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Représentation du spirituel dans les soins palliatifs. Proposition d’un repère et d’une méthodologie pour sa définition

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Page 1: Représentation du spirituel dans les soins palliatifs. Proposition d’un repère et d’une méthodologie pour sa définition

Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2010) 9, 205—213

EXPÉRIENCES PARTAGÉES

Représentation du spirituel dans les soins palliatifs.Proposition d’un repère et d’une méthodologie poursa définition

The representation of the spiritual in palliative care. Reference andmethodology proposal for its definition

Marc Jugueta,∗,b

a Association JALMALV Somme, 235, rue St.-Fuscien, 80090 Amiens, Franceb Équipe mobile de soins palliatifs, hôpital Nord, place Victor-Pauchet,80054 Amiens cedex 1, France

Recu le 20 janvier 2009 ; accepté le 7 juillet 2009Disponible sur Internet le 18 avril 2010

MOTS CLÉSSpirituel ;Spiritualité ;Besoins spirituels ;Souffrance spirituelle

Résumé Les acteurs des soins palliatifs peinent à cerner le spirituel. Leur majorité le voitdans les besoins et la souffrance spirituels, avec les représentations et les attentes corres-pondantes ; une minorité comme une réalité d’un autre ordre, accessible uniquement par leressenti et procurant alors une joie intense et une absolue non peur de la mort. Le contenude cette seconde perception du spirituel étant similaire à celui, plus fondamental et universel,de l’expérience spirituelle, c’est elle que nous prenons comme repère pour la prise en comptesuccessive des représentations du spirituel. Cette expérience est le ressenti indicible et intensed’une perfection absolue, une joie sans cause et sans objet, la perception d’un autre mondeplus certain que le monde habituel, affranchi de l’ordre du temps et donc de la mort. Conformeà la philosophie des soins palliatifs, le choix de ce repère éloigne les croyances et les dogmespour privilégier ce qui est vérifiable. Ce qui se manifeste dans l’expérience spirituelle consti-tue, pour nous, le spirituel au sens strict. Ce n’est pas un autre monde mais le même mondevécu à une autre profondeur. N’étant accompagné d’aucune représentation, il est indéfinissableen soi. On peut seulement s’entendre à son sujet. Non concrétisée, cette caractéristique de

e que nous appelons le spirituel au sens large avec, ente autres, les

l’homme se manifeste par c besoins et la souffrance spirituels. Cette conception traditionnelle et vaste du spirituel devraitpermettre de mieux le caractériser et donc d’améliorer l’accompagnement dans ce domaine.© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected].

1636-6522/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.medpal.2010.03.003

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KEYWORDSSpiritual;Spirituality;Spiritual needs;Spiritual suffering

Summary Actors in the field of palliative care struggle to define the spiritual. For a majorityof them, it lies in spiritual needs and suffering, with corresponding expectations and repre-sentations. For a minority, it is a reality of another kind, only accessible via feelings and itbrings intense joy and banishes the fear of dying. The content of the latter perception of thespiritual is similar to the one — more fundamental and universal — of spiritual experience. Weshall thus choose it as the reference to take into account successive representations of thespiritual. This experience is the inexpressible and intense feeling of an absolute perfection, ajoy without a cause or object, the perception of another world, more certain than the usualworld, emancipated from time and so from dying. In accordance with palliative care philosophy,choosing this reference helps keep beliefs and dogmas at bay, in order to favour what can bechecked. In our opinion, what manifests itself in spiritual experience constitutes the spiritualin the strict sense. It is not another world but the same world experienced at a deeper level.As it accompanied by no representation, it is thus indefinable. One can only agree about itsexistence. When it is not expressed, this human characteristic manifests itself through what wecall the spiritual in the broad sense of the term with, among other things, spiritual needs andsuffering. This traditional and broad conception of the spiritual should allow us to characterizeit better and, therefore, improve accompaniment of patients in this field.© 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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dLe religieux est vu comme dérivé du spirituel, spécifiqued’une culture, donc relatif, parfois intolérant, cadré par unsystème de croyances, de rites et une organisation sociale

ntroduction

a représentation du spirituel1 — ce qui constitue le fon-ement du domaine spirituel — est extrêmement diverse.ans la société en général, le sens est vague. Tout en étantantonné à proximité du religieux qui demeure la référenceistorique, il s’en éloigne cependant. C’est quelque chosee plus ou moins que le religieux mais pas exactement dueligieux, comme ce qui en resterait si on en avait écartées dogmes et les rites. Une indication sur la polysémieu terme apparaît, par exemple, à la consultation duite « LeMonde.fr ». Chez les soignants, des auteurs [1] ennt dénombré 97 définitions ! Dans le domaine des soinsalliatifs, la dispersion du sens est un peu moins grande. Si’on tente de faire un regroupement des définitions selona proximité des sens attribués au terme, on peut éven-uellement distinguer sept catégories de significations maisl est impossible d’en extraire un dénominateur communui pourrait représenter le sens du terme spirituel [2]. Parilleurs, spirituel et spiritualité sont très souvent utilisése facon interchangeable.

Qu’en est-il donc du spirituel ? Nous n’avons surtout pasa prétention de forger une énième définition. Comme notreitre l’indique, il s’agit seulement de donner un repère uti-isable par les acteurs des soins palliatifs. Notre propositionéthodologique est, dans la multitude des acceptions du

erme, de déterminer des catégories de sens en utilisanton pas, comme à l’habitude, la proximité de sens desoncepts utilisés mais leur compréhension2, et ce, dans unrdre de compréhension croissant. En d’autres termes, avec

ette méthode, la première catégorie regroupe des conceptsdes déclinaisons du spirituel) de compréhension restreinte,’est-à-dire simples, élémentaires, relativement précis etéfinissables et la dernière catégorie des concepts (toujours

1 L’adjectif peut être substantivé et donc utilisé comme nom.2 Signifie, ici, la totalité des idées qu’un mot peut représenter.

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es déclinaisons du spirituel) de compréhension étendue’est-à-dire vastes, globaux mais moins facilement définis-ables. Aller du plus élémentaire au plus vaste implique unoint de vue, mais cette manière a l’avantage d’être, àotre connaissance, inédite dans les soins palliatifs3.

Nous envisagerons d’abord comment leurs acteurs voiente spirituel. Cela permettra ensuite de poser le repère quiend possible, si ce n’est de le définir littéralement, de leécouvrir dans son fondement. Partant de ce repère, nousroposerons une méthodologie pour sa prise en compte pares soins palliatifs.

pirituel, religieux et psychologique

vant de voir le résultat de cette méthode, on résumera’abord comment les acteurs des soins palliatifs, fonction-ant par exclusion, différencient le spirituel du religieux etu psychologique [2].

Le spirituel est vu comme vaste et universel. C’est unearactéristique, un bien commun à toute l’humanité et doncndépendant des civilisations et des cultures. Il exprimen absolu, il est athée et tolérant. La pratique spirituelle,spiritualité4), essaie de résoudre, de facon absolue, lesuestions existentielles fondamentales.

La différenciation du spirituel et du religieux fait l’objet’un très large consensus, au moins aujourd’hui en France.

ouvent hiérarchisée. Il essaie de résoudre les mêmes pro-

3 Cet article reprend en partie, en le remaniant, un mémoire de.I.U. de soins palliatifs [2] en ligne sur http://www.croix-saint-imon.org. Il lui apporte aussi quelques compléments. C’est unenalyse de la littérature des soins palliatifs nourrie par la pratique’un bénévole concerné par la spiritualité.4 Nous préciserons la définition plus loin.

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Définir le spirituel dans les soins palliatifs

blèmes. La spiritualité est possible sans religion, l’inverse nedevrait pas l’être. En d’autres termes, la religion peut êtreprésente ou non sans que la « valeur » de la spiritualité ensoit affectée et une religion ne saurait ignorer la spiritualité.

Le psychologique fait l’objet de beaucoup moins de pré-cisions et aucun auteur ne trouve de critère décisif pour ledifférencier du spirituel. Il est clair cependant que le spi-rituel est plus vaste que le psychologique puisqu’il se situeau-delà des particularités individuelles.

Comment les acteurs des soins palliatifsvoient-ils le spirituel ?

Même si l’on peut affiner l’analyse en différenciant descatégories intermédiaires [2], la méthode définie en intro-duction permet de distinguer deux grandes perceptions duspirituel.

La première représentant la position classique des soinspalliatifs, nous ne la traiterons pas dans ses détails. Elleutilise le terme spirituel avec une compréhension res-treinte. Elle est exprimée de facon majoritaire dans lesouvrages de référence, les manuels et un très grand nombred’articles. À titre d’exemple, on pourra consulter le travailde Vimort [3,4]. Dans ce cas, le spirituel est exprimé pardes besoins spirituels multiples, spécifiques et définissables.C’est un domaine proche du questionnement existentiel. Sices besoins ne recoivent pas de réponse, une souffrancespirituelle corrélative en découle. Celle-ci peut être abo-lie par ce que nous appelons une solution spirituelle. Lesbesoins sont d’abord celui de sens (de la vie, de la maladie,de la mort) et ensuite celui de « réconciliation » (avec sonexistence et avec soi-même, avec les autres). La solution àla souffrance spirituelle est intérieure : c’est l’acceptation.Un auxiliaire de l’acceptation peut être trouvé dans lesphilosophies ou dans les religions. La conséquence del’acceptation est « un état de grande paix » [4], « la pos-sibilité d’abandonner la vie avec un certain degré de paix etde satisfaction » [5]. Sans être très fréquent, ce type de finde vie est assez connu pour qu’il n’étonne pas.

Le spirituel est-il construit avec desreprésentations. . .

Dans cette première grande catégorie, le spirituel estscindé en domaines particuliers qui font appel à des repré-sentations, presque toujours en référence à une dimensionextérieure à l’individu. En ce qui concerne le besoin desens, cela peut être la représentation d’une dimension supé-rieure à l’homme ou d’une « après vie ». Pour le besoin deréconciliation, il est nécessaire de se reporter à un ailleursà l’extérieur de soi : un autre ou la représentation de ceque peut être un bilan de vie positif par exemple. Seule laréconciliation avec soi-même peut éventuellement ne pasdemander de se référer à une dimension extérieure. Il y adonc, dans cette première manière, d’abord morcellementdu spirituel en domaines de compréhension restreinte, et

ensuite quête, mouvement vers l’extérieur de soi avec appelcorrélatif à des représentations.

La seconde grande facon dont le spirituel est percupar les acteurs des soins palliatifs est minoritaire. Dansce cas, le terme spirituel est utilisé dans une compréhen-

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207

ion extrêmement vaste. Châtel [6] part du besoin spirituelonsidéré comme fondamental, c’est-à-dire comme manquexistentiel de fond de l’être humain (et non comme unesoin — éventuellement multiforme — parmi d’autres), ete la souffrance spirituelle considérée comme la souffrance’arrière-fond présente derrière toutes les autres. Il sou-igne que le domaine du spirituel révélé par ces deuxanifestations peut faire l’objet d’un ressenti indicible

t d’un autre ordre, conduisant à éprouver un senti-ent intérieur d’unité, de paix et d’accomplissement.’autres acteurs des soins palliatifs partent directement de

’expérience qu’ils on percue et du témoignage qu’ils onecueilli chez certaines personnes en fin de vie. Ils parlente ce qui annihile la souffrance spirituelle, c’est-à-diree l’expérience spirituelle. Cette expérience intérieure estrécisée en termes de joie d’être soi-même et d’ouverturela vie intenses. Il n’y a alors plus de questions, y compris

ur le sens. C’est une évidence agissante (le comportemente ces personnes l’atteste, en particulier l’absence totalee peur de la mort), abrupte et indicible. Elle va permettrela personne qui l’éprouve de ressentir qu’il y a, ici même,ne vie véritablement autre, où elle est vraiment vivante :certitude et joie d’être en vie », « je crois que je n’ai

amais été aussi heureux, je vais à l’essentiel » [7], « c’estou, à deux pas de quitter cette vie (que j’aime), de meire que je suis heureux » [8], disent ces personnes. Ceessenti d’un type de vie d’un autre ordre s’accompagnee l’évidence que ce sera encore le cas au moment de laort. À ce sujet, Balmary [9] rapporte les propos d’un psy-

hanalyste devenu un classique : « Lorsque le psychanalystenglais D.W. Winnicot mourut, sa femme prit connaissance’un carnet qu’il gardait sur lui. Elle y trouva cette prière :‘ O. Dieu, puissé-je être vivant quand je mourrai ’’. Plus loinans ce carnet, Winnicot imaginait qu’il était déjà mortt avait écrit : ‘‘ Voyons un peu, que s’est-il passé quande suis mort ? Ma prière avait été entendue. J’étais vivantque l’on peut traduire par : je vivais de cette autre vie,éritable] au moment de ma mort. C’était là tout ce que’avais demandé et je l’ai obtenu ’’ ». Frings [10] signaleue l’affrontement à la mort fait parfois découvrir « uneéalité autre . . . l’au-delà, trop souvent pensé comme unilleurs extérieur à la réalité humaine [étant] décrit alorsomme le cœur profond, réel des êtres et des choses, pré-entes et à venir ». Les commentaires des témoins sur ceu’ils ressentent lors de ces moments ne sont pas moinsorts : « J’ai été tellement frappé par cette voix intérieureui venait d’un espace que je n’avais jamais rencontréhez eux, même lorsque je les avais suivis comme ana-yste ; je découvrais aussi qu’eux-mêmes ne savaient pas’où venait cette voix, cette force, au moment du grandassage. J’entendais une présence innommable, une pré-ence agissante qui s’imposait du dedans avec une autoriténdiscutable et en même temps discrète » [11]. de Henne-el [12] témoigne d’un exemple où elle a rencontré uneforce et une joie de vivre » qui ont bouleversé les accom-agnants. Burdin [8] décrit un jeune homme « dont le cœurubile en fin de parcours » et qui hésite, presque aveconte, à partager son étonnante joie. Schattner [13] parle

d’abandon spirituel qui s’accompagne d’une mystérieuse

oie ». Cette dernière observation relie cet état au compor-ement intérieur qui l’a provoqué : l’acceptation de ce quist, l’abandon de la volonté personnelle (voir aussi tous les

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mtcetdcsldciAefondamentalement UN7. L’accès à cet état est possiblepar une recherche intérieure pratiquée dans un cadrereligieux, avec les croyances et les pratiques de celui-ci (leChristianisme contemplatif et l’Islam soufi en témoignent),mais il l’est également en dehors de toute croyance et de

paroles d’« illuminés » mais de l’expression d’une réalité humainequi dépasse l’état habituel. L’auteur a conscience que livrer direc-tement un résumé serré de ces cas peut sembler abrupt. Pour

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utres auteurs cités ci-dessus). Ce type de fin de vie estssez extra-ordinaire pour bouleverser les accompagnants.

. . .ou est-il expérimenté uniquement par leressenti ?

Dans cette seconde grande catégorie, le spirituel appa-aît comme une globalité indissociable en parties. Laanière de dénouer la souffrance est désignée par le même

om que dans la première, c’est le oui à ce qui est, maisl ne s’agit pas véritablement de la même attitude. D’uneart, le sujet se situe uniquement ici et maintenant, dansn essai d’être entièrement tourné vers l’intérieur et fondéur le ressenti, en ignorant au maximum les représentationst, d’autre part, la situation ne semble jamais être scindéen éléments séparés. Le résultat de l’acceptation se révèlelors comme qualitativement différent : il s’agit d’un étate joie intense et sans cause.

Même si ces deux perceptions du spirituel se chevauchentartiellement et ne sont donc pas antithétiques, ellesontrent cependant des différences importantes. Quelles

aisons peut-on trouver pour dire que l’une correspond plusu spirituel que l’autre et donc le caractérise ? Puisque lescteurs des soins palliatifs ne pointent pas cette différence,’est en dehors de leur domaine que nous chercherons unepère.

Le premier type (besoins et souffrance spirituels) est’apparition récente. Il s’est développé chez les soignantsontemporains, avec leur méthodologie spécifique, ceux desoins palliatifs ont fini de la mettre en place [2]. C’estne démarche d’adaptation de concepts et de croyances,uestionnés ou fragilisés par une époque, à la souffrancentérieure des malades en fin de vie. Le deuxième type estroposé par certains acteurs des soins palliatifs mais il neeur est pas spécifique. Il n’appartient pas à une catégorieociale ou à une époque. Il est tout à fait comparable à uneémarche pratique et à un vécu humains immémoriaux etommuns à toutes les civilisations, c’est-à-dire à la spiri-ualité et à l’expérience spirituelle. Même s’il est presqueotalement ignoré par notre civilisation, il possède unncrage profond dans l’histoire de l’humanité. C’est cettexpérience spirituelle que nous prendrons comme repère.

’expérience spirituelle

ans le courant de la vie, on rencontre deux formes essen-ielles d’expérience spirituelle, aussi nommée expérienceystique : d’une part, l’expérience dite sauvage, transitoire

t non préparée, appelée aussi « sentiment océanique », et,’autre part, celle qui est installée de facon stable, aprèsne recherche intérieure menée selon les principes d’unepiritualité traditionnelle.

Notre analyse des cas de « mystique sauvage » est fondéeur les nombreux exemples contenus dans le travail de Hulin14], sur d’autres rapportés par Fromaget [15] ainsi que surn exemple analysé par l’auteur de l’expérience lui-mêmevec Comte-Sponville [16]5. Il s’agit de cas vécus par des

5 C’est, aussi, la familiarisation avec ce sujet par l’étude d’unrand nombre de cas qui peut convaincre qu’il ne s’agit pas de

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M. Juguet

aïcs et, dans la très grande majorité, sans connotationeligieuse. L’expérience spirituelle sauvage est imprévue et’impose au sujet. C’est uniquement un ressenti (la penséessociative ou réflexive, c’est-à-dire les représentations,st absente) difficilement communicable, « indicible » pare langage. La sensation de moi séparé (« ego » de l’Orient)disparu sans que le sujet — mais le mot est alors inappro-

rié — se perde dans le tout. C’est un sentiment à la foisntense et serein d’une perfection absolue, donc stable, àaquelle rien ne manque, une joie sans cause et sans objet.l n’y a donc plus aucune question, ni espoir ni crainte, toutest » là. Cette expérience est ressentie comme plus réelleue le réel quotidien. C’est un autre monde, plus certainue le monde habituel. La sensation du temps n’y est plusa même, tout se passe simultanément au présent. Ce quist ressenti est « affranchi de l’ordre du temps » commee l’espace et de la causalité. Dans ce cadre, la mort n’alus le sens habituel. La réalité que le « sujet » ressent ete sent être en même temps est située hors du temps, ile peut alors rien craindre de l’avenir et donc de la mort.ette expérience est transitoire mais elle peut parfois seépéter. Sans être fréquente, elle n’est cependant pasonfidentielle : Hulin [14] indique que « nous possédons,ittéralement, des milliers et des milliers de témoignages enrovenance de toutes les époques et de tous les continents ».

Une joie absolue affranchie de toute peur.

L’état atteint inopinément dans les expériences deystique sauvage peut l’être de facon stable et défini-

ive par des hommes qualifiés de mystiques dans notreulture, après une ascèse (c’est-à-dire des exercices, unntraînement) pratiquée dans le cadre d’une spiritualitéraditionnelle. En se référant à ce cadre traditionnel, onéfinira la spiritualité comme un corpus de connaissan-es dont le fondement est l’existence de l’expériencepirituelle — celle-ci étant régulièrement vérifiée dansa suite des générations — et qui propose les moyens deissoudre les obstacles rencontrés pour y parvenir. Chaqueulture entoure cette réalité expérimentale6 d’un systèmenterprétatif et de certaines pratiques qui lui sont propres.insi parle t’on de spiritualités chrétienne, bouddhiste,tc. mais le phénomène de l’expérience spirituelle est

e lecteur intéressé, les ouvrages cités et la bibliographie qu’ilsontiennent pareront largement à cet inconvénient inhérent à toutrticle de revue. On trouvera aussi plus de détails en [2].6 Qui possède les caractères d’une expérience vérifiable, mais pasans les conditions des sciences expérimentales.7 Cette affirmation est discutée par certains théoriciens, en par-iculier par de nombreux théologiens. Cependant, la conduite, lesaroles et les enseignements de ceux qui font cette expérienceiennent montrer cette unité.

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Définir le spirituel dans les soins palliatifs

toute pratique religieuse, dans un cadre athée (voir, entreautres, une partie de l’Hindouisme — par exemple l’AdvaïtaVédanta exprimé par Prajnânpad [17] — ou le Bouddhisme).

En général après une longue ascèse, ceux que l’onappelle les saints ou les sages, selon la tradition locale,se sont déconditionnés des mécanismes mentaux ordinairesqui barrent l’entrée de cet autre monde en ce monde. Ils’agit dans ce cas d’une transformation radicale de tousles aspects de la personne. Les qualités seulement entre-vues dans l’expérience spirituelle sauvage imprègnent alorscomplètement l’être humain, transformant profondémentet définitivement son psychisme. De plus, deux aspects fon-damentaux sont présents qui n’apparaissent pas dans lesexpériences de mystique sauvage. C’est d’abord un lâcher-prise total, condition sine qua non de l’expérience : il y adépôt de la volonté personnelle, l’ « individu » allant désor-mais entièrement, selon ce que traduit sa culture, dans lesens de la marche de la vie ou de la volonté de Dieu. C’estensuite l’amour manifesté par l’être humain « spirituel »,son absolu non égoïsme. Il ne s’agit pas du sentiment dulangage ordinaire mais d’un amour absolu et inconditionnelpour tout être et toute situation. Cet état achevé de l’êtrehumain (« éveil » de l’Orient, « déification de l’homme »des contemplatifs chrétiens) est rare. Pour l’illustrer, onse référera aux témoignages et aux enseignements descontemporains qui, issus de spiritualités « traditionnelles »,religieuses ou non, vivent cette expérience.

L’expérience spirituelle peut survenir enfin de vie

Lors de la fin de vie, l’individu perd progressivement sescapacités d’action et désinvestit massivement de grandspans de ses centres d’intérêt antérieurs. Cela favorisel’ouverture à la dimension spirituelle. Les témoignages rap-portée plus haut (deuxième type de perception du spiritueldans les soins palliatifs) montrent que peut alors survenirce que l’on doit qualifier d’expérience spirituelle, au mêmetitre que les expériences « sauvages » ou « traditionnelles ».

En effet, la condition « princeps » de l’expérience, c’est-à-dire le oui8 absolu à la situation, est la même et son contenu9

— cette joie sans cause et sans objet — est traduit par lesmêmes mots10. Par la force des choses, elle est égalementprécédée de remaniements intérieurs très importants.

8 L’acceptation n’est ni la résignation, ni le fatalisme, ni la soumis-sion par rapport à autrui. C’est une attitude active où l’individu estréceptif, s’exposant sans barrières, totalement, à la situation. C’estcette absence de défenses, cette mise en vulnérabilité totale quipermet le basculement caractéristique de l’expérience spirituelletraditionnelle. L’acceptation n’intervient pas dans les expériences« sauvages ». On trouvera dans certains journaux de personnes en finde vie, des témoignages sur l’importance capitale de l’acceptation[2].

9 Nous avons seulement envisagé la traduction du contenudes expériences « sauvages ». Le faire pour les expériences« traditionnelles » déborderait le cadre de cet article mais on peutconsidérer qu’il est de la même nature. C’est plus particulièrementvisible dans les spiritualités athées.10 On trouvera plus de précision ainsi que d’autres questions etdéveloppements en [2].

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Reste maintenant à cerner l’extension de l’expériencepirituelle en fin de vie.

Les malades dont nous parlons ci-dessus ont manifeste-ent une expérience spirituelle, nous venons de le dire.eux dont parle Saunders [5] n’expriment pas cette joieans cause caractéristique mais les descriptions que fait cetuteur sont de la même famille que les précédentes. One situe dans un « plus de vie », mais les termes sont moinsorts [2]. Demeurent d’autres cas plus connus de mort apai-ée, par exemple ceux de ces vieillards dont certains, nousonfie un gériatre également médecin de soins palliatifs,ont calmes et sereins devant la mort qui arrive. Ces expé-iences sont-elles des formes plus ou moins explicites de laême réalité ? Un travail d’enquête pourrait — peut-être —

épondre à cette question. Ces expériences montrent toutesa clef d’accès au domaine spirituel, l’acceptation, mais,n l’a vu, ce mot recouvre des comportements globaux quieuvent être différents.

’expérience spirituelle « spirituel au senstrict » en tant que repère dans la prise enompte du spirituel

armi les différentes manifestations qualifiées de spiri-uelles chez l’homme, l’expérience spirituelle est la seuleui soit rigoureusement spécifique de ce domaine. C’estonc elle que nous choisirons comme repère pour la prisen compte de l’ensemble du champ spirituel.

Ce choix pourrait paraître hasardeux, pour deux raisonsrincipales.

En premier lieu, ses acteurs la déclarent indicible. Saelation n’en est donc qu’une traduction, une adaptation,vec toutes les pertes d’information qui en découlent.ependant, avec Fromaget [15], on peut considéreru’il existe dans les témoignages des indicateurs discer-ables, au moins de facon statistique, qui permettent auxon-expérimentateurs de « s’entendre » sur son contenu.’abondance de la littérature spirituelle le prouve.

En second lieu, mettre en exergue une telle expé-ience est mal percu dans notre société. Dans leurajorité, les théories anthropologiques et psychologiques

ctuelles l’ignorent ou lui accordent une valeur négative.’anthropologie actuelle (au sens de « manière dont unroupe ou un culture concoit l’être humain » [15]) est dua-iste : elle voit l’homme comme composé de deux parties,e corps et l’âme, le physique et le psychique. Une troi-ième dimension, accessible dans l’expérience spirituelle etualifiée d’esprit, est reconnue en Orient et l’a été danse Christianisme ancien mais elle est le plus souvent igno-ée par la culture de notre époque. De même, l’approchesychanalytique majoritaire considère l’expérience spiri-uelle comme une régression à un stade archaïque de laersonnalité. Elle est alors plus ou moins considérée commen phénomène qu’on hésite à ranger dans la normalité ouomme un état proche de la pathologie. D’autres auteurs,

nfirment cette facon de voir [14].

Dans cette situation note Fromaget [15], « reconnaîtrea réalité de l’esprit est une attitude de pensée qui ne vaas sans risque. Celui de prêter à rire, d’être discrédité ouisqualifié, par exemple ».

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Choisir l’expérience privilégie ce qui estvérifiable.

Malgré ces difficultés dues à la culture dominante, lehoix de l’expérience spirituelle comme repère pour abor-er et caractériser le spirituel nous semble essentiel. Illoigne les croyances et les dogmes pour privilégier ce quist vérifiable : toutes nos affirmations concernant le spiri-uel sont issues de l’expérience individuelle et vérifiablesar l’expérience individuelle11. Ce point de vue donné,’auteur a conscience qu’il est a priori impossible d’espérerrouver une expérience « pure ». L’expérience spirituellelle-même, et encore plus sa traduction, ne sont jamaisierges du contexte qui les a préparées. C’est particulière-ent le cas des expériences « traditionnelles » religieuses.ependant, parmi les expériences « sauvages », certaines auoins sont très peu influencées par ce phénomène. Elles

emblent alors traduire cet invariant humain reconnu pares acteurs des soins palliatifs.

Une mise en garde doit être faite pour l’usage de ceui est rapporté de l’expérience spirituelle. Pour la résu-er, un homme expérimente en ce monde qu’il existe un

utre niveau d’être, absolument bienheureux. Si l’on tientdéfinir ce début de description avec un concept habituel,

n peut dire que l’expérience est immanente. Mais, on l’avoqué plus haut, ce qu’il ressent est à la fois « lui » et infi-iment plus que « lui », parfait, complet, certain et sansimites, en particulier dans le temps. Les idées d’éternitét de transcendance12 pourraient en être déduites. Mais, enait, dans cette expérience il n’y a pas de pensée et doncas de représentations. Les représentations d’immanencet de transcendance sont alors hors champ [2]. « EST » nee laisse pas couper en morceaux ! Pour chaque facette de’expérience, on pourrait ainsi montrer que l’emploi desdées et des concepts habituels, tout en n’étant pas injusti-é puisque le langage est finalement utilisé, est inadéquat.es concepts présentent des analogies avec le contenu de’expérience mais ils ne sont pas de même nature. La logiqueabituelle est battue en brèche : des sensations apparem-ent contradictoires coexistent en harmonie. En revanche,

e versant visible de cette expérience — celui qui se traduitans le comportement — est nettement plus accessible. Enn de vie, c’est la joie sans cause et l’absolue non peur de laort qui frappent le plus. Chez les sages et les saints, c’est,

n plus, un amour d’un niveau inhabituel. Dans les deuxas, les témoins ressentent un autre niveau d’être. Encoreaut-il que leur paradigme anthropologique n’empêche pasa perception [15]. À ce propos, Frings [10] souligne bien’importance de la grille de lecture adoptée par les soignantsans l’interprétation de ce qu’ils ont vu et les désaccords

arfois rencontrés à l’intérieur des équipes.

Ce n’est pas un « au-delà ».

11 On se référera encore aux témoignages et aux enseignementses contemporains qui, issus de spiritualités « traditionnelles », reli-ieuses ou non, vivent cette expérience.

12 De même, malgré sa valeur, au moins didactique, nous n’utilisonsas le terme esprit pour éviter que son contenu habituel, dans notreivilisation, amène des confusions avec transcendance.

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En tenant compte de ces observations, nous faisonsependant la proposition suivante : le spirituel, c’est ceui se révèle dans l’expérience spirituelle (telle que nous’avons envisagée dans le paragraphe précédent). De plusous reprenons à notre compte ce que soulignent Frings [10]t Fromaget [15] : ce n’est pas un « au-delà » ou un « autreonde » mais, précise ce dernier auteur, « le même mondeercu et vécu à une autre profondeur ». Ce faisant, nous nerenons pas position pour une transcendance en dehors de’homme mais pour la possibilité qu’a celui-ci13 de transcen-er, c’est-à-dire de dépasser, son niveau d’être ordinaire.ous ajoutons que la possibilité de vivre cet état est unearactéristique, une composante de l’homme mais dont’entière concrétisation, la découverte, est rare. N’étantccompagné d’aucune représentation, ce niveau d’être estndéfinissable en soi. Pour le différencier (mais pas le dés-nir, Section 1 voir ci-après), du spirituel habituellementnvisagé dans les soins palliatifs, nous l’appelons spirituelu sens strict. Nous le choisissons aussi, nous l’avons dit,omme repère parce qu’il est rigoureusement spécifiqueu domaine spirituel14. En effet, s’il n’est pas définissable,e spirituel au sens strict est bien différentiable du niveausychologique. Le domaine spirituel n’est pas désincarné,l s’exprime à travers le psychisme mais avec des quali-és absolument inhabituelles pour le domaine psychologique18]. Pour tous ceux qui l’ont expérimenté, il est évident,ertain, immuablement stable et indépendant des condi-ions extérieures. On est bien dans un monde différent de’ordre du psychologique qui, lui, se présente comme divisé,mbigu, incertain, fluctuant et contingent, déterminé pares conditions extérieures. La distinction entre psycholo-ique et spirituel, sur laquelle les acteurs des soins palliatifschoppent habituellement, est donc manifeste.

e spirituel au sens large, tel qu’il est vuar les acteurs des soins palliatifs

n choisissant l’expérience spirituelle comme repère pourborder le domaine spirituel en général dans les soins pal-iatifs, nous ne faisons que reprendre la démarche queaunders adopte dans son article Spiritual Pain [5]. Ce texteourt est très souvent cité mais jamais, à notre connais-ance, il n’est utilisé dans le sens de sa méthodologie par lescteurs des soins palliatifs. Ceux-ci abordent le domaine spi-ituel comme le domaine corporel en partant du besoin nonatisfait et de la « souffrance spirituelle » qui en découle.

uérison spirituelle que constitue l’expérience spirituelle.e spirituel est donc classiquement abordé dans le sensesoins vers souffrance vers un possible apaisement qui n’a

13 Etant donné que ce dépassement n’est possible (si ce n’estransitoirement dans l’expérience spirituelle sauvage) que par’abandon absolu de la volonté personnelle (effacement de l’« ego »e l’Orient), on pourrait dire aussi : « la possibilité que soit trans-endé, à l’intérieur de l’homme, son niveau d’être ordinaire ».

14 Avec ce choix, nous suivons aussi un partie des acteurs des soinsalliatifs en étayant leurs propos par un modeste essai de mise envidence du phénomène dans sa globalité.

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Définir le spirituel dans les soins palliatifs

pas de nom. Saunders va dans le sens inverse. Elle commencepar la dimension spirituelle visible, dit-elle, chez les per-sonnes qui vont être capables « d’abandonner la vie avec uncertain degré de paix et de satisfaction ». C’est à l’intérieurde ce qu’elle percoit de cette dimension qu’elle va ensuitedéfinir la souffrance spirituelle et ses différents aspects.Allant dans le sens de la méthodologie de Saunders, nousconsidérons que les besoins et la souffrance spirituels clas-siquement envisagés par les acteurs des soins palliatifs sontla conséquence du spirituel au sens strict. On pourrait dired’une facon imagée que, pour envisager le spirituel dans sonensemble, nous adoptons le sens inverse de la méthodologiehabituelle des soignants.

C’est la réalité humaine que constitue le spirituel au sensstrict qui, non mise au jour, non découverte15, constitue unfoyer d’appel au cours de la vie et lors de sa fin. Qu’ondésigne ce foyer par inaccomplissement de l’être, manqueexistentiel ou soif racine [6] etc., il génère une aspiration àune complétude stable. C’est ce foyer qui alimente toutesles formes de la recherche existentielle. C’est lui aussi quise décline en besoins spirituels avec leurs très nombreusesmodalités d’expression, y compris religieuses. Nous rejoi-gnons sur ce point les auteurs des soins palliatifs qui voientle spirituel non pas comme une composante de l’hommeparmi les autres (composantes psychologique, sociale) maiscomme un aspect situé à leur fondement [2]. Pris dansla perspective d’un accomplissement possible de l’homme(éveil, vie en Dieu), les besoins spirituels sont fondamen-taux : ils constituent l’appel initial puis le ressort durablede la recherche intérieure qui pourra, peut-être, débou-cher sur un changement de niveau d’être. Pour Maillard [19],bouddhiste et psychanalyste, « les besoins spirituels donnentà la vie humaine son sens profond » et « demander à unbouddhiste ce que représentent, dans sa vie, les besoins spi-rituels, c’est un peu comme demander à un virtuose ce quereprésente pour lui la musique ». Si ces besoins ne sont passatisfaits naît alors une souffrance dite spirituelle. La résolu-tion de cette souffrance passe par le lâcher-prise, lui-mêmeclef de l’accès au spirituel au sens strict.

Le spirituel habituellement décrit estfortement psychologique.

Pour nous, besoins et souffrance spirituels avec toutesleurs modalités d’expression font partie du spirituel au senslarge. Cette catégorie possède des caractéristiques spéci-fiques (Section 1Voir plus haut). Sa pertinence est également

15 Pour l’Hindouisme et le Bouddhisme, tout homme est fondamen-talement « Cela » qui se révèle dans l’expérience spirituelle, qu’onl’appelle Atman ou Nature de Bouddha et, au fond de chacun, vibrecette connaissance intuitive. Dans le Christianisme, on retrouve,par exemple, cette position dans la parabole de l’enfant prodigue(Luc 12). Ayant quitté son père, il tombe dans un état d’indigenceextrême ; il est « mort » dit le texte (spirituellement, c’est-à-direqu’il se trouve dans l’état humain le plus commun). « Étant rentré enlui-même » (c’est-à-dire après une démarche spirituelle), il revientvers son père qui l’accueille avec joie et compassion parce que,dit-il, son fils « est revenu à la vie » (spirituelle). A partir de l’étatde mort spirituelle et de ses souffrances, il est donc possible derevenir à l’état humain primordial d’union avec le père (béatitudede la réalisation spirituelle).

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oulignée par son rapport au domaine psychologique. À’inverse du spirituel au sens strict, le spirituel au sens large’exprime dans la forme classique du domaine psycholo-ique [18], de facon plus ou moins incertaine, ambivalentet variable. Le spirituel au sens large est donc fortementmprégné de psychologique.

Si l’on peut pointer un spirituel au sens large tel qu’ilst envisagé par les soins palliatifs, peut-on définir unepiritualité au sens large ? Si l’on se réfère uniquementux modalités de définition de la spiritualité traditionnelle,e n’est pas possible puisqu’il n’y a pas de but ni deéthodes clairs. Cependant, on ne peut pas faire de sépa-

ation absolue et, même sans référence à une spiritualitéraditionnelle, chaque individu peut vivre tous les aspects de’existence de facon plus ou moins spirituelle selon son étatntérieur. Par exemple, pour Edassery et Kuttierath [20],la joie de la créativité et le plaisir que l’on tire d’actesui ne sont pas motivés par le gain matériel et psycho-ogique sont tous des manifestations de cette spiritualitélaïque] » qui fait l’objet de leur article. Ils illustrent leurropos par la citation hautement symbolique d’un poète hin-ou : « lorsqu’un fermier commence à envisager son travailon plus comme une simple activité matérielle pour pro-uire de la nourriture, mais qu’il y trouve une joie et unens de l’accomplissement, [et qu’] il (. . .) respecte la terreertile comme une mère tolérante, patiente et aimante,on activité devient alors spirituelle ». En résumé : « c’esta spiritualité ». Telle est la formule que nous avons parfoisntendue chez les acteurs des soins palliatifs.

nité des deux formes de spirituel

ans l’homme, physique, psychique et spirituel sont enrofonde interpénétration, formant un tout qui ne peuttre précisément compartimenté. Par exemple, l’accès à laecherche spirituelle nécessite souvent un travail psycholo-ique initial. Chez le chercheur, on peut dire aussi que lepirituel investit peu à peu le psychologique.

En faisant une différence, dans notre rédaction, entrepirituel au sens strict et spirituel au sens large, plus psycho-ogique, nous ne voulons surtout pas créer une échelle quiévaloriserait un domaine relatif (le spirituel au sens large)ar rapport à un absolu (le spirituel au sens strict) ou qui leséparerait. Si l’on se réfère aux enseignements spirituels, etn particulier à ceux de l’Orient, ce qu’on appelle l’absolue peut se découvrir que dans ce qu’on appelle le relatif,ar l’acceptation totale de celui-ci. En reprenant l’imagerès souvent utilisée de la vague et de l’océan, on peut sen-ir qu’il n’y a pas un relatif à distinguer définitivement de’absolu : ce sont deux aspects de la même réalité.

onclusion

et article est d’abord un travail de rappel, presque deemise au jour, d’une catégorie de témoignages de fin

e vie peu nombreux et, semble-t-il, méconnus. Il envi-age l’ensemble du domaine spirituel dans un sens qui seeut logique, en utilisant la méthodologie suivante. Il pose’abord comme repère ce qui lui est rigoureusement spé-ifique, c’est-à-dire ce qui se manifeste dans l’expérience
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[14] Hulin M. La mystique sauvage. Paris: P.U.F; 1993.[15] Fromaget M. Naître et mourir. Anthropologie spirituelle et

accompagnement des mourants. Paris: F.X. de Guibert; 2007.

la rencontre interindividuelle dans l’émergence du spirituel [2]mais sans donner de témoignage. Dans ce domaine, nous avonsrecueilli le témoignage d’une bénévole (B.). Elle suivait Mme N.depuis quelques semaines avec, dit-elle « des moments forts ». Cejour là, elle arrive dans sa chambre où se trouve aussi le mari etdeux membres de la famille. Elle est à immédiate proximité de lamalade, leurs visages « sont près », leurs mains « en contact ». Suitun échange de regards qui va durer un temps très difficile à estimer,« peut-être une minute », et qui se termine lorsque Mme N. « prendla main [de B.] pour essuyer ses larmes ». B. ne se « souvient pasqu’il y ait eu des paroles prononcées pendant ce moment ». Pen-dant ce temps, elle a « l’impression de rejoindre la personne, d’êtreen communion avec elle dans quelque chose qui me dépasse ».« C’était une ouverture à je ne sais quoi, je ne sais pas où celas’inscrit ». « C’était, c’est tout » et « mon cerveau ne parlait pas ».Elle acquiesce quand je lui demande s’il n’y avait alors que du res-senti, sans pensées. Pour B., il s’agit d’« une expérience frappantequi ne peut être remise en cause, plus fort, plus fort que tout, puis-sante, et dans laquelle ce n’est pas moi qui dirige » et « ce que je disest très loin de ce que j’ai ressenti ». Cette expérience semble aussiêtre ressentie par la patiente B. et Mme N. étaient « ensemble dansleur monde ». Puis, dit-elle, « mon cerveau s’est remis à fonctionnerdans la pensée habituelle ». B. s’est alors apercu que « ce momentavait été émouvant pour tout le monde ». Le mari de Mme N. la« remercie de ce qu’elle a fait pour elle [sa femme] ». La patientedécède quelques jours plus tard, avant que B. ne la revoie.

12

pirituelle. Il va ensuite de ce fondement « originel » qualifiée « spirituel au sens strict » à ses « conséquences » qua-ifiées de « spirituel au sens large ». Ce dernier inclue lesifférents aspects du spirituel classiquement distingués danses soins palliatifs. Il insiste enfin sur le caractère unitaire etndivisible de l’ensemble des deux catégories distinguées.

Cette conception à la fois traditionnelle et large du spi-ituel devrait permettre aux acteurs des soins palliatifs deieux le caractériser et donc d’améliorer leur accompagne-ent dans ce domaine.Il est évidemment nécessaire que chaque accompagnant

it mûrement réfléchi à sa propre conception du spirituelt ait, en quelque sorte, écouté et formulé ses besoinst sa souffrance spirituels avant celle des malades qu’iluit.

Cette nécessité doit être élargie aux équipes. Il yune sorte de tabou devant le spirituel. Les soignants

vitent presque toujours d’échanger sur cet aspect, leonsidérant comme privé. La réflexion en équipe per-ettrait qu’on entende plus de choses chez les maladesans ce domaine et donc qu’on réponde mieux à leuresoin.

Il est par ailleurs important de savoir reconnaître lesiverses formes d’expression du spirituel et de savoir’y adapter. La religion en est une. L’accompagnant aulair avec le domaine spirituel devrait pouvoir accompa-ner la plupart des modes d’expression d’une religion.n voyant la réalité spirituelle qui se situe au-dessouse telles manifestations, et même s’il ne partage pases croyances de celui qu’il accompagne, il ne traves-it ce qu’il est ni ne trompe celui qu’il a en face deui. Il suffit de dire qu’il est d’accord, sur le fond, aveces croyances de la personne. La condition de cette par-icipation est qu’elle ne déborde pas du cadre privé,nterpersonnel.

On s’interrogera enfin sur le rôle de l’accompagnantans l’accès de la personne en fin de vie au domaine spi-ituel. Il peut jouer un rôle dans l’élaboration du spirituelu sens large mais qu’en est il dans la survenue éventuelle’une expérience spirituelle ? Jamais, dans les travaux queous avons consultés, les accompagnants qui rapportentlairement ces états ne font part de quelque détail quiourrait situer leur rôle. Ils apparaissent comme des spec-ateurs, bouleversés par l’événement. Ils ont une positione témoin. Rien ne dit l’importance de leur rôle, certaine-ent est-il non mesurable16. Le travail de lâcher-prise neeut évidemment être fait que par la personne, en fin deie ou non, dans des conditions qui restent mystérieuses,-compris pour elle-même. L’accompagnant ne peut, plusue jamais dans ce domaine, qu’être là et, comme le ditaunders [5], veiller avec celui qu’il accompagne. Veiller,u sens spirituel, c’est être vigilant, pleinement présent etuvert à ce qui est, à l’autre et à soi, dans l’instant pré-ent.

onflit d’intérêt

ucun.

16 Plusieurs acteurs des soins palliatifs pointent l’importance de

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M. Juguet

éférences

[1] Unruh A, Versnel MJ, Kerr N. Spirituality unplugged: a review ofcommonalities and contentions, and a resolution. Can J OccupTher 2002;69:5—19.

[2] Juguet M. Représentation du spirituel dans les soins palliatifs.Analyse tirée du contenu des deux revues francaises de béné-voles d’accompagnement. Proposition d’un repère et d’uneméthodologie pour sa définition. Mémoire de D.I.U., Univer-sités d’Amiens et Rouen; 2007.

[3] Vimort J. Ensemble face à la mort, accompagnement spirituel.Paris: Centurion; 1987.

[4] Vimort J. Les besoins spirituels des grands malades. JALMALV1990;22:20—33.

[5] Saunders C. Spiritual pain. J Pall Care 1988;3:29—32.[6] Châtel T. « Souffrance spirituelle » : quel accompagnement ?

ASP Liaisons 2006;33, 13—9.[7] Hennezel (de) M. Mourir les yeux ouverts. Paris: Albin Michel;

2005.[8] Burdin L. Parler la mort. Paris: Desclée de Brouwer; 1997.[9] Balmary M. Pourquoi nous faut-il mourir ? JALMALV 1999;59,

15—17.10] Frings M. Les soins palliatifs et le besoin d’une approche méta-

physique. Eur J Pall care 1997;4, 129—32.11] Desmichelle D. Religion et spiritualité. JALMALV 1999;59, 11—4.12] Hennezel (de) M.Le courage de vivre pour mourir, sous la direc-

tion de N. Masson-Sékiné. Paris: Albin Michel; 2002, 149—58.13] Schattner M. Dans la souffrance, l’espérance chrétienne.

Importance de l’accompagnement. ASP Liaisons 2000, 64—7.

outes les caractéristiques de cette expérience indiquent qu’il’agit d’une expérience spirituelle. Elle est certainement parta-ée par la malade. L’accompagnant joue un rôle puisqu’il partage’expérience mais, dans le même temps, il ne joue aucun rôle enant que « moi qui dirige » (ego). Cette expérience est transitoireour la bénévole, comme les expériences sauvages.

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Définir le spirituel dans les soins palliatifs

[16] Comte-Sponville A. L’esprit de l’athéisme. Introduc-

tion à une spiritualité sans Dieu. Paris: Albin Michel;2006.

[17] Roumanoff D. Swâmi Prajnânpad un maître contemporain. Vol.1. Les lois de la vie. Paris: La Table Ronde; 2002. Vol. 2. Lequotidien illuminé. Paris: La Table Ronde; 2002.

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18] Fromaget M. La ligne de partage du psychique et du spirituel :

notion complexe. Thanatologie 1994;97/98:61—79.

19] Maillard C. Les besoins spirituels dans la perspective boud-dhiste. JALMALV 1988;12, 17—9.

20] Edassery D. Kuttierath S.K. La spiritualité au sens « laïque ». EurJ Pall Care 1998;5, 165—67.