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EHESS Religion et politique en Méditerranée orientale (1878-1914) Le Congrès eucharistique international de Jérusalem (1893) dans le cadre de la politique orientale du pape Léon XIII by Claude Soetens; Le Vatican, la France et le catholicisme oriental (1878-1914). Diplomatie et histoire de l'Eglise by Joseph Hajjar Review by: Etienne Fouilloux Archives de sciences sociales des religions, 25e Année, No. 50.2 (Oct. - Dec., 1980), pp. 167-175 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30125177 . Accessed: 12/06/2014 22:15 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sciences sociales des religions. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.108 on Thu, 12 Jun 2014 22:15:06 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Religion et politique en Méditerranée orientale (1878-1914)

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Religion et politique en Méditerranée orientale (1878-1914)Le Congrès eucharistique international de Jérusalem (1893) dans le cadre de la politiqueorientale du pape Léon XIII by Claude Soetens; Le Vatican, la France et le catholicisme oriental(1878-1914). Diplomatie et histoire de l'Eglise by Joseph HajjarReview by: Etienne FouillouxArchives de sciences sociales des religions, 25e Année, No. 50.2 (Oct. - Dec., 1980), pp. 167-175Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30125177 .

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Arch. Sc. Soc. des Rel. 1980, 50/2 (octobre-d~cembre), 167 - 175. Etienne FOUILLOUX

RELIGION ET POLITIQUE

en M&diterranee orientale (1878-1914)

Apropos de: Claude SOETENS, Le Congrcs eucharistique inter- national de Jdrusalem (1893) dans le cadre de la politique orientale du pape Lion XIII. Louvain, Nauwelaerts, 1977, 790 p. Joseph HAJJAR, Le Vatican, la France et le catho- licisme oriental (1878-1914). Diplomatie et histoire de l'Eglise. Paris, Beauchesne, 1979, 592 p.

Nagubre cauchemar de g6n6rations de potaches ou d'6tudiants, la < question d'Orient tend aujourd'hui & disparaitre des programmes, et done de l'enseigne- ment. Des recherches r6centes sur ses aspects religieux et politico-religieux montrent pourtant qu'elle est loin d'avoir livr6 tous ses secrets. Elles montrent aussi la f6condit6 d'un rapprochement entre histoire religieuse et histoire des relations internationales. La premiere ne sort gubre, en terre francophone du moins (1), des frontibres d'un pays d6termin6 que pour d6crire les rapports de celui-ci avec le Vatican ou pour dresser la carte de mouvements de pens6e cosmopolites (catholicisme lib6ral, modernisme, int6grisme...) : une probl~matique comparatiste lui demeure trop souvent 6trangbre. Partie de l'6troite et shche analyse des correspondances diplomatiques, la seconde a su, en revanche, 61argir son objet et ses m6thodes depuis deux d6cennies : sous I'impulsion de Pierre Renouvin, elle s'est notamment mise h l'6coute des << forces profondes qui commandent tant de d6cisions. Mais le facteur religieux - adjuvant du natio- nalisme ou du pacifisme (2) - n'occupe pas encore dans ses pr6occupations la place qui pourrait en toute justice lui revenir. A preuve l'imbroglio balkanique

(1) L'historiographie allemande ou anglo-saxonne posshde, a cet 6gard, une solide avance (par exemple, sur un sujet proche de celui que nous abordons, H. STEHLE, Die Ostpolitik des Vatikans 1917-1975, Munich, 1975, 487 p.; recension par Jean-Marie Mayeur dans Arch., 43, no 455).

(2) Pierre RENOUVIN, Jean-Baptiste DUROSELLE, Introduction a l'histoire des relations internationales, Paris, A. Colin, 1966, pp. 234-242 et 250-259; Rena GIRAULT, Diplomatie europdenne et impirialismes, 1871-1914, Paris, Masson, 1979, pp. 60-61 et 137.

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et proche-oriental oti cette place apparait capitale (3). Claude Soetens et Joseph Hajjar en sont tous deux convaincus, bien que leurs manibres de conjuguer les deux techniques different quelque peu.

*

Elve de Roger Aubert, Claude Soetens a consacr6 sa these de doctorat au congrbs eucharistique de J6rusalem, huitibme d'une sirie inaugurie & Lille en 1881, mais premier i se transporter en Orient. Malgr6 la pr6sence du mot politique dans le titre, son angle d'attaque est principalement religieux : prouver le r6le d~cisif du congrbs pour l'affirmation d'un unionisme qui situe la r66valua- tion du christianisme oriental et son corollaire, le relbvement des Eglises unies, au coeur d'une strat6gie de retour des a dissidents > la chaire de Pierre. Une premiere partie, la plus discut~e parce que la plus stimulante, 6grdne les sympt6mes d'un changement de l'attitude romaine vis-4-vis de l'Orient en cette fin de XIX' si~cle. Dis 1878, I'avdnement de Lbon XIII fait pr6valoir l'apaisement sur les tensions hMrit6es du pontificat pr6cedent, tensions que la cr6ation d'une section orientale au sein de la Congr6gation de la Propagande en 1862 n'a pu 6viter. Ce revirement donne leur chance aux cercles de sp6cialistes frangais, belges ou romains qui estiment urgent de rompre avec une tradition missionnaire de latinisation et de jouer sans restriction la carte du pluralisme rituel pour pr6server les chances de d~veloppement du catholicisme en Orient.

La pr6minence accord~e par l'auteur & cette evolution spirituelle (162 pages contre 79 au < cadre politico-religieux >) ne l'emp~che nullement de prendre en compte le contexte international : course de vitesse entre grandes puissances pour 6tablir ou asseoir leur emprise sur le monde ottoman; r6sistance oppos~e par la Congr6gation de la Propagande et ses relais locaux & toute d6pr~ciation de l'ceuvre missionnaire; volont6 patente chez L6on XIII de restaurer le prestige de la papaut6, notamment auprbs des capitales de la < dissidence, et de 1' infid~lit~>~, Saint-PNtersbourg et Istanboul. La riche moisson r6colt6e dans les archives eccl6siastiques n'a d'ailleurs pas conduit C. Soetens & d~daigner les fonds diplomatiques frangais, anglais, allemands et belges. Sa circonspection va m~me jusqu'& douter de l'ordre des priorit~s pontificales : renforcement de < l'autorit6 du Saint-Sidge en tant qu'Etat > ou d6sir de < r~unir les communaut6s s~par~es & l'Eglise catholique, ? L'un et l'autre, r6pond-il, sans cacher que, chronologiquement au moins, < les actes politiques (...) eurent le pas sur les autres > (p. 205).

La seconde partie, qui suit de pros la pr6paration, le d6roulement et les suites immdiates du congrbs, y d6crit la victoire de l'unionisme. Forts de la confiance de Leon XIII, ses organisateurs (assomptionistes et pares Blancs frangais) r~ussissent la greffe des id6es nouvelles sur la pi~t6 eucharistique aprbs que des concessions ont apais6 les susceptibilit6s turques et les r6ticences du Quai d'Orsay devant ce d~ferlement de ferveur patriotique, c6r&monies ou

(3) Elle a pourtant 6t6 r~duite au minimum dans un colloque recent, c Aspects de la crise d'Orient, 1875-1878 Revue d'Histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1980, pp. 3-149.

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conf6rences magnifient l'universalisme catholique sans d6sarmer pourtant les pr6ventions oppos6es du patriarche latin de J6rusalem et de ses homologues orthodoxes. Le cardinal-archev~que de Reims Lang6nieux, 1Cgat pontifical, rapporte les dol6ances de certains dignitaires unis g 1'encontre des bureaux romains. Les conf6rences patriarcales qui explicitent celles-ci, un an plus tard, fournissent la matibre de cette charte de l'unionisme qu'est la lettre apostolique Orientalium dignitas du 30 novembre 1894. Aux yeux de ses promoteurs comme de nombreux t6moins, le congrbs de Jrrusalem fait done figure de succhs. Telle est aussi l'opinion de C. Soetens qui signale toutefois, in fine, la double relativit6 de ce succhs : rapide retomb6e de la fibvre unioniste dbs 1897; incapacit6 de l'unionisme, 6tape transitoire entre mission et oecum~nisme, & entrainer l'adh6sion des autres Eglises chr~tiennes > (p. 735).

L'abondance et la diversit6 des sources, la siret6 de leur exploitation, la minutie de la pr6sentation, enfin, font de cette thbse un module du genre. Sp6cialiste chevronn6 de telles questions et pr~tre du patriarcat melchite uni, Joseph Hajjar en convient qui qualifie le travail accompli de ' fondamentalement s~rieux, positif et bien congu >, avant de hisser la seconde partie au rang de < somme definitive sur <4 l'histoire 6v~nementielle et critique du congrbs eucha- ristique de J6rusalem > (4). I1 n'en est que plus g l'aise pour multiplier des r6serves que l'on peut regrouper sous trois rubriques principales.

1. C. Soetens aurait major6 l'importance de la mutation unioniste, et, par voie de consequence, celle du congrbs qui la consacre : J. Hajjar voit seulement dans ce dernier . l'un des 61~lments majeurs qui devaient illustrer le prestige de l'Eglise catholique et de la papaut6 &

t l'occasion du jubil6 6piscopal de

L.on XIII

(p. 660). L'exemple du srminaire Saint-Anne de Jbrusalem parait, a cet 6gard, d6monstratif : tout empress~e qu'elle fft de devenir orientale pour les Orientaux, la fondation de Lavigerie (1882) n'en a pas moins 6t6 impos~e au patriarcat melchite selon une proc6dure classique de type missionnaire (pp. 654-655).

2. Cette divergence d'interpr6tation s'enracine elle-m~me dans une double divergence de m6thode. Ayant beaucoup travaill6 sur papiers eccl6siastiques, C. Soetens se serait laiss6 circonvenir par une certaine litt6rature religieuse ou des correspondances privies autour de personnages ou d'objets mineurs eu 6gard aux grands enjeux concernant le sort du catholicisme oriental > : les archives diplomatiques permettent de ' consid6rer de plus haut et sous son v6ritable jour toute une politique religieuse bien plus efficace et d6terminante (p. 653).

3. * Erudit en chambre, vivant loin de la r6alit6 v~cue >, C. Soetens n'aurait pas su mesurer < l'impact existentiel de certaines situations (pp. 662 et 651). La distance culturelle l'aurait emptch6, malgrb un voyage sur place et a une sympathie d6clarre (p. 664), d'accorder au point de vue des Orientaux, catho- liques ou pas, toute l'attention qu'elle m6rite. Comme dans les sources exploit6es et dans l'esprit des principaux protagonistes du congrbs de Jbrusalem, I'Orient est rest6 pour lui un champ d'expbrimentation. A cette m~connaissance du terrain il joint le

, p~ch6 d'anachronisme (p. 662) en procurant de l'unionisme, a tel qu'il &tait envisag6 g l'6poque, non seulement par Gr6goire Youssef (patriarche

(4) Pages 660 et 662 de sa longue recension dans la Revue d'Histoire ecclsiastique (Louvain), 1978, N" 3-4, pp. 649-664.

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melchite) et les autres uniates du Proche-Orient et de l'univers slave, mais aussi et surtout par L6on XIII et ses conseillers , une a vision trop n6gative, voire p6jorative > (p. 662). J. Hajjar n'explique cependant pas comment peut se r6soudre la contradiction apparente entre majoration indue de l'6pisode J6rusalem et mini- misation abusive de l'unionisme. Sur ces griefs et sur quelques autres, il renvoie en fait h son propre travail sous presse quand paraissait celui de C. Soetens : Le Vatican, la France et le catholicisme oriental (1878-1914).

*

Infatigable prospecteur de biblioth~ques et de d6p6ts d'archives, J. Hajjar apporte, avec ces six cents pages bourr6es de faits et de citations, une nouvelle pierre de taille g l'6difice entrepris voici pros de trente ans (5). Les pontificats contrast6s de Leon XIII et de Pie X, entre lesquels se r6partit logiquement la matibre, y sont tous deux 6tudi6s sous trois angles distincts.

Une premidre section, assez brbve (65 + 33 pages), fait le point sur les aspects de la question g dominante religieuse. Au risque de cultiver le paradoxe, avouons que la pr6sentation des d6buts du rigne de L6on XIII ne nous a pas paru aussi 61oign6e de celle de C. Soetens que la recension 6voqu6e le laissait entendre : mtme description des groupes qui militent pour un renversement de la strat6gie vaticane en Orient et surtout m~me appr6ciation positive sur le congrbs de J6rusalem, a moment priviligid de l'histoire de la papaut6 et des Eglises orientales unies (p. 33). I1 faut parfois entrer assez avant dans le d6tail de l'argumentation pour y noter des accents divergents : intbr&t port6 aux plans d'union de l'6v~que croate Strossmayer et du philosophe russe Soloviev, dont I'occultation par C. Soetens constituerait une < d6ficience fondamentale de sa these (recension, p. 652); relev6 du troublant silence uniate pendant le d6roule- ment du congris (pp. 38-39); refus de se-prononcer sur le cas de Sainte-Anne de Jerusalem qui doit faire prochainement l'objet d'une monographie (p. 159).

Se donnant un champ chronologique plus large, J. Hajjar ne peut pas ne pas donner aussi plus de consistance i la r6action missionnaire qui se dessine g la fin du pontificat de L6on XIII et triomphe sous son successeur. Non seulement la Propagande, son r6seau de vicariats ou d616gations apostoliques et les congr6- gations latines qui peuplent ceux-ci r6pugnent g infl6chir leurs habitudes latini- santes, mais ils profitent de l'essoufflement unioniste pour reprendre d'une main ferme les pr&rogatives qui ont failli leur 6chapper, ainsi que l'effort s6culaire de centralisation et d'uniformisation administratives, canoniques ou rituelles. Au terme d'une synth~se trbs neuve, et trbs s6vbre, sur le pontificat de Pie X, J. Hajjar ne parait pas moins pessimiste que C. Soetens quant a l'avenir d'un unionisme dont Benoit XV et la guerre vont pourtant redorer le blason (p. 263).

Une seconde section, sans doute la plus originale du volume, puise dans les archives du Quai d'Orsay l'analyse des vicissitudes du protectorat frangais

(5) Bonne analyse de la genise de celui-ci par N. ELISSEEFF, a Note sur les Chr&tiens du Proche-Orient >, Cahiers d'Histoire (Lyon), 1973, N0 4, pp. 373-384 (g l'occasion de la soutenance de these sur travaux de J. Hajjar).

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sur les catholiques de l'Empire ottoman et sur les Lieux saints. Aux Autrichiens, Russes et bient6t Allemands ou Italiens qui s'emploient B le grignoter, Ldon XIII r6pond par un acte de confirmation en bonne et due forme le 20 juillet 1898, peu avant le voyage de Guillaume II au Proche-Orient. Sur la solidit6 de cet appui 7 la cause frangaise, que conteste C. Soetens, comme sur l'6tendue des taches confi6es aux Habsbourgs par le Saint-Siege (congrbs de Berlin, 1878), que r6duit J. Hajjar, apparait done un second 6cart d'interpr6tation entre les deux auteurs (6).

Mais cette confirmation du protectorat frangais sera la dernibre. Pie X, qui doit pour partie la tiare au veto autrichien sur le bras droit de L6on XIII Rampolla, n'a manifestement ni les m~mes sympathies ni les m~mes vis6es inter- nationales que son pr6d6cesseur. Certes, il ne touche pas au protectorat. L'accen- tuation du combat laique en France et la rupture des relations avec le Vatican qui s'ensuit facilitent n6anmoins l'effritement de celui-ci. Autrichiens et Italiens, surtout, rongent les positions frangaises tant en Egypte qu'en Palestine. Et les fonctionnaires du Quai d'Orsay en poste au Levant ne peuvent que regretter, avec les beaux jours de 1'6t6 concordataire, une S6paration qui 6branle l'6cha- faudage patiemment consolid6 par des g6n6rations de leurs confreres. La pr6pon- d6rance de Paris dans cette zone ne survivra pas aux bouleversements de la guerre.

Une troisidme section, de beaucoup la plus fournie, retrace l'histoire agit6e des communaut6s catholiques orientales pendant la p6riode consid6r6e. Cette utile revue de d&tail pr6sente toutefois un double d6s6quilibre. D6s6quilibre th6matique d'abord, qui privil6gie nettement la chronique eccl6siastique au d6tri- ment de la vie religieuse. Ballott6es entre unionistes et missionnaires, constam- ment soumises aux ing6rences de Rome et de la puissance protectrice (7), ces communaut6s connaissent, il est vrai, des crises r6p6ties qui nuisent & leur rayonnement. Mais I'image qu'en procurent des chancelleries jalouses de leurs pr6rogatives force naturellement la note politique, : leurs propres archives satisferaient peut-&tre mieux les curiosit6s spirituelles.

D6s6quilibre g6ographique 6galement, qui donne le pas aux chr6tiens de l'Empire ottoman et d'Egypte (bien couverts par les documents diplomatiques frangais) sur leurs fr&res slaves, roumains ou grecs, moins familiers & l'auteur. Parmi les premiers, deux communaut6s-phares, deux modules entre lesquels oscille le destin de l'uniatisme au Levant : les maronites d'un c6t6, acquis & la latinisation et p6nitr6s d'influences frangaises au point de songer d6j& & l'autonomie du Mont-Liban; les melchites de l'autre, fiers de leur appartenance au monde arabe ainsi que d'une libert6 vis-a-vis de Rome qui en fit & Vatican I les d6fenseurs de l'Orient contre la centralisation. J. Hajjar relive, nous le savons, de ce second univers religieux.

Et nous touchons 1l l'un de ses griefs de m6thode envers C. Soetens. A la diff6rence de celui-ci, en effet, J. Hajjar est intimement concern6 par le sujet

(6) Revue d'Histoire eccldsiastique, art. cit., pp. 652-653. (7) Dans les querelles arm6niennes, par exemple, la Propagande soutient le clerg6

traditionaliste, et la France les notables laiques plus . modernes r.

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qu'il traite; c'est done moins un excks de distance que de proximit6 qui le guette :

il n'a d'ailleurs pas craint, nagure, de d6fendre vigoureusement I'originalit6 et la sp6cificit6 contestees du catholicisme oriental (8). Ici, au contraire, une volonte affirm6e de rigueur scientifique le fait redoubler de prudence et se retrancher souvent derriere un materiau brut plus exclusivement occidental que celui de C. Soetens. D'oi le nombre et la longueur des extraits de d6pches ou rapports, d'oi parfois un refus deliber6 du commentaire (4 L'extrait qui suit dispensera le lecteur de tout autre analyse , p. 505), d'oi surtout l'absence de conclusion

g~n6rale. C'est B peine si l'insistance sur les propositions d'un Gr6goire Youssef, d'un Strossmayer, d'un Soloviev ou d'un Max de Saxe, prince-abb6 reduit au silence par Pie X, traduit les sympathies de l'auteur pour une formule . catholique- orthodoxe > qui unirait i'Orient

t Rome sans subordination ni perte d'identit6.

Alors que C. Soetens est tent6 de mesurer l'unionisme B l'aune de Vatican II, J. Hajjar demeure trop discret pour en offrir la rehabilitation vers laquelle parait tendre sa recension. Volens nolens, l'historien appartient, tout comme le socio- logue ou le physicien, g un temps et g un milieu d6termin6s. I1 n'existe pas de science pure. La reconnaissance de cette infirmit6 (?) cong6nitale et l'explicitation des presupposes qu'elle implique permettraient d'eviter bien des malentendus (9).

Quant & l'autre differend methodologique, le sous-titre de J. Hajjar - Diplomatie et histoire de l'Eglise - l'eclaire crfument. Si son parti-pris docu- mentaire le place un peu en porte-&-faux sur l'histoire interne des Eglises unies, il fait merveille pour dem8ler l'echeveau politico-religieux autour du protectorat frangais. Ce parti-pris que nous serions platement tent6 d'interpr6ter en termes fonctionnels - bien accueilli & Paris, J. Hajjar s'est vu refuser l'acchs aux d6pbts romains (pp. 11-12) - est neanmoins theorise d'une manibre qui ne peut pas ne pas relancer la discussion. Comment eviter de se demander, en effet, si la conviction d'une sup6riorit6 des sources laiques sur les sources ecclsiastiques n'entraine pas l'auteur & ratifier l'opinion du Quai d'Orsay selon laquelle a ces questions sont en meme temps et surtout d'ordre politique ' (citation p. 62, note 116)? Ainsi l'historiographie du catholicisme oriental, aprbs avoir vecu isol6e de celle des imperialismes europeens, risquerait-elle de se perdre en eux (10)... Sans entrer dans les marais du debat sur la specificite du religieux, nous plaidons, par conviction plus que par esprit de conciliation, pour une complementarite dont les deux ouvrages fournissent d'ailleurs de saisissants exemples. I1 n'existe pas, & nos yeux, de source intrinsbquement meilleure qu'une autre, mais seulement des sources plus ou moins bien appropriees & leur objet.

(8) L'apostolat des missionnaires latins dans le Proche-Orient selon les directives romaines, Jerusalem, 1956, 50 p. (deux 6poques : avant et apr~s le congrbs eucharistique de 1893). Sur un plan thborique, ' L'historiographie eccl6siastique comme expression de la conscience v6cue de l'Eglise dans les Eglises orientales du monde arabe >, Concilium, 67, 1971, pp. 125-130.

(9) Remarquable mise au point de Joseph Hoffmann, & propos de l'infaillibilit6 pontifi- cale et des theses de A.B. Hasler, dans la Revue des Sciences philosophiques et thdologiques, janvier 1979, pp. 75-78.

(10) J. Hajjar regrette I'absence de travaux d'histoire ginbrale sur ces impbrialismes (p. 308, note 67). Mentionnons n~anmoins ceux de Jacques THOBIE en matibre de rivalit&s dconomiques et financibres au sein de l'empire turc (sa thhse notamment, Intdre~ts et impbria- lisme frangais dans l'Empire ottoman (1895-1914), Paris, Publications de la Sorbonne - Imprimerie nationale, 1977, XX-817 p.).

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RELIGION ET POLITIQUE

Autant les archives eccl6siastiques demeurent irremplagables pour 6voquer une vitalit6 spirituelle ou apostolique que le plus attentif des diplomates 6prouve quelques difficultds B appr6hender, autant les archives nationales pr6servent I'histoire religieuse des oeillbres de l'auto-compr6hension. Leur croisement empche et le frileux repli du religieux sur lui-mime et sa r6duction aux pressions externes, fussent-elles celles du concert international.

*

La conjonction de l'approche Soetens et de l'approche Hajjar indique le maniement de deux, si ce n'est trois pieces cl6ricales et une demi-douzaine de pieces gouvernementales sur l'6chiquier proche-oriental. Cherchant avant tout B se prot~ger des coups portis de l'int~rieur contre sa politique d'assimilation, le milieu missionnaire voit dans l'6tablissement de bonnes relations avec Istanboul un moyen de freiner l'expansion russe-orthodoxe et de secouer une tutelle frangaise impatiemment support~e par des pr6lats ou religieux souvent de nationalit6 ita- lienne. Appuy6 de bout en bout sur la Propagande, ii recouvre avec Pie X la pleine confiance pontificale. Le groupe de pression unioniste, qui r6ussit un moment I capter l'attention de L6on XIII et de la Secr6tairerie d'Etat, est lui- m~me partag6 entre deux tactiques difficilement compatibles : priorit6 slave qui fait de la < conquate de la Russie la c16 du succbs; priorit6 levantine seule capable de r6sister au panslavisme... Refusant de trancher, Leon XIII n6gocie avec le sultan comme avec le tsar. Nous attendons de J. Hajjar qu'il confirme l'existence d'une troisidme voie qui ne serait plus le reflet de l'une ou l'autre these occidentale, mais un v6ritable sursaut uniate, tout a la fois pleinement oriental et pleinement catholique. Latinisation et romanisation d6j& fort avanc6es de plusieurs Eglises unies ne la rendent-elles pas bien al6atoire ?

Le climat religieux au sein de chacune de celles-ci est trop complexe pour autoriser une typologie rigide. L'action des missionnaires rencontre souvent un reel 6cho parmi des populations soucieuses de s'adapter aux us et coutumes des tuteurs occidentaux. S'il demeure le plus caract6ristique, l'exemple maronite n'a rien d'exceptionnel : la d~culturation progresse 6galement chez les Syriens, les Coptes ou les Chald6ens. Mais ses exchs 6veillent aussi des r6sistances : tandis que celle des Melchites connait une 6clipse sous le patriarche Cyrille G6ha, le d6but du XX' sidcle voit naitre celle des Arm6niens et surtout des Slaves, aprbs la nomination du comte Andr6 Szeptickij B la tite des Ukrainiens unis en 1900.

Enjeu d'app6tits multiples, I'empire ottoman est moins l'une des pibces que l'~chiquier sur lequel, contre son gr6, se d&roule la partie. Dans le domaine religieux comme dans d'autres, son int6r&t consiste g diversifier les suj&tions, sinon i les opposer les unes aux autres. Son d6sir d'entamer le monopole frangais I'emp~che de repousser les avances vaticanes; mais la hantise de l'expansionnisme catholique (avant le congrbs de Jerusalem en particulier) l'empche 6galement de prendre ces avances tris au sbrieux. La France, 6cartel6e entre sa chasse gard6e proche-orientale et ses alliances europ~ennes, voit d'un mauvais ceil les efforts de p6n6tration religieuse russes en Palestine, britanniques en Perse et M6sopo- tamie; elle finit toutefois par accorder g l'Italie la protection de ses nationaux (1905). Ecartel6e aussi entre les positions unionistes de religieux notoires et le

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risque de d~clin de son influence que repr~sente ~ terme la valorisation des communaut6s unies, ~cartel~e enfin entre la preservation de l'acquis et une probl6- matique coherence laique, elle s'installe de plus en plus sur la defensive.

Ses deux principaux rivaux sont l'Autriche-Hongrie et la Russie. Tant dans les Balkans qu'en Egypte, Vienne veut accroitre son ascendant. Hostile au rite oriental quand le croate Strossmayer, suspect de sympathies panslaves et russes, s'en fait l'avocat, elle s'y convertit quand le flambeau passe aux mains du metro- polite ukrainien Szeptickij, dont les revendications nationales affaiblissent le flanc occidental de l'ennemi russe... Saint-Pitersbourg, pour sa part, h~site entre I'appui moral du Saint-Sidge, pr6cieux vis-a-vis des allogbnes catholiques (Polonais principalement), et une double exigence orthodoxe : refus de l'expan- sion du < romanisme > dans l'empire sous quelque forme que ce soit; volont6 d'expansion au Proche-Orient concr6tis6e d~s 1882 par la cr6ation de la Soci~t6 impdriale orthodoxe de Palestine. D'oi l'inachbvement de la reprise des relations diplomatiques (un ministre russe aupr~s du Vatican, mais pas de nonce dans la capitale tsariste); d'oi la tardive reconnaissance de la libert6 de conscience et de culte apris la r6volution manqu6e de 1905.

Des autres protagonistes, le d6coupage du propos ne permet pas de dire grand-chose. Un panorama exhaustif devrait pourtant faire intervenir l'Allemagne de Guillaume II, I'Angleterre victorienne et le royaume d'Italie, d'une part; la postiritu de la Rfforme, dont Jean-Michel Hornus vient de retracer l'implanta- tion (11), I'Islam, grand absent des deux ouvrages, et aussi les Juifs, de l'autre. Chr~tien de souche arabe, J. Hajjar ne pourrait-il t l'avenir inclure les r6actions du monde musulman, en plein rtveil g la fin du XIXe sidcle, dans ses perspec- tives ?

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D'autant que les bouleversements constcutifs aux deux guerres mondiales sont loin d'avoir rendu caducs les parambtres religieux de l'ancienne a question d'Orient >. Le regain d'actualit6 de ceux-ci n'explique-t-il pas d'ailleurs, pour partie, la passion de leurs historiens (12)? Un religieux f6ru d'oecum6nisme (13) 6crivait, en 1947, de Jerusalem :

' Au fond, on sent ici toutes les influences nationales et politiques qui compliquent terriblement le problkme de l'Unit6. Les pr~tres, et moi le premier, se sentent Occidentaux contre les Orientaux, Frangais contre les Italiens, les Anglais, les Espagnols, a chretiens contre les Juifs; et je ne pense pas que l'on puisse y 6chapper sans un htroisme que ne connaissent que les saints. Notre id6alisme intellectuel de France succombe vite devant les impirialismes politiques et culturels; il n'y a pas de solution facile ,.

(11) ~ Cent cinquante ans de pr6sence 6vang6lique au Proche-Orient (1808-1953) ~>. Cahier d'6tudes chr6tiennes-orientales, Foi et Vie, mars 1979, 108 p.

(12) Passion qui confine parfois, hdlas, au rbglement de comptes : trbs sbv~rement jug6 par J. Hajjar, J.-M. Hornus riposte violemment dans une note de la Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses (Strasbourg), 1974, N0 4, pp. 535-544.

(13) Lettre du mariste A. George & son confrere M. Villain, 1"i janvier 1947, Papiers Villain.

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RELIGION ET POLITIQUE

L'analyse ne vaut-elle pas encore aujourd'hui, moyennant quelques substi- tutions de personnages, si l'on en croit Th. Sicking, auteur d'une r~cente radio- graphie politico-religieuse du Liban (14)? Non, il n'y a de solution facile au Proche-Orient ni sur le terrain politique, ni sur le terrain eccl~siastique (15)... ni sur le terrain scientifique. Raison de plus pour souhaiter, sans ti6deur ni exclusi- visme, la conjonction de d~marches diiment situ6es, seule capable d'6lucider les inigmes rencontries.

Etienne FOUILLOUX Universiti de Paris X - Nanterre

(14) < Le cas des minorit6s religieuses au Liban >, Actes de la 15e Conf~rence inter- nationale de Sociologie religieuse (Venise, 1979), Lille, C.I.S.R., 1979, pp. 334-359.

(15) A preuve l'6tude de J. HAJJAR, << Crise de foi ou crise eccl6siastique ? La d6mission de Mgr Gr6goire Haddad, m6tropolite grec-catholique de Beyrouth (Liban) >, Pluralisme et CEcuminisme en recherches thdologiques (Mblanges Dockx), Gembloux, 1976, pp. 57-101.

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