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Regards croisés : 50 ans de vie multiculturelle à Bernissart

Regards croisés : 50 ans de vie multiculturelle à … groupe des apprenants de Lire et Ecrire est allé voir l’ancien charbonnage d’Hensies-Pommeroeul. Pour la plupart, c’est

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Regards croisés : 50 ans de vie multiculturelle à Bernissart

Mieux se connaître pour mieux se comprendre

En 1964, la Belgique signe une convention de travail avec le Maroc en février et avec la Turquie en juillet. Il y a donc 50 ans maintenant. En Wallonie picarde, s’il est une commune où cet anniversaire prend son sens, c’est bien à Bernissart dont les charbonnages ont engagé des travailleurs venus de tout le pourtour de la Méditerranée.

La dernière exploitation houillère y a fermé en 1976 mais beaucoup de ces mineurs, finalement rejoints par leurs familles, sont restés, faisant de Bernissart une entité riche d’une quarantaine de nationalités.

Ayant pour mission l’alphabétisation des adultes, l’antenne bernissartoise de l’asbl Lire et Ecrire Hainaut Occidental est à l’image de cette population plurielle. Autour de la table des apprentissages, les prénoms témoignent de la diversité des origines. Trois fois par semaine, Fatima, Perrine, Linda, Asuman, Eric, Johny, Salma, Zohra, et Stéphane travaillent ensemble, pratiquant avec beaucoup de naturel le respect, la tolérance et la solidarité.

Début 2014, dans le cadre du projet 50 ans d’Immigration Marocaine – C’est du Belge !, les Femmes Prévoyantes Socialistes de Tournai-Ath-Mouscron-Comines proposent à ce groupe Lire et Ecrire une aventure assez inhabituelle pour eux : monter une exposition de photos qui serait présentée à la fois à Tournai et à Bernissart. Le projet « Regards croisés : 50 ans de vie multiculturelle à Bernissart » était lancé !

Dans un premier temps, les apprenants se sont initiés à la prise de vue : angle, composition de la photo et utilisation de l’appareil. Ensuite une question essentielle s’est posée : que montrer dans cette exposition ? Assez logiquement, la réflexion du groupe s’est d’abord tournée vers les anciens charbonnages. Certains apprenants, par le travail d’un mari, d’un grand-père ou d’un oncle, ont été concernés personnellement par la condition des mineurs.

Pour tous, la mine reste un souvenir très présent, même quarante ans plus tard. Le souvenir d’un travail dangereux mais aussi d’une époque de plein emploi. Les charbonnages ont laissé la place au désert industriel et aujourd’hui à Bernissart, beaucoup de familles sont confrontées au chômage, à la précarité et aux maux qu’ils génèrent. Ce quotidien-là, les apprenants l’évoquent dans l’exposition « Regards croisés » mais ils ont surtout tenu à témoigner de leurs efforts pour s’en sortir : suivre une formation, passer le permis de conduire ou trouver un emploi.

Dans ses échanges, le groupe a également manifesté son souhait d’illustrer, par la photographie, les soins de santé et la sécurité sociale dont la Belgique peut s’enorgueillir ainsi que la rencontre des cultures, notamment à travers les spécialités culinaires. Leur curiosité les a menés à visiter d’autres expositions, à enrichir leurs points de vue et à élargir leurs horizons. Cette belle expérience a assurément permis aux uns et aux autres de mieux se connaître, de mieux se comprendre et de dépasser les préjugés.

A Bernissart comme ailleurs, ces 50 ans de présence multiculturelle ne sont que le commencement d’un vivre ensemble auquel il tient à chacun d’entre nous de contribuer.

Le groupe des apprenants de Lire et Ecrire est allé voir l’ancien charbonnage d’Hensies-Pommeroeul.Pour la plupart, c’est une découverte.

Fatima se souvient : « Mon mari est venu en Belgique pour gagner un peu plus d’argent qu’à l’usine à Agadir ». Eric se projette à la place de ces travailleurs : « C’était un travail très dur. J’ai envie de travailler. Mais pas là… ».

Le charbonnage d’Hensies-Pommeroeul a été le dernier du Borinage à fermer. C’était en 1976. Aujourd’hui, il ne montre plus que des bâtiments en ruine

« Ici », rappelle Stéphane, « il y avait beaucoup de mineurs qui venaient de l’étranger, du Maroc, de Turquie et d’ailleurs. A cette époque, beaucoup de Belges ne voulaient plus travailler dans les charbonnages parce que le métier était dangereux ».

Autour des restes du charbonnage d’Hensies-Pommeroeul, il y a toujours la cité des Sartis qui était destinée à loger les mineurs et leurs familles.

Venant de Turquie, Asuman se souvient de son arrivée à la cité, à l’âge de 12 ans. « Aux Sartis », raconte-t-elle, « il y avait toutes les nationalités. Des Belges aussi mais ils ne nous disaient pas bonjour ». Selon ses souvenirs, c’était aussi le bon temps. « Il y avait du travail pour tout le monde », dit-elle. « C’était dur mais on était heureux avec l’argent de la transpiration ! ».

Fatima n’était jamais entrée à l’intérieur des bâtiments du charbonnage, alors que son mari y a travaillé.

Elle est émue et même choquée de voir l’endroit, l’ancienne « salle des pendus » où les mineurs accrochaient leurs habits avant de rejoindre le fond, les douches où ils se décrassaient après le boulot. « Je pense à mon mari et à tous ses copains qui ont travaillé là-dessous. C’était dangereux, il fallait être courageux pour être mineur ».

La cité du Préau à Bernissart a été construite dans les années 70, à l’écart du village à la manière d’un ghetto, pour héberger les familles issues de l’immigration.

« C’est la cité des scandales et des faits divers », s’exclame Asuman, « mais personne ne veut la quitter parce qu’ici, tout le monde connaît tout le monde ».

A l’extérieur, la cité du Préau n’a pas toujours eu bonne réputation. Mais ceux qui y habitent ou y ont habité en parlent généralement comme d’un endroit chaleureux, riche en relations humaines. « Quand j’ai eu mes enfants », dit Asuman, « j’ai quitté la cité. Mais je la regrette un peu car ici il y a toujours quelqu’un pour te parler et t’aider ».

Zohra est assise sur le seuil de la porte de sa maison, dans un quartier résidentiel de Bernissart. La rue est déserte.

Si elle s’est mise là, c’est justement dans l’espoir de voir quelqu’un passer, pour parler. « Chez moi, au Maroc », raconte-t-elle, « on n’est jamais seul. Il y a toujours du monde avec qui discuter ou prendre le thé. Dans la rue où j’habite à Bernissart, je n’avais plus vu ma voisine depuis deux mois et je ne savais pas qu’elle avait été malade ».

Linda n’est jamais allée en vacances à l’étranger.« Pour des raisons financières », dit-elle. « Mais j’aimerais partir avec mes enfants pour leur faire découvrir d’autres cultures ». Mais serait-elle prête à partir pour plusieurs années, comme l’ont fait les travailleurs immigrés qui sont venus chez nous ? Stéphane qui vient de perdre son boulot est d’accord de s’expatrier. « Bien sûr », dit-il, « je serais triste de quitter Bernissart. Mais si on me dit que j’ai un emploi au Maroc ou ailleurs, je pars tout de suite ».

En Algérie, la maman de Salma est assise par terre dans la cuisine. Avec une meule, elle concasse du blé qui servira à préparer la semoule pour le couscous.

« En Belgique, la vie est plus facile aujourd’hui », disent Linda et Perrine. « On va au magasin, on achète des plats presque tout préparés. Mais nos parents ont aussi connu ce temps-là ». En Algérie, la vieille maman de Salma continue à vivre dans la maison familiale avec ses enfants. Parce que là-bas, on n’imagine pas de mettre ses parents âgés dans une maison de retraite.

Cette photo-là n’a pas été prise au Maroc ou en Algérie mais dans une boutique de Wallonie picarde.« Nos gâteaux », dit Zohra, « sont aussi arrivés en Belgique. Cela me fait plaisir ! ». « Des petits gâteaux bien appétissants ! », lancent en chœur Perrine, Linda et Eric. « Chez nous », sourit Salma, « on en sert dans toutes les fêtes ». « Et même aux enterrements ! », précise Zohra.

L’une des manières les plus agréables de « rentrer » dans la culture de l’autre, c’est assurément de goûter sa cuisine.

« Pour bien recevoir ses invités », commente Perrine, « Zohra a préparé du thé à la menthe et des pains qu’elle présente autour d’un petit pot de miel. Ça donne vraiment envie de manger ! ».

L’immigration a enrichi la palette de nos habitudes alimentaires. Les lasagnes italiennes, le mezze grec, le couscous maghrébin ou la paëlla espagnole

se sont installés sur la table de nombreuses familles belges.« J’aime bien goûter la cuisine d’autres pays », confie Eric, « mais le tajine, moi, je ne sais pas ce que c’est ». Salma raconte : « Avant les femmes fabriquaient elles-mêmes le tajine avec de la terre cuite. J’ai essayé une fois mais il a cassé ! C’est un beau plat bien décoré. C’est pour cela qu’en Belgique, il sert souvent de décoration sur un meuble ! ».

La Belgique a la réputation d’avoir l’un des systèmes de soins de santé les plus performants au monde, accessible au plus grand nombre.

Venant du Maghreb, Zohra, Fatima et Salma approuvent. « Au Maroc », assure la première, « je devais faire 80 kilomètres pour consulter un spécialiste dans un hôpital public. Bien sûr, il y a les cliniques privées mais c’est plus cher ». Salma se souvient de la première fois qu’elle a été hospitalisée chez nous : « J’ai été étonnée de voir qu’on s’occupait si bien de nous. A l’époque, c’était bien différent en Algérie ».

Si notre système de soins de santé est performant, il a aussi ses failles. Diverses études montrent qu’un nombre croissant de personnes se privent de soins

pour des raisons financières. « Mais de l’argent », philosophe Asuman, « on parvient toujours à en trouver. Par contre, la santé est le bien le plus cher et une fois qu’on l’a perdue, elle est irrécupérable ».

Les apprenants de Lire et Ecrire sont allés visiter l’exposition « Sous les palmiers, la mine » à la bibliothèque de Blaton.

« Ce qui nous a le plus choqués », réagissent la plupart, « c’est de découvrir que des enfants étaient obligés de travailler dans les charbonnages ». Une époque révolue ? Chez nous oui, mais pas partout dans le monde. « En Turquie », dit Asuman, « je vois encore des petits gosses de 10-12 ans qui doivent trimer dur après l’école ».

En Belgique, depuis longtemps, le travail des enfants est interdit, et personne ne remet la loi en question.

« Mais nos enfants ne mesurent pas bien la chance qu’ils ont par rapport à d’autres », note Salma. « Ils ont tout et ils ne sont jamais contents ! ».

En recherche d’emploi dans le bâtiment, Stéphane aspire à un contrat stable.Asuman renchérit : « J’aimerais bien travailler. Si je trouve du travail, je prends ! C’est bon pour la santé », rigole-t-elle.

A la Maison de l’Emploi, il faut décrypter les petites annonces. Fatima : « C’est difficile aujourd’hui de trouver du travail, même avec un diplôme ». Linda confirme : « Plus on avance, moins il y a de travail pour les gens. Les entreprises ferment ici et vont dans d’autres pays où c’est moins cher ».

Comment maîtriser l’outil informatique quand on a des difficultés pour lire et écrire ?« J’aimerais pouvoir utiliser les ordinateurs de la Maison de l’Emploi », confie Linda, « pour ne pas toujours embêter la dame qui doit m’imprimer les annonces ».

Passer le permis de conduire, le rêve de beaucoup d’apprenants de Lire et Ecrire ! Mais certains l’ont réalisé, comme Asuman. « J’ai décidé de passer mon permis pour ne plus dépendre des autres ». Pour d’autres, comme Salma ou Stéphane, le permis de conduire reste un objectif à atteindre. « Lorsque j’ai quelque chose en tête », martèle Salma, « je n’abandonne pas facilement. Le permis, je veux l’avoir un jour. Parce que la cité du Préau, c’est un coin perdu mal desservi par les autobus ». Même Fatima, à 65 ans passés, ne désespère pas de l’obtenir, ce fichu permis.

Une petite victoire pour les personnes qui ont des difficultés de lecture et d’écriture : être capable, comme Salma, d’utiliser un distributeur automatique de billets !

« Mon fils m’a montré comment faire », détaille-t-elle. « Il m’a dit de faire attention, de ne pas oublier ma carte dans l’appareil ». Perrine explique bien les raisons pour lesquelles le Bancontact est une boîte à malices pour les personnes qui ont du mal avec les mots. « Il faut lire les indications de l’appareil », dit-elle, « et ça va trop vite. C’est encore plus pénible quand derrière toi, il y a un autre client qui s’énerve ».

« Les préjugés, c’est quand on juge un livre sur son titre sans savoir ce qu’il y a dedans » - Zohra.Asuman explique : « Quand tu vois une personne physiquement, tu juges. On fait tous ça ! Les gens parlent sans réfléchir ». Fatima abonde en ce sens : « J’entendais les gens parler en mal des Turcs. Alors qu’avec ma voisine turque, on s’entendait bien. Sans parler le français, on se comprenait avec les gestes ».

« Si on ne s’aime pas soi-même, on a plus facilement des préjugés négatifs sur les autres » - Linda.« Quand je suis arrivée en Belgique », se souvient Salma, « je n’étais pas à l’aise. Mon mari m’a présenté des amis à lui, un couple de Belges. Au début, je ne les aimais pas. Mon mari était fâché ! Puis, j’ai vu qu’ils étaient vraiment gentils. Je me suis excusée… ».

L’essentiel du groupe de Lire et Ecrire est réuni devant la salle des Trois Canaux à Blaton, l’un des lieux qui accueilleront son exposition.

« Quand on voit cette photo », dit Fatima, « on ne pense plus à nos différences. On est tous ensemble, comme dans une famille. Avant, je me sentais étrangère, parce que je ne parlais pas le français. Même dire « bonjour » ou « comment ça va ? », je ne savais pas. Maintenant, je me débrouille en français. Je peux parler avec mes amis et mes voisins, aller au magasin ou à l’hôpital, demander mon chemin ».

Un groupe comme celui de Lire et Ecrire ne cesse d’évoluer. Des gens partent, d’autres arrivent. Mais Perrine, Zohra, Stéphane, Eric et les autres disent tous la même chose : au-delà des nationalités, des relations amicales s’installent entre les apprenants.

« Je ne viens à Lire et Ecrire que depuis quelques mois », dit Zohra, « mais j’y ai trouvé de bons amis ». Apprendre ensemble, c’est aussi s’entraider, cultiver la solidarité. Et celle-ci se manifeste aussi en dehors de la formation.

asbl Femmes Prévoyantes Socialistes de Tournai-Ath-Mouscron-Comines

16 rue de Rasse – 7500 Tournai069/76.55.10 – [email protected]

asbl Lire et Ecrire Hainaut occidental

31 quai Sakharov – 7500 Tournai069/22.30.09 – [email protected]://hainaut-occidental.lire-et-ecrire.be

Mons - Wallonie picarde

Dans le cadre de 50 ans d’Immigration Marocaine – C’est du Belge !

Un projet initié par l’Espace Magh. Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Région de Bruxelles-Capitale, la Commission Communautaire Française, la Ville de Bruxelles et le Fonds d’Impulsion à la Politique des Immigrés.

www.50anscestdubelge.be

Avec le soutien de :