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Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Médecine & Droit 2013 (2013) 96–98 Colloque CEPRISCA : « Expertises judiciaires en responsabilité médicale et expertises CRCI » Amiens, 12 janvier 2012 Réflexions sur les qualités requises des experts et propositions d’amélioration Proposals for a better expertise Philippe Biclet (Expert près la Cour d’Appel de Paris et la Cour Administrative d’Appel de Paris) 6, avenue du Général-Détrie, 75007 Paris, France Résumé Les qualités des experts sont diverses, techniques bien évidemment mais également humaines. L’expertise gagnerait à une collaboration plus étroite avec les magistrats. © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. Mot clé : Expertise Abstract Experts need obviously technical capacities and human skill. Proposals can be expressed for a better expertise thanks to a better collaboration with the judges. © 2013 Published by Elsevier Masson SAS. Keyword: Expertise L’expertise a de beaux jours devant elle. La complexifica- tion des activités humaines et la tendance à la judiciarisation imposent de plus en plus aux magistrats de recourir aux experts. Par ailleurs, la multiplication des normes, des recommanda- tions la médecine soumise à l’« evidence based medicine » en est bien l’exemple conduisent les demandeurs à réclamer une expertise pour établir la violation des obligations du défendeur. 1. Des qualités de l’expert Le magistrat réclame de l’expert des qualités diverses : bien évidemment, une maîtrise de la discipline ou de la technique, objet du procès. Pour cette raison, il serait logique que les commissions qui nomment et confirment les experts puissent vérifier la qualité de la formation initiale et de la formation continue dans la spécialité. Cela n’est pas vraiment codifié Adresse e-mail : [email protected] aujourd’hui et repose sur le travail de sélection fait par les compagnies d’experts au moment de la première nomina- tion. Pour les renouvellements, seule la formation continue en pratique expertale est l’objet de l’attention des commissions de magistrats. La réalité d’un exercice professionnel dans une structure comparable à celle se situe le litige est importante. Un médecin dont l’exercice hospitalier, quelle qu’en soit la nature, remonte à plusieurs dizaines d’années sera en difficulté pour apprécier les procédures actuelles des établissements de santé mises à jour régulièrement par la Haute Autorité de Santé. De manière générale, il conviendrait de retenir comme experts les seuls spécialistes en exercice ou ayant cessé leur activité depuis moins de cinq ans. Le niveau scientifique que l’on doit exiger est objet de débats. Ce que l’on exige d’un médecin est de maîtriser l’état de l’art dans sa spécialité et de pouvoir faire face à des cas usuels. S’adresser aux meilleurs spécialistes de la discipline pour apprécier le comportement d’un professionnel peut exposer à 1246-7391/$ see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.04.002

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Médecine & Droit 2013 (2013) 96–98

Colloque CEPRISCA :« Expertises judiciaires en responsabilité médicale et expertises CRCI »

Amiens, 12 janvier 2012

Réflexions sur les qualités requises des expertset propositions d’amélioration

Proposals for a better expertise

Philippe Biclet (Expert près la Cour d’Appel de Paris et la Cour Administrative d’Appel de Paris)6, avenue du Général-Détrie, 75007 Paris, France

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Les qualités des experts sont diverses, techniques bien évidemment mais également humaines. L’expertise gagnerait à une collaboration plustroite avec les magistrats.

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Experts need obviously technical capacities and human skill. Proposals can be expressed for a better expertise thanks to a better collaborationith the judges.

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L’expertise a de beaux jours devant elle. La complexifica-ion des activités humaines et la tendance à la judiciarisationmposent de plus en plus aux magistrats de recourir aux experts.ar ailleurs, la multiplication des normes, des recommanda-

ions — la médecine soumise à l’« evidence based medicine » enst bien l’exemple — conduisent les demandeurs à réclamer unexpertise pour établir la violation des obligations du défendeur.

. Des qualités de l’expert

Le magistrat réclame de l’expert des qualités diverses : bienvidemment, une maîtrise de la discipline ou de la technique,bjet du procès. Pour cette raison, il serait logique que les

ommissions qui nomment et confirment les experts puissentérifier la qualité de la formation initiale et de la formationontinue dans la spécialité. Cela n’est pas vraiment codifié

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ujourd’hui et repose sur le travail de sélection fait par lesompagnies d’experts au moment de la première nomina-ion. Pour les renouvellements, seule la formation continue enratique expertale est l’objet de l’attention des commissions deagistrats.La réalité d’un exercice professionnel dans une structure

omparable à celle où se situe le litige est importante. Unédecin dont l’exercice hospitalier, quelle qu’en soit la nature,

emonte à plusieurs dizaines d’années sera en difficulté pourpprécier les procédures actuelles des établissements de santéises à jour régulièrement par la Haute Autorité de Santé. Deanière générale, il conviendrait de retenir comme experts les

euls spécialistes en exercice ou ayant cessé leur activité depuisoins de cinq ans.Le niveau scientifique que l’on doit exiger est objet de

ébats. Ce que l’on exige d’un médecin est de maîtriser l’étate l’art dans sa spécialité et de pouvoir faire face à des cassuels. S’adresser aux meilleurs spécialistes de la discipline pourpprécier le comportement d’un professionnel peut exposer à

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P. Biclet / Médecine &

es appréciations beaucoup trop sévères, à moins que ce spé-ialiste ait également une bonne connaissance de la pratiqueoyenne de ses confrères. Bien évidemment, apprécier une

onduite à tenir devant des cas difficiles ou en cas de mise enause de dispositifs médicaux ou de médicaments peut exigere recourir à une autorité scientifique reconnue. Le problèmee la participation d’un sapiteur s’inscrit dans ce débat sur laechnicité de l’expertise. Il est parfois difficile de trouver danses listes des experts classés par discipline l’hyper-spécialisteui sera indispensable à la résolution du cas. Je m’explique :n gastro-entérologue rompu aux endoscopies et à la pratiquexpertale sera à juste titre nommé dans une affaire d’accidents’endoscopie, mais lorsque la technique en cause est un gesteyper-spécialisé comme un cathétérisme de la papille accompa-né de manœuvres instrumentales, sera t-il à même de donner unvais d’expert ? Il est alors d’une plus grande sécurité juridique etcientifique de recourir à l’assistance d’un sapiteur sur des pointsrès précis. Cette prudence évitera la critique d’un pré-rapportaible scientifiquement par un hyper-spécialiste à l’occasion desires. Les textes exigent que le sapiteur soit d’une spécialitéifférente de celle de l’expert mais le dialogue avec le magis-rat permet avec son autorisation de s’affranchir de cette règle.appelons que dans les procédures administratives, l’expert doit

mpérativement demander au magistrat un accord pour désignern sapiteur. Il est également possible lors de la réunion expertale’établir en concertation avec les parties, de manière totalementontradictoire, un questionnaire qui sera transmis à un sapiteuryper-spécialiste qui ne se dérangera pas nécessairement pourtre entendu lors de la réunion suivante sauf demande expresse.ien évidemment, le libellé des questions doit être l’objet dulus grand soin.

Sont indispensables à la pratique de l’expertise :

une formation initiale de haut niveau dans la spécialité et uneformation continue régulièrement suivie ;

une connaissance précise des référentiels d’utilisation et demaintenance des appareils et des dispositifs utilisés, desnormes d’ordre public en particulier en matière d’hygiène etdes recommandations de bonnes pratiques et des conférencesde consensus, surtout lorsque ces dernières sont issues destravaux de la Haute Autorité de Santé qui correspondent à« l’état de l’art ». La présentation des principales publicationsde la littérature médicale peut être nécessaire dans des cascomplexes. Un bon rapport d’expertise doit être étayé par desréférences de telle sorte que l’avis de l’expert ne soit pas uneopinion mais une démonstration ;

une maîtrise de la langue et du style. L’écriture d’un rap-port doit être claire et non ambiguë. Le choix des termes,leur précision, la bonne utilisation des conjonctions, destemps des verbes sont essentiels. Nous avons été amenéslors d’un procès aux assises, auditionnés à titre de témoinde la défense, à critiquer un rapport d’expertise dans lequelle terme « relativement » improprement utilisé pour qualifier

la mesure d’une béance sphinctérienne créait une ambiguïtéet à préciser qu’il aurait convenu de lui substituer une mesurequantifiable. Or la mauvaise interprétation de ce terme consti-tuait le point capital de l’accusation qui s’est par conséquent

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effondrée. De même, il faut construire un raisonnement,ne pas utiliser des termes techniques sans en donner uneexplication simplifiée. En effet, le rapport s’adresse auxmagistrats et aux parties et non à des professionnels de la spé-cialité. Beaucoup de rapports, enfin, tentent de faire pardonnerla fragilité de la démonstration, le flou dans la conclusion pardes redites qui obscurcissent la lecture et « tournent en rond »autour de la vérité. La concision de l’écriture est plus difficileà atteindre mais c’est cette dernière qui est la plus à même deconvaincre. Enfin, la rédaction du rapport doit séparertrès clairement les informations factuelles indiscutables quidoivent figurer dans le rappel historique et les points non étab-lis, allégations, suppositions qui sont exclusivement réservésà la discussion. Les propos de certains protagonistes s’ils sontcités expressis verbis doivent l’être entre guillemets ;

une connaissance de base des règles de procédure. Depuisplusieurs années, l’accent est mis sur la formation de baseet la formation continue des experts en matière juridique.Le but recherché est de limiter le rejet des rapports, les nul-lités de procédure, source d’alourdissement et d’allongementdes délais. L’expert doit être bien conscient que tout manque-ment à la règle du contradictoire sera immédiatement utilisépar les avocats qui le dénoncera avec la plus grande vigueur.Des connaissances juridiques de base sont également néces-saires pour comprendre la préoccupation du magistrat quidoit juger une affaire selon le type de juridiction en cause.Lorsqu’il s’agit de responsabilité administrative, le problèmeposé est celui de l’organisation du service public et des respon-sabilités médicales de l’équipe et soins, il convient donc des’intéresser particulièrement à la gestion du service hospi-talier, au personnel présent à sa qualification et dans lescas d’affaires se déroulant dans les services d’urgence deconnaître l’importance du flux de patients. Si la recherche desresponsabilités de chacun des acteurs est une phase obligée del’expertise administrative, cette phase n’a pas la même impor-tance que pour une expertise judiciaire civile et encore plusque pour une expertise pénale où doivent être dégagées lesresponsabilités personnelles de chaque acteur à l’égard de lafaute commise et ce particulièrement dans le but de fournirau magistrat les éléments de qualification pénale qui sont sapréoccupation première ;

des qualités humaines résumées par l’autorité et la diplomatie.L’autorité est nécessaire pour créer les conditions d’un débatcontradictoire et serein où chacun doit pouvoir s’exprimermais à la seule condition de centrer ses propos sur les faits. Lesdébordements émotifs s’ils surviennent doivent être canalisésrapidement. La diplomatie est indispensable : en effet, l’expertne doit pas montrer au cours de la réunion vers quel côté ilpenche car il sera aussitôt soupconné de manque de neutralité.Cette diplomatie peut s’accompagner d’une certaine bien-veillance vis-à-vis des demandeurs : patient ou ayant-droits.Reconnaître une souffrance ne signifie pas prendre partie ;

la neutralité, tout a été dit sur les risques de conflits d’intérêts

qui peuvent entacher l’expertise de partialité. La récusationvolontaire ou provoquée de l’expert constitue la solution descas évidents. En revanche, dans de nombreux cas, l’expert apu être en contact avec le médecin, en travaillant dans le même

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hôpital par exemple. Il est alors indiqué d’énoncer claire-ment lors de la première réunion tous les liens qui pourraientêtre ultérieurement mis à jour et susceptibles de remettre encause la neutralité de l’expert. Dans certains cas difficilesavec des parties méfiantes impliquant l’AP–HP, j’ai préféré« dépayser » la recherche des sapiteurs bien que la taille decet établissement hospitalier permettait avec une totale sécu-rité de désigner des spécialistes indépendants et totalementétrangers à l’affaire. Malgré toutes ces précautions, la véri-table neutralité, celle de la conscience de l’expert n’est pastoujours facile à atteindre, l’histoire personnelle de ce dernierqui a pu être confronté dans sa vie professionnelle à dessituations identiques à celles qu’il examine, la sympathie oul’antipathie que peuvent susciter une partie sont susceptiblesde fausser insidieusement le jugement et de polluer la teneurdes conclusions. Cela est particulièrement le cas lorsque l’onest amener à juger des conduites médicales pour lesquelles lesnormes à respecter et les conduites à tenir ne sont pas définieset, par conséquent, laissent place à une certaine subjectivité.

. La tenue de la réunion

Une bonne réunion doit être préparée. Découvrir le dossiervec les parties expose l’expert « à se faire balader ». Pour cetteaison, il faut veiller à ce que les pièces soient envoyées à l’expertréalablement et avec un délai suffisant pour qu’il puisse lestudier et, éventuellement, réactualiser ses connaissances sur’état de l’art. En fin de réunion, il est souvent utile de faire parte son impression première et d’ébaucher une première réponseux questions. Cela permet d’évaluer la ligne de défense desarties avant la réception des dires et de permettre une premièreiscussion. Il importe alors d’être d’une très grande prudence ete bien annoncer qu’il ne s’agit que de premières réflexions.

La rédaction du rapport repose sur les qualités rédaction-elles que nous avons décrites plus haut. La réponse aux dires

été précisée par les textes. L’article 276 du Nouveau Code derocédure Civile prévoit : « L’expert doit prendre en considéra-

ion les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu’ellesont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.

Toutefois, lorsque l’expert a fixé aux parties un délaiour formuler leurs observations ou réclamations, il n’estas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faitesprès l’expiration de ce délai, à moins qu’il n’existe uneause grave et dûment justifiée, auquel cas il en fait rapportu juge.

Lorsqu’elles sont écrites, les dernières observations ou récla-

ations des parties doivent rappeler sommairement le contenue celles qu’elles ont présentées antérieurement. À défaut, ellesont réputées abandonnées par les parties.

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L’expert doit faire mention, dans son avis, de la suite qu’ilura donnée aux observations ou réclamations présentées. »

Il est absolument indispensable que chaque critique apportéear l’avocat dans le dire soit mentionnée et discutée dans leapport final. Si le point soulevé paraît étranger à l’affaire, ilaut le mentionner et motiver ce point.

. Quelques propositions

.1. Le contrôle qualité de l’expertise

Aujourd’hui, la seule appréciation du rapport d’expertise estonnée par l’avocat. C’est ce dernier qui par ses remarquesotera les erreurs factuelles, les fautes dans le raisonnement.st-ce suffisant ? Vraisemblablement pas, car l’avocat ne va cri-

iquer que ce qui contrecarre sa ligne de défense du dossier.ne critique du magistrat, destinataire final du rapport qu’il ardonné serait extrêmement utile. Pour des raisons tenant autant

la surcharge de travail des magistrats qu’à des comportementseut être trop formels, il y a très rarement des contacts entreagistrats et experts une fois le rapport rendu et ce n’est sans

oute pas parce que le rapport est toujours excellent et sesonclusions limpides. Certes, les mauvais experts ne sont plusommés et les mauvais rapports justifient une contre-expertise.ais il est vraisemblable que la bonne administration de la jus-

ice et l’amélioration du service rendu par des experts plus auait des préoccupations des magistrats gagneraient à ce qu’unialogue s’instaure et que des précisions soient demandées pare magistrat après lecture du rapport, exercice qui est renduujourd’hui plus facile par l’envoi d’e-mails. Bien évidem-ent, ces échanges feraient partie des pièces communiquées aux

arties.

.2. La formation de l’expert

À l’image de ce qui est pratiqué par les avocats qui bienouvent sont accompagnés lors des réunions d’expertise par desollaborateurs juniors dont la présence est soumise à l’accord de’expert, on peut souhaiter que soit autorisé et favorisé un véri-able compagnonnage au terme duquel un expert nouvellementnscrit aurait l’obligation d’assister comme témoin à un certainombre de réunions tenues par un expert senior, en quelque sorteaître de stage. Nous proposons également que soit constitué

n thesaurus d’expertises de qualité, anonymisées permettantux futurs experts de se familiariser avec la rédaction desapports.

Sur tous ces points, la collaboration généralement étroiteui existe entre les magistrats et les compagnies d’experts doitermettre de dégager des solutions.