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Renaissance de l'église des Cordeliers PRO FRIBOURG 90-91 Trimestriel juin 1991

Renaissance l'église des Cordeliers€¦ · Les peintures du cloître et la nouvelle sacristie Démarche et réflexion de l'architecte Problèmes de la restauration Entretien avec

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Renaissance

de

l'église

des

Cordeliers

PRO FRIBOURG

N° 90-91

Trimestriel juin 1991

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L'ÉGLISE DES CORDELIERS DE FRIBOURG

REPÈRES FRIBOURGEOIS 2

Dans la même collection: Manessier à Fribourg

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Cette publication a etc réalisée avec le concours de la Loterie Romande

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SOMMAIRE

Présence franciscaine à Fribourg

Sept siècles d'architecture franciscaine

Les Cordeliers, gardiens d'un patrimoine majeur

Les peintures du cloître et la nouvelle sacristie

Démarche et réflexion de l'architecte

Problèmes de la restauration

Entretien avec le restaurateur Stefan Niissii

Artisans restaurateurs

Les abords de l'église des Cordeliers

P. Otho Raymann 5

Jacques Bujard 13

Alfred A. Schniid 21

J.-B. de Week 37

Thomas Huber 43

Alfred A. Schniid 50

53

François Merlin 54

J.-B. de Week 57

Photographies de Jean Mülhausen F ri hou rx

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Extrait du plan Martini de 1606 avec en enfilade le clocher de Saint-Nicolas, l'église Notre-Dame, le couvent et l'église des Cordeliers.

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PRÉSENCE FRANCISCAINE À FRIBOURG

«Va cl rétablis nui Maison !» (I.étende des trois compagnons, cli. 5)

P. Otho Raymann

Scion la légende, alors que François d'Assise vivait encore "dans le monde", il entra un jour dans l'église de San Damiano et se mit en prière devant l'image du Crucifié. De façon miraculeuse, une voix l'interpella: "François, ne vois-tu pas que ma maison est en ruine'? Va et relève-là !". Avec l'ouverture et la spontanéité qui furent siennes toute sa vie, il s'activa à restaurer l'église menacée, croyant que le message visait la construction de pierre, mais il comprit rapidement qu'on exigeait plus de lui. Son regard devait dépasser la matière pour embrasser l'Eglise vivante, la communauté des hommes en communion avec la révélation du Christ. Contribuer à réaliser le royaume de Dieu dans le cœur des hommes sera désormais le but de la vie el des œuvres de François.

Bientôt de nombreux frères se joignirent au Poverello et furent envoyés par lui de par le monde pour vivre l'évangile en parole el en vérité. L'Eglise reconnut les promesses de renouveau du message franciscain et les mil en pratique pour le bien des hommes. Celle mis¬ sion, les Franciscains, avec plus ou moins de bonheur, se sont efforcés de la remplir jusqu'à nos jours.

Les hommes furent attirés en foule par le mode de vie simple et évangélique des frères mineurs et l'ordre se répandit rapidement au cours du XIII' siècle dans l'Europe centrale et méridionale. C'est encore du vivant de saint François (mort en 1226) que les Franciscains gagnèrent nos contrées. Les premières fondations datent cependant d'après la mort du fon¬ dateur de l'ordre. Pour Fribourg, selon la tradition, la date de 1224 fut longtemps retenue, mais, au milieu du siècle dernier, l'abbé Gremaud, un historien local, découvrit aux archives de Lausanne, dans les actes de l'abbaye de Hautcrêt, le document de fondation du Couvent de Fribourg de 1256. Un riche bourgeois de la cité, Jakob von Riggisbcrg, y léguait par tes¬ tament aux frères mineurs sa maison et un terrain en ville, avec obligation de commencer, dans le délai de trois ans, la construction d'une église et d'un couvent. Un moine du couvent bâlois des Cordeliers, représentant la province strasbourgeoise, était présent lors de la dona¬ tion. On peut en déduire que le Couvent fut occupé initialement par des frères de cette pro¬ venance. De nos jours, Fribourg appartient à la province suisse et en est le siège.

Le plus ancien document conservé aux archives conventuelles est daté de 1300 et traite d'une vente de terrain par Ulrich von Maggenberg. administrateur du Couvent. Nous ne

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sommes donc guère renseignés sur les époques antérieures et nous ne pouvons nous appuyer que sur deux dates précises. L'une est donnée par la pierre tombale, placée dans le chœur. d'Llisabeth von Kyburg, bienfaitrice de la communauté, morte en 1275: l'autre par un manuscrit ancien dont une note marginale indique qu'en l'an 1281 un chapitre provincial se tint à Fri bourg. Des premiers couvent et église, il ne subsiste rien, ainsi que les fouilles archéologiques l'ont démontré. Les seuls éléments encore visibles de l'époque médiévale - le chœur et l'ancienne sacristie - datent du premier quart du XIV" siècle.

L'activité du Couvent s'inscrivait dans le cadre de la pastorale ecclésiastique et francis¬ caine: services religieux, administration des sacrements, prédication, mais était aussi scolaire, éducative et culturelle. Les relations avec la ville étaient intenses et multiples. Dès le début du XV1 siècle jusqu'au début du XIX". les bâtiments monastiques et. plus tard, l'église même servent aux réunions du Conseil et de résidence lors de visites officielles. Le Couvent hébergera ainsi, au cours de sa longue histoire, des hôtes de marque tels que. en 1414. l'empereur Sigismond et sa suite, en 1443 l'empereur Frédéric III et. en 1453 et 1469, le duc de Savoie.

De la communauté conventuelle sont issues de fortes personnalités, dont deux évèques: Rudolph von Greyer/, évêque titulaire d'Hebron (+1447), et Dominique Jaquet, évêque titulaire de Salamis (+1931). Issu également du Couvent, le Père provincial Friedrich von Arnberg, mort en 1432 en odeur de sainteté: il réforma la discipline monastique et établit la première bibliothèque conçue systématiquement (20 Codices en subsistent encore). Le Provincial Jean Michel de Bulle (+1598). un ami de saint Pierre Canisius. fut vicaire géné¬ ral tie l'évèque de Lausanne et eut pour tâche l'application des réformes du Concile de Trente. Ltifin. Grégoire Girard (+1850). le célèbre pédagogue et fondateur de l'enseignement mutuel à Fribourg.

Le Couvent vécut sa première période faste au XV siècle. Une époque marquée par deux hommes sav ants et entreprenants. Friedrich von Amberg et. par la suite. Jean Joly (+1510). un Fribourgeois. Tous deux étudièrent à Paris et Avignon. Joly en plus à Strasbourg, où se trouvait le centre d'études de la province franciscaine. Jean Joly établit vers 1460 un atelier de reliure monastique qui œuvra jusqu'à la fin du XVT siècle et enrichit la bibliothèque fon-

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dée par von Amberg de manuscrits el d'ouvrages imprimés. C'est à lui que l'on doit la commande du retable du Maître à l'œillet.

Alors que. dans les contrées où la Réforme triomphait, les couvents franciscains étaient supprimés (Bâle en 1529. Berne. Berlhoud et Königsfelden en 1528, Schaffhouse en 1529, Zurich en 1524, Genève en 1534, Grandson en 1554, Lausanne et Nyon en 1536), le Couvent de Fribourg fut épargné, car la ville restait attachée à l'ancienne foi. Du l'ail des erre¬ ments qui se répandaient partout, le pouvoir politique imposa ses directives de réforme de la discipline conventuelle, ce qui permit au Couvent de traverser ces temps difficiles sans trop de dommage et d'atteindre de nouveau au faîte de son rayonnement au XVIII1' siècle. Le Père Grégoire Mo ret de Romont (+1779) fut l'artisan de ce renouveau. Lui-même écrivain et doc¬ teur en théologie, il a, par l'établissement d'études théologiques et philosophiques, élevé le Couvent en centre spirituel et scientifique. Le célèbre Père Girard, interrogé sur les rai¬ sons de son entrée au Couvent des Franciscains, répondait: "C'est parce que les études y sont en honneur."

Plusieurs confrères du Père Grégoire Moret se distinguèrent dans l'enseignement de la théologie, de la philosophie et des mathématiques et on fit appel à eux tant en Suisse qu'à l'étranger. Le Père Joseph Meuwly de Courtepin (+1801 ) fut un dessinateur et peintre de talent. Les Pères Claude Jannon (+1743) et Antoine Milleret (+1770), tous deux Fribourgeois, furent de zélés musiciens.

Les anciens bâtiments monastiques avaient été déjà démolis en 1712 par un prédécesseur du Père Grégoire. Sous la direction d'Eusebius Moosbrugger, venu du Vorarlberg, un nouvel ensemble de constructions fut édifié dans le style baroque, plus spacieux mais simple de forme. Bientôt l'église gothique ne fut plus en accord avec la sensibilité religieuse et les exi¬ gences pastorales du temps. Du fait des nombreux caveaux creusés dans la nef, cette partie de l'édifice était affaiblie statiquement et proche de l'effondrement.

Le Père Grégoire Moret. gardien en titre du Couvent, commença la reconstruction de la nef en 1745. Les Franciscains pouvaient compter sur la générosité des autorités et de la popu¬ lation. Elle s'était déjà exprimée lors de la construction des nouveaux bâtiments monastiques au début du siècle. Le Chapitre de Saint-Nicolas fit abattre dix grands sapins. Les Franciscains

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furent autorisés à l'aire une collecte et de nombreux donateurs se manifestèrent. Le coût de la nef. accolée de main tic maître au chœur gothique, dépassait de loin les moyens de la com¬ munauté. Le Conseil des Deux-Cents accorda un prêt sans intérêt de plus de ÎOOOOO francs pour quinze ans et mit gratuitement à disposition les moyens de levage et les échafaudages. Les L'ranciscains purent étendre leur collecte à la Singine et les paroisses contribuèrent à l'édi¬ fication de la charpente. De son côté, la communauté était en mesure de fournir des frères artisans et artistes hautement qualifiés, tels que les frères Kilian Staulïer de Beromiinster (+1729) et Anton Pfister de Lucerne (+1790). Le frère Kilian édifia en 1692/93 le nou¬ veau maître-autel baroque, écartant alors le retable du Maître à l'œillet. Les motifs sculptés tic la corniche de la chapelle des Ermites lui sont également attribués. Le frère Anton réa¬ lisa les autels latéraux et la chaire: un remarquable travail en faux marbre.

L'évcquc de Lausanne. Joseph-Hubert de Boccard. put ainsi procéder à la dédicace solen¬ nelle de l'église le (S novembre 1745 et remettre aux fidèles une maison digne de Dieu dans un esprit contemporain.

Des temps incertains s'annonçaient. La République Helvétique décréta l'interdiction d'accueillir des novices et confisca en 1798 les biens du Couvent. Leur usage lui fut rendu en 1803. mais le régime radical supprima le Couvent pour la deuxième fois en 1848. mal¬ gré l'estime dont jouissait le Père Grégoire Girard dans les cercles libéraux. Le gouvernement conservateur annula en 1857 cette décision, mais le grand verger devant le Couvent fut exproprié dans les années suivantes pour la construction de la nouvelle rue de Morat (ill. p. 57).

L'ensemble des couvents franciscains qui axaient survécu à la Réforme disparurent au cours du \I\ siècle, à l'exception de celui de Fribourg. Lucerne et Werthenstein furent sup¬ primes en 1838. Locarno et Madonna del Sasso (actuellement Cornent de capucins) en 1848. l.ugano en 1811 et Soleure en 1857. La province de Haute-Allemagne, à laquelle Fribourg appartenait, entreprit de grands efforts de réorganisation et se reconstitua en 1857 avec siège à Wiir/burg. Le couvent de Fribourg put ainsi se rétablir lentement et. à la fin du siècle dernier, entreprendre de nouvelles taches dans l'esprit même du Père Grégoire Moret et du Père Grégoire Girard. Fn 1890. les Pères furent chargés de l'enseignement au Gymnase

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allemand du Collège Saint-Michel et s'y vouèrent pleinement jusque dans les années sep¬ tante. Avec la fin de cet enseignement, le Pensionnat du Père Girard qui avail été construit en 1907 en annexe du Couvent fut pratiquement désaffecté.

Cet engagement dans la recherche et l'enseignement n'excluait cependant nullement les lâches pastorales. Depuis la fin de l'époque médiévale, non seulement les prêches en langue alle¬ mande mais également ceux en langue française étaient donnés en l'église des Cordeliers. L'aide à la pastorale aux environs de Fribourg et tout spécialement dans le district alle¬ mand de la Singinc était du devoir des Franciscains et le reste aujourd'hui. Elle est toujours partie intégrante de l'activité franciscaine du Couvent, à pari la charge de son église, même si elle se trouve réduite naturellement par le recul général des vocations.

Depuis l'édification de la nouvelle nef, l'église a subi, par suite de restaurations, des alleintes préjudiciables, où le goût du temps jouait son rôle. Le manque d'argent a souvent imposé des solutions sommaires, entraînant un appauvrissement de la conception artistique originelle. Ainsi, en 1900. l'édifice a-t-il perdu l'essentiel de sa décoration baroque, à l'exception ties autels latéraux. La marque du temps a laissé son empreinte sur ses façades et gravement érodé sa fragile molasse.

La communauté prit, en conséquence, la décision, en 1969, de procéder à la restauration complète de l'église et de constituer un fonds à cet effet, qui serait alimenté par la quête du premier dimanche du mois. Ce fut une décision courageuse de se charger d'une tâche aussi longue, accaparante cl coûteuse. Une commission fut formée avec des amis du Couvent, dans le but de réunir des fonds au moyen d'actions diverses, allant de la collecte de récupération, aux ventes de cartes, aux bazars et au marché de Saint-Nicolas; consti¬ tuant enfin un fichier de donateurs. Comme aux temps anciens, le Couvent put compter sur l'aide officielle, l'église étant classée d'intérêt national, ce qui lui permettait d'obte¬ nir le taux le plus élevé de subventionnement. La Confédération, le Canton et la Commune ont ainsi fourni chacun leur part. Il ne faut pas non plus oublier la foule des donateurs connus ou anonymes: sans eux. sans leur aide matérielle et morale sensible, la communauté n'aurait pas trouvé le courage de mener à terme une entreprise si pleine d'embûches, de surprises et d'incertitudes.

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Au bout do ces dix-sept ans de travaux - on envie certes la durée de construction de la nef au XVIII1 siècle: sept mois! - l'église restaurée est à nouveau ouverte au culte et aux hommes épris et connaisseurs d'art. On peut affirmer, en toute bonne conscience, que l'engagement et le sacrifice de la communauté en valaient la peine. Le sentiment de joie, de gratitude et de satisfaction que l'on éprouve à la vue de l'œuvre heureusement achevée fait oublier les faiblesses humaines, les initations et les désagréments inévitables au cours des confrontations et des prises de décision.

Au vu du coût élevé d'une telle restauration se pose automatiquement la question de sa justi¬ fication. Pour les communautés publiques, la conservation et la restauration de la substance ori¬ ginelle d'un bâtiment peuvent être en soi suffisantes. Pour une communauté franciscaine orien¬ tée vers une vie dans l'esprit de l'évangile, la preuve du besoin se situe ailleurs.

Retournons à San Damiano: "Va et relève ma Maison", tel était le message. De même que saint François, nous ne pouvons nous limiter aux œuvres de pierre. Mais que ce digne et lumi¬ neux espace avec ses œuvres d'art soit le juste lieu de l'annonce et de la célébration, ou que la pénombre intime de la chapelle soit le refuge de ceux qui. fuyant le monde, recherchent le silence, la prière et la méditation, alors le soin et l'attention voués aux aspects matériels prennent tout leur sens.

Les Franciscains de Fribourg sont donc fiers de mettre leur église au service des croyants et de tous les êtres en quête de l'esprit.

AD M AIORFM DEI G LOR I AM ET FIDELIUM ANIMARUM SALUTEM !

P. Otho Ravmann

{Adaptation française de Gérard BaurgarclI

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SEPT SIÈCLES D'ARCHITECTURE FRANCISCAINE

Depuis plus d'un demi-siècle, l'église ties Cordeliers de l'ïïbourg est considérée par les historiens de l'art comme un témoin capital tie l'architecture franciscaine. Ce serait a Fribourg en effet que l'on rencontrerait pour la première fois le chœur type tics ordres men diants des régions germaniques avec voûte et abside à cinq pans. Il était donc particulière¬ ment important de profiter de la restauration tie l'église pour procéder à une étude archéo¬ logique approfondie. Celle-ci a débuté en 1976 avec tics recherches dans la sacristie et le cloître, recherches menées par MM. Peter Kggcnberger et Werner Stock 1 i de l'Atelier d'Archéologie Médiévale à Moudon. Le Service archéologique cantonal a ensuite étendu l'analyse à toute l'église, en plusieurs étapes, au cours ties années 1985-1990. Nos connais sances de l'édifice ont été radicalement renouvelées par ces travaux et l'église prend main tenant une place bien différente de celle qu'on lui attribuait jusque-là. ("est ainsi que trois grands chantiers médiévaux ont été mis en évidence, tandis que les traces de nombreuses transformations postérieures ont été relevées.

L'église primitive

C'est manifestement peu après la rédaction du testament tic Jacques de Riggisberg en 1256 qu'a débuté la construction de l'église, une clause limitant le délai du chantier a trois ans. Elle est sous toit au plus tard en 1275 lorsque la comtesse Elisabeth tie Kibourg y fut ense¬ velie. Son chœur se terminait à l'est par une absitle polygonale a neuf pans 1res étroits. Celle-ci était voûtée, comme l'atteste la présence de contrefort, alors que le reste du chœur n'était sans doute couvert que d'un plafond, aucun contrefort ne l'épaulant.

Ce profond chœur, où prenaient place les religieux, est a rapprocher d'autres sanctuaires poly¬ gonaux plus anciens, la cathédrale de Genève par exemple, ou contemporains, comme Lutrv. bâti vers 1250-60 ou Saint-François de Lausanne, vers 1270. Il était séparé de la nef par un jubé formé de cinq chapelles voûtées dont il reste les fondations et quelques traces de l'élévation. Quant a la nef, elle est restée inachevée pendant près d'un siecle, faute sans doute de moyens financiers. C'est ainsi que ses murs latéraux rie dépassaient pas 4.50 m de hauteur et que l'on adopta pour son mur sud un tracé irrégulier afin d'éviter le coûteux déplacement du lit d'un ruisseau. Sa toiture provisoire, très basse, n'était pas sup-

V

Jacques Bujard

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portée par les habituelles arcades de pierre, mais par deux rangées de simples poteaux de bois dont il subsiste l'une ties petites bases maçonnées. De tels poteaux ne sont pas exception¬ nels dans la région, les grandes églises d'Eslavaycr, de la Fille-Dieu à Romont ou d'Yverdon ont présenté ou présentent encore des supports de ce genre, de même que des églises parois¬ siales comme Blumenslein (BE) ou Chavornay (VD). Une petite porte aujourd'hui murée mérite d'être signalée, bien qu'elle ne soit plus visible, elle donnait accès depuis le cloître à une tribune ou une chaire placée dans le bas-côté nord.

La reconstruction du chœur

Lors d'un deuxième chantier, le chœur est démoli et reconstruit selon un plan simplifié. L'absi¬ de ne compte plus désormais que cinq pans au lieu de neuf (voir la photo ci-contre: le résultat des fouilles), et le chœur, entièrement voûté et percé de hautes fenêtres à remplage. est certainement plus élancé et lumineux que le précédent. Toutes ces baies s'ouvrent dans l'abside et le mur sud; le mur nord est aveuglé par les bâtiments conventuels et seules de petites fenêtres s'y ouvraient, permettant de suivre la messe depuis une salle de l'étage. Le chœur n'était percé à l'origine que de deux portes. L'une, au sud. à encadrement de colonnettes. mène à la sacristie ajoutée à ce moment, l'actuelle chapelle Kolbe. L'autre, en arc brisé avant les transformations du XVIIL siècle, conduit au cloître. Deux autres portes ont été ménagées plus tard; la première au nord près du maître-autel dessert une aile ajou¬ tée au couvent au XIVe siècle et la seconde offre depuis le XVIII0 siècle un second accès à l'ancienne sacristie. La piscine liturgique, une belle niche en arc brisé, s'ouvre à droite du maître-autel.

Les voûtes en croisées d'ogive sont sobrement moulurées de larges chanfreins formant, à l'image du plan de l'abside, les cinq pans d'un octogone et reposent sur des consoles. Quant aux quatre clés de voûte, elles figurent les symboles des évangélistes: saint Matthieu rédigeant son évangile sur un pupitre, le lion de saint Marc, le taureau de saint Luc et l'aigle de saint Jean. La main de Dieu et six masques sont en outre sculptés au-dessus de ces clés.

La longue et étroite sacristie bâtie lors du même chantier contre le flanc sud du chœur est éga¬ lement voûtée. Elle est subdivisée en trois travées par les contreforts du sanctuaire et l'on

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Les contreforts des deux chœurs gothiques successifs.

(Photo: François Roulet, Service archéologique cantonal.)

peut voir à son extrémité occidentale le passage vers le jubé qui traverse depuis le XVIIe siècle un des voûtains.

Le jubé est également reconstruit à ce moment, il a été démoli en 1745, mais les vestiges conservés permettent de reconstituer intégralement son aspect. Ses cinq chapelles étaient voû¬ tées en berceau et sa façade formée de cinq arcs brisés moulurés, comme ceux du chœur, de larges chanfreins. Une galerie le surmontait, sa porte est encore visible à l'étage du cloître.

Ce n'est que par ces travaux que le chœur acquiert son aspect actuel, typique, nous l'avons vu, des églises d'ordres mendiants. Datable des années 1300, ce nouveau sanctuaire rattache l'église à celles que les Franciscains bâtissent à la fin du XIIIe siècle et dans la première moi¬ tié du XIVe siècle à Bâle, Koenigsfelden et Lucerne pour ne citer que les plus proches géo- graphiquement. Il n'a donc pas été le prototype de l'architecture franciscaine germanique que l'on pensait jusqu'ici.

Des stalles sont établies dans le chœur dès son achèvement, elles ont en effet été confec¬ tionnées avec du bois de chêne coupé, d'après l'analyse du Laboratoire romand de den- drochronologie, en été 1305. Avant leur transformation en 1745 - transformation consécu¬ tive à la démolition du jubé - elles comptaient 70 sièges, ce qui témoigne de l'importance de la communauté franciscaine au début du XIVe siècle.

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La reconstruction de la nef

("est un troisième chantier de grande envergure qui donne à la nef l'aspect qu'elle conser¬ vera jusqu'au XVilL siècle, un aspect plus conforme aux caractères habituels de l'architecture franciscaine. Le mur latéral nord est surélevé et six grandes fenêtres y sont ménagées; l'une d'elles, qui a perdu son remplage, vient d'être dégagée au-dessus de la chapelle ties Ermites. D'autres fenêtres identiques, visibles sur les panoramas de Sickinger (1582) et Martini ( 1606), sont ménagées dans le mur sud qui est alors reconstruit sur un tracé rectiligne.

Des arcades de molasse viennent remplacer les poteaux de bois; leurs piles circulaires repo¬ sent sur les bases octogonales retrouvées lors tics fouilles. Le vaisseau central éclairé par des oculi et les bas-côtés sont couverts de plafonds, selon les constitutions du chapitre général de Narbonne tie 1260 qui interdisent le voûtement des nefs. Quant à l'entrée principale de l'église, elle se trouve dans le bas-côté sud.

La construction de cette nef peut être datée ties années 1330-1340, sa grantle ressemblance avec les nefs ties Augustins tie bïibourg et tie l'église paroissiale de Payerne montre qu'elle appartient à un courant architectural répandu dans la région dans la première moitié du XIV' siècle.

Outre ces grands chantiers médiévaux, ties transformations moins importantes ont été apportées à l'église entre le XIV1 siècle et 1745. date de la dernière reconstruction de la nef.

L'enfeu du mur nord

Une niche en arc brisé a été récemment découverte dans le mur nord. Décoré à l'origine d'un remplage. cet enfeu surmonte depuis le XIV- siècle un tombeau, posé lui-même sur la voûte d'un caveau souterrain. Ce caveau devait être la propriété d'une famille importante, peut- être apparentée aux kibourg. puisque c'est devant l'enfeu que se voyait autrefois la dalle funé¬ raire de la comtesse Llisabeth de kibourg ensevelie en 1270.

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L'orgue gothique du chœur

Un orgue dû à maître Conrad Belius est signale le X mars 1425 par les archives du Couvent. Accroché, à la manière de celui de Valère à Sion, à la paroi nord du chœur, il en subsiste quatre trous visibles en léger creux au-dessus des stalles. Une poutre de chêne conservée dans l'un de ces trous permet de placer en 1424, par analyse dcndrochronologique, la construc¬ tion de cet instrument, le plus ancien de Fribourg et l'un des premiers de Suisse.

L'ancienne chapelle des Ermites

L'actuelle chapelle des Ermites a été bâtie en 1748 contre le flanc nord de la nef en réuli- lisant en grande partie les matériaux de la chapelle primitive. Celle-ci se trouvait, depuis sa fondation en 1694. au milieu du vaisseau central.

D'après ses vestiges fouillés en 1985, elle présentait un plan et une décoration identiques a celui de l'édifice du XVIII siècle.

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I,a reconstruction tie 1745

La nef est reconstruite une dernière Ibis en 1745. Les arcades et le jubé sont alors abattus, tan¬ dis que les murs sont arasés. La nouvelle nef. allongée d'une travée, présente un vaisseau unique, plafonné, flanqué de chapelles voûtées accueillant les nombreux autels adossés dès le XV' siècle aux piles de la nef gothique. L'architecture très simple de cette nef classique réalisée sur les plans île 1 lans Fasel le Jeune n'est rehaussée que par les arcades à chapiteaux doriques des chapelles et de l'arc triomphal. Elle est abondamment éclairée par les larges fenêtres des chapelles et par les petites baies s'ouvrant sous le plafond. A l'extrémité occi¬ dentale de la nef, au-dessous d'une vaste tribune d'orgue, des arcades fermées par des grilles tie bois isolent lui narthex. Quant à la belle façade principale, percée de grandes baies, rythmée par des pilastres et couronnée d'un fronton, elle a été dessinée par François- l'hilippe de Diesbach-Belleroche, officier au service de France.

Conclusion

L'analyse archéologique a notablement enrichi notre connaissance de l'édifice. Elle a aussi aidé les architectes et les maîtres d'œuvre à remettre en valeur certains éléments de l'égli¬ se altérés par des transformations malheureuses, sans pour autant effacer les traces de sa longue histoire. L'étude en cours de l'abondant matériel recueilli - fragments de sculp¬ tures, de peintures murales gothiques, céramiques et monnaies - permettra de préciser encore la reconstruction et la datation de chacune des phases successives de l'église.

C'est donc un chantier fondamental pour l'histoire de l'architecture gothique régionale et même, pour certains aspects, internationale qu'a mené durant ces dernières années le Service archéologique cantonal à l'église des Cordeliers.

Jacques Bujard

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LES CORDELIERS,

GARDIENS D'UN PATRIMOINE MAJEUR

Alfred A. Sclimid

L'église des Cordeliers, jusqu'au XVe siècle le plus grand et le plus important sanctuaire de la ville de Fribourg, abrite à l'intérieur un trésor artistique très important. Son mobilier remonte jusqu'au premier siècle de son existence, cl, au cours de son histoire, beaucoup de générations - le couvent des Franciscains lui-même et des donateurs extérieurs - ont contribué à l'enrichir, de sorte que le visiteur trouve aujourd'hui un assemblage d'oeuvres d'art, certaines d'une célé¬ brité qui dépasse de loin les frontières de la Suisse, qui lui offre un vrai miroir tic l'évolution ties arts plastiques à Fribourg.

Commençons par la sculpture. Nous mentionnons tout d'abord les quatre clefs de voûtes gothiques du chœur dont les disques montrent en relief les symboles des évangélistes Matthieu, Marc. Luc et Jean, tandis que des côtés est et occidental nous rencontrons aux trois premières clefs deux têtes d'hommes, parmi lesquelles un évêque mitré et, à la clef au-dessus du maître-autel, la main de Dieu bénissante et nimbée. Les deux premières des trois clefs de voûte tie l'ancienne sacristie méridionale (aujourd'hui chapelle de saint Maximilien Kolbe), située au sud du chœur, présentent un décor à fleurs de lys. Au chœur, du côté septentrional, près de la porte nord-ouest qui conduit à la sacristie et au cloître, nous trouvons la plus ancienne dalle funéraire gothique figu¬ rée de la Suisse. Sous une arcade à redents, elle montre en relief la comtesse Elisabeth de Kybourg (+ 1275) veuve du comte Hartmann le Jeune, seigneur de Fribourg, en l'habit des ter¬ tiaires franciscains. Le monument sculpté le plus important au chœur qui attire tout de suite le regard est cependant l'ensemble des impressionnantes stalles gothiques, groupées en deux séries à deux rangs le long des parois méridionale et septentrionale, avec 66 formes. La situation actuelle a été créée au milieu du XVIIIe siècle, lors de la reconstruction de la nef qui avait pour conséquence la démolition du jubé placé à l'entrée du chœur; auparavant comme d'habitude, les deux moitiés étaient aménagées symétriquement, en équerre, et le chœur avec le maître-autel réser¬ vés aux offices du Couvent n'était dès lors que peu visible pour les fidèles. Notons qu'il s'agit de l'ensemble de stalles complet le plus ancien de la Suisse. Exécuté au dernier quart du XIII' siècle, donc prévu pour entrer dans la première église anéantie par un incendie, il est sculpté en bois de chêne et se contente d'accuser la structure par des arcades qui rythment les dorsaux ainsi que par des pare-closes et des jouées basses et hautes, le tout enrichi par un décor végétal. Le style sobre et dépouillé de cette œuvre remarquable répond pleinement aux prescriptions alors en vigueur chez les ordres mendiants. (Suite pat-e 26)

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Dalle funéraire Elisabeth de Kybourg (1725)

Stalles

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La sculpture du XV1' siècle est représentée par une œuvre monumentale, le Christ à la colon¬ ne qui se trouve dans la deuxième chapelle latérale du côté méridional. Le socle en présente, à côté d'un écu aux armes de François Krummenstoll, ajouté à la deuxième moitié du XVI' siècle, les armoiries de Jean Mossu - de sable chargé de trois fleurs de lys d'argent — dont le nom et la date 1438 y figurent d'ailleurs également. Il s'agit d'un bourgeois riche, fondateur île la chapelle accolée du côté sud à la tour de la cathédrale Saint-Nicolas qui porte son nom et qui abrite la grandiose Mise au Tombeau, datée de 1433. chef-d'œuvre de la sculpture f'ri- bourgeoise du XV1 siècle. Le même atelier et en partie le même maître anonyme ont créé d'autres sculptures pour le même commanditaire; l'apôtre Simon parmi les statues du por¬ tail occidental de la cathédrale, un Saint-Laurent, placé au-dessus de l'autel de la chapelle du sainl-Sépulcre, et un Saint-Léonard au Musée d'art et d'histoire, auxquels s'ajoute un saint- Sébastien, seule statue sculptée en bois, à la cathédrale Notre-Dame de Valère à Sion. Le Christ aux outrages de l'église des Cordeliers est une œuvre expressive d'excellente quali¬ té. qui se situe entre la fin du "style adouci" du premier tiers du XV1 siècle et le réalisme vigoureux de la génération suivante.

Il reste une dernière œuvre sculptée, un retable gothique, dont il sera question plus tard. En attendant, nous nous tournons vers les œuvres de peinture et jetons tout d'abord un regard sur la peinture murale. Lors de la restauration du chœur réalisée en 1936. on a découvert d'importants restes d'un cycle des apôtres, du Christ et de la Vierge qui décorait les parois. On les a jugés malheureusement trop fragmentaires pour être récupérés, tie sorte qu'il n'en a survécu que la moitié supérieure de saint Jacques le Mineur, au nord-est. Pour autant que l'état actuel en permet encore une datation, nous situerions le cycle à la deuxième moitié du W' siècle. Au cours de la restauration qui vient de se terminer, on a mis à jour dans la nef. à la dernière chapelle à gauche, les vestiges d'un Christ portant la croix, entouré de nombreux personnages accompagnants, parmi lesquels la Vierge Marie, les saintes Femmes et les soldats romains. Ces restes furent dégagés et retouchés très soigneusement; les complé¬ ments discrets permettent tout juste une lecture appropriée de cette œuvre de qualité remar¬ quable qu'on peut dater au deuxième quart du XV'' siècle.

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Les retables gothiques

Les créations artistiques les plus importantes parmi le mobilier liturgique de l'église des Cordeliers sont les trois retables gothiques qui ont contribué le plus à la gloire de celle-ci. Il s'agit, dans l'ordre chronologique, du retable du maître-autel, du retable de Hans Fries et du retable dit tie Jean du Four ou de Furno; les deux premiers ornent le chœur, le troisième occupe dès le début le même endroit, aujourd'hui la première chapelle latérale sud. à droi¬ te tie l'entrée.

Il est des plus étranges que nous possédions sur le retable du maître-autel une documenta¬ tion contemporaine plus étendue que sur beaucoup d'autres œuvres d'art de cette époque, sans pourtant que le nom de l'artiste n'ait été cité une seule l'ois. Le ou les peintres du retable res¬ tent anonymes. Nous savons que le Couvent des Cordeliers avait commandé vers 1479 un retable pour son maître-autel qui était d'ailleurs, et reste toujours, celui qui avait été créé lors de la construction de l'église. Les moines s'adressèrent à Albrecht Nentz. originaire de Rottweil, alors peintre officiel de la Ville de Soleure. Le cadre, c'est-à-dire les travaux de menuiserie, fut commandé au sculpteur-ébéniste Ulrich Scherrer. également à Soleure et bour¬ geois tie cette ville. Nentz. le peintre, est décédé, le travail à peine commencé, à la fin du mois tic juillet 1479. La Ville cherchait à s'attirer un nouveau peintre et. certainement rejointe dans cette intention par les Cordeliers et le Conseil de Fribourg. se servait de la commande du retable comme appât. En effet, plusieurs artistes s'y intéressaient, notamment ties Bâlois. Barthélémy Rutenzwyg en sortit vainqueur, et il s'engagea à s'établir à Soleure. Mais au lieu tie s'en occuper lui-même, il envoya des compagnons qui achevèrent le retable. Finalement il mandata un jeune collaborateur nommé Paul, originaire de Strasbourg, qui finit par épou¬ ser la veuve tie Nentz. Mais à ce moment-là. le retable des Cordeliers avait déjà pris la route vers Fribourg, assuré par un sauf-conduit: il fut livré aux Cordeliers probablement à la fin tlu mois d'octobre 1480.

Fn attendant, les Cordeliers avaient reçu de la part d'un bourgeois et commerçant de Fribourg. Jean Favre. la somme de cent livres comme contribution à l'achèvement du retable. Afin de lui témoigner la reconnaissance du Couvent, on lui permit d'ajouter, à côté

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des armoiries des parents de saint Louis de Toulouse et sous l'image de celui-ci, son blason personnel. Tous ces événements ont-ils eu des conséquences pour le retable lui-même? Tout d'abord il sied de relever que le maître-autel de l'église des Cordeliers de Fribourg est la plus grande œuvre de peinture qui nous est parvenue du Moyen Age suisse. Les dimen¬ sions en sont impressionnantes: la longueur totale est de 7,02 m, la hauteur 2,14 m, sans le cadre qui est une reconstruction récente. Les trois panneaux centraux, de largeur inégale, sont fixes; les deux volets présentent une peinture de chaque côté et peuvent être fermés. Au centre, le Christ sur la Croix, à côté de lui la Vierge et saint Jean l'évangéliste, accompagnés sur les panneaux latéraux de quatre saints franciscains, identifiables par leurs attributs et, en ce qui concerne saint Bernardin de Sienne, par sa physionomie très individualisée; il fut canonisé en 1450, était donc le plus récent des quatre saints. Il s'agit, de gauche à droite, de saint Louis de Toulouse, à la Chape fleurdelysée aux couleurs des rois de France; de saint François d'Assise portant les stigmates et présentant le crucifix; de saint Bernardin de Sienne avec le monogramme du Christ et, à ses pieds, les insignes des trois diocèses qu'il a déclinés et, fina¬ lement, saint Antoine de Padoue avec la fleur de lys. Les volets montrent ouverts à gauche la Nativité et l'Adoration des Bergers, à droite l'Adoration des Mages. Fermés, comme le retable se présentait en dehors des fêtes et des dimanches, les fidèles se voyaient en face de l'Annonciation, encadrée à gauche par sainte Claire, à droite par sainte Elisabeth de Hongrie (ill. coul. en couverture et pp. 28, 29, 32, 33, 36).

S'il faut admettre une certaine unité parmi les huit peintures, on peut néanmoins constater des différences entre les trois panneaux fixes et l'intérieur des deux volets, ces derniers étant stylistiquement un peu plus évolués. L'Annonciation et les deux saintes semblent l'œuvre d'une autre - une troisième? - main, à laquelle on a attribué aussi certains élé¬ ments des panneaux à fond d'or comme le concert des anges de la Nativité. Deux pan-

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neaux montrent au premier plan, en bas, chacun deux œillets dans lesquels on a autrefois voulu voir des signatures de l'artiste: toutefois ces insignes, certainement de signification sym¬ bolique, se trouvent si souvent sur des peintures contemporaines qu'il pourrait s'agir d'un moyen d'identification, peut-être l'appartenance à une corporation ou une confrérie. Le retable du Maître à l'œillet de Fribourg - le nom qu'on lui a finalement prêté a été accepté par l'Histoire de l'art - est incontestablement le chef-d'œuvre de la peinture suis¬ se de la seconde moitié du XV' siècle. Il est fortement influencé par la peinture des Pays-Bas méridionaux, en particulier par Rogier van der Weyden dont l'atelier soleurois a dû connaître d'importantes œuvres, asssurément aussi par l'intermédiaire de la peinture du Haut-Rhin et par tics gravures qui commençaient à circuler.

Le retable de saint Antoine se trouve à gauche du maître-autel, sur la paroi septentrionale du chœur (ill. dos de la couverture). Il est signé et daté par son auteur, le peintre Hans Fries, l'un ties premiers artistes l'ribourgeois qui ont signé leurs œuvres: IOH(ANN)ES FRIES 1506. accompagné de la marque de la famille. Le retable est incomplet. Il se compose dans son état actuel d'une prédelle montrant les miracles qui se produisent à la tombe de saint .Antoine, à Padouc. et du côté extérieur des deux volets. Il manque donc le panneau central qui pré¬ sentait très probablement trois ou cinq reliefs appliqués sur un fond d'or damasquiné et représentant des saints, ainsi que du côté intérieur des deux volets. Ceux-ci ont été identi¬ fiés par le regretté professeur Marcel Strub, directeur du Musée d'art et d'histoire et rédac¬ teur des premiers volumes de l'Inventaire des Monuments d'art et d'histoire de la Ville de Fribourg. Ils se trouvent encore à Fribourg. dans la chapelle Sainte-Anne, à côté de l'égli¬ se Saint-Jean en Basse-Ville. Le tableau composé du côté extérieur des deux volets illustre le Sermon tie saint Antoine sur le destin de l'avare qui se base sur Mt. 6. 19-20. Nous voyons à gauche saint Antoine en chaire, à ses pieds les dames de la bonne bourgeoisie; les hommes se tiennent à l'arrière-plan et font leurs commentaires. A droite, une maison qui res¬ semble à un palais. Au premier étage, l'avare agonisant entouré de ses proches. Deux diables s'emparent du moribond hurlant et l'emportent, pendant que les héritiers ouvrent au rez-de-chaussée, dans la boutique, le coffre avec le trésor dans lequel ils trouvent, effrayés, son cœur. Sortant de la maison, on voit à gauche le cortège funèbre, chanoines en tête. Pries est l'un tics artistes les plus originels de la fin du Moven Age. Son talent singulier com-

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bine un concept iconographique souvent très personnel avec un réalisme de détail peu commun, soutenu par un coloris vil" et soigné. De son œuvre assez limitée aujourd'hui répartie sur plusieurs musées surtout d'Allemagne et de la Suisse, on trouve au Musée d'art et d'histoire de Fribourg un petit groupe tie peintures qui figurent parmi ses meilleures créations.

Le retable de Jean de Furno. mentionné déjà plus haut, est un des joyaux les plus précieux de l'église (ill. en p. 25). 11 fut donné au Couvent par de Furno qui. ancien secrétaire du duc Charles III de Savoie et agent diplomatique quelque peu douteux, offrait en même temps au Chapitre de la Collégiale Saint-Nicolas le grand bras-reliquaire du saint en argent, relique principale de Fribourg. Il s'agit d'un triptyque dont la partie centrale montre en relief Line cru¬ cifixion avec une assistance nombreuse; sur les volets ouverts on voit à gauche la Nativité, à droite l'Adoration des Mages. L'ensemble est d'une qualité exquise et a conservé sa doru¬ re et sa polychromie originales. La prédelle et l'extérieur des volets sont peints. La prédel- le montre la Dormition de la Vierge, le volet droit l'Annonciation, le volet gauche l'Assomption et le Couronnement de la Vierge par la Sainte-Trinité. Sculpture et peinture ne s'inscrivent pas dans la tradition artistique fribourgeoise. Il doit s'agir d'une œuvre impor¬ tée. influencée de l'art du Haut-Rhin, voire de l'Alsace. La sculpture reprend le langage du gothique tardif qu'elle interprète avec un raffinement extraordinaire, la peinture est un peu plus moderne et commence à utiliser le répertoire de la Renaissance, tant pour les formes que pour les couleurs. L'ensemble peut être daté entre 1509 et 15 13.

Parmi les œuvres d'art des siècles postérieurs, nous ne trouvons plus des créations qui pourraient rivaliser avec les chefs-d'œuvre du XVe et du XVL siècle. Signalons toutefois la toile du retable baroque qui a remplacé en 1693 le retable du Maître à l'œillet, œuvre du peintre Johann Achert, de Rottweil, qui a créé plusieurs tableaux à Fribourg. Elle représente l'inven¬ tion de la sainte Croix et. en bas. les armes des donateurs. Jean-Nicolas de Montenach et son épouse Catherine de Reynold. Elle se trouve actuellement dans la première chapelle latérale à droite, suspendue à la paroi occidentale, en face du retable de Furno.

Alfred A. Schmid

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LES PEINTURES DU CLOITRE

ET LA NOUVELLE SACRISTIE

Jean-Baptislc de Week

Il ne subsiste aujourd'hui de l'ancien cloître du Couvent des Cordeliers qu'une seule allée, le long de la paroi nord de l'église. Il ne faut cependant pas manquer de visiter ce cloître pour plusieurs raisons. Sur le plan architectural, la paroi qui le sépare de la nef de l'église en par¬ ticulier de la petite chapelle de Notre-Dame des Ermites indique les différentes étapes tie la construction de l'église depuis son origine au XIII' siècle. L'appareil du mur qui révèle plusieurs techniques de construction permet de suivre celte évolution. Une fenêtre gothique est également visible sur la première travée et donne une idée de la hauteur et du style de l'église primitive.

La décoration murale attire surtout notre attention, car il est rare de trouver en Suisse un cloître orné de peintures. Seuls demeurent quelques vestiges du cycle de la "Danse des Morts" dû au peintre fribourgeois Pierre Wuilleret qui le réalisa entre 1606 et 1608 sur la commande de l'avoyer Jean de Lanthen-Heid. On peut encore distinguer au bout du cloître le buste du pape franciscain Sixte-Quint et la silhouette d'un éveque et, près des escaliers, une cité for¬ tifiée et deux trompettes. Ce cycle important qui comptait dix-huit scènes de 168 x 180 cm était si endommagé en 1926 qu'il fut décidé de dégager les peintures sous-jacentes du XV' siècle. Il s'agit de six scènes de la Vie de la Vierge qui étaient peintes à la fresque. Elles furent détachées du mur et reportées sur cinq grands panneaux de toile en 1927. Elles ont été à nou¬ veau restaurées depuis 1965. Elles sont l'œuvre de l'artiste fribourgeois Peter Maggcnberg décédé vers 1466, qui travailla également à la cathédrale de Lausanne et fut l'auteur des fresques du jubé de la Collégiale de Valère à Sion. Les armoiries figurant sur la bordure sont celles des donateurs: l'avoyer Jacques de Praroman et le chroniqueur Nicod Bugniet qui étaient les avoués du Couvent. La date de ces peintures murales, lisible sur l'inscription en lettres gothiques figurant sous l'Adoration des Mages, nous est parvenue incomplète: I4( )0. Marcel Strub a prouvé qu'il s'agit de 1440; il estime aussi que les peintures avaient tout d'abord été réalisées en grisaille et que la couleur aujourd'hui effacée n'aurait été appliquée que plus tard "a secco".

Le cycle qui commence au fond du cloître présente les scènes suivantes: Le grand-prêtre Heli et le jeune Samuel. La Naissance de la Vierge, Le Mariage de la Vierge, L'Annonciation, La Naissance de Jésus et L'Adoration des Mages. La composition est caractérisée par l'élégance

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et la clarté du trait et de la composition entourée d'une riche bordure décorative. La scène de l'Annonciation reflète l'esprit de cette période si attachante où l'esprit nouveau de la Renaissance, venu d'Italie, rejoint la tradition gothique. Le sens de l'espace architectural qui enveloppe les personnages de la Vierge et de l'ange Gabriel donne à la scène une liberté qui rend les détails des gestes et des vêtements encore hérités du Moyen Age particulièrement touchants. Ces qualités nous font regretter l'état général de ces peintures qui malgré les soins qui les ont entourées n'ont plus que le reflet de leur beauté première.

Au fond du cloître, dans le petit vestibule qui mène à la nouvelle sacristie et au chœur de l'église, on aperçoit le Crucifix à la Madeleine. Le Christ a été sculpté sur bois au début du XVIe siècle et attribué à Martin Gramp. Jusqu'en 1765, ce groupe se trouvait placé sous un petit toit dans le cimetière à l'entrée du Couvent. La nouvelle sacristie a été dotée en 1746 d'un superbe plafond en stuc de style Régence, unique dans le canton, œuvre attribuée au Frère Anton Pfister qui créa également des autels de l'église. Des pièces d'orfèvrerie offertes au Couvent sont des témoignages précieux de l'art sacré de différentes époques. Au pilier central est adossé le monument funéraire de marbre de l'avoyer Louis d'Affry, décédé en 1810, qui en qualité d'interlocuteur privilégié de Bonaparte Premier Consul, contribua à la pré¬ paration de l'Acte de Médiation de 1803, fut nommé premier Landammann de la Suisse et présida la Diète en 1803 et en 1809.

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L'apport baroque

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DÉMARCHE ET RÉFLEXION DE L'ARCHITECTE

Thomas Huber

Prendre en charge sans parti pris une lâche d'une te lie ampleur permet tie se plonger dans le travail sans arrière-pensée. Car l'édifice nous interpelle et ses vibrations nous atteignent au plus profond de l'être: au travers du bâtiment et de ses œuvres d'art se perpétue l'esprit des générations qui ont participé à leur réalisation. Aussi seuls un élan intérieur, une moti¬ vation solide nous mettent en mesure de faire face, de nous pénétrer de l'œuvre, de ne pas céder à la fatigue et au découragement, en gardant la patience et le sens suprême donné à toutes peines.

Spirituellement, on doit se sentir en amitié avec saint François, en accord avec les membres de son ordre et, par-dessus tout, être ouvert à LUI. Cette communauté en esprit ouvre la voie, donne la force et relie tout à un tout. Pour parvenir au terme à une convergence, car ce n'est pas simple, au long de dix-sept années, avec les inévitables coupures, de mener à bien une tâche aussi complexe.

Les historiens de l'art, les archéologues et les restaurateurs interviennent, jusqu'à la dernière touche, de tout leur savoir et savoir-faire pour redonner vie à l'œuvre dans la fidélité au témoi¬ gnage du passé.

L'architecte, lui, se voit établissant le lien entre le message du passé et l'expression et le sen¬ timent contemporains. Il se doit d'avoir le désir, dans le respect de l'héritage transmis, d'apporter la marque du présent, partout où cela est indiqué et possible. Il lui appartient d'imposer ce présent en témoignage de foi en la force de l'esprit d'ici et de maintenant. Pour ne pas séparer, mais unir le passé au présent dans un mouvement continu où tout se rejoint. Et le passé irradie la création nouvelle et le présent se pénètre de l'ancien dans un dialogue entre les générations.

Le moyen le plus sûr de relier les modes actuel et traditionnel de construire est d'avoir recours au principe de géométrie. Les anciens connaissaient les lois de l'harmonie, des rapports volumétriques et rythmiques de la construction. Cela n'a plus grand-chose à voir avec les normes techniques actuelles. Aussi ce fut à la fois passionnant et utile de redécouvrir le tracé régulateur du chœur gothique et de la nef baroque pour l'appliquer autant que pos¬ sible dans la suite à créer. Un rapport de mesure et de proportion s'est imposé à partir des données existantes.

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Le tracé régulateur reconstitué Je l'église des Cor Jeher s

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La création obéit à des règles, de même toutes les constructions majeures de nos prédéces¬ seurs avaient les leurs. Il nous appartient de les saisir et de les perpétuel' sous le signe de l'har¬ monie et de la concordance, ce qui vaut autant dans les petites que dans les grandes choses. Autrement dit: dans un tel édifice, ou le nouveau doit s'insérer pour répondre aux nécessi¬ tés pratiques et aux exigences du culte actuel, il faut agir, au moins dans un accord de dimension et de proportion avec la note dominante, sur une fréquence analogue, dans le res¬ pect du contexte donné. Ce qui ne se traduit nullement par une imitation simple du style gothique ou baroque. Partout où il s'agit d'introduire des objets nouveaux, il nous est per¬ mis de le faire dans l'esprit de notre époque. Cela a été précisément le cas pour le nouvel autel et toutes les installations du narthex.

Dans ce rapport conflictuel entre la substance historique et l'élément moderne, la recherche d'une formulation forte et claire s'impose, sans céder aux tendances modernistes. Elle résulte de toutes les données, d'une perception lucide et d'une impulsion intérieure.

On peut certes s'étonner que ce soit l'architecte, et non un sculpteur, qui ait reçu le mandat d'élaborer les éléments de l'autel et de son entourage. La volonté première des experts était de réaliser un autel sans prétention artistique, s'intégrant de soi par son volume et son matériau dans un agencement ordonné.

De même, les bancs de la chapelle Notre-Dame sont nouveaux, là où on ne disposait guère auparavant que de prie-Dieu. L'avant-toit au-dessus de l'entrée du Couvent et le mur de pro¬ tection contre le trafic intense de la rue de Morat sont des adjonctions nouvelles de même que l'aménagement du parvis de l'église avec ses bornes pour empêcher le parcage intem¬ pestif des voitures.

Des éléments complémentaires, tel l'encadrement du retable du Maître à l'œillet, ont été, sur décision des experts, réalisés à neuf en style gothique.

L'architecte n'a pas seulement été soumis à un travail cérébral: son besoin légitime de don¬ ner le meilleur de soi. de toute son âme, devrait, en dépit des difficultés, laisser une trace durable.

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«Tout est en harmonie avec le Nombre»

Aristote

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Inévitablement, des tensions surgissent entre les experts, qui ont le savoir et le dernier mot, et l'architecte qui se sent porteur de création. Par bonheur, un accord a pu à chaque fois être atteint dans un enrichissement mutuel. L'observateur attentif de cette restauration et réno¬ vation complète pourra déceler ici ou là la marque de ces tensions, mais aussi le signe de l'aide d'en haut: "c'est dans la création qu'on reconnaît la main de Dieu".

A. Maslow estime que c'est la perte du sens des valeurs de notre temps qui est le plus grand mal. Les Franciscains, dont l'actuel provincial. Père Otho Raymann, et la Commission financière ont relevé le défi. De même que tous les experts intervenants, le président de la Commission fédérale des monuments historiques, professeur Alfred A. Schmid. en pre¬ mier lieu, ainsi que les archéologues, artisans, restauratrices et restaurateurs qui ont œuvré sur ce chantier.

AAF Architectes Associés Fribourg Thomas Huber BSA ŒV SPSAS Claude Schroeter ŒV SPSAS Jean-Paul Chablais André Lanthmann ŒV Philippe Schorderet ŒV

L'architecte responsable: Thomas Huber

( Adaptation française de Gérard Bourgarel)

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LES ÉTAPES D'UNE RÉNOVATION

1969 La communauté franciscaine décide de restaurer complètement l'église. La Commission financière est constituée l'année suivante.

1974 Première étape: Consolidation de la façade ouest et pose d'une nouvelle toiture en dalles de pierre sur l'ancienne sacristie.

1976 Deuxième étape: L'accent est mis sur la rénovation extérieure avec reprise de l'ensemble des toitures et des façades en molasse. Les huit remplages manquants aux fenêtres du cha'iir gothique sont reconstitués, après dépose définitive des vitraux d'Alexandre Cingria. Un vitrage simple les remplace dans l'attente d'une nouvelle réalisation. Remplacement de la chaufferie, restauration de la sacristie et du cloître reconstitué selon les données archéologiques. Premiers sondages archéologiques.

1985 Troisième étape: Restauration intérieure. Fouilles archéologiques et analyse historique du bâtiment. Abaissement du chœur à son ancien niveau d'où retour aux proportions d'ori¬ gine. Le sol est couvert de dalles et un nouvel espace de célébration est créé. Dégagement et restauration du décor peint subsistant du plafond de la nef et de l'arc triom¬ phal qui est ensuite complété. Restauration complète du mobilier. Démontage et restauration des stalles replacées à leur niveau d'origine. Restauration du retable du Maître à l'œillet. Dans la nef. l'ensemble des vitraux d'époque 1900 est remplacé par un vitrage en nid d'abeille. Pose de lustres de style baroque.

La restauration de l'orgue, un nouveau chemin de croix, la pose de nouveaux vitraux dans le chœur et la restauration du retable de Frics sont encore à réaliser.

Le coût total de ces travaux exécutés en l'espace de dix-sept ans se monte à environ 12 mil¬ lions de francs. L'édifice classé d'intérêt national reçoit tie ce fait le taux maximum de subventionnement des collectivités publiques, qui doit cependant être complété par les contributions d'institutions et de privés.

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PROBLÈMES DE LA RESTAURATION

Alfred A. Schmid

La restauration de l'église des Cordeliers n'était pas une entreprise facile. D'une part, son état de vétusté nous posait des questions auxquelles il fallait trouver une réponse, de l'autre nous devions, sans porter atteinte au caractère du monument historique, chercher à adapter l'intérieur aux dispositions de la réforme liturgique du Concile Vatican II.

I.ors de la restauration de l'extérieur qui fut abordée comme première étape, on a examiné tout d'abord les conditions statiques de l'édifice et remédié à certaines défaillances; mais sur¬ tout on a dû remplacer un nombre considérable de moellons devenus défectueux à cause des intempéries et rétablir non seulement l'appareil des façades, en respectant rigoureusement la stéréotomie des parements et des modénatures, mais aussi le remplagc des fenêtres gothiques du chœur là où il avait disparu.

Le problème capital avait cependant été créé par la grande restauration du milieu du XVIII1' siècle, lorsqu'on démolit la nef médiévale et ses collatéraux afin de les remplacer par un vais¬ seau unique accompagné de part et d'autre d'une série de six chapelles latérales. C'est à cette occasion qu'on avait surélevé le niveau du chœur afin de l'associer à celui de la nef. En effet, l'église des Cordeliers se composait au Moyen Age de deux églises nettement distinctes, le chœur des moines à l'est et la nef des fidèles à l'ouest, séparés par un jubé qui disparut vers 1748. Après mûre réflexion et d'entente avec la communauté des Pères franciscains, nous avons décidé d'abaisser le chœur à son niveau d'origine, tandis que logiquement la nef fut maintenue. Mais on y remplaça une épaisse couche d'asphalte, datée de 1841. par la recons¬ titution d'un dallage en molasse à l'identique de celui que nous avons retrouvé sous l'asphal¬ te. Entre les deux parties - les deux sont en pente d'ouest à l'est - on créa, devant l'arc triom¬ phal. la /one liturgique nouvelle, un autel simple et dépouillé en molasse, un ambon et le socle du cierge pascal. Le dénivvilement fut surmonté par un emmarchement qui conduit du niveau de la sacristie et du chœur aux gradins de l'autel. La solution finalement réalisée est le résultat de longues recherches, de discussions à l'aide d'esquisses, de plans et de maquettes jusqu'à la maquette grandeur afin de tester la fonctionnalité de l'ensemble avant de passer à l'exécution. Les parois du chœur et de la nef. mises à nu lors de la restauration de l'inté¬ rieur en turent de nouveau recouvertes. La nef reçut un enduit peint comme au XVIIL siècle en blanc pour les surlaces, en gris pour les structures: le chœur fut badigeonné en blanc.

M)

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Décor resté en place, point de départ de la reconstitution

L'ensemble a retrouvé ainsi une coloration sobre, reconstruite sur la base des restes de blanc et de gris qui avaient été prélevés. Les stalles du chœur qui comptent parmi les plus anciennes de Suisse, plus endommagées qu'on n'aurait pensé au premier coup d'œil, ont été soigneusement restaurées.

Plus délicate encore était la tâche qui nous attendait au plafond de la nef. Menaçant ruine, il a dû être remplacé en 1814 déjà, un demi-siècle donc après sa construction. Badigeonné en blanc et devenu sale sous l'effet du chauffage, les sondages entrepris avant la restauration récente nous ont révélé que des parties non négligeables du plafond de 1748 avaient survé¬ cu, notamment au-dessus de la tribune de l'orgue et à la gorge qui relie la zone des claires- voies à la surface horizontale. Elles avaient conservé un décor baroque solennel et riche qui, complété par l'architecture feinte qui entourait jusqu'en 1884 l'arc triomphal et qui fut dégagée et remise en valeur, permit de se faire une idée assez précise du caractère de l'ensemble. Le vide laissé par l'écroulement de 1814 fut finalement, après des recherches approfondies et plusieurs essais, comblé par des bandes ornementées qui s'entrecroisent au milieu, tout en s'inspirant du mouvement et du rythme des ogives du chœur. Cette peintu¬ re revalorisée et en partie reconstituée peut être attribuée à Melchior Eggmann, un artiste saint-

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gallois dont la présence à Fribourg est attestée pour le milieu du XVIII siècle. Eggmann. un décorateur île talent, a laissé plusieurs œuvres dans notre ville, la meilleure et la mieux conservée sans doute au réfectoire d'été du Couvent tics Augustins, aujourd'hui Archives tic l'Etat. Ee résultat obtenu me paraît concluant. Ajoutons qu'on remplaça encore, non sans oppositions d'ailleurs, les vitraux décoratifs de 1900, de qualité plutôt médiocre, par du verre clair, plombé comme au XVIII'' siècle sous forme d'un réseau "à nids d'abeilles", dont l'existence est certifiée, par d'anciennes photos, ce qui a rendu à l'intérieur la clarté du XVIII' siècle qui l'ait chanter les couleurs des retables et ties peintures.

Ea chapelle tic Notre-Dame des Ermites, fondée en 1694 et placée jusqu'en 1747 dans le vais¬ seau central tic la nef, fut restaurée selon les mêmes principes: on lui rendit à l'extérieur, en rapetissant les vilaines fenêtres percées en 1884 cl en la peignant en faux marbre gris et noir, l'aspect de la chapelle d'Einsiedeln axant la démolition de celle-ci en 1798, lors de l'occu¬ pation de la Suisse par l'armée française. E'intérieur a retrouvé un décor pictural du XIX siècle, et le retable en stuc derrière l'élégante grille en fer forgé imite avec sa gloire dorée celle qui entoure la statue de la célèbre Vierge Noire à Einsiedeln.

Toutefois, la restauration n'est pas encore totalement achevée. 11 y manque notamment l'orgue sur la tribune à l'ouest, un instrument créé de 1747 à 1750 par le l'acteur d'orgue Jean-Conrad Speisegger. tic Schalïliouse. dont au moins le buffet existe encore. Il retrouvera sa place dès que la communauté des Cordeliers pourra faire construire un orgue nouveau. Finalement, il est prévu de doter le chœur tie vitraux, créations contemporaines qui devront cependant se soumettre au magnifique retable du Maître à l'œillet. Celui-ci. après un nettoyage soigneux, vient de retrouver sa place sur le maître-autel tic la fin du Xllf siècle; des rideaux provisoires le proté¬ geront contre la surabondance de lumière qui pourrait lui porter atteinte.

Ea restauration de l'église était donc guidée par la volonté ferme de mettre en évidence les valeurs authentiques tic l'intérieur, d'y introduire les modifications demandées par la récen¬ te reforme liturgique tout en évitant ties conflits, et de réserver par la création de l'autel tie célébration nouveau et. plus tard, ties vitraux prévus au chœur une place appropriée aussi à l'art contemporain.

Alfred A. Schmitt

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ENTRETIEN AVEC LE RESTAURATEUR

STEFAN NÜSSLI

Quelle était la décoration originale de la nef?

- C'était une décoration baroque tardive datée de 1746: Line architecture en trompe-l'oeil attri¬ buée au peintre Johann Melchior Kggmann de Rorschach.

Quels sont les éléments d'origine qui ont été retrouvés?

- C'est au-dessus de la tribune de l'orgue que ces peintures ont pu être dégagées sur toute la largeur de la voûte: le réseau nervure couvrant la voûte est accompagné d'un décor rocaille peint avec fougue. Ce réseau, qui imite les nervures d'une voûte, s'appuie sur une cor¬ niche supportée par les consoles subsistant sur tout le pourtour de la nef. Sur l'arc triomphal le décor était en grande partie préservé. Par contre, la plus grande partie du décor peint de la voûte avait été détruite lors de sa réfection en 1814.

De quelle façon ce décor mis au jour a-t-il été restauré?

- Le crépi endommagé a été réparé et les parties manquantes retouchées et complétées avec une grande retenue. Le décor de l'arc triomphal maintenu pour une bonne part a pu être complété sur la base d'une photographie de 1884.

Selon quels critères a-t-on reconstitué la partie manquante?

- Pour la reconstruction du décor manquant de la voûte - 33 mètres sur la longueur totale de 40 mètres! - on avait le choix entre diverses variantes. On a opté pour des nervures cin¬ trées jaillissant des consoles peintes existantes et reliées entre elles par un ovale au centre de la voûte. En premier lieu, le plafond a été divisé géométriquement et l'on a marqué les arêtes des voûtes, les points de repère étaient les agrafés dorées au milieu des cartouches. Les sondages laissaient deviner un deuxième motif de fronton qui a été reconstitué par analogie. Les vases de fleurs qui en ornent le tympan ont été dessinés selon des modèles baroques.

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ARTISANS RESTAURATEURS

François Merlin

Lorsqu'il s'agit de réhabiliter ties œuvres d'art telles que celles de l'église des Cordeliers - triptyque du Maître à l'œillet, autels latéraux, chapelle de Notre-Dame des Ermites-ce sont tie véritables spécialistes qui sont chargés tie leur restauration. Par contre, dès que l'exercice se pratique sur tics objets plus fonctionnels - sièges, portes, meubles tic sacristie, lambris, plafonds - les artisans choisis pour leur remise en valeur le sont encore trop souvent plus pour la modestie tie leurs prix que pour leurs compétences.

Dans le cas précis de la restauration de l'église ties Cordeliers, le maître de l'ouvrage a choisi tie faire appel aux artisans spécialisés en restauration, considérant que ce qui échap¬ pe à la dénomination Art majeur est tout tie même œuvre d'art à part entière, puisque par¬ ticipant à la construction patrimoniale d'une région.

C'est ainsi que le mobilier prestigieux tic l'église ties Cordeliers - stalles réalisées vers 1305 et comptant parmi les plus anciennes tie Suisse, porte gothique reliant le chœur à l'ancienne sacristie, témoin de qualité du troisième quart du XIII siècle, portes principales tie l'église, tie style Régence et réalisées en bois tie chêne par Wully Zumwald entre 1735 et 1738 a été restauré par des ébénistes restaurateurs qui ont appliqué scrupuleusement les règles en matière tie restauration en délimitant la frontière qui se situe entre le vécu à conserver et les outrages volontaires à éliminer.

Ces objets que leurs détenteurs ont le devoir de transmettre le plus intacts possible aux générations suivantes doivent être non seulement conservés et restaurés, mais également entre¬ tenus périodiquement.

Si. pour le mobilier placé à l'intérieur de l'église, l'entretien se fait par un nettoyage régu¬ lier. celui exposé aux intempéries, c'est le cas tics deux portes Régence, nécessite un entre¬ tien régulier effectué par ties spécialistes, évitant ainsi sa dégradation ou. pire encore, sa dis¬ parition définitive.

Hspérons qu'à l'instar des propriétaires de l'église des Cordeliers les détenteurs d'objets fonc¬ tionnels de valeur, lorsqu'ils envisagent leur restauration, aient la conscience et la sagesse de s'entourer d'artisans compétents, contribuant ainsi à la pérennité tie notre patrimoine.

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Porte d'entrée latérale de style Régence (1738)

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LES ABORDS DE L'ÉGLISE DES CORDELIERS

Jean-Baptiste de Week

Le Couvent des Cordeliers domine les falaises de la Sarine. Depuis son origine qui remon¬ te au XIII' siècle, il a dû veiller à consolider ses assises pour éviter de glisser dans la riviè¬ re. Par rapport à la cathédrale Saint-Nicolas, il est placé un peu en retrait en direction de Moral, après la basilique Noire-Dame qui. elle, a toujours été au centre d'une importante place publique.

La communauté des Pères Cordeliers vivait autrefois dans un espace beaucoup mieux pro¬ tégé qu'aujourd'hui. A l'ouest et au sud ses bâtiments étaient environnés de prés qui recou¬ vraient en partie l'ancien cimetière entouré île hauts murs. Lntre l'église des Cordeliers et Notre-Dame s'élevait la chapelle du Saint-Suaire au clocher élancé visible sur le plan Martini de 1606. C'est beaucoup plus tard, en 1765. que fut construite l'élégante perspecti¬ ve avec escalier à double révolution qui reliait l'église débarrassée île son enceinte à l'ancienne rue île Moral, située plus haut, qui a été jusqu'en IX4X la seule voie ouverte à la circulation. La rue îles Cordeliers est une création du milieu du XIX siècle. Le passage îles automobiles a profondément altéré ce quartier paisible voué jadis à la prière et à l'étude, avec depuis 1925 les relents du nouveau marché au poisson installé aux abords du grand escalier.

Au nord de l'église s'étendait le cloître assez vaste dont les deux rangées d'arcades super¬ posées devraient apporter une note architecturale île grâce. HI les donnaient sur les cellules îles Pères. A l'arrière se situaient les jardins de l'ancien I lôtel Ratzé, achevé en 15X7, deve¬ nu le Musée d'art et d'histoire. Nous devons imaginer le Couvent tel qu'il fut avant l'ouver¬ ture de la rue et avant l'édification du Pensionnat d'aspect sévère et triste qui a remplacé le côté est du cloître en 1906. En plus, le Couvent a été encore rehaussé de deux étages après l'incendie de 1937.

Si nous réfléchissons à la situation de l'église dans la ville d'aujourd'hui, nous ne pou¬ vons nous empêcher de rêver à une amélioration île ses abords. L'édifice soigneusement res¬ tauré. qui abrite entre autres le retable du Maître à l'œillet de 14X0, l'une des œuvres d'art les plus précieuses de notre pays, est environné île macadam, de bruit, d'automobiles et d'odeurs d'essence. Il est coincé contre la rue des Cordeliers où circulent de gros camions qui éclaboussent passants et bâtiments. Aux heures île pointe, le trafic est intense. Contre la façade méridionale côté Notre-Dame et à l'ouest au pieil du marché au poisson stationnent

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Vue panoramique du marché au poisson avec les façades du couvent et de l'église

en permanence des voitures. Tout autour, le sol est ingrat, recouvert d'asphalte ou de pavés. De l'autre côté de la rue, une affreuse petite construction utilitaire en ciment défigure depuis une quarantaine d'années l'environnement.

Il est devenu essentiel de repenser l'ensemble de la situation du Couvent en ville de Fribourg et d'inclure ses abords immédiats dans la zone piétonne prévue, qui devrait relier entre eux les monuments situés au cœur du quartier du Bourg: la cathédrale, l'Hôtel de Ville, Notre- Dame, les Cordeliers, l'Hôtel Ratzé et le futur Musée des arts graphiques prévu dans les bâti¬ ments de l'Ancienne Douane.

D'autres villes d'art ont depuis longtemps éloigné de leurs monuments la circulation auto¬ mobile. A Florence par exemple, seuls les moyens de transport public et les véhicules des personnes handicapées ont le droit de circuler partout. Les voitures de livraison peuvent accé¬ der au centre-ville à certaines heures seulement, au début de la matinée et de l'après-midi. Sur la vaste place de la Seigneurie, il n'y a jamais de moteurs, et l'on entend couler l'eau des fontaines. Il est temps de rendre à Fribourg sa vocation de ville d'art qui lui attirera le res¬ pect et l'amour de ses visiteurs suisses et européens destinés à venir la voir en nombre tou¬ jours plus grand. La ville de Fribourg mérite d'être beaucoup mieux connue. Un plan d'urbanisme qui tiendrait compte de ses trésors pourrait en faire l'une des étapes du tourisme culturel aussi bien que Tolède, Salzbourg, Bruges ou Mantoue.

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Photo: Primula Bosshai d

Je voudrais encore insister sur l'espace qui sépare l'église des Cordeliers de la basilique Notre- Dame. Une partie de cet espace est occupée par un édifice à la façade symétrique et har¬ monieuse construit au début de ce siècle, qui sert de garage. Cet édifice devrait à mon avis être remis en état et intégré au Musée suisse des arts graphiques, permettant de présenter col¬ lections et expositions permanentes. Devant cette façade, il y aurait place pour un bel arbre et une fontaine.

Au moment où l'opinion commence à prendre conscience de la valeur du patrimoine dont la ville et le peuple fribourgeois sont les dépositaires, il est devenu nécessaire de concevoir un aménagement généreux qui met en valeur cet héritage, le conserve et le fait connaître. La commodité individuelle, les intérêts immédiats doivent s'effacer devant une conception plus large qui permettra d'accueillir par milliers les amis des arts et des valeurs historiques dans une ville toujours pittoresque et encore proche des plans dressés par Grégoire Sickinger en 1582 et Martin Martini en 1606.

Jean-Baptiste de Week

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Ci-contre: Le chœur gothique dans son éclat retrouvé

Dos de la couverture: Retable de Hans Fries (1506)

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