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É. Bonnefoy-Cudraz (), Hospices civils de Lyon – Hôpital Louis-Pradel, 28, avenue du Doyen-Lepine, 69677 Bron Cedex. D. Collin-Chavagnac, Hospices civils de Lyon – Centre hospitalier Lyon-Sud, Laboratoire de biochimie et biologie moléculaire Sud, 165, chemin du Grand-Revoyet 69495 Pierre- Bénite Cedex 15 Introduction Les maladies cardiovasculaires constituent l’une des premières causes de mortalité dans l’Union européenne et les pays dévelop- pés et représentent un motif majeur de consultation dans les ser- vices d’urgences. La troponine fait partie intégrante du diagnostic d’infarctus du myocarde (IDM). Bien que les nouvelles généra- tions de réactifs de troponines dites « ultra/hyper-sensibles » amé- liorent considérablement la qualité analytique des dosages, il reste séduisant de pouvoir exclure l’IDM dès les premières heures de la douleur thoracique avec une approche multi-marqueurs. Dans cet esprit, la voie du stress endogène représentée par le dosage de la copeptine représente une voie physiopathologique complémentaire particulièrement intéressante. Historique, origine du biomarqueur L’intérêt du système vasopressine dans l’IDM a été montré par l’équipe de Donald en 1994 [1]. Les auteurs ont mis en évidence, chez des patients ayant un IDM, des taux significativement élevés de vasopressine. La vasopressine est une hormone peptidique appe- lée également ADH (anti diurétique hormone) ou arginine vaso- pressine. Le dosage de vasopressine est un défi. Plus de 90 % de la vasopressine de la circulation sanguine sont liés aux plaquettes et elle est rapidement éliminée de la circulation sanguine avec une La copeptine É. BONNEFOY-CUDRAZ, D. COLLIN-CHAVAGNAC Sous la direction de Y.-É. Claessens et P. Ray, Les biomarqueurs en médecine d’urgence ISBN : 978-2-8178-0296-1, © Springer-Verlag France, Paris 2012

[Références en médecine d’urgence. Collection de la SFMU] Les biomarqueurs en médecine d’urgence || La copeptine

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Page 1: [Références en médecine d’urgence. Collection de la SFMU] Les biomarqueurs en médecine d’urgence || La copeptine

É. Bonnefoy-Cudraz ( ), Hospices civils de Lyon – Hôpital Louis-Pradel, 28, avenue du Doyen-Lepine, 69677 Bron Cedex.D. Collin-Chavagnac, Hospices civils de Lyon – Centre hospitalier Lyon-Sud, Laboratoire de biochimie et biologie moléculaire Sud, 165, chemin du Grand-Revoyet 69495 Pierre-Bénite Cedex

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Introduction

Les maladies cardiovasculaires constituent l’une des premières causes de mortalité dans l’Union européenne et les pays dévelop-pés et représentent un motif majeur de consultation dans les ser-vices d’urgences. La troponine fait partie intégrante du diagnostic d’infarctus du myocarde (IDM). Bien que les nouvelles généra-tions de réactifs de troponines dites « ultra/hyper-sensibles » amé-liorent considérablement la qualité analytique des dosages, il reste séduisant de pouvoir exclure l’IDM dès les premières heures de la douleur thoracique avec une approche multi-marqueurs. Dans cet esprit, la voie du stress endogène représentée par le dosage de la copeptine représente une voie physiopathologique complémentaire particulièrement intéressante.

Historique, origine du biomarqueur

L’intérêt du système vasopressine dans l’IDM a été montré par l’équipe de Donald en 1994 [1]. Les auteurs ont mis en évidence, chez des patients ayant un IDM, des taux significativement élevés de vasopressine. La vasopressine est une hormone peptidique appe-lée également ADH (anti diurétique hormone) ou arginine vaso-pressine. Le dosage de vasopressine est un défi. Plus de 90 % de la vasopressine de la circulation sanguine sont liés aux plaquettes et elle est rapidement éliminée de la circulation sanguine avec une

La copeptine

É. BONNEFOY-CUDRAZ, D. COLLIN-CHAVAGNAC

Sous la direction de Y.-É. Claessens et P. Ray, Les biomarqueurs en médecine d’urgenceISBN : 978-2-8178-0296-1, © Springer-Verlag France, Paris 2012

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demi-vie de 24 minutes. Sa taille rend son dosage impossible par des techniques immunologiques.La vasopressine est synthétisée à partir d’un précurseur, la pré- provasopressine qui est clivée en un peptide signal, en vaso-pressine, en neurophysine  II et en copeptine qui est la partie C terminale du précurseur [2]. Ainsi, la copeptine et la vasopressine sont synthétisées en proportion stœchiométrique.

Physiologie et lieu de synthèse

La pré-provasopressine est synthétisée dans l’hypothalamus, puis clivée et transportée dans des granules le long des axones des neurones à vasopressine. Vasopressine et copeptine sont ensuite stockées dans des granules au niveau de la neurohypophyse et libé-rées dans la circulation sanguine sous l’effet d’une stimulation. La vasopressine va agir au niveau de trois types de récepteurs. Les récepteurs de type  V2 situés au niveau du rein entraînent une rétention d’eau. Les récepteurs de type V1a, situés au niveau des cellules musculaires lisses, induisent une forte vasoconstriction. Les récepteurs de type  V1b, situés au niveau des cellules endo-crines, participent à la régulation de la sécrétion d’ACTH au cours du stress. De par son action antidiurétique, vasoconstrictrice et de régulation de la sécrétion d’ACTH, la vasopressine est une hormone clé dans l’homéostasie cardiovasculaire.La copeptine est libérée en réponse à un stress intense, en cas d’IDM notamment. Il existe deux voies d’activation de la réponse au stress. La première, la plus connue, est la voie de l’hypophyse antérieure qui entraîne la production d’ACTH puis la production de cortisol au niveau de la glande corticosurrénale. La deuxième voie simultanée passe par l’hypophyse postérieure et entraîne la production de vasopressine. La vasopressine stimule la production d’ACTH et donc la voie décrite précédemment. La vasopressine et le cortisol sont des activateurs simultanés du système de réponse au stress endocrine.Morgenthaler et al. [3] ont montré chez 110 patients qu’il existait une bonne corrélation entre copeptine et vasopressine permettant ainsi d’étudier la vasopressine en pathologie via le dosage de copep-tine. Malgré son rôle important dans l’homéostasie, les difficultés du dosage de la vasopressine n’ont jusqu’alors pas permis de réali-ser le dosage en routine et il était réservé en biochimie spécialisée au diagnostic du diabète insipide et de la sécrétion inappropriée d’ADH.

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Valeurs normales

Les valeurs usuelles de copeptine ont été déterminées chez 359  individus sains [8]. Les valeurs médianes de copeptine dif-fèrent significativement entre les hommes (5,2  pmol/L) et les femmes (3,7 pmol/L). Les valeurs de référence sont identiques quel que soit le genre. Le 97,5e percentile, tous sujets confondus, a été déterminé à 17,4 pmol/L. Chez les individus sains, deux facteurs sont susceptibles de faire varier les concentrations de copeptine : la fonction rénale et l’exercice physique. Il existe une corrélation entre concentration de copeptine et débit de filtration glomérulaire [4]. Une étude avant et après exercice physique a montré que la médiane de copeptine augmente significativement de 3,6 à 6,3 pmol/L [3].La copeptine n’est absolument pas cardiospécifique et peut être augmentée dans un certain nombre d’affections comme le sepsis ou d’autres « stress » physiologiques (embolie pulmonaire, insuffi-sance cardiaque, épilepsie ou accident vasculaire cérébral…).

Méthode de dosage

La stabilité de la copeptine est bonne, de sept jours à tempé-rature ambiante et quatorze jours à 4 °C que le prélèvement soit réalisé sur sérum, plasma citraté, hépariné ou EDTA [2].Pour contourner les problèmes du dosage de la vasopressine, il est plus aisé de doser la copeptine dont les caractéristiques techniques du dosage sont simplifiées  : le volume de prélèvement nécessaire est faible (50 μL contre plus de 1 mL de plasma pour la vasopres-sine), la durée d’analyse est nettement raccourcie (3 heures contre 24 heures pour la vasopressine) et le peptide présente une excel-lente stabilité quel que soit le type de prélèvement. Cette astuce de doser le peptide stable dérivé du même précurseur que la vasopres-sine a déjà été largement utilisée en biochimie pour le dosage de l’insuline (peptide C) par exemple et du BNP (NT-proBNP).La première méthode de dosage à avoir été mise au point pour le dosage de copeptine est une technique immunoluminométrique commercialisée par la société Brahms (CTpro-AVP LIA Brahms®). C’est une technique dite de type « sandwich » où la protéine à doser est prise en sandwich entre un anticorps de capture reconnaissant les AA 132 à 147 et un anticorps de détection reconnaissant les AA 149 à 164. Cette technique nécessite une phase d’incubation de deux heures à température ambiante, quatre étapes de lavages et une mesure de la chimiluminescence grâce à un luminomètre [3]. En 2009, la société Brahms a commercialisé sur l’analyseur

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Kryptor® une technique de dosage en une seule étape en phase homogène, basée sur la technologie TRACE (Time Resolved Amplified Cryptate Emission) qui consiste en un transfert d’énergie non radiatif entre un donneur et un accepteur. La technique LIA a d’excellentes performances analytiques qui lui permettent d’explo-rer les facteurs de variabilité. La technique Kryptor® de 1re généra-tion a l’avantage d’être rapide (20 min) et totalement automatisée. En revanche, ses performances analytiques sont en retrait par rap-port à la technique LIA. Elle reste toutefois compatible avec l’utili-sation en clinique. La limite de quantification de la technique rend impossible l’utilisation en clinique d’un seuil décisionnel inférieur à 14 pmol/L.

Situations cliniques d’élévation de la copeptine

Expérimentalement, le pic de vasopressine est obtenu 40 minutes après le début de l’IDM par embolisation coronaire et concerne tous les animaux. Puis les concentrations diminuent très vite pour rejoindre des valeurs proches de la normale au cours des 12-24 pre-mières heures [5]. La copeptine suit la cinétique de la vasopressine. C’est cette période de décroissance qui est utilisée pour le diagnos-tic d’élimination de l’IDM en urgence.Après la 24e heure, il existe une réascension des concentrations vers un plateau atteint au 2e jour [6]. Cette deuxième phase est corré-lée à la taille de l’IDM, la dysfonction ventriculaire gauche et aux signes cliniques d’insuffisance cardiaque. Elle a une forte valeur pronostique [7]. Les concentrations de copeptine lors des angors instables sont basses et du même ordre que celles observées lors de douleurs thoraciques non coronariennes [8]. Comme la copeptine est un marqueur non spécifique de stress, elle n’a aucune spécificité pour l’IDM et ne peut servir au diagnostic positif d’IDM.En revanche, on utilise les cinétiques complémentaires de la tropo-nine et de la copeptine pour éliminer un IDM. En effet, la copeptine est toujours élevée à la phase aiguë d’un IDM. Maximale dans les minutes qui en suivent le début, elle décroît rapidement en une dou-zaine d’heures. La troponine est aussi toujours élevée à la phase aiguë d’un IDM mais n’est détectable qu’à partir de la 3-4e heure et de façon fiable avec les tests actuels qu’à partir de la 6e heure. Par défi-nition, on ne détecte pas de troponine lors des angors instables. De fait, une troponine négative élimine un IDM au-delà de la 6e heure et une copeptine négative élimine un IDM avant la 6e heure. L’intérêt pronostique de la copeptine est en cours d’évaluation dans diverses situations cliniques (SCA, insuffisance cardiaque…) et semble inté-ressante en plus des autres biomarqueurs usuels.

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Résultats des études d’évaluation

Deux études de cohorte récentes ont montré que l’association d’un résultat de troponine négatif et d’un résultat de copeptine également négatif (concentration inférieure au seuil de positi-vité) réduit considérablement la probabilité d’un IDM [8, 9]. Sur les prélèvements obtenus à l’admission, une copeptine avec une concentration inférieure à 14 pmol/L et une troponine T inférieure à 0,01 μg/L permettaient d’éliminer le diagnostic d’IDM (préva-lence 8,6 %) avec une aire sous la courbe ROC de 0,97 et une valeur prédictive négative de 99,7 %. Ces résultats sont inchangés si l’on ne retient que les IDM sans sus-décalage du segment ST (NSTEMI). D’après ces travaux, la répétition des prélèvements sanguins pour éliminer le diagnostic d’IDM sur la base du seul dosage de la troponine ne serait plus nécessaire pour les patients avec une valeur négative de troponine et de copeptine à l’admission (près de 65 % de la cohorte étudiée).Avec les dosages ultra- ou hyper-sensibles de troponine, le bénéfice de cette association est réduit mais persiste. Par exemple, pour les NSTEMI, la valeur prédictive négative est à l’admission de 95,8 % pour la hs-TnT et celle de l’association hs-TnT-copeptine de 99 % [10]. Dans une autre série, les VPN sont respectivement de 98 % et 100  % [11]. Comme les nouvelles recommandations euro-péennes sur les NSTEMI recommandent deux dosages négatifs de hs-Tn à 3 heures d’intervalle pour éliminer le diagnostic d’IDM, l’association troponine-copeptine garde un intérêt [12].Il faut cependant être vigilant. L’ischémie, en l’absence de nécrose myocardique, ne semble pas être un facteur d’augmentation de copeptine plus important que d’autres causes de douleur thora-cique. De fait, l’association « troponine négative-copeptine néga-tive  » n’exclut que l’IDM, mais un diagnostic d’angor instable reste possible. Une stratégie de prise en charge s’appuyant sur ces marqueurs doit donc en tenir compte et être associée à un suivi rigoureux de ces patients.

Conclusion

La copeptine est toujours élevée à la phase « immédiate » d’un IDM mais pas lors d’un angor instable. Seule, elle n’est pas un bon marqueur diagnostique de l’IDM car elle manque complètement de spécificité. La complémentarité des cinétiques des troponines et de la copeptine fait de leur association un puissant outil d’exclu-sion d’un IDM dès l’admission aux urgences. Le bénéfice de cette

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association est réduit mais persiste avec les troponines ultra/hyper-sensibles. L’intérêt de la copeptine pour le diagnostic positif ou d’exclusion d’autres pathologies cardiaques est incertain.

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hormone, vasopressin, ACTH and cortisol responses to acute myocardial infarction. Clin Endocrinol (Oxf ) 40: 499-504

2. Morgenthaler NG (2010) Copeptin: a biomarker of cardiovascular and renal function. Congest Heart Fail 16 Suppl 1: S37-44

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5. Charles CJ, Rogers SJ, Donald RA, et al. (1997) Hypothalamo-pituitary-adrenal axis response to coronary artery embolization: an ovine model of acute myocardial infarction. J Endocrinol 152: 489-93

6. Khan SQ, Dhillon OS, O’Brien RJ, et al. (2007) C-terminal provasopressin (copeptin) as a novel and prognostic marker in acute myocardial infarction: Leicester Acute Myocardial Infarction Peptide (LAMP) study. Circulation 115: 2103-10

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8. Reichlin T, Hochholzer W, Stelzig C, et al. (2009). Incremental value of copeptin for rapid rule out of acute myocardial infarction. J Am Coll Cardiol 54: 60-8

9. Keller T, Tzikas S, Zeller T, et al. (2010). Copeptin improves early diagnosis of acute myocardial infarction. J Am Coll Cardiol 55: 2096-106

10. Giannitsis E, Kehayova T, Vafaie M, Katus HA (2011) Combined testing of high-sensitivity troponin T and copeptin on presentation at prespecified cutoffs improves rapid rule-out of non-ST-segment elevation myocardial infarction. Clin Chem 57: 1452-5

11. Lotze U, Lemm H, Heyer A, Müller K (2011) Combined determination of highly sensitive troponin T and copeptin for early exclusion of acute myocardial infarction: first experience in an emergency department of a general hospital. Vasc Health Risk Manag 7: 509-15

12. Hamm CW, Bassand JP, Agewall S, et al. (2011) ESC Guidelines for the management of acute coronary syndromes in patients presenting without persistent ST-segment elevation: The Task Force for the management of acute coronary syndromes (ACS) in patients presenting without persistent ST-segment elevation. Eur Heart J 32: 2999-3054