 2009). (2) En lespce, cest ladministration quil revenait de prsenter ses observations en dfense, puisque la

    requte avait t introduite par M. Garnier. La confusion est entretenue par lexistence dun mmoire en rplique (cest--dire prsent par le requrant devant les juridictions administratives aprs sa requte, gnralement pour prciser celle-ci), comme celui prsent par Rmy Garnier le 28 janvier 2013 devant la Cour administrative dappel de Bordeaux.

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    releves dans le fonctionnement de ladministration fiscale. Sont incidemment voques les irrgularits quauraient commises cinq cadres ils ne sont pas nomms, mais probablement identifiables par leurs collgues et un lu local : Jrme Cahuzac. Les lments qui concernent ce dernier sont dtaills en pages 9 et 10 de la note ; ils tiennent sur cinq paragraphes, reproduits ci-dessous.

    EXTRAIT DE LA NOTE DU 11 JUIN 2008 DE RMY GARNIER lu politique Il se nomme Jrme CAHUZAC et son statut dlu semble lui confrer une immunit

    fiscale vie. Les informations recueillies proviennent de plusieurs sources extrieures lAdministration

    fiscale et convergent vers les mmes conclusions. Cet lu local a acquis son appartement parisien situ .., PARIS

    7me, pour le prix de six millions et demi de francs, financ comptant, en dbut de carrire, hauteur de quatre millions dont lorigine reste douteuse. Alors quil exerce ses activits au Cabinet de Claude VIN, Ministre de la sant, il ouvre un compte bancaire numro en SUISSE. lpoque, il tait charg des relations avec les laboratoires pharmaceutiques dans le cadre des procdures dautorisations de mise sur le march (AMM) de nouvelles spcialits. Les profits considrables de certains laboratoires dpendaient de ses dcisions.

    Jai ou dire quil possde un patrimoine immobilier important : - Villa en Corse hrite de son pre ; - Villa MARRAKECH au MAROC ; - Rsidence LA BAULE. Il emploie une salarie dorigine philippine sans papiers, la fois son service domestique

    et en qualit dauxiliaire mdicale dans sa clinique de chirurgie esthtique. En 2007, il a t condamn pour ces faits par le Tribunal correctionnel de PARIS et il a t dispens de peine.

    Les constatations effectues sur ses dclarations fiscales ne permettent pas de valider ni

    dinfirmer ces renseignements, dfaut dinvestigations plus pousses dans le cadre dun Examen approfondi de situation fiscale personnelle.

    (Rmy Garnier fait ensuite tat de deux anomalies dans les dclarations de revenus de Jrme Cahuzac. Ces dclarations sont confidentielles et leur contenu ne saurait tre divulgu par la commission sans mconnatre le secret fiscal.)

    Il y est crit que les informations contenues dans cette note proviendraient de plusieurs aviseurs, extrieur[s] ladministration fiscale . En ralit, la commission denqute a pu tablir que la source de Rmy Garnier tait la mme qui, en 2001, a signal les faits lantenne bordelaise de la DNEF. Cest un inspecteur des impts Jean-Nol Catuhe , par ailleurs ami commun avec Michel Gonelle, qui rvle Rmy Garnier en 2002 ou 2003 les circonstances de lenregistrement de la conversation tlphonique de 2000 et son contenu. Ce dernier nutilise pas cette information pour la transmettre au service de contrle fiscal comptent ou encore saisir le Procureur de la Rpublique mais, lorsquen 2006, M. Gonelle devient son conseil dans le volet pnal du contentieux lopposant ladministration, il lui demande confirmation de lexistence de lenregistrement.

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    Au cours des auditions, plusieurs tmoins ont point le caractre excessif du contenu de la note, doutant que les lecteurs aient, lpoque, accord du crdit aux rvlations de Rmy Garnier. La directrice de cabinet de lancien ministre du budget, Amlie Verdier, a pris connaissance du document au lendemain de la publication du premier article de Mediapart. Elle rsume limpression retire de cette lecture dans les termes suivants (1) : Les informations contenues dans le mmoire ne sont pas celles que lon trouve habituellement dans le mmoire dun inspecteur des impts effectuant un contrle. On peut y lire : " Il se nomme Jrme Cahuzac, son statut dlu semble lui confrer une immunit vie ". Au milieu dinformations fantaisistes, dont il concde quil ne les a pas lui-mme vrifies, et fausses pour certaines, comme il la reconnu ultrieurement, est mentionne louverture dun compte bancaire numro en Suisse.

    3. Le contenu de la note du 11 juin 2008 na pas t port la connaissance du DGFiP ou des ministres, avant les rvlations de Mediapart

    La commission denqute sest efforce didentifier les destinataires rels de cette note afin dtablir si, comme cela a t parfois crit, ladministration fiscale ne pouvait pas ignorer compter de 2008 les soupons pesant sur Jrme Cahuzac. Les auditions successives ont permis dtablir que ce type de document tait logiquement trait par le bureau RH 2B charg de la dontologie, de la protection juridique et du contentieux au sein de la sous-direction RH 2 du service des ressources humaines de la DGFiP.

    Daprs les dclarations faites la commission denqute, le reste de ladministration fiscale, en dehors de ces agents, na dcouvert que le 4 dcembre 2012, dans larticle de Mediapart, que Rmy Garnier justifiait ses recherches sur Adonis par le fait quil avait eu une information relative la dtention dun compte en Suisse. Le chef du contrle fiscal, Alexandre Gardette, a ainsi indiqu (2) avoir interrog son prdcesseur, qui lui a confirm que sa sous-direction nen avait pas t informe. Lactuel directeur gnral des finances publiques ainsi que son prdcesseur (3) davril 2008 aot 2012 ont confirm, sous serment, navoir jamais eu connaissance de ce mmoire ou de son contenu ; Bruno Bzard a soulign que les mmoires disciplinaires de tous les agents, y compris ceux mettant en cause diffrentes autorits dont le dput de la circonscription ne remont[ai]ent videmment pas au directeur gnral ! .

    Le principal intress semble, lui-mme, avoir tout ignor des accusations portes dans sa note du 11 juin 2008 par Rmy Garnier. Le 26 octobre 2012, Jrme Cahuzac effectue un dplacement officiel dans le Lot-et-Garonne et il en profite pour recevoir lancien inspecteur des impts qui a sollicit son soutien dans les nombreuses procdures quil avait engages contre ladministration et contre

    (1) Audition de Mme Amlie Verdier, le 21 mai 2013. (2) Audition de M. Alexandre Gardette, le 4 juin 2013. (3) Auditions de M. Bruno Bzard et de M. Philippe Parini, le 28 mai 2013.

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    ses collgues. Les deux notes (1) qui lui sont prpares en vue de cette rencontre ne font pas allusion aux accusations portes par M. Garnier (2) ; elles se bornent dresser lhistorique des contentieux engags par lancien inspecteur des impts. Auditionns successivement, les deux hommes ont affirm la commission que la note du 11 juin 2008 navait pas t voque lors de cette entrevue (3) alors mme, semble-t-il, que Jrme Cahuzac a conduit son interlocuteur.

    Une fois les premires rvlations de Mdiapart publies, le ministre du budget en exercice tente mme de vrifier si ses prdcesseurs ont eu connaissance de ces accusations. Jrme Cahuzac a ainsi expliqu la commission : je suis all voir M. Woerth le mardi 4 ou le mercredi 5 dcembre pour lui demander sil avait t inform par un courrier que jaurais dtenu un compte non dclar ltranger. Il ma rpondu quil navait pas reu de courrier de cette nature ; ce fait nest contest par personne .

    Cette seconde occasion manque a, plus encore que la premire, suscit le soupon. Les travaux de la commission denqute nont toutefois pas permis dtablir que les allusions contenues dans la note ou le mmoire de Rmy Garnier aient t, en 2008 ou en 2012, prises en considration par les agents qui ont eu en connatre. Aucune preuve ne permet non plus daffirmer que lun ou lautre des ministres qui se sont succd Bercy ait eu connaissance des accusations contenues dans cette note lencontre de Jrme Cahuzac.

    *

    La commission denqute na pas porter de jugement sur la manire dont Michel Gonelle a utilis, depuis quil la obtenue, fin 2000, linformation de la dtention par Jrme Cahuzac dun compte non dclar ltranger. Il nen demeure pas moins que les choix quil a faits au cours des douze dernires annes ont considrablement retard la rvlation de la vrit : cest le cas entre fin 2000 et la publication du premier article de Mediapart sur le sujet ; cest encore le cas de linitiative quil prend, le 15 dcembre 2012, de dvoiler au directeur de cabinet adjoint du prsident de la Rpublique son rle dans la sauvegarde de la conversation tlphonique voque par le journal en ligne, le Rapporteur y reviendra (4). Ce constat ne doit pas pour autant faire oublier les erreurs commises par certains agents de ladministration fiscale, en particulier la BII de Bordeaux, en 2001.

    Aprs avoir examin les diffrents moments auxquels lexistence dun compte non dclar ltranger de Jrme Cahuzac a t lobjet dune forme de publicit, la commission denqute observe que chacun de ces pisodes a tourn

    (1) Voir lannexe II, document n 3. (2) La seule reprise, dans lune de ces notes, dlments biographiques et dun nota bene qui figuraient dj

    dans les observations en dfense de ladministration sur linstance forme le 16 avril 2009 par M. Garnier ne suffit pas tablir que son rdacteur ait port la connaissance de sa hirarchie le contenu des pices annexes au mmoire introductif dinstance.

    (3) Audition de M. Jrme Cahuzac, le 26 juin 2013. (4) Voir infra, II, D.

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    court : pour diverses raisons, cette information semble navoir jamais t communique qu un trs petit nombre de personnes, qui nont pas pu ou pas voulu lutiliser. La commission denqute na recueilli aucun lment qui puisse laisser penser quelle ait atteint, un moment ou un autre, une autorit administrative ou politique qui serait intervenue pour ltouffer. Les accusations formules par certains mdias lui apparaissent donc infondes.

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    II. DANS LES SEMAINES SUIVANT LES RVLATIONS DE MEDIAPART, LAPPAREIL DTAT RAGIT DANS LE RESPECT DE

    LA LGALIT

    Demble, les rumeurs dinstrumentalisation de ladministration, voire dinvestigations clandestines, ont circul. La premire proccupation de la commission denqute a donc consist vrifier la rgularit des actions conduites par les membres de lexcutif, ou sous leur autorit, lies aux informations publies par Mediapart.

    A. LADMINISTRATION FISCALE TIRE LES CONSQUENCES DU DPORT DE SON MINISTRE DE TUTELLE

    Avec la publication, le 4 dcembre 2012, du premier article de Mediapart la direction gnrale des finances publiques (DGFiP) a t confronte une situation non seulement probablement indite mais potentiellement difficilement grable , selon les mots de son directeur Bruno Bzard (1).

    1. Ltablissement trs rapide de la muraille de Chine

    Les accusateurs de Jrme Cahuzac dnonaient un cas de fraude fiscale ; leurs allgations portaient donc sur une matire relevant troitement du champ de comptences du ministre du budget. Afin de protger ladministration fiscale, il a t dcid dexclure le contribuable concern de toute procdure pouvant potentiellement concerner sa situation : ce mcanisme de dport, rapidement baptis muraille de Chine par analogie peut-tre avec certaines rgles internes des banques dinvestissement, a t mis en uvre ds le surlendemain des rvlations de Mediapart et expressment formalis le 10 dcembre.

    Lors de son audition (2), Bruno Bzard a longuement expliqu aux membres de la commission denqute les raisons qui lavaient convaincu de prconiser un tel dport : [s]on souhait ta[it] dliminer le conflit dintrts potentiel entre un ministre, responsable hirarchique de ladministration fiscale, et le contribuable faisant potentiellement lobjet dinvestigations de la part de cette mme administration. [] Une administration est au service de ltat et non de personnalits politiques . Il a retrac trs prcisment la chronique de la mise en uvre de ce dispositif. Ainsi, le 5 dcembre alors que laprs-midi mme Jrme Cahuzac ritre, devant la Reprsentation nationale, ses dngations , le directeur gnral des finances publiques met au point avec la directrice des affaires juridiques du ministre un projet de note pour organiser le dport. Le lendemain, il indique aux deux directeurs de cabinet quil juge indispensable (1) Rponses annexes la lettre du directeur gnral des finances publiques du 3 septembre 2013. (2) Audition de M. Bruno Bzard, le 28 mai 2013.

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    driger cette muraille de Chine afin de pouvoir travailler dans des conditions incontestables ; compter de cette date, il est fait application du dispositif de dport, mme si celui-ci nest pas encore formalis. Au terme de quelques changes, la rdaction est finalise le 7 dcembre au cours dune runion chez la directrice de cabinet du ministre du budget, Amlie Verdier. Le texte est formellement sign par Jrme Cahuzac, le 10 dcembre.

    La rdaction retenue est assez courte (six paragraphes) et factuelle (1). De lavis du Rapporteur de la commission denqute, cela ne lui enlve rien de sa porte. Le ministre du budget en exercice y insiste sur son souci de ne pas porte[r] atteinte au fonctionnement et la rputation de ladministration place sous [s]a responsabilit . Le dport repose concrtement sur trois dcisions :

    le ministre ou son cabinet ne formuleront aucune demande de documents la DGFiP ; celles-ci devront tre effectues par ses avocats aux seules fins de prparer la dfense de Jrme Cahuzac ;

    les informations concernant la situation fiscale personnelle du ministre seront directement transmises ses avocats ou ses conseils, dans les conditions habituelles applicables tout contribuable ;

    les informations relatives la banque UBS, qui auraient tre portes la connaissance du ministre dlgu au budget, seront directement soumises son ministre de tutelle, Pierre Moscovici.

    La question du signataire de cette dcision de dport a t dbattue entre les membres de la commission denqute. Certains ont argu du paralllisme des formes pour dfendre lide que ctait au Premier ministre de signer le document, comme il lavait fait pour le dcret relatif aux attributions dlgues au ministre charg du budget (2). Dautres ont estim que ctait au ministre plein, Pierre Moscovici, de dcider le dport. Force est toutefois de constater quil y a peu ou pas de prcdent (3) dun membre du Gouvernement mis en cause sur un fait entrant aussi directement dans son domaine de comptence. Dans la mesure o aucun bloc de comptence ntait t Jrme Cahuzac et o il sagissait dune dcision individuelle de mise en retrait, le Rapporteur de la commission denqute estime que la forme choisie tait adquate. Un cadre suprieur au sein dune entreprise, publique ou prive, ou un dirigeant dune administration centrale ne pratique pas autrement lorsquil estime prfrable dviter un conflit dintrts en ne traitant pas, par exemple, un dossier relatif une socit dont il a pu tre administrateur dans une priode rcente.

    Cette dcision a permis de mettre, ds les tout premiers jours de l affaire Cahuzac , les agents de ladministration fiscale labri dun conflit de loyauts. (1) Voir la note du ministre dlgu au budget au directeur gnral des finances publiques, en date

    du 10 dcembre 2012, annexe au prsent rapport (annexe II, document n 4) (2) Dcret n 2012-796 du 9 juin 2012 relatif aux attributions dlgues au ministre dlgu auprs du

    ministre de lconomie, des finances et du commerce extrieur, charg du budget. (3) Rponses de la DGFiP du 3 septembre 2013 au questionnaire de la commission denqute.

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    2. La poursuite de lexamen de la situation fiscale de Jrme Cahuzac

    Incarnant la continuit de laction publique, conforte par la mise en place le 6 dcembre 2012 de la muraille de Chine , la DGFiP a poursuivi lexamen de la situation fiscale de Jrme Cahuzac, en dpit des rvlations de Mediapart.

    La tradition rpublicaine commande en effet que ladministration fiscale procde un examen de la situation fiscale des membres du Gouvernement, y compris le Premier ministre, loccasion de leur nomination. En 2007 et en 2012, le prsident de la Rpublique et son prdcesseur ont souhait se soumettre aux mmes vrifications.

    Cet examen ne constitue cependant pas une procdure de contrle au sens juridique mais une sorte de "regard" sur le respect des rgles fiscales , selon la description faite par lancien directeur gnral des finances publiques, Philippe Parini (1).

    LEXAMEN DE LA SITUATION FISCALE DES MEMBRES DU GOUVERNEMENT

    Depuis 2007, ce processus dexamen a t formalis de la manire suivante :

    1. Sur instruction de ladministration centrale, un examen initial et complet du dossier (essentiellement de limpt sur le revenu et de limpt de solidarit sur la fortune) est effectu par la direction rgionale ou dpartementale des finances publiques comptente, en fonction du lieu du domicile, partir des lments dj en sa possession ;

    2. En cas dinterrogations ou danomalies, le directeur territorial, aprs en avoir inform ladministration centrale (service du contrle fiscal), prend personnellement contact avec lintress, afin quil apporte les prcisions ou les justifications ncessaires ;

    3. Le cas chant, le directeur territorial, en accord avec ladministration centrale, lui propose de mettre en conformit son dossier par le dpt de dclarations rectificatives (hors donc toute procdure juridiquement contraignante) et apporte toutes les prcisio