90
Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1) : « Le Père et le Fils, en face à face, unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit. » « Si Dieu était votre Père », dit Jésus à ses adversaires, « vous m’aimeriez, car c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens ; je ne viens pas de moi-même ; mais lui m’a envoyé » (Jn 8,42), « et celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît » (Jn 8,29). « Celui qui ma envoyé », le Père, « est avec moi », dit Jésus, et cela « toujours », car Jésus « fait toujours ce qui lui plaît ». Accueillir le Fils, « le Verbe fait chair » (Jn 1,14), celui que les hommes pouvaient voir avec leurs yeux de chair, « c’est donc au même moment accueillir le Père », « toujours » avec le Fils, mais invisible à nos yeux de chair, car « Dieu est Esprit », dit Jésus à la Samaritaine (Jn 4,24). Nicodème avait reconnu que Jésus n’était pas seul : « Rabbi, nous le savons, tu viens de la part de Dieu comme un Maître : personne ne peut faire les signes que tu fais, si Dieu n’est pas avec lui » (Jn 3,2). C’était Dieu le Père, en effet, qui, avec lui et par lui, accomplissait des miracles, signes et prodiges pour aider les foules à croire en son Fils : « Jésus le Nazôréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles, prodiges et signes qu’il a opérés par lui au milieu de vous », dit St Pierre à la foule (Ac 2,22). Et Jésus lui-même disait : « Les œuvres que le Père m’a donné à mener à bonne fin, ces œuvres mêmes que je fais me rendent témoignage que le Père m’a envoyé » (Jn 5,35). En effet, « le Père demeurant en moi fait ses œuvres » (Jn 14,10), car « le Fils ne peut rien faire de lui-même qu’il ne le voie faire au Père ; ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait » (Jn 5,19‑20).

Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Retraite préparatoire à la fête de laSainte Trinité (1) : « Le Père et leFils, en face à face, unis l’un àl’autre dans la communion d’un mêmeEsprit. »« Si Dieu était votre Père », dit Jésus à ses adversaires, « vousm’aimeriez, car c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens ;je ne viens pas de moi-même ; mais lui m’a envoyé » (Jn 8,42),« et celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laisséseul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît » (Jn 8,29).« Celui qui ma envoyé », le Père, « est avec moi », dit Jésus, etcela « toujours », car Jésus « fait toujours ce qui lui plaît ».Accueillir le Fils, « le Verbe fait chair » (Jn 1,14), celui queles hommes pouvaient voir avec leurs yeux de chair, « c’est doncau même moment accueillir le Père », « toujours » avec le Fils,mais invisible à nos yeux de chair, car « Dieu est Esprit », ditJésus à la Samaritaine (Jn 4,24).

Nicodème avait reconnu que Jésus n’était pas seul : « Rabbi, nousle savons, tu viens de la part de Dieu comme un Maître : personnene peut faire les signes que tu fais, si Dieu n’est pas avec lui »(Jn 3,2). C’était Dieu le Père, en effet, qui, avec lui et parlui, accomplissait des miracles, signes et prodiges pour aiderles foules à croire en son Fils : « Jésus le Nazôréen, cet hommeque Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles, prodiges etsignes qu’il a opérés par lui au milieu de vous », dit St Pierre àla foule (Ac 2,22). Et Jésus lui-même disait : « Les œuvres que lePère m’a donné à mener à bonne fin, ces œuvres mêmes que je faisme rendent témoignage que le Père m’a envoyé » (Jn 5,35). Eneffet, « le Père demeurant en moi fait ses œuvres » (Jn 14,10),car « le Fils ne peut rien faire de lui-même qu’il ne le voiefaire au Père ; ce que fait le Père, le Fils le fait pareillementcar le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait »(Jn 5,19‑20).

Page 2: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Le Fils est donc tout d’abord entièrement « tourné vers le sein duPère » (Jn 1,18). Dans la foi, en « Verbe fait chair », vrai Dieu(Jn 1,1 ; 20,28) mais aussi vrai homme, « Fils de l’homme » (Mc9,31), il le regarde, il le voit, il l’écoute. En serviteur duPère, il fait ce qu’il voit faire au Père, il dit ce qu’il a vuauprès du Père, et aussi ce que le Père lui dit : « Je dis ce quej’ai vu chez mon Père » (Jn 8,38), « je dis ce que le Père m’aenseigné » (Jn 8,28).

Le compagnonnage de Jésus avec son Père est donc au cœur de sonMystère. Jésus est tout entier tourné vers le Père, il ne cesse dele regarder, de l’écouter, il est tout entier à son service, necherchant qu’une seule chose : accomplir sa volonté, dans uneobéissance parfaite… « Et Dieu veut que tous les hommes soientsauvés » (1Tm 2,3-6)…

Mais ce Mystère d’un « être avec… », « d’un être auprès de… »,« d’un être tourné vers » un Autre que Lui-même, Jésus en parleaussi avec d’autres expressions qui peuvent sembler incompatiblesavec les premières. En effet, Jésus le Fils, « l’Unique Engendré »(Jn 1,18), est le seul à être « qui » il est. Le Fils n’est pas lePère, et le Père n’est pas le Fils. A ce titre, le Père et leFils, en tant que Personnes divines uniques, sont toujours en faceà face. De ce point de vue, le Père n’est pas dans le Fils, et leFils n’est pas dans le Père : le Père, lui qui est le seul à êtrele Père, est face à face avec un autre que Lui-même, le Fils, qui,de son côté, est lui aussi le seul à être le Fils. Et pourtant,Jésus nous dit : « Le Père », ce Père que je ne suis pas, ce Pèrequi est un autre que moi-même, « est en moi et moi, je suis dansle Père ». C’est ce qu’il affirme par deux fois à Philippe aprèslui avoir déclaré : « Nul ne vient au Père que par moi. Si vous meconnaissez, vous connaîtrez aussi mon Père ; dès à présent vous leconnaissez et vous l’avez vu. Philippe lui dit : « Seigneur,montre-nous le Père et cela nous suffit. » Jésus lui dit : Voilàsi longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas,Philippe ? Qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : Montre-nous le Père ! ? Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que

Page 3: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dispas de moi-même : mais le Père demeurant en moi fait ses œuvres.Croyez-m’en ! je suis dans le Père et le Père est en moi. Croyezdu moins à cause des œuvres mêmes » (Jn 14,6-11).

Le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Père ; à ce titre,ils sont toujours en face à face… Et pourtant, « le Père est dansle Fils, et le Fils est dans le Père », nous dit Jésus plusieursfois. Comment donc harmoniser ce qui semble si contradictoire ?Nous touchons ici aux conséquences éternelles de l’engendrementéternel du Père par le Fils, « dès avant la fondation du monde »(Jn 17,24), « avant tous les siècles » (Crédo), et donc avant quele temps n’existe… « Comme le Père a la vie en lui-même, de mêmea-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même… Ainsi, je vis parle Père » (Jn 5,26 ; 6,57), nous dit Jésus. Et pourquoi ? « Car lePère aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35), tout,tout ce qu’il est, tout ce qu’il a : « Tout ce qu’a le Père est àmoi » (Jn 16,15 ; 17,10). Le Père est Dieu ? Le Père aime le Fils,et de toute éternité, il se donne à lui, lui donnant ainsigratuitement, par amour, d’être « Dieu né de Dieu, vrai Dieu né duvrai Dieu » (Crédo). « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5) ? Le Père aimele Fils, se donne totalement à lui, en tout ce qu’Il Est, luidonnant ainsi, gratuitement, par amour, d’être « Lumière née de laLumière » (Crédo). Qui voit la Lumière du Fils voit donc laLumière du Père, car il s’agit dans les deux cas de la mêmeréalité spirituelle. C’est ainsi que Jésus peut dire : « Qui m’avu a vu le Père » (Jn 14,9), alors même que le Père n’est pas leFils et que le Fils n’est pas le Père… « Dieu est Amour » (1Jn4,8.16) ? « Tu es mon Fils Bien Aimé », lui dit le Père, « en toij’ai mis tout mon amour » (Mc 1,11), tout ce que Je Suis. Ainsi,par ce Don total que le Père ne cesse de faire au Fils, tout cequ’Est le Père, le Fils l’Est aussi en tant qu’il le reçoit duPère. Jésus peut alors dire : tout ce qui Est « en moi », tout cequi me constitue, ma Plénitude d’Être et de Vie, tout cela Estaussi « en toi », Père, puisque le Fils reçoit tout du Père en« Unique Engendré » (Jn 1,18), « engendré non pas créé, né du Pèreavant tous les siècles » (Crédo). A ce titre, même si le Père

Page 4: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

n’est pas le Fils, et si le Fils n’est pas le Père, tout ce quiEst dans le Père Est dans le Fils, en tant que le Père le donne auFils de toute éternité. Et tout ce qui Est dans le Fils Est dansle Père, en tant que le Fils le reçoit du Père de toute éternité…En considérant donc cette Plénitude d’Être et de Vie qui leconstitue tout entier, le Fils peut donc dire qu’il Est dans lePère et que le Père Est en Lui, alors même qu’ils sont toujours enface à face…

Le talent de St Jean est tel qu’il n’a besoin que de quelques motspour exprimer ce Mystère de Communion du Père et du Fils, biendistincts l’un de l’autre, mais dans l’unité d’un même Esprit(cf Ep 4,3) : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10,30). Enfrançais, nous avons deux genres : le masculin et le féminin. Engrec, il en existe trois : le masculin, le féminin et le neutre.Le masculin renvoie à des personnes de sexe masculin, avecénormément d’exceptions… Le féminin renvoie à des personnes desexe féminin, avec énormément d’exceptions… Le neutre renvoie audomaine des choses, des réalités non personnifiées, avecénormément d’exceptions… Et en Jn 10,30, pour écrire « un », StJean n’a pas utilisé le masculin, ce qui aurait voulu dire que lePère et le Fils n’auraient en fait été qu’une seule et mêmePersonne, mais un neutre qui renvoie donc à une réalité nonpersonnifiée, ici, ce que sont le Père et le Fils de touteéternité : « Amour » (1Jn 4,8.16), « Esprit » (Jn 4,24),« Lumière » (1Jn 1,5). Le Père et le Fils sont « un » en tantqu’ils sont unis l’un à l’autre dans la Communion d’un mêmeEsprit, d’une même Lumière, d’un même Amour, en un mot d’une mêmePlénitude divine d’Être et de Vie, le Père la donnant au Fils detoute éternité, le Fils la recevant du Père de toute éternité…

Ainsi, le Père et le Fils sont bien l’un en face de l’autre, l’unauprès de l’autre, l’un avec l’autre, bien distincts l’un del’autre, et pourtant, ils sont unis au niveau de leur Être mêmedans la communion d’une même Plénitude spirituelle (« Dieu estEsprit » (Jn 4,24), le Père la donnant au Fils, gratuitement, parAmour, l’engendrant ainsi en Fils, le Fils la recevant

Page 5: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

gratuitement du Père, dans l’Amour. La relation qui existe ainsientre les deux est vitale, existentielle, le Fils n’étant riensans le Père…

Alors, si, à un instant du temps, le Fils a assumé notre naturehumaine, « corps, âme et esprit » (1Th 5,23), son esprit d’hommeétait pleinement uni à sa Plénitude spirituelle éternelle, maiscette réalité, invisible par nature à nos yeux de chair, ne selaisse percevoir qu’au regard du cœur, au regard de la foi… Etbien sûr, là où est le Fils, là est le Père, avec lui, auprès delui, uni à lui dans la communion d’un même Esprit… Ainsi, « celuiqui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille mais celui quim’a envoyé »…

D. Jacques Fournier

Trinité 1° étape : en cliquant sur le titre précédent, vous accédez aufichier PDF pour lecture ou éventuelle impression.

« Recevez l’Esprit Saint du Père desMiséricordes »…« Soyez miséricordieux comme le Père est miséricordieux »

Page 6: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Que Dieu soit Père et qu’il soit Miséricordieux, le prophèteJérémie l’affirmait dès le 6° siècle avant JC :

« Reviens rebelle Israël, oracle du Seigneur, car JE SUISmiséricordieux.

Reconnais seulement ta faute (il la connaît donc déjà parfaitement

et Israël va l’apprendre de sa bouche…) :

tu t’es révoltée contre le Seigneur ton Dieu,

et tu n’as pas écoutée ma voix.

Et moi qui m’étais dit : comment te placerais-je au rand desfils ?

Je te donnerai une terre de délices, l’héritage le plusprécieux d’entre les nations.

Je me disais : « Vous m’appellerez « Mon Père »,

et vous ne vous séparerez pas de moi. »

Mais non… Ils m’ont abandonné, ils ont encensé d’autresdieux,

Ils se sont prosternés devant l’œuvre de leurs mains…

Et maintenant, vois ta terre en solitude, tes villesincendiées…

N’as tu pas provoqué cela pour avoir abandonné leSeigneur ton Dieu,

alors qu’il te guidait sur ta route ?

Comprend et vois comme il est mauvais et amer

d’abandonner le Seigneur ton Dieu.

Page 7: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Ai-je été un désert pour Israël, ou une terreténébreuse ?

Pourquoi mon Peuple dit-il : « Nous vagabondons, nousn’irons plus à toi ? »

Une vierge oublie-t-elle sa parure, une fiancée saceinture ?

Mais mon peuple m’a oublié depuis des jours sans nombre…

Ah ! Comme tu t’es tracée un bon chemin pour quêterl’amour ! » (Jr 2-3)

Et Jésus ne fera que nous rappeler que « Dieu est Amour »(1Jn 4,8.16), Amour Créateur, Amour Pur, Amour qui ne fait quepoursuivre le bien de l’être aimé, Amour qui se réjouit de sajoie, Amour qui s’attriste de ses peines…

Et c’est bien ainsi dont les prophètes Jérémie et Sophonieparlaient déjà de l’Amour :

« Je vais les rassembler de tous les pays où » ils se sont égaréspar suite de leurs fautes.

« Je les ramènerai en ce lieu et les ferai habiter en sécurité.

Ils seront mon peuple, et moi, je serai leur Dieu.

Page 8: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Je leur donnerai un seul cœur, un seul chemin, afin qu’ils mecraignent chaque jour, pour leur bonheur et celui de leurs filsaprès eux.

Je conclurai avec eux une alliance éternelle :

je ne cesserai pas de les suivre pour les rendre heureux

et je mettrai ma crainte en leur cœur pour qu’ils ne s’écartentpas de moi.

J’aurai de la joie à les rendre heureux ;

en vérité, je les planterai dans ce pays, de tout mon cœur et detoute mon âme. »

Oui, ainsi parle le Seigneur : « De même que » leursfautes ont fait venir sur eux

« tout ce grand malheur,

de même, je fais venir sur eux tout le bonheur dont jeparle » (Jr 32,37-42).

« Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations,Israël !

Réjouis-toi, de tout ton cœur bondis de joie, fille de Jérusalem !

Le Seigneur a levé les sentences qui pesaient sur toi, il a écartétes ennemis.

Le roi d’Israël, le Seigneur, est en toi. Tu n’as plus à craindrele malheur.

Ce jour-là, on dira à Jérusalem : « Ne crains pas, Sion ! Nelaisse pas tes mains défaillir !

Le Seigneur ton Dieu est en toi, c’est lui, le héros qui apportele salut.

Page 9: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera parson amour ;

il exultera pour toi et se réjouira, comme aux jours de fête. »

J’ai écarté de toi le malheur, pour que tu ne subisses plusl’humiliation.

Me voici à l’œuvre contre tous tes oppresseurs.

En ce temps-là je sauverai la brebis boiteuse, je rassembleraicelles qui sont égarées…

En ce temps-là je vous ramènerai, en ce temps-là je vousrassemblerai…

je ramènerai vos captifs, et vous le verrez, – dit leSeigneur » (So 3,14-20).

D’un côté, Dieu est donc « Père » de tous les hommes,« lui qui les a tous créés à son image et ressemblance » (Gn1,26-28), pour qu’ils vivent en relation avec Lui, comblés parLui. En effet, ce « Père » est « Amour » : il ne cesse de désirer,de vouloir, de poursuivre le bien de tous ces hommes, ses enfants,qu’il a créés par Amour pour qu’ils connaissent le Bonheur enaccueillant, en leur cœur, la Plénitude de ses Bienfaits…

Mais les hommes se sont détournés de lui, et du même coup,ils se sont privés du Don de Dieu. « Tous ont péché et sont privés

Page 10: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

de la gloire de Dieu » (Rm 3,23). « Souffrance et angoisse pourtoute âme humaine qui commet le mal » (Rm 2,9). « Souffrance,angoisse » et « tristesse », comme pour ce jeune homme riche quine répond pas à l’appel que lui avait lancé Jésus, « Suis-moi ! »,car il avait de grands biens. Alors, « il repartit, tout triste »(Lc 18,18-23)…

Mais rien n’empêche Dieu d’Être, de son côté, ce qu’Il Estdepuis toujours et pour toujours : « Dieu est Amour » et il veut,encore plus, le bien de l’homme pécheur qui souffre et qui esttriste par suite de ses fautes : « Quand nous sommes infidèles,Dieu, Lui, reste à jamais fidèle, car il ne peut se renier Lui-même » (2Tm 2,13), écrit St Paul, et Il Est Amour, Il n’Estqu’Amour et donc recherche inlassable du bien de l’autre…

Telle est ce que nous appelons « la Miséricorde de Dieu » :la découverte, infiniment heureuse, du fait que nous sommes aimésau cœur même de notre misère et de notre indignité par« Quelqu’un » qui, de son côté, ne poursuit, ne désire, netravaille qu’à notre Bien le plus profond.

Nous avons tous été créés pour être « comblés » par le Don deDieu, le Don gratuit de l’Amour, un Don qui Est Plénitude de Vie,de Paix, de Joie ? C’est ce que Jésus, le Fils éternel du Père,vient nous proposer au Nom de son Père, et cela gratuitement, paramour, pour notre seul bien : « Si tu savais le Don de Dieu » dit-il à cette femme samaritaine qui vivait maritalement avec unhomme, et c’était, déjà, son sixième ! Et pour nous aider à

Page 11: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

l’accueillir, il ca commencer par nous proposer d’effacer toutnotre passé d’infidélités par son pardon offert en surabondance,sans regarder à la dépense, son seul but étant notre bonheur.Alors si quelque chose nous inquiète, quoique ce soit, aussiénorme cela puisse-t-il être, Jésus nous invite à l’offrir à ceDieu immense, infini, Lui qui a créé l’infini de l’Univers quinous entoure, Lui qui est Amour, tout aussi infini… Et nous seronspardonnés, nos fautes disparaîtront, il n’y aura plus rien, carJésus est « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn1,29), tous les péchés, de tous les hommes, de tous les temps, etcela, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant en sacrificesur le bois de la Croix pour chacun d’entre nous, pour nous tous.Infini de l’Amour qui rendra possible, si nous y consentons,l’accomplissement total de la volonté de Dieu : « Dieu veut quetous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleineconnaissance de la vérité. En effet, il n’y a qu’un seul Dieu ; iln’y a aussi qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : unhomme, le Christ Jésus, qui s’est donné lui-même en rançon pourtous » (1Tm 2,3-6). Alors, « j’ai vu une foule immense, que nul nepouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples etlangues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devantl’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main. Etils s’écriaient d’une voix forte : « Le salut appartient à notre

Dieu qui siège sur le Trône et àl’Agneau ! »Tous les anges setenaient debout autour du Trône,autour des Anciens et des quatreVivants ; se jetant devant leTrône, face contre terre, ils seprosternèrent devant Dieu. Et ilsdisaient : « Amen ! Louange,gloire, sagesse et action de

grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les sièclesdes siècles ! Amen ! » L’un des Anciens prit alors la parole et medit : « Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils, et d’oùviennent-ils ? » Je lui répondis : « Mon seigneur, toi, tu lesais. » Il me dit : « Ceux-là viennent de la grande épreuve ; ils

Page 12: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang del’Agneau. C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, et leservent, jour et nuit, dans son sanctuaire. Celui qui siège sur leTrône établira sa demeure chez eux. Ils n’auront plus faim, ilsn’auront plus soif, ni le soleil ni la chaleur ne les accablera,puisque l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur pasteurpour les conduire aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuieratoute larme de leurs yeux » (Ap 7,9-17).

Jésus, le Fils, est donc « l’Agneau »qui se propose d’être « le Pasteur » detous les hommes « pour les conduire auxsources des eaux de la vie ». Et quellessont-elles ? Ce sont les Sources de l’Amourqui ne cesse de se donner gratuitement, dese proposer gratuitement, de s’offrirgratuitement à toutes ses créatures, pourleur seul bien, leur seul bonheur, leurseule joie. Le Pape François dit ainsi : «L’amour de Dieu est gratuit. Il ne nousdemande rien en échange ; il demandeseulement de l’accueillir » (Juin 2015).

Ecoutons ce que Jésus dit à la Samaritaine : « Si tu savais le Donde Dieu, et qui est celui qui te dit : « Donne-moi à boire »,c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’Eau vive »(Jn 4,10). Et quelle est-elle cette « Eau Vive ». St Jean lui-mêmenous donne la clé de cette image au chapitre sept de son Evangile,lorsque Jésus, debout, cria : « « Si quelqu’un a soif, qu’ilvienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme ditl’Écriture : De son cœur couleront des fleuves d’eau vive. » Endisant cela, il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoirceux qui croiraient en lui » (Jn 7,37-39). Et de fait, Ressuscité,il dira à ses disciples : « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20,22).

Tel est le Don de Dieu par excellence, le Don de l’Amour,offert gratuitement à notre foi, un Don qui est appelé à devenir

Page 13: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

en nous la Source de notre vrai bonheur, de notre vraie vie, denotre Plénitude, inégalée, incomparable, car elle est celle deDieu Lui-même : « Quiconque boira de l’eau que moi je lui donnerain’aura plus jamais soif. L’eau que je lui donnerai deviendra enlui source d’eau jaillissant en vie éternelle » (Jn 4,13-14).

Cette vie n’est rien de moins quecelle que Jésus reçoit du Père de touteéternité. « Si tu savais le Don de Dieu »,dit-il à la Samaritaine. Il le connaîtbien, Lui, car c’est par ce Don que le Pèrel’engendre en Fils de toute éternité.« Comme le Père a la vie en lui-même, demême a-t-il donné au Fils d’avoir la vie enlui-même. Je vis par le Père » (Jn 5,26 ;6,57), et cela, depuis toujours et pourtoujours, en « Fils né du Père avant tousles siècles, Dieu né de Dieu, vrai Dieu nédu vrai Dieu, engendré non pas créé »

(Crédo), « engendré » par ce Don du Père, le Don de « l’Esprit quivivifie » (Jn 6,63 ; 2Co 3,6), cet « Esprit qui est vie » (Ga5,25), « Eau Vive »… Alors si nous acceptons de recevoir à notretour ce Don par lequel le Père engendre son Fils, nous serons nousaussi engendrés à cette même Plénitude, et notre vocation decréatures « appelées à reproduire l’image du Fils » (Rm 8,29)s’accomplira…

« Quand vous priez, dites : Père » (Lc 11,2). Avec moi,tournez-vous vers le Père (Jn 1,18) pour recevoir avec moi le Dondu Père, et avec Lui, la Plénitude de ma vie, de ma paix, dema joie… « De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et quemoi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussivivra par moi… Amen, amen, je vous le dis : il a la vie éternelle,celui qui croit… Je vous laisse la paix, c’est ma paix que je vousdonne… Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votrejoie soit parfaite… Recevez l’Esprit Saint » (Jn 6,57.47 ; 14,27 ;15,11 ; 20,22)…

Page 14: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

D.Jacques Fournier

L’EXISTENCE PASCALE DU CHRETIEN

« Ignorer-vous que, baptisésdans le Christ, c’est dans sa mort que tous nous avons étébaptisés ?Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans lamort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par lagloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle.Car si c’est un même être avec le Christ que nous sommesdevenus par une mort semblable à la sienne, nous le seronsaussi par une résurrection semblable ; comprenons-le, notrevieil homme a été crucifié avec lui, pour que fût détruit cecorps de péché. Car celui qui est mort est quitte du péché.Mais si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nousvivrons aussi avec lui, sachant que le Christ, une foisressuscité des morts, ne meurt plus, que la mort n’exerce plusde pouvoir sur lui. Sa mort est une mort au péché, une foispour toutes ; mais sa vie est une vie en Dieu. Et vous demême : regardez-vous comme morts au péché et vivants pour Dieudans le Christ Jésus » (Rm 6, 3-11)

Le baptême nous incorpore au Christ et nous associe à sa Pâque,c’est-à-dire à sa mort et à sa résurrection. Et tout d’abord à samort. Que veut dire « être baptisé dans la mort du Seigneur » ?

L’expression est étonnante.

Page 15: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

La mort, celle de Jésus comme lanôtre, est un phénomène physiquequi ne dure que l’espace dequelques secondes. Pourtant noussavons que la mort de Jésus sur lacroix ne fut que l’achèvementd’une existence déjà marquée decette mort et à l’avance acceptéecomme la suprême expression d’uneconstante manière de mourir à toutce qui, dans sa vie, eût contrarié la volonté du Père.

« Ma nourriture, disait-il, est de faire la volonté de Celui quim’a envoyé » (Jn 4, 34) et, à la veille de sa Passion : « Non ceque je veux, mais ce que tu veux, Père » (Mc 14, 36). Il y a doncen lui, comme en chacun de nous, la mort que l’on subit comme leterme de la vie, et la mort que l’on choisit de vivre en pleineexistence. Etre incorporé par le baptême à la mort du Christ,c’est donc apprendre à mourir de cette double mort.

LA MORT TOUJOURS PRESENTE

Envisageons d’abord la mort que l’on subit, la nôtre et celle desautres. Ma propre mort, bien avant d’être l’instant du derniersoupir, est une part essentielle et une donnée de mon aventureterrestre. Elle m’est déjà présente par la mort des autres en tantqu’elle me signifie la mienne et m’avertit qu’elle peut mesurprendre à tout moment.

Mais surtout elle me rejoint parla multitude des ses signesanticipés : la maladie et levieillissement me préviennent queson œuvre est commencée et quedéjà j’en porte les traces. Si jedemeurais insensible à ces signes

biologiques, d’autres ne manqueraient pas de m’agresser jour après

Page 16: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

jour, en particulier la contrariété et la contradiction deschoses, je dirais même l’absurdité des choses. Il y a, en effet,une constante rupture entre, d’une part, le projet de vie et deplénitude que je porte en moi et, d’autre part, la réalité de cequi m’arrive : je veux la joie et le bonheur, et je récolte latristesse et parfois le désespoir ; je mûris et je préparelonguement un projet dans le domaine affectif ou professionnel, etje récolte l’échec. A mesure que je m’efforce de former en moil’homme libre que je veux être, je me surprends asservi par toutessortes d’esclavages issus de ma nature comme aussi de monenvironnement social. Ici, nous rejoignons le niveau le plusprofond : celui de la vie morale ; à cet égard, écoutons encorel’apôtre Paul : « Ce que je veux, je ne le fais pas ; mais ce queje hais, je le fais… Vouloir le bien est, certes, à ma portée,mais non l’accomplir, car le bien que je veux, je ne le fais pas,mais le mal que je ne veux pas, je le commets ». Et l’Apôtreconclut : « Si je fais ce que je ne veux pas, c’est à cause dupéché qui habite en moi » (Rm 7, 15-20) et qui est en moil’expression de la mort.

Or, c’est déjà à cette mort-là que le Christ nous invite à mourirà longueur de vie. Et, par le baptême reçu dans la foi et revécudans la liberté, il nous communique sa puissance de ressuscitépour mourir de la sorte avec lui : « Ne crains point, car mapuissance se déploie dans la faiblesse », confiait-il à Paul.« Nous le savons, déclare celui-ci : notre vieil homme a étécrucifié avec le Christ pour que fût détruit le corps de péché etqu’ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché » (Rm 6, 6)

Page 17: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Mais si l’on peut, avec la force de la miséricorde et avec lapuissance de l’Esprit, mourir au péché, on se demande comment onpourrait échapper au vieillissement, par exemple ; car lesavancées biologiques de la mort paraissent irréversibles. Etpourtant, ainsi que nous le dirons plus loin, la jeunesse del’esprit et du cœur peut opérer une croissance spirituelle capabled’aller à contre-courant de la sclérose des membres et de toutesles « puissances de diminution » : « Même si notre homme extérieurse détruit, écrit encore Paul, notre homme intérieur se renouvellede jour en jour » (2 Co 4, 16).

Il y a aussi la mort des autres, je veux dire leur disparition ouleur déchéance qui, à cause du lien qui nous unit à eux, nousatteint à cette profondeur de nous-mêmes qu’on appelle le« cœur ». S’il y a une façon de souffrir de leur mort, il y aégalement une manière de mourir, avec le Christ, au désespoirqu’elle engendre. Nous savons ce que peut contenir à la foisd’atrocité crucifiante, mais aussi de sursaut spirituel, la mortd’un enfant.

MOURIR AU VIEL HOMME

Voilà qui nous amène d’emblée à envisager cette autre forme de lamort : celle que nous choisissons librement de vivre, si j’osedire : mourir avec Jésus Christ à tout ce qui n’est pas de Dieu, à

Page 18: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

tout ce qui, parce que source de division et de désagrégation ;s’oppose à l’amour qui est en Dieu. C’est cela mourir au vieilhomme en vue de revêtir une créature nouvelle qui tend à rejoindrela stature même du Christ.

Ecoutons ce que saint Paul écrivaitaux gens de Corinthe : « Nous portons partout et toujours en notrecorps les souffrances de mort de Jésus, pour que la vie de Jésussoit elle aussi, manifestée dans notre corps. Quoique vivants, eneffets, nous sommes continuellement livrés à la mort à cause deJésus, pour que la vie de Jésus soit elle aussi manifestée dansnotre chair mortelle » (2 Co 4, 10-11). Ce que le Christ enMatthieu, dit en termes très simples : « Si quelqu’un veut venir àma suite, qu’il se renonce, qu’il se charge de sa croix et qu’ilme suive » (Mt 16, 24) ou encore : « Qui aura trouvé sa vie laperdra, et qui aura perdu sa vie à cause de moi, la trouvera » (Mt10, 39). Commentant ce propos, saint Jean de la Croix écrit ceci :« Oh ! Qui pourrait faire comprendre jusqu’à quel degré notreSeigneur veut que ce renoncement parvienne ! Il faut certainementqu’il soit comme une mort, un anéantissement volontaire parrapport à tout ce qui est du temps, de la nature et de l’esprit :et là est la source de tous les biens, comme Notre Seigneur ledéclare par ces paroles » (Montée au Carmel, chap 6). En vérité,cela ne revient-il pas d’abord à mourir aux multiples idoles quiencombrent nos vies aux dépens du seul vrai Dieu, je veux dire àtoutes ces réalités éphémères et périssables auxquelles nousserions tentés de subordonner nos existences tout entières :l’argent, le pouvoir, l’idéologie politique, les affaires, lemétier… Rappelons-nous cette parole tombée naguère du Sinaï : « Tun’auras point d’autres dieux devant ma face ! »

Page 19: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Mourir à tout cela n’a, bien sûr,de sens que par rapport à l’uniquecommandement de l’amour. Et celui-ci est le seul critère de lavalidité d’une telle mort :l’amour de Dieu pour son peuple,dont le baptême nous fait être lesrelais. C’est bien cela lesacrifice : « sacrum facere »,

l’acte par lequel j’élève ma vie à l’ordre du sacré, l’initiativepar laquelle je me prive en vue de partager et ainsi me soumettreà Celui qui est « l’Eternel jaillissement hors de Lui-même ».L’Amour qui partage consent à cette manière de mort qui s’appelle« renoncement ».

Si nous avons été baptisés dans la mort du Christ, « c’est afinque, comme le Christ est ressuscité d’entre les morts, nousmenions semblablement, nous aussi, une vie nouvelle »… et dès àprésent.

PAQUE : L’AVENTURE DE NOTRE VIE

Voilà bien le « passage » – ce quitraduit le mot de « Pâque » – :passer d’une vie à l’autre. Sansdoute, s’agit-il, au bout ducompte, de passer, par mode demutation radicale, de l’existencelarvaire et brumeuse qui est notrecondition présente, à la viepleine et lumineuse du Christressuscité dans la gloire du Père,et cela par le franchissement dela mort charnelle. Mais cette vie

de plénitude ne peut être que l’épanouissement final d’uneexistence elle-même déjà pascale. Notre Pâque définitive nesaurait être qu’à la mesure de son anticipation dans la durée

Page 20: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

terrestre. Pâque est l’aventure de notre vie, comme elle futl’aventure du peuple hébreu, marchant à coups de sursauts et derenouvellements, depuis les rives de l’esclavage jusqu’aux rivagesde la liberté, au travers des eaux de la mer Rouge qui marquèrentle départ et les eaux du Jourdain qui consacrèrent l’arrivée.

Baptisés pour passer un jour de la mort à la Vie du ressuscité,nous le sommes donc aussi pour passer, dès aujourd’hui etindéfiniment, du vieil homme à l’homme nouveau, de l’esclave dupéché à l’homme libéré, j’oserais dire : de l’état de mort àl’état de vie par le moyen de la mort consentie. C’est dire que lebaptême nous engage et nous entraîne dans ce mouvement ou cerythme de dépassement et de renaissance ininterrompue, fait demort et de vie, et de vie nouvelle surgissant sans cesse de lamort au vieil être, dans le Christ victorieux de toute mort. Ilest donc vrai de dire que, si notre vie de baptisé est, ainsi quenous l’avons dit, une manière de mort quotidiennement, elle estaussi déjà une existence de salut, de salut anticipé : elle l’estpar la puissance du Christ qui nous habite par l’Esprit et à quitout est possible, même l’apparemment impossible ; elle l’est parla transformation que cette force opère au cœur de notre liberté :la résurrection de Jésus ne transparaît-elle déjà au travers decette capacité de jeunesse et de renouvellement dont témoignent ladisponibilité, l’accueil, le partage, l’ouverture, l’intelligencedes situations ? Une telle jeunesse conquise dépasse la jeunessede l’âge, pour atteindre son sommet aux approches de la mort,c’est-à-dire au seuil de l’éternelle jeunesse. Mais cette conquêteest évidemment au prix d’une mort constante du vieil homme, de cethomme immobile et replié dans le « chacun pour soi », dans lepéché. C’est cela : mourir et renaître en Jésus Christ.

Page 21: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

AU SOIR DE LA GRANDE MUTATION

Alors, au soir de la grande mutation, au jour de la mortcharnelle, encore présente dans le monde quoique vaincue, « la viene sera pas détruite, mais transformée », ainsi que le proclame lapréface de la messe des funérailles. Disons que cette vie, vécueselon le rythme pascal ou baptismal de mort et de résurrection,trouvera sa plénitude par mode de transfiguration. Et c’est bienlà le sens de cet autre propos de Paul aux Romains : « Nous savonsque jusqu’à maintenant la création tout entière gémit dans lesdouleurs de l’enfantement… Mais elle attend avec impatience larévélation des fils de Dieu… car elle doit être libérée del’esclavage de la corruption pour connaître la glorieuse libertédes enfants de Dieu… Certes si nous possédons déjà les prémices del’Esprit, ce n’est encore qu’une espérance que nous sommes sauvés.Et nous attendons avec constance de voir ce que nous espérons »(Rm 8, 18-25). Voir ce que nous espérons ? Paul précise auxCorinthiens : « Nous ne voyons à présent que dans un miroir, enénigme ; mais alors ce sera le face à face. A présent je connaisd’une manière partielle : mais alors je connaitrai comme je suisconnu » (1 Cor 13, 12). Pourtant, si la foi et l’espérance ne sontque des vertus passagères propres à notre régime actuel et, parconséquent, appelées à disparaître devant la pleine possession deleur objet, la charité, elle, demeure, car « elle ne passerajamais » : l’amour qui jaillit de Dieu, l’amour qui, avec JésusChrist, s’oublie et se donne, constitue dès à présent en nouscette part éternelle qui déjà nous éternise.

Page 22: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

« Car si nous sommes devenus un même être avec le Christ par unemort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une semblablerésurrection ». Tel est donc l’ultime « passage » d’une existencepascale. Et ensuite ? Après, je ne sais plus. Nul ne peut savoir.Il me semble pourtant qu’un signe de cette béatitude nous estparfois accordé, afin de nous en donner le goût et l’impatience.Et ce signe, c’est la Joie !

DES SIGNES AVANT-COUREURS

Qui d’entre nous, sans être un mystique, n’a un jour éprouvé dansson existence une joie immense, une sorte de transport de joie, uninstant de bonheur débordant jusqu’à nous faire passagèrementperdre le sentiment de la pesanteur et même le sens de l’espace etdu temps ? Ce fut un peu comme une fenêtre ouverte sur l’éternitébienheureuse, mais qui bien vite, hélas ! s’est refermée.L’occasion en fut, peut-être, la naissance d’un amour ou d’unenfant ou d’une vocation, ou simplement la soudaine et lumineuseintuition d’une certaine coïncidence entre le projet de plénitudeque nous portons enfoui au fond de nous et son reflet dans laréalité. Cette expérience éblouissante pour signifier et déjàanticiper le destin définitif de l’homme sauvé, les apôtres l’ontun jour éprouvéé au sommet du Thabor en présence de Jésustransfiguré. Cette vision n’aurait-elle pas été pour Pierre,Jacques et Jean le début d’une existence nouvelle toute entièretendue vers la réalisation définitive et globale de ce qu’ils ontentendu, touché, vu, contemplé et surtout vécu du Christ mort etvivant, afin qu’à notre tour nous entrions, à la suite, dans cedynamisme de la Pâque. C’est à peu près en ces termes que saintJean, le témoin par excellence, commence sa première épître. Et ilen achève l’avant-propos par ces mots : « Ceci, nous vousl’écrivons pour que notre joie et la vôtre soient complètes. »

Page 23: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Pierre BOCKEL

Archiprêtre de la cathédrale de Strasbourg

La Passion et la Croix du Christ,Révélation de l’Amour infini de Dieupour tous les hommes (D. JacquesFournier)« Cela peut paraître curieux », écrit Théophile Penndu dans sonlivre « Jésus Sauveur », « de proposer comme guide, à ceux quiveulent parvenir au bonheur, un homme qui a été rejeté, qui estmort comme un criminel sur une croix. Mais grâce à leur foi en larésurrection, les chrétiens affirment que Jésus nous sauve, que savie n’est pas un échec et qu’elle aboutit à une vie de bonheur

Page 24: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

sans fin également promise à ceux qui accepteront de vivre commelui ».

Alors deux discours doivent sans cesse être présents à notreesprit, car avec le Christ, ils ne font qu’un… Jésus, en effet,parlera de « béatitude » tout en évoquant des situations desouffrance…

Lc 6,20-22 : « Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieuest à vous.

21 – Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serezrassasiés.

Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez.

22 – Heureux êtes-vous, quand les hommes vous haïront,

quand ils vous frapperont d’exclusion et qu’ils insulteront

et proscriront votre nom comme infâme, à cause du Fils de l’homme.

23 – Réjouissez-vous ce jour-là et tressaillez d’allégresse,

car voici que votre récompense sera grande dans le ciel.

C’est de cette manière, en effet, que leurs pères traitaient lesprophètes. »

… et il invitera ses disciples à prendre leur croix à sa suitepour trouver avec elle la joie du salut…

Page 25: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Christ Ressuscité – Basilique de Lisieux

Lc 9,23-24 : Jésus « disait à tous : « Si quelqu’un veut venir àma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croixchaque jour, et qu’il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie laperdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi, celui-là lasauvera ».

Lc 14,27 : « Quiconque ne porte pas sa croix et ne vient pasderrière moi

ne peut être mon disciple. »

Jn 15,11 : « Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous, etque votre joie soit complète »…

Autant de situations paradoxales dont le point de convergence està chercher dans la dynamique de Dieu Lui-même : celle de l’Amour…Et Jésus en fut le plus parfait exemple…

Page 26: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

« Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même » (Ste Thérèse deLisieux)…

Se donner, toujours et partout, pour le bien de l’autre, quelleque soit son attitude à notre égard… « Il est passé partout enfaisant le bien » (Ac 10,36-43). Et c’est bien pour notre bonheurque Jésus nous a ainsi parlé, qu’il a vécu avec nous, agi pournous, nous donnant ainsi l’exemple de l’amour jusqu’à la fin…

« Jésus n’est ni utopiste ni un doux rêveur. Il est l’incarnationd’un Dieu qui est Amour. Il est crédible car il a aimé jusqu’aubout, il a vaincu la haine. Aucune loi, même celle relative auSabbat, n’a pu l’empêcher de sauver ceux qui en avaient besoin…

La liturgie chrétienne peut ainsi nous parler de « la passion quinous sauve » car au cours de sa passion, au milieu des piressouffrances, Jésus s’est montré plus fort que toutes lesméchancetés ou injustices. Aucune force hostile n’a pu avoir

Page 27: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

raison de son amour qui va jusqu’àpardonner à ses bourreaux ».« Père, pardonne-leur, ils nesavent pas ce qu’ils font » (Lc23,34). « C’est là surtout quenous pouvons vérifier qu’il estsauveur. Grâce à lui, nous savonsque nous sommes aimés même si nousne le méritons pas. Même si nousle renions, son amour à luirestera fidèle et nous permettra

de nous relever. Sa manière de vivre est le chemin du salut pourtous les hommes de tous les temps. Ceux qui depuis vingt sièclesse sont efforcés de marcher sur ses traces ont pu expérimenter,parfois à travers doutes et inquiétudes, qu’ils s’en trouvaientgrandis et qu’ils contribuaient à rendre le monde plus humain ».

En effet, « être sauvé, c’est devenir humain en développant toutesses potentialités, en refusant de s’enfermer sur soi-même pours’ouvrir aux autres, en cherchant à progresser toujours davantage.Jésus est justement celui qui a su faire confiance et aimer assezles autres pour qu’ils puissent vivre debout. Au lieu de juger etd’enfermer les gens dans leur passé ou dans leur situation socialeou religieuse, il a su voir en eux le positif, les possibilités deprogrès. Les choix de vie de Jésus visent à libérer l’homme.

On est sauvé quand on se sait aimé. Jésus est habité par une forced’amour : la Présence de Dieu qu’il appelait « mon Père » ou plusfamilièrement « Abba » (Papa). Il a aimé jusqu’à en mourir. Il aaccompli jusqu’au bout la mission de salut qui était la sienne.Croire en quelqu’un, c’est lui faire confiance sans arrière-pensée. Lui déclarer : « Je crois en toi », c’est lui dire : « Jesuis sûr que je peux m’appuyer sur toi et que tu ne m’abandonnerasjamais. » » C’est ce que Jésus, l’Agneau sans tâche, a vécu, dansla foi, avec son Père. C’est ce que nous sommes tous invités àvivre, nous pécheurs, marqués par la fragilité d’une volonté sisouvent vacillante. Mais l’Amour Miséricordieux du Christ ne nous

Page 28: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

fera jamais défaut, toujours offert pour le meilleur de l’instantprésent de notre vie…

Ainsi, « Jésus a indiqué la sourcedu salut : l’amour gratuit etuniversel de Dieu. Il est des gensqui pensent que si le salut est undon de Dieu, l’homme n’a plus rienà faire. Le Dieu de Jésus n’estpas aliénant, au contraire ! Ilest une force de transformation,de libération ; s’ouvrir à son

action, c’est entrer dans un mouvement de salut. Le Dieu de Jésusn’est ni le supplément, ni encore moins le concurrent de l’homme.Il propose le salut en offrant son amour, mais pour porter desfruits de salut, cet amour doit être accueilli et mis en œuvre.Etre sauvé, c’est, comme Jésus, vivre avec et de ce Dieu source detoute vie et de tout amour »…

« Père, glorifie ton Fils afin que ton Fils te glorifie » (Jn17,1)… Père, fortifie ton Fils afin que ton Fils puisse êtrejusqu’au bout, jusqu’à l’extrême du don de soi (Jn 13,1), letémoin de cet Amour gratuit et inconditionnel de Dieu pour tousles hommes, quels qu’ils soient, quoi qu’ils fassent, puissent-ilstuer sur une Croix le Fils, l’Unique Engendré…

Animé lui aussi par cette Forced’Amour qu’est l’Esprit Saint,Pierre pourra, après la Pentecôte,y puiser le courage d’être à sontour le témoin de cet Amour devantceux-là mêmes qui ont contribué àfaire mourir Jésus… Avecbienveillance, il commencera parles appeler « frères », et puis,il reprendra à son compte une desdernières paroles du Christ sur laCroix. Il avait dit en effet :

Page 29: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

« Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font »… EtPierre dira de son côté : « Frères, je sais que c’est parignorance que vous avez agi ainsi »… Puis, il leur annoncera laBonne Nouvelle de cet Amour de Miséricorde qui, envers et contretout, ne désire et ne cherche que notre bien… Ils l’ont tué ? LePère l’a ressuscité, et il l’a envoyé les bénir et leur offrir lepardon de toutes leurs fautes ! Mais pour le recevoir, ils devrontbien sûr se détourner de tout mal… Alors, de ce pardon reçu,pourra renaître une humanité nouvelle où régnera non pas la haine,mais l’Amour, non pas la méchanceté, mais la Bonté… Car tous, parce pardon, recevront d’avoir part à un Unique Amour, une UniqueBonté, un Unique Esprit qui leur donnera enfin, petit à petit, des’aimer les uns les autres comme le Christ Lui-même nous a aimés(Jn 15,12)…

Ac 3,17-26 : «Cependant, frères,

je sais que c’est par ignorance que vous avez agi, ainsid’ailleurs que vos chefs.

18 – Dieu, lui, a ainsi accompli ce qu’il avait annoncé d’avance

par la bouche de tous les prophètes, que son Christ souffrirait.

19 – Repentez-vous donc et convertissez-vous, afin que vos péchéssoient effacés,

20 – et qu’ainsi le Seigneur fasse venir le temps du répit.

Il enverra alors le Christ qui vous a été destiné, Jésus…

25 – Vous êtes, vous, les fils des prophètes et de l’alliance

que Dieu a conclue avec nos pères quand il a dit à Abraham :

Et en ta postérité seront bénies toutes les familles de la terre.

26 – C’est pour vous d’abord que Dieu a ressuscité son Serviteur

et l’a envoyé vous bénir,

Page 30: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

du moment que chacun de vous se détourne de ses perversités. »

D. Jacques Fournier

Si vous désirez approfondir ce thème, vous pouvez cliquer sur letitre suivant :

La Passion et la Croix du Christ, Révélation del’Amour infini de Dieu pour tous les hommes

il vous donnera accès à un document PDF que vous pourrez lire ouimprimer.

Vivre du Dieu « Source de Vie »…« Dieu est Esprit » nous dit St Jean (Jn 4,24) et il a créél’homme « esprit » pour lui donner de pouvoir participer à cequ’Il Est Lui-même. Notre « esprit » peut ainsi être comparé à une« capacité spirituelle » que Dieu désire « remplir » de ce qu’IlEst Lui‑même : son Esprit qui est Vie…

Le prophète Jérémie présente ainsi deux fois « Dieu » comme étant« une Source d’Eau Vive » :

Jr 2,13 : « Mon peuple a commis deux crimes :

Ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive,

pour se creuser des citernes,

citernes lézardées qui ne tiennent pas l’eau. »

Page 31: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Jr 17,13 : « Espoir d’Israël, Yahvé,

tous ceux qui t’abandonnent seront honteux,

ceux qui se détournent de toi seront inscrits dans la terre,

car ils ont abandonné la source d’eaux vives, Yahvé. »

Le Psaume 36 présente également Dieu comme une Source :

Ps 36,10 : « En toi (Seigneur) est la source de vie,

par ta lumière nous voyons la lumière. »

St Jean reprendra l’image de l’Eau Vive en expliquant qu’ellereprésente l’Esprit de Dieu, et donc ce que Dieu Est en Lui-même :

Page 32: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Jn 7,37-39 : « Le dernier jour de la fête, le grand jour, Jésus, debout, s’écria:

Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive,

celui qui croit en moi !

selon le mot de l’Écriture :

De son sein couleront des fleuves d’eau vive.

Il parlait de l’Esprit

que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui »…

Et puisque Dieu nous a tous créés pour être remplis de l’Eau Vivede son Esprit, tous les hommes ont un désir spirituel, une faimspirituelle, une soif spirituelle… Comme image, nous pouvonsprendre notre corps qui a été créé pour vivre de ce qu’il reçoit :nourriture et boisson… Pour cela il dispose d’un « estomac » qui

Page 33: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

est « capacité corporelle » destinée à être remplie de ce pourquoi elle a été faite… Et lorsque notre « estomac » est vide, toutle corps réclame de la nourriture : nous avons faim, nous nepouvons plus vivre pleinement, nous expérimentons une souffrance,un mal-être général… Par contre, quand il est plein,nous ressentons une impression de bien-être. Il en est de même denotre dimension spirituelle… Lorsque notre esprit ou notre cœurest vide des réalités spirituelles pour lesquelles il a été créé,nous expérimentons un manque, une faim, une soif de plénitude,le désir d’un bonheur profond qui n’est pas au rendez-vous,un mal-être difficile à exprimer, une tristesse générale mêlée desouffrance et d’angoisse… Et pourtant, Dieu n’a qu’un seul désir :le remplir, car il nous a tous créés pour cela…

C’est pourquoi le psalmiste exprime ce désir avec l’image de « lasoif de Dieu », car il est une révélation indirecte de ce pourquoi nous avons tous été créés : pour être remplis de l’Esprit deDieu, cette « Eau Vive » qui est Plénitude de Vie, de Paix et doncBonheur profond, la seule qui peut combler notre soif profonde…

Ps 42,2-3 :

« Comme un cerf altéré cherche l’eau vive,

ainsi mon âme te cherche, toi, mon Dieu.

Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant.

Quand pourrai-je m’avancer,

Page 34: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

paraître face à Dieu ? »

Or, comme le disait le prophète Jérémie, en abandonnant Dieu« Source d’Eau Vive », l’homme se prive par lui-même de laPlénitude de cette Eau Vive, la Plénitude de la Vie éternelle…Mais comme nous avons tous été créés pour être comblés, pour êtreheureux, l’homme va se lancer dans une quête éperdue de bonheur…Et il le cherchera dans une recherche effrénée des plaisirs de lavie, du pouvoir, de l’argent, des réalités matérielles… Mais s’ilest sincère avec lui-même, il ne pourra que constater que le vraibonheur n’est toujours pas au rendez-vous… Alors, faut-il« avoir » plus ? Il essaiera, sans résultats… Peut-être faut-ilêtre plus haut placé dans la société ? Il essaiera, sansrésultats… Toutes ces quêtes sont comme des citernes qu’il prendbeaucoup de peine à creuser en espérant qu’un jour elles serontpleines d’eau, et donc de vie, de promesses de vie, derassasiement, de bonheur… Mais comme l’écrit Jérémie, elles sontfissurées dès le départ … Elles ne peuvent retenir l’eau et offrirle vrai bonheur, la vraie vie… L’espérance de plénitude ne peutqu’être déçue… Pire, le fait qu’elles soient à sec est synonyme demort…

Le Père va donc envoyer le Fils dans le monde pour donner auxhommes de pouvoir retrouver avec Lui le chemin qui conduit à Dieuet donc à l’Eau Vive de l’Esprit qui ne cesse de jaillir de Luipour combler ses créatures… « Tu nous as faits pour toi, Seigneur,et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi »,disait St Augustin. Le Christ est ainsi venu offrir aux hommes,gratuitement, par amour, cette Plénitude d’Esprit et donc de Viepour laquelle nous avons tous été créés…

Page 35: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Dans l’Evangile selon St Jean, auchapitre 4, Jésus est présentécomme étant assis près d’un puits…Cette image visible est larévélation invisible de ce qu’IlEst de toute éternité : le Filsqui est tourné vers le Père« Source d’Eau Vive ». Voilà cequ’il reçoit de Lui depuistoujours et pour toujours : l’Eau

Vive de l’Esprit. Or, si Dieu est Esprit (Jn 4,24), ce mot« Esprit » suffit à lui seul pour évoquer le mystère de la naturedivine, c’est-à-dire ce que Dieu Est en Lui-même. St Jean diraégalement « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5) et deux fois « Dieu estAmour » (1Jn 1,4,8.16). Ces trois mots expriment donc des aspectsd’une seule et unique réalité : cette nature divine que le Pèredonne au Fils de toute éternité. Et nous confessons du Fils dansnotre Crédo : « Il est Dieu né de Dieu, Lumière né de la Lumière,vrai Dieu né du vrai Dieu. Engendré non pas créé, de même natureque le Père »…

Ainsi, Jésus assis près du puits est une image du Fils toujoursprès du Père, tourné de cœur vers le Père (Jn 1,18), recevant duPère la Vie que le Père a en lui-même (Jn 5,26). Et il va dire« J’ai soif » à une femme samaritaine… En effet, il est « fatiguépar la marche » et « c’était environ la sixième heure, c’est-à-dire midi ». La Samaritaine va s’étonner que Jésus lui adresse laParole car la Loi interdisait à un homme d’aborder une femmeseule, et les Juifs n’entretenaient pas de relations avec lesSamaritains, leurs ennemis « héréditaires »… Mais Jésus faittomber toutes ces barrières car il a, lui, le désir de partageravec elle ce Don de la Plénitude de l’Esprit qu’il ne cesse derecevoir de son Père et qui comble son cœur… Alors, il va luimettre « l’eau à la bouche » et lui parler de cette Eau Vive enespérant que viendra le moment où elle aussi lui dira « J’aisoif » de recevoir cette Vie dont tu me parles…

Page 36: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Jn 4,10 : Jésus lui dit :

A – Si tu savais le don de Dieu Le Don deDieu est évoqué

B – et qui est celui qui te dit : Jésusdemande à la femme

C – Donne-moi à boire, Donne-moi à boire

B’ – c’est toi qui l’aurais prié Lafemme aurait demandé à Jésus

A’ – et il t’aurait donné de l’eau vive. Le Don deDieu est précisé : l’Eau Vive

Le texte est très bien construit : Jésus dit à la Samaritaine« Donne-moi à boire » pour qu’un jour la Samaritaine lui dise« Donne-moi à boire »… Jésus lui révèle ainsi le Don qu’il estvenu offrir à tous les hommes : l’Eau Vive de l’Esprit, la seuleréalité capable de remplir nos cœurs et donc de nous offrir lavraie Vie, le vrai Bonheur… Voilà pourquoi il nous invite à ledemander en St Luc avec une incroyable insistance :

Lc 11,9-13 : « Et moi, je vous dis :

A – demandez et l’on vous donnera ;

B – cherchez et vous trouverez ;

C – frappez et l’on vous ouvrira.

A’ – Car quiconque demande reçoit ;

B’ – qui cherche trouve ;

C’ – et à qui frappe on ouvrira.

Exemple I – Quel est d’entre vous le père auquel son fils

Page 37: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

demandera un poisson,

et qui, à la place du poisson, luiremettra un serpent ?

Exemple II – Ou encore s’il demande un œuf, lui remettra-t-il unscorpion ?

Conclusion : A – Si donc vous, qui êtes mauvais,

B – vous savez donner de bonneschoses à vos enfants,

A’ – combien plus le Père du ciel (qui est infiniment bon)

B’ – donnera-t-il l’EspritSaint à ceux qui le lui demandent ! »

Demander, librement, manifestera alors notre désir de recevoir… Etnous ne pourrons qu’être exaucés car la Source n’a pas attendunotre demande pour couler : elle coule de toute éternité… LePsalmiste exprime également ce Mystère de l’Amour de Dieu avecl’image du Soleil… Dieu est un Soleil, il ne cesse de briller, ilne cesse de donner la Lumière et il est Lumière… Autrement dit, ilne cesse de donner ce qu’il est en Lui‑même… Dieu est Esprit ? Ilest Source, et ne cesse de donner l’Eau Vive de l’Esprit… Setourner de tout cœur vers Lui, c’est déjà recevoir, gratuitement,par amour… Nous retrouvons cette phrase de Ste Thérèse de Lisieux,à appliquer littéralement à Dieu qui est Amour, et toutspécialement au Père : « Aimer, c’est tout donner et se donnersoi-même ». Dieu est Esprit ? Il donne l’Esprit… Dieu est Lumière,Soleil ? Il donne la Lumière…

Page 38: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Ps 84,12 : « Le Seigneur Dieu est un Soleil…

Il donne la grâce,

il donne la gloire »…

Alors, si nous répondons à l’appel de Dieu, « repentez-vous,tournez-vous vers moi et vous serez sauvés, tous les lointains dela terre » (Is 45,22), en tournant notre cœur vers la Source d’EauVive, nous serons intérieurement comme un jardin tout irrigué :

Is 58,11 : « Le Seigneur sanscesse te conduira,

il te rassasiera dans les lieux arides,

il donnera la vigueur à tes os,

et tu seras comme un jardin arrosé,

Page 39: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

comme une source jaillissante

dont les eaux ne tarissent pas.»

C’est ce que dit Jésus à la Samaritaine :

Jn 4,13-14 : « Jésus lui dit :

Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau ;

mais qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamaissoif ;

l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eaujaillissant en vie éternelle. »

Et comme « un homme ne peut rienrecevoir si cela ne lui a étédonné du ciel » (Jn 3,27), celuiqui a, c’est qu’il a reçu… S’il areçu, c’est qu’il est tourné versDieu et ouvert à Dieu. Et commeDieu est Source, il recevra etrecevra encore : « C’est une bonnemesure, tassée, secouée,

débordante, qu’on versera dans votre sein » (Lc 6,38)…

Et le Christ va mourir sur la croix pour que nous puissionsrecevoir cette Eau Vive de l’Esprit. Là encore, le corporel estsigne visible du spirituel. Un soldat romain va transpercer soncœur d’où s’écouleront sur la terre toute « l’eau et le sang » quile remplissaient (Jn 19,33-35). Or dans la Bible, les deux sontsymbole de vie. Ainsi, le cœur « spirituel » est désormais ouvertà tous les hommes et de lui s’écoule pour eux la Plénitude de

Page 40: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

l’Eau Vive de l’Esprit qui le remplit et qu’il reçoit de son Pèrede toute éternité… Avec Lui et par Lui, une Source a jailli en cemonde pour combler notre soif intérieure…

Joël 4,18 :

« Une source jaillira de la maison de Yahvé

et arrosera le ravin des Acacias »…

Deux images de l’Ancien Testament sont accomplies. Celle duRocher :

Ex 17,1-7 : Toute la communauté des Israélites partit du désert deSîn, sur l’ordre de Yahvé,

et ils campèrent à Rephidim. Or il n’y avait pas d’eauà boire pour le peuple.

( 2) Celui-ci s’en prit à Moïse; ils dirent : Donne-nous de l’eau, que nous buvions !

Moïse leur dit : Pourquoi vous en prenez-vous à moi ?

Pourquoi mettez-vous Yahvé à l’épreuve ?

Page 41: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

( 3) Le peuple y souffrit de la soif, le peuplemurmura contre Moïse et dit :

Pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ?

Est-ce pour me faire mourir de soif, moi, mes enfantset mes bêtes ?

( 4) Moïse cria vers Yahvé en disant : Que ferai-jepour ce peuple ?

Encore un peu et ils me lapideront.

( 5) Yahvé dit à Moïse : Passe en tête du peuple et prends avectoi quelques anciens d’Israël ;

prends en main ton bâton, celui dont tu as frappé leFleuve, et va.

( 6) Voici que je vais me tenir devant toi, là sur lerocher (en Horeb),

tu frapperas le rocher, l’eau en sortira et le peupleboira.

C’est ce que fit Moïse, aux yeux des anciens d’Israël.

( 7) Il donna à ce lieu le nom de Massa et Meriba,

parce que les Israélites cherchèrent querelle

et parce qu’ils mirent Yahvé à l’épreuve en disant :

Yahvé est-il au milieu de nous, ou non ?

Ce texte sera très souvent repris par la suite (Nb 20,1-13 ; Is48,21 ; Ps 78,15-16 ; 105,41 ; 114,8 ; Sg 11,4). Et l’image durocher renvoie dans la Bible au Mystère de Dieu (Ps 18,3 ; 18,32 ;18,47 ; 19,15 ; 28,1 ; 31,4…).

Page 42: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

St Paul dira que ce rocher dans le Livre de l’Exode, c’était leChrist…

1Co 10,1-4 : « Je ne veux pas que vousl’ignoriez, frères :

nos pères ont tous été sous la nuée,

tous ont passé à travers la mer,

tous ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer,

tous ont mangé le même aliment spirituel

et tous ont bu le même breuvage spirituel

ils buvaient en effet à un rocher spirituel

qui les accompagnait, et ce rocher c’était le Christ. »

Avec le Christ et par le Christ, vrai homme et vrai Dieu, c’estDieu Lui-même qui a été frappé et l’Eau Vive de sa Vie s’écoule enPlénitude sur les hommes pécheurs qui l’ont frappé pour les guérirpetit à petit de leur méchanceté et leur donner enfin d’aimer…

Page 43: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

La deuxième image est celle du Temple.

Ez 47, 1-12 : « Il me ramena à l’entrée du Temple,

et voici que de l’eau sortait de dessous le seuil duTemple, vers l’orient,

car le Temple était tourné vers l’orient.

L’eau descendait de dessous le côté droit du Temple,au sud de l’autel.

(2) Il me fit sortir par le porche septentrional et mefit faire le tour extérieur,

jusqu’au porche extérieur qui regarde l’orient,

et voici que l’eau coulait du côté droit.

(3) L’homme s’éloigna vers l’orient, avec le cordeauqu’il avait en main,

et mesura mille coudées;

alors il me fit traverser le cours d’eau :

j’avais de l’eau jusqu’aux chevilles.

(4) Il en mesura encore mille et me fit traverser lecours d’eau

j’avais de l’eau jusqu’aux genoux.

Il en mesura encore mille et me fit traverser le coursd’eau :

j’avais de l’eau jusqu’aux reins.

(5) Il en mesura encore mille,

et c’était un torrent que je ne pus

Page 44: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

traverser,

car l’eau avait grossi pour devenir uneeau profonde, un fleuve infranchissable.

(6) Alors il me dit : As-tu vu, fils d’homme?

Il me conduisit puis me ramena au bord du torrent.

(7) Et lorsque je revins, voici qu’au bord du torrent

il y avait une quantité d’arbres de chaque côté.

(8) Il me dit : Cette eau s’en va vers le districtoriental, elle descend dans la Araba

et se dirige vers la mer ; elle se déverse dans la mer en sorteque ses eaux deviennent saines.

(9) Partout où passera le torrent, tout être vivantqui y fourmille vivra.

Le poisson sera très abondant, car là où cette eaupénètre, elle assainit,

et la vie se développe partout où va le torrent.

Page 45: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Réplique de la mosaïque de Madaba (6° s) : le Jourdain (et ses poissons) sejette dans la Mer Morte, la Araba…(10) Sur le rivage, il y aura des pêcheurs.

Depuis En-Gaddi jusqu’à En-Églayim des filets seronttendus.

Les poissons seront de même espèce que les poissons de la Grandemer, et très nombreux.

(11) Mais ses marais et ses lagunes ne seront pas assainis,ils seront abandonnés au sel.

(12) Au bord du torrent, sur chacune de ses rives, croîtronttoutes sortes d’arbres fruitiers

dont le feuillage ne se flétrira pas et dont lesfruits ne cesseront pas :

ils produiront chaque mois des fruits nouveaux, carcette eau vient du sanctuaire.

Les fruits seront une nourriture et les feuilles unremède. »

Page 46: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Le Christ en se présentant comme le vrai « Sanctuaire de Dieu »(Jn 2,13-22), car « le Père est en lui » (Jn 14,11 ; 17,21),accomplira ce texte… Et de son côté ouvert sur la Croix, le côtédroit (Ez 47,2) d’après le Linceul de Turin, coulera ensurabondance l’Eau Vive de l’Esprit qui purifie et rend la vie auxcœurs blessés par la mort du péché. Ce même Esprit nourrit etdonne de porter du fruit en tout temps, des fruits pour la vie desautres… Et même les feuilles deviennent des remèdes pour guérirles malades. Ainsi, grâce à l’Esprit, ceux et celles qui lereçoivent contribuent à la vie du monde en tout ce qu’ils sont eten tout ce qu’ils font… Telle est l’Eglise qui, en témoignant dece qu’elle a reçu elle-même de la Miséricorde de Dieu, travaille àce que le plus possible de pécheurs puissent eux aussi vivre cequ’elle a vécu. « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait etressusciterait d’entre les morts le troisième jour », dit leRessuscité à ses disciples, « et qu’en son Nom le repentir en vuede la rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations, àcommencer par Jérusalem. De cela vous êtes témoins » (Lc24,46-48), les heureux témoins…

D. JacquesFournier

Dieu Source d’Eau Vive : cliquer sur le titre suivant pouraccéder au fichier PDF pour lecture ou éventuelle impression

Page 47: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

« Les entrailles de Miséricorde denotre Dieu » (Conseil Diocésain dePastorale).Cette expression nous vient directement de St Luc quand il nousrapporte ce que Zacharie déclara au jour de la circoncision de sonfils, Jean‑Baptiste.

I – Nous commencerons donc par relire ces lignes du « Cantique deZacharie » que nous connaissons tous et nous verrons le sens de cemot « entrailles ».

II – Puis, à partir de quelques textes de l’AT, nous redirons avecle Pape François le cœur de notre foi : « Dieu est Amour » (1Jn4,8.16 ; NT !).

III – Nous verrons que cet Amour inconditionnel et éternel necesse de prendre le visage de la Miséricorde, pour nous, pécheurs…

IV – Et nous terminerons, en constatant à l’aide de quelquestextes du NT, que non seulement Dieu ne cesse d’aimer ceux quifont le mal, mais qu’en plus, leur situation personnelle lebouleverse au plus profond de lui-même : en effet, celui qui faitle mal ne peut que se plonger lui-même dans la souffrance, et voirun seul de ses enfants souffrir, voilà ce qui bouleverse le cœurde Dieu… Dans le respect de notre liberté, il ne pourra alors quenous presser à cesser de faire ce mal qui nous détruit, pour nousinviter à apprendre, petit à petit, avec Lui et grâce à Lui, deMiséricorde en Miséricorde, à faire ce bien qui nous construit, etqui ne peut en fait qu’être l’expression d’un cœur comblé par ce« Dieu Amour », « qui se donne gratuitement » (Pape François). Lefruit de ce Don gratuit, pour celles et ceux qui accepteront de lerecevoir, sera alors un cœur comblé, renouvelé, ‘recréé’, enfantéà une vie nouvelle par ce Dieu Père qui nous aime, infiniment,avec toute la tendresse d’une Mère…

Page 48: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

I – Commençons donc par relire ces lignes de ceCantique que Zacharie adresse à son fils Jean-Baptiste :« Et toi petit enfant, tu seras appelé prophète du Très‑Haut ; cartu marcheras devant le Seigneur pour lui préparer les voies, pourdonner à son peuple la connaissance du salut, par le pardon de sespéchés, grâce aux entrailles de Miséricorde de notre Dieu (διὰσπλάγχνα ἐλέους θεοῦ ἡμῶν) dans lesquelles nous a visités l’Astred’en Haut, pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres etl’ombre de la mort, pour redresser nos pas au chemin dela paix » » (Lc 1,76-79).

Le mot « entrailles » traduit le grec « σπλάγχνα », pluriel de« σπλάγχνon ». Le dictionnaire Grec – Français « Bailly »donne pour « σπλάγχνon » (BAILLY M.A., « σπλάγχνon« ,Dictionnaire Grec-Français (Paris 1930) p. 1779) :

« les entrailles » :

I – Au propre : 1 – Les viscères principaux – cœur, poumon,foie – de l’homme ou des animaux (Il s’agit donc, très, trèsconcrètement… des tripes…).

2 – Le sein de la mère (Soulignons cetteconnotation maternelle, et le fait que ce « sein de la mère » estle lieu de l’enfantement, de la création).

II – Au figuré : 1 – Le cœur, l’âme, comme siège desaffections.

2 – Entrailles, cœur, âme, terme detendresse.

Page 49: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Le P. Ceslas Spicq écrit à ce sujet : « Dès le Vè-IVè siècle avJC, les σπλάγχνα désignent les « intérieurs » d’une victimeimmolée, que les règlements cultuels mentionnent parmile casuel des prêtres, si bien que le verbecorrespondant signifiera « consommer les entrailles ».Il s’agit, bien entendu, des parties nobles, car le mots’applique aussi à l’homme, où l’on compte septviscères : « l’estomac, le cœur, le poumon, la rate, lefoie et les deux reins » (Philon d’Alexandrie, 25 av JC– 50 ap JC). Mais le mot s’étend aux intestins, auventre, sans aucune précision physiologique ». En Ac1,18, Luc rapporte la mort de Judas : « Cet homme esttombé la tête la première et il a éclaté par le milieu,et toutes ses entrailles se sont répandues, καὶ ἐξεχύθη(de ἐξ-χέω, verser hors de…, répandre) πάντα τὰ σπλάγχνααὐτοῦ. ».

« On localise les sentiments dans les entrailles – puisqu’ellessont ce qu’il y a de plus intime et caché (Pr 26,22 ; Ps 22,15) –et elles sont alors synonymes de ce que nous appelons aujourd’hui« le cœur ». Ainsi, « les entrailles du père sont bouleversées àchaque cri de son fils » (Si 30,7)… Dans la Bible, les entrailles(hébreu : rahamîm) sont le siège de la compassion (Gn 43,30 ; 1R3,26). Le singulier réhém en effet, désigne l’utérus, le seinmaternel » ; de sorte que les entrailles sont d’abord le siège de

Page 50: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

la pitié de la mère pour ses enfants (Is 49,15), et l’on ditqu’elles frémissent (Is 16,11), résonnent et font du bruit (Is43,15), bouillonnent (Lam 1,20) ou sont en ébullition (Job 30,27).

Soulignons trois textes de l’Ancien Testament :

1 – Is 63,15-17 : « Regarde du ciel et vois, depuis ta demeuresainte et glorieuse.

Où sont ta jalousie et ta puissance ?

Le frémissement de tes entrailles et tes tendresses (rahamîmH)pour moi

se sont-ils contenus ?

(LXX : ποῦ ἐστιν τὸ πλῆθος τοῦ ἐλέους σου καὶ τῶν οἰκτιρμῶν σου…

Où sont la plénitude de ta miséricorde et tes compassions…)

Pourtant tu es notre Père… (Hquiaime d’un amour maternel)

Toi, Yahvé, tu es notre Père, notre rédempteur,

tel est ton nom depuis toujours. »

2 – Jr 31,20 : « Je l’aime, oui je l’aime, oracle du Seigneur »(avec une nuance de tendresse maternelle).

3 – Ex 34,6 (TOB) :

Page 51: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

« Le Seigneur passa devant Moïseet proclama :

Le Seigneur, le Seigneur, Dieu miséricordieux (H) et bienveillant,

lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté ».

LXX (34,6; la Septante, traduction grecque de l’AT (3° s ac JV ;Alexandrie):

Κύριος ὁ θεὸς οἰκτίρμων καὶ ἐλεήμων,

Seigneur Dieu compatissant (ou miséricordieux, les deux sens duBailly) et

miséricordieux (ou compatissant, à nouveau les deux sens duBailly).

μακρόθυμος καὶ πολυέλεος καὶ ἀληθινὸς.

patient et « plein de miséricorde » et vrai (Bailly :véridique, sincère, vrai, réel).

Le Pape François fait allusion à ce dernier texte lorsqu’il écritau tout début de la Bulle d’indiction de l’année Jubilaire de laMiséricorde (11 avril 2015) :

« Jésus Christ est le visage de la miséricorde du Père. Le mystèrede la foi chrétienne est là tout entier. Devenue vivante etvisible, elle atteint son sommet en Jésus de Nazareth. Le Père,« riche en miséricorde » (Ep 2, 4), après avoir révélé son nom àMoïse comme « Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère,

Page 52: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

plein d’amour et de vérité » (Ex 34, 6) n’a pas cessé de faireconnaître sa nature divine de différentes manières et en denombreux moments ».

II – Le cœur de notre foi : « Dieu est Amour » « Il n’a pas cessé de faire connaître sa nature divine », c’est-à-dire ce qu’Il Est en Lui-même de toute éternité. Et nousretrouvons ici le cœur de notre foi. Le Pape François écritd’ailleurs un peu plus loin (& 8): « Le regard fixé sur Jésus etson visage miséricordieux, nous pouvons accueillir l’amour de laSainte Trinité. La mission que Jésus a reçue du Père a été derévéler le mystère de l’amour divin dans sa plénitude.L’évangéliste Jean affirme pour la première et unique fois danstoute l’Ecriture : « Dieu est amour » (1 Jn 4,8.16). Cet amour estdésormais rendu visible et tangible dans toute la vie de Jésus.Sa personne n’est rien d’autre qu’amour, un amour qui se donnegratuitement. Les relations avec les personnes qui s’approchent deLui ont quelque chose d’unique et de singulier. Les signes qu’ilaccomplit, surtout envers les pécheurs, les pauvres, les exclus,les malades et les souffrants, sont marqués par la miséricorde.Tout en Lui parle de miséricorde. Rien en Lui ne manque decompassion. »

« Dieu est amour », « un amour quise donne gratuitement » pour leseul bien de la personne aimée. Entout ce qu’Il Est, « Dieu estamour » depuis toujours et pourtoujours. Il ne sait donc fairequ’une seule chose : « aimer ».Or, aimer quelqu’un, c’est vouloirson bien et tout mettre en œuvrepour l’atteindre. « La miséricordede Dieu est sa responsabilité

envers nous. Il se sent responsable, c’est-à-dire qu’il veut notre

Page 53: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

bien et nous voir heureux, remplis de joie et de paix » (PapeFrançois & 9). Voilà ce que Dieu veut pour tout homme sur cetteterre, quel qu’il soit, car tous ont été créés par Lui « à sonimage et ressemblance » (Gn 1,26-28), tous sont filles et filsd’un seul et même Père… « Nous sommes aussi de sa race », dit StPaul aux philosophes d’Athènes en citant l’un d’entre eux, Aratus,poète du 3° s av JC, originaire de Cilicie.

Jr 31,37-41 : « Je vais les rassembler (…), et je les feraidemeurer en sécurité… Je conclurai avec eux une alliance éternelle: je ne cesserai pas de les suivre pour leur faire du bien… Jetrouverai ma joie à leur faire du bien,… de tout mon cœur et detoute mon âme. »

Et comment Dieu se propose-t-il de « nous faire du bien » ? Ennous comblant de ses bienfaits. Et quels sont-ils ? Rien de moinsque ce qu’Il Est en Lui-même… La volonté de Dieu sur toutel’humanité, sans aucune exception, est que nous partagions tous saPlénitude de vie, de paix, et de joie… C’est ce que Jésus,vrai Dieu et vrai homme, ne cesse de nous dire : « De même lePère, qui est vivant, m’a envoyé et que je vis par le Père, demême celui qui me mange, lui aussi vivra par moi… Je vous laissela paix, je vous donne ma paix… Je vous dis cela pour que ma joiesoit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 6,57 ; 14,27 ;15,11).

Et Dieu ne peut pas nous donnerplus que ce qu’Il Est en Lui-même…« Dieu Est Esprit » (Jn 4,24) ?« Recevez l’Esprit Saint » ditle Ressuscité à ses disciples(Jn 20,22), et « le fruit del’Esprit est amour, joie, paix »(Ga 5,22).

« « Dieu est amour » (1 Jn 4,8.16), un amour qui se donnegratuitement », dit le Pape François. Et un peu plus loin, il

Page 54: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

ajoute : « Dans la miséricorde, nous avons la preuve de la façondont Dieu nous aime. Il se donne tout entier, pour toujours,gratuitement, et sans rien demander en retour » (& 14). Ce queDieu donne gratuitement, par amour, c’est en effet ce qu’Il Esttout entier, depuis toujours et pour toujours. Et « Dieu estEsprit » (Jn 4,24), et « Dieu est Saint » (Lv 11,44-45 ; 17,1 ;19,2). Il s’agit donc du Don de l’Esprit Saint, le Don de ce qu’ilEst en Lui-même. Et par ce Don de « l’Esprit qui sanctifie » (2Th2,13), nous sommes tous appelés à devenir pleinement, selon notrecondition de créature, ce que Dieu Est de toute éternité ! Il nepeut y avoir de vocation plus grande, plus belle… Et c’est ce queDieu veut pour tout homme… Or, nous dit le Psalmiste : « Tout ceque veut le Seigneur, il le fait » (Ps 135(134),6 ; 115(114),3).Et comment le fait-il ? En donnant gratuitement, par amour, cequ’il Est en Lui-même depuis toujours et pour toujours : le Don del’Esprit Saint…

III – Pour nous, pécheurs, l’Amour prend le visagede la MiséricordeEz 36,24-27 : (Vous qui avez profané mon Nom et qui avez étédispersés par suite de vos fautes), « je vous rassemblerai, jevous ramènerai vers votre sol…

Je verserai sur vous une eau pure et vous serez purifiés ;

de toutes vos souillures et de toutes vos ordures je vouspurifierai.

Et je vous donnerai un cœur nouveau,

je mettrai (En hébreu comme en grec : je donnerai…) en vous unesprit nouveau,

j’enlèverai de votre chair le cœur de pierre et je vous donneraiun cœur de chair.

Je mettrai (je donnerai) mon Esprit en vous

Page 55: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

et je ferai que vous marchiez selon mes lois

et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes. »

Le Don de l’Amour, répété ici quatre fois,devient donc, pour le pécheur souillé, « une EauPure » qui le « purifie de toutes ses ordures »…Toutes, sans aucune exception, dès lors que l’onaccepte de les présenter à Dieu, et de le laisseragir…

Et si le pécheur, privé du Don de l’Amour, et donc d’une Plénitudede Vie, fait l’expérience d’un état de mort intérieure, ce Don quilui est toujours fait, envers et contre tout, sera pour lui « EauVive » « qui vivifie »… C’est ce qu’affirme Ezéchiel au chapitresuivant, en montrant Dieu agissant pour des morts enfermés dansleurs tombeaux, réduits à l’état de squelette, et donc, ne pouvantvraiment plus rien faire par eux-mêmes ! Tout ce qui arrivera poureux ne pourra donc qu’être le fruit de l’initiative gratuite del’Amour, et du Don tout aussi gratuit de l’Amour :

Ez 37,4-14 : « Ossements desséchés (et donc en manque d’eau),écoutez la parole du Seigneur.

Ainsi parle le Seigneur Dieu à ces ossements.

Voici que je vais faire entrer en vous l’Esprit et vous vivrez…

Ainsi parle le Seigneur Dieu. Voici que j’ouvre vos tombeaux ;

je vais vous faire remonter de vos tombeaux, mon peuple,

et je vous ramènerai sur votre sol.

Page 56: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Vous saurez que je suis leSeigneur,

lorsque j’ouvrirai vos tombeaux

et que je vous ferai remonter de vos tombeaux, mon peuple.

Je mettrai (Je donnerai) mon Esprit en vous et vous vivrez,

et je vous installerai sur votre sol, et vous saurez que moi, leSeigneur,

j’ai parlé et je fais, oracle du Seigneur » (cf. (Ps 135(134),6 ;115(114),3).

Cette gratuité, nous la retrouvons dans le discours de Jésus surla Montagne, lorsqu’il disait aux foules rassemblées autour de lui:

Mt 5,43-45 : « Vous avez entendu qu’il a été dit :

Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.

Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vospersécuteurs,

Page 57: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux,

car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons,

et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. »

« Dieu est Esprit » (Jn 4,24) ?« Dieu est Lumière » (1Jn 1,5) ?« Le Seigneur fait donc lever sonsoleil sur les méchants et sur lesbons » en donnant la Lumière del’Esprit aux méchants comme auxbons… « Le Seigneur Dieu est unsoleil, il est un bouclier ;le Seigneur donne la grâce »,« l’Esprit de la grâce » (Hb

10,29), « il donne la gloire », « l’Esprit de gloire, l’Esprit deDieu » (1P 4,14) . « Jamais il ne refuse le bonheur à ceux quivont sans reproche » (Ps 84(83),12), c’est-à-dire à ceux quidemeurent, de cœur, tournés vers Lui, dans la force comme dans lafaiblesse… En effet, « heureux les pauvres de cœurs, car leRoyaume des Cieux est à eux ». Pourquoi ? « Parce que votre Père atrouvé bon de vous donner le Royaume » (Lc 12,32). Et quelleréalité se cache derrière ce mot « Royaume » ? Un Mystère deCommunion « dans l’unité d’un même Esprit » (Ep 4,3 ; 2Co 13,13),cet Esprit donné gratuitement à tous par l’Amour : « Le règne deDieu », le Royaume des Cieux, « n’est pas affaire de nourriture oude boisson, il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm14,17).

Page 58: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Nous avons vu comment Dieu « faitlever son soleil sur les méchantset sur les bons ». Et lorsqueJésus ajoute « et tomber la pluiesur les justes et sur lesinjustes », il redit la même choseavec, cette fois, non plus l’imagede la lumière, mais celle del’eau. En effet, Dieu est souvent

évoqué dans la Bible avec l’image d’une source : « Ils m’ontabandonné, moi, la Source d’Eau vive », dit-il en Jérémie (Jr2,13 ; 17,13). Dieu est ainsi « Source d’Eau Vive », Don de l’EauVive et Pure de son Esprit (Jn 7,37-39), une Eau Vive qui « tombeen pluie sur les justes » pour les vivifier, les combler, leuroffrir la Plénitude même de Dieu, une Eau Pure qui « tombe enpluie sur les injustes » pour les inviter, en frappant à la portefermée de leur cœur (Ap 3,20), à lui ouvrir, à se tourner vers Luide tout cœur. Alors, cette Eau Pure les purifiera de toutes leursordures, et leur permettra d’accueillir à leur tour la Plénitudede la vie éternelle… Notons avec ces images que nul homme surcette terre n’est « juste » au sens de « sans péché »… « Tous sontsoumis au péché… Il n’est pas de juste, pas un seul… Il n’est doncpas question de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu quifait miséricorde. » Ainsi, nous sommes tous « des vases demiséricorde que Dieu a d’avance préparés pour sa Gloire » en lesappelant à se tourner vers Lui de tout cœur, tels qu’ils sont,avec toutes leurs blessures et leurs misères, pour se laisserremplir par le Don de Dieu, le Don de « l’Esprit de Gloire,l’Esprit de Dieu » (Rm 3,9-26 ; 9,16 ; 9,23 ; 1P 4,14).

Nous sommes tous, en effet, des pécheurs qui avons continuellementbesoin d’être pardonnés, lavés, relevés, fortifiés, soutenus… « Lamiséricorde, c’est le chemin qui unit Dieu et l’homme, pour qu’ilouvre son cœur à l’espérance d’être aimé pour toujours malgré leslimites de notre péché », écrit notre pape François (&2). Etsouvenons-nous du jour de son élection, le 13 mars 2013. LeCardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, écrit ainsi dans

Page 59: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

la préface du Livre du Pape François, « Amour, Service etHumilité » : « Aussitôt connus les résultats du cinquième scrutindu Conclave que nous venons de vivre, le Cardinal Bergoglioavait à répondre aux deux questions rituelles qui marquent la findu Conclave et la levée du secret : « Acceptes-tu ton élection ? »et « Quel nom choisis-tu ? ». A la première, il a répondu : « Jesuis pécheur et j’en ai conscience, mais j’ai une grande confiancedans la Miséricorde de Dieu. Puisque vous m’avez élu ou, plutôt,puisque Dieu m’a choisi, j’accepte. » »

Ainsi, « Dieu veut faire miséricorde à tous » (Rm 11,32), « ilveut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4), « et tout ceque veut le Seigneur il le fait » (Ps 115,3 ; 135,6). « Il lefait », très concrètement, en donnant la Plénitude de son Esprit àtout homme, pour son seul bien, gratuitement, par amour… Et c’estainsi que le Dieu qui, éternellement, est Amour, prend pour nous,pécheurs, le visage de la Miséricorde, car au cœur de notremisère, nous sommes tous invités à faire l’expérience que Dieu, deson côté, n’a jamais cessé de nous aimer, et donc de se donner ànous, gratuitement, par amour…

Page 60: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

IV – Ces entrailles de Miséricorde sont aussi« compassion » pour le pécheur.

En effet, si Dieu nous a tous créés pour être remplis par sesbienfaits, connaître la Plénitude de sa Vie, participer à saLumière et à sa Gloire, le péché qui est abandon de Dieu,fermeture à Dieu, repli sur soi, ne peut que nous priver de tousces dons… « Tous ont péché et sont privés de la Gloire de Dieu »(Rm 3,23).

Or, être privé de ce pour quoi nous avons été faits ne peutqu’être synonyme de souffrance, de mal être, de pleurs, detristesse… « Souffrance et angoisse à toute âme humaine quis’adonne au mal » (Rm 2,9).

Et le cœur de Dieu est bouleversé de compassion lorsqu’il voit unhomme, un de ses enfants, souffrir, et cela quelque soit l’originede sa souffrance, qu’il en soit responsable ou pas…

Os 11,7-8 : « Mon peuple estcramponné à son infidélité.

On les appelle en haut, pas un qui se relève !

Comment t’abandonnerais-je, Éphraïm, te livrerais-je, Israël ?

Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entraillesfrémissent ».

Et la Bible de Jérusalem écrit en note : « Le mot « bouleversé »

Page 61: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

est très fort ; précisément celui qui est employé à propos de ladestruction des cités coupables, (Gn 19,25; Dt 29,22) »,conséquence de leurs péchés… Osée laisse entendre queces conséquences désastreuses sont « comme vécues d’avance dans lecœur de Dieu. Cf. le cri de David à la mort d’Absalom, son fils(2S 19, 1) », qui pourtant s’était réjoui à l’avance de la mort deson père en accueillant le piège qu’Ahitophel voulait lui tendre(2S 17,1-4).

Nous l’avons vu avec Osée, sil’homme est responsable de sessouffrances par suite du malqu’il commet, Dieu, dans sonAmour, ne peut que le presser àabandonner ce qui, en fait, malgréles apparences peut-êtrecontraires, le plonge dans le malêtre et la souffrance… Son seuldésir est alors de tout nouspardonner, car Dieu ne regarde pas

la faute en elle même, mais les conséquences de cette faute dansle cœur et la vie de celui qui l’a commise. Et encore une fois,son seul désir est de voir sa créature comblée par sa proprePlénitude. Alors, le premier cadeau qu’il fera au pécheur, sera lepardon de toutes ses fautes, et cela dans une attitude de Joie (Lc 15 ; Rm 12,8) qui sera au même moment consolation (2Co 1,3-7avec notes BJ), réconfort, encouragement pour celui qui accepte derépondre ainsi à l’Amour… En Lc 15, « Dieu est toujours présentécomme rempli de joie, surtout quand il pardonne » écrit le PapeFrançois, car il ne poursuit que le bien de tous les hommes qu’ilaime (Lc 2,14), et il se réjouit de voir ce « bien » triompherdans leur cœur et dans leur vie. « Nous y trouvons le noyau del’Evangile et de notre foi », poursuit le Pape François, « car lamiséricorde y est présentée comme la force victorieuse de tout,qui remplit le cœur d’amour, et qui console en pardonnant ».

Page 62: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

« Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu, parlez au cœur deJérusalem et criez-lui que son service est accompli, que sa fauteest expiée, qu’elle a reçu de la main du Seigneur deux fois leprix de toutes ses fautes » (Is 40,1), deux fois le prix de toutce qu’elle aurait dû dépenser à l’époque pour acheter les animauxprescrits par la Loi et les offrir en sacrifices pour le pardon deses péchés… Déjà, avec cette image d’Isaïe, nous avons la réalitéde la surabondance de la Miséricorde de Dieu si bien exprimée parSt Paul : « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rm5,20). « En lui », le Christ, « nous trouvons la rédemption, parson sang, la rémission des fautes, selon la richesse de sa grâce,qu’Il nous a prodiguée, en toute sagesse et intelligence » (Ep1,7)… « Je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait ensurabondance » (Jn 10,10).

Face à toute souffrance, fut-elleprovoquée par le mal, la seule attitudede Dieu est donc de consoler,réconforter, encourager, et inviter aurepentir si cela est nécessaire…« J’entendis alors une voix clamer, dutrône : Voici la demeure de Dieu avecles hommes. Il aura sa demeure avec eux ;ils seront son peuple, et lui, Dieu‑avec-eux, sera leur Dieu. Il essuiera toutelarme de leurs yeux : de mort, il n’y enaura plus; de pleur, de cri et de peine,il n’y en aura plus, car l’ancien monde

s’en est allé » (Ap 21,3-4 ; cf. 2Co 1,3-7).

Et cette réaction de Dieu est très concrètement manifestée dansles Evangiles chaque fois que le Christ est en relation avec despersonnes qui souffrent… Notre verbe correspondant à « σπλάγχνα »,écrit le P. Ceslas Spicq, est ainsi employé « trois fois pour Dieu(Mt 18,27 ; Lc 1,78 ; 15,20), une fois pour le bon Samaritain, etneuf fois pour le Christ, et cela presque toujours pour rendre

Page 63: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

compte de son intervention miraculeuse… Il s’agit d’abord d’uneémotion physique, d’une authentique compassion devant l’étatmisérable du prochain (Lc 10,33), littéralement d’un mouvement desentrailles, suscité par la vue (Lc 7,13 ; 10,33 ; 15,20). Traduirele passif ™splagcn…sqh : « il eut pitié » serait donc presque uncontre-sens ; « il fut pris (ou saisi) de pitié » serait meilleur; le sens exact est : « il ressentit une viscérale compassion »[2].Le Pape François écrit : « La miséricorde de Dieu n’est pas uneidée abstraite, mais une réalité concrète à travers laquelle Ilrévèle son amour comme celui d’un père et d’une mère qui selaissent émouvoir au plus profond d’eux mêmes par leur fils. Ilest juste de parler d’un amour « viscéral ». Il vient du cœurcomme un sentiment profond, naturel, fait de tendresse et decompassion, d’indulgence et de pardon » (& 6).

Regardons les textes où le Christ intervient. « Ce qui animaitJésus en toute circonstance n’était rien d’autre que lamiséricorde avec laquelle il lisait dans le cœur de sesinterlocuteurs et répondait à leurs besoins les plus profonds »(Pape François &8).

1 – Mc 1,40-45 (v. 41) : « Un lépreux vient auprès de lui ; il lesupplie et, tombant à ses genoux, lui dit : « Si tu le veux, tupeux me purifier. » (41) Saisi de compassion, Jésus (Ἰησοῦςσπλαγχνισθείς) étendit la main, le toucha et lui dit : « Je leveux, sois purifié. » (42) À l’instant même, la lèpre le quitta etil fut purifié. (43) Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt (44)en lui disant : « Attention, ne dis rien à personne, mais va temontrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse aprescrit dans la Loi : cela sera pour les gens un témoignage. »(45) Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre lanouvelle, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertementdans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts.De partout cependant on venait à lui. »

Page 64: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

2 – Mc 6,30-44 (v. 34) : « Les Apôtres se réunirent auprès deJésus, et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné.(31) Il leur dit : « Venez à l’écart dans un endroit désert, etreposez-vous un peu. » De fait, ceux qui arrivaient et ceux quipartaient étaient nombreux, et l’on n’avait même pas le temps demanger. (32) Alors, ils partirent en barque pour un endroitdésert, à l’écart. (33) Les gens les virent s’éloigner, etbeaucoup comprirent leur intention. Alors, à pied, de toutes lesvilles, ils coururent là-bas et arrivèrent avant eux. (34) Endébarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassionenvers eux, καὶ ἐσπλαγχνίσθη ἐπ’ αὐτοῖς, parce qu’ils étaientcomme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseignerlonguement. »

Jésus voit « qu’ils étaient comme des brebis sans berger ». Alors,« bouleversé jusqu’au plus profond de lui-même », il agit enPasteur qui guide son troupeau par sa Parole, au son de sa voix,« et il se mit à les enseigner longuement ». Ce « longuement »souligne sa générosité. Il répond toujours à tous nos besoins ensurabondance… « Mon Dieu comblera tous vos besoins, selon sarichesse, avec magnificence, dans le Christ Jésus » écrivait StPaul (Ph 4,19). C’est pourquoi, il invitait à se tourner vers lui« en tout besoin » : « N’entretenez aucun souci ; mais en toutbesoin recourez à l’oraison et à la prière, pénétrées d’action degrâces, pour présenter vos requêtes à Dieu. Alors la paix de Dieu,qui surpasse toute intelligence, prendra sous sa garde vos cœurset vos pensées, dans le Christ Jésus » (Ph 4,6-7).

Mais à parler longuement, l’heure avancera… La nuit tombe, et les

Page 65: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

endroits où l’on peut se ravitailler sont loin… Alors là aussi,les besoins de cette foule ne laisseront pas son cœur insensible,et ce sera la multiplication des pains…

En St Matthieu (Mt 14,14), dès qu’il descend de la barque, Jésusvoit des infirmes et leur situation le bouleverse : il les guériratous… « En débarquant, il vit une foule nombreuse et il fut saiside compassion envers eux, Ἰησοῦς εἶδεν πολὺν ὄχλον, καὶἐσπλαγχνίσθη ἐπ’ αὐτοῖς ; et il guérit leurs infirmes, καὶἐθεράπευσεν τοὺς ἀρρώστους αὐτῶν ». « Face à la multitude qui lesuivait », écrit le Pape François, « Jésus, voyant qu’ils étaientfatigués et épuisés, égarés et sans berger, éprouva au plusprofond de son cœur, une grande compassion pour eux (cf. Mt 9,36 :ἐσπλαγχνίσθη περὶ αὐτῶν). En raison de cet amour de compassion, ilguérit les malades qu’on lui présentait et il rassasia une grandefoule avec peu de pains et de poissons (cf. Mt 15,37). »

3 – Mc 8,1-10 (v. 2 ; cf. Mt 15,32) : « En ces jours-là, comme ily avait de nouveau une grande foule, et que les gens n’avaientrien à manger, Jésus appelle à lui ses disciples et leur dit : (2)« J’ai de la compassion pour cette foule, Σπλαγχνίζομαι ἐπὶ τὸνὄχλον, car depuis trois jours déjà ils restent auprès de moi, etn’ont rien à manger. (3) Si je les renvoie chez eux à jeun, ilsvont défaillir en chemin, et certains d’entre eux sont venus deloin. » Et ce sera à nouveau une multiplication des pains…

4 – Mc 9,22 :ici, c’est le père d’un enfantépileptique qui fait appel à la compassion de Jésus. Il s’est d’abord adressé à ses disciples, mais ilsn’ont rien pu pour lui… Alors, il vient voirdirectement Jésus et lui dit : « Si tu peux quelquechose, viens à notre secours, par compassion enversnous, σπλαγχνισθεὶς ἐφ’ ἡμᾶς ! » « Jésus luidéclara : « Pourquoi dire : “Si tu peux”… ? Tout est

possible pour celui qui croit. » Aussitôt le père de l’enfants’écria : « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! » »(Mc 9,23‑24).

Page 66: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

5 – Mt 20,29-34 (v. 34) : « Tandis que Jésus avec ses disciplessortait de Jéricho, une foule nombreuse se mit à le suivre. (30)Et voilà que deux aveugles, assis au bord de la route, apprenantque Jésus passait, crièrent : « Prends pitié de nous, Seigneur,fils de David ! » (31)

La foule les rabroua pour les faire taire. Mais ils criaientencore plus fort : « Prends pitié de nous, Seigneur, fils deDavid ! » (32) Jésus s’arrêta et les appela : « Que voulez-vousque je fasse pour vous ? » (33) Ils répondent : « Seigneur, quenos yeux s’ouvrent ! » (34) Saisi de compassion, Σπλαγχνισθεὶς δὲὁ Ἰησοῦς, Jésus leur toucha les yeux ; aussitôt ils retrouvèrentla vue, et ils le suivirent. »

6 – Lc 7,11-17 (v. 13) : « Par la suite, Jésus se rendit dans uneville appelée Naïm. Ses disciples faisaient route avec lui, ainsiqu’une grande foule. (12) Il arriva près de la porte de la villeau moment où l’on emportait un mort pour l’enterrer ; c’était unfils unique, et sa mère était veuve. Une foule importante de laville accompagnait cette femme. (13) Voyant celle-ci, le Seigneurfut saisi de compassion pour elle et lui dit : « Ne pleure pas. »Καὶ ἰδὼν αὐτὴν ὁ κύριος ἐσπλαγχνίσθη ἐπ’ αὐτῇ, καὶ εἶπεν αὐτῇ, Μὴκλαῖε. (14) Il s’approcha et toucha le cercueil ; les porteurss’arrêtèrent, et Jésus dit : « Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. »

(15) Alors le mort se redressa et se mit à parler. Et Jésus lerendit à sa mère. (16) La crainte s’empara de tous, et ilsrendaient gloire à Dieu en disant : « Un grand prophète s’est levéparmi nous, et Dieu a visité son peuple. » »

(17) Et cette parole sur Jésus se répandit dans la Judée entière

Page 67: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

et dans toute la région. »

« Lorsqu’il rencontra la veuve de Naïm qui emmenait son filsunique au tombeau, il éprouva une profonde compassion pour ladouleur immense de cette mère en pleurs, et il lui redonna sonfils, le ressuscitant de la mort (cf. Lc 7, 15) » (Pape François&8).

Nous concluerons en deux points :

1 – « Après avoir libéré le possédé de Gerasa, il lui donna cettemission : « Annonce tout ce que le Seigneur a fait pour toi danssa miséricorde » (Mc 5, 19). L’appel de Matthieu est lui aussiinscrit sur l’horizon de la miséricorde. Passant devant lecomptoir des impôts, Jésus regarda Matthieu dans les yeux. C’étaitun regard riche de miséricorde qui pardonnait les péchés de cethomme, et surmontant les résistances des autres disciples, il lechoisit, lui, le pécheur et le publicain, pour devenir l’un desDouze » (Pape François &8), ces Douze que Jésus avait choisi« pour être avec lui et pour les envoyer prêcher » la BonneNouvelle de l’Amour (Mc 3,13-19).

En accueillant pour nous mêmes le pardon detoutes nos fautes donné en surabondance parJésus, « l’Agneau de Dieu qui enlève lepéché du monde » (Jn 1,29), « l’Astre d’enhaut qui nous a visités dans les entraillesde Miséricorde de notre Dieu »(Lc 1,76-79), en découvrant l’absoluegratuité de l’Amour qui comble d’autantplus, par amour, ceux qui en ont le plusbesoin, c’est-à-dire les plus grandspécheurs (Lc 5,31-32), ceux qui, à leurspropres yeux et aux yeux des hommes, neméritent surtout pas ce qu’ils ont reçu,

nous sommes ensuite invités à travailler le plus possible avec le

Page 68: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Christ pour que le plus grand nombre puisse aussi bénéficiergratuitement, par amour, de tous ces bienfaits… Car là se cache lavraie vie, la vraie joie, la vraie paix, un trésor devant lequeltout le reste ne peut que faire pâle figure… « Le royaume desCieux est comparable à un trésor caché dans un champ ; l’homme quil’a découvert le cache de nouveau. Dans sa joie, il va vendre toutce qu’il possède, et il achète ce champ. (45) Ou encore : Leroyaume des Cieux est comparable à un négociant qui recherche desperles fines. (46) Ayant trouvé une perle de grande valeur, il vavendre tout ce qu’il possède, et il achète la perle » (Mt13,44-46).

Les disciples de Jésus sont donc avant tout invités à être lesheureux témoins de cette Miséricorde infinie qu’ils ont accueilliepour eux-mêmes… Apparaissant à ses disciples, le Christ ressuscitéleur dit (Lc 24,46-48) : « Ainsi est-il écrit que le Christsouffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisièmejour, (47) et que la conversion serait proclamée en son nom, pourle pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant parJérusalem. (48) À vous d’en être les témoins » (Lc 24,46-48).Témoins de la Résurrection, mais aussi témoins qu’une« conversion » sincère est aussitôt comblée par « le pardon despéchés » donné en surabondance… « Annonce tout ce que le Seigneura fait pour toi dans sa miséricorde » (Mc 5, 19).

2 – Nous sommes tous invités à faire miséricorde à tous ceux etcelles qui nous entourent, comme le Seigneur lui-même nous a faitsmiséricorde… Reprenons cet extrait de la Bulle d’Indiction du PapeFrançois pour ce Jubilé extraordinaire de la Miséricorde que nousavons déjà cité peu après le début du second point, mais que nousallons reprendre en allant plus loin, jusqu’à nous, jusqu’à notreagir qui devrait être « à l’image et ressemblance » (Gn 1,26-27)de celui de Dieu :

Page 69: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

« La miséricorde de Dieu est sa responsabilité envers nous. Il sesent responsable, c’est-à-dire qu’il veut notre bien et nous voirheureux, remplis de joie et de paix. L’amour miséricordieux deschrétiens doit être sur la même longueur d’onde. Comme le Pèreaime, ainsi aiment les enfants. Comme il est miséricordieux, ainsisommes-nous appelés à être miséricordieux les uns envers lesautres » (& 9). « Soyez miséricordieux comme votre Père estmiséricordieux » (Lc 6,36 ; Nouvelle Traduction Liturgique).« Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant »(Lc 6,36 ; BJ). « Soyez généreux comme votre Père est généreux »(Lc 6,36 ; TOB). Telle est l’invitation que Jésus nous lance avecce seul texte du Nouveau Testament où la notion « d’entrailles »de miséricorde et de compassion est appliquée à un homme, unSamaritain :

Lc 10,25-37 (v. 33) : « Et voici qu’un docteur de la Loi se leva

et mit Jésus à l’épreuve en disant :

« Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vieéternelle ? »

(26) Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Etcomment lis-tu ? »

(27) L’autre répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toutton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute tonintelligence, et ton prochain comme toi-même. »

Page 70: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

(28) Jésus lui dit : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi ettu vivras. »

(29) Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui estmon prochain ? »

(30) Jésus reprit la parole : « Un homme descendait de Jérusalem àJéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoirdépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitiémort. (31) Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il levit et passa de l’autre côté. (32) De même un lévite arriva à cetendroit ; il le vit et passa de l’autre côté.

(33) Mais un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ;il le vit et fut saisi de compassion, καὶ ἰδὼν ἐσπλαγχνίσθη. (34)Il s’approcha, et pansa ses blessures en y versant de l’huile etdu vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisitdans une auberge et prit soin de lui. (35) Le lendemain, il sortitdeux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant :“Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je tele rendrai quand je repasserai.”

(36) Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’hommetombé aux mains des bandits ? »

(37) Le docteur de la Loi répondit : « Celui qui a fait preuve depitié envers lui. » Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais demême. »

Page 71: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

« En résumé, nous sommes invités à vivre de miséricorde parcequ’il nous a d’abord été fait miséricorde. Le pardon des offensesdevient l’expression la plus manifeste de l’amour miséricordieux,et pour nous chrétiens, c’est un impératif auquel nous ne pouvonspas nous soustraire. Bien souvent, il nous semble difficile depardonner ! Cependant, le pardon est le moyen déposé dans nosmains fragiles pour atteindre la paix du cœur. Se défaire de larancœur, de la colère, de la violence et de la vengeance, est lacondition nécessaire pour vivre heureux. Accueillons doncla demande de l’apôtre : « Que le soleil ne se couche pas survotre colère » (Ep 4, 26). Ecoutons surtout la parole de Jésus quia établi la miséricorde comme idéal de vie, et comme critère decrédibilité de notre foi : « Heureux les miséricordieux, car ilsobtiendront miséricorde » (Mt 5, 7). C’est la béatitude qui doitsusciter notre engagement tout particulier en cette Année Sainte »(Pape François &9).

D. JacquesFournier

[2] SPICQ C., « σπλάγχνon« , Lexique théologique du NouveauTestament (Paris 1991) p. 1409s.

« Les entrailles de Miséricorde de notre Dieu » : cliquer sur le titreprécédent pour accéder au document PDF pour lecture ou éventuelle impression.

Page 72: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Comment Dieu communique-t-il ?Le Père « communique » par son Fils éternel, Lui que nous appelons « le Verbefait chair » (Jn 1,14) lorsque nous évoquons son Incarnation. Et c’est entant que Fils qu’il est Parole éternelle du Père. En effet, le Père ne cessede lui dire : « Tu es mon Fils bien aimé » (Mc 1,11 ; 9,7), autrement dit« je t’aime »… Mais « Dieu Est Amour » (1Jn 4,8.16) et c’est parce qu’Il EstAmour qu’il est éternellement Don gratuit de Lui-même, Don gratuit de cequ’Il Est en Lui-même… Cette réalité est évoquée dans la Bible par l’image dela Source d’Eau Vive (Jr 2,13 ; 17,13 ; Ps 42-43…), du Soleil (Ps 84,12(TOB) ; Mt 5,43), de la pluie (Is 55,10-11 ; Mt 5,43), etc… Autrement dit,le Père Amour ne cesse de donner au Fils, et cela de toute éternité, tout cequ’Il Est en Lui-même, lui donnant ainsi d’Être ce que Lui, le Père, Il Estde toute éternité : « Le Père aime le Fils et il a tout donné (« et il donnetout » ; parfait grec) en sa main » (Jn 3,35). Le Fils est alors cet UniqueEngendré (Jn 1,14.18), fruit éternel de l’amour du Père en acte… C’est à cetitre qu’il est tout entier « Parole de Dieu », Parole du Père, qui, en acte,ne cesse de lui dire « je t’aime » en se donnant tout entier à lui… Biendistinct du Père, le Fils est alors « né du Père avant tous les siècles,engendré non pas créé, de même nature que le Père, Dieu né de Dieu, Lumièrenée de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu » (Crédo).

Or toute la mission de Jésus consiste à nous révéler le projet de Dieu surnous. Et nous avons tous été créés gratuitement, par amour, par le Don duSouffle de Dieu qui, en nous, est à l’origine de notre vie (Gn 2,4b-7), etcela « pour reproduire l’image du Fils » (Rm 8,29). Autrement dit, noussommes tous appelés à recevoir nous aussi, gratuitement, par amour, ce Donque le Père ne cesse de faire au Fils, ce Don par lequel le Père l’engendreen Fils, ce Don qui est l’expression même de son « Je t’aime » éternel… Maisalors… si nous acceptons de le recevoir, gratuitement, et cela sans aucunmérite de notre part, ce serait plutôt le contraire (…), ce Don va lui aussifaire en nous ce qu’il fait dans le Fils de toute éternité : nous engendreren fils, à l’image du Fils, en nous donnant de participer nous aussi, selonnotre condition de créatures, à la Plénitude de cette nature divine qui estcelle du Fils, en tant qu’il la reçoit lui aussi du Père depuis toujours etpour toujours… Voilà pourquoi le Fils est tout entier « Parole » pour nous,puisque nous sommes tous appelés, tel est le projet de Dieu, à être un jour,pleinement, ce qu’Il Est Lui-même ! Mais bien sûr en tant que personneshumaines créées, Lui étant une Personne divine non créée, engendrée par lePère depuis toujours et pour toujours, et c’est « par Lui que tout a étéfait » (Jn 1,3), nous compris…

Mais ce verbe « communiquer » peut prendre pour Dieu un autre sens… Le Père« communique » avec nous par celui qui est tout entier « Parole » pour nous,et donc « chemin » à suivre en faisant comme Lui : nous tourner de tout cœur

Page 73: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

vers le Père (« Repentez-vous », première Parole de Jésus en St Marc, 1,15),pour demeurer dans l’Amour du Père, en acceptant d’en être nous aussi lesheureux bénéficiaires, comblés par le Don de l’Amour qui accomplira en nousson œuvre : nous engendrer à la Plénitude de la vie divine, en fils à l’imagedu Fils. « Si vous gardez mes commandements », et « son commandement est vieéternelle », « vous demeurerez en mon amour, comme moi j’ai gardé lescommandements de mon Père et je demeure en son amour » (Jn 15,10 ; 12,50). Etc’est là où le verbe « communiquer » a un double sens en Dieu : Dieu« communique », au sens de « donner », par notre foi au Fils qui se traduiraalors par un « recevoir ». Mais cette œuvre est cette fois celle de l’EspritSaint, qui procède du Père et du Fils, autrement dit qui se reçoit de touteéternité du Père et du Fils, comme le Fils se reçoit de toute éternité duPère… La traduction de la TOB pour Jn 16,12-15 est tout particulièrementbelle à ce sujet : « Il me glorifiera », dit Jésus de l’Esprit Saint,« l’Esprit de vérité », « car il recevra de ce qui est à moi », et c’est bience qu’il fait depuis toujours et pour toujours, « et il vous le communiquera.Tout ce que possède mon Père est à moi », puisque le Père donne tout ce qu’ilest, tout ce qu’il a au Fils, l’engendrant ainsi en Fils, « c’est pourquoij’ai dit qu’il vous communiquera ce qu’il reçoit de moi », et cette fois,Jésus emploie bien un présent pour le verbe « recevoir », qui de fait estéternel : l’Esprit ne cesse de se recevoir (du Père) et du Fils en tant qu’il« procède du Père et du Fils » (Crédo)…

Autrement dit, par l’Esprit Saint qui est « Seigneur et qui donne la vie »(Crédo), « Dieu communique » en nous donnant d’avoir part à ce qu’Il Est enlui‑même… « Dieu est Amour », et donc Don de Lui-même… « Dieu est Esprit »(Jn 4,24) ? Il donne l’Esprit, un Esprit qui est Vie, un Esprit qui vivifie…Et c’est ainsi que nous disons : « Je crois en l’Esprit Saint qui estSeigneur et qui donne la vie ».

Voilà comment Dieu ne cesse de nous parler en silence en nous donnantl’Esprit qui est tout à la fois Vie, Paix, Joie douce et discrète… Et le Pèren’a qu’une Parole à nous dire, une Parole qui correspond en fait à ce qu’ilvit continuellement à notre égard : « Je vous aime ». C’est le résumé de toutce que Jésus a à nous transmettre de la part du Père : « Le Père Lui-mêmevous aime » (Jn 16,27). Et il le fait en « témoin », puisque c’est ce qu’il« entend » du Père depuis toujours et pour toujours… Voilà pourquoi il nousdit : « Tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître »(Jn 15,15). « Père, les paroles que tu m’as données », « Tu es mon Fils bien-aimé », « je t’aime », « je les leur ai données », « le Père Lui-même vousaime » (Jn 17,8)…

Tout ceci se résume avec Jn 3,34 :

Dieu communique par une Parole audible, intelligible: « Celui que Dieu a

Page 74: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

envoyé prononce les Paroles de Dieu » (Jn 3,34 a)…

Dieu communique par le Don qu’il ne cesse de faire de Lui-même (« Dieuest Esprit » (Jn 4,24), il donne donc l’Esprit) : … « car il donnel’Esprit sans mesure» (Jn 3,34b), un « Esprit qui est vie » (Ga 5,25),un « Esprit qui vivifie » (Jn 6,63 ; 2Co 3,6).

A nous maintenant de nous convertir, de nous repentir, jour après jour, avecle secours et la grâce de Dieu, pour nous tourner de tout cœur vers le Père,comme le Fils l’est de toute éternité (Jn 1,18), et demeurer ainsi avec Luidans cet Amour du Père qui n’est que Don de Lui-même, un Don par lequel il necesse d’engendrer à la vie, à sa Vie… Alors, nous recevrons nous aussi, avecle Fils, ce Don que le Fils reçoit du Père de toute éternité, un Don parlequel le Père l’engendre en Fils, un Don par lequel nous serons engendrés ànotre tour en Fils à l’image du Fils… Alors notre vocation sera accomplie, ettelle est la vocation de tout homme quel qu’il soit sur cette terre… « Gloireà Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre, paix aux hommes de bonnevolonté » (Lc 2,14 ; St Jérôme)… « Gloire à Dieu au plus haut des cieux etsur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance » (Lc 2,14 BJ).« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix pour ses bien-aimés » (Lc 2,14 TOB), car Dieu dans son Amour ne cesse de répandre ensurabondance sur le monde tout ce qu’Il Est en Lui-même… « Dieu est Esprit »(Jn 4,24) ? Gratuitement, par amour, il ne cesse de donner l’Esprit, et « lefruit de l’Esprit est amour, joie, paix » (Ga 5,22)… Alors, « paix à tous leshommes de bonne volonté »…

D . J a c q u e sFournier

Comment Dieu communique-t-il? : en cliquant sur ce titre vous accéderez à undocument PDF pour lecture ou éventuelle impression.

Tous appelés à être sauvés par Dieu dela Colère de Dieu…« Dieu est Amour » écrit par deux fois St Jean (1Jn 4,8.16). « Aimez-vous lesuns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15,12), nous demande-t-il.« Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs afin de devenir fils devotre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchantset sur les bons et tomber la pluie sur les justes et les injustes » (Mt

Page 75: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

5,43-45). « Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par lebien« , nous dit St Paul (Rm 12,21). Or l’Ancien Testament nous présente trèssouvent Dieu comme se mettant en colère face au mal, une colère qui l’amène àrépondre au mal par le mal avec parfois beaucoup de violence… Un texte vamême jusqu’à nous le montrer prenant du plaisir à détruire ! « Parce que tun’auras pas obéi à la voix de Yahvé ton Dieu, autant Yahvé avait pris plaisirà vous rendre heureux et à vous multiplier, autant il prendra plaisir à vousperdre et à vous détruire » (Dt 28,63). Et le prophète Ezéchiel nous lemontre « allant même jusqu’à leur donner des lois qui n’étaient pas bonnes etdes coutumes dont ils ne pouvaient pas vivre, et je les souillai par leursoffrandes, en leur faisant sacrifier tout premier-né, pour les frapperd’horreur, afin qu’ils sachent que je suis Yahvé » (Ez 20,25-26). Nous sommesici au comble de l’horreur…

Comment les auteurs de l’Ancien Testament ont-ils pu s’imaginer que Dieupouvait être ainsi ? Quelle était donc leur compréhension du monde ? Commentpercevaient-ils le problème du mal et de ses conséquences, et surtout quelsliens établissaient-ils entre le mal et Dieu ? Gerhard Von Rad, dans sa« Théologie de l’Ancien Testament », a enquêté sur les croyances anciennes dumonde oriental, des croyances qui ont influencé la manière dont les auteursde l’Ancien Testament se représentaient Dieu et sa manière de réagir face aumal… Mais d’étape en étape, leur cheminement s’est affiné… jusqu’à atteindreson sommet: « Dieu est Amour‘, et il n’Est qu’Amour…

Nous commencerons ici par regarder le thème de la Colère de Dieu dans leLivre de l’Exode, en soulignant à quel point Dieu y est perçu de manière« humaine », et en mettant en lumière quelques belles contradictions… Puisnous regarderons rapidement les colères humaines dans la Bible, pour ensuitefaire une rapide synthèse des informations trouvées dans les textes parlantde la Colère de Dieu: ses destinataires, les agents de cette Colère, seseffets, les raisons qui la déclenchent… Puis nous verrons, avec Gerhard VonRad, comment deux principes simples peuvent nous aider à rendre compte detout cela… Enfin, nous regarderons, avec de magnifiques textes de l’AncienTestament lui-même, quelles sont les attitudes et les réactions de Dieu faceau mal, autant d’éléments que l’on retrouve, avec une pureté inégalée, dansla vie et les Paroles du Christ…

En regardant cette « Colère de Dieu » bien en face, en l’interprétant à lalumière des clés qui ont présidé à une telle vision de Dieu, nous ne pourronsque constater à quel point c’est bien un seul et même Dieu qui a guidé toutce cheminement biblique. Certes, il a pris les hommes tels qu’ils étaient, etheureusement, il en fait toujours de même avec nous. Mais avec une infiniepatience, de génération en génération, par ses prophètes et dans la prière,sa Lumière, présente dès les tout débuts, a, petit à petit, percé nosténèbres, illuminé nos intelligences, jusqu’à se révéler, dans toute sa

Page 76: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

splendeur,avec le Christ, « le Verbe fait chair » (Jn 1,14), « la Lumière dumonde » (Jn 8,12), révélation parfaite du Mystère éternel d’un « DieuAmour« … « Moi et le Père nous sommes un » (Jn 10,30), dans l’unité d’un mêmeEsprit (Ep 4,3), d’une même Lumière (Jn 12,46; 1Jn 1,5)… « Recevez l’EspritSaint« … C’est en ce Don que nous espérons aujourd’hui pour qu’il nous guide,jour après jour, vers la vérité tout entière… « L’Esprit Saint que le Pèreenverra en mon nom vous enseignera tout… Il vous introduira dans la véritétout entière » (Jn 14,26; 16,13)… A nous maintenant de lui demander saPrésence et son soutien, le plus simplement possible, et de partir àl’aventure dans la recherche de la vérité, en étant, avec Lui, ouvert à tout…

Bonne lecture à vous…

D. Jacques Fournier

Pour des raisons de commodités au niveau de la mise en page et aussi parfois,au niveau des citations bibliques en leur langue originale, traduites etexpliquées, nous vous invitons à cliquer sur le titre ci-dessous: il vousdonnera accès au document en PDF…

Sauvés par Dieu de la Colère de Dieu-PDF

La Résurrection du Christ, à lalumière des textes du NouveauTestamentEn 1993, la Commission Théologique Internationale a publié une étudeintitulée : « Quelques questions actuelles concernant l’Eschatologie », c’està dire « les fins dernières »… C’est à partir de ce travail que nous allonsregarder le Mystère de la Résurrection du Christ, en nous basantessentiellement sur les témoignages de celles et ceux qui l’ont vuRessuscité, tels qu’ils nous sont rapportés dans le Nouveau Testament…

Pour des raisons pratiques de mise en page du document, et donc pour vousfaciliter la lecture, nous vous invitons à cliquer sur le document PDF ci-joint… Plein de bonnes choses à vous…

D. Jacques Fournier

La Résurrection du Christ : document PDF pour lecture et éventuelle

Page 77: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

impression.

Sur la base de la conception bibliquede l’homme : « Aimer la famillehumaine comme Dieu l’aime pourtravailler tous ensemble à son bien. »« De fondement, nul ne peut en poser d’autres que celui qui s’y trouve déjà :Jésus Christ » (1Co 3,11). « Tout fut par lui et sans lui rien ne fut » (Jn1,3). Et toute son œuvre sera de faire en sorte que le projet créateurs’accomplisse pleinement. Alors, « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14), etavec lui l’humanité a compté enfin un homme « à l’image et ressemblance deDieu » (Gn 1,26-27). Il sera « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde» (Jn 1,29) car, avec lui et par lui, Dieu veut offrir à tout homme lapossibilité de « reproduire l’image de son Fils, afin qu’il soit l’aîné d’unemultitude de frères » (Rm 8,28-30). Si nous consentons à accueillir Celuiqui, le premier, est venu nous rejoindre dans le Fils, nous deviendronsalors, petit à petit, de miséricorde en miséricorde, des « enfants de Dieu »(Jn 1,12) « à l’image du Fils » et donc « à l’image et ressemblance deDieu »… Et tout ceci adviendra grâce au Don de l’Esprit que le Fils est venunous communiquer au Nom de son Père… Ressuscité, « il souffla » en effet surses disciples, comme Dieu avait soufflé en l’homme au commencement du mondepour « insuffler en lui une haleine de vie » (Gn 2,4b-7). Alors, par leChrist Sauveur et le Don de l’Esprit, l’homme peut devenir pleinement lui-même…

Nous allons donc revisiter ici un des textes les plus importants de la Bible,le premier chapitre du Livre de la Genèse qui nous présente l’œuvre créatricede Dieu, et nous nous attarderons tout particulièrement sur les versetsconcernant l’homme « créé à l’image et ressemblance de Dieu ».

Page 78: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Nous soulignerons la valeur inestimable de tout homme aux yeux de Dieu,une simple constatation qui, pour nous croyants, suffit à mettre l’homme à lapremière place de toute préoccupation, quelle qu’elle soit … « L’être humaina évidemment une primauté de valeur sur toute la création » (Benoît XVI,Message pour la Journée Mondiale de la Paix, 1° janvier 2008 (MJMP 2008),&7 ; ).

Puis nous verrons comment l’homme devrait exercer la mission qui est lasienne sur cette terre. Une allusion au second récit de la création et undétour par la lettre de St Paul aux Romains soulignera l’importance du regardfraternel, universel et bienveillant que nous devrions porter sur tous ceuxet celles qui nous entourent, quelles que soient leur culture, leurappartenance religieuse ou non, etc… En effet, les valeurs de Dieu, lesseules sur lesquelles toute vie personnelle ou communautaire peut vraimentse construire, habitent au cœur de tous les hommes et de toutes les femmes debonne volonté. En reconnaissant leur présence par-delà toutes les étiquettessociales ou religieuses, nous pourrons alors nous engager avec eux, quelsqu’ils soient, pour travailler ensemble au bien commun de tous…

Nous vivrons alors le Mystère de l’Eglise, au-delà de toutes frontières…

————————————————————————————————————————————————————

Le premier récit de la Création que nous reprenons à chaque veillée pascale(Gn 1,1-2,4a) était très certainement autrefois un cantique liturgique ensept strophes, avec un refrain : « Et Dieu vit que cela était bon ; il y eutun soir, il y eut un matin, xème jour ». Toute sa rédaction était tendue versle dernier jour, le septième, où, après avoir créé l’univers en dix Paroles,Dieu « cessa toute activité », « sabat » en hébreu. L’auteur pouvait ainsi leprendre en exemple dans le Livre de l’Exode pour le 4° commandement juif, le3° pour nous catholiques, celui du sabbat (Ex 20,8-11), ce jour où l’hommeest invité à mettre sa relation à Dieu à la première place dans sa vie…

Regardons tout de suite le passage relatif à la création de l’homme (Gn1,26-28) :

Page 79: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Le projet de Dieu :

– 1 – « Faisons l’homme »…

A – (26) Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance

– 2 – « Qu’ils dominent sur »…

B – et qu’ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, lesanimaux, sur toute la terre,

et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre ».

Dieu réalise son projet:

– 1 – « Dieu fit l’homme »…

A’ – (27) Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, mâleet femelle il les créa.

La bénédiction de Dieu qui permettra àl’homme de réaliser le projet de Dieu :

(28) Et Dieu les bénit et Dieu leur dit : « Soyez féconds, multipliez-vous,remplissez la terre et soumettez-la;

– 2 – « Dominez sur »…

B’ – Dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, et sur toutêtre vivant qui rampe sur la terre ».

————————————————————————————————————————————————————

Page 80: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

I – La valeur inestimable de tout homme aux yeux deDieu.« Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t’aime » (Is 43,4)

Comme pour les autres créatures, la création de l’homme commence parune Parole de Dieu, mais celle-ci est différente des précédentes. Il nes’agit pas en effet d’un ordre suivi immédiatement de sa réalisation,« ‘Que la lumière soit’, et la lumière fut » (Gn 1,3), mais d’une Paroleexprimant un désir. Dieu semble penser tout haut et il nous révèle ainsison rêve, son intention la plus profonde : l’homme…

De plus, le verbe « faire » n’intervient pas ici lors de sa création,mais seulement le verbe « créer, bara’ », un verbe qui dans toute laBible n’a que Dieu pour sujet. Et il apparaît trois fois. Or le chiffre« trois » est souvent un chiffre symbolique qui renvoie à Dieu en tantqu’il agit. Dieu a donc agi pour l’homme avec une intensité touteparticulière, comme il ne l’avait encore jamais fait jusqu’à présent. Ila déployé pour lui tous ses talents de Créateur et l’homme est apparudans l’existence. Le texte ne nous dit rien d’ailleurs sur le « comment »de sa venue au monde : son origine demeure un Mystère que Dieu seulconnaît…

Enfin, et le terme arrive pour la septième fois dans le texte en signe deplénitude, Dieu déclare une fois l’homme créé : « Et voici : cela étaittrès bon ». Or, « tob », « bon » en hébreu, peut aussi se traduire par« bien », « beau »… Nous le retrouverons plus tard dans « l’arbre de laconnaissance du bien et du mal » (Gn 2,9) Comme le souligne André Boulet,« littéralement, il faudrait traduire par « Quel bien ! »… Le termeemployé pour signifier cette bonté ne se réfère pas d’abord à unecatégorie esthétique, mais à une catégorie éthique : la Création estfondamentalement bonne, et, parce que bonne, elle est belle »[1]. Et Dieuregarde l’homme au cœur de la création comme un bien profond…

Puis, juste après l’avoir créé, Dieu va le bénir, comme il l’avait faitauparavant pour les premiers êtres vivants qui étaient apparus dans lamer et dans le ciel, révélation indirecte de son amour pour la vie. Cette

Page 81: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

bénédiction est la grâce que Dieu donne à tout homme pour pouvoirpleinement s’accomplir. Elle l’accompagne tout au long de sa vie et nedemande qu’à être accueillie par des cœurs de bonne volonté… Nouspercevons déjà ici l’importance de la relation « Créateur-créature »,nous y reviendrons. Cette grâce devrait nous inciter à avoir confiancedans la vie, dans l’avenir, car elle sous-entend que Dieu accompagnel’histoire de chacun, l’histoire de l’humanité, pour lui permettre dedéboucher sur cet « à venir » qui nous attend tous, par-delà notre mortsur cette terre…

Pour les animaux, nous avions : « Dieu les bénit en disant : « Soyezféconds, multipliez…» », tandis que pour l’homme nous avons : « Dieu lesbénit et Dieu leur dit : « Soyez féconds, multipliez » »… La différenceest minime mais elle est capitale : l’homme est la seule créature àlaquelle Dieu adresse la Parole. Nous avons ainsi été créés pour vivre enrelation avec lui, pour l’écouter, le comprendre, lui répondre… Tel estle fondement ultime de notre vie.

Enfin, l’homme est la seule créature à « être à l’image et ressemblancede Dieu ». Il existe donc un lien unique entre l’homme et Dieu, à telpoint qu’en regardant l’homme, il est possible de découvrir quelque chosedu Mystère de Dieu, et ce n’est qu’en regardant Dieu que l’on comprendratoujours davantage « qui » est l’homme…

Le second récit de la création permet de préciser ce que « être à l’image etressemblance de Dieu » sous entend. En effet, dans ce second récit, l’hommeest la seule créature vivante que Dieu suscite dans l’existence en soufflanten lui : « Le Seigneur Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffladans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn2,7). Or, le souffle dans la Bible renvoie à l’Esprit de Dieu, à l’EspritSaint… Et, nous dit St Jean, « Dieu est Esprit » (Jn 4,24). Le mystère de lavie de chaque être humain s’enracine donc dans la Présence au plus profond deson être d’une réalité qui est de l’ordre de « l’Esprit Saint », c’est-à-direde l’ordre de ce que Dieu est en Lui-même… Comme l’écrit le P. Ceslas Spicq,« être l’image » c’est « participer l’être » et la vie du « Dieu vivant ».[2]L’idée de « souffle » en en effet inséparable de celle de « vie », le soufflemanifestant la présence de la vie. Recevoir le souffle de Dieu, c’est doncrecevoir la vie de Dieu. L’Esprit de Dieu est ainsi avant tout une réalité del’ordre de la vie : « c’est l’Esprit qui vivifie » nous dit Jésus en St Jean(Jn 6,63 ; cf. Ga 5,25)…

Page 82: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Ainsi, le Mystère de la vie de tout homme s’enracine dans le Mystère desa participation à l’Esprit de Dieu, c’est-à-dire à la Vie de Dieu… Et c’estdans cette perspective que la notion « d’image et de ressemblance » prendtoute son intensité…

Comme le disait Benoît XVI lors de son discours pour la célébration de lajournée mondiale de la paix, le 1° janvier dernier, tout homme est invité à« reconnaître en Dieu la source originaire de sa propre existence comme decelle d’autrui. C’est en remontant à ce Principe suprême que peut être perçuela valeur inconditionnelle de tout être humain » (&6).

II – Les conditions de la mise en œuvre de lamission commune des hommes sur la terre

Nous l’avons vu, l’homme a été créé pour vivre en relation avec Dieu, etcela est bien sûr valable dans la mise en œuvre concrète de sa missionsur cette terre : « la soumettre, la dominer… » En effet, le Seigneur etle Maître de la Création n’est pas l’homme, mais Dieu. L’auteur nous l’amaintes fois répété lorsqu’il nous montrait Dieu nommant les réalitésqu’il venait de créer : « Dieu appela la lumière jour, et les ténèbresnuit » (Gn 1,5). Or, dans la mentalité biblique, « donner un nom » c’estêtre le Seigneur et le Maître de la réalité que l’on nomme… Si lavocation de l’homme est de « dominer» la terre, elle ne pourra donc ques’exercer dans le cadre plus général de l’unique Seigneurie de Dieu.L’homme apparaît donc ici comme « l’intendant de Dieu », « son mandatairelibre et responsable ».De plus, dans ses prises de décisions, il devra toujours se référer àson Seigneur et aux valeurs qui sont les siennes, car c’est Lui et Luiseul qui sait ce qui est bon ou pas, ce qui est bien ou pas… Il estl’unique « Juge » de l’univers, et notre auteur nous l’a aussi souventprésenté ainsi lorsqu’il nous rapportait ses réactions au fur et à mesurede l’avancée de ses travaux : « Et Dieu vit que cela était bon »,« bien », « beau»… La recherche du « bien», du « beau », du « bon » nepourra donc que se réaliser dans le cadre d’une relation avec Celui-làseul qui est à l’origine du « bien », du « beau », du « bon », Dieu lui-même… Ce n’est qu’ainsi que l’homme pourra « cultiver et garder » laterre (Gn 2,15), deux verbes hébreux que l’on pourrait aussi traduire par« servir et protéger »[3]… Alors il sera vraiment « à l’image etressemblance » de son Créateur et Père…

Page 83: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

Précisons d’ailleurs maintenant le sens de ce mot « homme » en Gn 1,26.Lorsque Dieu dit : « Faisons l’homme, na‘aséh ‘adam », ce singulier« Adam» est aussitôt suivi d’un verbe au pluriel : « et qu’ilsdominent ». « Adam» ne renvoie donc pas ici à une personne humaine uniquemais à l’humanité tout entière… Chaque personne humaine a donc été crééeà « l’image et ressemblance de Dieu » mais c’est aussi l’humanité en sonensemble qui est appelée à être ainsi…

Seul le Nouveau Testament permettra d’approfondir cette perspective en nousrévélant que Dieu est Mystère de Communion de Trois Personnes divinesdistinctes dans l’unité d’un même Esprit. Tous les êtres humains, issus d’unmême Père et donc tous frères, sont ainsi appelés par Dieu à ne former qu’uneseule et même famille, un seul et même Mystère de Communion dans l’uniqueEsprit, à l’image et ressemblance de Dieu.

Benoît XVI le souligne très souvent dans son message pour la journée mondialede la Paix. L’humanité est « une communauté de frères et de sœurs, appelés àformer une grande famille » (&6), dit-il au tout début. Tous « les peuples dela terre sont ainsi appelés à instaurer entre eux des relations de solidaritéet de collaboration, comme il revient aux membres de l’unique famille humaine: « Tous les peuples — a déclaré le Concile Vatican II (Nostra aetate 1) —forment ensemble une seule communauté, ont une seule origine »… Et il conclutpar : « J’invite tous les hommes et toutes les femmes à prendre uneconscience plus claire de leur appartenance commune à l’unique famillehumaine et à s’employer pour que la convivialité sur la terre soit toujoursdavantage le reflet de cette conviction, dont dépend l’instauration d’unepaix véritable et durable ».

Cette perspective d’une humanité « Mystère de communion » à l’image etressemblance de Dieu « Mystère de Communion » appartient déjà à l’ordre desréalités si l’on se souvient de ce que nous disait le second récit de lacréation où la vie de l’homme nous était présentée comme prenant sa sourcedans la Présence au plus profond de son être de l’Esprit Saint, cet « Espritqui vivifie » (Jn 6,63 ; cf. Ga 5,25)… Toute l’humanité est donc déjàen communion de vie, par l’unique Esprit qui est à l’origine du Mystère de lavie de chacun d’entre nous, et qui nous est donné instant après instant pournous maintenir dans l’existence : « Si Dieu tournait vers lui son cœur, s’ilconcentrait en lui son souffle et son haleine, toute chair expirerait à lafois et l’homme retournerait à la poussière » (Job 34,14-15).

Cette communion de vie unit ainsi chaque être humain à Dieu et

Page 84: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

à son semblable. Mais puisque nous sommes sur cette terre des êtres endevenir, tout notre travail consiste à faire en sorte que cette potentialitéqui nous habite déjà puisse pleinement s’épanouir dans toutes les dimensionsde notre être… Ainsi, tout ce qui unit les hommes entre eux, tout ce qui lesréunit, tout ce qui contribue à les faire travailler ensemble au bien communde tous, tout cela appartient au projet de Dieu : une multitude d’êtresdifférents, dont les différences nourrissent d’ailleurs les relations, unisdans la communion d’une même Vie et travaillant ensemble au bien de tous…

Et ce « bien » est perceptible à tous car c’est la présence de ce souffle deDieu, de cet Esprit de Dieu à la racine du Mystère de notre Être, qui est àl’origine de ce que nous appelons notre « conscience ». St Paul dit ainsidans sa Lettre aux Romains que les païens, qui n’ont jamais connu la Loi deMoïse, la mettent quand même en pratique ! « En effet, quand des païensprivés de la Loi accomplissent naturellement les prescriptions de la Loi, ceshommes, sans posséder de Loi, se tiennent à eux-mêmes lieu de Loi ; ilsmontrent la réalité de cette loi inscrite en leur cœur, à preuvele témoignage de leur conscience, ainsi que les jugements intérieurs de blâmeou d’éloge qu’ils portent les uns sur les autres » (Rm 2,14-15). Cette « loiinscrite dans les cœurs », « la loi naturelle inscrite dans le cœur de l’êtrehumain et manifestée à lui par la raison » (Benoît XVI, MJMP 2008 &4), estla conséquence directe de la Présence de l’Esprit de Dieu au plus profond dechacun d’entre nous, un Esprit qui nous donne de participer à l’insondablerichesse de Dieu Lui-même. Et cet Esprit apporte avec Lui toutes les valeursinhérentes au Mystère de Dieu : altruisme, bienveillance, droiture, justice,vérité, patience, respect, tolérance…

Là encore, Benoît XVI fait allusion à ce principe de base inhérent à lanature humaine. Il dit en effet que « la norme juridique, qui régule lesrapports entre les personnes, en disciplinant les comportements extérieurs eten prévoyant aussi des sanctions pour ceux qui transgressent cesdispositions, a comme critère la norme morale fondée sur la nature deschoses. La raison humaine est en outre capable de la discerner au moins auniveau des exigences fondamentales, en remontant à la Raison créatrice deDieu, qui est à l’origine de tout… Il faut remonter à la norme moralenaturelle, fondement de la norme juridique… La connaissance de la normemorale naturelle n’est pas réservée à l’homme qui rentre en lui-même et qui,face à sa destinée, s’interroge sur la logique interne des aspirations lesplus profondes qu’il discerne en lui. Non sans perplexité ni incertitudes, ilpeut arriver à découvrir, au moins dans ses lignes essentielles, cette loimorale commune qui, au-delà des différences culturelles, permet aux êtreshumains de se comprendre entre eux en ce qui concerne les aspects les plusimportants du bien et du mal, du juste et de l’injuste. Il est indispensablede revenir à cette loi fondamentale et de consacrer à cette recherche lemeilleur de nos énergies intellectuelles » (MJMP 2008, &12-13). Et dans son

Page 85: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

discours du 7 janvier 2008 pour les vœux au Corps Diplomatique, il déclarait(& 8-9) : « La liberté humaine n’est pas absolue ; il s’agit d’un bienpartagé, dont la responsabilité incombe à tous. En conséquence, l’ordre et ledroit en sont des éléments qui la garantissent. Mais le droit ne peut êtreune force de paix efficace que si ses fondements demeurent solidement ancrésdans le droit naturel, donné par le Créateur. C’est aussi pour cela que l’onne peut jamais exclure Dieu de l’horizon de l’homme et de l’histoire. Le nomde Dieu est un nom de justice ; il représente un appel pressant à la paix.

Cette prise de conscience pourrait aider, entre autres, à orienter lesinitiatives de dialogue interculturel et inter-religieux. Ces initiativessont toujours plus nombreuses et elles peuvent stimuler la collaboration surdes thèmes d’intérêt mutuel, comme la dignité de la personne humaine, larecherche du bien commun, la construction de la paix et le développement ».

« Nul n’a jamais vu Dieu », nous dit St Jean. « Le Fils Unique qui est tournévers le sein du Père, lui, l’a fait connaître » (Jn 1,18). Le Christ est doncvenu nous révéler une réalité qui existe depuis toujours et pour toujours :le Mystère de ce Dieu Présent à sa création depuis qu’elle existe, ce Dieu« qui éclaire tout homme venant en ce monde » (Jn 1,9), qui « pétrit etfaçonne le cœur de chacun », comme dit le Psalmiste (Ps 33(32),13‑15). Lechrétien saura donc reconnaître en tout homme de bonne volonté un frère queDieu guide, éclaire, soutient, conduit, tout comme lui, même s’il en parleautrement, même s’il n’en a pas conscience… Et il s’attachera à s’engageravec lui pour travailler avec lui au bien de toute la famille humaine…

Cette perspective est d’ailleurs présente dans le premier récit de laCréation. En effet, c’est à « Adam » qui, souvenons-nous représente icil’humanité tout entière, qu’est donnée la mission de « dominer la terre ». Etcette « Adam humanité » se différencie ensuite en deux blocs principaux :« l’Adam mâle » et « l’Adam femelle »… Et bien sûr, chacun de ces blocs estensuite constitué de la multitude des personnes humaines créées de sexemasculin et de sexe féminin.

De cette simple remarque découlent de nombreuses conséquences, tout aussirévolutionnaires autrefois qu’aujourd’hui :

1 – Egalité foncière de toute personne humaine, homme ou femme, en droits eten devoirs, cette égalité étant vécue au sein d’une incroyable diversité. En1948, déclare Benoît XVI, « l’Organisation des Nations unies rendaitsolennellement publique la Déclaration universelle des Droits de l’homme

Page 86: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

(1948-2008). Par ce document, la famille humaine a voulu réagir aux horreursde la Deuxième Guerre mondiale en reconnaissant son unité fondée sur l’égaledignité de tous les hommes et en mettant au centre de la convivialité humainele respect des droits fondamentaux de tout individu et de tout peuple: ce futlà un pas décisif sur le difficile et exigeant chemin vers la concorde et lapaix » (MJMP 2008, &15).

Travailler au bien de tous sera ainsi notamment faire en sorte que chacunpuisse bénéficier d’un espace de liberté où il pourra développer sa diversitéet mettre en œuvre les talents qui lui sont propres. Et si tel est vraimentle cas, cette mise en œuvre se fera toujours pour le bien de tous ! Autrementdit, travailler au bien de l’autre, c’est non seulement s’accomplir soi-mêmemais c’est encore travailler au bien commun, et donc à son propre bien !

2 – « Dieu veut créer une humanité. Ce n’est pas à de grandes personnalitésque la domination du monde doit être concédée, mais à la communauté humaine…Personne dans l’humanité ne doit être exclu de cette autorité »[4]. Autrementdit, il n’appartient pas au projet de Dieu que certains puissent « posséder »des centaines de milliers d’hectares alors que d’autres n’auraient au mieuxqu’une petite parcelle insuffisante à nourrir leurs besoins. La terre estdonnée à tous pour subvenir aux besoins de tous, toujours dans le respect dela diversité de chacun (cf. Ps 49(48))… « Il ne faut donc pas que les pauvressoient oubliés, eux qui, en bien des cas, sont exclus de la destinationuniverselle des biens de la création » (MJMP 2008 & 7).

3 – La domination de la terre est donnée à toute l’humanité en son ensemble,hommes et femmes, dans le respect de la diversité de chacun. Aucune tâche,aucune fonction ne peut donc être réservée arbitrairement à l’un ouà l’autre…

4 – Puisque tous les hommes – hommes et femmes – doivent gérer ensemblela création, la façonner, la transformer, « seul l’homme lui-même ne doit pasêtre objet de soumission… La domination de l’homme sur l’homme fausse l’imagede Dieu »[5]…

En Gn 3,16b, on lira (Parole de Dieu à la femme) : « Ton désir te pousseravers ton homme et lui te dominera ». « On s’est souvent servi de ce passagepour justifier, comme voulue par Dieu, la subordination de la femme » àl’homme. « Or, ce texte soutient exactement le contraire : la domination de

Page 87: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

l’homme sur la femme est une conséquence du péché »[6].

5 – Enfin, l’homme et la femme sont également à l’image de Dieu en tantqu’homme et femme : « Les hommes ne peuvent percevoir leur mandat decréatures à l’image de Dieu qu’en étant tournés l’un vers l’autre et en secomplétant l’un l’autre »[7].

L’homme est donc à l’image de Dieu en tant qu’ « être tourné vers » Dieu pourexercer sa charge d’intendant du monde, en tant qu’ « être tourné vers »sa femme dans l’exercice même de ce mandat commun, en tant qu’ « être tournévers » ce monde pour le travailler… L’homme apparaît ainsi pleinement en saqualité d’ « être relationnel », à l’image et ressemblance de Dieu…

Et c’est dans cet « être tourné vers Dieu », recevant de lui cettebénédiction qui lui permettra d’accomplir sa vocation, « tourné vers safemme » pour une relation créatrice, « tourné vers les autres » pour œuvrerensemble au bien de tous, que l’homme se construira lui-même en trouvantainsi le chemin de son épanouissement personnel.

Et si l’humanité est appelée à former ainsi, dans la richesse de la diversitéde tous ses membres, une seule et unique famille humaine, soulignons enfinl’importance de la famille qui se construit sur la base de l’amour qui unitun homme et une femme. Le second chapitre du Livre de la Genèse nous présentede manière poétique et très belle la création de la femme à partir d’une« côte » de l’homme, eux qui seront ensuite appelés à marcher « côte àcôte ». L’exclamation de l’homme suffit à reconnaître le prix qu’il luiaccorde, en utilisant une formule qui souligne l’égalité profonde qui lesunit par leur participation à une seule et unique nature humaine : « Pour lecoup, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée“femme”, car elle fut tirée de l’homme, celle-ci ! » « C’est pourquoi »,ajoute le Livre de la Genèse, « l’homme quittera son père et sa mère ets’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair ». Tous les deuxseront donc appelés à vivre un Mystère de Communion à l’image et ressemblancede Dieu lui-même… St Paul appliquera d’ailleurs ce texte au Christ et àl’Eglise (cf. Ep 5,31-32) !

Benoît XVI évoque ainsi « la famille humaine » comme « la cellule première etvitale de la société », le fondement incontournable pour la construction de« la famille humaine, communauté de paix » : « La famille naturelle, en tant

Page 88: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

que profonde communion de vie et d’amour, fondée sur le mariage entre unhomme et une femme, constitue « le lieu premier d’‘humanisation’ de lapersonne et de la société », le « berceau de la vie et de l’amour ». Aussi,est-ce avec raison que la famille est qualifiée de première sociéténaturelle, « une institution divine qui constitue le fondement de la vie despersonnes, comme le prototype de tout ordre social ».

En effet, dans une saine vie familiale, on fait l’expérience de certainescomposantes fondamentales de la paix: la justice et l’amour entre frères etsœurs, la fonction d’autorité manifestée par les parents, le serviceaffectueux envers les membres les plus faibles parce que petits, malades ouâgés, l’aide mutuelle devant les nécessités de la vie, la disponibilité àaccueillir l’autre et, si nécessaire, à lui pardonner. C’est pourquoi, lafamille est la première et irremplaçable éducatrice à la paix. Il n’est doncpas étonnant que la violence, si elle est perpétrée en famille, soit perçuecomme particulièrement intolérable. Par conséquent, quand on affirme que lafamille est « la cellule première et vitale de la société », on dit quelquechose d’essentiel. La famille est aussi un fondement de la société pour laraison suivante : parce qu’elle permet de faire des expériences déterminantesde paix. Il en découle que la communauté humaine ne peut se passer du serviceque la famille remplit. Où donc l’être humain en formation pourrait-ilapprendre à goûter la « saveur » authentique de la paix mieux que dans le «nid » originel que la nature lui prépare ? » (MJMP 2008 &2-3)

En conclusion…

Le Christ est donc venu accomplir le projet de Dieu qui a créé l’humanitépour qu’elle soit « la famille » de ses enfants unis à Lui dans la communiond’un même Esprit, d’une même Vie, dans l’Amour. Ce projet commence à semettre en œuvre dès maintenant par l’œuvre de Réconciliation accomplie par samort et sa résurrection, réconciliation avec Dieu et donc réconciliation deshommes entre eux. Les chrétiens reçoivent ainsi par leur foi la grâce demourir à tout ce qui sépare pour ressusciter à tout ce qui unit. Et cettegrâce est tout en même temps Lumière et Force qui leur permet de collaboreractivement, dans l’aujourd’hui de leur histoire, à la construction decette humanité « famille de Dieu ».

Cette Lumière leur donnera notamment de reconnaître la Présence de cette mêmeLumière au cœur de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté,quel que soit leur chemin religieux ou même son apparente absence… « Dieu

Page 89: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

lui-même », en effet, « n’est pas loin d’eux, puisqu’il donne à tous la vie,le souffle et toutes choses (cf. Act. 17, 25-28), et que le Sauveur veut lesalut de tous les hommes (cf. I Tim. 2, 4). En effet ceux qui, sans faute deleur part, ignorent l’Evangile du Christ et son Eglise et cependant cherchentDieu d’un cœur sincère et qui, sous l’influence de la grâce, s’efforcentd’accomplir dans leurs actes sa volonté qu’ils connaissent par lesinjonctions de leur conscience, ceux-là aussi peuvent obtenir le salutéternel. Et la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires ausalut à ceux qui ne sont pas encore parvenus, sans qu’il y ait de leur faute,à la connaissance claire de Dieu et s’efforcent, avec l’aide de la grâcedivine, de mener une vie droite. En effet, tout ce que l’on trouve chez euxde bon et de vrai, l’Eglise le considère comme un terrain propice àl’Evangile et un don de Celui qui éclaire tout homme, pour qu’il obtiennefinalement la vie » (Concile Vatican II, Lumen Gentium & 16).

Tous les chrétiens sont donc invités à s’engager avec tous les hommes ettoutes les femmes de bonne volonté, en responsables actifs de la cité, pourtravailler ensemble au bien commun de tous en cultivant les valeurs dedroiture, de justice, d’honnêteté, de tolérance, de bienveillance… Cesvaleurs, Dieu ne cesse de les insuffler au plus profond de chacun d’entrenous par le Souffle de son Esprit qui est à la racine du Mystère de toute viehumaine sur cette terre… En étant fidèles à leur conscience, c’est bien auDieu Vivant que les hommes et les femmes de bonne volonté obéissent, peut-être souvent sans le savoir… Mais à la lumière de leur foi, en s’engageantactivement avec eux, les chrétiens savent qu’ils travaillent àl’accomplissement de la volonté de Dieu qui ne désire que l’authentiqueépanouissement de toute la famille humaine…

D. Jacques Fournier

[1]BOULET A., Création et rédemption (Chambray 1995) p. 39.

Sr JEANNE D’ARC, Chemins à travers la Bible p. 75: » Toute chose est faitepar Dieu belle et bonne. Il faut souligner l’optimisme foncier de cetteperspective ».

[2] SPICQ C., « eijkwvn », Lexique théologique du Nouveau Testament (Paris1991) p. 429-431.

[3] « S’agissant de la famille humaine, cette maison c’est la terre, lemilieu que Dieu Créateur nous a donné pour que nous y habitions de manièrecréative et responsable. Nous devons avoir soin de l’environnement : il a étéconfié à l’homme pour qu’il le garde et le protège dans une libertéresponsable, en ayant toujours en vue, comme critère d’appréciation, le bien

Page 90: Retraite préparatoire à la fête de la Sainte Trinité (1

de tous » (Benoît XVI, Journée mondiale de la Paix, 1° janvier 200 8, &7).

[4] WOLFF H.W., Anthropologie de l’Ancien Testament (Genève 1974) p. 141.

[5] Id. p. 143-144.

[6] DEBERGÉ P., Amour et sexualité dans la Bible (Coll. Racines ; Ed.Nouvelle Cité 2001) p. 98

[7] Id p. 142.

Gn 1,26-28 ; Aimer la famille humaine…_ Document PDF pour une éventuelleimpression