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 Au cœur de la race Michel AGIER  En puisant dans l’histoire ainsi que dans l’inconscient littéraire, Mbembe identifie trois contextes de fabrication de l’identité nègre : l’esclavage, la colonisation et l’apartheid. Il déconstruit ainsi le discours qui a entraîné, tout autant que masqué, les douleurs de la violence raciale. Recensé : Achille Mbembe, Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte, 2013, 224 p. 21  !. En 2010, Achille Mbembe, Professeur d’histoire et d’études politiques à l'Université du Witwatersrand de Johannesburg et à Duke University (Département des études romanes), avait lancé un appel à la « déclosion du monde », à « sortir de la nuit de l’identité » et à reconnaître « à tous le droit universel d’hériter du monde dans son ensemble » afin de rendre  possible une « polis universelle » 1 . L’horizon d’une « pensée-monde » aurait en outre pour moyens : la relation, le décentrement et l’Ouvert 2 . Encore restait-il à « l iquider l’impensé de la race » 3  et, pour ce faire pleinement, sans reste, à considérer que l’épuisement du concept (la race) et de la substance qu’il a créée (la fiction du nègre) est l’affaire de tous et non des seuls Africains ni des seules personnes à la peau noire dans le monde. À considérer aussi que c’est une question du temps présent et pas seulement un résidu du passé. De ce point de vue,  Critique de la Raison nègre 4  , trois ans après Sortir de la grande nuit , tient parfaitement la promesse de dire et défaire les mots, les contextes et les « délires » qui ont permis, tout autant que voilé, les douleurs de la violence raciale. Le projet avait été annoncé déjà dès 2000 dans l’ouvrage  De la postcolonie 5  qui s’en prenait à la « visée destructrice dont la race est porteuse », dont la mise en esclavage et l’assujettissement colonial furent les matrices. Mais si  De la postcolonie s’intéressait à la transition post- coloniale, les deux projets suivants et surtout Critique de la Raison nègre cherchent à monter en universalité, en élargissant les contextes pris en compte (notamment par une attention nouvelle au cadre de l’apartheid) et en creusant plus loin dans l’histoire et dans l’inconscient littéraire les fondements de la fabrique nocturne de l’identité nègre. Dans le même temps, ce dernier ouvrage cherche aussi dans cette « nuit » même du « sujet de race » ce qui peut ou a  pu non seulement le maintenir en vie mais aussi le faire aujourd’hui se retourner, se « déclore » (c’est-à-dire sortir de l’enfermement que la fiction de la race impose à toute tentative de subjectivation) et ainsi s’inclure dans le projet d’un monde commun dont on peut dire que la difficulté même de tous les racialisés à s’y inscrire est la preuve de son état inachevé sinon tout juste embryonnaire. 1  Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, La Découverte, 2010, p. 85. 2   Ibid., p. 86. 3   Ibid , p. 107. 4  Achille Mbembe, Critique de la raison nègre , La Découverte, 2013. 5  Achille Mbembe,  De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, col. Les Afriques, 2000.  

Recension - Achille Mbembe, Critique de La Raison Nègre, Paris, La Découverte, 2013

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  • Au cur de la race

    Michel AGIER

    En puisant dans lhistoire ainsi que dans linconscient littraire, Mbembe identifie trois contextes de fabrication de lidentit ngre : lesclavage, la colonisation et lapartheid. Il dconstruit ainsi le discours qui a entran, tout autant que masqu, les douleurs de la violence raciale.

    Recens : Achille Mbembe, Critique de la raison ngre, Paris, La Dcouverte, 2013, 224 p. 21.

    En 2010, Achille Mbembe, Professeur dhistoire et dtudes politiques l'Universit du Witwatersrand de Johannesburg et Duke University (Dpartement des tudes romanes), avait lanc un appel la dclosion du monde , sortir de la nuit de lidentit et reconnatre tous le droit universel dhriter du monde dans son ensemble afin de rendre possible une polis universelle 1. Lhorizon dune pense-monde aurait en outre pour moyens : la relation, le dcentrement et lOuvert2. Encore restait-il liquider limpens de la race 3 et, pour ce faire pleinement, sans reste, considrer que lpuisement du concept (la race) et de la substance quil a cre (la fiction du ngre) est laffaire de tous et non des seuls Africains ni des seules personnes la peau noire dans le monde. considrer aussi que cest une question du temps prsent et pas seulement un rsidu du pass.

    De ce point de vue, Critique de la Raison ngre4, trois ans aprs Sortir de la grande nuit, tient parfaitement la promesse de dire et dfaire les mots, les contextes et les dlires qui ont permis, tout autant que voil, les douleurs de la violence raciale. Le projet avait t annonc dj ds 2000 dans louvrage De la postcolonie5 qui sen prenait la vise destructrice dont la race est porteuse , dont la mise en esclavage et lassujettissement colonial furent les matrices. Mais si De la postcolonie sintressait la transition post-coloniale, les deux projets suivants et surtout Critique de la Raison ngre cherchent monter en universalit, en largissant les contextes pris en compte (notamment par une attention nouvelle au cadre de lapartheid) et en creusant plus loin dans lhistoire et dans linconscient littraire les fondements de la fabrique nocturne de lidentit ngre. Dans le mme temps, ce dernier ouvrage cherche aussi dans cette nuit mme du sujet de race ce qui peut ou a pu non seulement le maintenir en vie mais aussi le faire aujourdhui se retourner, se dclore (cest--dire sortir de lenfermement que la fiction de la race impose toute tentative de subjectivation) et ainsi sinclure dans le projet dun monde commun dont on peut dire que la difficult mme de tous les racialiss sy inscrire est la preuve de son tat inachev sinon tout juste embryonnaire.

    1 Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit. Essai sur lAfrique dcolonise, La Dcouverte, 2010, p. 85. 2 Ibid., p. 86. 3 Ibid, p. 107. 4 Achille Mbembe, Critique de la raison ngre, La Dcouverte, 2013. 5 Achille Mbembe, De la postcolonie. Essai sur limagination politique dans lAfrique contemporaine, Paris, Karthala, col. Les Afriques, 2000.

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    Gnalogie de la race Larrire-plan de lexpos de Mbembe sur la longue et profonde fabrication du sujet

    ngre comme assujettissement mais aussi comme reprise et retournement, est constitu par les trois contextes de cette fiction de la race entre lesquels le propos se dplace sans cesse : lesclavage (dont les cadres sociaux sont ceux de la traite, de lAmrique et de lAtlantique noir), la colonisation (essentiellement franaise en Afrique), et lapartheid (lAfrique du Sud). Il sagit pour lauteur de dcrire, sans euphmisation et de manire prcise, parfois crue, la la blessure vive ouverte ds linvention du sujet racial ngre et creuse par cette norme gangue de sottises, de mensonges et de fantasmes (p. 67) qui ont fabriqu lenveloppe touffante de ltre ngre, lui collant la peau comme une seconde nature, lui niant demble toute existence propre. Car le regard racial commence avec le regard sur le Ngre , non pas une personne humaine comme les autres, mais une humanit part, dun genre particulier, toute rduite un corps, matire et chair, force physique mobilisable et dportable pour le travail et la matrialit Cest lesclave ngre, le tout premier sujet de race (p. 257) qui est alors cr. Premire matrice de la race ngre, la possibilit morale et politique de sa dportation, de sa mise au travail et de sa mort, repose sur lexclusion du ngre esclave de lhumanit commune. On sait que, du Moyen ge aux Lumires, lautre non europen a t abondamment dcrit comme un monstre : fables, imageries mi-humaines mi-animales peuplrent danormaux les rcits de voyage6. La notion de race, note de son ct Mbembe, permet de se reprsenter les humanits non europennes comme frappes par un moindre tre (p. 35). Mais cela nest pas quune histoire ancienne. Elle se prolonge aujourdhui, rappelle lauteur dans la mme squence, dans la ractivation de la logique raciale travers sa diffusion gnralise dans les instruments biopolitiques de contrle des populations et des territoires, les manipulations gntiques, lidologie scuritaire, toutes galement obsdes par la qute de puret identitaire.

    De l luniversalisation tendancielle de la condition ngre dans le monde du nolibralisme sauvage o nous sommes entrs : Les risques systmiques auxquels seuls les esclaves ngres furent exposs au moment du premier capitalisme constituent dsormais sinon la norme, du moins le lot de toutes les humanits subalternes , thse dont la formulation ramasse le devenir ngre du monde a t largement reprise et mrite quelques prcisions. Car il sagit avant tout dune continuit de lusage de la fiction raciale dans lhistoire du capitalisme. Cette continuit va de la prdation avec dshumanisation du ngre-esclave dans le capitalisme de la traite, la soumission et/ou rejet du subalterne avec sa gestion biopolitique dans le capitalisme globalis de la finance. La pense de lauteur nest ni racialiste ni culturaliste. Pour lui, la solution de la race ne se trouve pas dans leuphmisation ethnique, dans la reconversion culturelle ou dans tout autre forme du pige identitaire, qui font immanquablement poser la question quest-ce quil y a de noir dans la culture noire ? ou : quest-ce quil y a de noir dans la diaspora noire ? 7, etc. Do le chemin que simpose Mbembe et qui consiste aller chercher, au cur de la forme premire de lassujettissement racial, la relation qui a pu former les lments et les conditions

    6 Voir Myriam Cottias, La question noire. Histoire dune construction coloniale (Bayard, 2007) o lauteure montre lomniprsence des prjugs racialistes partir desquels furent crits et illustrs les premiers comptes rendus de voyages exotiques. 7 On pense aux dbats nombreux sur la culture de lAtlantique noir et notamment aux analyses de Paul Gilroy (Paul Gilroy, The Black Atlantic. Modernity and Double Consciousness. London, Verso, 1993, trad. franaise LAtlantique noir. Modernit et double conscience, ditions Amsterdam, 2009) ou de Stuart Hall (Identits et cultures. Politiques des cultural studies, ditions Amsterdam, 2008), et voir Christine Chivallon, La diaspora noire des Amriques. Expriences et thories partir de la Carabe, ditions du CNRS, 2004.

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    dmergence dun sujet venir dans un monde dbarrass du fardeau de la race . Dans lhistoire des relations entre le Matre et lesclave, le Blanc et son Noir (et inversement), dans la forme de la plantation, de lenclos, de lenfermement, de la mise lcart et de la sgrgation, Mbembe cherche une mise en tension permanente entre assignation identitaire et sujet. Pour voir arriver, non plus le sujet de race , mais le sujet en tant que geste issu des accommodements multiples sa deuxime peau, ou bien extrait, tel le corps des esclaves de Michel-Ange qui se dfont de la roche o ils sont sculpts, et sorti de la gangue de la race. Toute parole et tout geste dmancipation se dfinissent la fois contre et en rapport avec cette construction identitaire au long de plusieurs sicles. Cest l que le dialogue savre possible et fructueux, il me semble, entre une philosophie critique du sujet de race et une anthropologie de la subjectivation, lune et lautre ayant lhorizon la question de lmancipation. Cest ce que je voudrais prciser maintenant.

    Le sujet contre lidentit

    Cest donc au cur de lassujettissement la race que le Ngre puise la matire de son retournement . Achille Mbembe inclut dans sa rflexion tous les textes (dfinis par lui comme des ensembles cohrents de discours et de pratiques) qui ont construit cette figure, ont codifi les conditions de son apparition, de sa manifestation puis de sa transformation La raison ngre est le fruit de cet assemblage de textes : le premier est celui de la conscience occidentale du Ngre (p. 51) qui forme la base de ldifice et o la race ngre dsigne une ralit anormale. Puis le texte second, celui de la conscience ngre du Ngre qui saffirme en rupture avec le premier et reste hant par lui. Il proclame une identit qui relverait dune exprience originaire et dune vrit de soi garde en soi. Sa radicalit politique, son afrocentrisme, sa tentative de (re)fonder une communaut de la perte (laquelle est fonde sur la perte de lien gnalogique et de parents due la rupture violente de la dportation), confirment lextriorit originelle fonde par le texte premier, occidental, et, selon lexpression de Fanon, forment un texte qui habite la sparation (p. 59). Cest une manire de rpondre lappauvrissement ontologique premier (p. 120) et cest le lieu o naissent les discours sur lidentit ngre ou sur la culture noire et autres crations ontologiques rejouant la fiction identitaire fonde sur la fiction de la race. La critique de Mbembe est adresse la Ngritude autant quau panafricanisme, lidentit victimaire autant quaux constructions diasporiques du territoire identitaire et la thmatique du retour. On pourrait aussi bien ltendre toutes les fictions ethnologiques qui se donnent depuis quelque temps le nom dontologie et rejouent ainsi le thme de la sparation identitaire caractre culturel ou civilisationnel. Pour Mbembe, ces tentatives de rfutation du premier texte ngre peuvent bien donner un sens lexistence de chacun, mais la vigilance critique est indispensable car elles restent toutes dpendantes de la bibliothque coloniale , tel point que le miroir et la vrit affirme se confondent invitablement, comme la tradition et le simulacre. Le sens de soi viendra plus de ce qui est venir et de la rencontre avec le Tout-Monde (p. 143) que du ressassement sur soi, affirme lauteur.

    Cette lecture la fois empathique et critique peut tre reprise, approfondie et tendue

    pour une anthropologie de tous les d-ports, d-racins, d-placs devenus, plus ou moins grande chelle, des peuples en exil et sans tat. Le sujet hybride, mouvant, insaisissable du fait mme de sa rsilience dans la mise lcart, forcment ouvert et dterritorialis, disparat dans la territorialisation identitaire (p. 139). Il serait intressant daller voir de plus prs les effets locaux des malentendus crs partir du mythe du Retour, par les migrations des Afro-descendants amricains et caribens au Liberia et en Sierra Leone pour le

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    XIXe sicle, et dune manire diffrente et plus rcente, en thiopie8. Mais il serait, je crois, galement important de reprendre ici le dbat entre lexodus des Juifs et la dportation des Noirs, non pas pour relancer la comptition des identits victimaires (qui revient de manire rcurrente dans lactualit, notamment en France), mais pour dconstruire le programme identitaire lui-mme tel quil se ralise dans lexcs de son enfermement territorial. Pour lautre grande diaspora historique, en effet, la position dcentre et critique du Juif, errant ou intellectuel, sest trouve pige dans lenfermement de la judit dans un territoire conquis comme Retour . Sa modernit dcale disparat avec lenfermement territorial qui provoque son tour la violence colonisatrice. Double violence que le lieu dcrt identitaire produit, lune sur ceux qui se trouvent leur tour expulss, dracins et hants par le Retour (les Palestiniens), lautre sur les Juifs eux-mmes rabattus sur ce territoire qui les enclot et signe la fin dune position la fois marginale, mobile et transnationale, qui avait fait la spcificit et la modernit de la culture juive, associe au d-placement, lexil, linternationalisme et la cosmopolitique9. Tout loppos de cet enclos identitaire, il est important de comprendre le sens, autant politique que thorique, de la dclosion dfendue par Achille Mbembe.

    Dgag de ces fausses pistes en effet, dont il reconnat ventuellement le bnfice clinique mais toutes rfres une assignation coloniale, lauteur dveloppe sa proposition la plus personnelle, celle qui consiste fouiller et comprendre ce que recle limpens de la race 10. Si la question est prsente tous les moments de louvrage au dtour de la rvision critique des multiples facettes de la raison ngre, elle revient directement, et de manire quelque peu exprimentale, dans les deux chapitres les plus intrigants et sombres de louvrage (4 et 5). Ceux-ci font rfrence la survie intime en situation de dshumanisation, la sexualit du regard et du pouvoir racial et colonial, au corps-marchandise et la rparation des blessures. Les apprentissages que se sont forgs celles et ceux qui ont t affubls, ridiculiss, carts sous le sobriquet de Ngre ont pour noms le ddoublement, la mobilit, llasticit, la nuit, le masque, les esprits, la religion, le secret autant de stratgies de fuite, dvitement, contournement face la conscience ngative de soi (ntre rien sans son matre) pose comme une vidence11. Achille Mbembe a le mrite de donner ce travail culturel une place thorique centrale, toujours sur la limite entre lidentit assigne et la possibilit de sa transformation en un sujet, dans une rflexion faite de tensions et de mouvements, qui lui donnent sa puissance.

    8 Voir Giulia Bonacci, Exodus ! Lhistoire du retour des Rastafariens en Ethiopie, Pris, Scali, 2008. 9 Voir Enzo Traverso, La fin de la modernit juive. Histoire dun tournant conservateur, Paris, La Dcouverte, 2013. 10 Sur cette question et la volont de rompre avec laphasie coloniale , on renverra lindispensable ouvrage dAnn Stoler qui mne lenqute sur les relations sexuelles dans le contexte de la domination coloniale, et sur la prsence obsessive des questions de la race, du mtissage et de la blanchit dans le regard du colon (Ann Laura Stoler, La chair de lempire. Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en rgime colonial, Paris, La Dcouverte/Institut Emilie du Chtelet, 2013, d. originale Carnal Knowledge and Imperial Power. Race and the Intimate in Colonial Rule, University of California Press, 2002). 11 Lanthropologie a fourni, il convient de le signaler ici, quelques cas et analyses remarquables de ces rapports entre loppression et la libration dans les imaginaires sacrs, secrets et religieux dans la priode suivant les Indpendances, mais quon peut sans rupture tendre toute la priode postcoloniale jusqu aujourdhui. Voir en particulier Grard Althabe, Oppression et libration dans limaginaire. Les communauts villageoises de la cte orientale de Madagascar, Paris, Maspero, 1969 (rd. La Dcouverte, 2002), et Marc Aug, Pouvoirs de vie, pouvoirs de mort. Introduction une anthropologie de la rpression, Paris, Flammarion, 1977.

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    Dans et au-del de la race Cest donc dcrire cette gnalogie de la raison ngre (de la race au sujet) que

    semploie lensemble de ce nouvel ouvrage, avec brio, associant llgance de lcriture la rigueur du projet, laudace de nouveaux terrains dinvestigation en particulier du ct de la psychanalyse et de la littrature lexamen plus classique de ses contextes. Le propos nest pas absolument linaire, les deux chapitres (4 et 5) dj mentionns en interrompent le rythme, la proposition initiale (le devenir-ngre du monde) semblant disparatre alors quelle se dilue et se diffuse dans lensemble de louvrage.

    Mais, surtout, les ouvertures de la conclusion poussent rflchir davantage,

    partager et prendre en charge ce dbat comme celui qui concerne lentiret de lhumanit encore faire. Achille Mbembe en appelle la restitution de la part vole dhumanit, la rparation (la clinique du sujet de Fanon) et surtout la rconciliation, qui paratra certains en retrait dun propos qui aurait pu tout autant dboucher sur la violence mancipatrice , lautre rponse chre Fanon, lun des principaux inspirateurs de la pense de Mbembe.

    On hsitera cependant, tout comme lauteur lui-mme dans sa conclusion, entre, dun

    ct, lgalit des parts et la multiplicit des visages qui composent le monde aux yeux de celles et ceux pour qui le prsent se situe juste avant lavnement dun monde-au-del-des-races 12, et, de lautre, lannonce plus politique dun devenir-ngre de tous les opprims tous les intrus et rebuts du monde contemporain qui composent la masse anonyme des refouls, dports, expulss et clandestins pour ceux-l, quelle que soit leur couleur de peau, le sujet de race a encore de lavenir en tant que forme enveloppante, suffocante et extrme du rejet dans len-dehors de la commune humanit, impliquant encore pour eux et elles un travail de reprise, retournement, cration dun sujet Cette double transformation de lhumanit, et pas seulement des Africains ou des gens de couleur , la fois dans et au-del de la race est bien le propos central, invitablement paradoxal et inquiet de louvrage Critique de la raison ngre. Son plus grand mrite, je crois, est de mettre au jour avec une remarquable clairvoyance les mandres nombreux de cette construction depuis lesclave-ngre jusqu aujourdhui, et de rendre ainsi mieux possible une politique de sortie de la race qui soit simultanment, non pas un loge merveill des diffrences ethniques, mais une voie vers lmancipation sociale et politique de tous.

    Publi dans laviedesidees.fr, le 30 avril 2014

    laviedesidees.fr

    12 Du coup il ny a plus ni Noir ni Blanc. Il ny a plus quun monde enfin dbarrass du fardeau de la race, et dont chacun devient lhritier (p. 242).