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Cahiers d’ethnomusicologie 27 (2014) Festivalisation(s) ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Jacques Bouët Filippo BONINI BARALDI : Tsiganes, musique et empathie Paris : Éditions de la maison des sciences de l’homme, 2013 ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Jacques Bouët, « Filippo BONINI BARALDI : Tsiganes, musique et empathie », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 27 | 2014, mis en ligne le 14 novembre 2014, consulté le 05 mars 2015. URL : http:// ethnomusicologie.revues.org/2198 Éditeur : Infolio Editeur / Ateliers d’ethnomusicologie http://ethnomusicologie.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://ethnomusicologie.revues.org/2198 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. Article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle.

Resenha Ethnomusicologie 2198 27 Filippo Bonini Baraldi Tsiganes Musique Et Empathie

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Filippo Bonini Baraldi

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  • Cahiers dethnomusicologie27 (2014)Festivalisation(s)

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    Jacques Bout

    Filippo BONINI BARALDI: Tsiganes,musique et empathieParis: ditions de la maison des sciences delhomme, 2013................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    AvertissementLe contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.

    Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales dvelopp par le Clo, Centre pour l'ditionlectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

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    Rfrence lectroniqueJacques Bout, Filippo BONINI BARALDI: Tsiganes, musique et empathie, Cahiers dethnomusicologie[En ligne], 27|2014, mis en ligne le 14 novembre 2014, consult le 05 mars 2015. URL: http://ethnomusicologie.revues.org/2198

    diteur : Infolio Editeur / Ateliers dethnomusicologiehttp://ethnomusicologie.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur : http://ethnomusicologie.revues.org/2198Ce document est le fac-simil de l'dition papier.Article L.111-1 du Code de la proprit intellectuelle.

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    Filippo BONINI BARALDI : Tsiganes, musique et empathieParis : ditions de la maison des sciences de lhomme, 2013, 357p., 1DVD-ROM avecfilm (Plan squence dune mort crie, Prix Bartk 2005), analyses interactives, etdocuments audiovisuels

    Que le lecteur ne se mprenne pas : lauteur de ce bel ouvrage ne nous livre pas un nime point de vue gnraliste sur les Tsiganes et leur musique, avec toutes les banalits quune telle conception impliquerait. Parfaitement conscient du carac-tre polymorphe et divers des musiques tsiganes (nonces au pluriel), Filippo Bonini Baraldi a adopt un parti pris monographique, limitant son investigation lune dentre elles, celle des musiciens du village de Ceua (Ceuau de Cmpie), situ non loin de la ville de Trgu Mure en Transylvanie centrale (Roumanie).

    Il faut prciser que, par son instrumentarium et ses structures basiques, la musique de Ceua ne saurait tre considre comme un dialecte musical parti-culier Ceua. Elle est homologable la musique rgionale pan-transylvaine et non aux quelques dialectes musicaux de Transylvanie propres diverses popula-tions locales infrargionales.

    Partant dune perspective fort diffrente de celle de la tsiganologie gn-raliste, Filippo Bonini Baraldi nous pargne tous les serpents de mer et les pon-cifs que celle-ci vhicule depuis des annes et cest l lun des premiers grands mrites de son ouvrage. Dans une longue introduction, il dtaille les tapes de sa dmarche scientifique, depuis ses origines jusqu la rdaction de sa thse, et prcise le point de vue quil a t amen adopter pour expliciter les rapports entre musique et motion. Il ne sagit pas pour lui de dgager une thorie ta-blissant un lien plus ou moins arbitraire entre certaines configurations modales et divers tats dme bien dfinis, linstar des thories propres diverses musiques savantes (Inde, Iran, monde arabe etc.). Il ne sagit pas non plus de dterminer la manire des psychologues cognitivistes les rponses particu-lires que le corps et/ou la psych donnent des stimuli musicaux dfinis. Il sagit plutt danalyser les situations o musique et motion vont de pair [] sans assumer a priori un rapport causal entre les deux et, plus particulirement, de tirer toutes les consquences dun constat que les musiciens de Ceua sont censs avoir fait par eux-mmes : La bonne musique est celle qui fait pleurer. De fait, les dbordements affectifs qui naissent de sances musicales destines exclusivement aux musiciens et leurs proches crent des liens sociaux particu-lirement intenses qui semblent renforcer un haut degr la cohsion du groupe. De ce point de dpart fondamental dcoulent la fois la grille mthodologique et le plan de louvrage de Filippo Bonini Baraldi.

    Mon commentaire sera guid avant tout par la premire partie de louvrage qui en renferme lessentiel, les deux autres (auxquelles je me rfrerai aussi en cours de route) nen tant que les piphnomnes. On y trouvera une description dtaille de trois situations de performance dans lesquelles les rapports plus ou

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    moins troits entre musique et motion prennent des aspects divers et distincts. Elle mrite dtre lue et relue par ceux qui sobstinent ne concevoir les musiques tsiganes qu travers le prisme du spectacle de scne, cest--dire leur facette la moins significative.

    La premire des trois situations de performance envisages est celle des noces (et autres clbrations quivalentes, comme les baptmes) au cours des-quelles les musiciens de Ceua doivent effectivement se comporter en profes-sionnels de lanimation musicale au lieu de se produire en spectacle. Ils sont alors appels satisfaire une clientle qui exige non seulement lexcution instantane ( la commande) des multiples pices du rpertoire nuptial crmoniel, mais aussi la cration et la gestion dune ambiance de fte. La musique peut alors avoir pour fonction accessoire de servir de bruit de fond ou daccompagnement sonore aux motions prouves par les gadj (les clients et leurs proches) ; mais ce nest pas l sa fonction principale et, sauf jouer sur les mots, vouloir tout prix traiter le thme central (musique et empathie) propos de cette circonstance de perfor-mance me semble un peu tir par les cheveux.

    Fort heureusement, dans les deux autres situations de performance prises en compte, le thme central (musique et motion) retrouve toute sa perti-nence. Cest le cas des ftes spontanes dites en ignie , au cours desquelles les musiciens se livrent en quelque sorte des hootenannies privesquon pourrait tout aussi bien appeler jam sessions, juergas, bufs, etc.ayant pour particularit fondamentale de ne pas tre destines aux gadj, Filippo Bonini Baraldi ayant t lexception qui confirme la rgle. Il est donc cette fois tout fait lgitime de mettre la notion dempathie au cur de lanalyse puisquelle est alors susceptible davoir des consquences visibles et audibles sur les performances. Mais ces consquences sont-elles galement observables au niveau des struc-tures fondamentales ? En dautres termes, les lments structurants propres la musique de Ceua sont-ils modifis par le contexte lorsquelle est joue durant les ftes spontanes en ignie ? Sujet dlicat car, comme on la vu plus haut, les bases structurelles de la musique de Ceua sont quasiment indistinctes de celles quon retrouve partout en Transylvanie, y compris dans dautres circonstances de performance.

    Cette problmatique proccupe manifestement lauteur dans le chapitreX de son ouvrage intitul jouer la jale (cest--dire, jouer le chagrin, laffliction, le spleen, voire le blues). Et il choisit dlibrment (sans motivation trs convaincante) de laisser de ct ce quil appelle la macrostructure mlodique et harmonique (p.216) prsuppose inintressante, pour centrer lanalyse sur les microvaria-tions expressives (id.). Il procde alors lapplication dun savant protocole exp-rimental en plaant des capteurs lectroniques sur les doigts et le bras droit dun violoniste et dun bratschiste, afin de rendre tangiblesau niveau de larchetles dsynchronisations subtiles qui se produisent entre la mlodie et laccompagne-ment etau niveau des doigts de la main gauchele toucher violonistique.

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    Cette exprience na bien videmment pas pu tre mene in vivo, mais en studio. Cependant, vu quelle tait cense mettre en vidence les incidences de ltat motionnel des musiciens sur la musique durant une performance prise sur le vif, les rsultats en sont quelque peu fausss. Cela permet nanmoins Filippo Bonini Baraldi dobtenir de savants graphiques hautement rvlateurs de diverses spcificits de la ralisation violonistique propres aux musiciens de Ceua (et/ou peut-tre aussi tous les instrumentistes cordes de Transylvanie ?). Mais, au terme de cette spectaculaire analyse, quapprend-on sur les structures musi-cales qui constituent la base de la musique des musiciens de Ceua et/ou de Transylvanie ? Lauteur suggre que ces structures sont modifies parce que le rythme aksak nest plus alors rigoureusement aksak (p.199), parce que les par-ties mlodiques swinguent plus que de coutume par rapport laccompagne-ment, parce que lornementation plus abondante, le toucher de la main gauche et le phras plus contrl confrent la mlodie une douceur intentionnellement recherche. Cette formulation des rsultats de lanalyse est bien la preuve que Filippo Bonini Baraldi se rfre des invariants structurels pour dterminer com-ment les musiciens sen cartent. Linconvnient, cest que le lecteur nest gure inform sur la nature exacte de ces invariants, qui sont pourtant trangers aux normes culturelles globalises et qui ce titre devraient tre considrs comme prioritaires. Ce qui fait quau final, on peut se demander si la charrue na pas t mise avant les bufs et si les analyses du chapitre X nont pas pour seule vertu daboutir des truismes du type : partir de macrostructures mlodiques et harmoniques invariantes (peu dfinies) les musiciens procdent des micro-variations expressives qui caractrisent leur manire de raliser la musique. Cest exactement ce qui se passe aussi dans la performance de concert en musique savante, et la thorie musicale dispose de toute une terminologie pour rendre compte de ces vnements musicaux : variations agogiques, phras, interprta-tion, toucher, couleur du son, qualit de la sonorit, etc.

    Soyons juste, les analyses de Filippo Bonini Baraldi mettent le doigt sur des particularits fondamentales qui chappent loreille passive et, de ce point de vue, elles restent fort prcieuses pour la connaissance des musiques tran-sylvaines. Mais on peut se demander si un savoir plus lmentaire ne serait pas aussi utile la connaissance. Lorsque lauteur semble stonner (p.227) que les jeunes et les enfants imitent le mouvement articulatoire de la main gauche, typique du jeu avec douceur, depuis le dbut de leur pratique, sans jamais passer par une dcomposition en petits modules ornementaux , on reste avec limpression quil manque lessentiel lanalyse. Que les enfants assimilent la faon de jouer de leurs ans en procdant par imitation (sans mthode) na rien de plus surprenant que la facilit avec laquelle tout enfant assimile une ou deux langues maternelles sans passer par la grammaire. Mais lapprentissage se ferait-il aussi aisment si aucune grammaire explicite ou sous-jacente ne lui prexistait ?

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    ce jour, il nexiste aucune mthode crite convaincante permettant un apprenti violoniste de matriser les bases des musiques transylvaines. Ce manque mettra en chec les futures entreprises de sauvegarde patrimoniale au cas o les grands dtenteurs de la tradition nauraient pas t en mesure de transmettre leur art avec rigueur. Il en reste encore, dont voici quelques noms : Ioan Pop, Ioachim Ft, Petrica Giurgi et Klmn Urszui. Gnial musicien n Cluj, Klmn Urszui possde la double culture : celle de la tradition pan-transylvaine (quil a apprise ds lenfance en accompagnant son pre dans les noces) et celle des conservatoires. Violoniste, et bratschiste, comptent galement au clavier, il est capable dexpliquer avec la plus grande clart et dans plusieurs langues toutes les subtilits techniques locales du violon transylvain (main gauche et main droite) ainsi que celles du bratsch et il est trs comptent aussi pour ce qui est du violon valaque.

    Certes, dans le DVD qui accompagne louvrage, Filippo Bonini Baraldi propose des notations musicales assez minutieuses quun curseur permet de suivre tout en coutant le document sonore, et cest l un pas en avant dans la mthodologie de lapprentissage. Mais un violoniste tranger la pratique transylvaine ny trouvera pas assez dindications systmatiques pour parvenir une assimilation acceptable et suffisamment rapide. Mettre au point une gram-maire musicale globalisable est donc une urgence, sinon, l aussi, lextinction dfinitive se produira. Voil donc un taureau qui mrite dtre srieusement pris par les cornes, mais qui fait trop souvent peur aux ethnomusicologues qui sen approchent.

    Enfin, la troisime situation de performance magistralement analyse par lauteur est celle o les musiciens interviennent dans un contexte de veille funbre autour du dfunt. On a affaire ici la partie la plus indite de son bel ouvrage car, sauf erreur ou mconnaissance de ma part, aucune tude dtaille de la musique en situation de deuil chez les Roms nexistait auparavant. Une lec-ture attentive des chapitres VII et VIII coiffs par le titre significatif jouer pour les morts et pas seulement pour eux (pp.119-186) permet den finir avec les gnralisations sempiternelles selon lesquelles les Tsiganes concevraient exclusi-vement les musiques quils pratiquent comme un produit commercial destin aux gadj ou, trop simplement, comme une vitrine destine promouvoir aux yeux des gadj une image de marque flatteuse. Ceua, les prestations des profession-nels en contexte de deuil ne sont pas rtribues, ce qui prouve clairement que leur compassion (mil) face au malheur de leurs proches est tout fait sincre.

    La belle description dune veille funbre et des comportements locaux durant les deuils que nous propose Filippo Bonini Baraldi montre bien qu Ceua, la musique est fortement insre dans la vie collective et compte parmi les liens sociaux les plus efficaces. La traditionnelle lamentation vocale des pleureuses interpellant directement le dfunt est le plus souvent accompagne de musique instrumentale. Le rle que joue la musique en cette circonstance est trs fort.

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    Elle en dit coup sr plus long que le texte assez conventionnel des lamenta-tions. Elle intensifie lmotion et opre une anamnse (p.181) complexe qui ne se rduit pas uniquement un banal discours de commmoration. En effet, les mlodies personnelles (p.231)qui sont une sorte de carte didentit sonore des chers disparussont intentionnellement insres par les musiciens dans leurs performances base de musiques de fte. Ils procdent de la sorte une vocation musicale qui touche chaque participant au plus haut degr. On le voit, le rle des musiciens dans la veille funbre va bien au-del dune pres-tation gagne-pain. Et les comptences qui leur permettent dassurer de telles prestations la satisfaction de tous ne sont pas uniquement des comptences de concertistes.

    ce point de mon commentaire, je pense que le lecteur sera suffisam-ment inform de la profondeur danalyse qui caractrise le beau livre de Filippo Bonini Baraldi pour avoir envie de le lire et de visionner les documents audiovi-suels qui laccompagnent. cet gard, on peut dire que le contexte est presque servi sur un plateau au lecteur qui peut ainsi satisfaire sa curiosit loisir.

    Je me permettrai, pour conclure, deux dernires remarques plus gn-rales que suscite louvrage pris dans sa totalit.

    Tout dabord, lemphase a t mise sur le ct triste et plaintif de lmo-tion, alors que le rire, la gat et la joie ne sont pas moins motionnels que leur contraire. Dailleurs, dans les runions musicales tsiganes, ils sont souvent pousss lextrme. On ne voit donc pas pourquoi la montagne des motions naurait quun versant ombrag. Quen est-il du versant ensoleill ? Cest presque se demander si lauteur naurait pas vacu trop rapidement de son analyse les autres types de discours manant de ses interlocuteurs. Aprs tout, il ny a pas si longtemps que le thme monographie ethnomusicale et fiction fut une tasse de th pistmologique tout aussi en vogue que musique et motion . Ce th-l semble bien avoir t de longue conservation.

    En deuxime lieu il en a dj t question plus hauton peut se demander sil est vraiment question daltrit tsigane dans cet ouvrage. En effet, des constatations analogues celles quon y trouve foison ne pourraient-elles pas tre faites pour toute vie musicale, quelle soit celle des Tsiganes ou de tout un chacun ? La notion daltrit tsigane na donc peut-tre pas toute la pertinence quon lui prte. Cest la grande vertu du beau travail de Filippo Bonini Baraldi que douvrir sur de si importants dbats hors des sentiers battus.

    Jacques Bout