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Louise Simard contes du vent Le Retour du pygargue

Retour pygargue · des oiseaux de proie, ce récit touchant nous emporte du côté de la vie. L’admiration que Louise Simard voue aux rapaces l’a conduite à vouloir redonner

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Page 1: Retour pygargue · des oiseaux de proie, ce récit touchant nous emporte du côté de la vie. L’admiration que Louise Simard voue aux rapaces l’a conduite à vouloir redonner

Pour qui plane haut dans le ciel et pêche sa nourriture à la surface de l’eau, la vie s’annonce simple et sauvage. Mais, parfois, il survient de ces tempêtes qui changent tout un destin d’oiseau…

Un jeune pygargue s’écrase sur le pont d’un navire, quelque part au large du Québec.

Blessé, aff amé, et fi nalement échoué de l’autre côté de l’océan, le pygargue vivra une suite de mésaventures chez des hommes tantôt hostiles, tantôt bienveillants. Parviendra-t-il un jour à retrouver sa côte boréale ? Les enfants de la classe de Mlle Laurie, dans l’île où sera retourné l’oiseau, en apprendront beaucoup sur le courage de cet être si singulier.

Magnifi que fable mettant en scène des oiseaux de proie, ce récit touchant nous emporte du côté de la vie.

L’admiration que Louise Simard voue aux rapaces l’a conduite à vouloir redonner des ailes aux oiseaux blessés à travers ses écrits. Avec Le Retour du pygargue, elle signe chez Trécarré Jeunesse un premier roman visant à faire connaître les oiseaux de proie.

Pour les lecteurs âgés de 10 ans et plus

ISBN 978-2-89568-458-9

Louise Simard

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Le Retour du pygargue

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LOUISE SIMARD

Le Retour du pygargue

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Les douze enfants sont assis bien sagement à leur pupitre, mais sur chacun des visages se lisent des sentiments diff érents. Quelques-uns affi chent une certaine inquiétude, qui se refl ète surtout dans leurs grands yeux interrogateurs. D’autres, plus frondeurs, regardent le visiteur avec un air de bravade, tandis que les plus timi-des se raclent la gorge, comme s’ils éprouvaient de la diffi culté à respirer normalement.

Samuel Th ériault, le biologiste de l’Île, les salue de la main et se dirige vers le bureau de Mlle Laurie. Celle-ci est la seule et unique ins-titutrice de cette petite école qui ne compte qu’une classe. Pour l’instant, la jeune femme reste sur le seuil et observe Samuel, tout

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comme les enfants qui se demandent ce qui peut bien leur valoir cette visite impromptue.

Bien sûr, le biologiste ne leur est pas tout à fait étranger. Ils le connaissent déjà, car, au printemps dernier, il est venu leur parler des richesses de l’Île, des arbres, des fl eurs, des coquillages et des rochers, des cerfs de Virginie et des oiseaux. Toutefois, cette visite avait été annoncée et préparée longtemps à l’avance. Au jour dit, le jeune homme les avait d’abord emmenés sur la grève, puis, pendant des heures, il avait partagé avec eux sa passion pour cette Île aux multiples trésors. Les enfants étaient revenus enchantés de cette aventure, et ils avaient arraché à Mlle Laurie la promesse d’une autre journée comme celle-là.

— Samuel est très occupé, avait-elle dit, mais nous lui demanderons de revenir au prin-temps prochain.

Or, nous sommes en novembre. Et l’insti-tutrice ne les a avertis de rien. Quand ils ont quitté l’école, vendredi dernier, elle n’a rien dit au sujet du biologiste, et voilà qu’en ce lundi matin, elle semble aussi surprise qu’eux de sa visite, et un tantinet mal à l’aise.

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C’est évident : il se passe quelque chose. Et à voir la mine du jeune biologiste, les enfants devinent qu’il ne s’agit sûrement pas d’un évé-nement heureux.

Ils se jettent les uns aux autres des œillades inquiètes, tentant de se donner une conte-nance. Le plus jeune de la classe, d’habitude si discret, se mouche bruyamment avec sa manche de chemise, s’attirant du même coup une remontrance de la part de Mlle Laurie. Quelques secondes plus tard, deux fi llettes se mettent à babiller avec nervosité et l’institu-trice doit les faire taire.

Assis côte à côte dans la dernière rangée, les trois garçons les plus âgés affi chent, quant à eux, un air si revêche que l’on pourrait, au premier coup d’œil, les croire coupables de quelque méfait. Leur attitude générale accroît d’ailleurs cette impression.

L’un d’eux se mordille les lèvres en regar-dant au plafond, semblant chercher une façon de s’enfuir. Un autre s’est enfoncé dans sa chaise. Les bras croisés et le sourcil froncé, il ne quitte pas le visiteur des yeux, tandis que le troisième larron, au contraire, s’est tourné

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vers la fenêtre, apparemment indifférent à tout le reste. Pourtant, sa jambe droite eff ectue un constant mouvement de balancier qui tra-hit sa nervosité.

Celui-là s’appelle Éric et, du haut de ses treize ans, il est le plus âgé de la classe. Malgré son vieux chandail aux coudes troués, ses che-veux longs et sales et sa mine rébarbative, il règne sur son petit monde avec un certain panache. Se croyant sorti de l’enfance, il pro-fi te de son statut d’aîné pour impressionner les plus petits, sans jamais leur faire de mal, toutefois. Il cherche constamment à se dis-tinguer et s’est forgé une solide réputation d’aventurier sans peur et sans reproche. Rien ne l’arrête, en eff et. L’ayant parcourue dans tous les sens des centaines de fois, il connaît l’Île comme sa poche et ne craint ni la mer ni l’obscurité. Fascinés et admiratifs, les petits l’écoutent toujours raconter ses exploits avec bonheur, sans même penser à se demander s’ils sont réels ou inventés.

Éric ne veut surtout pas perdre le précieux ascendant qu’il possède sur ses camarades de classe. Or, sans le vouloir, le biologiste

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lui fait ombrage. Les plus jeunes ont en eff et développé une admiration sans bornes pour Samuel Th ériault, qui les a amenés à découvrir une Île enchantée dont ils ne soupçonnaient pas les innombrables trésors. De plus, le jeune homme possède son propre avion et, chaque fois qu’ils le voient survoler l’Île, les enfants applaudissent, ravis et impressionnés. Seul Éric ne partage pas cet enthousiasme. En vérité, le garçon est déchiré entre l’envie et l’admiration. Fasciné lui aussi, il aimerait bien marcher sur les traces du biologiste qui, à ses yeux, vit la vie rêvée, pleine d’aventures et de découvertes. Or, ce rêve lui apparaît tellement inaccessible qu’il préfère ne pas s’y attarder. Il choisit donc de garder ses distances et de feindre l’indiff érence, mais cette réaction de rejet n’échappe pas à Samuel Th ériault.

Âgé de trente ans, celui-ci n’a pas d’enfant, mais il les connaît bien. Pour payer ses études, il a longtemps été moniteur dans les terrains de jeu et les camps de vacances, et il garde de ces étés un souvenir attendri.

En voyant le jeune Éric fuir son regard comme au printemps dernier, alors qu’il

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s’était tenu à l’écart en affichant une moue méprisante, le biologiste devine tout de suite le tiraillement dont le jeune garçon est vic-time. Il comprend sa réaction, car il a déjà res-senti cette émotion troublante de désir et de recul. Vouloir aller vers l’autre sans trop savoir comment. Souhaiter à la fois créer des liens et garder ses distances. Valse-hésitation : un pas en avant, deux pas en arrière. Ce mélange de fi erté et de méfi ance vient parfois à ceux que la vie a déjà trompés et qui redoutent de souff rir encore.

Oui, Samuel Th ériault comprend très bien, car, à quelques reprises, on lui a parlé d’Éric. Il sait que cet orphelin doit composer avec un passé diffi cile, ce qui ne l’empêche pas d’être un combattant.

Le biologiste décide de s’adresser tout par-ticulièrement à Éric, sans trop qu’il y paraisse. Ainsi, le garçon lui servira de baromètre. S’il réussit à retenir son attention, croit-il, il aura gagné la partie.

Ce qu’il a à dire aux enfants n’est pas facile. Pour que ses paroles portent leurs fruits, il devra se faire convaincant sans devenir

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moralisateur. Les élèves de Mlle Laurie ont entre six et treize ans, et le ton qu’il prendra pour les aborder importe beaucoup. Il ne doit pas se tromper.

Pendant qu’il réfl échit, se frottant les mains l’une dans l’autre, l’institutrice s’adresse aux élèves :

— Vous connaissez tous Samuel, n’est-ce pas ? commence-t-elle. Il nous fait le plaisir de sa visite, ce matin, parce qu’il a une histoire à nous raconter. Je vous demande de l’écouter très attentivement.

Sur ces paroles, la jeune femme se dirige vers le fond de la classe.

Au passage, un garçonnet lui saisit la main, en levant la tête vers elle. On le sent troublé par ce changement de programme et par l’atmo-sphère un peu étrange qui règne dans la pièce. Où sont donc passées l’espièglerie coutumière des plus vieux et la gentillesse attentionnée de l’institutrice ? Si la seule présence du biolo-giste bouleverse ainsi toutes leurs habitudes, il n’est pas certain de vouloir entendre ce que ce dernier a à leur dire.

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— Tu la connais, toi, l’histoire ? demande-t-il.Mlle Laurie lui sourit. — Oui, Mathieu, je la connais, et je suis

convaincue que tu vas l’aimer. — Alors, pourquoi tu ne la racontes pas

toi-même ? — Parce que je ne connais pas la fi n, lui répond

l’institutrice, en prenant un air mystérieux.Le petit garçon écarquille les yeux. Mlle Laurie,

qui sait tout, ne connaît pas la fi n de l’histoire ! Du coup, il se sent plus grand. Quelque peu ras-suré et soudain très excité par l’aventure qui s’annonce, il lâche la main de l’institutrice.

Celle-ci lui adresse un clin d’œil avant de se diriger vers le fond de la classe. De sa place, elle peut observer tout son petit monde, et elle n’est pas longue à constater qu’un silence trop lourd rôde entre les pupitres. On dirait une brise glaciale à laquelle les enfants vou-draient bien échapper. Comme ils voudraient d’ailleurs échapper au regard scrutateur de Samuel Th ériault.

Celui-ci ne sait toujours pas comment com-mencer son récit, ni sur quel ton. Pour le moment, il se contente de balayer la classe du regard.

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Comme pour lui venir en aide, une fi llette plus brave que les autres lève la main, et le biologiste lui accorde la parole d’un mouve-ment du menton.

— Es-tu fâché ? demande la petite Rose, avec cette franchise un peu naïve, toute parti-culière aux enfants.

— Pourquoi serais-je fâché ? l’interroge Samuel, surpris.

— À cause de l’oiseau…, lui répond-elle d’une voix hésitante, soudain un peu moins brave.

Sans quitter la fi llette des yeux, Samuel devine une agitation dans la classe. Des têtes se sont levées, des jambes remuent avec ner-vosité. Sur les pupitres, on déplace machinale-ment cahiers et crayons. Les enfants craignent d’être punis, sans trop savoir pourquoi. Tous ont entendu parler d’un oiseau trouvé mort la semaine précédente, et leur instinct les pousse à la méfi ance. Les adultes sont si sou-vent enclins à accuser les enfants de tout et de rien !

— Non, s’empresse de dire le biologiste, rassurant ainsi tout le groupe. Je ne suis pas fâché, pas du tout. Cependant, j’aimerais

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justement vous parler d’un oiseau un peu spé-cial. Je suis sûr que vous aimerez son histoire.

Sans le vouloir, Rose lui a ouvert une voie, dans laquelle il s’engage avec bonheur. C’était l’entrée en matière dont il avait besoin, et sa confi ance est revenue.

Un sourire accroché aux lèvres, il observe les enfants un à un. S’il veut les toucher, il doit chasser cet air soucieux qui les a apeurés et auquel ils sont si sensibles.

Après avoir adressé un clin d’œil à Rose-la-téméraire, qui l’a sorti de sa léthargie, il cherche à capter l’attention du jeune Éric. Celui-ci croise son regard, mais détourne aussitôt la tête, comme s’il craignait de trahir quelque secret en laissant le biologiste lire dans ses pensées.

Samuel n’insiste pas. Sans cesser de sourire, il appuie fermement ses deux mains sur le bureau de Mlle Laurie, trouvant ainsi un cer-tain équilibre. Il est prêt.

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