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Reportage dans les foyers de la dessidence : Le feu couve sous les cendres

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Page 1: Reportage dans les foyers de la dessidence : Le feu couve sous les cendres

16 - RéAlités - N°1449 du 3 au 9/10/2013

Actuel

Deux ans après, les prémices du déve-

loppement ne se font pas remarquer, le

taux de chômage continue à grimper, les

conditions socioéconomiques devien-

nent de plus en plus dures et, par-dessus

le marché, l’insécurité gagne le pays.

L’UGTT lance un appel aux manifesta-

tions. Sommes-nous à la veille d’un

nouveau 14 janvier si le dialogue natio-

nal échoue ?

Nous partons en premier à Sidi Bouzid

afin de voir si la même ambiance y règne.

Première destination  : le local de

l’UGTT. Arrivée en fin de matinée, les

bureaux sont fermés, aucune réunion

n’est tenue. Contrairement à la veille du

14 janvier, aucune fièvre révolutionnaire

ne semble gagner la ville. Les gens

vaquent à leurs occupations habituelles,

les jeunes languissent attablés dans les

cafés et seuls quelques militants sont là

pour discuter politique…

Jeunes croisés à Sidi

Bouzid

Chokri Amri, un jeune de 35 ans, nous ditavoir «vécu le rêve de la Révolution quis’est ensuite brisé». Il assure être contrele régime actuel, mais n’être pas disposéà participer à des manifestations ni à dessit-in. Haithem Gamoudi, âgé de 29 ans,technicien supérieur au chômage est,quant à lui, très actif au sein du Frontpopulaire, mais il nous explique que ses

amis ayant participé à la Révolution ontdéclaré forfait. «Ils n’y voient plus d’in-térêt, un ras-le-bol s’installe et les mou-vements protestataires ne leur apportentrien. Ils sont mécontents et contrariés,mais ils ont constaté avoir passé beau-coup de temps dans les rues sans apporterun changement réel.» La confiance estégalement brisée par rapport aux villescôtières et à la capitale. «Nous n’atten-dons rien» déclare-t-il, lui-même ayantperdu toute confiance en quelques leadersnationaux. Serveur dans un café, Bassem Souassi, 24ans, ne savait même pas qu’il y auraitune manifestation le lendemain à SidiBouzid et il explique qu’il y a eu telle-ment de manifestations dans la ville qu’ilen a perdu le fil. Mais, pour lui, les condi-tions de la ville se sont détériorées depuisla Révolution. Aymen Hamdi, son ami,assure qu’il participera, «je déteste cegouvernement et j’en souhaite un autrequi voudrait vraiment travailler pour demeilleurs conditions» dit-il, non sanssoulever l’augmentation du nombre despartis en Tunisie.

Yahyaoui Filal, 43 ans, chômeur,

membre du Front populaire et du Front

du Salut national

Yahyaoui Filal se plaint de l’absence tota-le d’indices du développement et d’infra-structure industrielle à Sidi Bouzid. La

seule usine qui ouvrira ses portes à l’ho-rizon 2014 est Délice qui n’aura unecapacité d’embauche que de 240 postes.La Faculté de sciences, qui fut unmoment un espoir pour la région grâce àune possible relance du commerce, necomptait en 2012 qu’une cinquantained’étudiants… Pour lui, le désintéressement a pour cau-se le discours politique qui n’arrive pas àmobiliser la foule. Le front du Salutdevrait non seulement se présenter com-me la solution politique à la crise, maisannoncer également les noms qui compo-seront le prochain gouvernement qu’ellepropose. Ainsi, les gens n’auront pasl’impression de faire un saut dans le videet dans l’inconnu en revendiquant ladémission du gouvernement, mais aurontune liste qui peut être annoncée inspireraconfiance. Il existe par ailleurs, toujoursselon lui, un problème de confiance entrela base et les leaders au sein du Frontpopulaire, les décisions n’étant pas prisesuite à des discussions internes au niveaudes régions. Le même problème deconfiance existe entre la population et lespartis.Le Front du Salut devra également pré-senter des solutions économiques,sociales et sécuritaires, le citoyen étantsurtout touché par ces problèmes. «Nous sommes aujourd’hui face à un vraiprojet de dictature théocratique et nousdevons y faire face en construisant unÉtat démocrate» souligne-t-il. Il reprocheégalement au gouvernement actuel, outre

Le feu couve

sous les cendres

Reportages dans les foyers de la dissidence

Sidi Bouzid, Menzel Bouzaine, Gafsa (…) des régions qui se sont

enflammées des nuits durant, en décembre 2010. Les zones du

Centre et du Nord-Ouest furent à l’époque le feu qui refusa de

s’éteindre jusqu’à ce qu’il gagna la capitale et les villes côtières

en janvier. Les quartiers populaires de Tunis furent les premiers

à bouger, la tension y était grande.

Les rues étaient enveloppées de fumée, les jeunes ne dépeu-

plaient pas les chaussées malgré les affrontements et le couvre-

feu, des pierres arrachées, des bâtiments incendiés, ravagés et

une population qui de jour et de nuit, faisait face à la police et

aux balles sans se détourner. Ainsi furent ces régions en

décembre 2010…

UGTT : une mobilisation régionale contre le gouvernement

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de vouloir installer un régime totalitaire,le manque de décisions économiques quiauraient pu sauver le pays du gouffre telle gel de l’endettement et la lutte contrel’évasion fiscale qui s’élève à 22.000 mil-liards.

Ali Kahoul, militant de gauche indépen-

dant, membre du syndicat de base de

l’enseignement secondaire et ancien

coordinateur du Front des forces pro-

gressistes du 17 décembre

Il expose : «avant le 14 janvier, une élitede syndicalistes militait en revendicationà la situation politique et économique.L’explosion populaire a eu lieu suite àl’immolation de Mohamed Bouazizi.Aujourd’hui, une sorte de tiédeur s’ins-talle à la place, presque du désespoir. Lenombre de participants aux manifesta-tions est en baisse. Les troubles qu’aconnus la ville suite à l’assassinat deMohamed Brahmi le 25 juillet, n’ont étéqu’une réaction spontanée qui n’a pas derapport direct avec la politique.» Ilexplique également la baisse du nombredes manifestants par la participation desmilitants de la ville aux sit-in du Bardo, le6, le 13 puis le 31 août au lieu de bougerà Sidi Bouzid. Ali Kahloul revient sur la chronologie dela mobilisation populaire pour dévelop-per : «l’assassinat de Chokri Belaïd a euun impact négatif sur le Front populaire.Il se déplaçait énormément dans lesrégions avant même la constitution duFront dont il encourageait la naissance et

assistait aux conventions. Le Front popu-laire s’est retrouvé comme la seule forcepolitique revendiquant la chute du gou-vernement suite à l’assassinat de ChokriBelaïd. Le deuxième assassinat commis àl’encontre de Mohamed Brahmi a parcontre rapproché les points de vue et les arassemblés autour d’un même objectif.Ici a Sidi Bouzid nous avons énormémentbougé jusqu’à avoir réussi à faire partir legouverneur. Néanmoins, l’existence d’undouble discours du Front et la coalitionavec Nidaa Tounes a crée la polémique auniveau de la base surtout avec le manquede discussion des décisions à son niveau. Le citoyen s’est désolidarisé du politicienet s’est désintéressé de ce qui se passedans les coulisses de la politique.L’omniprésence du politicien dans lesmédias a suscité une sorte de méprisauprès de la population. Le discoursdevrait être reformé, simplifié et lié auxsoucis quotidiens des citoyens. On assis-te plutôt aujourd’hui à des successions dediscours, vidés de sens et les manifesta-tions sont devenues un show à regardersur les bords des routes. Il existe aujour-d’hui une sorte de nonchalance et beau-coup d’indifférence dans la populationtantdis que les activités politiques sontrestreintes à une certaine élite.  Lebouillonnement existe bel et bien, lesgens sont mécontents et en colère, maisaucune action ne s’ensuit.»Quant au parti au pouvoir, Ennahdha, M.Kahoul souligne qu’il a déjà réussi à sesouder et à revenir à l’attaque. Ayant éla-boré sa propre feuille de route, il accuseaujourd’hui l’UGTT d’impartialité, redis-tribuant ainsi les cartes du jeu. Il avanceque même si la coalition de l’UTICA etde l’UGTT est une alliance historiquen’ayant pas eu lieu depuis 1946, celan’incitera pas le citoyen à la désobéissan-ce civile ni à la grève générale.

Menzel Bouzaine

Dépasser la grande route principale quitraverse le village, on ne trouve plus dechaussées, on se dirige vers un publinetoù se rassemblent quelques personnes.Sur le chemin, nous avons à traversersans aucune sécurité la voie ferrée dont lefeu clignote rouge depuis des années. Ànotre remarque, Nasredine Slimani, unjeune élève de bac âgé de 18 ans, nousrépond que dans leur village de 50.000habitants, il n’y a ni poste de police ou degarde nationale ni délégation ni même deconseil municipal.

Zied Ammari, un jeune du village, nousinforme que les habitants de son villagesont désespérés, même la colère qui existen’est plus la même que la veille du 14 jan-vier. Tout le monde était dans les rues lorsdes mouvements de protestation dans lepassé, aujourd’hui, seuls quelques jeunesy participent. La raison en est qu’aucunede leurs revendications n’a été satisfaite,sans compter le nombre élevé d’arresta-tions et des mandats de recherche à l’en-contre de jeunes manifestants. «Je me faissouvent arrêté par la police quand je nesuis pas à Manzel Bouzaine, moi qui nesuis pas recherché. Le seul fait que j’ensuis originaire me pose problème avec lesagents de police qui me cherchent alors lapetite bête». D’un autre côté, aucun partin’existe à Manzel Bouzaine, aucune acti-vité politique n’est exercée dans ce villagedont les conditions se dégradent de plus enplus… Hamed Hidri, un homme de 54 ans, pèred’un blessé de la Révolution du 14 janvieret frère d’un martyr, Chaouki Nasri, tué le24 décembre 2010, nous exprime son pro-fond mépris des mouvements protesta-taires actuels, n’ayant constaté aucunrésultat. «Ils se vengent de nous» répète-t-il en évoquant les autorités, «sinon com-ment expliquer que nous n’ayons ni délé-gation ni conseil municipal depuis deuxans  ?». Hamed Hidri éprouve une colèresourde et une haine profonde pour le gou-vernement actuel «ayant tiré des ballescontre eux», mais, pour lui, les mouve-ments pacifistes ne serviraient à rien «cequi a été arraché par la force ne revient quepar la force» présente-t-il selon sa logique.L’explosion aura bien lieu d’après lui etelle se produira d’une façon soudaine etbrutale. Hamed Hidri va même jusqu’àparier que l’opposition n’arrivera jamais àfaire chuter le gouvernement sans un vraimouvement populaire.

Gafsa

Il est 21 h et la ville s’apprête déjà à som-brer dans le sommeil, hormis quelquescafés et restaurants se comptant sur lesdoigts de la main, il n’y a presque plusfoule dans les rues. Pareil qu’à SidiBouzid on est loin de l’ambiance révolu-tionnaire de la veille d’une manifestation.Les quelques personnes croisées se bala-dent tranquillement ou s’empressent derentrer chez eux… Nous croisons Oussama Ben Mansour, 24ans, étudiant stagiaire en France, qui nesavait pas qu’il y avait une manifestation

du 3 au 9/10/2013 - N° 1449 - RéAlités - 17

NATION

UGTT : une mobilisation régionale contre le gouvernement

Actuel

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18 - RéAlités - N°1449 du 3 au 9/10/2013

le lendemain. Quand il l’a su, il nous aaffirmé qu’il ne participerait pas. Il n’aconfiance ni en l’UGTT, ni en les partis,mais seulement en quelques personnalitéspolitiques. Le fait que le mouvement nesoit pas spontané, mais plutôt initié pardes forces syndicales – ou politiques – luiôte également toute envie d’y participer.Quant aux conditions, il déclare «nousmenons une vie normale et même s’il fautmiliter pour les améliorer ce n’est pas ain-si et puis qui peut assurer que les électionsnous apporterons la solution ?» Se deman-de-t-il, avant de conclure que l’argentdépensé dans les manifestations auraientmieux été employé pour les chômeurs… Et même s’il y avait un manque d’informa-tion, les préparatifs pour la manifestationont eu lieu la veille dans l’après-midi : ani-mation dans les locaux de l’UGTT et dis-tribution de tracts. Le matin, la foule s’estrassemblée une heure avant le début de lamanifestation dans les locaux de l’UGTT.Poésie, musique et hymne national ontdonné le la au mouvement qui dans sesdébuts semblait plutôt festif. Le premierslogan scandé nous ramena néanmoins auxdrames sanglants qui en étaient à l’origine«Nous resterons fidèles au sang des mar-tyrs» scandait la foule, à Gafsa, le sang n’apas encore séché… puisque justice n’a pasété faite. L’épouse de Mohamed Mufti tuélors des manifestations ayant secoué la vil-le de Gafsa au lendemain de l’assassinat deMohamed Brahmi était présente et a donnéun discours. «Il faut continuer les mouve-ments pacifistes » insiste-t-elle. La foule présente a défié l’ardeur du soleilet la poussière en défilant dans la ville,l’engagement et la colère s’exprimaient àtue-tête, seulement, nombreux étaient ceuxqui étaient là aux bords des routes regar-dant inactifs et passifs la foule passant. Lescafés étaient pleins, en marge de lamarche, une femme s’arrêta, réprimandantdes hommes attablés et nonchalants et lesappelant à rejoindre la manifestation.Quelques sourires furent la seule réponsequ’elle réussit à obtenir…

Cité Tadhamoun

Le dimanche, jour de marché, rien dans lacité ne ressemblait à la veille du 14 jan-vier. Les commerces étaient ouverts, lesstands dressés sur les trottoirs et la densi-té dans les rues étroites étaient remar-quable. Les conditions précaires de la citéEttadhamoun et ses infrastructures nesemblaient pas s’être améliorées depuis2010. Néanmoins, ici les gens sont plus

occupés à survivre qu’à «jouer à laRévolution». Un jeune, NouredineFatnassi, âgé de 33 ans, nous raconte queles habitants du quartier ne peuvent plusaccorder leur confiance à un parti poli-tique après l’avoir donné au partiEnnahdha, religieux et craignant Dieu,qui les avait «abusés». Alors même si lapopularité du parti au pouvoir s’est briséedans ce quartier ayant grandement parti-cipé à sa montée au pouvoir, l’absenced’une alternative politique décourage lesgens à descendre dans la rue. Les condi-tions économiques difficiles sont égale-ment une arme à double tranchant : ellesnourrissent la frustration et la colèrepopulaire, mais dissuade les gens de par-ticiper aux mouvements protestataires depeur que les troubles ne causent la ferme-ture des commerces et ne rendent leurconditions précaire encore plus difficiles.Riadh Mahfoudh, son ami âgé de 38 anset ayant participé aux évènements du 14janvier 2011, exprime aujourd’hui sondécouragement, «il est vrai que les condi-tions sont plus dures, je touchais dans les400 dinars dans le passé, je suis père detrois enfants et je paye un loyer, pourtantj’arrivais à combler mes dépenses,

aujourd’hui je touche 700 dinars, j’em-prunte de l’argent les deux premiers joursdu mois pour pouvoir continuer à vivre.Nous soutiendrons le parti qui nous pré-sentera un programme clair et réussira àchanger et améliorer nos conditions, seu-lement, comment le savoir  ? Nous crai-gnons d’aider un autre parti à accéder aupouvoir pour qu’il nous oublie plus tard.» Quelques jeunes filles rencontréesn’abordent même pas l’aspect politiquede la question, ici, c’est plutôt l’étonne-ment de voir une journaliste femmes’aventurer dans le fond du quartier. Lapeur et l’insécurité sont les seuls soucisqu’on évoque. Tentative de kidnappingd’enfant en plein jour, vols à l’arrachée,cambriolage et autres agressions sont fré-quents. Ici et dans ces conditions, la poli-tique et les revendications politiquesn’ont pas leur place. Pourtant, le feu de lacolère et de la frustration est bel et bienexistant, il couve sous les cendres, car lesjeunes des quartiers tout comme ceux deszones intérieures craignent d’être uneseconde fois le bois alimentant la foudrepour qu’après le changement, ils retom-bent dans l’oubli…

Hajer Ajroudi

Cité Tadhamoun : Des conditions précaires

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