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Droit Déontologie & Soin 8 (2008) 418–451 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Synthèse Responsabilité civile en anesthésie-réanimation Anaïs Adergal (Master Droit de la santé) 184, rue Garibaldi, 69003 Lyon, France Disponible sur Internet le 21 novembre 2008 Résumé L’anesthésie-réanimation est l’un de secteurs où se lisent le mieux les problématiques de la responsabilité civile. Le bilan législatif, réglementaire et jurisprudentiel témoigne d’un optimiste raisonné. Bien qu’en constante diminution, le risque anesthésique n’est pas et ne sera probablement jamais nul, si bien que le juge judiciaire sera encore régulièrement saisi par des victimes d’accidents anesthésiques, ou leurs ayants-droit, souhaitant obtenir réparation de leur préjudice. © 2008 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. 1. Responsabilités respectives de l’anesthésiste et du chirurgien Il y a plus d’un demi-siècle, René et Jean Savatier, Jean-Marie Auby et Henri Péquignot, auteurs du célèbre « Traité de droit médical » 1 , qui, malgré le temps, reste un ouvrage de référence majeur, mettaient déjà fortement l’accent sur le fait que la relation individuelle entre un patient et le médecin qu’il avait choisi faisait place, de plus en plus, à des soins donnés par une équipe médicale. Cette observation est encore plus vraie aujourd’hui ; la complexité croissante des soins médicaux nécessite, de plus en plus souvent, le recours à plusieurs spécialistes qui forment alors l’équipe de soins. Celle-ci donne les soins au patient, soit de fac ¸on successive (acte médicaux, tels des examens, qui s’échelonnent dans le temps), soit de fac ¸on concomitante (intervention chirurgicale). Au sein de cette « équipe de soins », on distingue « l’équipe médicale » dont la notion même ne va pas sans soulever des problèmes de répartition des responsabilités, les médecins étant tenus à un devoir de surveillance réciproque. Adresse e-mail : [email protected]. 1 J. Savatier, J.-M. Auby, H. Péquignot, Traité de droit médical, Librairies techniques 1956, n o 10. 1629-6583/$ – see front matter © 2008 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.ddes.2008.09.010

Responsabilité civile en anesthésie-réanimation

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Droit Déontologie & Soin 8 (2008) 418–451

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Synthèse

Responsabilité civile en anesthésie-réanimation

Anaïs Adergal (Master Droit de la santé)184, rue Garibaldi, 69003 Lyon, France

Disponible sur Internet le 21 novembre 2008

Résumé

L’anesthésie-réanimation est l’un de secteurs où se lisent le mieux les problématiques de la responsabilitécivile. Le bilan législatif, réglementaire et jurisprudentiel témoigne d’un optimiste raisonné. Bien qu’enconstante diminution, le risque anesthésique n’est pas et ne sera probablement jamais nul, si bien que le jugejudiciaire sera encore régulièrement saisi par des victimes d’accidents anesthésiques, ou leurs ayants-droit,souhaitant obtenir réparation de leur préjudice.© 2008 Publie par Elsevier Masson SAS.

1. Responsabilités respectives de l’anesthésiste et du chirurgien

Il y a plus d’un demi-siècle, René et Jean Savatier, Jean-Marie Auby et Henri Péquignot,auteurs du célèbre « Traité de droit médical »1, qui, malgré le temps, reste un ouvrage de référencemajeur, mettaient déjà fortement l’accent sur le fait que la relation individuelle entre un patient et lemédecin qu’il avait choisi faisait place, de plus en plus, à des soins donnés par une équipe médicale.Cette observation est encore plus vraie aujourd’hui ; la complexité croissante des soins médicauxnécessite, de plus en plus souvent, le recours à plusieurs spécialistes qui forment alors l’équipede soins. Celle-ci donne les soins au patient, soit de facon successive (acte médicaux, tels desexamens, qui s’échelonnent dans le temps), soit de facon concomitante (intervention chirurgicale).Au sein de cette « équipe de soins », on distingue « l’équipe médicale » dont la notion même neva pas sans soulever des problèmes de répartition des responsabilités, les médecins étant tenus àun devoir de surveillance réciproque.

Adresse e-mail : [email protected] J. Savatier, J.-M. Auby, H. Péquignot, Traité de droit médical, Librairies techniques 1956, no 10.

1629-6583/$ – see front matter © 2008 Publie par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.ddes.2008.09.010

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1.1. La notion d’équipe médicale

La multiplication des intervenants peut conduire à distinguer, au sein même de l’équipemédicale, originellement réduite au tandem composé du chirurgien et de l’anesthésiste, l’équipeanesthésique.

1.1.1. Le chirurgien et l’anesthésiste, en équipeLa notion d’équipe est expressément mentionnée à l’article L. 1110-4 du Code de la santé

publique qui emploie la terminologie « d’équipe de soins » et répute confiées à l’ensemble del’équipe les informations concernant le patient. Cette conception ne modifie pas en principe lesrègles d’engagement de la responsabilité, chacun des membres de l’équipe demeurant person-nellement tenu de ses fautes à l’égard du malade. Il n’empêche que cela n’est pas toujours aussiévident dans la réalité. L’intervention d’une équipe médicale soulève des difficultés lorsque lepatient est victime d’un dommage consécutif à l’un de ses membres. Le risque, en effet, est outrecelui, classique, de la détermination du fait dommageable, celui d’une dilution des responsabilitésrendant leur imputabilité difficile.

Certains auteurs2 ont tenté de répondre à ces difficultés. M. Soubiran3 a notamment essayéd’éluder ces questions par le biais d’une réflexion construite autour de la reconnaissance de lapersonnalité juridique à l’équipe médicale qui pourrait garantir plus facilement une indemnisationdu patient là où le recours à la responsabilité in solidum n’y arrive pas toujours. En effet, on peutconstater qu’en cas de pluralité d’interventions médicales, il n’est pas aisé pour la victime desavoir à qui imputer la ou les fautes commises par les membres d’une équipe de soins. Commele fait remarquer cet auteur « le pouvoir de décision » d’un spécialiste « est intimement lié audiagnostic » des autres confrères.

Ainsi, dans la période préopératoire, c’est le chirurgien qui pose l’indication d’opérer. Maisdans cette période, l’anesthésiste doit également examiner le malade et il peut être amené àdemander au chirurgien de retarder l’opération. Au cours de l’opération, c’est effectivement lechirurgien qui intervient principalement. Il n’empêche que durant cet intervalle de temps, le rôlede l’anesthésiste n’est pas négligeable. Il contrôle en effet l’état du malade, notamment le fonc-tionnement de la circulation sanguine et son état respiratoire. La notion d’équipe chirurgicaleinduit donc l’enchainement de plusieurs phases dans lesquelles se profile une véritable collabo-ration entre l’anesthésiste et le chirurgien. Pour terminer, arrive la phase postopératoire qui faitl’objet de nombreux cas d’espèce4.

Au cours de ces différentes phases, des interférences entre ces spécialistes sont inévitables.Aussi, la victime ne parvenant pas à désigner le véritable ou les véritables responsables, ceux-ci resteront impunis. La mise en cause séparée des médecins par application du régime de laresponsabilité in solidum, risque d’aboutir à des solutions insatisfaisantes, « notamment à la misehors de cause des membres de l’équipe, faute de pouvoir isoler les responsables ». Au contraire, lamise en cause de l’équipe ou du groupe semble clore la question de savoir qui est très exactement

2 J. Ambialet, La responsabilité du fait d’autrui en droit médical, LGDJ, 1965 ; F. Leymarie, Anesthésie et responsabilitécivile des médecins en clientèle privée. JCP G 1974, I, 2630, no 265 ; P. Sargos, La responsabilité civile en matièred’exercice médical pluridisciplinaire. Médecine et droit, mars/avril 1996 p. 17.

3 M-F. Soubiran, Quelques réflexions suscitées par l’exercice de la médecine au sein d’un groupe ou d’une équipe. JCP1976, II, 2830.

4 Voir, infra.

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responsable à tel ou tel moment de l’opération, puisqu’en cas d’accident, les divers membres del’équipe se verraient déclarés responsables ensemble des dommages causés à la victime.

Il existe donc, au sein des équipes, des situations juridiques très variées tenant à la nature desliens juridiques qui s’établissent entre les membres de l’équipe, d’une part, entre les membres del’équipe et le patient, d’autre part. De ce fait, l’exercice en équipe pose des problèmes spécifiquesliés essentiellement à la définition de ces rapports juridiques existant entre les membres5. Si,comme nous l’avons rappelé précédemment, chaque médecin au sein de l’équipe reste responsabledes fautes qu’il peut personnellement commettre, la jurisprudence admet néanmoins que le chefde l’équipe peut être reconnu dans certains cas, responsable du fait de son préposé6.

Cette jurisprudence concernait essentiellement l’équipe constituée par le chirurgien, qui endos-sait en général le rôle de chef d’équipe et l’anesthésiste qui n’avait dans une période considéréequ’une fonction secondaire aux yeux de la médecine7. L’anesthésiste n’a pas toujours été appréciécomme l’égal du chirurgien au sein d’une équipe qui, elle-même, n’avait pas toute la dimensionqu’elle possède aujourd’hui. L’équipe médicale alors fortement hiérarchisée ne jouait égalementqu’un rôle accessoire par rapport à celui du chirurgien. En ce sens, le chirurgien conservait laresponsabilité de l’ensemble de l’opération et devait veiller à son bon déroulement, disposantd’un devoir général de surveillance des actes accomplis par les membres de l’équipe. Ainsi, dansla mesure où l’anesthésiste apparaissait comme l’ombre du chirurgien, il entrait dans la pra-tique médicale une habitude selon laquelle seul le chef d’équipe contractait avec le patient. Danscette hypothèse où le patient ne contractait ni expressément, ni implicitement avec un membrede l’équipe mais exclusivement avec le chef d’équipe, seul ce dernier répondait des fautes quepouvait commettre par exemple l’anesthésiste, alors considéré comme son aide ou son substitut.

C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation a décidé que « le chirurgien, investi de laconfiance de la personne sur laquelle il va pratiquer une opération, de faire bénéficier celle-ci,pour l’ensemble de l’intervention, de soins consciencieux, attentifs et conformes aux donnéesactuelles de la science [. . .] répond, dès lors, des fautes que peut commettre le médecin auquelil a recours pour l’anesthésie et qu’il se substitue, en dehors de tout consentement du patient,pour l’accomplissement d’une partie inséparable de son obligation »8. Il est fait purement etsimplement application, dans ce domaine particulier de la responsabilité médicale, d’un principede responsabilité contractuelle du fait d’autrui. On peut même ajouter dans les termes employéspar MM. Flour et Aubert, que « le manquement commis par le tiers auquel le débiteur a confiél’exécution devient le fait du débiteur lui-même qui s’approprie les agissements de ce tiers » 9.À défaut d’ailleurs, comme le fait remarquer la Cour de cassation dans son rapport annuel del’année 2007, « le contractant échapperait à sa responsabilité en confiant l’exécution à un tiers,

5 Voir, à ce sujet, Rep. Civ. Dalloz, Vis Médecine « 2◦ Réparations des conséquences des risques sanitaires ».6 Cass. 1re civ. 18 octobre 1960 (Welti) : Bull. civ., no 442 ; JCP 1961, II, 11846, obs. R. Savatier ; RTD. civ. 1961, p.

120, no 4, obs. A. Tunc ; voir aussi, à la suite de l’arrêt Welti, Cass. 1re civ. 20 février 1979 : no 77-14.126 ; Cass. 1re civ26 juillet 1982 : RD sanit. Soc. 1984, p. 32, note A. Dorsner-Dolivet ; Cass. 1re civ. 18 juillet 1983 : no 82-14.323 ; JCP G1984, II, no 20248, note Chabas.

7 Voir à ce sujet, le mémoire de DEA présenté par M. Peligry et F. Bessa, L’anesthésiste réanimateur, un membreatypique au sein de la profession médicale, Lyon III, 2000–2001 p. 58 et p. 83 : « Longtemps, l’anesthésie réanimationn’a pas été reconnue comme une spécialité à part entière. Un arrêté ministériel en date du 6 janvier 1942 n’hésitait pas àconsidérer que la mission de l’anesthésiste réanimateur pouvait être confiée à un auxiliaire ». « C’est là toute l’ambiguïtéde la profession d’anesthésiste : longtemps considéré comme exercant une activité secondaire, il est progressivementdevenu un partenaire incontournable,. . . ».

8 Cass. 1re civ. 18 octobre 1960 (Welti).9 J. Flour et J.-L. Aubert, Droit civil, les obligations, 3. Le rapport d’obligation, 2e éd. 2001, Armand Colin, no 205.

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ce qui, en matière médicale serait contraire au principe déontologique suivant lequel le médecinqui a accepté de répondre à la demande d’un patient s’engage à lui assurer personnellement dessoins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science (article R. 4127-32du Code de la santé publique) ».

Même si le chirurgien répond des fautes que peut commettre l’anesthésiste auquel il a recourset qu’il se substitue en dehors de tout consentement du patient pour l’accomplissement d’unepartie inséparable de son obligation, il n’empêche que le médecin qui a commis la faute n’est paspour autant dégagé de sa responsabilité personnelle : il demeure responsable des conséquencesde sa faute, mais sur le fondement délictuel ou quasi délictuel. Par conséquent, non seulement lepraticien responsable du fait d’autrui pourra exercer une action récursoire à l’encontre du médecinfautif, mais la victime disposera d’un choix : elle pourra diriger son action contre l’un ou l’autredes médecins, chef ou membre de l’équipe fautif, ou encore contre les deux, ce dernier cas defigure donnant lieu à une condamnation in solidum.

Cette jurisprudence relative à la responsabilité du chirurgien, chef de l’équipe médicale, dufait de l’anesthésiste est actuellement critiquée par la doctrine car elle n’est plus en accord avecl’autonomie prise par l’anesthésie dans les soins médicaux10. En effet, cette règle ne s’appliqueque de manière résiduelle, à défaut de lien contractuel direct établi entre le préposé, en l’occurrencel’anesthésiste, et le patient11. Or, l’anesthésiste s’est peu à peu libéré de « l’autorité du chirurgien »12, en ce sens qu’il s’est vu consacrer l’indépendance totale de sa spécialité et un lien de droitcontractuel autonome entre le patient et lui-même, par le biais de la consultation préanesthésique.Mieux encore, cette indépendance a été l’occasion de reconnaître l’existence, au sein même del’équipe médicale, d’une équipe anesthésique.

1.1.2. L’équipe anesthésique, élément de l’équipe médicaleLe médecin anesthésiste étant aujourd’hui indépendant se pose également la question de savoir

si lui aussi peut être responsable des fautes que pourraient commettre un autre anesthésiste auquelil a eu recours pour l’anesthésie et qu’il se substitue, avec ou en dehors du consentement dupatient, pour l’accomplissement d’une partie inséparable de son obligation. Cela n’est pas unehypothèse d’école, puisqu’il arrive fréquemment dans le cadre de l’organisation de l’activitéanesthésique, que le médecin anesthésiste ayant mené la consultation préanesthésique obligatoireet par conséquent cocontractant du patient, ne soit pas celui qui pratique l’acte anesthésique enlui-même13. Cette réalité fait intervenir, à côté de la notion d’équipe médicale, la notion d’équiped’anesthésistes. Celle-ci se composant alors de deux, voire trois, anesthésistes réanimateurs :un médecin qui examine le patient quelque temps avant l’opération, un second qui assure uneautre consultation la veille de l’opération afin de prendre connaissance du dossier, de réviser lesconclusions des observations en cas de modification de l’état de santé du patient, et de pratiquerl’acte anesthésique. Enfin, il peut y avoir éventuellement un troisième anesthésiste ayant en chargela surveillance postopératoire du malade.

Dans un tel cas, le patient n’a pas réellement contracté avec l’ensemble des membres de cetteéquipe anesthésique, d’autant plus que les médecins anesthésistes n’interviennent que ponctuel-lement, voire parfois durant une journée seulement, au sein d’une équipe médicale occasionnelle.

10 A. Dorsner-Dolivet, note ss. Cass. 1re civ. 26 juillet 1982.11 Voir, par ex., CA Bordeaux 23 septembre 2004 : Juris-data no 2004-253641.12 G. Barrier, H. Fabre, L’anesthésiste réanimateur face aux juges, Ellipses, éd. 1998, p. 50.13 Voir, par ex., CA Bordeaux 10 janvier 2005 : Juris-data no 2005-265041 ; CA Pau 5 février 1997 : Juris-data no 1997-

040239.

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Le patient ne sait plus, en définitive, du fait de cette succession de médecins, à qu’il a pu don-ner sa confiance : au premier anesthésiste ou aux suivants qui sont intervenus successivementen se présentant parfois de manière succincte ? La visite préanesthésique suffit-elle à fonder uncontrat de soin ? Peut-on considérer qu’il y ait eu un contrat tacite entre l’anesthésiste qui aréalisé l’acte anesthésique et le patient qui a donné son accord à cette substitution au médecinanesthésiste chargé de la consultation préanesthésique, et, normalement, seul cocontractant ? Lemédecin anesthésiste substitué avec le consentement du patient serait-il, dans une telle situation,alors responsable personnellement ?

Il semblerait logique que l’anesthésiste, chef de l’équipe d’anesthésistes, intervenant lors de laconsultation préanesthésique demeure néanmoins responsable du fait de l’anesthésiste agissantlors de l’acte anesthésique, que cela soit avec ou en dehors du consentement du patient, en rai-son du fait que ce dernier n’a pas été préalablement présenté au second anesthésiste. L’on saitl’importance du rôle de l’information, de la communication et de la concertation entre un patientet son médecin14. Faute d’une telle concertation, le premier anesthésiste seul et véritable interlo-cuteur du patient devrait répondre des fautes que pourrait commettre le second anesthésiste, alorssimple exécutant auquel il a recours et qu’il se substitue, et ce malgré l’indépendance profession-nelle de ce dernier15. La solution sera, bien entendu, différente si le second anesthésiste n’agit pluscomme simple exécutant et prend des initiatives dont les conséquences sont dommageables. Il apu être jugé en ce sens qu’un médecin anesthésiste qui, lors d’une intervention chirurgicale, a faitun mauvais choix thérapeutique en préconisant une rachianesthésie sans élément d’appréciationsuffisant, notamment un bilan allergologique, alors que l’anesthésiste ayant effectué la consulta-tion préanesthésique avait préconisé une anesthésie générale, a commis une faute engageant saresponsabilité personnelle16.

Le chirurgien n’a pas un rôle négligeable dans un tel contexte. En effet, l’on sait que le chirurgienchargé de l’organisation générale de l’opération et de l’anesthésie, collabore avec l’anesthésistequ’il choisit aussi. Partant, il semblerait possible d’envisager également la responsabilité contrac-tuelle du chirurgien pris en tant que chef de l’équipe médicale du fait des fautes qu’aurait commisun anesthésiste qu’il aurait choisi de concert avec l’anesthésiste chef de l’équipe anesthésique, endehors du consentement du patient. En définitive, une telle solution laisserait le choix au patientd’agir contre le chirurgien chef de l’équipe médicale ou contre le chef de l’équipe anesthésique,du fait des fautes commises par le second anesthésiste, ou encore contre les deux ; dans ce cas ily aurait une condamnation in solidum.

Aujourd’hui totalement indépendant au sein de l’équipe médicale, l’anesthésiste dispose aumême titre que le chirurgien d’un devoir de surveillance dans l’intérêt de la santé du patient.

1.2. Un devoir de surveillance réciproque

L’évolution de la qualification des médecins anesthésistes a conduit à une approche plus affinéedes rapports juridiques entre ces derniers et le chirurgien au sein de l’équipe médicale, avec l’arrêt

14 Sur l’obligation d’information de l’anesthésiste, voir, infra, no 0 et s.15 Voir, en ce sens, CA Aix-en-Provence 18 juin 2002 : Juris-data no 2002-186110 (pour un défaut de consignes écrites

de l’anesthésiste ayant réceptionné le patient à l’anesthésiste d’astreinte) ; CA Lyon 14 mars 2002 : juris-data no 2002-170573 (jugé que l’obligation de délivrer une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents auxsoins proposés incombe au médecin qui a procédé à la consultation préanesthésique et non pas à celui qui a seulementprocédé à la visite préanesthésique quelques heures avant l’opération, à un moment où le consentement du patient avaitété donné).16 CA Bordeaux 10 janvier 2005.

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Farcat, rendu le 30 mai 1986 par l’assemblée plénière de la Cour de cassation17. L’attendu del’arrêt de cassation énoncait alors que « si la surveillance postopératoire incombe au médecinanesthésiste pour ce qui concerne sa spécialité, le chirurgien n’en est pas moins tenu, à cet égard,d’une obligation générale de prudence et de diligence » et en déduisait que la cour d’appel devaitdonc rechercher si, en raison des conditions dans lesquelles il avait quitté la clinique, le chirurgienn’aurait pas dû s’assurer que le malade restait sous la surveillance d’une personne qualifiée.

Comme le souligne la Cour de cassation dans son rapport annuel de l’année 2000,« l’émergence, par rapport à la période de l’arrêt Welti, de l’anesthésiste en tant que spécia-liste d’un niveau comparable à celui du chirurgien ne permet plus de le considérer comme unmembre de l’équipe médicale relevant sans nuance de l’autorité de ce dernier, considéré commele chef de l’équipe médicale, comme par exemple, un interne ou un infirmier ». Bien au contraire,l’anesthésie est reconnue aujourd’hui comme une spécialité à part entière et de ce fait strictementréglementée par le Code de la santé publique aux articles D. 6124-91 à D. 6124-103. Un contratintervient maintenant nécessairement entre l’anesthésiste et le patient du fait de la consultationpréanesthésique obligatoire18. À défaut de ce lien contractuel direct entre l’anesthésiste et lepatient, le chef d’équipe devrait normalement être responsable du fait de l’anesthésiste19. Maisil existe des circonstances qui permettent souvent d’induire le consentement, au moins tacite dumalade à être soigné par lui, même s’il ne l’a pas lui-même choisi20. C’est le cas notammentlorsque le malade est examiné par l’anesthésiste préalablement à l’intervention, dans un contexted’urgence. Le patient doit alors assigner personnellement l’intervenant fautif. Cela n’exclut pasla possibilité d’engager corrélativement la responsabilité du chef d’équipe, mais à la condition deprouver la faute personnelle de ce dernier ayant concouru à la production du dommage21.

Par ailleurs, comme la jurisprudence l’a souvent souligné, tous les praticiens sont tenus deveiller à la bonne exécution de l’acte médical, lorsqu’ils agissent de concert. En conséquence, ilappartient au chirurgien chef de l’équipe médicale de veiller à la bonne exécution de l’opération et,par exemple, de donner aux autres membres de l’équipe médicale toutes les informations utiles surl’état du patient, lorsqu’il connaît celui-ci. Les médecins intervenant au sein de l’équipe médicalesur un pied d’égalité, il entre donc dans la responsabilité personnelle de chacun, en vertu duprincipe de l’indépendance professionnelle, de veiller à ce que le confrère assume effectivementson rôle22. Comme le relève Jean Penneau, pour tout ce qui a trait à la technique proprementdite d’anesthésie-réanimation, le chirurgien est normalement radicalement incompétent, il nesaurait prétendre contrôler les décisions de l’anesthésiste23. En revanche, tout ce qui relève del’organisation générale de l’acte d’anesthésie-réanimation doit être contrôlé par le chirurgien envertu de son obligation de surveillance générale de tout ce qui concourt à la réalisation de l’acte

17 Cass. ass. plén. 30 mai 1986 : no 85-91 432 ; D. 1987 109, obs. Penneau (Il s’agissait dans cette affaire d’une amygda-lectomie subie par M. Farcat qui avait été conduite par un chirurgien assisté d’un médecin anesthésiste. Immédiatementaprès l’intervention, le chirurgien et l’anesthésiste avaient quitté la clinique, laissant le patient seul dans une chambrependant quelques minutes. Une infirmière l’avait ensuite trouvé inanimé. Après plus de deux mois de coma, le patientdécédait des suites d’un arrêt cardiorespiratoire ayant entraîné des lésions cérébrales anoxiques irréversibles imputables àl’insuffisance de la surveillance anesthésique postopératoire. Des poursuites pénales avaient été engagées pour homicideinvolontaire, notamment contre le chirurgien et l’anesthésiste).18 Art. D. 6124- 91 du CSP.19 Voir, supra, no 0 et s.20 Cass. 1re civ. 27 mai 1970 : no 69-10 117 ; JCP éd. G 1971, II, 16833, note R. Savatier.21 Cass. 1re civ. 10 mai 1984 : no 83-91. 174.22 Art. R. 4127-64 du CSP.23 J. Penneau, note ss. Cass. crim 10 mai 1984 : D. 1985, p. 256.

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chirurgical. Or la surveillance postopératoire de l’opéré ayant subi une anesthésie relève de cetteorganisation générale et le chirurgien doit veiller à ce qu’elle soit assurée. L’article D. 6124-97 duCode de la santé publique, reprenant les acquis jurisprudentiels suivant lesquels la surveillancedoit continuer jusqu’à la reprise complète des fonctions vitales24, précise ainsi qu’elle se poursuitjusqu’au retour et au maintien de l’autonomie respiratoire du patient, de son équilibre circulatoireet de sa récupération neurologique.

En outre, il est important de préciser que ce devoir en quelque sorte de « surveillance réci-proque » n’incombe pas qu’au seul chirurgien. La Cour de cassation a eu l’occasion de rappelerdans son rapport annuel de 2007 « qu’aucun des deux médecins, c’est-à-dire le chirurgien etl’anesthésiste ne peut se désintéresser de la défaillance qu’il est à même d’apercevoir de la partde l’autre ». Un arrêt du 27 mai 199825 a rejeté le pourvoi formé contre le refus d’une courd’appel de retenir la responsabilité de médecins anesthésistes du fait des fautes commises parle chirurgien lors d’une opération aux conséquences mortelles dès lors qu’il était établi que cesanesthésistes avaient respecté l’obligation générale de prudence et de diligence leur incombantquant au domaine de compétence du chirurgien. Toutefois, le chirurgien ne peut s’exonérer detoute responsabilité du seul fait que l’opéré est bien resté sous la surveillance de l’anesthésiste,lorsque ce dernier n’a pas la possibilité de pratiquer le seul traitement salvateur, c’est-à-dire unenouvelle opération qui ne pouvait être réalisée que par le chirurgien26.

Il existe donc une complémentarité des responsabilités de chacun des médecins dans l’intérêtsupérieur du patient pouvant aboutir à une responsabilité partagée des praticiens27 ; chaque méde-cin a un devoir particulier d’attention quant à l’effectivité des soins des autres médecins concourantà l’intervention. De même, le médecin, de par sa qualité et ses fonctions, lorsqu’il procède à unacte médical prescrit par un autre médecin, dispose d’un droit de contrôle sur la prescription deson confrère, ce droit étant la conséquence logique de l’indépendance de chaque praticien28. Ilexiste donc dans le cadre de ce devoir de surveillance réciproque des médecins au sein de l’équipemédicale, un devoir de contrôle mutuel de leurs prescriptions dérivant de leur indépendanceprofessionnelle inaliénable.

24 Voir, par ex., Cass. 1re civ. 11 décembre 1984 : no 83-14 759.25 Cass. 1re civ. 27 mai 1998 : no 96-19 161.26 Cass. 1re civ. 10 février 1987 : no 85-14 463.27 CA Bordeaux 10 janvier 2005 : préc. note 13 « Jugés qu’ont fait un mauvais choix thérapeutique le médecin anes-

thésiste et le chirurgien qui ont administré au patient en totale concertation, de la rocéphine, après une rachianesthésie,provoquant chez le patient un choc anaphylactique responsable de son arrêt cardiaque, de son coma et à terme de sondécès ; responsabilité partagée du chirurgien (35 %) et de l’anesthésiste (65 %) » ; CA Grenoble 3 février 2004 : Juris-data no 2004-232366 « Ont commis des négligences engageant leur responsabilité professionnelle médicale, le chirurgienorthopédique et le médecin anesthésique ayant procédé à une mauvaise évaluation des risques par rapport à l’importancede l’intervention proposée et réalisée. En outre, la concertation entre les deux praticiens s’est révélée insuffisante, lechirurgien ayant procédé à son acte sans que la consultation préanesthésique, pourtant obligatoire, n’ait été réalisée ;responsabilité partagée à 50 % » ; adde, CA Pau 5 février 1997 : préc. note 13 « La responsabilité d’un anesthésiste etd’un chirurgien doit être engagée dès lors qu’il est démontré que les praticiens ont administré à un patient du trandateet de la xylocaïne, médicaments qui associés provoquent des troubles de la conduction cardiaque, et que celui-ci a étévictime durant l’opération d’une anoxie cérébrale secondaire à un arrêt cardiaque. Il en ressort que l’accident est laconséquence, soit d’une mauvaise coordination entre les deux médecins, qui leur est imputable à tous les deux, soit d’uneméconnaissance, pareillement imputable à tous deux, des effets conjugués des deux médicaments ; responsabilité partagéeà 50 % ».28 Cass. 1re civ. 29 mai 1984 (Savart) : no 82-15 433 ; JCP 1984, II, concl. Gulphe ; D. 1985, p. 281, note F. Bouvier. Cet

arrêt s’appuie clairement sur la norme déontologique en vertu de laquelle les médecins disposent d’une indépendance pro-fessionnelle et donc, corrélativement, outre une liberté de prescription, d’un devoir de contrôle réciproque de prescriptionentre eux.

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2. Responsabilité et auxiliaires médicaux

L’anesthésie est un acte médical. Par conséquent, cet acte ne peut être effectué que sous laresponsabilité et la conduite d’un médecin anesthésiste-réanimateur. Il revient à celui-ci d’évaluerl’état du patient, de l’informer sur le déroulement et les conséquences de l’acte anesthésique etde déterminer la technique anesthésique la plus appropriée, enfin d’assurer les suites interven-tionnelles relevant de l’anesthésie-réanimation29. L’acte anesthésique ne se limite pas à la seuleprise en charge durant l’intervention, mais comprend d’autres étapes avant et après celle-ci. Seulle médecin anesthésiste-réanimateur peut maîtriser l’ensemble de ces étapes et doit répondre deses actes.

2.1. La compétence de l’Iade

Tout au long de leur intervention, les anesthésistes-réanimateurs s’entourent d’auxiliaires médi-caux comme les infirmiers et infirmières dont les professions sont réglementées30. L’article L.4311-1 al. 1er du Code de la santé publique dispose qu’ « est considérée comme exercant la pro-fession d’infirmière ou d’infirmier toute personne qui donne habituellement des soins infirmierssur prescription ou conseil médical ou en application du rôle propre qui lui est dévolu ». Lesactes professionnels que sont autorisés à réaliser les infirmiers sont définis aux articles R. 4311-1et s. du même Code. Parmi ces auxiliaires médicaux, il en est un essentiel au bon déroulementde la mission de l’anesthésiste-réanimateur : l’infirmier anesthésiste diplômé d’État (Iade). Quel’établissement soit public ou privé, l’activité de soins de l’Iade est placée sous l’autorité médicaledirecte du médecin anesthésiste-réanimateur et l’infirmier ne recoit de directives médicales quede lui seul31.

Les infirmiers anesthésistes diplômés d’État (Iade) sont les proches collaborateurs desmédecins anesthésistes-réanimateurs32. Infirmiers spécialisés, ils sont habilités à effectuer lesactes relevant de leur seule compétence. Ils ne se substituent pas aux médecins anesthésistes-réanimateurs qu’ils assistent, mais qu’ils ne remplacent pas. Le rôle de l’infirmier-anesthésistediplômé d’État est d’assister le médecin anesthésiste-réanimateur dans la pratique de l’anesthésieet dans l’organisation plus générale de cette activité. Ce rôle comprend notamment la vérifica-tion, la préparation et l’entretien du matériel d’anesthésie, l’exécution de certains gestes sous ladirection du médecin anesthésiste-réanimateur, l’assistance de celui-ci pour l’exécution des gestestechniques qu’il effectue, la surveillance du déroulement de l’anesthésie, ainsi que certaines tâchestransversales, telle la matériovigilance. Les fonctions du médecin anesthésiste-réanimateur et del’Iade s’inscrivent donc en complémentarité et non en substitution de l’une à l’autre33. Ce moded’exercice offre la meilleure garantie de la qualité des soins prodigués aux patients et de la sécuritéde ces derniers.

En particulier, l’article R. 4311-12 du Code de la santé publique prévoit que l’infirmierou l’infirmière anesthésiste diplômé(e) d’État, est seul habilité(e), à condition qu’un médecinanesthésiste-réanimateur puisse intervenir à tout moment, et après qu’un médecin anesthésiste-réanimateur a examiné le patient et établi le protocole, à appliquer les techniques suivantes :

29 Sur les différentes obligations à la charge de l’anesthésiste et les responsabilités en découlant, voir, infra.30 Voir, A. Castelletta, Responsabilité médicale, Droits des malades, Dalloz référence, 2e éd. 2004, no 51.00 et s.31 En revanche, la hiérarchie administrative dont dépend l’Iade diffère selon les établissements.32 Sur le diplôme d’État d’infirmier anesthésiste, voir art. D. 4311-45 à D. 4311-48 du CSP.33 Voir, Recommandations concernant le rôle de l’infirmier anesthésiste diplômé d’État, Sfar, janv. 1995.

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1. Anesthésie générale ;2. Anesthésie locorégionale et réinjections dans le cas où un dispositif a été mis en place par un

médecin anesthésiste-réanimateur ;3. Réanimation peropératoire.

Il accomplit les soins et peut, à l’initiative exclusive du médecin anesthésiste-réanimateur,réaliser les gestes techniques qui concourent à l’application du protocole.

En salle de surveillance postinterventionnelle, il assure les actes relevant des techniquesd’anesthésie citées aux 1◦, 2◦ et 3◦ et est habilité à la prise en charge de la douleur postopératoirerelevant des mêmes techniques.

Les transports sanitaires mentionnés à l’article R. 4311-10 sont réalisés en priorité parl’infirmier ou l’infirmière anesthésiste diplômé(e) d’État.

L’infirmier ou l’infirmière, en cours de formation préparant à ce diplôme, peut participer à cesactivités en présence d’un infirmier anesthésiste diplômé d’État.

Il est à noter que parallèlement à ses activités de soins, l’Iade a, en raison de ses compé-tences, un rôle de gestionnaire du matériel d’anesthésie-réanimation, en particulier : la gestiondu petit matériel anesthésique, à usage unique ou non, le réapprovisionnement journalier dela salle d’opération, la gestion du stock du bloc opératoire ; la maintenance et la vérifica-tion quotidienne, au moyen de la liste correspondante, recommandée par la Société francaised’anesthésie-réanimation (Sfar), de l’état de fonctionnement et de la stérilisation du matériel (cir-cuits, respirateurs, monitorage)34 ; la gestion des médicaments utilisés en anesthésie-réanimation ;la surveillance de l’approvisionnement en produits sanguins au niveau du plateau techniqueconcerné (vérification de la délivrance, de la conservation et de la compatibilité, participationà la tracabilité des produits sanguins et aux techniques d’économie de sang)35.

Compte tenu de la technicité des fonctions dévolues à l’Iade et de sa présence à tous les stades del’anesthésie, nombreuses sont les fautes susceptibles d’être commises dans l’exercice de ses fonc-tions. Mais cet auxiliaire médical agissant sous le contrôle direct de l’anesthésiste-réanimateur,la responsabilité encourue est alors endossée par ce dernier. Notamment, la réduction du risqueopératoire, dont découlent des choix thérapeutiques, suppose une analyse et un raisonnement phy-siopathologique que seul le médecin peut assurer de par sa formation et sa compétence spécifiques.La réalisation de l’anesthésie proprement dite nécessite la présence d’un médecin anesthésiste-réanimateur impérativement lors de l’induction, à tout moment où, du fait d’évènements critiques,l’état du patient peut justifier une modification de la conduite de l’anesthésie et/ou de la réanimationopératoire, ainsi qu’à la sortie de salle d’intervention après anesthésie générale ou rachidienne. Demême, les décisions de sortie de la salle de surveillance postinterventionnelle (SSPI) et de surseoirà une anesthésie ou de changer de technique, ainsi que les prescriptions postinterventionnellessont de la compétence exclusive du médecin anesthésiste-réanimateur.

2.2. Responsabilités de l’anesthésiste et de l’Iade

Par principe, les membres du personnel paramédical agissent en tant que préposés del’établissement auquel ils sont attachés, et l’établissement répond des fautes commises par ces

34 En cas de dépistage d’une anomalie de fonctionnement, l’Iade en informe le médecin anesthésiste-réanimateur et enréfère, le cas échéant, au cadre infirmier responsable.35 Ibid.

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personnes. Toutefois, indépendamment de leur faute personnelle, une responsabilité contractuelledes praticiens par suite d’une faute imputable à autrui a été reconnue par la jurisprudence, bienque le concept de responsabilité contractuelle du fait d’autrui puisse prêter à discussion36. LaCour de cassation a effectivement considéré qu’au titre du contrat qu’il a personnellement concluavec son patient, un chirurgien doit répondre « des fautes que peut commettre le médecin auquelil a eu recours pour l’anesthésie, et qu’il se substitue, en dehors de tout consentement du patient,pour l’accomplissement d’une partie inséparable de son obligation »37.

La responsabilité contractuelle du fait d’autrui concerne alors le fait des préposés du contractantprincipal, en l’occurrence de ceux qu’un praticien choisit de s’adjoindre pour l’exécution ducontrat qu’il a conclu avec le patient. Surtout, la responsabilité du fait d’autrui n’a lieu quelorsque le personnel accomplit des actes requérant le contrôle direct du médecin ou lorsqu’il agitsous ses ordres. La difficulté consiste alors à savoir quels sont les actes des auxiliaires médicauxqui peuvent engendrer un transfert d’autorité au profit du praticien. Pour la jurisprudence, cetransfert s’opère lorsqu’il s’agit d’actes ne pouvant être effectués par des auxiliaires que sousson contrôle médical38 ou lorsque le personnel a été mis à la disposition du praticien et recoit delui des instructions pour l’accomplissement d’un acte médical, comme les actes préparatoires àl’anesthésie39 ou l’accomplissement d’un acte postopératoire40.

Or, dans les établissements privés, quel que soit son employeur, l’Iade exerce son activité desoins sous l’autorité médicale et la responsabilité exclusive du médecin anesthésiste-réanimateur.Si le contrat de travail est établi directement entre le médecin anesthésiste-réanimateur et l’Iade, cedernier engage la responsabilité pleine et entière de l’anesthésiste en sa double qualité de médecinet d’employeur, quelle que soit la nature de l’acte. Il est à noter également qu’un anesthésiste-réanimateur doit répondre du fait de l’auxiliaire médical qu’il emploie pour effectuer des actes nerelevant pas de sa compétence41. Bien entendu, ces solutions n’ont vocation à s’appliquer que pourautant que l’anesthésiste exerce dans l’établissement à titre libéral. Dans le cas contraire, commenous l’avons vu précédemment, c’est l’établissement de soins qui sera responsable directementdu fait de son préposé auxiliaire médical.

Corrélativement, un établissement de soins privé sera responsable du dommage subi par lemédecin anesthésiste lui-même par la faute du personnel. Comme l’a jugé la Cour de cassation,« s’il est exact qu’en vertu de l’indépendance professionnelle dont il bénéficie dans l’exercicede son art, un médecin répond des fautes commises au préjudice des patients par les personnesqui l’assistent lors d’un acte médical d’investigation ou de soins, alors même que ces personnesseraient les préposées de l’établissement de santé où il exerce, il n’en est pas de même lorsque lavictime est le praticien lui-même »42.

Enfin, l’anesthésiste-réanimateur condamné sur le fondement de la responsabilité contractuelledu fait d’autrui conserve la faculté d’appeler en garantie l’auteur direct du dommage ou d’exercerune action récursoire à son encontre après condamnation. Lorsque la condamnation a eu lieu

36 G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 3e éd., 2006, no 814.37 Cass. 1re civ., 18 octobre 1960 : no 58-11.594 ; JCP G 1960, II, 11846, note R. Savatier ; adde, Cass. 1re civ., 18 juillet

1983 : Bull. civ. I, no 209 ; JCP G 1984, II, 20248, note Chabas ; D. 1984, jur., p. 149, note Penneau.38 Cass. crim. 18 novembre 1976 : Bull. crim. no 333.39 Cass. 1re civ., 15 novembre 1955 : JCP G 1956, II, 9106, note Rodière ; CA Nancy 23 octobre 1996 (Voydeville

c/Babuyaux) : RD sanit. Soc. 1997, p. 840, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux.40 Cass. crim. 21 février 1946 : JCP 1946, II, 3151, note Bronchat.41 Cass. 1re civ., 28 mai 1980 : Bull. civ. I, no 160.42 Cass. 1re civ., 13 mars 2001 : Bull. civ. I no 72 ; RTD civ. 2001, p. 599, obs. Jourdain.

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du chef de préposés, il est admis traditionnellement que les règles gouvernant l’organisationdes recours contre ces derniers dans la responsabilité délictuelle du fait d’autrui doivent êtretransposées. Partant, les règles que nous avons mises en évidence concernant la responsabilitéde l’établissement de soins privé, du fait de l’anesthésiste, ont vocation à s’appliquer ici. Parun arrêt du 9 novembre 2004, dont la solution est parfaitement applicable aux Iade, la Courde cassation a considéré que « la sage-femme salariée qui agit sans excéder les limites de lamission qui lui est impartie par l’établissement de santé privé, n’engage pas sa responsabilitéà l’égard de la patiente »43. Autrement dit, si l’Iade n’a pas excédé les limites de sa mission,aucune action récursoire ne peut être exercée à son encontre par l’anesthésiste-réanimateur. Uneexception demeure, celle de l’hypothèse d’une faute pénale intentionnelle, conformément à lajurisprudence Cousin.

3. La consultation préanesthésique

La consultation préanesthésique a été un élément majeur du renouvellement des pratiques. Sonrégime désormais défini par l’article D. 6124-91 du Code de la santé publique dispose que :

« Pour tout patient dont l’état nécessite une anesthésie générale ou locorégionale, les éta-blissements de santé, y compris les structures de soins alternatives à l’hospitalisation, assurentles garanties suivantes : (1) une consultation préanesthésique, lorsqu’il s’agit d’une interventionprogrammée ; (2) les moyens nécessaires à la réalisation de cette anesthésie [. . .] ».

La consultation préanesthésique répond à de nombreuses finalités, comme l’évaluation préopé-ratoire et la satisfaction par l’anesthésiste-réanimateur de son devoir d’information et de conseil.L’examen des caractères de la consultation préanesthésique est un préalable nécessaire.

3.1. Les caractères de la consultation préanesthésique

Cette consultation qui est obligatoire44 doit avoir lieu plusieurs jours avant l’intervention. Si lepatient n’est pas encore hospitalisé, « pour les établissements de santé privés relevant des disposi-tions de l’article L. 6114-3, elle est réalisée soit au cabinet du médecin anesthésiste-réanimateur,soit dans les locaux de l’établissement ». La structure architecturale de l’établissement a d’ailleursson importance, en ce sens que la consultation d’anesthésie peut-être centralisée au niveau du ser-vice d’anesthésie-réanimation, notamment pour des cas très spécifiques, tels que l’allergie auxagents anesthésiques ou l’autotransfusion programmée.

Cette consultation préanesthésique est faite par un médecin anesthésiste-réanimateur45. S’ilest souhaitable, comme le soulignent les recommandations du Conseil national de l’Ordre desmédecins, de décembre 200146, que le médecin anesthésiste ayant procédé à la consultation réaliselui-même l’anesthésie, chacun sait et admet qu’en pratique cela n’est pas toujours possible : plu-sieurs anesthésistes peuvent intervenir successivement, ou constituer une « équipe anesthésique ».Il convient alors d’informer le patient de cette éventualité lors de la consultation préanesthésique,

43 Cass. 1re civ. 9 novembre 2004 : Bull. civ. I, no 260 ; Gaz. Pal. 2005, p. 360, note Bangoura.44 Voir, pour un exemple d’absence de consultation préanesthésique, CA Grenoble 3 février 2004 : Juris-data no 2004-

232366.45 Art. D. 6124-92 al. 5 du CSP.46 Ordre National des Médecins, Conseil National de l’Ordre, Recommandations concernant les relations entre

anesthésistes-réanimateurs et chirurgiens, autre spécialistes ou professionnels de santé, éd. décembre 2001 disponiblesur www.sfar.org.

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et le médecin anesthésiste-réanimateur qui anesthésiera le patient devra prendre connaissance deson dossier médical et se présenter à lui avant l’intervention.

Les résultats de la consultation préanesthésique « sont consignés dans un document écrit,incluant, les résultats des examens complémentaires et des éventuelles consultations spéciali-sées. Ce document est inséré dans le dossier médical du patient »47. Il est en outre prudent deconsigner dans ce document l’essentiel des informations délivrées au patient, puisqu’il appartientau médecin de prouver la réalité et le contenu de l’information transmise à ce dernier. En casd’accident, de procès et d’expertise judiciaire, le dossier anesthésique et notamment la consulta-tion préanesthésique sont des documents essentiels et déterminants pour reconstituer les faits etapprécier la qualité des soins et de l’information délivrés à la victime48. Les médecins doivent doncy attacher une réelle importance et veiller à la bonne tenue du dossier en toutes circonstances49

ainsi qu’à sa conservation en lieu sûr.Le dernier alinéa de l’article D. 6124-92 du Code de la santé publique précise ensuite que

« la consultation préanesthésique ne se substitue pas à la visite préanesthésique qui est effec-tuée par un médecin anesthésiste-réanimateur dans les heures précédant le moment prévu pourl’intervention ». En effet, le décret n◦ 94-1050 du 5 décembre 1994 qui est à l’origine du caractèreobligatoire de cette consultation préanesthésique, soulignait que celle-ci doit être à distance del’acte anesthésique. La consultation à distance de l’acte opératoire doit permettre à l’anesthésiste-réanimateur d’approfondir l’évaluation préopératoire en demandant des examens et investigationscomplémentaires, si nécessaire, ainsi que d’éventuelles consultations de spécialistes. Cela répondà la logique de l’article R. 4127-33 du Code de la santé publique en vertu duquel « le médecin doittoujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, ens’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y alieu, de concours appropriés ». Cela n’implique pas pour autant d’aboutir à la demande systéma-tique de nombreux examens complémentaires biologiques, radiologiques ou encore biochimiquesdont de nombreuses publications scientifiques ont démontré l’inutilité.

Par ailleurs, la prescription d’explorations invasives doit toujours être pesée en fonction dubilan avantages/risques, dans l’intérêt du malade. Ainsi, le médecin doit « [. . .] sans négliger sondevoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité,à la sécurité, et à l’efficacité des soins [. . .] et tenir compte des avantages, des inconvénients etdes conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles »50. Dans le mêmesens, l’article R. 4127-40 du Code de la santé publique lui interdit « dans les investigations etinterventions qu’il pratique comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit, de faire courir au patientun risque injustifié ». En d’autres termes, il ne doit pas prescrire des investigations et examens,soit inutiles, soit trop risqués par rapport au bénéfice qui en est escompté pour le malade.

Enfin, la consultation préanesthésique ne supprime pas pour autant l’obligation de réaliser unevisite préanesthésique quelques heures avant l’opération. Cette visite faite par un anesthésisteréanimateur doit comporter un examen clinique et une prise de connaissance du dossier complet,

47 Art. D. 6124-92 al. 5 du CSP.48 Voir, par ex., CA Paris 14 septembre 2007 : Juris-data no 2007-344244 (pour des feuilles de consultations préanes-

thésiques ne mentionnant pas les associations cardiotoxiques des traitements anticancéreux, circonstance qui n’a donc puêtre exposée à la patiente) ;.49 CA Paris 14 septembre 2006 : Juris-data no 2006-335472 (jugé en ce sens qu’aucun document enregistré ne permet

de vérifier que l’anesthésiste se soit assuré de la saturation artérielle en oxygène présentée par son patient avant sa sortiede la salle de réveil).50 Art. R. 4127-8 du CSP.

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un nouvel interrogatoire permettant de s’assurer qu’il n’existe pas d’éléments nouveaux survenusdepuis la consultation préanesthésique pouvant constituer une contre-indication. Ainsi, par un arrêtde 20 octobre 1993, la 1re chambre civile de la Cour de cassation a approuvé la cour d’appel quiavait condamné un anesthésiste et un chirurgien dont la patiente qui devait être opérée de polypessur des cordes vocales, avait été victime en cours d’intervention d’un arrêt cardiaque, alors quel’état de cette patiente juste avant l’opération pouvait permettre de prévoir un tel accident et auraitdû conduire au report de cet acte. Il a été reproché à l’anesthésiste et au chirurgien d’avoir « manquéde discernement en décidant d’opérer un malade qui, avant l’intervention, avait présenté un étatcyanosé par suite d’un défaut de ventilation, dès lors que les conséquences d’un état ainsi rendufragile étaient prévisibles et que l’opération qui n’était pas urgente pouvait être reportée »51. Unebonne évaluation de l’état du patient avant l’opération est en effet l’une des nombreuses finalitésde la consultation préanesthésique.

3.2. Finalités de la consultation préanesthésique

La consultation préanesthésique est un acte essentiel en anesthésie à l’occasion duquel va seformer le contrat par lequel le malade accordera sa confiance au praticien : elle doit comporterun examen du dossier du patient, un interrogatoire sous forme de dialogue direct, et un exa-men clinique. Elle est le moment où le médecin anesthésiste informera le malade et répondraà ses interrogations. En définitive, la consultation préanesthésique répond à deux nécessités :d’abord, l’évaluation préopératoire du patient, ensuite la délivrance d’une information loyale,claire, et appropriée sur l’état du patient afin de prévenir au mieux non seulement les complica-tions inhérentes à l’environnement anesthésique, mais aussi la mise en jeu de la responsabilité del’anesthésiste-réanimateur.

3.2.1. L’évaluation préopératoireL’Ordre national des médecins n’hésite pas à rappeler l’importance d’une étroite collaboration

entre les différents intervenants à l’opération chirurgicale, notamment au moment de la consul-tation préanesthésique, où se décident alors non seulement une préparation, une programmationréglée et conjointe avec l’ensemble des opérateurs mais aussi les stratégies thérapeutiques à adop-ter en cas de difficultés rencontrées lors de l’intervention. Ainsi dans ses « Recommandationsconcernant les relations entre anesthésistes-réanimateurs et chirurgiens, autres spécialistes ouprofessionnels de santé » de 2001, l’Ordre national des médecins insiste particulièrement sur lefait que la consultation préanesthésique soit « développée, en accord avec les chirurgiens et lecas échéant les autres spécialistes concernés, de manière à s’intégrer dans une procédure com-mune d’évaluation préopératoire ». La consultation préanesthésique est réalisée sitôt après laconsultation de l’opérateur, ou de facon différée.

La consultation préanesthésique a pour objectif de réduire la morbidité et la mortalité peropé-ratoire à travers une évaluation préopératoire aussi juste que possible des affections préexistantes,de leurs traitements susceptibles d’interférer avec l’action des produits anesthésiques, ou encoredes antécédents familiaux. Cette évaluation doit permettre également avec l’aide de l’examenclinique de prévoir un certain nombre de difficultés techniques anesthésiques, telles des com-plications d’intubation, d’abord veineux, d’abord de l’espace péridural ou d’autres sites. Elledoit, par ailleurs, permettre d’envisager les risques particuliers qui peuvent menacer un patient en

51 Cass. civ. 1re 20 octobre 1993 : no 91-19113.

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fonction de ses antécédents ou des affections dont il est atteint, et prendre corrélativement toutesles précautions pour limiter ces risques. L’anesthésiste-réanimateur doit anticiper et prévoir lesstratégies thérapeutiques en fonction du cas particulier de chaque patient dans le cadre de laconsultation préanesthésique.

Le délai de réflexion qu’impose désormais l’article R. 6124-92 du Code de la santé publiqueentre la consultation préanesthésique et l’acte opératoire permet à l’anesthésiste-réanimateur demodifier le programme opératoire s’il pense que des investigations ou consultations de spécialistessont nécessaires, et cela sans désorganisation du bloc opératoire ou de l’activité des chirurgiens.Il doit permettre également d’éviter des situations dans lesquelles l’anesthésiste est contraint derefuser d’anesthésier un patient à la dernière minute, ou d’être tenté de réaliser l’acte d’anesthésiemalgré certains risques liés à une contre-indication absolue la veille de l’intervention. Cette dis-tance opératoire permettra surtout de privilégier une attitude plus positive, visant essentiellementà anesthésier le patient dans les meilleures conditions possibles.

La réussite d’une évaluation préopératoire dépend nécessairement du recueil d’un maximumd’informations utiles concernant l’état de santé du patient afin de lui adapter la thérapeutique enfonction de son intérêt et de sa sécurité, cela notamment par le biais d’un interrogatoire du patientmené par l’anesthésiste lui-même52.

Par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 19 juin 2003 a été retenue la responsabilité d’unanesthésiste du fait de la paraplégie dont sa patiente est restée atteinte à la suite d’un double chocépidural réalisé pour traiter des lombosciatalgies53. Les juges du second degré ont relevé que lesséquelles neurologiques étaient imputables à un hématome péridural causé par le cathéter dansl’espace péridural alors que la patiente était sous anticoagulant, circonstance ignorée du médecin.L’indication d’un double choc péridural était donc contre indiquée en raison de la prise de telsmédicaments et également en raison de l’état antérieur de la patiente, notamment de plusieursphlébites. Le médecin anesthésiste, s’il lui avait demandé d’arrêter de prendre des médicaments,ne lui avait pas spécifiquement posé de questions au sujet de cette prise d’anticoagulants, et nelui avait pas demandé de facon explicite la nature des médicaments qu’elle prenait avant sonhospitalisation.

Dès lors, le rôle du patient n’est pas non plus résiduel dans cette phase de la consultationpréanesthésique. En effet, la garantie d’une évaluation préopératoire correcte repose aussi surun comportement actif de ce dernier. Il appartient au malade de fournir au médecin tous lesrenseignements susceptibles de l’aider dans une meilleure connaissance du cas particulier. Lepatient doit être un véritable partenaire du médecin. Bien entendu, si le patient n’est pas compétentpour trier les informations, il n’empêche qu’il doit dans toute la mesure du possible ne pas oublierde signaler des antécédents, des maladies, ou des traitements même anciens, et cela même s’ilpense que ces informations ne sont d’aucun intérêt pour l’anesthésiste.

Un arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 juin 1995 illustre particulièrement bien cette hypo-thèse. En l’espèce, les magistrats ont relaxé un anesthésiste dont le jeune patient, un enfant âgéde 13 ans, est tombé dans un coma profond jusqu’à son décès trois mois plus tard après uneintervention consistant en l’extraction de quatre germes de dents de sagesse en clinique privée.Cet enfant était asthmatique depuis l’âge de 7 ans et s’est trouvé en état d’anoxie durant la

52 C’est la raison pour laquelle, dans l’intérêt de tous et notamment du malade, il est préférable que le médecin anesthésistequi procède à la consultation effectue lui-même la visite préanesthésique et l’anesthésie. En effet, la multiplicationinjustifiée des intervenants nuit à la cohésion des équipes, augmente les risques de défauts de communication et tend àdiluer les responsabilités.53 CA Paris 19 juin 2003 : Juris-data no 2003-224283.

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période du réveil postanesthésique à la suite d’un bronchospasme s’expliquant selon les expertspar l’hyper-réactivité bronchique d’un patient asthmatique. L’anesthésiste n’avait jamais été misau courant, avant l’opération, de cette affection et les parents n’en ont fait état qu’a posteriori.L’anesthésiste, il convient de le souligner, n’avait pas interrogé l’enfant au cours de la consultationpréanesthésique en présence de ses parents, et l’enfant lui-même n’avait pas songé à faire état decette affection. Mais la cour a néanmoins considéré qu’aucune faute ne pouvait être imputée àl’anesthésiste, qui était ignorant, malgré une consultation préanesthésique correctement réalisée,et qui avait donc fait bénéficier son patient d’une surveillance postopératoire normale, exemptede critiques, et pourtant insuffisante, comme l’accident qui s’est produit l’a démontré.

Les accidents allergiques (bronchospasmes, chocs anaphylactiques54) occupent une placeimportante dans la jurisprudence relative à la bonne ou mauvaise exécution de la consultation pré-anesthésique. L’analyse des décisions rendues permet de constater que l’anesthésiste-réanimateurn’est en général pas condamné en cas d’accident allergique lorsqu’il a mené la consultation pré-anesthésique dans le respect des règles de l’art et a pu parfois prévoir le risque et prendre desprécautions, ou encore n’avait rien pu prévoir car le risque était imprévisible faute d’antécédentallergique55. En revanche, l’anesthésiste est en général condamné lorsqu’un accident allergique seproduit sans qu’aient été réalisés au préalable une consultation, des examens, et un interrogatoire,lesquels auraient permis de connaître le risque allergique et de prendre certaines précautions ou,à tout le moins d’informer et conseiller le patient le plus clairement possible.

3.2.2. Le devoir d’information et de conseil de l’anesthésisteL’anesthésiste doit informer et rassurer le patient, afin d’obtenir son consentement éclairé pour

le protocole le mieux adapté à son cas. Le dialogue qui doit s’instaurer avec le patient permettra àce dernier, non seulement d’exposer ses problèmes de santé mais en outre d’exprimer ses angoisseset ses interrogations56. Le devoir d’information et de conseil est posé par l’article R. 4127-35 al.1er du Code de la santé publique relatif à la déontologie médicale : « Le médecin doit à la personnequ’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur sonétat, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient comptede la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension ».

54 Il est important de noter que le choc anaphylactique a une fréquence de l’ordre de 1 pour 6000 anesthésies. Lesréactions allergiques sévères entraînent le décès dans 6 % des cas. Elles sont plus fréquentes chez les femmes, les sujetsaux antécédents d’atopie, d’allergie, ou chez des sujets déjà exposés à l’agent anesthésique allergisant. Parmi les agentsanesthésiques, ce sont les curares qui entraînent plus de 75 % des réactions allergiques. Le suxaméthonium et le vécuroriumsont responsables respectivement de la moitié du quart des réactions mais tous les curares peuvent entraîner des réactionsanaphylactiques. Ainsi certains agents anesthésiques, comme les halogénés, le suxaméthonium, le pancuronium ou lakétamine, peuvent augmenter des risques de troubles du rythme cardiaque qui sont, à l’origine, la conséquence del’hypoxémie, de l’hypothermie, de la douleur et d’éventuels désordres hydro-électrolytiques (Voir, à ce sujet, P. Vayre,A. Vannineuse, Le risque annoncé de la pratique chirurgicale, complications, dommages, responsabilité, indemnisation,Springer-Verlag France, éd. 2003, p. 134).55 CA Rennes 21 septembre 2005 : Juris-data no 2005-306811 (Jugé qu’a procédé à toutes les investigations nécessaires

le médecin anesthésiste qui après la visite préanesthésique effectuée la veille de l’intervention sur un polype de la fossenasale a pertinemment prescrit certains examens et un bilan biologique, classant la patiente dans le risque anesthésiquele plus faible. L’allergie à la Célocurine n’était pas prévisible dans le cas particulier de la patiente qui a fait un chocanaphylactique lors de l’intervention) ; adde, CA Caen 15 janvier 2002 : Juris-data no 2002-200585 (L’imprévisibilité dela réaction au keflin en l’absence d’antécédent allergique connu chez le malade ne pouvait, outre que les faits se sontdéroulés en 1998, constituer un risque grave devant rentrer dans l’information loyale, claire et appropriée que le médecinest tenu de donner à son client).56 La peur de ne pas se réveiller est une angoisse souvent mentionnée par les patients lors de la visite préanesthésique.

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Il est utile de préciser de manière liminaire que l’obligation d’information incombe au médecinqui a procédé à la consultation préanesthésique, et non pas à celui qui a fait la visite préanesthésiquequelques heures avant l’opération, à un moment où le consentement du patient a déjà été donné57.Cela étant dit, l’absence de délivrance d’une information loyale, claire et appropriée est doncune faute susceptible d’engager la responsabilité de l’anesthésiste58. Bien entendu, dans une tellehypothèse, sa responsabilité ne sera engagée que si le patient démontre l’existence d’un préjudice,en particulier d’une perte de chance d’échapper au risque réalisé59. En revanche, la jurisprudencepose pour principe que l’obligation d’information doit également porter sur les risques considéréscomme exceptionnels60. Cette obligation serait même renforcée en matière de chirurgie esthétique,l’intervention étant considérée comme de confort et sans nécessité thérapeutique61.

Toutefois, la circonstance d’urgence ôte le caractère contraignant de l’obligation d’information.Dans une espèce jugée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 28 novembre 2006, une patienteenvoyée dans une clinique privée pour suture d’un tendon a été vue en consultation préanesthé-sique en urgence et programmée pour une intervention chirurgicale le même jour. Au réveil del’anesthésie locorégionale par voie sus-claviculaire, la patiente présentait un pneumothorax par-tiel droit et le lendemain matin, il était complet. La patiente a assigné l’anesthésiste et la cliniqueen réparation de son préjudice, notamment sur le fondement d’un manquement du médecin àson obligation d’information. Après avoir relevé que l’intervention chirurgicale a été réalisée enurgence, la cour d’appel a considéré que dans ces conditions, à supposer que l’information sur lerisque de pneumothorax n’ait pas été délivrée à la patiente par l’anesthésiste, ce défaut n’est pas,dans le cadre de l’urgence, constitutif d’une faute62.

L’anesthésiste doit donc informer son patient le plus clairement et fidèlement possible, tout endissipant ses craintes et angoisses, de telle manière qu’il ne refuse pas purement et simplementl’acte nécessaire, ou qu’il ne subisse pas un état de stress qui ne pourrait que lui être préjudiciable.La tâche n’est pas aisée et l’est d’autant moins aujourd’hui que l’anesthésiste doit en outre seménager la preuve qu’il a bien délivré les informations. La jurisprudence de la Cour de cassationest en effet constante sur le fait qu’il appartient au médecin de rapporter la preuve de l’exécutionde cette obligation63. On s’accordera alors sur le fait que cette solution est particulièrement strictepour les praticiens. C’est pourquoi un tempérament lui a été posé : l’absence de délivrance d’une

57 CA Lyon 14 mars 2002 : Juris-data no 2002-170573.58 Voir, par ex., CA Paris 14 septembre 2007 : Juris-data no 2007-344244 (manquent à leur devoir d’information envers

une patiente ayant subi un traitement anticancéreux, le chirurgien et l’anesthésiste qui, avant une intervention sousanesthésie générale pour reconstruction mammaire, ne l’ont pas informée des risques anesthésiques aggravés résultant dela triple chimiothérapie et radiothérapie récemment subies. Les produits utilisés sont connus pour leur effet cardiotoxique,qui peut se produire plusieurs années après).59 CA Paris 3 mars 2000 : Juris-data no 2000-110366 (jugé que si le médecin ne justifie pas en l’espèce d’avoir donné

une telle information, son patient ne caractérise aucune perte de chance d’échapper au risque réalisé dans la mesure oùcelui-ci est inhérent à la pose d’une sonde qualifiée de nécessaire par les experts).60 Voir, par ex., CA Rennes 21 septembre 2005 : Juris-data no 2005-306811 (le médecin a manqué à son devoir

d’information en ne renseignant pas sa malade sur les risques de choc anaphylactique au curare, même exception-nels, non plus que sur la possibilité d’un geste sous anesthésie locale) ; CA Aix-en-Provence 23 juin 2005 : juris-datano 2005-280565.61 CA Paris 8 avril 2005 : Juris-data no 2005-277153 (l’information donnée au patient sur les risques liés à l’opération

doit être d’autant plus complète que l’intervention est de confort et sans nécessité thérapeuthique) ; adde, CA Paris 14septembre 2007.62 CA Aix-en-Provence 28 novembre 2006 : Juris-data no 2006-325103.63 Voir, par ex., Cass. civ. 1re 25 février 1997 : Bull. civ. I, no 75 ; D. 1997, som. p. 319, obs. Penneau ; Gaz. Pal. 1997, I,

274, rapp. Sargos, note Guigue ; Defrénois 1997, p. 751, obs. Aubert ; RTD civ. 1997, p. 434, obs. Jourdain.

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information sur les risques d’une complication exceptionnelle n’emporte pas à elle seule la miseen jeu de la responsabilité de l’anesthésiste ; encore faut-il que les juges recherchent les effetsqu’aurait pu avoir l’information du risque sur le consentement ou le refus du patient64.

L’information dont le praticien est redevable doit porter sur certains points essentiels, telsque : les différentes techniques d’anesthésie peropératoire susceptibles d’être proposées en fonc-tion du cas particulier65 ; les différentes techniques d’analgésie postopératoire disponibles ; lesrisques connus, qu’ils soient de nature exceptionnels ou non, des différentes techniques pro-posées ; les échecs possibles de l’anesthésie locorégionale pouvant conduire à une anesthésiegénérale. L’information porte également sur l’éventualité d’un changement de la technique anes-thésique, justifié par la stratégie chirurgicale ; sur la possibilité de transfusion sanguine en cas dechirurgie potentiellement hémorragique ; les techniques d’épargne transfusionnelle, notammentpar la transfusion autologue différée ; l’adaptation des thérapeutiques en cours pour éviter lesinteractions médicamenteuses indésirables avec l’anesthésie.

Soulignons par ailleurs, que le rôle du médecin anesthésiste n’est pas simplement cantonné àl’information : il doit de surcroît conseiller le patient. Certains patients souhaitent légitimementparticiper au choix du protocole anesthésique et de la technique. Ainsi, le choix du patient peutporter sur une anesthésie générale au lieu d’une anesthésie locorégionale, car ce dernier préféreraitdormir, et ne pas participer au spectacle de l’opération. À l’inverse, d’autres malades préféreraientune anesthésie locorégionale qui leur permettrait d’assouvir leur légitime curiosité concernantl’intervention qu’ils sont amenés à subir, et surtout penser qu’ils pourraient faire face à un danger,s’il se présentait. La peur de l’anesthésie générale est faite de la peur de mourir mais aussi de lapeur de confier complètement sa destinée, une fois inconscient, à une personne que l’on ne connaîtpas et à qui l’on devra accorder une confiance totale. Pour certains, le fait de rester conscientsleur donne l’impression qu’ils contrôlent les acteurs de la salle d’opération.

Le devoir du médecin est alors de tenir compte des désirs du malade et de lui donner satisfactionsi son souhait est compatible avec son intérêt sur le plan médical. Dans le cas contraire, le devoirde conseil impose à l’anesthésiste-réanimateur de privilégier la sécurité du patient plutôt que sonconfort, de lui expliquer avec force et conviction la méthode appropriée à son cas et les raisons pourlesquelles satisfaction ne peut lui être donnée, l’objectif étant d’assurer un parfait déroulementde l’anesthésie.

64 Voir, CA Toulouse 11 février 2008 : Juris-data no 2008-362746 (dès lors qu’elle ne prétend pas ne pas avoir bénéficiéd’une information complète lors de la consultation préanesthésique, une patiente se plaignant de douleurs aux membresinférieurs et d’une incontinence urinaire et anale suite à une anesthésie péridurale, ne peut reprocher un manquementà son obligation d’information et de conseil au praticien qui, informé de ce qu’elle avait déjà présenté des douleursfulgurantes lors d’une arthroscopie du genou en 1988, n’aurait pas renoncé à cet acte) ; CA Aix-en-Provence 23 juin2005 : Juris-data no 2005-280565 (jugé en ce sens qu’il ressort de l’expertise que les troubles présentés en postopératoirepar la patiente (atteinte polyradiculaire) sont en relation directe avec l’anesthésie locorégionale pratiquée mais qu’il s’agitde complications rares. Il n’apparaît pas que la patiente ait été informée du risque de complication exceptionnelle qui estsurvenu. Toutefois, la cour considère qu’elle doit également rechercher les effets qu’auraient pu avoir l’information durisque sur le consentement ou le refus de la patiente. Or la lithiase vésiculaire dont elle souffrait ne pouvait être traitéeautrement que par une intervention chirurgicale impliquant une anesthésie, qu’elle soit générale ou locale. La cour enconclut que l’information sur les complications exceptionnelles de l’une ou l’autre des anesthésies n’aurait pu entraîner unrefus de l’intervention qui a été pratiquée, intervention nécessitant une anesthésie pour traiter la pathologie de la patiente) ;adde, CA Paris 8 avril 2005 : préc. note 61 (le patient qui n’en était pas à sa première opération de chirurgie esthétique,n’apporte pas la preuve qu’il aurait renoncé à l’opération s’il avait connu le risque de syndrome respiratoire, relativementrare dans son cas. Le manquement des médecins à leur obligation d’information n’a donc eu aucune incidence en l’espèce).65 Voir, pour un manquement au devoir d’information du patient en ne l’informant pas du choix de la technique utilisée :

CA Versailles 21 février 1991 : Juris-data no 1991-040864.

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4. La réalisation de l’anesthésie

Les articles D. 6124-93 et suivants du Code de la santé publique traitent de la période dite« de l’anesthésie ». Cette période comporte trois volets relatifs : à l’organisation des programmesopératoires, à la qualité de l’acte d’anesthésie lui-même à l’aide du protocole anesthésique, et auxmoyens nécessaires à la réalisation de cette anesthésie.

4.1. L’organisation des programmes opératoires

L’organisation des programmes opératoires est prévue par l’article D. 6124-93 du Code de lasanté publique : « Le tableau fixant la programmation des interventions est établi conjointement parles médecins réalisant ces interventions, les médecins anesthésistes-réanimateurs concernés et leresponsable de l’organisation du secteur opératoire, en tenant compte notamment des impératifsd’hygiène, de sécurité et d’organisation du fonctionnement du secteur opératoire ainsi que lespossibilités d’accueil en surveillance postinterventionnelle ».

Ces dispositions qui étaient déjà contenues dans les recommandations du Conseil nationalde l’Ordre édictées en mai 1994, et qui étaient préconisés par les auteurs du Haut Comité dela santé publique sur la sécurité anesthésique du 17 novembre 1993, sont d’une importanceextrême. La mauvaise organisation des tableaux opératoires a été à l’origine de nombreux accidentsqui ont donné lieu à diverses décisions de jurisprudence66. Pour pallier de telles difficultés oncomprend que l’organisation centralisée du bloc opératoire s’impose dans un environnementsous pression, où tous les participants aux actes opératoires doivent consentir des abandons desouveraineté dans l’intérêt des malades. En effet, ils doivent coordonner ensemble l’établissementdu programme, car ensemble ils disposent des connaissances et des données permettant le respectdes impératifs d’hygiène et de sécurité. Ils connaissent la nature des interventions et les risquesinfectieux qu’elles comportent en tant que responsables de la stérilisation du bloc et du matérielchirurgical et anesthésique. De même, ils connaissent la durée moyenne des interventions, quipeut varier en fonction de chaque opérateur. Ils savent également que le temps d’occupationdes salles d’opérations est plus grand pour les anesthésistes que pour les chirurgiens, puisquedès l’arrivée du malade il faut tenir compte du délai nécessaire à l’installation des différentsinstruments de monitorage, et à l’induction anesthésique qui doit se dérouler dans le calme etnon sous la pression de la productivité. En outre, à la fin de l’opération, lorsque le chirurgien aterminé, il faut encore assurer les gestes de sécurité du réveil et organiser le transfert du maladepar un personnel compétent en salle de surveillance postinterventionnelle.

En somme, la concertation, désormais obligatoire au sein du bloc opératoire, ne peut queconduire à faciliter les conditions de travail pour les médecins et accroître la sécurité des patients.

Le programme opératoire doit évidemment tenir compte des interventions qui pourraient êtreajoutées du fait de l’entrée de patients en urgence. La gestion de ces urgences doit être définie àl’avance dans l’organisation générale du fonctionnement de l’établissement et du bloc opératoire.

Les interventions ambulatoires n’échappent pas non plus à la bonne organisation du tableauopératoire. En effet, ces interventions exigent une logistique stricte, et pour ce faire, le protocoledoit définir de manière précise les rôles respectifs du chirurgien et de l’anesthésiste-réanimateurdans l’organisation des rendez-vous, du programme, ainsi que dans le suivi du patient pendantl’hospitalisation et après son retour à domicile. Du fait de sa très courte durée de séjour, le

66 Voir, sur la question, G. Barrier et H. Fabre L’anesthésiste-réanimateur face aux juges, éd. 1998, Ellipses, p. 79 et s.

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patient est nécessairement plus encore au centre du fonctionnement de la structure, ce qui imposela présence minimale permanente, dans la structure, d’un médecin qualifié et d’un médecinanesthésiste-réanimateur.

Le patient doit être informé par l’opérateur des suites de l’intervention et des modalités du traite-ment à suivre. Il recoit à sa sortie et avant son départ un bulletin signé par un médecin de la structurequi mentionne l’identité des personnels médicaux ayant participé à l’intervention, et les recom-mandations sur la conduite à tenir en matière de surveillance postopératoire ou anesthésique67.Tout cela explique les contraintes auxquelles anesthésistes-réanimateurs et opérateurs sont expo-sés, obligeant à une stricte observation du règlement intérieur défini en commun, qui précisenotamment le fonctionnement médical général de la structure68 et l’organisation des présences etpermanences des personnels nécessaires à son fonctionnement. Un médecin coordonnateur serachargé de faire respecter ce règlement intérieur69.

En outre, l’article D. 6124-93 du Code de la santé publique implique directement « le respon-sable de l’organisation du secteur opératoire » dans la décision qui doit être prise conjointemententre lui-même, les chirurgiens et les anesthésistes concernant la programmation des interven-tions. Les directeurs des établissements de santé sont donc désormais concernés autant que lesmédecins par l’organisation du tableau opératoire, et sont alors tous responsables d’une bonneorganisation, ou d’un dysfonctionnement. Ainsi, l’acceptation par la panseuse d’un tableau opéra-toire pour des interventions programmées un jour où elle sait qu’elle ne disposera pas du personnelsuffisant pour assurer le fonctionnement de la salle de réveil, ou l’acceptation par un anesthésisteisolé d’un programme simultané dans plusieurs salles d’opération, seront appréciées avec sévéritéen cas d’accident, dans la mesure où il pourra être considéré qu’une obligation de sécurité a étédélibérément violée, ou qu’à tout le moins une faute d’imprudence a été commise.

Rappelons à ce titre qu’il est inscrit dans les recommandations concernant les relationsentre anesthésiste-réanimateur et chirurgien édictées en décembre 2001 par le Conseil natio-nal de l’Ordre, qu’ « on ne saurait imposer au médecin anesthésiste-réanimateur d’entreprendreplusieurs anesthésies simultanément ». Pourtant, dans certains établissements, la pénuried’anesthésistes et d’infirmiers anesthésistes par rapport au volume d’interventions chirurgicalesréalisées impose à l’anesthésiste l’obligation de soigner de manière concomitante plusieurspatients avec tous les risques que cela suppose, d’autant plus que chaque patient dispose d’unprotocole anesthésique qui lui est propre.

4.2. La réalisation de l’anesthésie sur la base d’un protocole

L’analyse de la jurisprudence révèle que les fautes de l’anesthésiste-réanimateur qui peuventsurvenir lors de la conduite de l’anesthésie sont de nature profondément différente. Plusieursespèces peuvent en témoigner. Sans prétendre à l’exhaustivité, il a pu être jugé par exemple qu’enne réalisant pas une injection d’antibiotique avant l’intervention, un anesthésiste a commis unefaute en sous-estimant le risque d’infection postopératoire70 ; de même, un anesthésiste commetune faute dans la phase opératoire en n’utilisant pas l’adrénaline qui aurait permis de rétablir leplus rapidement possible une hémodynamique permettant une perfusion cérébrale optimale afin de

67 Art. D. 6124-304 du CSP.68 Il comportera par exemple les modalités de la sortie concertée du patient.69 Art. D. 6124-308 du CSP.70 CA Rennes 12 avril 2006 : Juris-data no 2006-305153.

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limiter une hypoxie cérébrale71 ; il a également été jugé qu’un anesthésiste a fait un mauvais choixthérapeutique lors d’une intervention chirurgicale, en administrant au patient de la rocéphine,après une rachianesthésie, provoquant chez le patient un choc anaphylactique responsable deson arrêt cardiaque, de son coma et, à terme, de son décès. La prise en charge thérapeutique decet accident opératoire n’a pas comporté, selon les juges, de décisions conformes au traitementpréconisé en pareil cas72 ; la cour d’appel de Paris a enfin considéré que manque à son obligationde donner des soins consciencieux et conformes aux données acquises de la science, l’anesthésistede permanence qui réutilise pour une deuxième intervention chirurgicale un cathéter périduralposé lors d’une intervention ayant eu lieu deux jours avant73. En revanche, si le praticien agitconformément aux données acquises de la science, sa responsabilité ne devrait pas être engagée74.

Une place à part doit toutefois être réservée au geste médical. En la matière, la jurisprudencetend à imposer au praticien une obligation de sécurité de résultat. Le geste maladroit est alorsconstitutif d’une faute75. En ce sens, la cour d’appel de Rouen, dans un arrêt du 19 janvier 2000,a considéré qu’une perforation oculaire lors d’une anesthésie de l’œil pour une opération de lacataracte constitue une lésion d’un organe sain qui ne devait pas être touché. Selon la cour, cetteperforation résulte obligatoirement d’un geste inadéquat et ne peut donc intervenir qu’en raisond’une maladresse ou au moins d’une inexactitude du geste de l’anesthésiste ; par conséquent, lacécité qui en est résulté était bien due à une faute de l’anesthésiste76.

Pour tenter de limiter la survenance d’accidents anesthésiques et dans le but d’une prise encharge optimale du patient, la réglementation prévoit la réalisation et le suivi d’un protocole anes-thésique. L’article D. 6124-94 du Code de la santé publique dispose en effet que « l’anesthésieest réalisée sur la base d’un protocole établi et mis en œuvre sous la responsabilité d’un méde-cin anesthésiste-réanimateur, en tenant compte des résultats de la consultation et de la visitepréanesthésiques mentionnées à l’article D. 6124-92 ».

71 CA Rennes 21 septembre 2005 : Juris-data no 2005-306811.72 CA Bordeaux 10 janvier 2005 : Juris-data no 2005-265041.73 CA Paris 31 janvier 2002 : Juris-data no 2002-167559 ; voir aussi, CA Rennes 10 septembre 2003 : Juris-data no 2003-

235263 (sont déclarés responsables de la cécité de leur patiente les deux médecins anesthésistes intervenus lors d’uneopération de reprise de prothèse du genou très hémorragique qui n’ont pas effectué de mesure d’hémoglobine sur leurmalade alors qu’il existait une forte inadéquation entre les pertes sanguines et le volume restitué de sang autologue. Cettevérification aurait mis en évidence une anémie aiguë qui aurait due être traitée par une transfusion de sang homologue) ; CAPau 5 février 1997 : Juris-data no 1997-040239 (La responsabilité d’un anesthésiste et d’un chirurgien doit être engagéedès lors qu’il est démontré que les praticiens ont administré à un patient du trandate et de la xylocaïne, médicaments quiassociés provoquent des troubles de la conduction cardiaque, et que celui-ci a été victime durant l’opération d’une anoxiecérébrale secondaire à un arrêt cardiaque. Il en ressort que l’accident est la conséquence soit d’une mauvaise coordinationentre les deux médecins, qui leur est imputable à tous les deux, soit d’une méconnaissance, pareillement imputable à tousles deux, des effets conjugués des deux médicaments).74 CA Caen 15 janvier 2002 : Juris-data no 2002-200585 (Les experts n’ayant relevé aucune erreur ni même négligence

à l’égard de l’anesthésiste, eu égard aux données acquises de la science, dans le fait de n’avoir pas intubé ni injectéd’adrénaline lors de l’apparition du choc allergique, mais seulement une vingtaine de minutes après, lors du bronchospasmemanifesté par des convulsions généralisées, sa responsabilité ne saurait être engagée).75 Voir, par ex., Cass. civ. 1re 9 avril 2002 : Bull. civ. I, no 114.76 CA Rouen 19 janvier 2000 : Juris-data no 2000-118176 ; voir, cependant, CA Rouen 14 mai 2003 : Juris-data no 2003-

222182 (jugé en l’espèce que la responsabilité du médecin anesthésiste n’est pas engagée, dès lors que, s’agissant d’uneintubation difficile en raison de la conformation du patient (glotte haute), il y a eu malposition de la sonde et intubationœsophagienne, et que, selon les experts, il s’agit d’un incident relativement fréquent sans conséquence en cas de détectionimmédiate, ce qui a été le cas. Il y a eu retrait immédiat de la sonde et nouvelle intubation, la rupture gastrique ayant étésuturée par le chirurgien, et la poursuite de l’anesthésie s’est déroulée sans incident).

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C’est effectivement l’anesthésiste-réanimateur et lui seul qui établit le protocole anesthésiqueet met en œuvre l’anesthésie sous sa responsabilité. S’il délègue la mise en œuvre de l’anesthésieà un infirmier anesthésiste diplômé d’État, ce ne peut-être que sous sa responsabilité, et en saprésence77.

Le protocole d’anesthésie est un compte rendu écrit qui permet de reconstituer et de minuterl’histoire du malade sous anesthésie. Il doit ainsi comporter la mention des constantes vitalesdu malade (pouls, pression artérielle, oxygénation du sang avant l’induction anesthésique), etlorsque ces éléments sont automatiquement enregistrés, l’enregistrement doit être joint au pro-tocole. Le protocole doit donc mentionner tous les actes réalisés par l’anesthésiste avec l’heureà laquelle ils sont réalisés. Il comprend la mention des injections de médicaments (heure etvoie d’administration, dose, concentration) ; celle des gestes effectués (intubation, voie, taille ettype de la sonde), de l’injection locale ou locorégionale (type de cathéter employé, nature, dose,concentration du ou des médicaments injectés) ; enfin l’évocation d’une réaction du malade à cesprescriptions (urticaire, difficulté respiratoires, vomissements, chute de pression artérielle avecnotion horaire)78.

Le choix du protocole anesthésique et sa mise en œuvre doivent tenir compte des résultats de laconsultation préanesthésique, notamment lorsque le patient signale des antécédents allergiques.Le dossier de consultation préanesthésique doit alors accompagner le malade en salle d’opérationpuisque l’établissement du protocole anesthésique doit tenir compte des renseignements qu’ilcomporte. Ce point est particulièrement important si le médecin qui pratique l’anesthésie n’estpas celui qui a réalisé la consultation. Un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 10 janvier 2005illustre particulièrement bien cette nécessité. En l’espèce, alors qu’un médecin avait préconisé uneanesthésie générale lors de la consultation préanesthésique, le second anesthésiste avait opté pourune rachianesthésie sans élément d’appréciation suffisant, notamment un bilan allergologique.Les juges d’appel ont alors considéré que ce médecin anesthésiste avait fait un mauvais choixthérapeutique en administrant au patient de la rocéphine après la rachianesthésie, provoquant chezle patient un choc anaphylactique responsable de son arrêt cardiaque, de son coma et, à terme, deson décès79.

En cas d’accident ou d’incident anesthésique, chacun peut comprendre que la priorité dumédecin sera d’assurer les soins indispensables à la survie du malade plutôt que de rédiger uncompte rendu extemporané. Cette rédaction devra cependant être effectuée aussi tôt que possible,alors que le souvenir des faits est récent et que tous les protagonistes sont encore présents. En casde procédure judiciaire, les auditions devant les experts ou les magistrats instructeurs se déroulenttoujours plusieurs mois voire plusieurs années après les faits, et les protagonistes retrouvent, grâceau dossier, lorsqu’il est bien tenu, des souvenirs qui la plupart du temps s’étaient estompés. Labonne tenue du dossier fait donc partie d’une gestion prudente du risque médicolégal. Il va sansdire que l’absence de dossier ou un dossier vide ne peut que faire très mauvais effet auprès desexperts judiciaires et des juges.

D’une manière générale, au protocole anesthésique s’ajoutent les moyens nécessaires à laréalisation de l’anesthésie.

77 Voir, infra.78 Voir, G. Barrier et H. Fabre, L’anesthésiste-réanimateur face aux juges, éd. 1998, Ellipses, p. 86.79 CA Bordeaux 10 janvier 2005 (voir supra).

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4.3. Les moyens nécessaires à la réalisation de l’anesthésie

Ces moyens sont, aux termes de l’article D. 6124-94 du Code de la santé publique, d’une partune surveillance clinique continue durant l’anesthésie et, d’autre part, un matériel d’anesthésie etde suppléance adapté au protocole anesthésique retenu.

4.3.1. La surveillance clinique continue durant l’anesthésieCette surveillance incombe au médecin anesthésiste-réanimateur. Il est rappelé dans des

recommandations de la Sfar en date de 1994 concernant la surveillance des patients en coursd’anesthésie que « toute anesthésie générale, locorégionale, sédation intraveineuse doit êtreeffectuée et surveillée par ou en présence d’un médecin anesthésiste-réanimateur qualifié. Sile médecin anesthésiste-réanimateur responsable est amené à quitter transitoirement la salled’opération, il confie la surveillance du patient à un autre médecin anesthésiste-réanimateur,à un médecin anesthésiste-réanimateur en formation ou à un(e) infirmier(e) spécialisé(e) enanesthésie-réanimation ». Le médecin anesthésiste peut en effet être amené à quitter momen-tanément la salle d’opération en laissant le malade sous la surveillance d’un Iade. L’articleR. 4311-12 du Code de la santé publique dispose alors que l’Iade est seul habilité, à condi-tion qu’un médecin anesthésiste-réanimateur puisse intervenir à tout moment, et après qu’unmédecin anesthésiste-réanimateur a examiné le patient et établi le protocole, à appliquer lestechniques de l’anesthésie générale, l’anesthésie locorégionale et réinjections dans le cas oùun dispositif a été mis en place par un médecin anesthésiste-réanimateur, et la réanimationperopératoire.

En tout état de cause, la condition impérative pour que l’Iade puisse intervenir, est que lemédecin anesthésiste-réanimateur soit en mesure de lui apporter son concours à tout moment encas de problème. En effet, l’Iade est et demeure sous la responsabilité du médecin anesthésiste-réanimateur qui lui donne ses prescriptions et qui sera considéré comme responsable de leur bonneexécution. Sur le plan juridique, nous l’avons vu, l’infirmier anesthésiste-réanimateur pourra êtreconsidéré, à cet instant précis, comme « le préposé occasionnel » du médecin anesthésiste dont ilrecoit directement et exclusivement des instructions.

En pratique, on rencontre deux types de circonstances dans lesquelles la responsabilité del’anesthésiste-réanimateur se trouve engagée du fait de cette obligation de surveillance cliniquecontinue durant l’anesthésie. Tout d’abord, se présentent les cas dans lesquels l’anesthésiste estabsent pour une raison ou une autre et n’a pas délégué la surveillance au personnel qualifié80.Ensuite, peuvent survenir des cas dans lesquels l’anesthésiste est présent et manque à son obliga-tion d’attention et de surveillance avec des conséquences diverses. C’est la raison pour laquellela Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 30 mars 2001, a considéré qu’engage sa responsabilitéprofessionnelle l’anesthésiste qui n’a pas assuré une surveillance sérieuse de sa patiente durantl’intervention chirurgicale, par un suivi attentif des valeurs affichées et un recueil continu et suf-

80 Voir, par ex., Cass. crim. 30 octobre 1996 : no 96-80263 (pour un anesthésiste s’étant absenté deux fois de la salled’opération, sans confier la surveillance à une personne qualifiée, la deuxième absence de trois à quatre minutes étantconsidérée comme totalement injustifiée par les juges d’appel) ; Cass. crim. 12 décembre 1991 : no 90-87805 (pour unanesthésiste qui s’était absenté quelques minutes quand l’exécution de l’anesthésie, confiée à un anesthésiste inexpérimentérequérait une vigilance constante en raison des effets dépressifs et vasoplégiants des produits administrés) ; Cass. crim. 16juillet 1987 : no 86-96555 (pour un anesthésiste qui n’était ni présent au début de l’opération, ni pendant son déroulement,ni au début de la phase de réveil, et qu’ainsi, pendant les phases critiques, n’avait pas été à même d’exercer personnellementun contrôle ou une surveillance directe).

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fisamment fréquent des paramètres qui lui auraient donné l’indication immédiate d’une chute deCO2

81.La présence effective et continue du médecin en salle d’opération est considérée comme fon-

damentale, tant il est évident que la machine, le monitorage, les alarmes, peuvent difficilementremplacer l’attention, le coup d’œil, l’expérience, voire même parfois, l’intuition du médecinspécialiste. Par ailleurs, le législateur énumère avec une très grande précision quels doivent êtreles moyens matériels de surveillance clinique continue utilisés durant l’anesthésie. L’article D.6124-95 du Code de la santé publique dispose en effet que « les moyens mentionnés au 1◦ del’article D. 6124-94 permettent d’assurer, pour chaque patient, le contrôle continu du rythmecardiaque et du tracé électrocardioscopique et la surveillance de la pression artérielle, soit noninvasive soit invasive, si l’état du patient l’exige ».

Ce contrôle s’effectue à l’aide d’un électrocardioscope muni d’alarmes de fréquence cardiaque.Il peut être simplement visuel et clinique, ce qui signifie alors qu’une personne compétentedoit rester en permanence au chevet du malade anesthésié. En tout état de cause, lorsque desmodifications importantes surviennent, il est toujours intéressant d’obtenir un enregistrementsur papier, ce qui permet a posteriori d’effectuer une analyse en cas d’accident82. Pour ce quia trait à la surveillance de la pression artérielle, la Sfar recommande un appareil de mesureautomatique de la pression et un oxymètre de pouls. La surveillance de la pression artériellepeut-être continue et enregistrée. Il serait prudent de photocopier l’enregistrement qui peuts’effacer avec le temps. De même, le matériel de surveillance doit être utilisé dès le début del’anesthésie, avant la première injection d’un produit quel qu’il soit. Cela dit, les moyens misen œuvre pour satisfaire à l’exigence d’une surveillance clinique continue ne sont pas suffisants ;encore faut-il également disposer d’un matériel anesthésique et de suppléance adapté au protocoleanesthésique.

4.3.2. Un matériel d’anesthésie et de suppléance adapté au protocole anesthésiqueTous les patients anesthésiés doivent bénéficier du même équipement, qu’ils soient anesthésiés

dans un bloc opératoire ou dans un autre lieu. Ce principe de sécurité s’applique aux maladessubissant un acte diagnostique sous anesthésie, telles que l’endoscopie, la radiologie interven-tionnelle. Il s’applique à tous les malades traités dans des structures d’anesthésie ambulatoire,dans lesquelles l’anesthésiste doit disposer des moyens matériels et humains nécessaires à laréanimation d’une détresse cardiorespiratoire. En outre, l’établissement de santé doit assurerl’acquisition et la maintenance en bon état de fonctionnement du matériel d’anesthésie et desuppléance nécessaire pour réaliser les anesthésies dans des conditions de sécurité normale, etcela conformément aux dispositions générales. Cette obligation pesant sur l’établissement est,la plupart du temps, inscrite dans les contrats d’exercice signés avec les médecins anesthésistes-réanimateurs.

L’Iade est responsable de la gestion des médicaments anesthésiques comme nous l’avons vuprécédemment, et doit veiller par là-même à ce que le remplacement des médicaments utilisés soiteffectué quotidiennement, à ce que les délais de péremption des médicaments soient respectés et

81 CA Paris 30 mars 2001 : Juris-data no 143169 ; voir aussi, CA Rennes 5 mars 2008 : Juris-data no 2008-362505 (pourun anesthésiste qui n’a pas tenu compte de la durée (6 heures) de l’intervention et de la posture genu-pectorale de lapatiente durant celle-ci. Il aurait dû prévoir un remplissage peropératoire plus approprié et réaliser de manière régulièreet répétée des dosages biologiques pour évaluer l’insuffisance rénale).82 Dans ses recommandations de 1994, la Sfar préconise d’ailleurs un moniteur ECG, c’est-à-dire avec possibilité

d’enregistrement, et non pas seulement un scope.

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à ce que la salle d’opération soit approvisionnée en matériel à usage unique. Enfin, il doit vérifierle bon état de marche du matériel d’intubation83.

La liste du matériel nécessaire à la pratique de l’anesthésie dans un établissement est men-tionnée très précisément à l’article D. 6124-96 du Code de la santé publique. Ces moyenspermettent d’assurer pour chaque patient l’arrivée de fluides médicaux et l’aspiration par le vide,l’administration de gaz et de vapeurs anesthésiques, et enfin l’anesthésie et son entretien.

La Sfar recommande alors une surveillance particulière de l’appareillage d’anesthésie : unmanomètre de pression d’alimentation en oxygène est connecté à l’appareil d’anesthésie ou àsa conduite d’alimentation ; un analyseur d’oxygène avec alarme sonore de concentration basseest relié au circuit anesthésique. La multiplication des alarmes sonores en salle d’opération estune question difficile, car elle est source de bruit qui indispose les opérateurs lorsqu’elle est tropintense. L’anesthésiste devra donc régler ses alarmes assez bas pour ne pas gêner le chirurgien.

L’intubation trachéale est listée au 4◦ de l’article D. 6124-96. Aucune induction anesthésiquene doit être commencée avant que tout le matériel d’intubation nécessaire en fonction des éven-tuelles difficultés d’intubation prévisibles ait été vérifié, préparé et soit immédiatement prêt àl’emploi. Une double vérification par l’Iade chargé de la maintenance quotidienne de ce maté-riel et par le médecin qui fera l’induction anesthésique est souhaitable. Immédiatement aprèsl’intubation, la position de la sonde doit être vérifiée par l’auscultation pulmonaire bilatérale84,et vérifiée de nouveau après chaque mobilisation du malade. Si la moindre modification cliniqueest observée (modification du rythme ou de l’amplitude respiratoire, hypersialorrhée, tentativesde vomissements), une nouvelle vérification s’impose car la sonde d’intubation trachéale peutbouger en cours d’intervention. Ce peut-être le cas dans la chirurgie de la tête et du cou où l’accèsà la face du malade est difficile, ou encore dans la chirurgie du rachis où l’opéré est placé endécubitus ventral.

Le 5◦ du même article ajoute la ventilation artificielle et le 6◦ le contrôle continu du débit del’oxygène administré, de la teneur en oxygène du mélange gazeux inhalé, de la saturation du sangen oxygène, des pressions et débits ventilatoires, ainsi que de la concentration en gaz carboniqueexpiré lorsque le patient est intubé.

Dans ses recommandations de 1994, la Sfar précise qu’ « en cours d’anesthésie, l’oxygénation,la ventilation, la circulation, ainsi que la profondeur de l’anesthésie sont constamment surveilléeset les données de la surveillance notées sur la feuille d’anesthésie [. . .]. La surveillance de laventilation repose sur l’observation clinique (fréquence, amplitude et symétrie de l’expansionthoracique, mouvements du ballon, auscultation) et l’utilisation de méthodes instrumentales ».Le monitorage par des méthodes instrumentales ne dispense pas, en effet, de la simple observationdu malade, qui donne souvent des renseignements inappréciables et précoces. Les instruments demonitorage doivent aider l’anesthésiste qui interprète leurs données, mais ils ne le remplacent pas.Il serait illusoire de penser que l’on puisse s’absenter de la salle d’opération parce que le malade estmonitoré. La Sfar recommande aussi un capnographe qui permet une alerte rapide de l’anesthésisteen cas de perturbations ventilatoires. Le branchement systématique de ce capnographe en casd’utilisation d’anesthésiques halogénés permettra de déceler précocement un des symptômes del’hyperthermie maligne, et de démontrer que tous les moyens ont été mis en œuvre pour décelerla complication et y porter précocement remède.

83 Recommandation de la Sfar, 1994.84 Voir, pour une illustration, CA Rouen 14 mai 2003 : Juris-data no 2003-222182 (jugé en l’espèce que l’anesthésiste a

procédé au contrôle de la mise en place de la sonde, par auscultation des deux champs pulmonaires droit et gauche, quiest une technique usuelle et normalement enseignée).

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D’une manière générale, il est du devoir et de la responsabilité du médecin anesthésiste, s’ilconstate que l’établissement de santé dans lequel il exerce ne met pas à sa disposition et à celledes patients anesthésiés le matériel prévu à l’article D. 6124-96 du Code de la santé publique, del’exiger par écrit et d’alerter la commission médicale d’établissement (CME). Ce devoir s’imposed’ailleurs aux chirurgiens, dans la mesure où la sécurité de leurs patients est compromise.

Les devoirs de l’anesthésiste envers son patient ne s’arrêtent pas une fois l’opération menéeà son terme. La surveillance postopératoire est une étape fondamentale pour garantir au patientla meilleure sécurité possible. Or, de nombreux accidents anesthésiques sont, hélas, dus à unmanquement de l’anesthésiste-réanimateur lors de cette période critique.

5. Après l’intervention

L’accent est mis sur « la surveillance postinterventionnelle » qui traduit la nécessité de fairebénéficier tous les patients d’une surveillance de même qualité, qu’ils soient conscients ounon. Les malades ayant recu une anesthésie locorégionale bénéficient ainsi d’une surveillancepostopératoire au même titre que ceux ayant recu une anesthésie générale. Cette précisionmérite d’être apportée car l’on serait tenté de penser que l’expression courante « salle de réveil »concerne seulement les patients ayant bénéficié d’une anesthésie générale, alors inconscients etnécessitant une surveillance, ce qui n’est évidemment pas le cas. Ainsi, aux termes de l’articleD. 6124-97 du Code de la santé publique, « la surveillance continue postinterventionnelle [. . .]a pour objet de contrôler » non seulement « les effets résiduels des médicaments anesthésiqueset leur élimination », mais aussi de « de faire face, en tenant compte de l’état de santé du patient,aux complications éventuelles liées à l’intervention ou à l’anesthésie ». Il restera à étudier lasurveillance postinterventionnelle et la décision de sortie de la salle de réveil.

5.1. Le contrôle des effets résiduels des médicaments anesthésiques

Afin de contrôler les « effets résiduels des médicaments anesthésiques » qu’il utilise et d’assurerleur élimination, à l’occasion de la surveillance, le médecin doit connaître la pharmacologie de cesderniers, leurs effets secondaires et leur durée d’action. Cela passe évidemment par l’entretien etle perfectionnement de ses connaissances85. Aussi, des actions de formation continue sont-ellesprogrammées à cet effet, ainsi que des conférences de consensus de facon à homogénéiser lespratiques. De nombreux cas d’espèce montrent une méconnaissance par le médecin des effetssecondaires d’un produit analgésique morphinique de longue durée d’action, administré en salled’opération, ou des effets résiduels d’un curare, qui a conduit à des accidents de réveil dus àune dépression respiratoire tardive non contrôlée86. Aussi la jurisprudence ne manque-t-elle pas

85 Le Code de la santé publique relatif à la déontologie du médecin, en fait même un devoir en son article R. 4127-11 : « Tout médecin doit entretenir et perfectionner ses connaissances ; il doit prendre toutes dispositions nécessaires pourparticiper à des actions de formation continue. [. . .] »86 Ainsi, la Cour de cassation a estimé que la responsabilité de l’anesthésiste avait été à juste titre retenue par la

cour d’appel de Versailles, dès lors qu’une patiente opérée sous anesthésie générale à l’aide d’un produit anesthésiant« présentant des caractéristiques et risques déjà notoires en 1983 » n’avait pas bénéficié après son réveil dans la salled’opération d’une surveillance particulière en salle de réanimation dans l’attente de son transfert dans une chambre. Ila été considéré que « l’anesthésiste ne pouvant méconnaître les risques notoires du produit anesthésiant utilisé, devaitprendre les précautions utiles à la prévention de ces risques. Le recours à une technique relativement récente lui imposantde ne pas laisser sans surveillance sa patiente après des vérifications sommaires et inadaptées » Cette patiente fut victimed’un arrêt cardiorespiratoire ayant laissé de graves séquelles : Voir Cass. 1re civ., 9 décembre 1992 : no 12-697.

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d’insister sur le fait que l’anesthésiste, en raison de sa compétence et de sa spécialité, doit êtreapte à mesurer les risques des produits qu’il emploie, et doit donc faire preuve de vigilance.

Un arrêt de la cour d’appel de Rennes87 illustre d’ailleurs bien la difficulté de l’anesthésiste àapprécier la durée d’action de certains médicaments qu’il est amené à employer, qui peut du reste,être insuffisante par rapport au temps jugé nécessaire pour une opération. Aussi, celui-ci a été jugéresponsable des complications subies par la patiente au motif qu’il « n’a pas tenu compte de ladurée (6 heures) de l’intervention et de la posture genu-pectorale de la patiente durant celle-ci.Il aurait dû prévoir un remplissage plus approprié et réaliser de manière régulière et répétée desdosages biologiques pour évaluer l’insuffisance rénale ».

Par ailleurs, il va sans dire que la maîtrise des effets des médicaments anesthésiques passeaussi par la connaissance du praticien des autres traitements que prend un patient. À défaut, lesconséquences peuvent être graves et irréversibles pour le malade. Un cas d’espèce88 reflète toutà fait les effets de l’absence d’information du médecin sur la prise de médicaments d’un patient.Il s’agit d’un médecin anesthésiste qui a été jugé responsable de la paraplégie dont sa patienteest restée atteinte à la suite d’un double bloc épidural réalisé pour traiter des lombosciatalgies.Les séquelles neurologiques sont imputables à un hématome péridural causé par le cathéter dansl’espace péridural alors que la patiente était sous anticoagulant, circonstance ignorée du méde-cin ; l’indication d’un double bloc péridural était donc contre indiquée en raison de la prise detels médicaments et également en raison de l’état antérieur de la patiente, notamment de plusieursphlébites. La cour d’appel de Paris a alors considéré que « le médecin anesthésiste, s’il lui ademandé d’arrêter de prendre des médicaments, ne lui a pas spécifiquement posé de questionsau sujet de cette prise d’anticoagulants, il ne lui a pas demandé de facon explicite la nature desmédicaments qu’elle prenait avant son hospitalisation ». La responsabilité du médecin anesthé-siste peut donc être engagée lorsque celui-ci ne surveille pas attentivement le patient, et ne metpas tout en œuvre pour contrôler les effets des médicaments anesthésiques lors de cette phasepostinterventionnelle.

A contrario, certaines décisions refusent de condamner l’anesthésiste, notamment en casd’accident postopératoire, lorsque ce dernier a pris toutes les précautions, et a respecté son obliga-tion de moyens89. Il en est ainsi d’une décision de la cour d’appel de Paris90 qui retient qu’aucunefaute de surveillance postopératoire ne peut être retenue à l’égard du médecin anesthésiste dansla mesure où « les premiers signes de sueurs et d’hypertonie du patient ont été interprétés pour

87 CA Rennes 5 mars 2008 : Juris-data no 362505.88 CA Paris 19 juin 2003 : Juris-data no 224283.89 Voir Cass. 1re civ., 16 mars 1994 n◦92-16167. (Une patiente présente une embolie gazeuse à la suite d’une cœlioscopie

après son retour en chambre le 17 novembre 1982. La cour d’appel a mis hors de cause le gynécologue et l’anesthésisteet la Cour de cassation rejette le pourvoi de la famille de la patiente décédée. En ce qui concerne le gynécologue, la Courde cassation décide qu’il n’avait pas l’obligation d’informer la patiente du risque d’embolie gazeuse après cœlioscopieétant « extrêmement courante et adaptée dans des cas semblables, et son utilisation n’étant pas considérée comme unacte particulièrement dangereux. . .embolie gazeuse 1,3 pour 1000 interventions. . . l’indication était justifiée ». En ce quiconcerne l’anesthésiste, il est tenu de surveiller le patient jusqu’à la reprise de ses fonctions vitales, et les plaignants luireprochaient d’avoir laissé la patiente sous surveillance d’une infirmière, laquelle s’était elle-même absentée confiant lapatiente à une aide-soignante. La Cour retient ainsi que « cette patiente avait manifesté des signes nets de réveil à la finde son séjour en salle de réveil, justifiant son transfert dans sa chambre. Elle n’avait jamais été seule dans celle-ci, l’aidesoignante avait parfaitement reconnu les signes très brutaux de la défaillance cardiorespiratoire. Son appel à l’infirmièreet au médecin anesthésiste avait été immédiat et les gestes nécessaires avaient été réalisés : la cour d’appel a pu en déduireque ce praticien et l’équipe médicale de la clinique avaient prodigué tous les soins attentifs et les diligences que l’état dela patiente imposait »).90 CA 15 septembre 2000 : Juris-data n◦122061.

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une possible hypoglycémie par le médecin anesthésiste, éléments insuffisants pour diagnostiquerune embolie gazeuse ».

L’efficacité d’une surveillance postopératoire ne peut être garantie que si elle est conduite deconcert par le chirurgien et l’anesthésiste, qui luttent alors ensemble contre les complications liéesà l’intervention ou à l’anesthésie susceptibles d’intervenir durant cette phase délicate.

5.2. La lutte contre les complications éventuelles liées à l’intervention ou à l’anesthésie

L’article D. 6124-97 précité envisage en son alinéa 1er la responsabilité de l’anesthésisteet celle du chirurgien, qui doivent être attentifs à l’état du patient durant toute cette périodepostinterventionnelle91. En effet, il prend en compte les complications liées à l’interventionou à l’anesthésie (communément appelées complications postchirurgicales ou complicationspostanesthésiques) qui peuvent se présenter lors de cette phase postopératoire.

Un arrêt de la cour d’appel de Rennes92 révèle d’ailleurs bien les risques de complicationsliées à l’intervention qui peuvent se présenter lors de cette période et qui requiert de ce fait toutel’attention du médecin anesthésiste-réanimateur. Ainsi, la cour d’appel retient que le médecinchargé de l’anesthésie générale d’un patient, lors d’une intervention chirurgicale complexe etlongue de huit heures, est responsable du préjudice de ce dernier, en raison du fait qu’ « il a tardéà diagnostiquer la complication postopératoire dite du syndrome des loges par compression desmasses musculaires ». « Il a privé son malade d’une chance de subir une intervention rapide etefficace réparatrice des dommages causés à sa jambe droite », ce qui aurait pu être évité s’il avaitfait preuve de plus de vigilance lors de cette surveillance postinterventionnelle.

L’affaire Farcat évoquée ci-dessus, illustre d’ailleurs bien, cette obligation de surveillancepostopératoire qui incombe à la fois au chirurgien et à l’anesthésiste. En effet, la Cour de cassationrappelle dans son attendu du 30 mai 1986, que si chacun est maître dans sa spécialité, le chirurgienn’est pas pour autant dégagé de toute obligation de prudence et de diligence à l’occasion du réveilpuisqu’il reste concerné de toute complication éventuelle liée à son acte chirurgicale93.

Un arrêt de la cour d’appel de Paris 94vient corroborer ce principe et retient ainsi que « sontresponsables de l’accident, par négligence fautive dans la surveillance postopératoire, le chi-rurgien et l’anesthésiste, dès lors que le patient avait ressenti un essoufflement le lendemain del’opération, constaté par le personnel soignant. L’essoufflement est un effet caractéristique dela suspicion d’embolie pulmonaire et les médecins auraient dû procéder à un interrogatoire dupatient et à des examens approfondis permettant de déceler l’embolie, l’embolie pulmonaire étantun accident postopératoire non rare dans la chirurgie des varices et la dyspnée étant un symptômeclassique de l’embolie pulmonaire, ce que le chirurgien ne pouvait ignorer ».

De même un autre arrêt de la cour d’appel de Rouen95 a pu décider, en se fondant sur lesconclusions des experts, que « les soins postopératoires, tant de l’opérateur que l’anesthésiste,

91 Voir article D. 6124-97 al. 1 du CSP « [. . .] Faire face en tenant compté de l’état de santé du patient aux complicationséventuelles liées à l’intervention ou à l’anesthésie [. . .] ».92 CA Rennes 5 janvier 2000 : Juris-data no 110419.93 Voir également à ce sujet les Recommandations concernant les relations entre anesthésistes-réanimateurs et chirur-

giens, autres spécialistes ou professionnels de santé du Conseil national de l’Ordre des médecins, Sfar, décembre 2001,disponible sur le site de la Sfar : www.sfar.org/t/ : « [. . .] Le suivi de l’opéré en salle de surveillance postinterventionnelleest réalisé sous la surveillance conjointe du chirurgien (ou du spécialiste concerné) et de l’anesthésiste réanimateur [. . .] ».94 CA Paris 23 mars 2001 : Juris-data no 141016.95 CA Rouen 15 novembre 2005 : Juris-data no 298985.

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ont été négligents et non-conformes aux données acquises de la science médicale ». La courd’appel insiste donc, là aussi, sur le fait que l’obligation de surveillance incombe à la fois àl’anesthésiste et au chirurgien. Elle reproche plus particulièrement à l’anesthésiste « de ne pasêtre passé voir le patient en postopératoire avant le cinquième jour, de ne pas avoir jugé son étatsur des critères cliniques, dans l’attente des critères biologiques, de ne pas avoir fait pratiquer deprélèvements dans les drains de Redon à fins d’hémoculture, et de ne pas avoir placé le patient,dès l’apparition de la fièvre, sous antibiothérapie ».

Cette lutte contre les complications éventuelles liées à l’intervention ou à l’anesthésie passe parun véritable suivi personnel dans la surveillance postinterventionnelle, de la part du spécialiste.

L’arrêt de la cour d’appel de Paris mentionné précédemment est attaché à cette obliga-tion et n’hésite pas à retenir à juste titre la responsabilité de l’anesthésiste lorsque celui-cia fait preuve de négligence, notamment dans le suivi opératoire. Dans cette affaire, onpeut relever que « des troubles de la motricité apparus après le premier bloc opératoireque le médecin anesthésiste a réalisé pour traiter des lombosciatalgies dont souffrait sapatiente, auraient dû attirer son attention sur une éventuelle complication. Le retard apportéà l’évacuation de l’hématome fut cause de séquelles neurologiques définitives » pour cettedernière.

Néanmoins, il est difficilement possible d’exiger de la part de l’anesthésiste et du chirurgien uneprésence personnelle et continue auprès du patient, en salle de réveil, et encore moins lors de sonretour en chambre. Aussi, il est important de rappeler qu’outre la disponibilité de l’anesthésiste encas de nécessité, ce dernier ou le chirurgien doit laisser au personnel qui a en charge la surveillancedu patient (en salle de réveil ou après le retour en chambre), des prescriptions précises et écritesafin d’assurer sa sécurité96. Dès lors, à l’aide de ces prescriptions, le personnel sera en mesurede déceler une complication lors de la surveillance postopératoire ; il pourra également réagircomme il se doit et le cas échéant, faire appel au médecin dans les délais permettant d’éviter unecatastrophe.

La jurisprudence fait état de la négligence ou d’erreurs du praticien liées à l’absence ou àl’imprécision de transmission de prescriptions de sa part au personnel chargé de surveiller lepatient97, susceptible d’engager ainsi sa responsabilité lorsqu’un accident arrive au cours de lasurveillance postopératoire. En ce sens, on relèvera un arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provencequi a retenu la responsabilité de l’anesthésiste-réanimateur ayant réceptionné un patient agité

96 « [. . .] L’anesthésiste réanimateur devra préciser par écrit la nature et le rythme des actes de soins et de surveillanceordonnés. Les prescriptions du chirurgien concernant la période postopératoire immédiate, telles que la surveillance desdrains, de la plaie opératoire, des aspirations. . .doivent figurer par écrit sur le même document qui sera versé au dossiermédical du patient. [. . .] ».97 Voir Cass. crim. 1er avril 2008 : n◦07-81509, Il s’agit d’une enfant âgée de trois ans qui a subi dans la matinée du 19

octobre 2000 une ablation des amygdales et des végétations. Au cours de la soirée elle a été victime d’un œdème cérébralet décède le 20 octobre 2000. L’enquête, puis l’information ouverte sur la plainte avec constitution de partie civile desa mère, ont permis d’établir que l’enfant avait été victime d’une intoxication à l’eau, provoquée par la perfusion, le 19octobre 2000, à partir de quinze heures, du contenu de deux poches de 500 millilitres chacune d’une solution isotoniquede sérum glucose à 5 % ; que l’infirmière qui a mis en place cette perfusion, a expliqué qu’elle croyait ainsi exécuterla prescription « Perf. = GV » inscrite sur la feuille de réanimation postopératoire par l’anesthésiste-réanimateur, selonlequel les lettres « GV » signifiaient en réalité « garder la veine ». La Cour de cassation approuve la décision de l’arrêt quiretient la responsabilité pénale du médecin anesthésiste pour homicide involontaire, en ce qu’il « n’a pas formulé avectoute la clarté indispensable, sa prescription relative à la perfusion, alors qu’il n’ignorait ni le danger de l’administrationà un jeune enfant de solutions de sérum glucose à 5 %, ni les obligations résultant du décret relatif à l’exercice de laprofession d’infirmier alors en vigueur, selon lequel l’infirmière ne pouvait accomplir ce type d’acte qu’en exécutiond’une prescription écrite, qualitative et quantitative du médecin ».

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à son arrivée en soins intensifs, pour n’avoir pas transmis de consignes écrites à l’anesthésisted’astreinte pendant la nuit98.

De même, dans une espèce récente, la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est pronon-cée en ce sens qu’ « un médecin anesthésiste-réanimateur commet une faute caractérisée lorsqu’ilne donne pas aux infirmières des instructions suffisantes pour surveiller l’évolution de l’état d’unenfant ayant présenté des saignements importants à la suite d’une amygdalectomie, ce qui aconduit à sous-évaluer l’ampleur de l’hémorragie et contribué au décès du patient par arrêtcardiaque lors de l’anesthésie préalable à la tentative d’hémostase »99.

C’est dire combien la transmission de prescriptions précises au personnel chargé de la sur-veillance du patient est déterminante de la bonne exécution de cette phase postinterventionnelle.Mais cela n’est pas suffisant, dans la mesure où la durée de la surveillance postinterventionnellepeut être également décisive quant à l’état de santé du patient. En effet, l’anesthésiste-réanimateurdoit être prudent tout au long de cette phase postopératoire et doit savoir apprécier la durée quinécessite son attention.

5.3. La surveillance postérieure au transfert

Le législateur insiste sur le caractère continu, permanent, que doit revêtir la surveillance dupatient dès la fin de l’intervention et de l’anesthésie. Par conséquent, l’article D. 6124-97 du CSPdispose en son alinéa 2e et 3e que « la surveillance (continue postinterventionnelle) commenceen salle d’opération et ne s’interrompt pas pendant le transfert du patient ». Ces précisions sontpleinement justifiées au regard des accidents100 qui peuvent se produire durant les quelquesminutes nécessaires pour transporter le patient de la salle d’opération vers la salle de réveil oul’unité de réanimation, ou tout simplement vers sa chambre lorsqu’il n’y pas eu de passage ensalle de réveil ou que celui-ci a été écourté.

On relèvera par exemple le cas d’une victime qui se fait opérer pour une ablation des dents desagesse sous anesthésie générale, et décède des suites d’un accident postanesthésique survenu lemême jour. La surveillance dont elle a fait l’objet dans les étages une fois sortie de salle de réveiln’a pas permis de détecter sa défaillance respiratoire. Il est établi que le médecin anesthésiste encharge de la surveillance de son patient en postopératoire a décidé son retour dans sa chambreaprès un séjour de 30 minutes en salle de réveil. Sa décision d’ordonner le retour dans sa chambrea été motivée par le seul souci d’apporter à son patient un plus grand confort. Cependant, sil’état de réveil de la victime lui paraissait acquis, le médecin anesthésiste ne pouvait exclurel’éventualité d’un ré-endormissement tenant à l’association du produit morphinique et du produitde la famille des benzodiazépines qu’il avait utilisé. En outre, aucun document enregistré n’apermis de vérifier qu’il se soit assuré de la saturation artérielle en oxygène présentée par sonpatient avant sa sortie de la salle de réveil. La cour d’appel de Paris a donc engagé sa responsabilitéen précisant que le praticien « a donc délibérément choisi de privilégier le confort de son patientau détriment de la sécurité que le malade était en droit d’attendre de lui et que lui garantissait

98 CA Aix en Provence 18 juin 2002 : Juris-data no 186110.99 Cass.crim. 13 février 2007 : no 06-82202.

100 Un arrêt plus original retient la responsabilité in solidum « d’un anesthésiste pour défaut de surveillance du patient etcelle d’un établissement de soins pour manquement à son obligation de sécurité, dans le cas où un patient venant d’êtreopéré a ensuite présenté des signes d’agitation sévères et fugué avant d’être retrouvé le lendemain porteur d’une infectionnosocomiale. Il importait en effet à la clinique de surveiller ce patient très attentivement et à l’anesthésiste d’adapter sesprescriptions à l’état inquiet du patient » : CA Riom 17 avril 2003 : Juris-data no 217922.

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son maintien en salle de réveil, maintien recommandé par la pratique et auquel aucun obstacle nes’opposait »101.

De même, la cour d’appel de Toulouse102 a retenu la responsabilité de l’anesthésiste pourdéfaut de surveillance permanente d’un patient en salle de réveil. En effet, « une surveillanceconstante aurait permis de traiter dès son apparition la complication postopératoire, à savoirl’arrêt cardiaque, les premières minutes jouant un rôle primordial dans ce genre de complication ».Mais elle relève également la responsabilité de la clinique, pour moitié du préjudice, en ce qu’ellen’a pas mis à la disposition du médecin anesthésiste « tous les moyens en personnel indispensablespour lui permettre d’assurer une surveillance continue ».

La Sfar, au moyen de ses recommandations, n’hésite pas à préciser l’importance de la sur-veillance postopératoire et insiste sur le fait que « pendant son transfert de la salle d’interventionvers la salle de réveil ou l’unité de réanimation, le patient » doit « être accompagné du médecinqui a pratiqué l’anesthésie ou d’un infirmier spécialisé en anesthésie. En cours de transport,une surveillance constante et des soins appropriés » doivent « être assurés ». Un dispositifd’oxygénothérapie mobile, un oxymètre de pouls et un moniteur ECG doivent être disponibles sil’état du patient, le type d’acte effectué et/ou la longueur du trajet l’imposent »103.

D’autre part, l’article D. 6124-97 du Code de la santé publique, en son dernier alinéa, pré-cise que la surveillance « se poursuit jusqu’au retour et au maintien de l’autonomie respiratoiredu patient »104. C’est ainsi que la cour d’appel de Toulouse105 vient corroborer ce principed’obligation de surveillance permanente de l’anesthésiste-réanimateur, dans un arrêt qui rap-pelle que celui-ci « doit assurer une surveillance continue postopérationnelle qui commence ensalle dès la fin de l’intervention et se poursuit jusqu’au maintien de l’autonomie respiratoire dupatient. Le médecin anesthésiste a commis une faute d’imprudence dès lors qu’à la suite d’unincident survenu en salle de réveil à une patiente obèse victime d’une hypoventilation suivie d’unaccident cardiaque puis d’un coma dont elle n’est pas sortie, ce dernier a pratiqué une extubationsur cette patiente obèse insuffisamment réveillée puis a quitté immédiatement la salle de réveil,alors qu’il aurait dû rester au chevet de cette dernière dont le risque respiratoire était majoré parl’obésité ».

Cet article précise, en outre, que cette surveillance doit se poursuivre jusqu’au retour del’ « équilibre circulatoire et de la récupération neurologique » du patient. Le médecin anesthé-siste doit donc non seulement rester vigilant quant à la pression artérielle, au pouls, à la poursuitedes perfusions posées en salle d’opération, mais aussi aux pertes sanguines qui doivent être sur-veillées de manière stricte, et appréciées sur le plan des quantités en même temps qu’est fait unbilan liquidien en salle de réveil. Un arrêt fait mention de ce devoir de vérification de l’évolutiondu taux d’hémoglobine par l’anesthésiste–réanimateur, lequel relève alors de son obligation desoins attentifs et consciencieux envers le patient, au cours du suivi postopératoire. La cour d’appelde Pau106 a ainsi décidé que « le suivi postopératoire assuré par l’anesthésiste a été insuffisant àl’égard du patient qui, opéré d’une adénectomie prostatique, a été atteint d’une cécité définitive.

101 CA Paris 14 septembre 2006 : Juris-data no 335472.102 CA Toulouse, 2 mai 2005 : Juris-data no 281343.103 Cité par G. Barrier et H. Fabre in L’anesthésiste-réanimateur face aux juges, p. 107.104 Ibid., « D’une manière générale l’autonomie respiratoire s’évalue sur l’aspect clinique, l’amplitude des mouvementsrespiratoires, la coloration cutanée l’auscultation bilatérale, mais aussi sur les résultats du monitorage en salle de réveilet en particulier sur la saturation oxyhémoglobinée ».105 CA Toulouse, 2 mai 2005 : Juris-data no 281343.106 CA Pau 5 février 2007 : Juris-data 326564.

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Le patient présentait une anémie le lendemain de l’opération, la prudence commandait donc devérifier le taux d’hémoglobine circulante au troisième jour de l’opération. [. . .] En occultant lessaignements distillant, les spasmes, les ballonnements et les pertes urinaires et en ne contrôlantpas l’évolution de l’anémie, l’anesthésiste a manqué à son devoir de prudence et de surveillance.En présence d’un état circulatoire et neurologique non restauré du patient âgé de 74 ans et deses antécédents d’hypertension, il aurait dû prodiguer des soins plus attentifs et faire contrôlerl’évolution de l’anémie, quitte à prolonger d’un jour ou deux la durée des perfusions ».

La durée de séjour en salle de réveil est variable selon les patients107. Personne ne peut en effet« codifier » la durée obligatoire du passage des patients en salle de réveil car chaque cas est un casparticulier. L’anesthésiste qui surveille et examine le patient est le mieux placé pour apprécier lemoment où il peut être reconduit dans sa chambre. Parfois il se trompe, apprécie mal la qualité duréveil du malade et décide prématurément sa sortie de la salle de réveil, d’où certains accidents,hélas, souvent graves, qui ont pu survenir.

5.4. La décision de sortie de la salle de réveil

La Sfar dans une de ses recommandations mentionne que « la sortie du patient en salle de réveilne peut être décidée que par le médecin anesthésiste-réanimateur après un examen de l’état deconscience et des fonctions vitales de l’opéré ». En principe, la sortie de la salle de réveil doitcorrespondre avec le moment où la sécurité du patient ne requiert plus une surveillance continuepostinterventionnelle et où il peut donc regagner sa chambre où la surveillance infirmière seraréelle mais intermittente. Cette surveillance se fait conformément aux prescriptions que laisserale médecin lequel devra être joint au moindre problème.

Pour ce qui est d’une anesthésie traditionnelle, « c’est le médecin anesthésiste-réanimateur quidécide du transfert du patient dans le secteur d’hospitalisation et des modalités dudit transfert »,conformément à l’avant dernier alinéa de l’article D. 6124-101 du CSP. L’anesthésiste est doncinvesti de l’autorité absolue quant à la décision de sortie de la salle de réveil en cas d’anesthésieclassique. Il n’empêche que ce dernier n’est pas à l’abri d’engager sa responsabilité pour défautde surveillance postopératoire lorsque sa décision prématurée de sortie de la salle de réveil acausé un préjudice au patient. Il en est ainsi dans une affaire108 mentionnée précédemment oùl’anesthésiste-réanimateur a « délibérément choisi de privilégier le confort de son patient audétriment de la sécurité qu’il était en droit d’attendre d’elle et qu’il garantissait son maintien ensalle de réveil, maintien recommandé par la pratique et auquel aucun obstacle ne s’opposait ».

Toujours dans cette occurrence, un autre arrêt de la cour d’appel de Rennes a décidé que lemédecin anesthésiste-réanimateur est responsable in solidum avec la clinique d’une complicationpostpératoire dite du « syndrome des loges par compressions des masses musculaires » diagnosti-quée tardivement. Selon les juges, « en donnant au patient l’autorisation de sortir de la cliniquele lendemain de l’intervention sans le revoir durant 11 jours, il est à l’origine, conjointement avecle centre de rééducation fonctionnelle, d’un retard fautif ayant privé son malade d’une chance desubir une intervention rapide et efficace réparatrice des dommages causés à sa jambe droite. Eneffet, en cas de syndrome des loges, la libération des masses musculaires par aponévrotomie dedécharge doit intervenir dans un délai très court de 6 à 8 h suivant l’intervention, sous peine de

107 Voir, G. Barrier et H. Fabre, L’anesthésiste-réanimateur face aux juges, p. 110 : « La durée du séjour en salle de réveildépend de l’état du patient, de l’anesthésie, de l’intervention et de ses suites ».108 Voir, préc. note no 109.

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causer des dégâts irréversibles. Le médecin anesthésiste ne pouvait ignorer cette complication,même exceptionnelle, surtout chez un sujet présentant une morphologie particulière en raisond’une affection osseuse congénitale dite pychodysostose ».

Enfin, un autre arrêt109 illustre bien la faute de l’anesthésiste-réanimateur en matière dedécision de sortie prématurée. Ainsi, les Hauts magistrats ont estimé qu’un médecin anesthésiste-réanimateur est responsable d’un défaut de surveillance dès lors qu’un patient qui avait subi aucours d’une coloscopie une perforation au niveau de l’anastomose colorectale, « avait souffertdès son réveil de douleurs dont il s’est plaint, [. . .]que ces douleurs auraient dû alerter les méde-cins sur l’éventualité d’une perforation, en particulier le médecin-anesthésiste réanimateur quis’était entretenu avec lui, et qu’elles exigeaient qu’il garde le patient en milieu hospitalier poursurveiller son état, au lieu de le faire sortir à l’issue de la coloscopie ».

La jurisprudence est exigeante quant à la surveillance due par l’anesthésiste dans le cadre deson obligation générale de prudence et de soins, et décide même que cette obligation ne s’arrêtepas forcément au moment où il estime que le réveil est acquis, mais peut aller au-delà.

En effet la Cour de cassation a décidé dans un arrêt110 que non seulement, « la mission del’anesthésiste est d’assurer l’endormissement de l’opéré, d’exercer sur lui sa surveillance durantl’intervention du chirurgien et, après l’opération, de surveiller les conditions de réveil jusqu’àsa reprise de conscience totale » mais que cette mission qui délimite aussi la responsabilité del’anesthésiste pendant et après l’opération, « s’étend à tous les actes médicaux accomplis parlui et au suivi qu’ils nécessitent, le cas échéant au-delà du réveil ». « L’anesthésiste-réanimateuren ne faisant pas placer le patient dans l’unité de soins intensifs, a commis une négligence. Lemédecin avait également l’obligation de mettre le malade en position de recevoir des soins exigéspar la succession d’opérations pratiquées sur lui, nécessaires pour garantir le maintien de saperfusion malgré son agitation habituelle, utiles pour permettre une intervention en cas d’alertesur l’évolution de son état ». Il a par ailleurs, « négligé d’accomplir les actes relevant de sa chargeen s’abstenant, dès lors qu’il était informé de la situation de l’enfant, d’aviser soit l’anesthésistede garde, soit l’interne du service, et de leur demander de procéder à un examen de l’enfant et delui faire rapport ». Partant, « les deux négligences sont bien d’une part en relation causale avec ledécès du patient. L’absence de surveillance du malade en salle de soins intensifs a été créatriced’un risque mortel eu égard aux caractéristiques de son comportement et de son affection ; cetteabsence de surveillance particulière l’a privé d’une visite d’un médecin à laquelle il aurait dûêtre impérativement soumis et qui aurait permis de détecter la survenance de la gêne respiratoireau moment où des dispositions utiles auraient pu être prises pour sauver la malade ; Le liende causalité entre les négligences du médecin anesthésiste et la mort du patient est donc ainsisuffisamment établi ».

L’obligation de surveillance postopératoire incombe également à l’anesthésiste-réanimateurdans le cas d’une anesthésie ambulatoire, mais aussi au chirurgien.. L’anesthésiste-réanimateurautorise, « en accord avec le médecin ayant pratiqué l’intervention, la sortie du patient del’établissement dans le cas d’une intervention effectuée dans une structure de soins alterna-tive à l’hospitalisation pratiquant l’anesthésie ou la chirurgie ambulatoire » (article D. 6124-101du CSP).

En cas d’anesthésie ambulatoire, la bonne utilisation de la salle de réveil est essentielle etles modalités de sortie des malades doivent être strictement respectées car, la plupart du temps,

109 Cass. 1reciv., 26 octobre 2004 : no 02-16400.110 Cass. crim. 29 mars 1995 : no 94-82859.

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c’est en sortant de la salle de réveil qu’ils quitteront directement l’établissement. Le médecinanesthésiste doit donc les examiner personnellement avant leur sortie et assume la responsabilitéde cette décision de sortie conjointement avec le médecin ayant pratiqué l’intervention, lequeldoit lui-même donner son accord avant la sortie.

La règle essentielle à respecter consiste alors à donner par écrit au patient et à l’accompagnant,avant sa sortie, tous les renseignements permettant, en cas de problème, de recevoir au plus viteles soins indispensables et adaptés à son état (art. 6124-304 et 6124-306 du CSP). Le risquemédicolégal de l’anesthésie ambulatoire est de voir se réaliser des complications postopératoiresalors que le patient a regagné son domicile et n’est plus sous le contrôle direct de l’équipemédicale. La jurisprudence susceptible d’être appliquée en pareil hypothèse serait alors analogueà la jurisprudence connue en matière de sortie prématurée d’un établissement autorisée par lemédecin, et qui se révèlerait imprudente.

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