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RECUEIL DE NOUVELLES
Sommaire
Nouvelles des collégiens de Saint Exupéry
Le jour où le monde a basculé par Justine Marcaillou
Le jour où tout a basculé par Lola Surgeon
Les monstres par Mathilde Marchal
Corps et âme par Sylvain Vasseur
Terra Nova par Emeric Yahiaoui
Catégories Adultes
Jean-Honoré par Brigitte Billet
Sur la route de Pontoise par Francis Lamarque
Sur la route avec Claudia par Jean-Yves Bot
Rencontres par Isabelle Leroy-Turmel
Etonnante rencontre au retour de Londres par Marie-José Bot-Escluse
Un jour de printemps par Yanic Dubourg
Sur la route, j’ai rencontré la banqueroute par Marie-Pierre Amiot
Le jour où le monde a basculé
Une petite fille, seule dans une ruelle sombre.
Le monde est noir. Avec quelques petites lueurs blanches, qui m’aveuglent de
temps à autre.
Je suis seule. Encore et toujours. Depuis ma naissance c’est ainsi, et je sais que
je ne devrais pas y penser. Mais c’est plus fort que moi ; je déteste la solitude, et
chaque fois que j’y pense je replonge dans ma torpeur habituelle, sans fin. Sans
début.
D’ailleurs, tout le monde déteste la solitude ; les personnes intelligentes la
détestent, cela nuit à leur image extérieure. Les personnes dépourvues d’esprit la
détestent, car elle leur révèle leur stupidité, leur incapacité à se faire des amis. Enfin,
les fous eux-mêmes la détestent : à cause d’elle, ils ne peuvent étaler leur folie au
reste du monde.
J’ai observé ce trait de caractère chez l’humanité grâce à plusieurs expériences
de mon crû, agréables ou pas. Par exemple, ces enfants qui viennent me voir quand
ils ont fugué, tandis que leurs amis restent sages, et qui donc se retrouvent seuls. Ces
enfants, que dis-je, ces gamins, qui après être venus me voir vont se moquer de moi.
De ma pauvreté. De ma solitude.
Oui, vraiment, je n’aime pas la solitude. Ressasser encore et encore ces mêmes
idées.
* * *
J’arrive au coin de cette rue, déjà tant vue. Mais cette fois-ci, la vieille boutique
habituelle a changé.
Elle avait été restaurée : bleu terne, rouge sang, jaune, qui formaient un
symbole. Ce symbole, constitué d’une courbe, représente une femme enceinte. Cela
ne peut signifier que deux choses, chacune opposées par leur morale : un nouveau
centre d’adoption ou un refuge pour les femmes en deuil périnatal.
La tentation est trop forte ; il faut que j’aille voir. Alors, j’ouvre la porte. Elle est
lourde, mais j’arrive finalement à l’entrouvrir suffisamment pour que je puisse passer.
Par chance, je suis maigre ; malgré la société de consommation dans laquelle je vis,
les gens ne laissent que bien peu de nourriture dans leurs poubelles…
Une fois à l’intérieur, une multitude de cris me détruisit les tympans. Des cris de
lamentation ou de douleur, pour la plupart.
J’allais faire demi-tour vers la sortie, quand, parmi tous les cris, une voix
retentit, mélodieuse mais amère :
« Que viens-tu faire ici ? Etaler ta supérieure situation ? Crois-tu pouvoir nous
attendrir ? Chacune de nous ici a perdu son enfant, ou va perdre la vie dans peu de
temps ; j’en fais moi-même partie. Dans un mois au plus tard, je passerais de vie à
trépas. … … Alors ? Je t’écoute, demoiselle ! Que viens-tu faire ici ? »
Suite à sa tirade, tous les regards se tournèrent vers moi. Les bébés se turent, les
plaintes, les cris, les peurs. Tout s’est tut pour m’écouter.
Alors, des larmes rebelles se mirent à couler sur mes joues. Pour la toute
première fois, on me disait la vérité, on était sincère avec moi, petite chose abîmée,
meurtrie depuis son enfance.
« Pleurer ne rime à rien, petite.
- Silence ! Je ne pleure pas pour toi. Je ne pleure pas pour vous toutes. Pour ces
bébés. Je ne pleurerais jamais pour vous.
- Ah oui, et pourquoi donc ? N’avons-nous donc pas assez souffert ? Ne méritons-nous
pas un peu d’attention, de compassion ?
- On ne souffre jamais assez. Je l’ai appris par moi-même. Tu me dis que tu as
souffert, mais ne t’a-t-on donc jamais rendue heureuse ? N’as-tu jamais souri ? Si.
BIEN SÛR QUE SI ! Tu as souris quand ton enfant est né, quand tu l’as vu pour la
première fois. Tu as souris toute ton enfance. Mais moi, qu’est-ce que la vie m’a
offert ?
- …
- Je vais te le dire : tristesse, peur, colère, désespoir. Et de l’intelligence. Une
intelligence qui me sert à me lamenter. À réfléchir à ma situation. À comprendre que
jamais je ne sourirai. Que jamais je ne serai heureuse. Je n’ai pas de parents, pas de
famille. Ma nourriture est celle des autres. Mon argent, une simple pièce. Ainsi va ma
vie. Tu ne veux pas de moi ici ? Très bien. Je pars. Je m’en vais loin de cet endroit
rempli de geignardes empoisonnées, qui gâchent le bonheur qui leur a été offert. »
J’ouvre la porte, et sors. Cet épisode a été éprouvant ; je veux me reposer.
« Attends ! Cet endroit est le tien. J’ai eu tort de te faire sortir d’ici sans connaître ton
passé. Sans te connaître, toi. Mais sache que ce bonheur ‘gâché’, nous ne l’avons plus
depuis longtemps. »
Après un haussement d’épaules, je repris ma marche saccadée.
* * *
Malgré ce que j’ai dit, je dois me rendre à l’évidence : cette femme à la voix
mélodieuse m’a touchée. Alors, je retourne au coin de rue, pour la cinquième fois au
moins. J’ouvre la porte de l’ancienne boutique. Comme d’habitude, cris et pleurs
m’assaillent. Comme d’habitude, la femme m’accueille, la mine sombre mais avec un
léger sourire en coin.
Nous discutons, les heures passent. Bientôt, il est l’heure de se quitter. Je
reviendrai demain, et après-demain, et le surlendemain… Tandis que je suis sur le
pas de la porte, une idée me vient. Une idée si sublime, si logique, que je regrette de
ne pas y avoir pensé plus tôt.
« Veux-tu devenir ma mère ? »
Voilà. C’est dit. Tandis qu’elle me regarde avec ses yeux cobalt, je m’enfuis hors de la
bâtisse. Même si je sais que je vais revenir.
Je suis revenue. Elle m’a accueilli à bras ouverts, en pleurant, me balbutiant
« ma fille…ma fille… ». Alors, je l’ai enserrée de mes petits bras et lui ai crié
« maman ! ». Aucune maturité mais quelle importance ? Pour une fois ne puis-je pas
être une petite fille normale, avec sa mère à ses côtés ? Je chasse vite ces pensées
de mon esprit ; je veux garder cet instant gravé à jamais dans ma mémoire.
Nous sommes là, assises sur un banc, heureuses. Enfin je suis heureuse ! C’est
grisant. J’ai l’impression qu’à tout moment je peux sauter du haut d’un toit et ne pas
tomber, puisqu’elle va me rattraper. Mais tout cela n’est qu’un rêve, j’en ai bien
conscience. Comme si elle pouvait me rattraper en pleine chute !
Je vois le monde en couleurs. En vraies couleurs : le bleu terne s’est transformé
en bleu turquoise ; le rouge sang en joli prune et le jaune est désormais aussi éclatant
que le soleil. Dans les rues, les gens que je croise ne m’inspirent plus de grand
dégoût. La vie me semble bien meilleure, en couleurs. Même éblouie de temps à
autre. Plus de gris, plus de noir, plus d’ombres malfaisantes et une femme, lumineuse
et belle : ma mère.
* * *
Son état m’inquiète ; elle est de plus en plus faible, et elle a même vomi par
terre, une fois. En plus, de profonds cernes soulignent ses beaux yeux cobalt. Beaux
yeux ? Non. Ils se sont ternis, et ce ne sont plus maintenant que des iris vaguement
bleus.
Mais même si elle m’inquiète, aujourd’hui nous sortons au cinéma voir
« Journey », l’histoire d’une créature de laine qui vagabonde entre les souvenirs de sa
vieille maîtresse. J’ai hâte de le voir, avec elle. Alors, je mets mes craintes de côté, et
je cours l’attendre devant la boutique, où elle prépare ses maigres richesses. En plus,
après, elle m’a dit qu’on irait « courir les magasins ». J’ai ri devant l’expression,
puisque c’est impossible de courir après les magasins. Mais même avec ses
expressions bizarres, j’en comprends le sens ; on va aller s’acheter des vêtements, et
peut être manger au restaurant ! J’ai vraiment trop hâte ! Elle me le dit tout le
temps, que je suis trop impatiente, mais c’est plus fort que moi, et je le vis plutôt
bien.
Ça y est, elle sort – enfin. On y va, c’est parti pour la meilleure journée de ma
vie !
* * *
Ce n’était pas la meilleure journée de ma vie ; à la sortie du cinéma, maman
s’est mise à trembler. Je lui ai demandé ce qui n’allait pas, et elle m’a répondu que
c’était le film qui l’avait émue. C’est vrai qu’il était triste le film – la petite créature de
laine meurt à la fin – mais je sais aussi qu’on ne tremble pas quand on est triste. Je
n’ai pas voulu la contrarier alors je me suis tue. Je n’aurais pas dû. Oh que non ! Bon
sang ! Quand prendrais-je enfin les bonnes décisions ? Si je lui avais dit, elle ne se
serait pas évanouie dans le magasin, elle n’aurait pas vomi et tout irait bien !
Maintenant, à cause de moi, elle va mal, et je ne peux pas l’aider. Maudite sois-
tu, créature qui régis ce monde ! En plus, maintenant qu’on est à l’hôpital, les
infirmières m’interdisent d’entrer dans sa chambre.
* * *
Youpiii ! Je peux enfin entrer dans la chambre de maman. C’est bizarre, tout est
blanc : les murs, les appareils électroniques, le lit, les draps, maman… Maman ? Ce
n’est pas normal ! Elle me fait peur. J’étouffe un cri de peur mélangé de stupeur. Une
infirmière me dit de sortir si ça ne va pas ; je décide de l’ignorer. Seule compte
maman, avec sa peau translucide, ses veines que je peux voir à travers. Son pouls,
régulier et lent, très lent. Elle m’a vu ; je cours jusqu’à elle et lui fait un câlin : j’ai eu
si peur pour elle !
Elle se dégage doucement de l’étreinte de mes petits bras. Elle tente de se
redresser, mais elle s’arrête à mi-chemin, visiblement à cause d’un mal de tête. Elle rit
doucement, gênée de son mal. Puis, se forçant – je le vois grâce à sa grimace de
douleur – à se lever, elle me rejoint. Du moins, elle essaye. A peine a-t-elle fait trois
pas qu’elle s’écroule. J’essaie tant bien que mal de la rattraper, mais je suis trop
petite, et je n’ai pas assez de force. Donc, tout naturellement, maman m’écrase sous
son poids. À mon grand soulagement, je peux me dégager.
La prenant maladroitement dans mes bras, je me rends compte qu’elle
transpire.
Ça y est, les infirmières sont là. Elles s’agitent autour de moi, essaient de
m’enlever de ma maman. Heureusement, une des femmes de l’ancienne boutique leur
a dit quelque chose comme « Laissez-la, pour les derniers instants ». Tout de suite
après les infirmières se sont retirées sur le pas de la porte de la chambre.
Soudain, il me vient une idée, une question. Si logique, si évidente, que je ne
peux pas m’empêcher de rire, malgré les circonstances :
« Quel est ton nom, maman ? »
Je la vois ouvrir la bouche pour me répondre, la refermer. Un sursaut d’énergie,
et elle articule, sans bruit, les plus merveilleux mots du monde : « Je t’aime ». Un
spasme. Puis un autre, et un autre encore. Puis plus rien. Elle retombe, inerte, dans
mes bras. Les autres femmes s’agitent autour de moi, me disent que c’est fini, qu’elle
est partie. Mais elle ne peut pas être partie, je la tiens dans mes bras, à l’instant. Je
ne comprends pas. Je ne comprends pas, alors je pleure. Elle qui m’a toujours parlé
de manière sincère, sans détour, m’ignore à présent. Alors, je maudis le monde, les
gens, la société actuelle et ses vices. Je me maudis. Le monde redevient noir.
Justine Marcaillou
Le jour où tout a basculé
Lily, une jeune fille aux beaux yeux verts et or et qui n’avait peur de rien, jouait
dans le grenier de ses grands-parents car depuis la mort de ses parents, c’était son
repaire. Mais ce jour-là, elle trébucha sur une boîte. Elle regarda à l’intérieur et y
découvrit une bague magnifique. Elle était si belle qu’elle la passa à son doigt
immédiatement. Aussitôt, Lily est transportée dans un monde incroyable, plein de
plantes et d’animaux qui n’existent pas dans notre monde. Dans ce monde plein de
magie, on respecte l’environnement.
Elle ne savait pas où elle se trouvait... Lily s’approcha timidement d’un habitant
qui passait et lui demanda :
« Où suis-je ? Quel est cet endroit et qui est votre chef ?
- Vous êtes à Lika, plus exactement au Sud de Lika, dans le village de Hello. Le
Magicien Maléfique est notre chef.
- Merci ! Mais où habite ce Magicien ?
- Il habite à Calia. Prenez donc cette carte pour vous diriger ! »
Il sortit une carte de sa besace et la lui tendit avec un sourire.
« Merci et au revoir ! » répondit Lika reconnaissante et sous le choc.
À ce moment-là, elle sut que sa vie avait basculé. Lily avait déjà entendu parler
du monde de Lika. Sa grand-mère lui racontait si souvent des histoires merveilleuses
quand elle était enfant. Et toutes se déroulaient à Lika. Et l’héroïne de cette histoire,
c’était elle, Lily, cette princesse dont les parents avaient été tués par un Magicien
Maléfique lorsqu’elle n’était qu’une enfant. Elle était bien décidée à le tuer pour
venger la mort de son père. Elle savait aussi que ce monde était celui de ses ancêtres,
c’était son héritage et elle ferait tout pour le récupérer. Bien décidée, elle partit en
direction de Calia.
En revanche, elle ne se doutait pas que le Magicien comptait détruire Lika. En
arrivant à Calia, devant le château du Magicien, Lily réalisa que ce ne serait pas aussi
simple pour pénétrer dans l’enceinte. Elle réussit tout de même à déjouer la vigilance
des gardes et arriva à la salle du trône. Elle reprit sa respiration et entra en position
de combat. Le sorcier fut plus rapide que Lily. Il la pétrifia et dit :
« Très chère Lily, comme je suis content de vous rencontrer. Vous n’étiez qu’une petite
fille quand j’ai tué votre père ! Pour dire vrai, je savais que vous étiez ici et que vous
tenteriez de me tuer.
- Je ne suis pas votre « très chère Lily », je vous tuerai même si je dois donner ma vie
pour le faire.
- C’est ce qu’on verra ma chère, en attendant tu vas faire un tour dans le cachot. »
Un peu plus tard, le Magicien vint la voir pour l’ensorceler afin qu’elle devienne
maléfique. Il alla se servir des pensées de Lily qui étaient pour la plupart tristes et
ténébreuses à cause de tout ce qui lui était arrivé dans sa vie. Il finit par y arriver. Les
yeux de Lily étaient sombres, teintés de rouge et d’argent.
« Maintenant que tu es de mon côté je souhaite que tu détruises Lika.
- Oui mon Maître ! Mais je n’ai rien pour détruire Lika.
- Bien sûr que si, tu as quelque chose ! Ton sceptre qui est caché dans la bague que
tu portes à ton doigt. Ce sceptre est assez puissant pour tout détruire !
- Je croyais qu’il était censé permettre au roi ou la reine de protéger Lika…
- C’est le cas, mais sa puissance est aussi destructrice que bienfaitrice.
- Je comprends. Mais pourquoi ne le faites-vous pas vous-même ?
- Je ne peux pas le faire car tu es la seule à pouvoir l’utiliser.
- Ah oui ? Comment dois-je faire pour l’activer ?
- Il te suffit de l’appeler en t’aidant de ton prénom. »
Lily cria alors son prénom et son sceptre apparut. D’abord vert et or, il se teinta
presque immédiatement à la couleur des yeux de celle qui l’avait invoqué. Lorsqu’elle
le toucha elle ressentit une énergie puissante se propager en elle. Le Magicien,
savourant cet instant, lui demanda de s’exercer à l’extérieur du château.
Une fois dehors, elle se rappela ses cours de magie de quand elle avait six ans
juste avant que tout soit détruit. Elle savait instinctivement ce qu’elle devait faire. Elle
prit son sceptre et le frappa au sol. Il y eut un tremblement de terre, une onde de
choc gigantesque et son sceptre se couvrit de cristal. La destruction de Lika
commença.
Lily décida de monter en haut de la montagne pour assister à la destruction.
Arrivée en haut de la montagne, elle croisa un jeune homme mais n’y prêta aucune
attention. En observant Lika en contrebas, elle aperçut une statue. Elle remarqua que
c’était une statue représentant sa famille. Cette statue lui rappela qui elle était
vraiment. Retrouvant ses esprits, elle vit une fissure énorme qui filait vers la statue.
Elle tomba à genoux et fondit en larmes, le jeune garçon s’approcha d’elle et lui
demanda :
« Pourquoi pleures-tu ?
- Je pleure car c’est moi qui ai déclenché la destruction de Lika alors que j’aurais dû la
protéger. J’ai été manipulée et je ne m’en rends compte que maintenant !
- Tu es la suzeraine Lily n’est-ce pas ?
- Oui ! »
Le jeune homme s’agenouilla en gardant les yeux rivés sur elle.
« Je suis Robin. J’ai connu tes parents. Il m’ont demandé de veiller sur toi quand tu
reviendrais à Lika. »
À l’évocation de ses parents, à la vue de cet homme qui lui était fidèle, la culpabilité
l’envahit et elle fondit en larmes.
« Mais que faire ? J’ai tout détruit ! Tout ça à cause de ce fichu Magicien.
- Ne désespère pas. Je sais comment peux t’aider, dit Robin en se relevant.
- Comment ? lui demanda-t-elle les yeux pleins de larmes.
- Il te suffit de délivrer ton sceptre et de l’amener à la statue. Tu es la seule à pouvoir
le faire !
- Merci ! Je peux te demander de rester avec moi ?
- Si tu veux ! »
En bas de la montagne ils coururent en direction du château. En approchant, le
spectre se délivra. Lily retourna vers la statue, déposa le spectre. Tout s’arrêta mais il
était trop tard, le pays était détruit.
Elle décida donc de se venger. Elle se rendit au château, chercha le Magicien.
Elle entra dans une salle et y trouva le Magicien en train de dormir. Elle prit alors son
courage à deux mains, Robin était toujours à ses côtés. Elle s’empara d’un couteau et
transperça le cœur du Magicien. Ce geste lui permit de devenir suzeraine.
Elle décida de tout faire pour reconstruire ce monde. C’est à ce moment qu’elle
sut que sa vie avait vraiment basculé car plus rien n’était comme avant. Elle était
brisée. Ses yeux avaient gardé leur teinte sombre, rouge et argent, même si leur
noirceur s’était atténuée. Aujourd’hui la vie de Lily, n’est que magie et danger. Tout
était différent et pour ne rien arranger, elle était devenue reine à seulement quinze
ans !
Triste de ne plus voir ce qui lui restait de sa famille et de ses amis, elle les fit
venir à Lika. Grâce à eux Lily réussit à surmonter le poids de ses responsabilités. Elle
finit même par épouser Robin et ils eurent des enfants : une jeune fille nommée Maria
et un petit garçon nommé Mathéo.
Malheureusement Lily n’était pas totalement heureuse, elle avait seulement six
ans quand, sous ses yeux, la moitié de sa famille était morte. Le poids des
responsabilités était allégé, mais celui de la culpabilité n’avait jamais disparu.
Ses proches faisaient tout pour l’aider mais elle restait triste avec seulement
quelques heures de bonheur, quand ses enfants et son mari venaient s’amuser avec
elle. Ironie du sort, elle finit par se suicider, laissant son royaume aux mains de sa fille
de seulement seize ans.
Lola Surgeon
Les monstres
24 Mai 2019 : Je me nomme Estelle, je suis une jeune scientifique. Hier matin,
l’UM, l’Union Mondiale, a donné un projet à tous les laboratoires des pays la
constituant, c’est-à-dire : l’Union Européenne, le Japon, la Russie et les États-Unis. Ils
veulent modifier de l’ADN humaine et la mélanger avec de l’ADN animal pour créer un
fœtus et donc de nouvelles races. Je suis perplexe, mais je dois manger et dormir. Et
puis je ne peux pas me permettre de perdre mon travail.
18 Juillet 2019 : Deux mois de travail, et deux mois d’échecs successifs, j’ai
proposé une solution lors d’une réunion du laboratoire: pourquoi ne pas créer
directement les gamètes mâles et femelles et les faire féconder au lieu de créer le
fœtus. Mes supérieurs m’ont récompensé avec une augmentation ! On a triplé mon
salaire ! C’est le plus beau jour de ma vie. Suite à ça, l’information a été transmise à
tout les scientifiques qui travaillent sur le projet, qui est secret apparemment. Je viens
d’acheter une télé et de la configurer : pas un mot aux infos. Dommage, même si
prendre la grosse tête n’est pas trop mon genre, j’aurais bien aimé avoir mon nom à
la télé.
28 Juillet 2020 : C’est mon anniversaire, mais je n’ai pas le temps de le fêter
car le travail m’attend. Un jeune suédois a trouvé comment faire les spermatozoïdes
et une scientifique a réussi à faire des ovules. Quelques échantillons ont été envoyés
dans les laboratoires qui ont le plus aidé à la recherche et récompense les plus utiles
avec un jeune zooforme à étudier. Je suis l’une des heureuses élues à pouvoir avoir un
zooforme à soi, en quelque sorte. Je ne connais pas encore l’espèce ni le jour où je
vais le voir, mais je suis impatiente !
25 Décembre 2020 : Je suis la plus heureuse du monde. J’ai entendu, tard le
soir, vers minuit et quelques, la sonnerie de mon appartement retentir. Je me précipite
vers la porte et vois une petite enveloppe. Je l’ouvre et je lis que mon sujet personnel
de quatre mois est dans la salle 425 bis, c'est-à-dire dans l’étage des tests. Je suis
tellement heureuse de l’avoir sous mon aile ! Ils me récompensaient pour mon travail
et mon audace lors de cette réunion, je suis impatiente de découvrir mon petit
protégé !
26 Décembre 2020 : Comment finir l’année en beauté ? Avoir un petit animal
sous mon aile. Quand je suis allée dans le couloir où il y a mon sujet personnel, j’ai vu
d’autres zooformes : un cerf, nommé Eïlan, une tétra néon nommée Hydrélia. Puis j’ai
vu mon sujet dans une salle avec des murs blancs assez grands, puis une autre salle
séparée de moi par une vitre. Dans cette salle se trouvait un bureau, une fiche et de
la nourriture pour le sujet. Le milieu dans lequel elle dormait était un endroit assez
sec avec quelques buissons et de l’herbe. Elle dormait là, dans un petit nid. Elle avait
sur son crâne deux petites oreilles pliées, des pattes féliforme, une queue de chat et
des petites pattes qui semblaient faites pour faire de grands bonds. J’ai caressé sa
tête puis je suis allée chercher la nourriture mais la fiche sur le bureau m’interpella.
On me demandait de lui donner un nom, je choisis Radiance. En revenant dans la salle
elle était réveillée et émettait un cri entre des pleurs de bébé et des miaulements de
chaton. Je la nourrit et resta un bon moment avec ma petite Radiance avant de
continuer mes recherches et de rentrer chez moi.
28 Avril 2021 : J'ai récemment remarqué que Radiance faisait des petites
phrases. Elle m'a parlé de sa journée avec Eïlan. Elle dit qu'elle monte sur son dos et
jouent dans le couloir où ils sont autorisés. J'ai d’abord eu peur que Radiance fasse
mal au dos de son camarade mais elle n'est pas très lourde et elle fait juste 46
centimètres. J'ai passé une bonne journée, j'ai fait mon rapport et je suis rentrée chez
moi.
30 Décembre 2022: Mes supérieurs m'ont demandé de travailler cette nuit sur
le projet Zooforme. Je suis épuisée. J'ai remarqué que, pendant que je travaillais sur
un certain Eïlan, notre jeune cerf zooforme, notre spécimen tétra néon s'était échappé
de son aquarium. J’entendais des bruits de pas et des petits rires. Je ne voulais pas
m'engager dans une course poursuite avec une petite zooforme. Il est deux heures du
matin, je veux rentrer chez moi.
31 Décembre 2022: C’est bon, j’ai retrouvé la petite fuyarde qui me regardais
dormir. Je l’ai remise dans son aquarium et lui ai donné à manger. Quand je suis
rentrée chez moi à 8 heures 34, j’ai vu une petite enveloppe de la part de ma belle
mère me souhaitant un joyeux noël, mais en retard. Ce n’est pas grave, elle est au
Québec et le chemin d’ici à là-bas est long.
25 Avril 2025 : Radiance a bientôt 5 ans, elle est tellement belle ! Elle a de
grandes oreilles sur la tête et grimpe un peu partout. Avec sa queue, elle a un bon
équilibre. J'ai aussi remarqué qu'elle maîtrise très bien la langue française, elle
apprend très bien et vite, un vrai petit génie ! Elle joue parfois avec Eïlan et Hydrélia
dans les couloirs, c'est drôle à voir. Ils courent le long des murs mais Hydrélia tombe
assez souvent car elle n'est pas très à l'aise avec la terre ferme : elle passe sa vie
dans l'eau a dormir. Mais à chaque chute elle se relève indemne, elle est très
résistance cette petite !
17 Août 2026: Les recherches ont bien avancé, nous observons actuellement la
zooforme tétra néon. C’est l’anniversaire de ma petite Radiance aujourd'hui, je me
suis chargée de la surveiller toute la journée et de lui faire visiter le laboratoire... Elle
a observé Eïlan, le jeune cerf de quatre ans. Puis elle a passé beaucoup de temps à
remarquer chaque détail du tétra néon, et elle a demandé à un scientifique sans
aucune gêne, d’un air naturel et mélodieux: «Pourquoi ne pas voir ce qu’il ce passerait
si elle n’avait plus d’eau ? Quelle serait sa réaction ?». Le scientifique a d’abord refusé
sans hésitation puis je lui ai dit que, vu que c’était un hybride entre humain et
poisson, elle pouvait donc avoir des poumons et aussi un nez. Je lui ai demandé de
faire un scanner à rayon x et il accepta. On a pu voir qu’elle avait bel et bien des
poumons. Avant de retirer l’eau je lui ai suggéré que ça serait plus pratique de la voir
le plus près de la vitre. Pour la forcer à aller vers la vitre, j’ai pensé à mettre une
caisse dans l’aquarium et doucement retirer l’eau. Les scientifiques curieux de
nouvelles sensations on accepté et on mis un cube assez près de la vitre. Lentement
mais sûrement l'eau se vidait. Par réflexe, elle se posa sur la caisse. Lorsqu’elle
commença à respirer de l’air, une sorte de film, comme un tissu qui retenait les
écailles, se détacha de ses jambes pour former une sorte de robe qui recouvrait tout
sauf sa tête, ses mains et ses jambes. Les écailles, toujours sur le tissu de peau, se
retiraient pour former une robe blanche au reflet argenté et bleu. Une nouvelle
découverte ! Pas grâce à moi, mais à ma petite Radiance, la fille que je n’ai jamais pu
avoir…
31 Mars 2027: Plus les recherches avancent, plus ce projet me parait malsain.
J’ai entendu dans les couloirs en allant voir ma petite qu’ils comptaient vider un lieu
de la planète pour observer tous les zooformes ensemble … Ce projet ne va pas du
tout dans le sens où je voulais qu’il aille, mais je ne suis qu’une scientifique comme
les autres … Pas si bien qualifiée et avec peu d’expérience. Mais Radiance est en
pleine forme et les autres sujets vont très bien aussi. Elle à encore passé tout sa
journée à jouer et courir dans les couloirs jusqu’à ce qu'on lui annonce qu'elle avait
une petite cour avec des matelas sur les murs et le sol pour ne pas se faire mal. Elle
n'a fait que jouer. Je l'ai surveillée puis je suis retournée étudier les radiographies de
Radiance. Elle est maintenant une magnifique petite fille de 6 ans !
22 Mai 2027: C’est bon, ils ont choisi l’Afrique comme continent pour zooforme.
Tout est fini, la science a dépassé l’éthique, la science va trop loin. Ce projet va trop
loin mais je dois garder le secret professionnel. Si je quitte mon travail, je vais avoir
des problèmes avec les autorités … Ils ont réussi à créer une araignée et un serpent :
la veuve noire et l’anaconda. Oui, des animaux très dangereux capables de se
débrouiller seuls sans personne dès la naissance. Et ils en on fait pleins d’autres
comme ça. Mais aussi un animal beaucoup plus mignon, un mouton ! Enfin… une
brebis dans le cas présent. Elle est adorable ! Elle est dans la salle juste en face de
celle de Radiance. D’ailleurs elle est restée toute la journée à la regarder.
23 Juillet 2031: Un russe a trouvé une technique pour garder les zooformes en
Afrique sans qu’ils puissent s’échapper. Une molécule à installer dans le cerveau qui
est héréditaire. Il faut bien configurer la molécule et ça fait beaucoup de données ;
mais une fois fait, la personne ayant ça dans le cerveau ne peux plus passer la
barrière configurée, enfin par force si mais il ne peut plus par envie et par curiosité,
comme si c’était une interdiction; tout ça avec des ondes qu’émet cette minuscule
molécule. Les dirigeants de l'UM ont ordonné qu'on l'implante dans tous les sujets. On
doit obéir sans broncher, très bien, c'est chose faite. J’ai beau dire ça sans gêne, c’est
terriblement malsain et horrible… mais je n’ai pas le choix. Puis j’ai envie de savoir la
suite de tout ça.
26 Septembre 2042: Il est 20 heures 45 et je viens de lire en petit titre «Des
animaux étranges et humanoïdes ont été aperçus par quelques infirmiers des
«Médecins sans frontières». Le secret ne l’est plus tellement … Mais je viens aussi de
voir que quelques zooformes ont été relâchés dans la nature ! C’est horrible ! Mais si
je dis quoi que ce soit on va me remettre au SMIC … Ça va beaucoup trop loin …
31 Octobre 2042: Joyeux Halloween à tous les Africains… arrivé avec un joli
bain de sang… L’Afrique du nord a quasiment été entièrement vidée en un mois. Les
russes avaient créé d’énormes camps où mettre tous ces zooformes instables. C’est la
fin de la retenue éthique du monde … Mais je dois garder espoir, nous pouvons encore
faire de ces bêtes sauvages des êtres civilisés. Radiance et Eïlan le sont, pourquoi pas
les autres ? J'ai encore espoir, j'ai des années devant moi, tout est possible. Ce n'est
pas trop tard.
14 Novembre 2044: Tout est fini, plus aucun espoir, rien. Hier, tous les
zooformes créés, quasiment toutes les espèces sur Terre, ont été envoyés en Afrique,
tout est fini. D'une idée amusante et mignonne est né un projet malsain et un
génocide … J'ai pendant quelques années oublié que j’étais seule et que je vivais dans
un monde qui ne pense qu'à l'argent … C'est horrible, je n'ai pas les mots pour décrire
à quel point c'est inhumain. Ce monde à changé, ce n'est plus le mien. Tout ce qui a
été fait, décidé, créé, organisé est horrible et malsain, je ne m'en rendais pas compte
a l'époque, tout me semblait trop adorable quand c'était le début, mais avec le recul,
je pense que j'aurais dû arrêter … La seule bonne nouvelle en quelque sorte, c'est que
ça n’atteindra que l’Afrique. Ce projet va trop loin ... Je m'appelle Estelle, j'ai 52 ans
et j'ai aidé à faire basculer ce monde dans le chaos, je suis un monstre.
Mathilde Marchal
Corps et âme
Mon réveil sonne, je sors des bras de Morphée et me dirige vers la cuisine, où
ma mère m'attend en beurrant une tranche de pain. Je mange rapidement pour avoir
le temps de me préparer. Je cours pour ne pas rater le bus, qui comme à son
habitude, m'attend. Je le remercie d'un signe de tête et d'un sourire.
Cette journée se termine comme toutes les autres, sous un soleil brillant. Mes
devoirs une fois terminés ainsi que le dîner, je sors lire en espérant que cette nuit, les
cauchemars me laisseront tranquille.
Mon réveil sonne, je me lève toujours avec ce mal de tête qui m'habite presque
tous les jours. Je me dirige immédiatement vers la salle de bain. A ce moment-là c'est
le choc. Je n'imaginais pas que j'avais maigri autant. Aujourd'hui nous sommes lundi,
les vacances sont finies et je dois retourner en cours ; aujourd'hui. Apeuré devant
cette silhouette fine, je ne la reconnais pas. Je monte dans la douche pour évacuer
toute la sueur, provoquée par ces cauchemars incessants : une personne rentre dans
ma chambre, elle porte une tunique noire, je ne vois pas son visage et sa voix, que je
connais depuis très longtemps, me dit des choses horribles. Je frissonne à cette
pensée. La froideur m'envahit quand je sors et que les gouttes perlent sur mon corps
squelettique. Je vole une fois de plus le maquillage de ma mère, pour cacher ces
cernes qui étouffent mes yeux comme s'ils voulaient les fermer pour toujours. Mon
visage se perd sous ce masque que je plaque sur mon visage tous les matins pour ne
pas inquiéter ma famille et les gens qui encore me considèrent comme leur ami. Je
retourne dans ma chambre, ouvrant mon armoire, je vois des pulls que je portais
autrefois, plus ou moins épais avec des couleurs vives ou pastel. Ces motifs floraux
m’insupportant, je n'arrive plus à les porter. Comme d'habitude je sors un gros pull
noir, avec un pantalon serré et mes chaussures noires. Mes cheveux en bataille se
battent pour m’ensevelir sous terre. Ils sont un poids sur mon corps trop fin pour être
joli. Je ne veux pas les cacher ou les couper, ma mèche m'aide à pleurer sans que les
gens ne s'en aperçoivent.
Descendant les escaliers vers un monde que je ne reconnais pas, je vois ma
mère qui se force à sourire, pour moi, elle aussi a maigri, elle ne mange pas beaucoup
ces temps-ci, sûrement trop occupée avec ses histoires d'un soir. Je ne sais pas si
papa est au courant, ça ne m’étonnerait pas lui aussi en a. Me proposant de me gaver,
encore, je refuse sa proposition, trop occupé par mon casque qui crache des paroles
incompréhensibles.
Ça y est, il pleut dans cette ville. Sous la lumière des lampadaires, mes pieds
mouillés, me conduisent à l’arrêt de bus, un véritable transport de marchandises, qui
finira cassé par des gosses tués par ce monde et la société avant même qu'ils ne
marchent.
Mes parents m'ont jeté à ce monde, comme un vulgaire bout de viande, jeté à
des chiens affamés par le pouvoir. Ces chiens je les ai fait souffrir, la peur a grandi en
eux, maintenant ils me me méprisent.
Une fois le bus arrêté, j’attends que la masse sorte, pour sortir en bon dernier,
pour ne pas rester sous ces larmes du ciel. L'école est éclairée par des lampadaires,
décorée par le sang coulé. Je rentre perplexe dans cet établissement plus lugubre que
l’hôtel de Dracula, plus sombre que la forêt d'Ansel et Gretel, plus éteint que le
sommeil de la Belle au bois dormant, et plus vide que mon estomac : rien n'est entré
dans ce malheureux depuis de longues heures ! Il réclame de la nourriture comme
moi de la joie. Comme moi, il sera déçu, pourquoi serais-je le seul ?
La sonnerie, telle une femme hystérique par la douleur, crie de se ranger en
rang comme des automates. Première heure, deuxième heure, rien ne se passe, à
part le ciel qui crache des insultes, il fait toujours sombre dehors, le soleil est
sûrement mort. Cette journée se termine comme toutes les autres, mon estomac crie
encore et toujours famine, je décide de lui offrir une offrande, je me dirige vers cette
boulangerie au carrefour, une femme m’accueille avec un sourire éclatant, placardé
sur le visage, je lui prend une pâtisserie. Je décide de l'ouvrir sur un banc encore
mouillé par les caprices du ciel. Juste l'odeur me donne mal au ventre, la vue de cette
terrible pâtisserie fait ressortir la laideur de ce monde, je deviens nauséeux, mon
corps veut jeter les douleurs qui le tuent. Je préfère jeter se cadeau empoissonné par
moi-même.
Je rentre difficilement dans ma chambre, après une avalanche de questions qui
attendent encore des réponses, je me suis hissé sur mon lit toujours mouillé, et là, je
craque, je pleure, je hurle, devient tremblant, j'ai vu ce foutu mec au collège avec
cette foutue bande d'amis, je l'ai regardé, il m'a regardé puis il est parti, il ne m'a pas
adressé une parole, un signe ni même un sourire. Je fais quoi moi ?
J'en ai parlé à quelques personnes, ils me répondent toujours de la même
façon :
« Mais arrête vous n'allez pas ensemble !
- Je m'en fiche, que nos deux corps n'aillent pas ensemble, que le destin n'a pas choisi
de nous réunir, qu'aucun de nous deux appartiendra à l'autre ! »
J'essaie de me calmer en me disant que tout ira bien, qu'il ne sera jamais
intéressé par moi, et pourtant ce midi, il m'a anéanti. Il m'a dit que lui aussi, lui aussi
l'était peut-être. Devant lui j'ai rigolé, mais au fond de moi je pleurais, je crachais ma
haine, et ma souffrance dans mes paumes de mains qui devaient supporter mes
ongles plantés, accrochés et agrippant ces malheureuses. Je suis retourné m’asseoir
devant mon plateau, l'air de rien, mais la gorge nouée, par ce que je venais
d'apprendre. Je ne voulais pas me résoudre à avoir une chance avec lui, c'est idiot je
le sais, mais j'en étais incapable. Je me suis forcé à manger pour tenir jusqu'au soir,
seulement pain et clémentine, j'ai encore failli gerber, foutue nourriture !
Encore tremblant, j'essaie de me relever, pour aller chercher un livre, mais mon
corps n'arrive pas à bouger dans cette chambre en forme de cercueil. J'ai pris mon
ordinateur posé sur ma commode, et l'ai jeté de toutes mes forces sur mon bureau.
Une tumeur de colère, de tristesse, de peine, de douleur, et de coups me consumait
de l’intérieur, m’anéantissait au plus profond de mon être.
Ils voulaient tous ma mort. Je ne voulais pas mourir. je ne sais pas pourquoi,
mais je ne voulais pas. Mon corps me forçait. Comment résister à l'appel d'un corps
qui ne demande qu'une seule chose, qu'on le laisse tranquille. Je le torturais sous des
coups, sous des insultes. Lui et moi, on ne s'aimait plus. On voulait tous les deux se
séparer l'un de l'autre. Chose faite, je l'ai quitté, il m'a quitté. Maintenant, mon âme
repose en paix à côté d'une corde accrochée au plafond. Mes cris étouffés n'ont pas su
se libérer.
Sylvain Vasseur
Terra Nova
Le 16 janvier 2016, trois failles ont été déclenchées par un forage de pétrole de
la société Russe Russian Power, l’une à Washington, l’autre à Tokyo, et la dernière,
quelque temps plus tard, à trois cent cinquante kilomètres de Moscou.
Une jeune fille du nom de Keilu, dix-sept ans, se mit en tête d’aller voir la faille
de Moscou de plus près malgré les interdictions répétées de son père. Lorsqu’elle
arriva à destination, elle fut impressionnée par l’immensité de cette faille d’un bon
kilomètre de large et, ce qui l’intrigua, c’est qu’un forage de pétrole ne pouvait point
causer de tels dégâts !
Tout à coup, elle vit une ombre sortir d’un buisson, elle fut pétrifiée face à
l’ignominie de ce qu’elle vit, elle se dit de détaler mais son corps refusait par peur de
bouger et… la chose l'attrapa et lui saisit le bras. « Chut ! Ne crie pas jeune
créature ! » lui dit cet être, c’était un humanoïde, grand, fin avec des écailles
brillantes, son apparence avait beau être terrifiante, Keilu ne put être qu’admirative
face à la majesté des gestes de la bête. « Qui êtes-vous ? Ne me faites pas de mal, je
vous en prie ! supplia la jeune fille
- Ce ne sont pas dans mes attentions en tant qu’élémentaire, car moi, je défends
toute vie sur Terre ! répondit la créature. VOUS ! Oui vous ! Vous videz et détruisez la
Terre de l’intérieur et nous nous mourrons avec elle ! Cessez donc vos folies !
- Mais… Je n’y peux rien… Ce n’est pas de ma faute, Ce sont les grands hommes la
cause de tout cela ! répondit Keilu en sanglotant de peur.
- Il faut trouver une solution ! Écoutez donc les baleines ! La terre est en colère ! όταν
η γη θα ξυπνήσει, IT θα ξαναγεννηθεί … »
L'élémentaire prononça ces mots inconnus puis BANG ! Le père de Keilu, qui était parti
à sa recherche, tira sur l’être. « Non ! » cria Keilu puis elle s’enfuit.
Au même moment, un grondement sourd retentit, la terre trembla si fort que
même Moscou en fut ébranlée. Keilu eut le réflexe d’allumer la radio et de se cacher
dans une crevasse en forêt et ce qu’elle y entendit la plongea dans un terrifiant
effroi : ce séisme était de loin le plus puissant jamais enregistré, il était de magnitude
12,7. Pour l’instant, on comptait un bilan de cent trois millions de mort…
Trois heures plus tard, le bilan s’était affreusement alourdi, on comptait trois
cents millions de morts et de disparus, les blessés étaient quant à eux deux-cent-
cinquante millions…C’est alors qu’un gigantesque tsunami estimé à une vitesse de
mille-six-cent-cinquante kilomètres heure, provoqué par l’affaissement de la plaque
Eurasienne, ravagea jusqu’à six cents kilomètres dans les terres. La vague submergea
toutes les îles du globe, tuant ainsi tous leurs habitants. Il ravageait presque de toutes
les côtes des plaques lithosphériques, noyant autant les grandes villes que les
campagnes, semant des millions de morts sur son passage. Au bout d’une heure, il
entra plus profondément dans les terres pour causer de nouvelles victimes en plus
d’un bon milliard de morts.
La Terre se réveillait, « όταν η γη θα ξυπνήσει »…Alors qu’elle se tenait tant
bien que mal à une branche d’arbre pour ne pas se noyer, Keilu fut enfin saisie par un
jeune pompier.
« M…Merci…Merci de m’avoir sauvée…Je…Je n’en pouvais plus, dit Keilu, lasse du
grand effort qu’elle avait fourni deux heures durant.
- Il n’y a pas de quoi, c’est mon métier, mais que faisiez-vous ici ? C’est très
dangereux pour une jeune fille…
- Vous n’êtes pas si vieux non plus pour un pompier.
- Aïe ! Je n’aurais pas dû dire ça…
- Mon père ! Sauvez mon père ! Je vous en supplie où est-il ?
- Je… Je ne sais pas…Quel est son nom ?
- Ivan…Ivan Pitkevich !
- Attendez, je regarde dans la liste des habitants…Non…
- Quoi non ?
- Oh, du calme ça va passer ! On garde son calme, ok ?
- Non, il faut tout arrêter la planète meurt !
- Houlà ! J'en connais une qui va prendre un bon coup de sédatif. Bonne nuit !
- Que ?... Non !... Il faut... tout... arrêter... »
Deux jours après ces événements, Keilu se réveilla dans un hôpital de fortune
et alluma une radio, tout était inondé dehors, mais il n’y avait plus d’intempéries. Elle
apprit qu’une série d’accidents tous plus importants les uns que les autres avaient
finalement… tué soixante-quinze pour cent de la population, soit cinq milliards
d'humains ! Il n’en restait par conséquent que deux milliards…
Ces événements avaient conduit à la création d’un volcan explosif, le plus gros
du monde avec ses deux-cent-soixante kilomètres de diamètre. Keilu fut…ravagée par
cette information… Sa famille morte, son père disparu… Elle se rendit compte que
l’élémentaire avait dit la vérité, ses dires se sont réalisés. C’est alors qu’elle prononça
ces mots qui avaient résonné dans sa tête depuis leur rencontre : « όταν η γη θα
ξυπνήσει, IT θα ξαναγεννηθεί ».
Tout à coup, un sifflement suivi d’un gros BOUM ! retentit puis un nuage de
cendre, de poussières, de gaz et de roches sortit du volcan en feu et dévasta toutes
les vies à six mille kilomètres à la ronde, tuant ainsi toutes les vies humaines… c’était
la fin de l’humanité…
On aurait alors pu croire que toute vie sur Terre fut anéantie mais en réalité, il
restait un espoir car certains rongeurs et renards avaient survécu en se cachant sous
terre. On compte aussi certains mammifères placentaires, des poissons abyssaux tels
que le Chauliodus Sloani ou le Typhlonus Nasus, ainsi que des volatiles nécrophages
comme le Gypaetus Barbatus et d’autres insectes comme les mites, les fourmis, les
abeilles ou encore des plantes comme les fougères ou la mousse. Bref, la vie ne
s’arrêta pas pour autant, les Hommes avaient été si longtemps un fardeau, et la Terre
en était enfin libérée.
« Quand la terre se réveillera, enfin elle renaîtra »
Emeric Yahiaoui
Jean-Honoré
Je commençais à m’impatienter dans cette longue file qui s’était formée
derrière un tracteur. Arrivé à mi-côte je décidai de tourner à droite. Ce serait
l’occasion de découvrir ce qui se cachait derrière ce panneau qui suscitait chaque jour
la curiosité de mon passager.
« MALASSISE » « C’est bizarre comme nom »
« Pourquoi les hommes s’assoient sur leur derrière ?…et pas sur leurs genoux ? »
A la première route à gauche, je tournai espérant continuer ainsi mon chemin
parallèlement à mon trajet habituel. J’arrivai près d’une petite mare que des canards
avaient visiblement l’habitude de rejoindre à leur train … Ce n’était pas une voiture
qui allait les déranger ! Un peu plus loin le fermier traversait à la même allure pour
aller s’occuper de jeunes veaux impatients derrière leur clôture. Le chemin s’enfonçait
ensuite dans un petit bois, je roulais donc avec prudence mais curieusement tout ce
spectacle bucolique m’avait calmé. A la sortie du bois, j’aperçus au loin dans les
champs quelques cervidés que je n’eus pas le loisir de contempler car un véhicule
pressé arrivait en sens inverse. Je me concentrai sur ma conduite sans m’attarder sur
les magnifiques chevaux noirs qui semblaient souhaiter la bienvenue juste avant
l’entrée du village voisin.
Quelques centaines de mètres plus loin mon attention fut à nouveau détournée
par un petit chat d’argile perché sur une toiture puis, au pied de la maison, par
plusieurs poubelles et cartons desquels dépassaient deux ou trois cadres. En voyant
ces canevas je me remémorai les vacances chez ma grand-mère, les moments où elle
m’envoyait chercher les écheveaux manquants :
« Mais ce n’est pas le bon vert ! Tu as l’étiquette que je t’avais donnée ? Tu vois ce
n’est pas le bon numéro, je parie que c’est encore Marlène qui t’a servi… Je me doute
qu’elle n’en avait plus mais Hélène l’aurait commandé elle ! »
Tout à ces pensées je prêtai à peine attention aux chevaux qui intriguaient mon
passager :
« Pourquoi il a les yeux bandés ? »
- « Je ne sais pas du tout »
Je continuais à entendre la voix de ma grand-mère :
« Pousse-toi un peu, tu es dans mon jour, déjà que j’ai du mal à discerner les teintes
dans ces feuillages ! »
Pour le retour, en fin d’après-midi, je décidai à tout hasard de reprendre le
même chemin. Les poubelles avaient été délestées de leurs objets les plus utiles mais
par chance mes tableaux étaient toujours là. Deux d’entre eux étaient vraiment
souillés mais le troisième, coincé entre les deux, avait été épargné.
Arrivé à la maison, je déposai ma tapisserie sur la table du salon de jardin et
courai chercher l’aspirateur. La robe de la jeune fille retrouvait sa luminosité. Un petit
coup de brosse soyeuse dans les moulures du cadre et le tableau reprendrait une
place de choix dans ma bibliothèque. J’y allai de ce pas consulter Internet : la Liseuse
…« la Liseuse à la fenêtre de Vermeer » - images correspondant - non ce n’est pas
elle, la mienne est debout - « la Liseuse de Claude Monet » - non plus, mais elle est
bien jolie aussi avec sa grande robe blanche qui s’étale dans la prairie - plus d’images
- Et bien il y en a … Ah voilà! « Fujeira » - elle est même sur un timbre! ...et là si je
clique : « la Liseuse ou la jeune fille lisant est un tableau peint par Jean-Honoré
Fragonard vers 1770 - dimensions 81 cm x 65 cm » - mon canevas me semble un peu
plus petit.
Étonné de voir que Fragonard avait un prénom, je découvris aussi qu’il était né
à Grasse, du coup ce Jean-Honoré résonnait soudain avec l’accent des films de Pagnol.
Curieusement son père était garçon gantier, et ma maman était gantière comme
beaucoup de femmes de notre petit village. Mais lui ne confectionnait pas des gants
en coton mais en peaux parfumées de jasmin et de rose !
« A six ans il quitte Grasse pour Paris avec sa famille ». Je suis un peu déçu
mais je lis un peu plus loin qu’il partira se perfectionner auprès des grands maîtres en
Italie. J’adore l’Italie je ne me lasse pas de visionner les vidéos que mes amis m’ont
envoyées de Florence. Pas étonnant que ses toiles soient aussi lumineuses. Quand il
est rentré à Paris il devait parler avec cet accent chantant … « Il épouse une peintre
en miniatures… » Si j’avais été doué pour la peinture j’aurais aimé peindre ces petits
médaillons comme j’ai pu voir au Musée de Chantilly…
Je continuai à dérouler l’article et fut surpris de voir « les hasards heureux de
l’escarpolette » le fameux canevas qui avait donné tant de mal à ma grand-mère dans
la sélection des couleurs. Parfois elle dédoublait le fil et exécutait des demi points pour
se rapprocher au plus prés du tableau. Je contemplai « mon acquisition ». Vraiment le
visage était bien rendu. A la peinture ce n’est déjà pas facile mais au fil bien souvent
la copie n’a plus rien à voir avec l’original !
Je la positionnai au dessus du piano, juste pour voir, car il fallait que je lui fixe
une nouvelle attache. Je me demandai en même temps ce que cette jeune fille
pouvait écouter en lisant, peut-être se contentait-elle du chant d’un merle ou d’une
tourterelle par la fenêtre ouverte, peut-être que ses frères s’entraînaient à jouer une
sonate de Tartini dans la pièce voisine …
Ma Liseuse s’était bien intégrée aux meubles, j’avais complètement oublié
Fragonard, j’aurais même été incapable de le placer à la bonne place sur la frise
chronologique du Timeline, quand un événement vint secouer mes souvenirs.
Un dimanche matin d’été, alors que j’effectuais mon entraînement de course à
pied, j’aperçus entre les arabesques du portail d’un jardin, une jeune silhouette
bouton d’or, assise à la terrasse du pavillon. Je fis une petite boucle et décidai de
repasser devant la maison, tout en me rapprochant je repérai un poteau qui serait
tout à fait adapté pour effectuer quelques étirements. Tout en m’appliquant à ma
gymnastique, je jetais furtivement un œil sur le côté. Les yeux fixés sur sa tablette,
une large manche de son peignoir tombant sur l’accoudoir du fauteuil, les cheveux
relevés maintenus par un crayon, c’était, dans sa posture, tout le portrait de ma
Liseuse. Je repris ma course, tout léger, et ce jour-là mon logiciel afficha le meilleur
temps de ma saison.
Durant toute la semaine je ne cessai de penser à cette jeune personne et à
chaque fois que j’entrais dans le salon mes yeux se levaient maintenant vers le cadre.
Pour aller travailler je me mis à faire systématiquement un détour mais les volets
étaient toujours fermés. Le week-end suivant, comble de malchance, fut
particulièrement pluvieux, c’était la Saint Médard …Je dus attendre la fin août pour
revoir ma lectrice, toujours aussi absorbée, le teint un plus hâlé.
Si elle avait été plus près de la route, j’aurais pu lui glisser un petit bonjour poli
sans trop la déranger mais à la distance où elle se trouvait, la puissance de mon
bonjour aurait dépassé les limites de la bienséance. Comment était-elle habillée dans
la journée ? Je n’en savais rien. Je l’avais peut-être déjà croisée. Je ne connaissais pas
son visage de face, comment aurais-je pu la reconnaître à partir d’un profil aperçu au
loin ? Et pourtant je l’aimais déjà !
Je profitai des journées du Patrimoine pour aller visiter le Louvre qui, avant de
devenir un musée, avait abrité entre autres, l’atelier de Jean-Honoré. Je pensais donc
naïvement y retrouver sa toile mais un jeune étudiant m’indiqua qu’elle était aux
Etats-Unis. J’imaginai d’un seul coup ma bien-aimée en partance pour New York, il
fallait que je la contacte au plus vite. En rentrant j’irais déposer un petit mot dans sa
boîte à lettres. Je n’allais pas me perdre dans de longs discours. Avant de sortir du
musée j’achetai une jolie carte postale.
« Je suis un photographe d’art amateur. Je vous ai aperçue en train de lire dans
votre jardin. Je souhaiterais réaliser votre portrait à la manière du célèbre tableau de
Fragonard. Si vous le voulez bien vous pouvez me contacter au 06 ….. ».
Quand je déposai la carte dans la boîte, tous les volets étaient clos. J’attendis
impatiemment pendant plusieurs jours ; peut-être était-elle partie en voyage comme
je l’avais pressenti …
Au retour de la Transquar de Beauvais que je réalisais en un temps qui
dépassait toutes mes espérances, je sentis mon téléphone vibrer à la réception d’un
texto: « Bravo ! A dimanche prochain J H ».
Brigitte Billet
Sur la route de Pontoise…
Haut dans le ciel le soleil tapait dur sur mon crane en ébullition, je cheminais depuis
de longues heures et je déposais mon baluchon à terre pour me désaltérer de l’eau
fraîche de la bonne source du Réveillon. Prudemment je contournai le paisible village
de Boubiers qui sommeillait, d’un œil, sous l’écrasante chaleur ; le chemineau avec
son baluchon à l’épaule inquiète toujours un peu les braves gens.
Depuis le passage il y a quelques jours au domicile de ma vieille mère du côté
d’Hadancourt-le-Haut-Clocher de deux gendarmes qui me cherchaient pour « affaire
me concernant » mon esprit était tout chamboulé. Pourquoi les gendarmes voulaient-
ils me voir ? moi, le miséreux sans le sou, le pauvre hère que les chiens
pourchassaient, que les garnements harcelaient. Que je sache je n’avais commis
aucun larcin, hormis quelques pommes dans le verger du père Guillaume au Fayel ;
moi qui n’intéresse personne, diantre pourquoi les gendarmes de Chaumont-en-Vexin
voulaient-ils bien me voir ? après deux longues journées et deux longues nuits
d’insomnie je me décidais enfin à prendre la route. Je ne me pressais point, chaque
pas me rapprochant de cette rencontre que je redoutais tant. Mais pourquoi avais-je
tant d’inquiétude ? je n’avais rien fait de mal, je n’avais rien à me reprocher, et
pourtant cette interrogation sonnait dans mon pauvre crane aussi fort que les cloches
de l’église de Montjavoult le jour où je m’étais endormi dans son clocher.
Pour éviter la grande route je me dirigeais vers le haut château d’eau de Liancourt-
Saint Pierre et m’approchais prudemment de la Troësne, gonflées par les orages de la
nuit les eaux de cet affluent de l’Epte bouillonnaient bruyamment. Je retirais avec
peine mes vieux godillots pour prendre un bon bain de pied, l’ombre bienfaisante d’un
vieux saule m’invita vite à une profonde et réconfortante sieste ; les gendarmes
attendront bien un peu mon arrivée…
Lorsque je me réveillais le soleil était presque couché derrière le château de Gisors.
Je remis ma besace à l’épaule et m’apprêtai à reprendre mon chemin pour arriver
avant la nuit à Chaumont-en-Vexin lorsque soudain mes oreilles perçurent des
hurlements qui semblaient venir du moulin du Moulinet. Je longeai la rive et aperçus
devant moi la lourde masse du moulin. Devant la porte un gros homme ventru
moulinait des bras comme le ferait, sous le vent, l’épouvantail du père Guillaume dans
son champs du Fayel, des cris perçants sortaient de sa gorge déployée, de loin je vis
sa grande bouche s’ouvrir et se fermer comme le font les gros brochets sortis de
l’étang du château de Fay les Etangs.
On m’a volé mon cochon ! voilà ce que braillait le gros meunier ; il répétait sans cesse
comme un moulin à paroles : on m’a volé mon cochon !
M’apercevant au bout du chemin, ses deux bras cessèrent de tournoyer et pointant
son gros doigt boudiné vers moi il s’égosilla : c’est lui ! c’est lui qui a volé mon
cochon !
Il est bien connu que tous les romanichels, les va-nu-pieds, les chemineaux en
haillons sont les boucs émissaires de tous les larcins de la terre.
Interloqué par une telle accusation injuste je tentai de protester :
- Mais Meunier, dis-je, vous voyez bien que je n’ai rien ! seulement ma vieille besace
râpée et un quignon de pain !
- C’est toi ! je t’ai vu tout à l’heure au coin du bois discutant avec le fieffé maquignon
de Delincourt ! Tu lui as vendu mon cochon, voleur ! donne moi l’argent que tu as reçu
de cette fripouille, sinon je vais te faire passer un mauvais quart d’heure.
La tête me tournait tant les vociférations du meunier m’embrouillaient les méninges.
Fichtre la fin de journée s’annonçait bien mal pour moi……
Ameutés par un tel vacarme les voisins du meunier accoururent, l’œil noir,
soupçonneux, menaçants ils eurent tôt fait de m’entourer et un grand escogriffe me
prit méchamment au col.
- Allez ! en route gredin !
- où me conduisez-vous ? je n’ai rien fait !
- Malotru, tu t’expliqueras chez les gendarmes de Chaumont ! marche ! sinon…
La petite troupe braillarde arriva à la gendarmerie où un gendarme moustachu me
saisit au collet et me jeta au cachot.
- Le Chef est à Beauvais pour la journée tu t’expliqueras avec lui demain.
- Demain ? mais je ne vais pas passer la nuit dans ce cachot !
- Quand on vole le jour on passe la nuit au cachot !
- Mais je n’ai rien volé Monsieur le Gendarme !
- Veux pas savoir ! et tournant les talons il tourna la clé dans la serrure et
s’éloigna.
Un silence pesant s’abattit sur moi….que l’enfermement est difficile à vivre pour un
chemineau habitué à vivre au grand air, à dormir à la belle étoile. Si il a faim il n’a
qu’à cueillir des fruits dans le verger du père Guillaume…si il a soif, l’eau fraîche de la
source du Réveillon le désaltère.
Ce cachot lugubre, malodorant, sale, faiblement éclairé par la lueur blafarde d’un
soupirail haut perché, me glaça d’effroi. Cette nuit ne vais-je point avoir des
compagnons indésirables ? des rats, des cafards, des araignées ?
Mes pensées se bousculaient furieusement dans ma tête en feu ; pourquoi suis-je
venu me jeter dans la gueule du loup ? J’avais faim, j’avais soif, j’avais peur.
La petite troupe braillarde était revenue au moulin et pour remercier ses voisins le
meunier avait ouvert les bouteilles de son mauvais vin et chacun buvait goulûment en
se rengorgeant d’avoir contribué à appréhender un si dangereux individu. Voler un
cochon ! voler le cochon du meunier ! en voilà une engeance !
Curieusement la femme du meunier, grand échalas sèche comme un hareng resté des
heures au soleil, n’avait point paru et ne s’était pas mêlée à l’affaire. Curieux non ?
elle, qui a la langue si bien pendue, si acérée, pire qu’une vipère…
Mais la femme du meunier n’était pas là car elle était partie à pieds de très bonne
heure, avant le lever du soleil, pour aller, avait-elle dit la veille à son mari, à Jouy-
sous-Thelle voir sa sœur, la femme du sabotier, qui était soi-disant malade.
Epuisé par toute cette affaire peu banale mais aussi par les litres de mauvais vin
ingurgités avec ses voisins le gros meunier s’allongea à l’ombre du grand tilleul et
plongea immédiatement dans un sommeil de brute avinée, ses ronflements sonores
attestaient que plus rien aux alentours ne le concernait.
Et pourtant….si le gros meunier ne s’était pas abandonné dans une si longue et si
lourde sieste il aurait pu voir une ombre massive se faufiler furtivement vers la porte
ouverte du logis.
Mais il dormait si profondément qu’il ne vit rien…
Pendant ce temps, moi, dans mon cachot, à Chaumont, je me lamentais sur mon
triste sort, aucun bruit ne me parvenait, peut-être que les gendarmes moustachus
faisaient, eux-aussi, la sieste…
Soudain je fus sorti de ma sombre méditation par des cris, le Chef venait
certainement de rentrer de Beauvais et le branle-bas était sonné dans la caserne.
Pourvu, pensais-je que le moustachu gendarme qui m’avait si bien accueilli n’oublie
pas de dire au Chef qu’un prisonnier attendait au cachot !
Le silence retomba. Assurément j’allais être oublié dans ce lugubre cachot qui allait
devenir mon tombeau, dehors c’était encore le grand jour ensoleillé, mais dans mon
cachot c’était déjà la nuit qui tombait. Le jour, la nuit, je ne savais plus…
L’après-midi était déjà bien avancée lorsque la femme du gros meunier revint de chez
sa soeur, son pas était pesant car la route fut longue, harassée elle avait hâte de
rejoindre son logis. Parvenue au dernier tournant du mauvais chemin elle entendit les
ronflements, oubliant sa fatigue elle fonça sur le gros meunier lui piqua son énorme
panse du bout de son parapluie et vociféra tous les jurons qu’elle connaissait le
traitant de vaurien et de fainéant :
- As-tu donc, gros sac à vin, passé ta journée à boire et à dormir ?
Hébété, assis sur son séant, ses courtes jambes écartées, le gros meunier ne savait
plus où il était tant son réveil fut brutal.
Sa femme posa sur le banc son sac et son parapluie et se précipita à l’arrière du
moulin vers les cabinets placés à côté du poulailler et de l’enclos des bêtes ; soudain
elle hurla :
- Vaurien qu’as-tu fait ? Le cochon n’est plus là ! La porte de son parc est
ouverte ! L’as-tu vendu pour acheter ton vin ?
Ses cris stridents vrillaient les oreilles du gros meunier qui n’en pouvait plus ; il ne
comprenait plus rien ; le cochon, le cochon, ces mots s’enfonçaient dans son crane
comme des clous. Il fallait fuir cette furie déchaînée.
Il se leva péniblement et en titubant se dirigea vers sa chambre.
Tiens la porte est entr’ouverte, c’est curieux… il la poussa :
de ses deux petits yeux pétillants de malice le cochon le regardait fixement.
Le cochon n’avait donc pas été volé !
Pris de remords il se rendit du plus vite que le lui permettent ses courtes jambes
jusqu’à la gendarmerie pour déclarer que le cochon avait été retrouvé et que donc le
chemineau n’était pas un voleur.
Immédiatement le Chef de la gendarmerie me fit libérer, on me poussa dehors sans
un mot d’excuse…je n’eus pas le temps d’expliquer que j’étais venu pour « affaire me
concernant ».
File et que je ne te revois plus vociféra le moustachu.
La lourde porte claqua derrière moi, la nuit tombait.
J’allais jusqu’à la Foulerie et m’allongeait pour passer une nuit à la belle étoile sous le
grand platane.
Réveillé de bonne heure par les jacassements d’une famille de pie je m’étirais
paresseusement remettant à plus tard mon départ pour le domicile de ma vieille
mère.
Je partis par la grande route de Pontoise et là, soudain, dans le grand virage, une
grosse et belle voiture noire freina brutalement, un gros homme bien habillé en sortit
précipitamment et s’écria : « Ah ! te voilà enfin toi que je cherche depuis des jours !
J’avais même demandé aux gendarmes de te prévenir s’ils te rencontraient ».
Sur la route, j’ai rencontré le notaire de Chaumont qui avait effectivement une
« affaire me concernant » : l’héritage miraculeux, inespéré de mon vieil oncle
Alphonse partit il y a fort longtemps aux Amériques où il fit fortune.
Francis Lamarque
Sur la route, avec Claudia
C’était à La Goulette, près de Carthage, dans les allées du marché.
Marc, seize ans, avait une mission simple, rapporter une dizaine d’oranges et un
litre d’huile d’olive, des produits locaux. Il était en Tunisie depuis qu’il était tout petit
et s’y plaisait bien. A la fin des années cinquante, il se dirigeait très doucement vers
son bac et passait les vacances de Pâques dans une maison louée par ses parents,
près de la plage. La température y était plus agréable que dans le centre de Tunis,
mais il n’avait pas ses camarades autour de lui, seulement la mer, des livres et une
quinzaine de jours à occuper.
C'était le premier jour et il avait proposé à sa mère de "descendre au bourg"
pour le marché et surtout pour explorer les environs. La route, mal goudronnée, ne
procurait pas beaucoup d'ombre, avec seulement quelques eucalyptus de temps en
temps et des cactus dont il valait mieux ne pas trop s'approcher. Heureusement, il y
avait très peu de circulation et les nuages de poussière soulevés par les véhicules
étaient rares. Lorsque c'était une carriole qui passait, il fallait simplement faire
attention aux souvenirs laissés par les ânes ou les chevaux.
Arrivé près du port, Marc fit le tour du marché en plein air, tourna autour des
divers produits exposés, notamment une grande variété de poissons frais, de viande
avec quelques mouches dessus et de légumes colorés, puis se décida à faire ses
achats. Pour le principe, il marchanda un peu, car cela faisait partie du déroulement
normal de la transaction et il ne voulait pas priver les vendeurs de ce petit plaisir.
Environ trois kilomètres le séparaient de sa maison et il quitta bientôt le grand
village de pêcheurs pour se retrouver sur la route poussiéreuse avec un soleil déjà
bien chaud. Alors qu'il attaquait d'un pied ferme la montée de la côte, il vit une
silhouette féminine plaisante, les deux bras chargés d’un lourd couffin, ce panier
tressé largement utilisé, et il sembla à Marc qu’elle boitillait légèrement. Il accéléra
pour la rattraper et, ayant constaté après un bref coup d'œil qu'elle était charmante,
lui demanda :
-Puis-je vous aider, mademoiselle à porter vos sacs ?
-Vous en avez déjà un.
-J’y arriverai, et puis vous semblez avoir mal au pied.
-Oui, c’est un gravier dans ma chaussure.
Elle se débarrassa de son chargement, dégrafa ses sandales et, s’asseyant par
terre, se massa les pieds puis se redressa, se décidant à marcher pieds nus.
Pendant que Marc avançait, les bras tendus par le poids des achats du marché,
la jeune fille sautillait autour de lui, ce qui lui faisait tourner la tête, au sens propre et
au sens figuré, mais ne le découragea pas de reprendre la conversation avec ce genre
de banalité inévitable :
-Que faites vous, quand vous ne marchez pas en plein soleil ?
-Je vais en classe, au Lycée de Carthage, mais je m'y ennuie, je préfère la plage
ou aller au spectacle, et plus tard, j'aimerais faire du cinéma.
La réponse n'était pas, non plus, d'une grande originalité, mais lui permit de
faire état de ses succès scolaires (un peu enjolivés, bien sûr), des derniers films vus à
Tunis et des airs à la mode qu'il écoutait sur son électrophone "Teppaz".
Un peu essoufflé et manquant alors d'inspiration, Marc se félicita d'avoir évoqué
ce sujet: il écoutait ravi les chansonnettes de style italien que fredonnait sa compagne
de route, comme "Bambino" lancé par Dalida, dont certaines paroles le concernaient
un peu : "mais tu es trop jeune encore, pour jouer les amoureux…"
Lorsqu'ils passèrent devant la villa de la jeune fille, "La falaise rouge", Marc
pensa que la route n'avait pas été aussi longue qu'il l'aurait cru et lorsqu’ils se
séparèrent, sur une simple poignée de mains, car à l’époque on ne se faisait pas de
bisous continuellement, il demanda :
-Je pourrai vous revoir ?
-Oui, vous me reverrez sûrement, dit-elle en souriant, le laissant plein d'espoir.
Au cours du déjeuner, Marc se montra serviable de manière inhabituelle, se
levant deux fois pour débarrasser la table, laissant ses parents écouter la radio bien
que ce soit totalement inintéressant pour lui. Attendant la fin du repas avec une seule
idée en tête, il espérait avoir placé son père dans une attitude favorable, Lorsque
celui-ci alluma sa pipe et ouvrit le journal, il se décida :
-Tu sais, Papa, sur la route, j’ai rencontré une fille.
-Oui.
-Elle a un accent italien.
-Hmm
-Et elle s’ennuie pendant les vacances.
-Ah.
-Alors j’ai eu une idée.
-Très bien.
Marc prit son élan, et profitant de tous les accords implicites qu’il venait
d’obtenir, se lança dans une phrase plus longue, mûrie avec soin, et qu’il espérait être
décisive.
-Oui, je pourrais l’emmener à Tunis au cinéma, sur mon cyclomoteur.
-Non.
-Mais pourquoi ?
Son père se décida à fermer son journal, regarda Marc dans les yeux et se
lança dans une tirade énergique, commençant par rappeler qu’il n’avait pas été
d’accord sur l’achat de l’engin et s’était laissé fléchir par sa mère. Il continua en
rappelant qu’il n’y avait pas de siège à l’arrière et que c’était normal puisqu’il ne
pouvait pas prendre de passager et encore moins de passagère. Et si celle-ci avait un
accident, qui paierait les frais d’hôpital ? Il faut toujours envisager le pire, pour être
content de n’avoir que des petits malheurs.
Mais là où il fut franchement désagréable, c’est lorsqu’il ajouta :
-Ton porte-bagages ne peut porter qu’un paquet de nouilles, et j’espère que ton
italienne vaut mieux que çà.
Devant cette attaque « ad feminem », Marc comprit qu’il aurait tort d’avoir
toujours raison et partit dans sa chambre pour ruminer son mécontentement avec un
livre de Jules Verne. Peu de personnages féminins chez cet auteur, seule une veuve
hindoue sauvée du bûcher par Phileas Fogg lui donna une idée: il pourrait, lui, sauver
Claudia de la noyade à plusieurs conditions : qu'il la revoie, qu'elle accepte d'aller
nager avec lui, qu'elle aie besoin de secours, enfin, il fallait espérer.
Les jours suivants, il retourna au marché tous les matins et devint un
spécialiste des poissons dont les noms étaient écrits à la craie sur des panneaux
d’ardoise. L’après-midi, il allait à la plage en passant devant la maison de Claudia,
espérant la rencontrer pour lui proposer de l’accompagner. Il n’osait pas sonner à la
porte pour demander si elle était là et les jours passèrent rapidement, jusqu’à la
rentrée, pour aborder le dernier trimestre, avec les efforts nécessaires, avaient dit ses
parents.
Marc obtint son brevet et partit en France pour l’été, oubliant un peu Claudia,
avant de replonger dans ses études, qui ne le passionnaient pas, mais où il avait des
résultats convenables…Le samedi ou le dimanche, il allait en surprise-partie avec des
camarades garçons et filles de lycée. Et curieusement, lorsqu'il rencontrait quelqu'un
de Carthage, qui n'était pas très éloigné, il décrivait la silhouette vue plusieurs mois
avant, sans obtenir aucun renseignement. Bien sûr, les bonnes âmes ricanaient autour
de lui, disant qu'il avait rêvé de cette apparition, rencontrée sur une route un peu trop
ensoleillée. Et plus il protestait de sa bonne foi et de la réalité de sa brève rencontre,
plus les moqueries étaient nombreuses.
C’est pendant les vacances de Noël que sa « love story », très peu ébauchée, se
termina brutalement. Il était au cinéma pour voir « Le pigeon », un film italien qui
venait de sortir et se figea à la première apparition féminine.
C’était elle, c’était Claudia, c’était Claudia Cardinale avec qui il aurait pu sortir,
qu’il aurait pu faire tomber de son cyclomoteur. Son père avait eu raison, il valait
mieux laisser une telle beauté intacte, mais malheureusement sans lui.
Jean-Yves Bot
Rencontres
« Celui qui suit la foule n’ira jamais plus loin que la foule qu’il suit. Celui qui marche
seul peut parfois atteindre des lieux que personne n’a jamais atteints »
Albert Einstein
La route défilait devant moi. Les dernières virages passés et j’étais bientôt arrivée au
bord de la mer. Enfin je pouvais retrouver le sentier côtier que j’aimais tant, face à la
Manche. C’est un chemin qui longe le bord de mer sur la côte d’Albâtre. Vous le
connaissez peut-être ? C’est le sentier qui longe les falaises d’Etretat. C’est un endroit
qui pousse à l’évasion, à la réflexion. On est vite perdu dans ses pensées. La mer
m’aidait toujours à me poser. Son immensité m’aidait à réfléchir même par mauvais
temps comme ce jour-là.
Je montais les marches au sud de la station balnéaire. J’accédais au chemin le long du
parcours de golf. Emmitouflée dans mon écharpe et mon bonnet, j’étais dans mes
pensées. Je m’interrogeais sur ma vie. Etais-je vraiment épanouie dans cette
entreprise ? N’avais-je pas renié mes envies, mes rêves d’adolescente ? Je pensais
avoir fait le bon choix d’un équilibre famille-couple-travail. Du temps pour mes
enfants, pour mon couple et un travail intéressant. De quoi être heureuse et se dire
qu’on a réussi sa vie. Pourtant, j’avais le sentiment qu’il manquait quelque-chose,
qu’une partie de moi était comme une petite coquille vide, que la musique de ma vie
n’était pas si mélodieuse que ça.
Je l’ai aperçu de loin, petite tache rouge sur le vert de l’herbe. Je longeais le trou
numéro 10 du parcours de golf. J’étais juste au-dessus de la plage de Jambourg. Elle
se trouve après la chambre des demoiselles. J’aime cet endroit. Je ressens un vrai
sentiment de liberté. Je m’y arrêtais quelques minutes pour admirer le paysage. Je
regardais vers le large.
La petite tache rouge était en fait un blouson d’enfant. Au-dessus se trouvait un
bonnet bleu. De longs cheveux blonds sortaient de ce bonnet. Elle devait avoir une
dizaine d’années. Elle était assise face à la mer.
Je suis passée derrière elle. Je me demandais ce qu’elle faisait là, avec ce vent froid.
Seule. Des Clarks aux pieds, un pantalon en velours marron et des moufles tricotés
maison lui donnaient un petit air décalé dans le temps. J’hésitais à m’approcher. Le
vent soufflait. Elle devait avoir froid. J’avais un vrai réflexe de « maman » alors que
petite j’adorais aussi être seule. J’ai continué jusqu’au Petit Port. J’adore quand
j’atteins la Manne-porte. De cet endroit on peut y découvrir l’aiguille creuse côté sud.
Cette vue est celle opposée aux traditionnelles cartes postales ou photos rapportées
d’Etretat. On se sent privilégié pour quelques instants.
J’ai fait demi-tour. La petite fille était toujours là. Je me suis approchée. Je lui ai dit :
« la vue est belle de cet endroit ». Elle avait dans les mains « Belle et Sébastien », le
célèbre roman de Cécile Aubry. Elle s’est retournée, ses grands yeux marron me
regardaient, étonnés. Elle se demandait ce que je faisais là. Sur son territoire. Son
regard s’est de nouveau tourné vers la
Manche. Je ne savais pas quoi dire, ni faire. Elle s’est retournée à nouveau et m’a dit
« c’est ma couleur préférée ». « Laquelle est ta couleur préférée ? » l’ais-je
questionné. « Celle de la mer, c’est ma couleur préférée car ce n’est jamais la même
». Elle s’est levée, un sourire sur les lèvres, m’a tourné le dos et est partie vers La
Manne-porte.
Je suis restée là. Tel un piquet, en me demandant qui elle était. J’ai rebroussé chemin
et suis redescendue en passant devant le parc à huîtres. La chapelle Notre Dame de la
Garde me narguait du haut de la falaise. J’aimais y monter. M’assoir sur le banc qui
dominait la plage.
J’ai monté les 263 marches d’Amont (c’est un réflexe, il faut que je les compte à
chaque fois). Je pensais à cette petite fille. Elle avait l’air si sûr d’elle. Le souffle coupé
par le froid et l’effort, je me suis arrêtée quelques instants. « Mon » banc était déjà
occupé. Une jeune fille y était assise en tailleur. Plusieurs magazines d’ados étaient
dispersés à ses côtés. Son walkman collé aux oreilles et sa tête se balançant au
rythme de la musique. Quelque chose de perdu dans son regard, caché derrière ses
lunettes. Stan Smith bien usées aux pieds, elle portait une doudoune noire et ses
cheveux châtains étaient attachés en une jolie natte.
Je me suis approchée, et me suis assise à ses côtés. Le vent me fouettait le visage.
Elle est restait concentrée sur sa musique. Un cahier était posé sur le banc à côté
d’elle. Quelques lignes noircissaient les pages ouvertes. Une adolescente comme les
autres. Inutile de chercher à établir la communication. Elle avait surement assez
d’adultes autour d’elle qui cherchait à le faire.
Un son discret s’est fait entendre et je suis sortie de mes pensées. Un sms venait de
s’afficher « Où es-tu ? ». Mon mari s’inquiétait. Je ne voyais pas le temps passé sur
cette belle côte d’Albâtre. Je n’ai pas répondu et j’ai continué mon chemin jusqu’au
chaudron. C’est l’avancée de la falaise au nord d’Etretat. Elle se trouve en face du
parking du musée. Je suis allée au plus près du vide, me faisant presque peur alors
que je connais ce coin par cœur. Je n’arrivais pas à faire le vide comme
habituellement. Mes pensées s’égaraient.
En me retournant vers le Nord, je les ai aperçus. Ils étaient tous les deux au bord de
la falaise, serrés l’un contre l’autre. Ils devaient avoir une vingtaine d’années. On
aurait pu croire qu’ils hésitaient à se jeter dans le vide. Mais en fait, ils regardaient
ensemble vers l’horizon, ils regardaient dans la même direction. Leurs voix étaient
étouffées par le vent. J’entendais juste des éclats de rire. Ils étaient complices. Sans
hésitation. Et peut-être plus. Amoureux. Heureux. Libres. La vie était devant eux et
elle serait belle. Voilà que je me mettais à écrire leur histoire ! C’est une chose que
j’aime faire. Lorsque j’observe les gens à la terrasse d’un café. Je choisis un couple au
hasard et j’invente leur histoire. Sont-ils amis, mariés ou
amants ? Où vont-ils ? Sont-ils heureux ? Les amoureux de la falaise se sont serrés
l’un contre l’autre et m’ont tourné le dos.
Il me restait juste à faire demi-tour et à reprendre la route pour retrouver mon
quotidien. Cette ballade ne m’avait pas apporté beaucoup de réconfort. Mes pensées
étaient peut-être encore plus confuses. Je me suis dirigée vers ma voiture. Je suis
restée là. Il m’était impossible de démarrer. La pluie commençait à tomber sur le
pare-brise.
Sur la droite, à quelques centaines de mètres, un petit groupe arrivait. Je les
regardais se battre contre le vent pour avancer. Puis la pluie a cessé, le vent s’est
radouci. Et ils sont passés devant moi. Une femme tenant un enfant dans chaque
main. Belle, sereine. Ses cheveux gris dans le vent, ses joues rougies par le froid. Ils
avaient tous les trois le sourire aux lèvres. La petite fille sautillait en tenant
fermement la main de la femme. Le petit garçon regardait la mer. Leur lien m’est
apparu, évident. Une grand-mère, une mamie avec ses petits-enfants. J’entendais
leurs voix. Il chantait cette chanson pour enfants, celle qui passe de génération en
génération : « Il était un petit navire... ». Celle que j’avais apprise à mes enfants. Les
souvenirs remontaient, les balades avec mes petits amours en bord de mer.
Cette femme, c’était ce que j’allais devenir et cela me semblait une image rassurante
et belle. Et puis tout est devenu clair. Les larmes sont venues naturellement. Cette
petite fille aux cheveux blonds et au bonnet bleu, c’était moi. Cette adolescente aux
Stan Smith usées, c’était moi. Cette femme amoureuse au bord de la falaise, c’était
moi. Et la femme mariée et maman, c’était ce que j’étais aujourd’hui.
J’avais encore des années à vivre, des gens à aimer, des aventures à partager et des
découvertes à faire. Vite, ma voiture, prendre la route pour retrouver les gens que
j’aime. Profiter du temps qu’il me reste. Ne pas chercher l’impossible, ne pas exiger
plus de la vie. Continuer à désirer ce que j’ai encore et encore.
Isabelle Leroy-Turmel
Etonnante rencontre au retour de Londres
C'était un lundi soir de janvier, à bord du TGV qui nous ramenait à Paris.
Mon mari et moi avions profité de l'Eurostar qui "rapprochait" Londres de Paris pour
aller y passer un week-end prolongé et visiter, entre autres, ces musées gratuits où
l'on apprend, avec stupéfaction, que la Pierre de Rosette ne doit rien à Champollion,
conformément au chauvinisme insulaire...
Le train roulait à sa vitesse de croisière dans l’obscurité du Channel. La voiture était
moyennement occupée en ce jour de semaine où nous venions de visiter la New Tate
Galerie, récemment ouverte sur les bords de la Tamise dans un site d’usine du XIXe.
Visite intéressante suivie d’une promenade dans Hyde Park, un déjeuner à Covent
Garden transformé en centre commercial surpeuplé et, bien entendu juste avant de
repartir, notre éternel petit tour chez Harrod’s, tout près de notre hôtel préféré.
Alors que nous attaquions le plat principal du repas proposé « à la place » en
première classe :"On demande, en urgence, un médecin en voiture huit", clama
subitement le steward dans le micro. Nos deux regards amusés se croisèrent sans un
mot : "Un confrère va y aller" pensai-je. En effet, ophtalmologiste depuis trente ans,
je n'avais plus que des rapports très lointains avec les urgences de médecine
générale.
Personne ne se leva dans notre voiture, ni ne passa dans le couloir vers la voiture en
question.
A peine le dessert entamé, la voix reprit son appel. "Sur des centaines de personnes
dans le train, il y a bien un vrai médecin qui va bouger" dis-je à mon mari qui pâlissait
comme moi car la non assistance à personne en danger est toujours très mal vue,
sans parler du serment récité à haute voix devant l’effigie du grand Hippocrate lors de
ma soutenance de thèse de doctorat, ni de ma propre conscience professionnelle.
« C’est toi qui décides » me répondit-il. La crainte de ne savoir quoi faire devant une
urgence dont je n’avais pas l’habitude depuis longtemps me cloua à mon siège. Cela
s’était produit plusieurs fois et je m’étais trouvée, toujours, devant trois autres
médecins que j’avais estimés plus compétents que moi.
Au troisième appel, au moment où nous sortions du tunnel, poussée alors par un
irrésistible sursaut d’humanité et n’ayant vu passer personne vers cette maudite
voiture huit, je m'essuyai la bouche, d'ailleurs un peu sèche, et dis à mon époux : "A
tout à l'heure, on va voir ce que c'est" ; je me dirigeai promptement mais angoissée
vers la queue du train. En avançant dans les couloirs successifs, je me demandais
quoi faire, dans ce train, s’il s’agissait d’un malaise cardiaque ou si je n'allais pas
arriver pour dire "c'est trop tard, il n'y a plus rien à espérer".
Surprise !
Dès mon entrée dans la voiture concernée, je vis tout de suite le contrôleur debout,
son carnet à la main, à côté d'une dame jeune, en sueur, haletante, mi-allongée sur
son fauteuil, dégageant ainsi un abdomen qui ne laissait aucun doute sur l’origine de
la proéminence ! Je n’en croyais pas mes yeux ni bientôt mes ouïes lorsqu’elle
m’annonça qu’elle était quadri-pare, à terme et qu’elle venait de passer la journée à
Londres pour faire les soldes !!
L'interrogatoire m'apprit que :
-la parturiente avait pris le train, seule, de Bruxelles à Londres le matin même.
-elle avait fait ses courses tranquillement toute la journée dans Oxford Street,
profitant des soldes qui avaient motivé son déplacement et retournait chez elle
chargée de paquets énormes.
-Or elle était dans notre train Londres-Paris, et devait repartir pour Bruxelles dès son
arrivée à la gare du Nord, n'ayant pu avoir de billet dans le direct Londres-Bruxelles !
Pourquoi ne pas faire le tour de la planète à neuf mois de grossesse surtout de
quatrième grossesse ? Son mari avait préféré regarder un match de football à la
télévision, prévu depuis longtemps, mais viendrait l'attendre à la gare de Bruxelles.
Sur le plan médical, elle était multipare, avait eu trois accouchements normaux et
avait des contractions toutes les minutes. Quelle débile pensai-je. Et quelle tuile pour
moi !
Le contrôleur, manifestement très soulagé de voir sa responsabilité déchargée,
m'exposa les données techniques :
« Le train sort du tunnel sous la Manche, me dit-il, et compte tenu de sa vitesse, ne
peut déjà plus s'arrêter en gare de Calais-Fretin sans un freinage d'urgence qui
entraînerait des blessés légers, notamment au bar, bien fréquenté à cette heure.
L'aiguillage destiné à nous orienter vers Paris ou vers Lille, se rapproche à grande
vitesse et si vous choisissez de remonter vers le Nord, il faudrait le prendre au
"ralenti", à 160 km/h, en raison de la courbe qui suit.
Il est possible, mais pas souhaitable du tout, de s'arrêter en rase campagne, pour
transférer la patiente dans une ambulance convoquée au préalable; cela
désorganiserait l'horaire de notre train et des suivants, mais surtout, il faudrait faire
passer le brancard au dessus du grillage de protection des voies et ce ne serait pas
facile car il est très haut.
On peut également -wait and see, disent nos amis d'en face- continuer sur Paris ».
"Eh bien choisissez", dis-je un peu naïvement au contrôleur, étourdie par mes propres
problèmes techniques à venir.
"Ah non, Docteur, c'est vous, et vous seule qui décidez, je dirai ensuite au conducteur
ce que vous avez souhaité".
Quand je pense qu'il ne m'avait même pas demandé ma carte du Conseil de l'Ordre
pour vérifier, sinon mes capacités, du moins mon titre d’ailleurs très honorifique en ce
moment précis…
En effet, à part mes cas personnels, mon expérience des accouchements remontait à
une trentaine d'années et c'était toujours dans une salle éclairée convenablement
avec la présence rassurante des équipements et du personnel hospitaliers, lors de
mes remplacements de médecine générale avant de finir mes études d’ophtalmologie.
« In medium stat virtus » pensai-je : imprégnée, de longue date également de culture
latine, je choisis la voie moyenne et demandai de ralentir pour me préparer au pire :
l'accouchement dans le couloir.
"A quelle vitesse, Docteur ?"
"Cent cinq km/h, pas plus", lui répondis-je avec le plus grand sang-froid, et « tout en
se dirigeant vers Lille » ajoutai-je « Afin de remettre le tout : mère et enfant si
possible à une ambulance pour Bruxelles.
« Ça va lui coûter cher, au moins, à cette C.., pensai-je au fond de mon cœur.
Il me regarda en comprenant que je me moquais de lui, ce qui était bien vrai, mais il
retransmit fidèlement dans son interphone :
"Marcel, tu préviens le Central et tu roules à 105, c'est une urgence".
"Mais si c'est une urgence, je peux accélérer" répondit Marcel.
"Ne discute pas, c'est le Docteur qui l'a dit. Terminé" !
Le contrôleur s'empara du micro du train et annonça : "Mesdames et Messieurs, votre
attention s'il vous plait, l'état de la voie nous oblige à un léger ralentissement qui ne
devrait pas avoir de conséquences sur notre heure d'arrivée. Je vous remercie de
votre compréhension".
Heureusement, nous étions dans la dernière voiture du train et j'invitai donc ma
nouvelle patiente à se diriger vers l'arrière, après l’avoir longuement interrogée sur sa
grossesse, ses accouchements précédents et ses antécédents médicaux. Ceci fait,
nous demandâmes aux passagers de bien vouloir avancer, eux, en comblant les places
assises vides vers l’avant de la voiture. L’espace était ainsi un peu dégagé pour la
dame qui commençait à souffler très fort.
Je demandai alors au contrôleur s'il y avait un tensiomètre avec stéthoscope dans la
trousse de secours :
"Il n'y a pas de trousse de secours, Docteur".
"Bon, nous ferons comme à la campagne en 1900, et nous y sommes d'ailleurs : une
feuille de papier A4 roulée fera l’affaire et une ficelle fine pour le cordon », dis je, en
me prenant tout simplement pour notre grand Laennec.
Il tira une feuille de son large calepin et me trouva rapidement une ficelle.
En réalité, je n'en menais pas large, mais je me penchais sur le ventre entre les
contractions et essayais d’écouter le cœur de ce bambin qui ne demandait qu’à voir le
jour au plus vite. Tout semblait aller pour le mieux et après tout les chinoises
accouchaient bien dans leurs champs de la vallée de la rivière des perles, entre deux
piquages de riz ! Et le quatrième de la famille sortirait bien aussi facilement que ses
frères, pourvu qu’il n’ait pas le cordon autour du cou !
Il ne restait plus qu'à prendre les mesures d'urgence. Je demandai à la dame de
s'étendre dans le couloir sur un manteau neuf, et présumé propre, qu'elle venait
d'acheter quelques heures auparavant et sans me soucier s’il avait été fabriqué entre
les rizières du Yangtze ou dans les faubourgs de Pékin. Je nettoyai mes mains et la
région intéressée avec la solution sans alcool que j'emporte toujours, et je passai
aussi mes ciseaux à ongles à cette solution soi-disant désinfectante. Je demandai au
contrôleur de s'assurer que personne ne viendrait voir ce qui se passait, sauf si
j'appelais à l'aide. De toute façon, dans la voiture, tout le monde avait compris et les
gens préféraient plonger les yeux vers leurs journaux.
La patiente en position, je constatais que la dilation était quasi complète.
Ses gémissements devinrent de plus en plus saccadés, elle avait manifestement bien
retenu les leçons de l'accouchement sans douleur. Je passe rapidement sur les détails
techniques que vous connaissez tous, car au bout d'un petit quart d'heure où la
dilatation était parfaite, le chenapan voyant que sa mère se retenait plutôt que de
pousser, avait pris les choses en main : une tête chevelue noire apparut il me suffit de
tourner doucement sa tête pour aider l’épaule à passer et un petit braillard se fit
entendre, sans même une tape sur les fesses. Je coupai le cordon avec les ciseaux
préparés pour cela, le serrai au mieux avec la ficelle non stérilisée et enveloppai le
bébé dans un des nombreux vêtements que la mère venait d'acheter pour lui dans le
rayon maternité d’Harrod’s et à l’incontournable « Scotch House ».
C'est une belle fille, déclarai-je à haute voix.
Après une seconde de silence, les applaudissements éclatèrent, qui me délivrèrent du
stress que je venais de subir. Je posais le bébé sur le ventre de sa mère en attendant
la « délivrance » et je lui dis : « bonne chance petite bonne femme, je suis ravie de
t’avoir rencontrée sur mon chemin !
Le contrôleur reprit son interphone :
"Marcel, tu appelles le Central, et tu reprends la vitesse normale, mais avant dis moi
où nous sommes"
"Pourquoi ?"
"Pour savoir dans quelle commune déclarer la petite Micheline !"
C’est tout de même mieux que TGV comme prénom, non ? dit il en me regardant
d’un air narquois !
Marie-José Bot-Escluse
Un jour de printemps
Le jour vient de se lever et Nargeth se dirige vers l’Ouest rejoindre Migeth, juste
après le village des hommes. Nargeth adore ces matins brumeux où il peut jouer avec
le brouillard. La nature se réveille doucement en même temps que le printemps
s’installe avec exubérance et à ce moment de la journée, il ne rencontrera personne.
Tout en restant sur ses gardes, Nargeth sort de la brume et se dirige vers le chemin
que tracent les humains sur le sol pour les mener d’un endroit à un autre, ne voulant
pas traverser le village des hommes, Nargeth survole les champs de jeunes pousses
de blé et d’orge. Un peu avant le chemin se trouve un bosquet de quelques arbres, le
bosquet des contrebandiers comme tout le monde le nomme, où parfois il venait
retrouver ses amis pour jouer ensemble quand il était plus jeune et quelques fois
Migeth pour se voir en cachette. Aujourd’hui l’heure n’est pas aux jeux ni à autre
chose, le message qu’il avait reçu ce matin de Migeth ne l’entrevoyait guère. Il se
presse. Après le bosquet il suivra le chemin des hommes en prenant à gauche menant
à leur village et ensuite, bien avant de rentrer dans le village, il prendra légèrement à
droite pour rejoindre le bois du druide où vit Migeth. A peine arrive t-il au bosquet que
surgit Gorth accompagné de Kardoth et Harith deux hurluberlus à la solde de Gorth.
Gorth le saisit et l’entraine jusqu’au sol en le maintenant fermement.
En ce matin de dimanche printanier, Patrick revient chez lui par la route qui passe
par le haut du village. Il prend son temps à contempler le paysage. Cette route à
l’avantage de dominer un large panorama sur une partie des plaines du canton avec
des paysages d’une beauté incomparable ; pour une campagne Picarde. Aujourd’hui
Patrick a de la chance, la vallée est inondée d’une épaisse et belle brume matinale lui
conférant cette atmosphère si particulière des mangas animés, ne laissant paraître
que quelques cimes d’arbres et que quelques faites de toitures d’où s’échappent de
certaine cheminée, des volutes de fumée. Cauvilloy, son village, est en partie
submergé par cette brume épaisse le scindant par son milieu ; ceux du bas et ceux du
haut. Cette particularité météorologique éphémère qui n’a lieu généralement qu’au
printemps et en automne, joue sur le caractère des gens ainsi que sur la vie politique
en ayant un impact évident sur leur manière de vivre. Droite et gauche, haut et bas,
le nord et le sud. Dans le village il y a les gens d’en haut et les gens d’en bas et au
milieu se situaient les indécis, ceux qui ne savent pas trop où se mettre et surtout
quelques uns qui s’en contrebalancent royalement. Une sorte de no man’s land. Tandis
que les gens se trouvant de chaque côté, en haut ou en bas, n’avaient guère le choix
de se trouver dans le camp où ils se situaient, ceux du milieu font ce qu’ils veulent,
tirant souvent à leurs avantages les intérêts du parti qui leur convenait. Le village est
aussi coupé en son milieu par une route qui descend, ou qui monte, tout dépend de
quel côté on arrive, découpant encore un peu plus la géographie diplomatique des
habitants, mais là ça commence à être un peu compliqué. Patrick ne prête guère
d’attention ni d’intérêt pour ce genre de conflit, en vivant à l’écart dans le haut du
village.
Patrick, un homme bourru avec un cœur gros comme ça.
Ce matin de printemps là, Patrick roule doucement à contempler le paysage, perdu
dans ses pensées et aperçoit dans un champ non loin de la route, trois corbeaux
regroupés autours d’un petit animal qui, à première vu, ne se laisse pas faire étant
donné les ruades qu’effectuent les trois volatiles. Patrick s’arrête un instant pour
regarder le manège du trio et s’aperçoit qu’en fait de petit animal, il s’agit d’un
quatrième corbeau qui, apparemment prend une sacrée dérouillée. Intrigué par ce
manège, Patrick descend de sa voiture, une super cinq qui à une époque devait être
blanche ou quelque chose comme ça et à laquelle il a ôté les sièges arrière pour
pouvoir fourrer tout un tas de trucs, et s’approche du quatuor pour voir ce qui se
trame de plus près. Un corbeau du trio tient fermement d’une patte un autre corbeau
sur le dos, et avec son autre patte en appui sur l’arrière tout en écartant les ailes pour
se maintenir en équilibre pour pouvoir mettre des coups de bec cinglants sur le
corbeau dominé. Les deux autres corbeaux regardent en croassant à chaque coup de
bec. Le corbeau agressé ne se laisse pas faire pour autant en ripostant du mieux qu’il
peut, étant donné la situation, c’était voué à l’échec et ce n’est qu’une question de
minutes avant que les trois autres ne lui fassent la peau. Patrick se précipite sur le
quatuor en dispersant le trio. Patrick n’aime pas du tout ce genre de conflit même
entre humains, surtout entre humains, et c’est pour ça qu’il ne prend jamais part au
débat quel qui soit. Déjà au collège il évitait les bagarres et malgré son âge, Patrick
était déjà taillé comme une armoire à glace et à chaque récré, il y avait presque
toujours un imbécile pour lui chercher des noises et le provoquer, ce genre d’imbécile
qui se prend pour le coq de la basse cour, qui veut et qui tient à rester le dominant sur
son territoire. Il y eu beaucoup de prétendant au trône et tous se sont retrouvés à
l’infirmerie, pour les plus chanceux. Patrick n’était pas un meneur d’hommes et ne
l’est toujours pas. Durant ses années de collège, les pions n’ont jamais puni Patrick,
parce qu’ils savaient que tant qu’il serait là, jamais il n’y aurait de débordement dans
le collège et le collège n’a jamais été aussi tranquille pendant ces quatre années ou
Patrick a étudié. Patrick ne supportait pas l’intolérance surtout quand un gosse se
faisait maltraiter par trois ou quatre autres gamins, il se sentait obligé d’intervenir,
même lors de son année de 6ème, il lui est arrivé à mainte reprise de venir en aide à
des gamins plus âgés que lui et de dérouiller les autres, certains même ce trouvant en
3ème. Voyant le corbeau dans cette situation, lui rappelle quelques mauvais souvenirs
de son enfance quand il fallait jouer des poings, et même après d’ailleurs. Patrick se
précipite sur les oiseaux en poussant de grands cris et en faisant de grands moulinets
avec ses bras. Les trois corbeaux reculent en sautillant, stupéfaits de voir surgir un
humain les empêchant de finir leur tache. Malgré tout le corbeau dominant, même s’il
a lâché sa victime, certainement surpris qu’un humain vienne en aide à un corbeau,
n’a pas l’intention de capituler si facilement et se rue sur Patrick accompagné de ses
deux disciples, avec la ferme intention de faire fuir l’humain et récupérer sa victime.
Patrick vit à la campagne depuis qu’il est né. Il est né dans ce bout de Picardie à
Cauvilloy dans l’Oise, dans son village qu’il n’a jamais quitté. Il en connait chaque
recoin, chaque caillou, chaque point d’eau et en connait un peu sur ceux qui y vivent
et sur les animaux de cette région, dont les corbeaux. Animaux intelligents et aussi de
mauvais augure, Patrick aime particulièrement les contes et légendes qui tournent
autours de ce volatile. Le corbeau à été messager dans certaines mythologies
nordiques en étant l’emblème de Ragnar Lodbrok ou cette allégorie qui veut que
pendant l’hiver, quand plusieurs corbeaux se réunissent et forment un cercle, cela
veut dire qu’il va neiger, ou quand un corbeau se pose sur le toit d’une maison un
certain temps en n’arrêtant pas de croasser, quelqu’un va trouver la mort dans cette
maison. Qu’il est capable de faire la pluie et le beau temps en présageant un temps
chaud s’il fait face à un soleil voilé, tandis que s’il se lisse le plumage, la pluie
arrivera ; conte de grand-mère ? Rien n’est moins sûr et beaucoup de petit vieux
continuent d’interpréter la nature de cette façon. Il sait que les corbeaux sont
intelligents et aussi des bestioles malfaisantes auprès des hommes et aux dires de
certaine personne promptes à raconter n’importe quelles facéties, pour reporter leur
malheur en dénonçant un coupable sur quelque chose ou quelqu’un. C’est d’autant
plus facile sur un animal de mauvais augure tel que le corbeau. C’est peut-être pour
cette raison que les corbeaux ont développé une forme d’intelligence, à force de s’en
prendre plein la gueule depuis des siècles.
Patrick kidnappe le corbeau en mauvaise posture en essayant d’éviter les coups de
bec des trois assaillants, surtout en se protégeant les yeux, cible privilégiée des trois
compères –et de tout bon corbeau qui se respecte– en ce précipitant vers sa voiture le
dos courbé pour protéger au mieux la victime des trois volatiles. Le tout en donnant
des baffes à l’aveuglette en essayant de repousser tant bien que mal le trio, abusé de
voir leur cible prendre la poudre d’escampette de cette manière. Patrick n’est pas
chasseur, malgré tout il a toujours une carabine avec lui, dans sa voiture ou à porté
de mains, au cas ou…Patrick ouvre la portière côté conducteur et plonge sa main
derrière les sièges avant de sa vieille super cinq pour mettre en joue les trois
corbeaux de son fusil. Il n’a pas besoin de tirer, à la vue du fusil le trio cesse toute
agression envers l’homme et leur proie, parce qu’ils sont suffisamment intelligents
pour savoir à quoi ils ont à faire. Les trois compères restent un petit moment aux
abords de la voiture en espérant que l’homme baisse sa garde, puis s’en vont. Avant
de partir, le meneur s’approche de Patrick et vient croasser son mécontentement
presque à toucher le canon du fusil, comme un ultime défi. Patrick pousse un soupir
de soulagement en regardant les trois corbeaux s’envoler faisant des cercles en
croassant dans l’espoir, peut-être, de pouvoir récupérer leur victime. Ils s’éloignent au
bout d’un instant et Patrick reprend la route.
Patrick dépose le corbeau sur la table de sa cuisine, et cherche où il a bien pu
ranger le panier du chat, panier qui n’a servi que quelques rares fois quand le chat été
petit. Maintenant le chat est vieux et il est plus souvent couché sur le canapé avec le
chien, vieux aussi. Tous les deux sont chacun à une extrémité et il n’est pas
exceptionnel de les voir tous les deux, l’un contre l’autre certains soirs d’hiver pour ce
tenir chaud. Patrick retrouve le panier remisé dans un coin du sellier sous plusieurs
trucs et d’autres choses dont il ne se serre plus, se disant pour la énième fois, qu’il
faudrait bien qu’il fasse du tri dans tout ce bordel. Il dépose au fond du panier un
torchon, après avoir préalablement tapé le panier sur sa cuisse pour faire tomber la
poussière, pour que ce soit plus confortable et commence par ausculter la bestiole qui
a sacrément morflé ; plusieurs plaies, peu profondes et quelques plumes manquantes
sur plusieurs parties du corps. Patrick nettoie les plaies à la Bétadine ainsi que la peau
à vif où manquent les plumes. Le corbeau ne dit rien et se laisse faire, sauf quand
Patrick lui fait mal en le manipulant, alors il manifeste sa douleur en becquetant les
doigts de Patrick sans brutalité. Patrick lui déploie les ailes pour examiner si elles ne
sont pas abimées ou pire brisées, puis il fait la même chose avec les pattes, vérifiant
–tout du moins il essaie– si tout est en état de marche. Le chat et le chien, qui ont vu
le remue ménage, ont observé de loin, enfin pas si loin que ça, du canapé. Quand
Patrick eut fini, les deux compères viennent voir de plus près de quoi il en retourne.
Le chien passe sous la table et pousse une chaise pour qu’il puisse avoir le loisir de
monter dessus et s’approcher au plus près de cette drôle de bestiole que, lui et le
chat, ont l’habitude de voir de loin et souvent, d’essayé d’attraper. Avant que le chien
ne monte sur la chaise, le chat profite de se rehausseur improvisé pour grimper sur la
table et venir lui aussi au plus près de se curieux volatile. Le chien monte à son tour
sur la chaise pour s’assoir, preuve qu’il n’est pas encore trop vieux, en avachissant sa
tête sur la table plutôt qu’il ne la pose afin de pouvoir renifler et observer la bestiole
se trouvant à quelques centimètres de son museau. Le corbeau, trop faible pour se
défendre, se laisse renifler, inspecter, examiner par ces deux animaux à quatre pattes
qu’il a l’habitude de voir de loin et souvent de haut, et parfois, qu’il snobe dans
différents jardins. Après avoir fait leur propre examen sur la bestiole qui trône dans le
panier du chat et au milieu de la table de la cuisine, le chat se tourne en se caressant
sur la tête du chien qui lui administre deux grands coups de langue et tous les deux
s’en retournent sur le canapé pour une nouvelle sieste. Patrick qui connait son chien
et son chat, regarde le manège des deux compères et à la manière dont ils ont réagi,
sait qu’il ne retrouvera pas un tas de plume dans le panier si il doit s’absenter cinq
minutes, peut-être même que ces deux compères le surveilleront pendant qu’il est
ailleurs dans la maison.
- Tu aurais pu remettre la chaise à sa place ! » dit-il quand le chien passe à sa
hauteur.
Le chien marche tranquillement vers le canapé avec la langue qui pendouille sur le
coin de sa gueule, marquant un temps d’arrête au niveau de Patrick, lève la tête,
rentre sa langue dans son logis et redresse légèrement les oreilles avec un air de dire
« T’as qu’à le faire toi-même » ou « Tu m’as bien regardé » ou encore « De quoi ! y a
quelque chose à manger ? ».
Il est curieux comme tout le monde confère des propriétés intellectuelles à leurs
animaux de compagnie et qu’ils sont capables de comprendre le langage des hommes,
parce que comme chacun sait, « ils ne leurs manquent plus que la parole ».
Pour le moment il ne sait pas si la bestiole passera la journée et encore moins la nuit
suivante. Il se dit qu’il a fait ce qu’il a pu et verra comment se déroulera le
rétablissement du volatile en agissant en fonction. Á première vue le corbeau est
jeune et il est possible qu’il se remette rapidement de ses blessures.
Patrick est satisfait de sa journée en ayant fait une bonne action en sauvant ce
jeune corbeau. En attendant le bon rétablissement du corbeau, ou le trépas, Patrick
vaque à ses occupations dominicales. Derrière chez lui, dans une parcelle jouxtant sa
maison, se trouve son jardin avec lequel il pourrait nourrir une bonne partie du
village, ou du moins ses voisins les plus proches. Il fait encore attention à ce qu’il
sème et plante parce que les saints de glace ne sont pas encore passés. Il en profite
pour préparer la terre afin d’accueillir les futurs semis qui lui garantiront de
merveilleuses récoltes. Au alentour de treize heures il retourne chez lui pour se
préparer à manger et venir aux nouvelles de son petit protégé. Pour l’instant le
volatile dort d’un profond sommeil parce qu’il n’a pas ouvert l’œil quand il s’est
approché. Dans l’après-midi, après la sieste, Patrick rend visite à Brigitte, comme
presque tous les dimanche après-midi, ainsi que certains jours de la semaine. Chez
elle il est sûr de trouver un bon café, un morceau de gâteau, une personne à qui
parler et réciproquement, peut-être plus si elle est disposé. Parfois c’est Brigitte qui se
rend chez lui pour faire un brin de ménage, la causette et plus, s’il est disposé. Tout
deux vivent une relation étrange qui suscite bien des commérages et des ont dit dans
tout le village ainsi qu’aux alentours. Ça fait plus de vingt ans qu’ils ont cette relation
et aucun des deux ne s’en plaint, sauf le reste du village. Brigitte a perdu son mari
Frédérique à presque trente ans, sans avoir eu la chance de pouponner et maintenant
que la cinquantaine approche rapidement, Brigitte ne veut plus d’une relation stable,
quoique celle avec Patrick l’est suffisamment comme ça, et ce qu’elle vit avec Patrick
lui convient parfaitement et réciproquement. Patrick, quand à lui, est un vieux garçon
comme les vieux du village disent et ils disent beaucoup de chose les vieux du village.
Il n’a jamais eu l’occasion de fréquenter de jeune fille dans sa jeunesse ni après le
service militaire. La vie, le travail à fait qu’il n’a jamais réussi à se poser avec une
femme. Patrick a eu des relations avec plusieurs d’entres elles et aucune n’a réussi à
le satisfaire au point de vouloir qu’elle s’installe avec lui. Á la mort du mari de Brigitte,
Patrick a été le seul à venir la réconforter sans arrière pensée. Á peine le mari de
Brigitte enterré, que des prétendants venaient sonner à sa porte et Patrick était là,
faisant barrage pour que Brigitte puisse faire son deuil. Tous les deux ont su se
trouver et même dans un avenir plus ou moins proche, cette situation n’est pas prête
de changer.
Nargeth se réveille en sursaut, croyant sentir Migeth près de lui. Au beau jour elle
a l’habitude de se frotter dans les branches de lavande, surtout s’ils sont en fleurs,
afin de sentir bon toute la journée. Nargeth s’aperçois qu’il s’agit de son couchage
improvisé qui sent la lavande. Son esprit est embrumé par la dérouillée qu’il a pris par
ces traitres et il ne sait pas trop où il se trouve. En ouvrant les yeux, il se souvient
qu’il est dans l’habitat d’un homme et que deux animaux de compagnie des hommes
vivent avec lui. Il sait aussi qu’il n’a rien à craindre d’eux, parce qu’il y a longtemps
qu’il aurait servi de repas, au moins pour le chat. Nargeth arrive à bouger,
difficilement. Après plusieurs tentative il réussi à se mettre sur le ventre et quelques
instant plus tard, à se dresser sur ses pattes, toutes flageolantes. Nargeth à soif, et
faim aussi, se demandant depuis combien de temps il se trouve dans cette couche. En
observant autour de lui, il tombe presque nez à nez avec la truffe du chien, qu’il
n’avait pas vu. Nargeth manque de verser. Le chien émet une complainte propre aux
chiens, une sorte de pleur attendrissant, qui attire l’homme près du chien.
- Ah ça y est, t’es enfin sur pattes, tu dois commencer à avoir faim. »
L’homme s’approche de Nargeth avec une seringue remplie d’eau. Posant une main
délicatement sur le dos du corbeau, il place son index et son pouce de chaque côté du
bec du jeune corbeau pour l’obliger à l’entrouvrir. Nargeth n’a pas la force de se
débattre et se laisse faire, pas très rassuré de se faire manipuler de la sorte. L’homme
dépose sur le bord du bec, le bout de la seringue et déverse doucement le liquide
dans le bec. Au contact de l’eau dans son gosier, il essaie d’avaler la seringue.
- Doucement l’ami, ne va pas t’étouffer ! »
Cette sensation agréable de l’eau coulant dans son gosier et hydratant son corps,
stimule Nargeth déployant ses ailes, difficilement, montrant ainsi à toute l’assistance,
sa satisfaction. Après avoir bu tout le contenu de la seringue, l’homme revient vers le
jeune corbeau avec un bol et une pince dont le contenu laisse suggérer à Nargeth un
repas frugal. Avec la pince l’homme présente au jeune corbeau un petit escargot, qu’il
s’empresse d’avaler puis un deuxième et un troisième. L’homme pose devant le jeune
volatile le bol contenant des croquettes du chat et du chien, une pomme de terre
coupée en dès et le reste d’une boite de pâtée pour chat. Le jeune volatile plonge son
bec dans le bol avec la ferme intention de tout dévorer et avant de commencer sa
collation il regarde tour à tour l’homme, le chien et le chat perché sur une commode
regardant la scène de loin, et revient sur l’homme. Patrick reste consterné, croyant
percevoir dans le comportement du jeune corbeau comme une révérence. Le chien
parait satisfait et descend de son siège pour se diriger vers le canapé, suivi de près
par le chat. Le corbeau reste à fixer l’homme encore un instant puis engloutit tout le
contenu du bol. Patrick reste perplexe sur qu’il a cru voir en ce jeune corbeau et après
un instant à se poser des questions, retourne vaquer à ses occupations.
Après plusieurs jours de rééducation que l’homme prodiguait au volatile, le jeune
corbeau est de nouveau capable de voler. Pour le moment il ne s’agit simplement que
de tourner autour de la table où d’aller jusqu’au canapé rejoindre ses deux compères
à quatre pattes et parfois de se poser sur le bord de la fenêtre ouverte pour prendre
le soleil. Quand il se sent assez fort, le jeune corbeau vole jusqu’au jardin pour se
restaurer, à la plus grande joie de Patrick qui sait que le volatile le débarrasse d’une
partie de la vermine. Nargeth ne se contente plus de voler dans la maison,
maintenant il est capable de voler à l’extérieur, autour de la maison et de plus en plus
loin. Patrick sait que se n’est plus qu’une question de temps avant que le jeune
corbeau ne parte rejoindre les siens. Il aurait pu garder le volatile en cage pour qu’il
lui serve d’animal de compagnie, lui apprendre des tours ou même lui apprendre à
parler. Ce n’est pas dans ça nature, Patrick préfère voir évoluer les animaux en liberté,
là où ils ont leur place. Il a assez à faire avec son vieux chien et son vieux chat qui ne
quittent que très rarement le canapé, que pour aller à la gamelle ou se prélasser
dehors au soleil. Et puis c’est arrivé, un jour qu’il revient de chez Brigitte, le corbeau
n’est plus là. Il s’en est allé, parti rejoindre les siens. Patrick est conscient, même si le
départ du jeune corbeau lui fait un pincement au cœur, qu’il a sauvé le volatile par
simple compassion. Il a fait ce qu’il fallait.
Á la fin du printemps, Patrick jardine dans son potager et voit arriver un corbeau
dans le pommier qui trône dans le coin du jardin, puis un deuxième et un troisième et
d’autre encore. Le chien et le chat sont sortis à leurs tours de la maison pour voir le
manège. Un corbeau passe près de lui et il est pratiquement certain qu’il sent la
lavande. Un de ces volatiles s’approche de Patrick et reste à quelques métres de lui à
le contempler. Après un moment d’observation Nargeth saute sur l’épaule de l’homme,
un peu surpris. Patrick reconnait le jeune volatile.
- Et ben t’es revenu me voir ? »
Pour toute réponse Nargeth bécote de son bec, les lèvres de l’homme et tous les
corbeaux aux alentours croassent d’enthousiasme.
Patrick ne saura jamais à quel point son geste a pu changer le cours des
événements et encore moins la destinée de toute la communauté des corbeaux, en
sauvant ce jeune volatile un matin de début de printemps. Ni quelle considération
auront tous ces corbeaux à son égard. Mais ça c’est une autre histoire.
Yanick Dubourg
SUR LA ROUTE, J'AI RENCONTRE LA BANQUEROUTE!
Je m'appelle Carine, j'ai 42 ans et je dois dire que j'ai une certaine expérience de la
vie. A moi, tout a réussi quand j'étais jeune, et on peut meme dire familièrement que
je suis née avec une petite cuillère en argent dans la bouche, née de parents
modestes, mais courageux qui ne doivent leur réussite qu'a leur travail acharnée.
Fille unique, je n'ai jamais connu la jalousie et la rivalité dont m'ont trop souvent parle
tant des camarades de classe que des collègues de travail.
Pour moi tout était acquis!Pour moi, mes proches se saigneraient aux quatre veines,
toujours prêts à couvrir mes erreurs.
C'est en 1998 qu'un jour tout a changé, du jour au lendemain.Après 5 ans de bons et
loyaux services dans une société d'édition, on m'a dit que les temps avaient changé,
qu'avec la mondialisation les exigences en matière de diplômes et de compétences
seraient chaque fois plus élevés, et j'ai été remerciée, comme si rien n'avait
existé.Pour moi, la route de ma vie professionnelle s'arrêtait la, j'estimais a 31 ans
que plus rien à attendre du travail.
Mais enfin!mes proches me devaient tout!avaient clamé à cor et a cris à quel point
j'etais le plus gros potentiel de la famille!la....Pour reprendre le flambeau!
Mais à part me trouver des postes de secrétaire ou d'enseignante vacataire, pour
lesquels ils auraient soit disant fait des pieds et des mains pour moi, voila!Je leur en
voulais enormément! J’avais l'impression qu'on me condamnais à une vie
morose...Puis evidemment, plus question de voyage à travers l'europe!C'était fini.
Depuis cette date fatidique, les années se suivent et se ressemblent, et je vais de plus
en plus près du mur...L'argent qu'il y avait dans la famille semble avoir fondu et tout
le monde a vieilli...
Le seul statut que j'ai trouvé pour exister?Malade.En permanence.Une cousine qui se
moquait gentiment de moi m'a dit qu'ils devraient inscrire ce statut tout spécialement
pour moi dans les textes de loi de la sécurité sociale, on me reproche de manquer...De
motivations!
Mais non! je voulais simplement retrouver le chemin tout tracé d'avant!avant, quand
c'etait le grand-père qui prenait toutes les décisions, qui...Les tracait, nos routes!
La, j'ai l'impression au mieux d'arriver dans une impasse, au pire...De me perdre
complètement.
Le conseiller d'insertion me reproche mon manque de réels objectifs.
Je me suis meme entendue dire que je n'avais rien envie de faire réellement et que
j'avais toujours profité de la situation.Ce n'est pas faux et je le sais...Autostoppeuse
qui trouvait toujours l’occasion idéale.
J'ai découvert cette chanson de De Palmas (ndlr), qui parle...De sa route, des
journées entières...Avant, ma vie c'etait ca...A aller de ci de la, un représentant par ci
un client par la… La, je suis la, des journées entières, à ressasser...Les memes
endroits, les memes trajets et surtout les memes histoires.j'en veux à la terre entière,
je reproche au premier venu de me laisser au bord de la route, de ne pas me
comprendre.
Je voulais qu'on me donne tout sans chercher je pense, et je ne me sens pas apte à le
faire.. Pour parfaire le tout, tout était fait pour que financièrement je ne sois jamais
dans le besoin, que j’ai meme de trop au point meme...D'en glaner aux frontières.Une
vie par endroit.C'est ma philosophie. C'est peut-etre cela qu'on me fait payer, mon
coté glaneuse de grands chemins! Aujourd'hui, ma vie se limite à 20 mètres carrez,
dans la ville ou j'ai passé une partie de mon enfance, avant de partir en pension.
Traverser la route est justement devenu une épreuve insurmontable!Comme si sur
mon front on pouvait lire "Fille perdue, vie ratée »! Comment font les gens...Comment
font tous ces gens qui se retrouvent dans des impasses bien plus difficiles à gérer, qui
continuent leur petite vie comme s'il ne s'était jamais rien passé!
On pense que je ne suis en fait pas courageuse, alors que personne ne mesure le
courage qu'il faut pour supporter ma situation d'assistée complète dans laquelle je
semble me complaire,puisqu'on le dit! Puis je me laisse distraire trop facilement.Ce
qui en plus m'a valu un retrait de permis et la saisie de mon véhicule.C'était tout ce
qu'il me restait pour m'évader, aller faire les boutiques, regarder les vitrines!Et meme
faire croire un temps que je travaillais toujours.Je voulais prouver que je traçais ma
route, meme si revenue dans le coin.
Oui mais voila!J'ai eu du mal a franchir la porte de l'ANPE...Chez moi, c'était perçu
comme un deshonneur impardonnable à l'époque.Et longtemps je suis restée…Bornée.
Quitte à rester sans plus aucune ressource.C'est une tante qui m'avait faite entendre
raison. J'avais fini par céder, mais très vite on s'évertuait à me retrouver du travail par
le biais de machine et de truc qu'on connaissait bien.
La situation qui s'est sue très vite avait aussi fini par en énerver, et qui ne se gênaient
pas pour me le faire savoir plus ou moins ouvertement.
A l'heure d'aujourd'hui je suis au milieu d'un carrefour sans panneau, a part un
"toutes directions »…. Marie-Pierre Amiot