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Réalisations identiques de phonèmes différents

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Page 1: Réalisations identiques de phonèmes différents

Réalisations identiques de phonèmes différentsAuthor(s): André MartinetSource: La Linguistique, Vol. 5, Fasc. 2 (1969), pp. 127-129Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248130 .

Accessed: 15/06/2014 05:45

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R6alisations identiques de phonemes diff6rents

par ANDR MARTINET

On ne rappellera jamais assez que le fondement de la linguistique fonc- tionnelle et structurale se trouve dans le principe de pertinence. Ce prin- cipe, selon lequel une d6marche n'est scientifique que si elle ne s'attache

qu'a certains traits bien definis de l'objet 6tudid, vaut dans tous les domaines. Mais, en ce qui concerne les sciences de I'homme, il 6tait indispensable de

l'expliciter, et si l'on reconnait volontiers que la linguistique occupe, parmi ces sciences, une place de choix, c'est qu'elle est la premiere, et peut- tre encore la seule, h avoir nettement d6fini la nature de sa pertinence et marqu6 comment cette pertinence permet de trier et de hi6rarchiser les faits observables.

Une autre fagon de presenter les choses est de dire que les unites linguis- tiques sont des valeurs. L'origine saussurienne du terme lui confere un cer- tain prestige. Mais son application aux unit6s distinctives, les phonemes, nulle part explicitbe dans le Cours, peut ne pas s'imposer assez nettement. D'autre part, si l'on a recours, pour illustrer le terme valeur, a la compa- raison avec un billet de banque qui n'est, matbriellement, qu'un chiffon de papier, mais qui, du fait d'une convention, peut s'6changer contre des biens hautement d6sirables, on se hatera de conclure que puisque la nature des differences physiques entre les billets de 5, 50 et 500 francs ne presente aucun int6rat, il est vain de s'int6resser aux diff6rences physiques entre les

phonemes au-deli de la constatation qu'elles existent. L'histoire de la gloss6matique montre qu'on ne peut, a la longue, tenir la substance dans un tel m6pris. C'est pourquoi on est tent6 de r6sumer le principe de pertinence, non point en d6niant a toute r6alit6 physique le droit de figurer dans les trait6s de linguistique, mais en disant qu'il n'y a pas necessairement coin- cidence entre r6alit" physique et r6alit6 linguistique. Contrairement A ce que croient certains d6butants, ceci vaut non seulement sur le plan phono- logique oui, en posant, en franqais, un phoneme /r/, on fera abstraction de la diff6rence entre grasseyement et roulement apical, mais 6galement en morphologie et en syntaxe : en morphologie franqaise, /va/, /i/ et /al/ repr6- sentent, en d6pit de leurs differences formelles (linguistiques, d'ailleurs, sur un autre plan) une seule et meme unit6 ; en syntaxe, les realit6s physiques distinctes representbes par I'anteposition ou la postposition de A a B, peuvent correspondre ou non i des r6alit6s linguistiques. Les exemples emprunt6s a la phonologie restent, toutefois, les plus frappants.

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128 ANDRE MARTINET

Il y a deux faqons d'illustrer le fait que les unit6s phonologiques sont partiellement independantes de la r6alit6 phonique. On peut, d'une part, montrer que les sons qui, dans une langue, constituent des phonemes dis- tincts, sont, dans une autre langue, les r6alisations d'un seul et meme pho- neme. Selon l'auditoire, les exemples choisis peuvent etre plus ou moins convaincants; mais, il est rare qu'on reste court dans ce cas. On peut, d'autre part, chercher ' illustrer le cas oji, dans une meme langue, deux phonemes distincts se realisent, dans des contextes diff6rents, bien entendu, de facon analogue, voire identique. L'experience montre que ce type d'illus- tration est sensiblement plus impressionnant que le pr6c6dent, a condition, bien entendu, que les exemples choisis appartiennent

' une langue bien connue de l'auditoire. Or, les bons exemples ne sont pas faciles

' d6nicher. Ou, peut-etre, n'a-t-on pas poursuivi la recherche avec assez d'ardeur On en trouvera quelques-uns dans The Phoneme de Daniel Jones. Mais ils ne sont pas toujours trbs convaincants, parce que les phonemes donn6s comme chevauchant entrent souvent dans des oppositions neutralisables

L'exemple qui, en lui-meme et ind6pendamment des connaissances linguistiques de l'auditoire, est jusqu'ici le meilleur, est le cas des pho- nemes /e/ et /a/ du danois. L'un et l'autre connaissent des realisations qu'on peut noter [a], le premier lorsqu'il est en contact avec /r/ (prononc6 comme un [u] tres profond), dans le mot ret ( raison ) par exemple, le second dans les conditions les plus g6n6rales, dans le mot natc( nuit)) par exemple. Le [a] de ret represente, dans le contexte /r...t/, le troisieme degr6 distinctif d'aper; ture ; le quatribme, [oc], se trouve dans ratc( volantD. Le [a] de nat repr6sente- dans son contexte, le quatribme degr6 distinctif d'aperture, c'est-&-dire. tout comme le [o] de rat dans son contexte, I'aperture maxima. On d6signe comme le phoneme /e/ les voyelles danoises du troisieme degr6 distinctif d'aperture, qu'elles se r6alisent [e] ou [a], et comme le phoneme /a/ les" voyelles danoises qui, s'etalant de [a] a [oc], correspondent, chacune dans leur contexte, a l'aperture maxima qui repr6sente le quatribme degr6. En fait, les variations d'aperture en contact avec /r/ existent pour toutes les voyelles anterieures de la langue et sont determinoes par la retraction de la langue qui accompagne l'articulation normale de /r/ danois. Elles sont simplement particulibrement sensibles dans le cas de /e/ et de /a/.

Pour un auditoire non danophone, l'identit6 materielle des voyelles de ret et de nat est frappante, mais certains sujets comprendront mal les raisons qui obligent a attribuer ces deux sons identiques

' deux unit6s linguistiques diff6rentes. II convient done de compl6ter l'expos6 par un exemple emprunt6 i la langue la plus familiere ' l'auditoire, oi les sujets n'auront pas de peine

a se convaincre qu'on a affaire, dans les deux formes rapproch6es, a deux unites diff6rentes, meme si certains, influences par le systeme phonologique, c'est-a-dire les choix distinctifs qu'ils sont habitues a faire, arrivent mal a se convaincre que les deux sons pr6sent6s dans des contextes diff6rents sont mat6riellement identiques.

Un exemple franqais utilisable en l'occurrence est celui de [m] (m sourd) qui, selon les contextes, represente le phoneme /m/ ou le phoneme /p/.

Soit la finale -isme, dans le mot prisme, par exemple. Elle connait des prononciations [-izm] souvent qualifibes de (a meridionales ). Mais la pro- nonciation normale a Paris est [-ism] avec un /s/ et un m sourd. Cet m sourd

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DISCUSSIONS 129

est, de toute 6vidence, le phoneme /m/ puisque -isme s'oppose a -ispe dans la

paire chrisme-crispe, et que la reine Sophonisbe s'offre aimablement pour nous

indiquer qu'a la finale apres /s/, I'oralit6 s'oppose a la nasalitY, m-me lors-

qu'elle se combine avec la voix. Entre un [s] pleinement sourd et le silence,

c'est-h-dire dans un contexte absolument sans voix, le phoneme /m/ perd la sonorit6 non distinctive qui accompagne son articulation dans la plupart des situations. Sa nasalit6 et sa bilabialit6 repr6sentent ici deux 616ments que ne laissait pas attendre l'environnement et qui sont, de ce fait, infor- matifs et pertinents.

Soit maintenant le mot campement. C'est normalement, a Paris, un

dissyllabe. Une prononciation soign6e [kipmi] peut s'entendre. Mais, en

prononciation rapide, on fait l'Pconomie du relevement du voile du palais n6cessaire a la realisation de [p] entre les deux nasales [a] et [m]. On obtient done une occlusive bilabiale sourde nasalisee, c'est-a-dire tras exactement un [m], pr6cis6ment ce que nous avons trouv6 ' la finale de prisme, done

[kalmm]. Ce [m] ne saurait ftre interpret6 comme une realisatiou du pho- neme /m/, parce que sa sourdit6 est inattendue dans le contexte voise

[-4...m-], done resultant d'un choix, interpret6e comme telle par l'auditeur, par consequent informative et pertinente. Au contraire, le caractZre nasal de ce [m], 6tant d6termin6 par le contexte, n'est pas retenu par l'auditeur. La labialit6 de ce son est, elle, pertinente, puisque dans un contexte iden-

tique, celui d'ereintement ([eritmi] > [erenma]), l'apicale est conserv~e comme [n] et ne s'assimile pas au [m] suivant. Les traits distinctifs perti- nents, en l'occurrence, sont done la sourdit6 et la labialit6, a l'exclusion de la nasalit6, ce qui nous donne le phoneme /p/.

Une des consequences de ce qui precede est que, lorsqu'on d6finit le

phoneme franqais /p/ comme non nasal, on ne saurait faire allusion a la non-nasalit6 physique resultant automatiquement du relivement du voile du palais, mais a la non-nasalit6 distinctive, celle qui n'est pas impliqu"e par le contexte et que l'auditeur qui pratique la langue identifie hic et nunc comme un choix du locuteur.

LA LINGUISTIQUE, II 9

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