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Etre à l'écoute des patients et de leurs besoins
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Rencontre avec
Etienne BrainMédecin Oncologue
Par Catherine Tastemain
Apriori, rien ne rapproche un opéra-
bouffe d’Offenbach – généralement
gai, inventif, turbulent et contesta-
taire - d’un centre d’oncologie où, chaque
jour, se joue un des drames de la condition
humaine : la maladie cancéreuse et son
cortège d’angoisse, de douleur et d’espoir.
Non, rien ne les rapproche si ce n’est le
contraste précisément. Et le besoin que
l’on peut avoir de s’échapper. La musique,
le chant, l’exubérance comme un souffl e
puissant qui exhale la tension et les émo-
tions absorbées. Un contrepoids, donc, et
non un contresens.
Lorsqu’il évoque son implication, sérieuse
et prolongée, dans la vie de la troupe Les
Tréteaux Lyriques, Etienne Brain, médecin
oncologue à l’Institut Curie (Saint-Cloud),
n’en parle cependant pas en termes
d’exutoire. L’engagement dans cette troupe
tient autant d’une culture familiale que de
l’apaisement qu’il procure. Dès l’age de huit
ans en effet, la musique a fait partie de sa
vie, en particulier avec un apprentissage
intensif de la fl ûte traversière. Elle est
devenue aujourd’hui son principal violon
d’Ingres. Il la pratique avec ses 4 enfants,
tous musiciens en herbe, et entre amis
pour la musique de chambre. Plus
inhabituelle, en revanche, son inclinaison
pour l’opéra-bouffe et la musique qui fait
rire. Selon Etienne Brain, elle ne déroge
pourtant pas à une culture familiale qui a
fait de l’insolite, en quelque sorte, un des
éléments fondateurs. Etienne Brain évoque
avec une vraie tendresse la vie « compli-
quée, un peu aventureuse et rocamboles-
que » de ses ascendants sud-américains :
celle de son arrière-grand-père médecin,
Directeur de la Santé « del Austro » en
Equateur et doyen de la faculté de méde-
cine de Cuenca ; celle du fi ls de ce dernier,
chirurgien esthétique et diplomate, venu
s’installer à Paris au début du 20e siècle,
qui fi nit par se marier avec une alsacienne.
Télescopage plaisant de la saga familiale,
ce grand-père équatorien rencontrera à
diverses reprises Marie Curie chez des
amis communs. Ces références récurrentes
aux grands-parents ressemblent à des
fi lins tendus à travers l’espace temps pour
solidifi er le socle : la personnalité d’Etienne
Brain paraît s’être construite sur un héri-
tage familial bien assumé, y compris dans
une certaine licence imaginative qui lui fait
élever au rang de livre culte Ada ou l’ardeur,
de Vladimir Nabokov.
LA MÉDECINE : DE LA TRADITION
FAMILIALE À LA CANCÉROLOGIE
A l’instar de la musique, sa vocation médi-
cale a pris sa source dans le creuset fami-
lial. Issu, côté maternel donc, d’une lignée
de médecins, il commence ses études à
Dijon, où sa famille paternelle de notables
bourguignons est bien implantée. Il les
continue à Paris après la deuxième année.
« Longtemps, j’ai pensé me consacrer à la
chirurgie orthopédique chez les enfants »
raconte Etienne Brain. En effet grâce aux
contacts familiaux, dès son arrivée à
Paris, le jeune étudiant occupe ses après-
midi comme « aide opératoire » en ortho-
pédie pédiatrique aux Enfants Malades, et
prend goût à cette spécialité. Les choses
ÊTRE À L’ÉCOUTE DES PATIENTS
ET DE LEURS BESOINS
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AIT
Télescopage plaisant de la saga familiale, ce grand-père équatorien rencontrera à diverses reprises Marie Curie chez des amis communs
semblent être alors sur des rails.
C’est plus tard, au début de son internat,
qu’interviendra le grand bouleversement.
En 1989 pour son premier semestre
« indifférencié » comme cela existe encore
à l’époque, Etienne Brain se retrouve au
Centre René-Huguenin à Saint-Cloud,
établissement spécialisé en cancérologie où
80% des patients sont des femmes atteintes
de cancer du sein. Là, non seulement il fait
l’expérience de la prise de responsabilité,
mais il reçoit de plein fouet la nécessité des
mots, la force de la parole, de manière très
différente que chez les enfants où la spon-
tanéité corporelle joue beaucoup et accom-
pagne un langage plus direct mais aussi
plus simple. « Mettre des mots sur des cho-
ses qui sont diffi ciles, dures, accompagner
avec le langage des personnes qui sont
parfois en bout de course (en 89, on avait
beaucoup moins de moyens qu’aujourd’hui),
m’a bouleversé, réveillant probablement en
moi une sensibilité jusqu’alors contenue ».
En d’autres termes, rouvert une blessure,
celle de la perte de sa mère, subie lorsqu’il
avait 10 ans et qui s’accompagna alors, pour
lui et pour ce qu’il s’en souvient, d’un long
repli dans le silence. Alors face à la parole
de ces femmes sévèrement atteintes, « j’ai
réalisé toute l’importance des mots et de
l’écoute qui comptent tant dans la prise en
charge thérapeutique, plaçant le médecin
dans une position unique pour recueillir
la confi ance du patient qui y dépose son
espoir ; et j’ai compris que je pouvais faire
plus en tant que cancérologue au contact
de situations où les mots sont si diffi ciles à
faire sortir ».
Cette décision défi nitivement arrêtée, la
formation du jeune médecin se déroule de
manière habituelle : 4 ans de stages dans
les meilleurs services de cancérologie d’Ile-
de-France, puis chef de clinique, pendant 2
ans, à l’hôpital Paul Brousse, jusqu’en 1995,
sans oublier un DEA. Ensuite, passage un
peu obligé quand on veut faire aussi de la
recherche et devenir plus tard professeur
« hospitalo-universitaire », les Etats-Unis
et Boston avec sa jeune femme. Intervient
alors une expérience importante, car elle va
contribuer à asseoir prudence, vigilance et
rigueur dans sa pratique. Son séjour devait
se dérouler au Dana Farber Institute, un
centre historique de cancérologie. Or peu
avant son arrivée, un drame y survient : une
erreur de dose dans un traitement de pointe
et le décès de la patiente. Celle-ci, atteinte
d’un cancer du sein, était journaliste au
Boston Globe. Le Dana Farber, évidemment
au banc des accusés, cherche à contenir le
scandale mais le Boston Globe ne le lâchera
pas. Se retrouvant dans l’œil du cyclone,
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Etienne Brain jette l’éponge après 4 mois
et rejoint Boston University pour y mener
pendant près d’un an des recherches en
pharmacologie expérimentale.
A son retour en France, après une expé-
rience transitoire à Dijon, le jeune médecin
de 30 ans fait une sorte de retour aux
sources en choisissant d’exercer dès 1998
au Centre René-Huguenin : assistant rési-
dent tout d’abord, puis médecin praticien
spécialiste en oncologie médicale, nommé
directeur délégué à la recherche pour le
centre en 2008, et depuis la fusion avec
l’Institut Curie en janvier 2010, président de
la Commission d’évaluation de la recherche
clinique (Cerc) de l’Institut. Entre temps, il
soutient sa thèse de science (PhD anglo-
saxon) en 2005 et une habilitation à diriger
les recherches (HDR) en 2010. Entre temps
aussi, il concourt au développement de la
recherche clinique sur Saint-Cloud, s’op-
posant parfois sérieusement aux sponsors
pour publier certains résultats défavorables.
Ainsi il ira jusqu’à la publication dans une
des plus grandes revues américaines
d’un essai arrêté pour toxicité, malgré les
réticences du sponsor industriel. Depuis,
pas question de baisser la garde et de faire
comme les carabiniers d’Offenbach, arriver
trop tard : « Ce bras de fer m’a beaucoup
appris en termes de rapport de force et
d’exigence d’indépendance vis-à-vis de
l’industrie pharmaceutique... dont on ne
peut pourtant pas se passer pour faire
avancer la recherche. ».
Parallèlement, il s’implique de façon
croissante dans les instances nationales et
internationales de la cancérologie et aborde
progressivement le champ de l’oncogéria-
trie, domaine trop délaissé à son avis.
Quittera-t-il Paris s’il est un jour nommé
ailleurs sur ce poste hospitalo-universitaire
qu’il appelle de ses vœux ? Rien n’est
moins sûr car il reste bien trop attaché à
la vie parisienne, à Offenbach et surtout au
pilier de son travail : les femmes atteintes
de cancer du sein, et plus récemment les
personnes âgées atteintes de cancer. A
l’Institut Curie, il se trouve dans une infras-
tructure sans équivalent de ce point de vue :
« Finalement, ce serait un peu paradoxal
d’aller réinventer ailleurs la déclinaison de
ces thèmes de travail qui me sont chers et
qui sont bien implantés à Curie. »
Comment envisagez-vous
la relation patient-médecin ?
La relation patient-médecin est un creuset
inouï d’énergie pour le patient, mais aussi
pour le médecin. Bien entendu je ne suis pas
sûr de toujours donner l’impression d’écou-
ter mes malades. Le croire serait d’ailleurs
un leurre. La base est une attitude d’écoute
bienveillante et tolérante, et une capacité à
inspirer la confi ance et la confi dence. Car
quand je prends conscience du stress et
de l’émotion générés
par le diagnostic d’un
cancer, je n’arrive pas à
croire qu’ils ne puissent
pas avoir une infl uence
directe ou indirecte sur
le déroulement de la
maladie. Il faut essayer
d’atténuer l’angoisse du
malade pour « bâtir » avec lui son traitement
en le responsabilisant, parfois en acceptant
le recours à des médecines alternatives qu’il
faut certainement apprendre à ne pas juger
unilatéralement.
A l’Hôpital René Huguenin, nous avons ainsi
été précurseurs dans le développement
d’ateliers de relaxation pour les patients.
Certains patients à des phases très avan-
cées de leur maladie, chez qui je n’avais
plus de recours objectivement sérieux de
traitement, ont tiré de ces ateliers un béné-
fi ce inattendu et très supérieur à tout ce que
j’avais pu imaginer pouvoir leur donner avec
n’importe quel médicament restant « à por-
tée de main ». Je ne suis
ni expert ni enthousiaste
aveugle des « médeci-
nes alternatives », mais
je pense que certaines
sont des recours com-
plémentaires utiles. Les
techniques de médita-
tion et de yoga peuvent
contribuer à soulager la douleur tout en
donnant au patient une certaine marge de
responsabilité et d’autonomie. Et le médecin
doit être capable d’en parler si nécessaire,
sans polémique, laissant la porte du langage
ouverte.
Etre médecin nécessite une excellente
maîtrise des traitements, une connaissance
approfondie de la sémiologie (« écoute du
corps ») mais aussi un respect de l’autre et
de ce qu’il juge prioritaire pour lui, en d’autre
termes, de la « tolérance ». Le patient ne
doit plus être restreint à celui à qui on pres-
crit un médicament. Il faut respecter, voire
accompagner sa recherche d’autonomie,
tout en gardant en tête que beaucoup de
dérives existent dans le domaine des méde-
cines alternatives. Récemment, une mission
interministérielle a sorti un rapport éclairant
sur ce problème, la MIVILUDES.
Lorsque qu’une personne apprend qu’elle
est atteinte d’un cancer, elle est très souvent
sidérée par ce qui lui arrive ; elle développe
une anxiété majeure et peut devenir très
vulnérable : le médecin doit constamment
s’en souvenir.
En matière de recherche,
sur quels axes travaillez-vous ?
Au tout début, aux Etats-Unis, pendant mon
PhD, j’ai travaillé en pharmacologie expéri-
mentale sur le métabolisme hépatique des
médicaments de chimiothérapie. Depuis
je suis surtout actif en recherche clinique,
conduisant ou coordonnant des essais thé-
rapeutiques le plus souvent sur le cancer du
L’oncogériatrie,
une discipline
à part entière où
il reste encore
beaucoup à faire
Avec l’équipe d’oncogériatrie
PO
RTR
AIT
Si le médecin n’est pas capable d’ouvrir la porte et d’inspirer un dialogue de confi ance, ce n’est pas bon pour le patient.
sein, et plus spécifi quement chez la femme
de plus de 70 ans. La question fondamentale
est le bénéfi ce/risque des traitements chez
ces patientes : les traitements doivent être
décidés en tenant compte de l’espérance de
vie, des risques liés aux autres maladies,
du déclin fonctionnel, de la dégradation des
organes et de la préservation d’une certaine
qualité de vie.
Nous venons d’obtenir un fi nancement très
important pour un Programme Hospitalier
de Recherche Clinique (PHRC) promu par
UNICANCER, compre-
nant un essai clinique
et une cohorte. Près de
2000 patientes de plus
de 70 ans présentant
un cancer du sein,
recrutées sur une qua-
rantaine de sites hospi-
taliers français, auront un test pronostique
moderne (type « puce ») basé sur l’étude
des gènes de leur tumeur, investigation dont
est généralement exclue injustement cette
population âgée. Il s’agit donc d’une « vraie
révolution ». Chez un peu moins de la moitié
de ces 2000 patientes, on va comparer deux
types de traitement, l’un avec chimiothérapie
et hormonothérapie, l’autre avec hormono-
thérapie uniquement. On va aussi regarder
l’impact des traitements sur des paramè-
tres biologiques refl ets du vieillissement.
Est-ce que, par exemple, les télomères
–structures terminales des chromosomes
qui se raccourcissent au fur et à mesure
des divisions cellulaires - se détériorent
plus vite lorsqu’on fait une chimiothérapie ?
Existe-t-il d’autres biomarqueurs, dans le
sang ou dans le sérum, qui permettraient de
mieux prédire les risques de toxicité liés au
vieillissement, ou encore le pronostic « hors
cancer » c’est-à-dire l’espérance de vie ?
Ce projet va m’occuper pour les 4 années à
venir. Et nous sommes en pleine négociation
pour savoir si nous pouvons lui donner une
dimension européenne.
Est-ce un axe de recherche
nouveau ?
L’oncogériatrie était insuffisamment
abordée jusqu’au milieu des années 2000.
Depuis, c’est une discipline en plein mou-
vement, notamment en France, grâce à
l’action de GERICO (groupe de recherche
clinique en oncogériatrie d’UNICANCER)
que j’ai piloté de 2005 à 2010, à la SoFOG
(Société française d’oncogériatrie) et au
plan cancer qui a permis la création d’uni-
tés de coordination en oncogériatrie.
Concernant les essais thérapeutiques, ils
donnent généralement des informations
sur des populations âgées très sélection-
nées qui sont loin d’être représentatives
de la population âgée générale.
Les autorisations de mise sur le marché
(AMM) pour les médi-
caments sont obte-
nues dans la popula-
tion générale. Ensuite
on étend leur usage
chez les personnes
âgées sans connaître
toujours bien le profi l
de tolérance et d’action pour cette popu-
lation. Il y a aujourd’hui une vraie volonté
d’aborder de manière plus scientifi que la
question du vieillissement et des traite-
ments sur cette population croissante.
Y a-t-il, selon vous, un domaine
qui devrait être plus poussé en
matière de recherche en cancérologie,
notamment du sein ?
Il y a des efforts vraiment importants à
conduire sur la rechute métastatique. Encore
trop souvent, on ne sait pas vraiment ce qui
se passe. Des dizaines d’études se chevau-
chent. On rencontre beaucoup de concur-
rence entre industriels avec des molécules
parfois assez similaires. Etablir une straté-
gie dans ce contexte reste diffi cile.
Dans le cancer, la tendance est généra-
lement de dire : un médicament vise telle
anomalie, cherchons l’anomalie chez le
malade. Peut-être devrait-on prendre le
problème dans l’autre sens : partons du
malade, regardons toutes les anomalies
présentes dans la tumeur qui s’est dévelop-
pée, établissons un portrait moléculaire et
ensuite allons voir les « développeurs », les
industriels, les chercheurs, etc., et voyons
s’ils ont des clés pour ces anomalies. Pour
cette « vision nouvelle », il existe un PHRC
passionnant sur le cancer du sein métastati-
que auquel nous allons participer. C’est dans
cette direction qu’il faut avancer à mon sens.
Il faut coopérer avec l’industrie de manière
beaucoup plus ambitieuse et réfl échir à plus
long terme. C’est-à-dire que, au lieu de tes-
ter 6 composés qui vont tous dans la même
voie, il faut développer une stratégie partant
de la biologie, de la connaissance molécu-
laire de la pathologie. Cela permet de chan-
ger le rapport de force avec les industriels.
Il faut aussi réintroduire dans l’équation le
patient, les enjeux, la qualité de vie, le vécu,
l’acceptabilité, la parole, etc...
Que vous apporte la fusion
avec l’Institut Curie ?
C’est très positif. Tout d’abord, en mettant
en commun nos forces, nous aboutissons
à un recrutement considérable de patients
atteints de cancer : ceci nous permet d’en-
visager de construire des programmes de
recherche très ambitieux. Deuxième point,
il existe au sein de l’institution un très
important Centre de Recherche ouvert à
toutes sortes de collaborations. Je ne sais
pas encore bien comment s’effectueront les
miennes avec lui, car je le connais encore
peu et il n’est pas question « d’improviser »,
mais je sais que nous serons amener à
travailler ensemble dans un avenir proche,
apprivoisant peut-être certains chercheurs
pour aborder les questions biologiques du
vieillissement par exemple.
Je retiens donc le contact avec la recherche,
le recrutement des patients, mais aussi last
but not the least, l’image de l’Institut Curie
qui rejaillit sur nous et nous confère plus de
visibilité internationale.
Ré
da
cti
on
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rin
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ste
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Céline Giustranti
Tél. 01 56 24 55 24
Catherine Goupillon-Senghor
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PHOTOTHÈQUE
Cécile Charré
Tél. 01 56 24 55 26
L’oncogériatrie est une discipline en plein mouvement en France