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United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture International Bioethics Committee (IBC) Comité international de bioéthique (CIB) Distribution: limitée SHS-94/CONF.011/8 Paris, 20 décembre 1994 Originale : anglais Rapport sur la thérapie génique humaine ______________ Rapporteurs : MM. Harold Edgar et Thomas Tursz

Rapport sur la thérapie génique humaine; 1994unesdoc.unesco.org/images/0013/001323/132347f.pdf · Groupe de travail, cette forme insidieuse de génie génétique bafoue les droits

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United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture International Bioethics Committee (IBC) Comité international de bioéthique (CIB)

Distribution: limitée

SHS-94/CONF.011/8 Paris, 20 décembre 1994

Originale : anglais

Rapport sur la thérapie génique humaine ______________

Rapporteurs : MM. Harold Edgar et Thomas Tursz

I. INTRODUCTION 1. Le présent Rapport sur la thérapie génique a été élaboré au nom du Groupe de travail créé par le Comité international de bioéthique (CIB), afin qu'il soit utilisé par l'ensemble du Comité, au cours de sa réunion de septembre 1994. La liste des membres du Groupe de travail est contenue dans l'annexe A. Les deux Rapporteurs, le Professeur H. Edgar et le Professeur Th. Tursz, ont utilisé librement les contributions et les suggestions des membres du Groupe de travail (sans les attribuer formellement à leurs auteurs). Les Rapporteurs ont également décidé, après en avoir délibéré avec leurs collègues du bureau du CIB, de centrer le rapport sur les questions qui relèvent des attributions de l'UNESCO et qui répondent à sa mission.

La version provisoire du Rapport a été largement débattue tant au sein du Groupe de travail sur la thérapie génique que par l'ensemble du Comité lors de sa session de septembre 1994. La présente version définitive du Rapport tient compte des modifications proposées.

2. La promotion de la science et de son enseignement dans le monde constitue l'une des principales missions de l'UNESCO. Informer sur les découvertes en matière de génétique représente un véritable défi et une responsabilité importante. En effet, ces découvertes définiront la vision que les générations futures auront d'elles-mêmes dans le monde qui les entoure. En outre, l'information aura des retombées éminemment concrètes. Elle aboutira, grâce aux liens étroits qui existent entre science et technologie et entre technologie et pratique, à des changements majeurs dans le domaine du diagnostic et du traitement, du point de vue médical.

L'UNESCO est également une institution dont l'objectif est d'assurer à tous les peuples du monde une juste participation aux bénéfices dérivés des progrès scientifiques et techniques. Comment y parvenir s'agissant d'une technique telle que la thérapie génique? Il apparaît tout particulièrement nécessaire de partager les bénéfices de l'information génétique. En effet, le "Projet Génome" ne sera un véritable succès que dans la mesure où il étudiera effectivement les variations des configurations génétiques à travers le monde. Seules des comparaisons permettront de réaliser nombre de progrès importants: en se demandant quels facteurs génétiques différencient deux groupes lorsque l'on observe que l'un est beaucoup plus sensible que l'autre à certaines maladies, par exemple. Plus la participation sera large, plus on aura de possibilités de découvertes. Si tous peuvent apporter leur contribution, tous doivent pouvoir en partager les bénéfices. Voilà ce que doit réclamer l'UNESCO, plus que quiconque.

Pourtant, nombreux sont ceux qui, dans les pays en développement, ont des avis contradictoires sur le Projet Génome, en particulier le volet concernant les thérapies géniques. Faut-il allouer autant de ressources à la recherche de thérapies qui s’avéreront sans doute très coûteuses? Une telle démarche est-elle cohérente avec les obligations nationales de protéger les droits fondamentaux affirmés à Alma-Ata? Est-il réaliste de penser que la thérapie génique sera à la portée de qui que ce soit en dehors des sociétés les plus riches? Permettra-elle de soigner de nombreuses personnes? Existe-t-il des liens entre ces technologies et d'autres qui permettraient d'améliorer la santé publique en général? Le Groupe de travail est convaincu que la réponse à toutes ces questions est positive.

Enfin, l'UNESCO est une institution qui joue un rôle tout particulier dans la défense des droits de l'homme. Tout le monde est conscient des dangers spécifiques que représentent, pour les droits de l'homme, l'information génétique et sa manipulation. Cette vaste prise de conscience est la conséquence de trop de souffrances humaines dues à des idéologies qui ont utilisé la génétique, ou de prétendus critères génétiques, pour glorifier certaines personnes et refuser aux autres leur dignité en tant qu'êtres humains. En cette fin de XXème siècle, prétendre que les gènes d'une personne sont meilleurs que ceux d'une autre personne serait assurément mettre le feu aux poudres.

3. Ces considérations amènent à poser le problème des valeurs, soulevé par le Projet Génome Humain en général et la thérapie génique en particulier. Cette branche du génie génétique se développe rapidement dans le monde entier, dans les centres de recherche tant publics que privés. La justification de ce développement est incontestable: il s'agit de soulager la souffrance humaine en guérissant la maladie. Pourtant, la technique en tant que telle, ainsi que les limites théoriques de ce qu'il est possible de faire, sont fonction de principes scientifiques et techniques et non de définitions sociales, par exemple, celle qui fait

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que l'on considère tel état comme une maladie, ou celle qui permet de dire quelles sont les thérapies acceptables. De fait, l'expression même de "thérapie génique humaine" renvoie à l'analyse de procédures a priori bénéfiques. Son utilisation risque de masquer l'hypothèse de base - partagée par tous les membres du Groupe de travail - selon laquelle les bénéfices pour ceux qui en souffrent et le respect de la liberté de la recherche scientifique justifient le développement de cette technique, même s'il existe un risque. En effet à partir du moment où les chercheurs auront surmonté les obstacles techniques, qui aujourd'hui servent de limite, les institutions sociales et juridiques, nationales et internationales, pourraient se révéler incapables d'empêcher totalement les utilisations néfastes de cette technique.

4. Les techniques d'intervention génique pourraient à terme permettre aux êtres humains d'influencer le cours de l'évolution par des manipulations sélectives opérées sur les traits qu'ils veulent donner aux enfants ou les capacités qu'ils veulent renforcer chez eux. Pour notre Groupe de travail, cette forme insidieuse de génie génétique bafoue les droits fondamentaux des individus ainsi construits.

Aux yeux du chercheur scientifique, qui lutte pour assurer la transduction des cellules humaines et l'expression stable à long terme des protéines par les cellules ainsi traitées, il semble certainement exagéré de prétendre aboutir à une telle omnipotence. Pour certains, tout débat sérieux sur des cas aussi "abstraits" est une erreur, qui suscite des craintes au sein de l'opinion publique et fait naître des idées fausses sur des problèmes qui n'en sont pas, sans motif valable. Des obstacles insurmontables s'opposeront probablement à la propagation du génie génétique pour les comportements complexes, qui sont tous médiatisés par l'environnement. L'un des grands dangers du Projet Génome est la tendance au tout génétique; nous risquons de l'aggraver à notre insu en débattant trop tôt d'un avenir lointain et improbable.

Pourtant, si l'on pense au rythme de développement des technologies géniques, il peut être utile de rappeler que l'élucidation du modèle de l'ADN par Watson et Crick ne date que de quarante ans à peine. Les progrès scientifiques réalisés depuis se sont produits à un rythme hallucinant, qui risque fort peu de marquer le pas.

II. DEFINITIONS 1. Le présent Rapport suppose que le lecteur connaît déjà les rudiments de la biologie reproductrice, de la génétique, de la biologie cellulaire et de la synthèse des protéines. L'ADN en constitue, bien entendu, l'élément central.

Nous définissons la thérapie génique humaine comme la modification délibérée du matériel génétique de cellules vivantes pour prévenir ou guérir les maladies.

Quant aux thérapies géniques sur cellules somatiques, nous les définissons comme des procédures qui modifient l'ADN des cellules différenciées du corps, c'est à dire des cellules qui n'ont pas la capacité de transmettre du matériel génétique aux descendants.

Nous définissons l'intervention génique germinale comme celle qui modifie l'ADN des cellules reproductrices.

Le terme technologie génétique est, au sens où nous l'utilisons et l'entendons, l'ensemble des procédures scientifiques et industrielles visant à comprendre et à manipuler les caractéristiques génétiques d'un organisme quel qu'il soit ou l'expression de ces caractéristiques.

Ces définitions ont beau être tout à fait conventionnelles, elles n'en appellent pas moins certaines réflexions importantes.

2. On a commencé à parler de thérapie génique humaine parce que le mot thérapie dans cette expression était censé valoriser des technologies qui auraient pu susciter une opposition plus grande si on avait parlé de génie génétique humain. Au cours des années 70 notamment, alors que toute recherche sur les moyens de modifier la capacité génétique des cellules humaines suscitait immédiatement un débat houleux et une vive opposition, si l'on avait demandé: “Quelles sont les bonnes utilisations du génie génétique?”, la réponse aurait certainement été: “Aucune”. Par contraste, l'expression thérapie génique humaine semble plus neutre.

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L'emploi du terme thérapie pour distinguer les objectifs souhaitables de ceux qui sont indésirables est discutable, pour des raisons évidentes, notamment dans un contexte international et multi-culturel. La thérapie est une idée complexe élaborée par les sociétés, qui n'est pas forcément liée à un concept de maladie universellement reconnu. Les différences entre sociétés le montrent bien, tout comme l'évolution d'une société dans le temps, dans l'attitude adoptée vis-à-vis de la stérilité: problème médical ou état immuable?

Le présent document, à l'instar de tous les rapports et des déclarations précédentes que nous connaissons (on en compte au moins 25), approuve l'utilisation de la thérapie génique sur cellules somatiques pour le traitement des maladies, et désapprouve le recours à l'intervention germinale quand le but est l'amélioration de caractéristiques humaines. Les termes que nous employons peuvent néanmoins faire oublier que la communauté concernée n'est pas toujours d'accord sur ce qui permettrait d'établir une distinction entre thérapie et amélioration. L'incidence de cette incertitude pour la thérapie sur cellules somatiques et l'intervention germinale pourra faire l'objet d'un débat ultérieur. Notons simplement que l'utilisation d'autres technologies génétiques est brouillée par des problèmes similaires. Peut-on considérer que l'administration d'hormones de croissance à un enfant de petite taille, lorsque ses parents souhaitent qu'il soit plus grand, relève de la thérapie? Ce sont les termes "thérapie" et "maladie" eux-mêmes qui sont en cause, et non le fait de savoir si les gènes fabriquent la substance chimique en question à l'intérieur ou à l'extérieur du corps.

3. L'originalité de ce Rapport, au regard des nombreuses études et analyses remarquables qui ont été rédigées sur la thérapie génique, est d'avancer l'hypothèse que la thérapie génique sur cellules somatiques - à condition qu'elle fonctionne suffisamment bien pour pouvoir être utilisée, malgré les nombreux obstacles à franchir - servira bien plus souvent au traitement de maladies comme le cancer et le SIDA, plutôt que de maladies monogéniques, qui ont constitué, au départ, le centre du débat sur la thérapie génique. Les auteurs estiment que les obstacles techniques finiront par être surmontés et que l'usage de la thérapie génique sera largement répandu.

La thérapie génique est une technologie porteuse. La recherche n'a cerné qu'une infime partie de toutes les utilisations possibles. Paradoxalement, plus la thérapie génique sera efficace, plus vite on oubliera qu'elle était au départ destinée au traitement de défauts génétiques. Il sera peut-être nécessaire à terme de prendre des mesures ou de faire pression pour que les victimes de maladies rares ne redeviennent pas des orphelins thérapeutiques alors que la révolution technologique déclenchée par leurs souffrances sert de point d'appui pour envisager le traitement de problèmes de santé plus courants.

4. Nous pourrions certes nous concentrer sur les maladies génétiques, au sens habituel du terme, en définissant simplement la thérapie génique humaine comme une thérapie exclusive. Mais les principales références en bioéthique contredisent cette définition de la thérapie génique [cf. Commission Clothier (1992), Déclaration d'Inuyama (1991), Déclaration de Bilbao (1993)]. Comme nous le faisons, ces rapports définissent la thérapie génique comme une manipulation intentionnelle de l'ADN. Ils évoquent rapidement d'autres usages possibles de la thérapie génique, bien sûr, mais la littérature bioéthique se concentre presque exclusivement sur les questions éthiques en jeu dans le traitement des individus affectés par une maladie monogénique.

Ce souci est compréhensible s'il est replacé dans son contexte historique. Les scientifiques qui ont élaboré des procédures de thérapie génique cherchaient à soigner de telles maladies génétiques, même s'ils ont immédiatement envisagé une utilisation plus étendue (Anderson et Fletcher, 1980). Le débat éthique fut une réaction à leur position et à leurs travaux. En outre, la thérapie génique semblait être la seule possible pour de nombreuses maladies génétiques. Cela explique peut-être qu'on ait pu, grâce à un protocole destiné à une maladie monogénique infantile à l'époque incurable, le déficit en adénosine désaminase (ADA), dépasser l'hostilité qui aurait pu s'opposer à toute intervention sur les gènes humains. A l'inverse, les recherches pour identifier des traitements pour le cancer et le SIDA, qui ne font pas appel à la thérapie génique, malgré les obstacles, sont soutenues par de nombreux partisans. Par ailleurs, ces maladies ne sont pas des modèles aussi intéressants pour les spécialistes en bioéthique. Dans ce domaine, l'attention portée aux maladies

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génétiques a mis en lumière le problème important de la définition des états génétiques comme bons ou mauvais, ainsi que la question de l'amélioration de la lignée germinale qui fascine et perturbe l'opinion.

5. Est-il important de savoir si la thérapie génique peut toucher bien d'autres domaines que les maladies génétiques? Oui et non. Certes, les questions bioéthiques fondamentales restent les mêmes. On s'accorde à penser que la thérapie génique sur cellules somatiques doit être réglementée au même titre que d'autres thérapies expérimentales. Si nous voyons juste, et que l'on se sert de plus en plus des cellules transformées génétiquement comme de médicaments, il deviendra évident que ces thérapies doivent être abordées comme les autres expérimentations.

Il nous semble néanmoins que nombre de ces questions ne se poseront plus dans les mêmes termes, notamment grâce à l'émergence de techniques visant à éliminer des cellules transformées génétiquement par l'activation de gènes dits "suicide" insérés à côté du gène thérapeutique.

Premièrement, les comités d'éthique ont établi des règles afin d'analyser la rentabilité des protocoles de thérapie génique qui reposent sur un modèle précis: celui du traitement à vie des enfants. S'agit-il toujours du modèle adéquat?

Deuxièmement, les technologies porteuses ont des retombées dans de nombreux domaines connexes. La question de la légitimité des investissements sociaux en thérapie génique en regard d'une juste répartition des ressources ne se pose peut-être plus dans les mêmes termes si l'on prend conscience de l'ampleur des applications possibles et de l'utilité de moyens normalisés pour contrôler l'expression des gènes dans le domaine agricole, ou même industriel.

Troisièmement, le fait qu'il s'agisse de technologie génique ne devrait pas conduire à une réponse catégorique à la question de savoir si une telle technologie peut être utilisée sur les cellules somatiques à des fins autres que le traitement de graves maladies. De telles interventions pourront à l'avenir être utilisées pour les mêmes raisons qui justifient de nos jours un traitement médicamenteux.

Enfin, une question est particulièrement importante pour l'UNESCO. Si la thérapie génique est une technologie porteuse, les centres de recherche du monde entier voudront l'utiliser au plus vite et chacun essaiera de trouver des applications que le laboratoire concurrent aura peut-être oubliées, ou des utilisations particulièrement importantes dans son domaine médical spécifique. Comment intégrer de façon efficace à la pratique internationale les règles complexes qui sous-tendent cette technologie et permettent de travailler en toute sécurité sur les vecteurs et les virus? Il ne s'agit pas simplement d'obtenir une adhésion formelle aux dispositions d'un traité demandant que soient fixées des règles nationales pour la sécurité de la manipulation d'organismes génétiquement modifiés; il faut éduquer et organiser une coopération entre les communautés scientifiques, en ayant recours au mécénat.

6. Nous ne traiterons pas ici des questions éthiques relatives à la fécondation in vitro suivie de tests génétiques et d'implantations sélectives d'embryons, ni de dépistage ou d'avortement sélectif: ces procédures ne relèvent pas de la thérapie génique telle que nous la définissons. Pourtant, l'existence même de ces procédures, aussi controversées qu'elles soient, a une incidence considérable sur la demande d'intervention germinale et le rôle que celle-ci peut jouer. Nous en expliquerons le pourquoi par la suite.

III. TECHNOLOGIES ET APPLICATIONS Insertion de gènes

1 Pour qu'une thérapie génique soit efficace, il faut modifier l'ADN de cellules humaines. En théorie, cette modification peut être apportée en "réparant" l'ADN déjà présent dans la cellule, ou en remplaçant une séquence d'ADN dont le code est erroné par une autre dont le code est correct. Il n'est pas encore possible aujourd'hui de procéder à des interventions aussi précises.

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Toutes les méthodes actuelles de thérapie génique ajoutent un matériel génétique nouveau à celui qui existe déjà dans la cellule. Pour cela, il faut d'abord introduire les nouvelles séquences d'ADN dans les cellules et ensuite obtenir que les cellules ainsi transformées fabriquent (ou "expriment") la protéine voulue, en fonction des impératifs thérapeutiques. La mécanique doit ensuite fonctionner assez longtemps pour être utile.

On distingue plusieurs types de technologies d'insertion de gènes: celles qui reposent sur les mécanismes viraux et celles qui passent par des moyens chimiques ou par l'insertion physique directe de l'ADN.

Jusqu'à présent, la grande majorité des chercheurs s'est efforcée d'insérer des gènes dans les cellules humaines en utilisant des virus génétiquement modifiés. Cette méthode tire parti de la "sélection évolutive de la relation hôte-virus" (Kotin, 1994). En d'autres termes, l'enveloppe du virus a été formée par l'évolution de telle façon que le virus parvient à la fois à franchir l'obstacle de la membrane extérieure de la cellule et à la coloniser pour qu'elle fabrique de la protéine virale, sans la tuer instantanément. (Si ce n'est pas le cas, le virus n'est pas efficace.) Par conséquent, en remplaçant les gènes viraux par des gènes humains à l'intérieur de l'enveloppe, ou en modifiant le virus pour qu'il les transporte, on peut faire passer dans la cellule ce paquet thérapeutique et éventuellement tirer parti des manipulations naturelles.

Plusieurs systèmes de vecteurs viraux font ou ont fait l'objet de recherches, notamment ceux qui ont pour point de départ les rétrovirus, les adénovirus, les virus associés aux adénomes, le parvovirus, le virus de l'herpès simplex, le virus de l'hépatite et le virus de la vaccine.

Nous aborderons brièvement les deux vecteurs viraux les plus courants, les rétrovirus et les adénovirus. A ce jour, les vecteurs rétroviraux sont les plus utilisés. Le virus de départ est un rétrovirus de souris. L'avantage des rétrovirus est qu'ils s'intègrent à l'ADN de la cellule par transcription inverse. Les séquences transformées du vecteur viral deviennent ainsi une partie du génome de la cellule qu'elles infectent. Ces séquences sont ensuite reproduites quand la cellule se divise et sont donc présentes, en théorie, pour continuer à produire la nouvelle protéine dans la génération de cellules suivante.

L'inconvénient de ces rétrovirus est qu'ils ne peuvent infecter que des cellules qui se divisent, comme les cellules souches des globules ou les cellules cancéreuses. Si les cellules cibles ne se divisent pas - que l'on ne peut provoquer leur division, ou que celle-ci ne se produit que très rarement - les vecteurs rétroviraux ne seront pas efficaces pour des objectifs thérapeutiques.

a. Les vecteurs rétroviraux posent au moins trois problèmes de sécurité, qui ont tous fait l'objet de recherches approfondies. De nombreux virus, dont les rétrovirus, peuvent être dangereux à l'état "sauvage". Aux Etats-Unis d'Amérique et en Europe, des règles et des recommandations ont été formulées concernant les procédures de laboratoire et elles sont strictement appliquées. Leur objectif est de limiter les risques pour les chercheurs par la transformation des rétrovirus et d’éviter une fuite involontaire de ces rétrovirus dans l'environnement. Cependant, aucune règle n'est appliquée à tout moment avec la même rigueur; les individus peuvent commettre des erreurs. Pour cette raison, des évaluations du dommage éventuel en cas d'accident ont été menées qui montrent que le danger est similaire, ou à peine supérieur, aux autres risques que représente le travail traditionnel en laboratoire avec des virus ou d'autres substances dangereuses.

En outre, dans la production de vecteurs à usage humain, il faut veiller à ce qu'il n'y ait pas contamination de la production par des "rétrovirus permettant la réplication". Le virus modifié ne peut pas fabriquer de nouveau virus dans la cellule puisqu'il n'a pas les gènes nécessaires. Des problèmes peuvent néanmoins surgir dans la production, il est donc nécessaire de s'en protéger.

Enfin, dans l'utilisation des vecteurs rétroviraux, il n'est pas encore possible de maîtriser l'endroit du génome cellulaire où s'intègre le virus. En théorie, l'intégration des nouvelles séquences peut perturber d'autres fonctions cellulaires. Selon toute vraisemblance, la cellule ainsi limitée cesse de fonctionner ou fonctionne mal. Dans des procédures où les cellules sont infectées (par transduction) et où le virus modifié se trouve en dehors du corps (ex vivo), les cellules où fonctionne le nouveau gène sont souvent les seules qui sont

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prélevées, développées en culture et rendues au patient. Si un pourcentage réduit de cellules traitées meurt, ce n'est pas un problème. Il existe des billions de cellules et dans la plupart des systèmes organiques, de nouvelles cellules sont fabriquées en permanence. On peut néanmoins avancer qu'il est peu probable que l'intégration se situe là où se déclenchent des oncogènes cellulaires ou la où se désactivent les gènes suppresseurs de tumeur, provoquant ainsi la division rapide et incontrôlée des cellules. Le risque que des événements aussi aléatoires provoquent le cancer semble de plus en plus réduit et l'on n'a aucune preuve de cette possibilité, après des milliers d'expériences sur muridés (Anderson 1994).

b. Les adénovirus, l'autre solution la plus utilisée, sont un ensemble de virus courants, dont fait partie le virus à l'origine du rhume commun notamment. L'avantage qu'ils présentent pour le transfert de gènes est qu'ils peuvent être utilisés pour infecter pratiquement toutes les cellules humaines. Les cellules qui ne se divisent pas peuvent donc être infectées par transduction. On a beaucoup utilisé les adénovirus dans des protocoles visant les cellules épithéliales chez des patients atteints de mucoviscidose pulmonaire. Cependant, les adénovirus restent dans la cellule en tant qu'épisomes, ce qui veut dire que les séquences ne s'incluent pas dans le génome. Ainsi, le virus avec sa nouvelle séquence ADN est éliminé lorsque la cellule se divise. L'utilisation des adénovirus pose également des problèmes de sécurité complexes, notamment parce que les nouvelles séquences virales contenues dans les cellules modifiées peuvent se recombiner en quittant le virus qui les a apportées dans la cellule et en s'incluant dans les adénovirus "sauvages" présents déjà dans la cellule. Si cela se produit, les gènes thérapeutiques peuvent se répandre dans l'environnement à l'intérieur d'un virus susceptible d'infecter d'autres personnes. Cette question fut présentée par l'un des chercheurs, le Professeur Th. Tursz, dans le rapport sur la thérapie génique qu'il a présenté au CIB en septembre 1993.

c. Les moyens chimiques et physiques visant à insérer de nouvelles structures d'ADN ont fait l'objet de recherches nettement moins approfondies. Les gènes peuvent être introduits dans des liposomes, mais l'efficacité de la transduction est restreinte. On peut procéder à une injection physique directe de l'ADN sous forme de plasmide, mais cette méthode n'a fonctionné jusqu'à présent que dans les cellules musculaires.

d. Pour se faire une idée de l'extraordinaire complexité des procédures de sécurité validées et des critères d'exigence élevés auxquels doivent répondre ceux qui préparent les systèmes de transfert à usage humain, il peut être utile de lire le document émanant de la Food and Drug Administration (FDA) (Administration pour l’alimentation et les médicaments) des Etats-Unis d'Amérique, intitulé “Points to consider in Human Somatic Cell Therapy and Gene Therapy”, 1991 (Observations importantes au sujet de la thérapie somatique humaine et de la thérapie génique).

L'expression des gènes

2 L'insertion de nouvelles séquences d'ADN dans les cellules n'est que la première des difficultés rencontrées. Pour qu'une thérapie soit efficace, la protéine doit être exprimée aux niveaux qui conviennent. Dans certaines applications, la cellule a besoin d'une partie de la protéine, à certains moments. Dans d'autres, la protéine doit passer de la cellule dans la circulation sanguine qui l'entoure. Les systèmes efficaces pour diriger l'expression des gènes (systèmes qui sont eux-mêmes des séquences génétiques, bien entendu) doivent donc être insérés en même temps qu'un gène "thérapeutique". L'une des solutions est de laisser le mécanisme de régulation du virus contrôler le gène humain. En fait, le virus est colonisé pour fabriquer la protéine humaine voulue, plutôt que les protéines virales qu'il aurait fabriquées dans son état non modifié. Mais on pense de plus en plus que les virus promoteurs ne fonctionnent pas bien chez les personnes, contrairement à ce qui se passe en culture cellulaire. Il est donc essentiel de trouver de meilleures manières d'obtenir une expression efficace et une maîtrise continue de cette expression.

Toute cette machinerie biologique complexe doit en effet fonctionner, non pas pendant quelques minutes ou un jour, mais à long terme, pour assurer l'efficacité de la thérapie. Sur des cellules qui se divisent, comme les cellules souches des globules, elle doit continuer à fonctionner tout au long de la division des cellules. Lorsque les cellules transférées par transduction ont une durée de vie courte avant d'être remplacées par les nouvelles cellules somatiques, la thérapie génique requiert une administration répétée du produit génique thérapeutique, du moins si l'objectif est le traitement d'une maladie génétique.

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Il est surprenant que la littérature bioéthique accorde si peu d'attention à la nécessité d'administrer le traitement à maintes reprises. Les auteurs abordent la thérapie génique sur cellules somatiques sous l'angle de la méthode germinale, comme si l'administration du traitement allait modifier tel patient pour toujours (mais sans faire courir de risque à d'autres personnes, à l'inverse de l'intervention germinale). Les analyses risque-avantage concluent que cette thérapie génique est formidable si la thérapie somatique fonctionne, mais qu'elle est dramatique si elle a des effets secondaires, car le patient est changé à jamais. Pourtant, dans la plupart des systèmes organiques, de vieilles cellules meurent et de nouvelles sont fabriquées et tout est dans la vitesse de remplacement des unes par les autres. La plupart des protocoles de thérapie génique somatique expérimentale utilisés aujourd'hui proposent des traitements qui ne maintiennent pas les cellules génétiquement modifiées dans le corps indéfiniment, à moins que le virus ne parvienne à migrer d'une cellule à l'autre, résultat qui serait à la fois non intentionnel et improbable. Les enfants souffrant d'une déficience en ADA traités dans le premier protocole d'Anderson, par exemple, auraient eu besoin d'une ré-administration constante de leurs cellules T modifiées, chaque 8 semaines.

Les systèmes de thérapie génique sur cellules somatiques ne fonctionnent qu'aussi longtemps que les cellules transférées par transduction vivent ou donnent naissance à de nouvelles cellules dans lesquelles le gène inséré est également présent. Dans un modèle expérimental, on peut éviter le "traitement à vie" en choisissant pour la transduction des cellules qui meurent plus rapidement. Pourtant, de nombreux systèmes organiques ont ce qu'on appelle des cellules-souche, des cellules-mères capables de se reproduire elles-mêmes et, sous l'effet de plusieurs protéines cellulaires dites cytokines (hormones cellulaires), de se différencier en toutes sortes de type de cellules qui constituent le système organique en question ou fonctionne à sa place. On sait par exemple que les cellules-souche du sang se trouvent dans la moelle osseuse et que c'est de ces cellules-souche que viennent les globules rouges, les plaquettes, et tous les globules blancs du système immunitaire. On utilise déjà la thérapie génique qui vise ces cellules-souche, car si l'on peut en traiter un nombre suffisant, et si le gène inséré continue à fonctionner tout au long des divisions cellulaires, un véritable traitement à vie devient possible. (De la même façon, une greffe de moelle osseuse de frère à soeur pourrait être considérée comme un protocole de thérapie génique à vie.) En revanche, l'identification de cellules-souche comparables pour d'autres systèmes organiques - le foie ou l'intestin par exemple -, si elles existent, et la mise au point de méthodes qui permettent d'en transfecter suffisamment pour obtenir une thérapie à vie, sont des tâches colossales que l'on commence à peine à explorer.

Nous avons ainsi résumé quelques unes des difficultés actuelles de la recherche. Bien sûr, on a fait état de nombreux progrès plausibles et très prometteurs. Il serait possible notamment de grouper les gènes en paquets en vue de leur insertion dans des cassettes standard. Ces cassettes comprendraient des systèmes permettant d'activer ou de désactiver les gènes et de détruire les cellules transférées par transduction, en activant des "gènes suicide" implantés lorsque le patient subit des effets secondaires ou quand la cellule a rempli sa mission. Mais l'expérience a montré qu'entre la théorie et l'application pratique la distance à franchir est très longue.

Pourtant, il ne s'agit pas de problèmes que l'on cherche à résoudre sans même être certain de leur pertinence, caractéristique que beaucoup pourraient attribuer à l'intervention sur des traits complexes dans la lignée germinale.

Applications en thérapie génique

3 Des protocoles de thérapie génique sont élaborés aux Etats-Unis d'Amérique, en Chine, en France, au Royaume-Uni, en Italie, aux Pays-Bas et sans doute ailleurs, mais c'est aux Etats-Unis d'Amérique que la majorité a été conçue. L'examen des protocoles au stade de la planification, ou une fois qu'ils ont été approuvés par le Recombinant DNA Advisory Committee (RAC) (Comité consultatif pour l'ADN recombinant aux Etats-Unis d'Amérique) peut donner une idée de l'avenir de la thérapie génique. L'ouvrage publié sous la direction du Dr. W. French Anderson, l'un des pères fondateurs de la thérapie génique, “Gene Therapy” (Thérapie Génique) (Mary Ann Liebert, NY), contient des articles particulièrement utiles et dresse un état des lieux des pratiques actuelles.

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a. Les thérapies géniques les plus faciles à conceptualiser sont celles qui visent les maladies génétiques provoquées par l'absence ou le dysfonctionnement d'un gène unique. La métaphore en est la réparation cellulaire. Ainsi, lorsque les cellules du foie d'un hémophile ne produisent pas le facteur de coagulation nécessaire (facteur VIII), parce qu'ils n'ont pas le gène qui en code la production, on peut intervenir sur ces cellules pour insérer ce gène et en assurer l'expression, puis retransfuser les globules modifiés au patient. Ce type de maladie monogénique dominante a-récessive s'est trouvé au coeur de la plupart des débats éthiques sur la thérapie génique sur cellules somatiques. En outre, le protocole d'Anderson pour soigner des enfants présentant un déficit en adénosine désaminase (ADA) avec des cellules T infectées par transduction fut le premier protocole de thérapie génique véritable.

Il existe plus de 4.000 maladies monogéniques, mais beaucoup sont extrêmement rares. Baird (1994) fait justement remarquer que ces maladies monogéniques ne représentent qu'un pourcentage infime de l'ensemble des maladies héréditaires.

b. La métaphore de la réparation cellulaire peut également être utilisée lorsque les cellules produisent des protéines qui sont impliquées dans le processus d'une maladie ou qui en sont la cause. C'est le cas des cellules cancéreuses, par exemple. Ces cellules ont l'auto-instruction de se diviser à l'infini.

A l'heure actuelle, il n'existe pas de méthode pour éliminer un gène spécifique qui produit une protéine indésirable, bien que l'on mentionne souvent dans les travaux sur ce sujet des formes de "chirurgie génétique" hypothétiques et qu'elles fassent l'objet de recherches. D'ores et déjà, au stade expérimental bien sûr, il est possible de maîtriser un gène en insérant un autre gène qui bloque ou neutralise sa production indésirable. Un protocole approuvé récemment permet aux médecins d'insérer un gène P53 normal (suppresseur de tumeur) dans des cellules "non-petites" de carcinomes pulmonaires qui présentent un déficit en P53. On répare les cellules en leur restituant le P53 opérable qu'elles avaient ou auraient dû avoir. On espère ainsi annuler, par cette nouvelle source de P53, le message qui conduit à une division incontrôlée.

Néanmoins, on envisage à court-terme d'utiliser des gènes "antisense". Ces séquences d'ARN sont conçues pour fabriquer de petites molécules, qui en se fixant, interrompent la fabrication par la cellule du produit indésirable d'un gène, notamment les oncogènes, c'est-à-dire un gène qui "active" la division cellulaire (Anderson, 1994). Dans ce cas, la métaphore de la réparation ne tient plus. La cellule est modifiée de façon à fabriquer une substance chimique qui n'a jamais été produite par aucune cellule humaine.

c. Les exemples de thérapie génique qui donnent de nouvelles propriétés aux cellules humaines ne manquent pas. On peut par exemple intervenir sur des cellules pour qu'elles produisent des substances qui les protégeront des virus. En théorie, les cellules ainsi équipées peuvent bloquer l'intégration du virus du SIDA. Une autre méthode possible consiste à modifier la cellule pour qu'elle produise une protéine qui bloque la capacité du virus du SIDA à répliquer sa propre protéine à l'intérieur de la cellule. Comme le souligne Anderson (1994), les maladies virales pourraient être considérées comme des maladies génétiques "acquises".

d. On peut intervenir sur des cellules pour protéger des effets secondaires d'autres thérapies médicales tout à fait classiques. Un exemple: la chimiothérapie du cancer est toxique pour les cellules de la moelle osseuse. On ne peut l'administrer aux doses requises pour tuer les cellules cancéreuses car cela entraînerait la mort des cellules de la moelle osseuse responsables de la production de nouveaux globules. En injectant le gène dit de "multiple drug resistance" (MDR) (résistance polymédicamenteuse) dans ces cellules de la moelle osseuse, on peut leur donner la capacité, qu'elles n'avaient pas naturellement, de rejeter les toxines chimiothérapeutiques au lieu d'être détruites par elles. Dans ce cas, le patient peut recevoir des doses de chimiothérapie plus fortes. Un protocole d'injection de gènes MDR dans des cellules souches hématopoïétiques a d'ailleurs été approuvé.

e. Les solutions de thérapie génique visant à déjouer ou à améliorer les fonctions immunitaires abondent. Il peut s'avérer souhaitable par exemple d'injecter des gènes étrangers ou de nouveaux gènes d’histocompatibilité dans le système immunitaire du patient afin d'induire une tolérance à une greffe d'organe prélevé sur une personne ou un animal dont les gènes insérés proviennent. De même (bien qu'il ne s'agisse pas ici de thérapie génique au sens

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où nous l'entendons), des travaux considérables sont en cours, concernant l'injection de gènes immunitaires humains sur des animaux, afin que les organes prélevés sur ces derniers ne soient par perçus comme étrangers par le système immunitaire du patient.

f. Est-il approprié d'appeler thérapie génique des protocoles visant à stimuler des réponses immunitaires, plus connus sous le nom de protocoles de vaccin contre le cancer? C'est discutable. (Certes, on peut affirmer que la vaccination avec virus vivant atténué est une forme de thérapie génique, puisque le but est d'ajouter de l'ADN à la cellule.) Les cellules transformées génétiquement sont utilisées pour améliorer la réponse immunitaire. Un protocole prévoit d'injecter un nouveau gène dans des cellules cancéreuses, pour que ces cellules produisent un antigène sur la surface cellulaire. Les cellules immunitaires du patient l'attaquent et sont ainsi plus sensibilisées aux autres antigènes présents sur ce type de cellules cancéreuses.

De même, il est possible de stimuler des réponses du système immunitaire en injectant des gènes qui fabriquent les cytokines dans les cellules cancéreuses du patient. De nombreux protocoles approuvés adoptent cette méthode. On espère ainsi que lorsque les cellules cancéreuses fabriquent des immunostimulants, cela déclenche une réaction accrue des cellules immunitaires contre la tumeur.

g. Les cellules peuvent être modifiées pour la délivrance de médicaments. Ces cellules fabriqueront une protéine thérapeutique à l'intérieur du corps. (Cela peut constituer une meilleure solution que de fabriquer le médicament en usine, de l'expédier à l'autre bout du monde et de l'injecter au patient.) Les cellules peuvent être injectées sur le lieu où l'activité biologique est souhaitée. Le récent protocole sur l'arthrite, que nous décrivons ci-dessous, illustre cette méthode.

Par ailleurs, dans la mesure où les cellules "rentrent chez elles", grâce à des mécanismes de circulation complexes, il sera peut-être possible d'intervenir sur les cellules pour qu'elles se rendent au lieu voulu dans le corps et, une fois arrivées à destination, assurent la fabrication endogène continue de la substance protéique qui ne pourrait pas être obtenue à cet endroit par d'autres moyens sans engendrer des effets secondaires inacceptables.

h. Enfin, les méthodes de thérapie génique peuvent réussir à traiter des maladies en insérant simplement des "gènes suicide" dans des cellules cibles intéressantes. La métaphore n'est pas particulièrement adaptée aux gènes, mais puisque d'autres l'utilisent, nous l'employons aussi. L'introduction de ce type de gènes dans les systèmes de thérapie génique a une importance pratique et conceptuelle. Les cellules dans lesquelles on a transféré par transduction la portion thymidine kinase du gène de l’herpès simplex meurent lorsqu'elles sont traitées avec le gancyclovir, un médicament qui est déjà commercialisé. L'un des usages thérapeutiques possibles est le traitement des tumeurs du cerveau. Les cellules encéphaliques ne se divisent pas d'ordinaire et toute cellule qui se divise dans le cerveau est présumée être une cellule tumorale. Si le système d'insertion du gène viral n'infecte que les cellules du cerveau qui se divisent, on peut cibler les cellules tumorales et les détruire.

Les possibilités thérapeutiques qu'offrent les "gènes suicide" sont très vastes, dans la mesure où lorsque les cellules meurent, il y a apparemment un effet "de proche en proche". En d'autres termes, lorsqu'une cellule A meurt, il y une probabilité plus grande que la cellule B voisine meure également. Or, si l'on parvient à placer A à l'endroit voulu, près de la cellule tumorale B, avec un gène suicide en place, la mort de A peut provoquer la mort de B, qui provoque à son tour la mort de C, et ainsi de suite.

Enfin, point important pour l'aspect réglementaire et le rapport coût à payer/avantages, les "gènes suicide" peuvent être considérés comme de simples interrupteurs de "désactivation". On peut injecter les cellules, puis, lorsqu'elles ne sont plus nécessaires, les éliminer en administrant une molécule qui déclenche le gène. La thérapie génique ne se conçoit plus nécessairement (ni même théoriquement) en termes de risque à courir, de traitement qui bouleverse une vie, de patients changés pour toujours. C'est un médicament dont on peut assez bien maîtriser la demi-vie.

L'avenir dira si toutes ces méthodes peuvent avoir des applications réussies. On ne peut avoir de certitude sur le succès d'aucune d'entre elles et certaines ne sont pas même prêtes à l'emploi. Mais les informations données font clairement apparaître que, sur le plan

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technique, la thérapie génique sur cellules somatiques offre de vastes perspectives dans des domaines éloignés des maladies génétiques. Il serait plausible que ces techniques soient utilisées, au minimum, pour les maladies du sang, le cancer, les maladies cardio-vasculaires, pulmonaires, les maladies du foie, de la peau, et les maladies infectieuses. L'ère de la thérapie génique active n'a que cinq ans derrière elle.

A quoi sert la thérapie génique?

A la lumière des informations et tendances actuelles, la conclusion que la thérapie génique sera utilisée le plus souvent pour le traitement de maladies autre que les maladies monogéniques classiques s'impose clairement. Cette thèse est confortée par les obstacles scientifiques qui subsistent ainsi que par les problèmes liés à la taille du marché qui vont influer sur le travail commercial.

a. Les utilisations actuelles. Au milieu de l’année 94, il y avait 74 protocoles de thérapie génique approuvés dans le monde entier. Sur ce nombre, 16 seulement concernaient des maladies monogéniques classiques (Anderson 1994). La plupart des 58 autres sont des protocoles portant sur des cancers ou en rapport avec le cancer. La terminologie dans le cas actuel présente des difficultés, car le cancer est une maladie génétique et le VIH une maladie génétique acquise. Le "Projet génome humain" repose sur la prémisse que plusieurs maladies, qui ne sont pas tenues pour génétiques, pourraient être mieux comprises et traitées par l'étude de leurs conséquences au niveau génétique. Cependant, il est incontestable que le débat éthique sur la thérapie génique a porté presque exclusivement sur les maladies monogéniques héréditaires. Par conséquent, le débat bioéthique s'est concentré sur la pointe de l'iceberg tout en ignorant ce qui constitue la plus grande partie du problème.

En passant en revue les protocoles approuvés lors de la réunion de juin 1994 des National Institutes of Health (NIH)-RAC, tels qu'ils sont indiqués dans la lettre d'information de l'industrie Biotechnology Newswatch, du 20 juin 1994, il est possible de déterminer quel est le principal centre d'intérêt des travaux aux Etats-Unis d'Amérique, à l'heure actuelle:

i) transfert du gène pour l'antagoniste de réception d'interleukine-1, ex vivo, dans des tissus d'articulation synoviale de patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde, avec réimplantation dans les articulations des doigts avant leur remplacement chirurgical prévu. Les cellules modifiées seront aussi infectées par transduction avec un “gène suicide”, de sorte qu'elles seront éliminées par administration d'un médicament si on constate une toxicité.

ii) Injection directe d'ADN de plasmide incorporant le gène pour l'antigène carcino-embryonnaire dans le tissu musculaire de 15 patients souffrant d'un cancer colo-rectal métastatique.

iii) Un protocole de marquage conçu pour tester si des lymphocytes s'infiltrant dans des tumeurs se concentrent sur des points de tumeurs métastatiques (avec Neo).

iv) Un protocole de marquage pour déterminer si des cellules souches de la moelle osseuse reconstituent le système hématopoïétique au même rythme, plus rapidement ou plus lentement, s'ils ont été traités avec ce que l'on appelle des facteurs de croissance, c'est-à-dire des cytokines qui induisent les globules sanguins à se différencier en lignes particulières, par exemple les différents types de globules blancs (avec Neo).

v) Un protocole sur un "vaccin anti-cancer" permettant la transduction de cellules de glioblastomes avec des gènes qui expriment des cytokines pour stimuler une réponse immunitaire contre la tumeur (avec IL-2).

vi) Un protocole sur un vaccin anti-cancer introduisant des gènes de la sous-unité IL-12 (P35 et P40) ex vivo dans des fibroblastes de patients, qui seront ensuite injectés dans la tumeur dans l'espoir à la fois d'un effet anti-tumoral direct et d'une stimulation de la réponse immunitaire.

vii) Un protocole plaçant des gènes MDR dans des cellules mononucléaires du sang périphérique de personnes souffrant d'un cancer du sein.

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viii) Un protocole portant sur l'administration de gènes suppresseurs de tumeur P53 de type sauvage par l'intermédiaire d'un vecteur adénovirus injecté dans la tumeur, avec utilisation ultérieure d'agents chimiothérapeutiques pour achever les cellules.

ix) Un protocole d'insertion de gène normal dans des cellules souches du sang, absent chez les patients atteints d'anémie de Fanconi, une maladie héréditaire rare.

[Cancer: 7; maladie auto-immune: 1; maladie monogénique: 1.]

b. Problèmes scientifiques. Le fait qu'un type de protocoles soit relativement plus nombreux qu'un autre n'est pas indicateur des probabilités de voir bientôt la thérapie génique utilisée largement pour traiter les nombreuses maladies monogéniques existantes. Mais ce sont les problèmes techniques qui expliquent ce développement plus lent. Pour traiter un grand nombre des maladies monogéniques, il est nécessaire qu'il y ait un contrôle suffisant de l'expression du gène pour garantir que les cellules produisent la quantité voulue de protéine lorsque cela est nécessaire, sur une période de temps prolongée. On envisage des traitements durant toute une vie et pour de nombreuses maladies, le traitement doit être commencé dans l'enfance, car, dans le cas contraire, la maladie aura déjà provoqué des dommages irréparables. En revanche, si on obtient des cellules qui peuvent simplement être injectées en un lieu donné, y libérer des médicaments puis être ignorées ou éliminées par l'administration d'un médicament, il n'est pas nécessaire de résoudre l'ensemble du problème en une fois. Il existe de nombreuses possibilités de thérapies pouvant être conçues sur ce modèle. Aux Etats-Unis d'Amérique, le résultat obtenu récemment qui a été le plus largement diffusé est le suivant: dans le cadre d'une étude sur des animaux, la thérapie génique a permis de contrôler la prolifération de cellules de muscles lisses, due à des lésions artérielles du type de celles provoquées fréquemment par l'angioplastie par ballonnet. Les cellules infectées par transduction (dotées d'un gène suicide) ont produit une substance qui a bloqué les protéines qui provoquent une cicatrisation rapide de l'artère, cicatrisation si rapide que des blocs de cellules en excédent se forment et bouchent l'artère. Un nouveau traitement de la resténone, “un problème économique et clinique énorme” étant donné la fréquence des obstructions artérielles et le nombre d'angioplasties menées pour les soigner, est peut-être en cours d'élaboration [Gene Therapy for Clogged Arteries Passes the Test in Pigs (La thérapie génique pour soigner les artères bouchées réussit le test sur les porcs), Science 265:738, août 1994].

c. Fonctions sur le marché. Les conclusions que nous tirons sont encore renforcées si l'on examine la question d'un point de vue économique. La thérapie génique a débuté dans le secteur public, mais elle est fait de plus en plus l'objet d'efforts intenses de la part de sociétés de biotechnologie, de petite et grande taille. Elles se concurrencent pour embaucher les individus de talent provenant du monde universitaire et du secteur public. D'une manière générale, les sociétés ont tendance à rechercher des marchés importants et elles agissent de même dans le domaine des maladies génétiques. Il est intéressant de noter que 8 des 16 protocoles approuvés, portant sur des maladies génétiques héréditaires, concernaient la mucoviscidose, la maladie génétique grave la plus répandue parmi les personnes de race blanche. La thérapie génique sera utilisée pour des maladies génétiques, mais il est erroné de se concentrer uniquement sur cet aspect de la question.

IV. ANALYSE ETHIQUE 1. La gamme des missions que le CIB est susceptible de remplir est étendue: elle va de fournir des informations à proposer des principes concernant la reconnaissance juridique internationale. Dans le cadre de son rôle d'évaluation éthique, il doit proposer des principes éthiques enracinés dans des concepts universels même s'il tient compte de la diversité, tout à fait souhaitable, des traditions religieuses et culturelles qui coexistent dans le monde.

Les principes de droit international des droits de l'homme, et les documents disponibles en la matière, peuvent offrir une abondante moisson de doctrines pour apprécier l'attitude à adopter dans des cas précis. Un intéressant rapport publié récemment “The Promotion of Human Rights in the Life and Health Sciences, Recommendations to the United Nations” (La promotion des droits de l’homme dans les sciences de la vie et de la santé, Recommandations aux Nations Unies), dirigé par Audrey Chapman, contient des débats enrichissants à cet égard. La législation en matière de droits de l'homme contient des

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dispositions qui sont analogues aux principes qui découlent de l'analyse des obligations morales implicites dans la relation médecin-patient, point de départ, par exemple, de l'essentiel de la littérature anglo-américaine sur la bioéthique ainsi que des traditions d'autres communautés. De plus, et fort heureusement, ces différentes traditions convergent dans la manière de considérer la médecine expérimentale - notre domaine principal - où se fait jour un large accord sur les questions à poser et les procédures à suivre.

Pour l'évaluation de la thérapie génique, il est nécessaire, au minimum, de tenir compte des principes suivants, extraits d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, qui peuvent servir de base:

1. le respect pour la dignité et de la valeur de la personne humaine;

2. le droit de toute personne à l'égalité devant la loi;

3. la protection des droits des personnes vulnérables;

4. le droit de toute personne à ne pas être soumis à une expérience médicale ou scientifique sans son libre consentement;

5. le droit de toute personne au meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre, ainsi que les droits associés d'accès aux soins;

6. le droit de toute personne à la protection contre les immixtions arbitraires dans sa vie privée ou sa famille;

7. le droit de toute personne de bénéficier des progrès scientifiques et de leurs applications; et,

8. le droit à la liberté de la recherche scientifique.

Etant donné qu'à l'heure actuelle toute thérapie génique constitue une expérimentation médicale et scientifique (et sous une forme relativement extrême), le droit à “ne pas y être soumis, sans libre consentement” est garanti. Un "libre" consentement implique un consentement éclairé, sans coercition. Les devoirs qui s'imposent aux chercheurs et leurs procédures d'application ont été énoncés dans d'autres documents de portée internationale. Le Code de Nuremberg en a été la base. Ce Code a été établi dans le contexte inhabituel du procès international pour les crimes de guerre, afin de stipuler les principes, reconnus sur le plan international, pouvant permettre aux chercheurs de s'engager dans une activité scientifique qui, autrement, aurait constitué une violation des droits des sujets (et, si des lésions étaient possibles ou occasionnées, un délit grave). La Déclaration d'Helsinki, préparée par l'Association médicale mondiale, découle du Code de Nuremberg, qui en a été la base de départ. A leur tour, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Conseil pour les organisations internationales des sciences médicales (CIOMS) ont élaboré un document qui a joué un grand rôle: les “International Guidelines for Biomedical Research Involving Human Subjects” (Principes directeurs internationaux pour la recherche biomédicale concernant des sujets humains) en se fondant sur la Déclaration d'Helsinki. L'objectif de ces principes directeurs est de montrer comment des valeurs éthiques fondamentales devraient guider la conduite de recherches biomédicales concernant des êtres humains. Dans sa version la plus récente (CIOMS/OMS, 1993):

“toute recherche concernant des sujets humains devrait être menée conformément à trois principes éthiques fondamentaux, c'est-à-dire respect des personnes, caractère bénéfique et justice”.

C'est précisément le message de la tradition anglo-américaine au sujet de l'expérimentation sur des sujets humains, qui met l'accent sur les principes d'autonomie, d'analyse coût-bénéfice et de justice dans la répartition des avantages et des risques.

Application à la thérapie sur cellules somatiques

2. A notre connaissance, aucun comité, où que ce soit, n'a jamais recommandé une interdiction totale de toute thérapie génique sur cellules somatiques. L'excellent rapport de 1982 “Splicing Life” (Epissage de la vie) de la United States Presidential Commission for the Study of Ethical Problems in Medecine and Biomedical and Behavioral Research (Commission présidentielle des Etats-Unis d'Amérique pour l'étude des problèmes éthiques en

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médecine et en recherche biomédicale et comportementale) a ouvert la voie à une reconnaissance au niveau international du fait que les problèmes éthiques présentés par ces thérapies n'étaient pas fondamentalement différents de ceux présentés par d'autres techniques de recherche. Les membres du Groupe de travail avaient la même opinion.

A notre avis, des arguments contraires devraient être fondés sur les hypothèses suivantes:

a) il existe un risque trop élevé d'accidents provoquant des dommages importants aux personnes, aux biens ou à l'environnement, qui pourraient être occasionnés par la libération accidentelle de matériaux viraux ou autres;

b) les accidents liés aux thérapies sur cellules somatiques provoqueront, tôt ou tard, l'altération de cellules germinales; ou,

c) la création de thérapies somatiques nous mène sur la pente dangereuse des interventions géniques germinales préjudiciables, risque que nous ne sommes pas en mesure de maîtriser.

Le premier argument rappelle les débats à propos de la construction de centrales nucléaires. Nous pensons que cette base de raisonnement est erronée, même si l'on accepte l'hypothèse que des accidents sont possibles. En outre, accepter cet argument signifierait que toute la gamme des techniques génétiques, destinées à avoir des répercussions essentielles sur la vie économique mondiale, devrait être interdite. Les interdictions qui découlent de l'acceptation de cet argument du risque ne se limitent pas (si on peut les considérer comme une limite) au traitement de personnes malades.

Pour ce qui est du deuxième argument, les chercheurs ne peuvent exclure ou minimiser la possibilité que les cellules germinales d'un individu soient accidentellement altérées, en particulier à un moment où les techniques d'insertion de gène in vivo sont mises au point. Le risque d'une altération accidentelle d'une cellule germinale constitue-t-il une base pour une interdiction totale de toutes les thérapies sur cellules somatiques? Nous ne le pensons pas.

Il est possible, et même indispensable, de réduire les risques en se concentrant en permanence sur la sécurité. Mais, et cela est plus important, le génome humain n'est pas du tout stable. Il est constamment modifié par des mutations, y compris par de nombreuses mutations liées à des activités humaines. Bien entendu, la plupart des mutations subissent une sélection négative. Elles ne survivent pas. Il en serait de même avec ce type d'accident.

En revanche, l'argument de la pente dangereuse a, en soi, une portée illimitée. Il pourrait amener à interdire tous les avions parce qu'ils pourraient être utilisés pour lancer des bombes (Sass, 1988). Si les gens pensent qu'il est important de maintenir des frontières nettes pour limiter les interventions germinales, nous estimons que les normes professionnelles, juridiques et sociales assureront cette fonction d'une manière appropriée, en particulier étant donné les problèmes techniques que ce type d'intervention devra surmonter.

Ces arguments pouvant être opposés à la thérapie sur cellules somatiques ne respectent pas d'une manière appropriée les droits à la liberté de recherche scientifique, le devoir de protéger les faibles et le droit de bénéficier des progrès scientifiques.

Surveillance éthique de la thérapie sur cellules somatiques

3. Dans le domaine de la thérapie sur cellules somatiques, les problèmes essentiels sont liés à un contrôle adéquat, d'une part, de la sécurité des pratiques en matière de recherche dans les laboratoires, d'autre part, de la décision de lancer des essais sur les humains et enfin des méthodes permettant d'assurer que toutes les informations en soient diffusées.

Nous ne passerons pas en revue les débats qui se sont déroulés dans d'autres cadres (ex.: Commission Clothier 1992) et portant sur le type d'informations détaillées ainsi que la préparation qui seraient nécessaires avant l'approbation de vecteurs et de gènes pour des essais cliniques. Selon toutes les conceptions éthiques dont nous ayons connaissance, l'enjeu essentiel est d'optimiser les avantages et de minimiser les risques et, en dernier lieu, de déterminer si oui ou non les avantages que l'on peut attendre, d'une manière réaliste, sont suffisants pour que l'on puisse demander aux autres de courir les risques impliqués (Ivanov, 1993).

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A propos de ce processus, trois points valent d'être mentionnés, car ils découlent de notre conviction que la thérapie génique s’avérera être une technique créant de larges ouvertures. Premièrement, si nous avons raison, de nouvelles possibilités d'utilisation seront constamment imaginées. Le fait de souhaiter utiliser une technique ne signifie pas toujours que l'on soit en mesure de le faire en sécurité. La communauté internationale a fortement intérêt à faciliter le transfert d'une assistance appropriée pour maintenir des normes de sécurité.

Deuxièmement, des périodes d'enthousiasme soudain pour de nouvelles techniques médicales exercent une certaine pression sur la protection des droits de l'homme dans la recherche médicale. Les médecins ne devraient pas hâtivement adopter des techniques sans une préparation adéquate. L'établissement de protocoles de recherche nécessite un examen interdisciplinaire mené avec une diligence particulière ainsi qu'une évaluation prudente et impartiale des risques et bénéfices. Les personnes soumises aux expérimentations ont besoin à la fois d'explications complètes et loyales des procédures et d'une information honnête pour déterminer quelle est la part relative de l'intérêt de la recherche et des perspectives thérapeutiques. En particulier, des demandes de consentement qui informent un patient que “cela peut lui être bénéfique” - sans révéler d'une manière réaliste les incertitudes et l'absence de probabilité de voir résolus tous les problèmes techniques lors du premier essai - devraient être évitées.

Troisièmement, les débats sur le consentement à des expériences de thérapie sur cellules somatiques dans la littérature scientifique semblent influencés, et d'une manière excessive, étant donné l'utilisation actuelle de cette technique, par des modèles d'expérimentations sur des enfants souffrant de maladies génétiques. Dans ce contexte, bien entendu, il est nécessaire, plus que dans tout autre, que des preuves de probabilité de succès, théoriques et pratiques, soient données au préalable. On envisage un traitement pour toute une vie sur une personne qui ne peut pas encore défendre correctement ses intérêts. Mais il ne faut pas imposer à des adultes qui souffrent de maladies génétiques des normes excessivement draconiennes pour le lancement d'un protocole. Comme l'a fait remarquer l'influente Commission Clothier, des recherches de thérapie génique pourraient être menées sur des adultes malades en phase terminale qui accepteraient que de telles expériences soient menées sur eux, tout en reconnaissant qu’ils n'auront probablement pas à en atteindre des bénéfices thérapeutiques directs. Longtemps, (trop souvent peut-être), ce type de situation a caractérisé les recherches sur le cancer, mais cela peut expliquer la facilité relative avec laquelle l'approbation de protocoles sur le cancer peut être obtenue.

A la base, la démarche devrait être la suivante: plus la thérapie génique se rapproche des autres thérapies, plus les procédures d’évaluation des recherches devraient être assimilées aux procédures classiques, lorsque les techniques d'insertion génique sont standard. Ce processus est en cours aux Etats-Unis d'Amérique avec l'absorption du Human Gene Therapy Review Committee (Comité d'évaluation sur la thérapie génique humaine) par le RAC (Comité consultatif sur l'ADN recombinant). Sont également significatifs le fait que le RAC soit disposé à autoriser une "utilisation compassionnelle" des protocoles thérapeutiques géniques et la récente proposition et l'accord préliminaire selon lequel la FDA remplacerait le RAC pour l'évaluation de propositions de thérapies géniques ne présentant pas de nouveaux problèmes. Le premier protocole thérapeutique génique, à savoir l'expérience sur l'ADA d'Anderson en 1989, a été examiné 15 fois par 7 organismes réglementaires différents. Cinq ans plus tard seulement, plusieurs protocoles peuvent être approuvés après une évaluation standard de la FDA.

Une répartition équitable des ressources

4. Si notre thèse, à savoir que la thérapie génique est susceptible d'être une technique ouvrant de larges possibilités et pouvant être utilisée de manières multiples, est exacte, l'inquiétude, souvent exprimée, de voir le monde développé gaspiller ses ressources médicales pour sa mise au point, n'est pas justifiée.

Certes, les premières utilisations de toute technique complexe sont extraordinairement coûteuses. La mise au point d'une nouvelle automobile ou d'une nouvelle génération de micro-processeurs revient à des centaines de millions d'ECUs, de yens ou de dollars. La thérapie génique est tout aussi complexe. Toutefois, quelle que soit la technique, les coûts diminuent avec sa généralisation. En outre, des améliorations dans la stratégie et la conception peuvent diminuer fortement les coûts tout en améliorant le produit. Des

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ordinateurs, plus puissants que ceux qui existaient en 1960, se vendent maintenant, dans le monde développé, comme des biens de grande consommation et ne sont commercialisés que par correspondance. Il est peu probable que les thérapies géniques connaissent des réductions comparables, dues à des économies d'échelle, mais rien ne permet de supposer qu'elles augmenteront nécessairement les coûts sociaux totaux engagés pour lutter contre les maladies qu'elles combattent. En outre, si l'on considère comme une forme de thérapie génique les améliorations apportées aux vaccins, à la fois avec la mise au point de nouveaux et le renforcement de l'efficacité des anciens, le contraire devient vrai.

Plus important encore, l'étude des processus géniques et des activations et désactivations et des contrôles, nécessaire pour des démarches thérapeutiques, aura de vastes applications pour le contrôle de processus biologiques dans d'autres contextes, de l'agriculture à l'industrie. “La nature est paresseuse” est une expression qui laisse entendre à quel point les chercheurs découvrent fréquemment que les processus biologiques d'un système ne sont que des adaptations du fonctionnement de nombreux autres systèmes. La raison en est, bien sûr, qu'ils sont tous issus de l'expérience de l'ADN qui crée de l'ADN. Il existe une unité essentielle de la vie.

Toutefois, ces observations ne permettent pas de déterminer si, et dans quelle mesure, les applications géniques thérapeutiques les plus intéressantes pour le monde en développement peuvent être y pratiquées à un coût raisonnable, dans un délai raisonnable.

La thérapie sur cellules somatiques et le problème de la technique d'amélioration

5. Lors de récents débats sur la thérapie génique, il a été affirmé avec insistance que les procédures portant sur les cellules somatiques devaient être réservées aux "maladies graves". Le Groupe de travail est de cet avis étant donné la nature hautement expérimentale des procédures et du manque d'expérience dans la détermination des répercussions et de la gravité des effets secondaires qui accompagnent différents types de modifications cellulaires.

Une cellule exécute des processus chimiques complexes, par un grand nombre de mécanismes. Il est véritablement prématuré d'affirmer avec certitude que le fait de lui imposer de nouvelles responsabilités de "fabrication", avec les dépenses en énergie que cela suppose, n'affecte pas la manière dont elle accomplit d'autres tâches (et cette action sur une cellule aura des répercussions sur d'autres). Deuxièmement, quelle est la stabilité de la transfection? Les gènes insérés restent-ils toujours en place ou bien peuvent-ils se recombiner et se déplacer vers d'autres cellules et, si tel est le cas, à quelle fréquence ce phénomène a-t-il lieu et quels en sont les effets? Il faut des milliers de cas et des années d'expérience pour pouvoir éliminer en toute certitude toutes les possibilités malheureuses. A l'heure actuelle, aucun comité d'éthique responsable ne pourrait approuver un protocole destiné à lutter contre une maladie qu'il ne considère pas comme grave.

Qu'est-ce qu'une maladie grave? Malgré la diversité des cultures et des opinions dans le monde, nous pensons que la communauté internationale pourrait s'accorder, quasiment à l'unanimité, sur une longue liste de maladies graves, et cette liste comprendrait les cibles actuelles des protocoles de thérapie génique, par exemple la mucoviscidose, la déficience en ADA, l'anémie de Fanconi, le cancer et le SIDA. En outre, certains types de protocoles qui visent à améliorer les performances humaines, par exemple l'insertion de gènes qui protègent un individu d'une maladie grave, doivent être considérées comme des protocoles visant à lutter contre cette maladie grave et ne devraient pas être remis en cause comme des tentatives d'amélioration de traits de comportement.

Les divergences d'opinion sur le caractère de gravité de telle ou telle maladie concerneront les cas limites, lorsque la prévention et le mode de vie entrent également en jeu. Ainsi, un protocole conçu pour diminuer le niveau de cholestérol ordinaire, cible-t-il une maladie grave si cette maladie grave peut être évitée par un régime alimentaire moins lipidique? Il est intéressant de noter que le Rapport du Ministère norvégien de la Santé et des Affaires sociales pour le “Storting”, intitulé Biotechnology Related to Human Beings (La biotechnologie appliquée aux êtres humains) (1992-93 à 69), accepte cette restriction à la définition des maladies graves. D'autre part, il est indiqué dans le Rapport qu'en implantant des gènes protecteurs il est possible d'éviter des maladies et on y suggère de futures “limites flexibles”, par exemple, “l'implantation de cellules pigmentaires pour éviter les coups de soleil”.

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Que l'unanimité se fasse ou non sur la définition d'une maladie grave n'est pas à nos yeux un problème important dans le contexte international. Ce qui compte, c'est de déterminer si, dans une société donnée, la maladie est considérée comme grave, de manière à justifier les risques d'un traitement expérimental.

Le problème essentiel est que la limite que constitue cette notion de "maladie grave" est de toute évidence, à l'heure actuelle, utilisée par les commentateurs pour éviter le débat sur le caractère éthique de l'utilisation, dans l'avenir, de thérapies sur cellules somatiques avec des objectifs d'amélioration. Cette limite est-elle fondée sur des opinions morales portant sur le respect de la dignité humaine ou l'interdiction se justifie-t-elle tant les bénéfices escomptés sont dérisoires comparés aux risques encourus? A un moment ou à un autre, et probablement dans quelques années plutôt que dans quelques décennies, le problème des risques sera largement surmonté pour ce qui est de nombreux aspects techniques de la thérapie génique, en particulier dans les cas d'utilisation ne nécessitant pas un entretien à long terme des cellules ayant été modifiées. A ce moment là, les procédures de thérapie sur cellules somatiques, qui sont conçues pour améliorer les performances d'une manière ou d'une autre, devraient-elles être considérées comme des violations des principes des droits internationaux de l'homme ou d'autres valeurs morales et, dans l'affirmative, lesquel(le)s et pourquoi?

L'on ne peut manquer de remarquer que le modèle médical est très évolutif. Un grand nombre "d'états" deviennent des maladies, ou quasiment, si et quand les médecins deviennent en mesure de les modifier. Les caries dentaires font partie de la "destinée naturelle" de l'être humain, mais nous les considérons comme une maladie et intervenons pour les bloquer. Si l'on découvrait une protéine permettant de remédier à la perte de mémoire "naturelle" liée à l'âge (peut-être en renforçant les liens du SNC qui s'affaiblissent naturellement avec le temps, suggestion faite à titre d'exemple uniquement), nous définirions la perte de mémoire comme une maladie et nous utiliserions cette protéine, sans considérer pour autant notre activité comme visant l'amélioration de la performance.

Deuxièmement, si certains types d'améliorations étaient négatifs, ce caractère "négatif" ne dépendrait pas du fait que la thérapie génique aurait été utilisée pour obtenir ces résultats.

La thérapie sur cellules somatiques doit être analysée sur la base des principes généraux qui régissent l'utilisation et les limites de la médecine. Le temps viendra où des cellules pourront être modifiées pour permettre l'administration de médicaments endogènes, puis éliminées de l'organisme par l'administration de médicaments à petites molécules, conçus pour se lier au lieu-récepteur cellulaire qui active le gène inséré qui provoque la mort de la cellule. Les thérapies "d'amélioration" de cellules somatiques se fondant sur l'utilisation de cellules de ce type doivent être traitées d'une manière équivalente, suivant les règles existantes pour les médicaments généralement utilisés.

Dans la littérature spécialisée, le cas d' "amélioration" le plus fréquemment cité porte sur le caractère éthique ou non de l'insertion d'un gène pour produire de l'hormone de croissance chez un enfant petit, mais apparemment physiquement normal sous tous les autres aspects. (Nous précisons "apparemment" car la littérature bioéthique simplifie constamment les complexités du monde réel pour poser plus clairement les problèmes moraux. Il est très difficile d'obtenir des systèmes d'essais qui permettent d'indiquer clairement ce que des cellules vont faire. Par exemple, le gène "normal" de la croissance fonctionne peut-être mais certains autres gènes, dont nous ne savons rien, peuvent limiter les effets de la protéine.)

La bonne réponse est peut-être que, s'il est acceptable d'utiliser la protéine lorsque le gène la produit dans des bactéries, il est alors acceptable d'utiliser le gène quand il est introduit dans une cellule, en particulier parce que l'administration cellulaire du gène pourrait être plus sûre. Tout ce que la thérapie génique apporte au débat sur l'amélioration, d'un point de vue éthique, c'est la possibilité qu'elle puisse élargir la gamme des améliorations possibles, si par exemple certaines protéines nécessitent des contrôles de dose, une administration en séquence et une spécificité du lieu d'action, qui ne pourraient pas être obtenus par une autre forme d'administration.

Les améliorations sont problématiques mais omniprésentes dans la société humaine, elles vont des tatouages aux hommes et aux femmes qui se percent les oreilles pour mieux exposer leurs boucles d'oreilles. Les guitaristes se sectionnent parfois volontairement les ligaments pour que le pouce couvre plus de touches. Certains usent et abusent de la chirurgie

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"esthétique". Des contrôles sociaux sont imposés lorsque les "améliorations" pourraient constituer un risque grave pour la santé et lorsque l'on estime que, dans le cadre d'un "jeu" qui est défini comme tel, elles représentent un avantage inéquitable vis-à-vis des autres concurrents. L'utilisation par les athlètes de stéroïdes pour créer de la masse musculaire en est un exemple très fréquent. D'autre part, bien entendu, pour la plupart des sociétés, l'utilisation de ressources publiques à de telles fins est considérée comme discutable, à la lumière des principes d'une juste répartition.

Il existe un nombre considérable de publications sur ces thèmes, qui souvent ont tendance à considérer que les améliorations de cellules somatiques constituent un problème de nature différente. Tel n'est pas notre avis. Les utilisations particulières de modulateurs biochimiques doivent être examinées en tenant compte de ces modèles, si et quand ils sont proposés.

En bref, les Rapporteurs ne voient pas la nécessité que la communauté internationale s'exprime maintenant contre d'éventuelles mauvaises utilisations futures des améliorations, sans avoir obtenu au préalable une description de leurs caractéristiques. Le fait qu'elles puissent utiliser des protéines que l'organisme produit lui-même n'est pas en soi suffisant pour les interdire.

Toutefois, il convient peut-être de prendre position contre toute utilisation possible de telles procédures avec l'objectif de réduire les capacités humaines.

Application à l'intervention génique germinale

6. L'intervention génique germinale (terme que nous préférons à celui de thérapie génique germinale, car le terme "thérapie" suggérerait que la lignée germinale soit en quelque sorte malade, ce qui n'est pas le cas) a suscité l'attention de la communauté internationale. Imaginer un monde dans lequel certains individus - représentant de l'Etat, médecins, parents - disposent de l'autorité nécessaire pour sélectionner les caractéristiques génétiques de la génération suivante et choisissent des constituants chimiques pour produire des caractéristiques souhaitées comme s'il s'agissait de confectionner un gâteau, donne l'occasion à celui qui imagine un tel avenir de réfléchir sur la véritable nature des droits individuels et la dignité humaine.

D'une manière générale, il est bon de réfléchir sur les valeurs fondamentales. Pourtant ces avenirs sont souvent décrits sans tenir compte des valeurs morales qui sont inhérentes à la complexité et à la contingence du développement individuel. Les gènes de Mozart ne garantissent pas le génie de Mozart.

Toutes les déclarations les plus importantes sur l'intervention génique germinale condamnent son utilisation actuelle. De toute évidence, cette position est correcte. Le fait que des gènes puissent être insérés dans des lignées germinales animales et qu'ils soient induits à s'exprimer, ne constitue pas même le début d'une réponse aux problèmes de sécurité en cas d'utilisation sur des êtres humains. En outre, existe-t-il des modèles animaux qui puissent permettre de prévoir les répercussions sur le cerveau humain? Il serait nécessaire de résoudre d'énormes problèmes techniques pour que cette technologie soit applicable d'une manière réaliste, étant donné les risques, en particulier ceux liés au contrôle de l'expression du gène dans les processus de différentiation cellulaire de l'organisme. D'autre part, il faut avoir des bases pour prévoir avec une bonne probabilité les conséquences de la présence de matérial génétique nouveau ou modifié, sur le fonctionnement de tous les types de cellules. A notre connaissance, nul part dans le monde, il n'y a eu de tentatives d'appliquer une intervention génique germinale sur des êtres humains.

L'interdiction de la thérapie germinale est prévue par la législation de certains pays (par exemple la Suède) alors qu'elle est mise en oeuvre par voie réglementaire dans de nombreux autres, tels que le Royaume-Uni et les Etats-Unis d'Amérique. L'interdiction actuelle ne signifie pas que toute future utilisation est impossible. Toutefois, d'importants documents européens condamnent sans ambiguïté la thérapie germinale. La Recommandation 1100 du Conseil de l'Europe dispose que: “Toute forme de thérapie intervenant sur la lignée germinale d'un être humain sera interdite”. Pourtant, deux importants rapports, celui de la Commission Clothier en 1992 et la Déclaration de Inuyama de 1990, n'excluent pas catégoriquement les interventions germinales. Aux Etats-Unis

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d’Amérique, plusieurs commentateurs importants estiment que la discussion devrait d’ores et déjà aborder la question des interventions germinales (Anderson et Fletcher; Wivel et Walters, 1993). L'appel au débat qu'ils lancent aujourd'hui ne représente pas l'expression d'un désaccord sur l'idée que cette thérapie est inacceptable à l'heure actuelle. Il indique que le futur processus politique d'approbation sera long et que, si un nombre plus élevé de débats ont lieu maintenant, les probabilités de voir mises en place des politiques appropriées dans l'avenir, lorsque les problèmes techniques seront maîtrisés, augmenteront.

Peut-être est-il justifié de débattre de la question des valeurs fondamentales. Mais, selon les Rapporteurs, ceux qui suggèrent que l'utilisation de la thérapie germinale est souhaitable, n'ont pas montré qu'il existe une possibilité réaliste d'utilisation à court terme et certainement pas que les avantages tirés compenseront les efforts extraordinaires nécessaires.

L'intervention génique germinale semble plus intéressante si on la considère comme une technique pouvant permettre à un couple ou à un individu d'éviter à leurs descendants le fardeau d'une maladie génétique. Ainsi, une personne risquant de souffrir d'une maladie provoquée par un gène dominant pourrait rechercher une procédure afin de garantir que son futur enfant n'en sera pas atteint. S'il est considéré moral, comme cela le sera sûrement, de remédier à son état par une thérapie génique sur cellule somatique, pourquoi ne pas résoudre le problème d'une manière définitive par des techniques intervenant sur la lignée germinale? Avant d'envisager le dilemme moral lié à cette question, il faut se poser le problème de savoir s'il est éthique de prendre des risques, s'il existe une autre solution plus sûre. Si l'on disposait des connaissances suffisantes pour tenter une intervention germinale dans ce contexte, il semble certain que l'on saurait comment parvenir au même résultat sans employer cette technique germinale.

L'intervention sur des cellules adultes in vivo pour retirer un gène n'est même pas envisagée. En revanche, le tri de spermatozoïdes (ou d'ovules) en utilisant des sondes ADN, pour séparer ceux qui portent le gène de ceux qui ne le portent pas, rentre plutôt dans la catégorie des opérations qui ne sont pas faisables actuellement. Si cela était possible, toutefois, on pourrait résoudre le problème en utilisant les bons spermatozoïdes et en écartant, plutôt qu'en "réparant", ceux qui portent le gène. (De la même manière, des recherches - publiées après la rédaction du rapport provisoire pour discussion au sein du CIB - suggèrent la possibilité d'identifier les cellules souches de spermatozoïdes, peut-être de pouvoir les altérer ex vivo et, ensuite, de restituer celles qui se seront développées à partir des cellules réparées avec succès.)

Le point de départ d'une intervention germinale est probablement le zygote humain au stade de quatre cellules, fécondé in vitro. A l'heure actuelle, c'est certainement la seule manière de procéder. Les modèles animaux suggèrent que l'insertion génique qui opérera la différentiation dans chaque cellule est réalisable. Mais si un zygote donné peut être identifié comme porteur (ou non porteur) de ce gène et peut donc être utilisé pour le traitement, pourquoi essaierait-on la procédure extraordinaire consistant à le réparer plutôt que de sélectionner pour l'implantation un zygote non porteur de ce gène? Ces procédures de "dépistage"sont utilisées, à titre expérimental, dans quelques hôpitaux dans le monde. Par exemple, dans un hôpital en Israël, des procédures de dépistage de zygotes, utilisant la technique dite PCR pour tester l'ADN dans une des quatre cellules, ont été utilisées pour déceler la mucoviscidose.

Un grand nombre de personnes s'opposent à toute sélection ou élimination de zygotes et, pour celles-ci, cette opposition est en soi une base suffisante pour s'élever contre le développement d'interventions géniques germinales. L'opposition à la sélection de zygotes est associée à l'opposition aux expériences non thérapeutiques sur des zygotes qui ne seront jamais implantés. Par exemple, la législation allemande interdit les expériences non thérapeutiques sur le zygote humain. Bien que tout le monde reconnaisse le respect particulier dû à l'ovule fécondé au cours de son développement, la communauté internationale est profondément divisée sur la question de savoir quelles actions sont rendues nécessaires ou sont interdites du fait de ce respect. Ce Rapport n'engage pas le débat sur le thème. De toute évidence cela est d'une importance cruciale pour les interventions germinales.

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Aucune intervention germinale ne peut être mise au point, d'une manière sûre, à notre sens, s'il n'y a pas la possibilité de déterminer par test si les gènes insérés quelque part (spermatozoïde, ovule, zygote) sont en fait répliqués d'une manière appropriée lors des premières étapes de la différenciation cellulaire.

Il est probable que les besoins les plus importants en matière d'intervention germinale se manifestent dans le domaine du traitement définitif de zygotes atteints, pour satisfaire les personnes qui désapprouvent l'avortement ou l'implantation sélective. Si, à la suite de leurs protestations, une intervention germinale sûre était mise au point, ces personnes pourraient souhaiter que cette procédure soit suivie de préférence à l'avortement ou l'implantation sélective, qu'elles tiennent pour contraire à la morale. Toutefois, nous sommes d'avis que le développement d'une technique pour satisfaire essentiellement ceux qui désapprouvent son développement, pour des raisons profondément enracinées dans la morale, ne constitue guère une politique attrayante pour les pouvoirs publics.

D'autres besoins peuvent exister. Il peut y avoir par exemple des couples dont chaque partenaire est homozygote pour un gène récessif donné, celui de la mucoviscidose par exemple. Un couple de ce type ne peut pas avoir d'enfants "normaux" car aucune copie du gène n'est présente dans l'ADN des deux partenaires. Il est possible qu'il existe des couples de ce type, mais la perspective de lancer une entreprise technique aussi vaste pour répondre à leurs besoins semble trop improbable pour justifier une libéralisation de l'interdiction du développement des interventions germinales.

Il existe peut-être d'autres situations où il n'y a pas d'alternative, mais, répétons-le, à notre connaissance, elles sont très rares. Si nous avons bien saisi quels sont les usages limités probables de cette technique, il ne semble pas nécessaire d'entamer, aujourd'hui, pour l'avenir, une révision des politiques.

Cela dit, les incertitudes, à la fois pour ce qui est des connaissances scientifiques et du rythme des progrès techniques, doivent nous inciter à être prudent et à ne pas dire "jamais" sauf si une valeur morale importante doit être défendue. Ainsi, si l'on découvrait qu'un nouveau virus pénétrait précocement dans les cellules du cerveau et provoquait la démence après une période de latence, est-il inconcevable qu'une intervention germinale soit la meilleure (et la seule) manière de protéger les humains contre son action? L'apparition de nouveaux virus est toujours possible. D'ailleurs qui connaissait l'existence même des rétrovirus il y a quarante ans?

Par conséquent, bien que nous ne soyons pas convaincus que le processus de prise de décision politique doivent aller de l'avant à l'heure actuelle, il convient, nous semble-t-il, de déterminer s'il y a des raisons valables pour interdire catégoriquement toute intervention germinale. Les concepts de dignité humaine et de respect pour la vie humaine nécessitent-ils une condamnation catégorique de l'intervention germinale?

La protection de la dignité et de la valeur de la personne humaine pose des limites importantes à l'altération du réservoir de potentialités inhérent au patrimoine génétique. Mais des interdictions catégoriques sont-elles souhaitables? Elles pourraient être fondées sur:

- la nécessité de mener des expériences sur des zygotes. Nous n'apporterons pas de commentaires à ce propos;

- des risques inacceptables pour l'enfant à naître. Cette position a beaucoup de mérites.

Toute expérience nécessitera forcément des recoupements avec les modèles animaux: mais quel modèle animal peut-il indiquer d'une manière appropriée les effets de chaque cellule de l'organisme et quels effets ces modifications peuvent-elles avoir sur des facultés spécifiquement humaines telles que la cognition? On pourrait dire, catégoriquement, que les risques seront toujours trop importants pour justifier une intervention et en particulier pour des situations dont on a longtemps pensé qu'elles faisaient partie de la condition humaine, par exemple la perte de la mémoire avec l'âge. Après tout, il n'y a pas de patient aujourd'hui malade et ayant besoin d'un traitement, dont les avantages doivent être évalués par rapport aux risques.

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La question de savoir si des personnes de l'avenir ont le “droit” de ne pas faire l'objet d'expériences, avant qu'elles soient des personnes ayant des intérêts propres, est extrêmement intéressante d'un point de vue philosophique. Tout comme l'est celle de savoir si l'intérêt, supposé qu'elles ont à vivre une existence sans maladie, peut être évalué par rapport aux risques. Que le terme de "droits" soit ou non approprié, toutefois, le sens commun considère que des personnes sont "lésées" lorsqu'elles ont été atteintes par des activités qui ont eu lieu avant leur conception, qu'elles aient ou non le droit d'intenter un procès. Nous pensons, par exemple, à des expositions avant la conception à des substances toxiques. Si l'on peut penser aux intérêts de futures personnes en ces termes, alors la légitimité présumée du consentement des parents, qui parlent en leur nom, est cohérente avec le reste de nos dispositions institutionnelles.

Le problème alors est de savoir s'il n'existe pas des incapacités d'une telle gravité que l'on puisse reconnaître aux parents le droit de parler au nom de leurs descendants et légitimer ainsi une prise de risque en leur nom. En outre, nous estimons qu'invoquer le droit d'un enfant à un état génétique non modifié, de manière à lui infliger des conditions incompatibles avec une vie prolongée, est une position trop paradoxale pour être acceptée.

La troisième objection à l'intervention germinale est que les erreurs ne peuvent être corrigées. Si par exemple, en modifiant les gènes d'un organisme, des chercheurs créent un nouveau problème génétique pour le monde, le gène qu'ils auront créé risque de se répandre dans la population. En fait, ils auront ajouté un nouveau gène à ce zygote dans le cadre de recherches auxquelles moi, qui suis une tierce partie, je n'ai pas consenti au nom de mes futurs enfants, qui risquent d'être touchés par un accident. Des raisonnements logiques théoriques de ce type ne tiennent pas compte des flux du patrimoine génétique humain et le considèrent comme un ouvrage d'art plutôt que comme un processus en cours. Nous ne pensons pas qu'une personne exposée à un rayonnement court des risques pour lesquels il a besoin de notre consentement, sous le prétexte qu'il pourrait imposer une charge à nos descendants communs. Ce qui rend l'intervention germinale problématique c'est le caractère intentionnel de l'entreprise.

Un dernier argument contre l'intervention germinale est que l'homme n'a pas le droit d'intervenir sur le processus fondamental de la vie et que cette interdiction ne peut être remise en cause par la notion extrêmement ambiguë de gènes "malades". Pour que cet argument soit crédible, il faudrait préciser pourquoi une intervention intentionnelle sur la lignée germinale pose des problèmes moraux foncièrement différents des répercussions non programmées mais néanmoins significatives des activités humaines sur celle-ci. Il faut d'autre part maintenir cette distinction face à un enfant souffrant de maux qui auraient pu, en toute hypothèse, être évités en toute sécurité.

Les Rapporteurs ne s'opposeraient pas catégoriquement à toute intervention imaginable sur le lignée germinale.

Amélioration de la lignée germinale

7. La perspective d'utiliser l'intervention germinale pour améliorer les traits génétiques fondamentaux de l'humanité est partout condamnée. Nous sommes également d'avis que cela n'est pas acceptable, pour les raisons communément invoquées.

Tout d'abord, nous ne pouvons pas concevoir comment l'évaluation des risques par rapport aux avantages pourrait être favorable à ce type d'intervention. Les utilisations plausibles de l'intervention germinale, même associées à une expérience étendue en matière de thérapie sur cellules somatiques, ne pourront pas permettre de déterminer que ce type d'intervention peut être effectué en toute sécurité. Il ne peut y avoir de "gènes suicide" ici. Par conséquent, bien que nous puissions imaginer certaines améliorations de cellules somatiques qui pourraient ne pas être négatives, il serait inadmissible de les imposer aux enfants de nos enfants, comme cela le serait d'administrer par la force un médicament à un adulte.

Deuxièmement, l'individualité et la communauté humaines sont associés à la revendication du fait que vous êtes ce que vous êtes, le produit du hasard, comme nous tous. Il est erroné d'infliger à des individus un destin programmé et d'en faire les victimes d'attentes génétiques.

Enfin, un groupe d'êtres humains ne peut prétendre prévoir quels traits génétiques seraient nécessaires pour le monde dans un avenir lointain.

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* *

*

En conclusion, nos recommandations s'inscrivent dans une logique bien connue, bien qu'elle soit sujette à controverse pour certains.

1. La thérapie génique sur cellule somatique est acceptable et doit être réglementée comme une thérapie expérimentale.

2. Son utilisation à des fins d'amélioration peut être largement interdite, mais on ne devrait pas la condamner catégoriquement parce que non éthique, quelles que soient les circonstances.

3. A l'heure actuelle, les interventions géniques germinales ne sont pas défendables, mais elles ne devraient pas être catégoriquement rejetées.

4. L'utilisation d'interventions géniques germinales à des fins d'amélioration devrait être catégoriquement interdite.

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ANNEXE A

REFERENCES

· American Association for the Advancement of Science, “The Promotion of Human Rights in the Life and Health Sciences: Recommendations to the United Nations” (1994), organizé par Audrey Chapman.

· W. French Anderson, “Gene Therapy for Cancer” Human Gene Therapy 5:1-2 (1994).

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· W. French Anderson, “Was It Just Stupid or Are We Poor Educators” Human Gene Therapy 5:791-92 (1994).

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· “Report of the Committee on the Ethics of Gene Therapy (Commission Clothier)”, présenté au Parlement par ordre de Sa Majesté, janvier 1992.

· Hans-Martin Sass, “A Critique of the Enquete Commission's Report on Gene Technology” Bioethics 2:264-275 (1988).

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· United States President's Commission for the Study of Ethical Problems in Medicine and Biomedical Behavioral Research, “Splicing Life” (1982).

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ANNEXE B

UNESCO

COMITE INTERNATIONAL DE BIOETHIQUE

Membres du Groupe de travail sur la thérapie génique humaine

M. Ricardo CRUZ-COKE (Chili) M. Santiago GRISOLIA (Espagne) M. Boris KALOSHIN (Fédération de Russie) M. George KLEIN (Suède) M. Peter LACHMANN (Royaume-Uni) M. Rubén LISKER (Mexique) M. Mambillikalathil G.K. MENON (Inde) M. Benjamin O. OSUNTOKUN (Nigéria) M. Michel REVEL (Israël) Rapporteurs: M. Harold EDGAR (Etats-Unis d'Amérique) M. Thomas TURSZ (France)