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DONNONS DE LA FORCE À VOS COMPÉTENCES

MAISON DE LA C.F.E.-CGC – 63 RUE DU ROCHER – 75008 PARIS • www.cfecgc.orgTél. 01.55.30.12.12 • Fax 01.55.30.13.13 • E-mail : [email protected]

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ÉCONOMIQUES ET SOCIALES

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REVENU, INÉGALITÉSET BIEN-ÊTRE.

QUE NOUS APPRENNENTLES DONNÉES SUBJECTIVES ?UN SURVEY ET UN EXEMPLE.

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REVENU, INÉGALITÉSET BIEN-ÊTRE.

QUE NOUS APPRENNENTLES DONNÉES SUBJECTIVES ?UN SURVEY ET UN EXEMPLE.

CLAUDIA SENIK*

6 décembre 2002

« Put generally, happiness, or subjective well-being, varies directly with one’s ownincome, and inversely with the incomes of others. Raising the incomes of all does not

increase the happiness of all […]. » (Easterlin, 1995).

« An individual’s welfare depends on his present state of contentment (or, as a proxy,income), as well as on his expected future contentment (or income). Suppose that the

individual has very little information about his future income… he will drawgratification from the advances of others. […] The tunnel effect operates because

advances of others supply information about more benign external environment. »(Hirschman, 1973).

*Professeur à l’université Paris-IV Sorbonne et chercheur au DELTA, Unité Mixte deRecherche CNRS-ENS-EHESS.

DELTA, ENS, 48, bd Jourdan, 75014 Paris, [email protected]

Recherche effectuée dans le cadre d’une convention conclue entre l’Institut de Recherches Économiques et Sociales (IRES)

et la CFE-CGC

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SOMMAIRE

RÉSUMÉ ............................................................................................................................................. 5

PARTIE I – SATISFACTION ET REVENU D’AUTRUI : L’APPORT DES DONNÉESSUBJECTIVES ............................................................................................................... 7

I-A Peut-on étudier les jugements de satisfaction ? ................................................................. 7

Pourquoi vouloir mesurer l’utilité ? ................................................................................... 7

Nature et usage des données subjectives ......................................................................... 8

Méthodologie du recours aux données de satisfaction subjective ................................. 9

Les données subjectives à l’épreuve des faits .................................................................. 10

L’école de Leyden ................................................................................................................ 10

Le nouvel essor de l’analyse des données subjectives .................................................... 11

I-B Revenu et bien-être ................................................................................................................ 12

La croissance n’élève pas la satisfaction moyenne des pays développés ..................... 12

L’analyse microéconométrique révèle un lien fort entre revenu et satisfaction ............ 13

Conclusion : satisfaction mesurée et satiété ..................................................................... 13

I-C Revenu relatif et bien-être ..................................................................................................... 14

I-D Inégalité et bien-être .............................................................................................................. 16

Une pure aversion aux inégalités de revenu .................................................................... 16

Le rôle de la mobilité perçue : retour à des préférences égoïstes .................................. 17

Des préférences pour une mobilité égalitaire ................................................................... 18

Conclusion. Bien-être et inégalité : un lien multiforme .................................................... 19

Conclusion de la première partie ............................................................................................... 19

Annexe à la première partie. Le choix du modèle statistique ................................................. 21

1. Les écarts entre les seuils de satisfaction sont identiques .......................................... 21

2. Les écarts entre les seuils sont variables entre eux mais identiques pour tous les individus ; il n’y a pas d’effet d’ancrage ........................................................................ 22

3. Quelles hypothèses retenir ? .......................................................................................... 23

PARTIE II – COMPARAISON VERSUS INFORMATION :L’ENSEIGNEMENT DES DONNÉES DE PANEL RUSSES ................................... 24

II-A Stratégie empirique .............................................................................................................. 26

La fonction de bien-être à estimer ..................................................................................... 26

La construction du revenu de référence ............................................................................ 27

Les indicateurs d’inégalité ................................................................................................... 27

Les anticipations de revenu................................................................................................. 27

II-B Résultats ................................................................................................................................ 30

Une fonction de bien-être classique .................................................................................. 30

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L’influence du revenu de référence sur la satisfaction ...................................................... 33

Mobilité individuelle et revenu de référence .................................................................... 37

Un approfondissement du rôle de l’incertitude et de l’information ................................ 39

Inégalité et bien-être ............................................................................................................ 40

CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................................. 42

ANNEXES .......................................................................................................................................... 43

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................... 53

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RÉSUMÉ

Comment le revenu d'autrui affecte-t-il mon bien-être ? L'ambition de cette étude est desouligner la contribution potentielle des variables « subjectives » à l'élucidation de cettequestion en démêlant autant que possible les effets directs (comparaison, aversion pourles inégalités) des effets indirects de nature cognitive (perspectives de mobilité, aversionpour le risque).

Les articles recensés en première partie précisent l'importance du lien entre revenu etbien-être subjectif. Le revenu propre exerce une influence primordiale sur la satisfactionindividuelle, parfois atténuée par des effets d'adaptation et de comparaison. Le revenud'autrui, et plus généralement la nature égalitaire de la répartition des revenus affecte lebien-être individuel, essentiellement de manière indirecte, par le biais de la mobilité per-çue. Cette dernière détermine en effet les perspectives de progression et les risques dechute de chacun. Les agents peuvent également être sensibles à la nature égalitaire duprocessus de mobilité lui-même, auquel cas ce sont les inégalités dynamiques et non sta-tiques qui influencent le bien-être.

L'exemple russe développé en deuxième partie suggère que, conformément à « l'effettunnel » d'Hirschman (1973), dans un contexte de mutation économique et de forte incer-titude, le revenu du groupe de référence des agents, est appréhendé par ces derniers demanière essentiellement cognitive, en tant qu'information et non en tant que norme. L'in-égalité des positions affecte peu les agents, sans doute en raison du faible contenu infor-mationnel qu'il véhicule.

Peut-on en inférer que ce sont les perspectives offertes aux individus qui affectent leurbien-être et non la répartition instantanée des positions ? Sans vouloir trancher cettequestion, lourde d'implications en matière de politique économique, soulignons simple-ment qu'elle illustre le rôle croissant que pourraient jouer les données subjectives dans larecherche économique, à la fois sur le plan théorique, en éclairant la formation de l'utilitéet les interactions sociales hors de portée pour la méthode des préférences révélées, etde manière appliquée, en éclairant les choix de politique économique au vu des préfé-rences des citoyens.

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INTRODUCTION

Comment le revenu d'autrui affecte-t-il mon bien-être ? Nullement, selon le modèle debase du consommateur dont l'utilité ne dépend directement que de sa propre consomma-tion et de son loisir. « Il la réduit », affirmeraient de nombreux économistes, sociologueset psychologues, en référence aux effets de comparaison décrits par Veblen (1899) etDuesenberry (1949). « Il l'accroît », assureraient enfin certains, songeant aux sentimentsaltruistes que peuvent nourrir des membres de générations consécutives au sein d'unemême famille (Becker, 1991). Au-delà de ces canaux directs, le revenu d'autrui peutégalement affecter la satisfaction individuelle de manière indirecte, cognitive, en tant quesource d'information utile à la formation des anticipations (Hirschman, 1973).

La question de la perception par un individu du revenu d'autrui, qu'il s'agisse d'un groupeparticulier ou de l'ensemble des revenus de la population, a des implications importantes,tant théoriques que pratiques. En particulier, si seul le revenu relatif compte, la croissancen'est pas nécessairement source de bien-être ; elle peut même être synonyme de dégra-dation des conditions de vie lorsqu'une course au statut, synonyme de renoncement auloisir, s'engage entre des agents soucieux de préserver leur position relative (Frank,1997). De même, le choix de la politique publique dépend de l'attitude des agents vis-à-vis des inégalités : aversion pour le risque (Ravallion et Lokshin, 2000) ou pure préférencepour l'égalité en tant que bien public (Thurow, 1973), aversion aux inégalités statiques ouaux inégalités de perspective (Alesina et al., 2001).

Indépendamment de ces enjeux de politique économique, la prise en compte de l'influencedu revenu d'autrui dans l'utilité individuelle constitue une gageure pour la modélisationdes comportements économiques. H s'agit d'intégrer les interactions sociales horsmarché, c'est-à-dire qui ne passent pas par les prix : interdépendance des préférences viales phénomènes de norme, de stigmate et de mode, formation sociale des anticipationspar l'apprentissage observationnel (imitation, et comportements grégaires), échangessymboliques et non marchands (voir Cahuc et al., 2001). Si le champ de la théorie écono-mique s'est étendu à de tels phénomènes depuis les années 1970 – notamment grâce à lathéorie des jeux non coopératifs récemment développée – l'enjeu est aujourd'hui de compléter ces avancées théoriques par la validation empirique, ce qui soulève de délicatsproblèmes d'identification des relations de causalité suggérées. C'est pour surmonter cesdifficultés, que Manski (2000b) plaide pour que « ...à l'avenir, les données expérimentaleset subjectives [jouent] un rôle important dans la compréhension des interactions sociales ».

Au total, les justifications théoriques et pratiques du recours aux « données subjectives »se rejoignent : le savant comme le politique peuvent acquérir une information autrementindisponible en étudiant la perception des individus et non plus uniquement leursactions. De fait, le recours aux données subjectives, propre à l'école de Leyden dans lesannées 1970, connaît un développement important depuis la fin des années 1990 qui voitéclore un essaim de travaux consacrés à l'attitude des agents vis-à-vis des inégalités, despolitiques publiques, du chômage et des relations de travail.

L'ambition de cet article est de souligner la contribution des données subjectives à l’élu-cidation du mode de perception par les agents économiques du revenu d'autrui, endémêlant autant que possible les effets directs (comparaison, aversion pour les inégali-tés) des effets indirects de nature cognitive. Les travaux empiriques se fondent sur desdonnées issues d'enquêtes ou d'expériences de laboratoire ; nous ne retiendrons que lespremières, à la fois par souci de délimiter un ensemble de travaux cohérents, et dans lebut de retenir les leçons des « expériences naturelles », fournies par la réalité sociale.Nous analyserons les variables les plus susceptibles de mesurer les préférences et l'utilité,c'est-à-dire les variables de satisfaction, même si nous mentionnons au passage d'autresvariables telles que l'opinion relative à la redistribution.

Cette étude s'articule en deux temps principaux. Dans un premier temps, nous rendonscompte des problèmes liés à l'utilisation des jugements subjectifs de satisfaction ainsique des contributions de ce courant de la littérature à la compréhension des liens entresatisfaction, revenu propre, revenu d'autrui et inégalités. Dans un deuxième temps, nousprésentons une étude originale consacrée au poids relatif des effets de comparaison etd'information dans la perception du revenu du groupe de référence, à partir de donnéesde panel russes. Cette étude apporte un éclairage complémentaire à la compréhension dela nature des interactions sociales liées au revenu, en mettant l'accent sur le rôle respectifdu canal de l'information et de l'interdépendance des préférences.

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PARTIE I :

SATISFACTION ET REVENU D'AUTRUI :L'APPORT DES DONNÉES SUBJECTIVES

Dans un premier temps, nous discutons de la légitimité et de la méthodologie du recoursaux données reflétant des jugements subjectifs. Nous présentons ensuite l'abondante lit-térature, fondée sur les jugements subjectifs de satisfaction, qui interroge le lien entrebien-être et revenus, en commençant par le lien entre revenu propre et satisfaction, pourdiscuter ensuite de l'hypothèse du revenu relatif, et enfin du lien entre inégalité et bien-être. La problématique qui sous-tend constamment cette revue de la littérature porte surla nature des interactions sociales liées au revenu, et en particulier, sur l'importance ducanal de l'information dans l'interdépendance des préférences.

I.A PEUT-ON ÉTUDIER LES JUGEMENTS DE SATISFACTION ?

En principe, même si en économie l'utilité est la mesure de toute chose, la mesurer neprésente aucun intérêt particulier puisque l'axiomatique des choix rationnels impliqueque l'utilité des agents est pleinement révélée par les choix qu'ils ont opérés précisémentdans le but d'optimiser leur expérience hédonique. La mesure de l'utilité subjective nedevrait donc receler aucune information spécifique, l'utilité anticipée ex ante et ressentieex post étant identique à l'équilibre. De plus, la mesure de l'utilité est incompatible avecla représentation ordinale des préférences qui va de pair avec l'impossibilité des compa-raisons interpersonnelles d'utilité. Pourquoi donc passer outre ces deux a priori impor-tants ?

Pourquoi vouloir mesurer l'utilité ?

Le recours aux données subjectives se justifie essentiellement par les limites de ladémarche positive fondée sur la révélation des préférences. Il ne s'agit pas de remettre encause le caractère central de cette dernière au sein de la théorie économique, mais de lacompléter dans les cas où son champ d'application est limité, en particulier lorsque lesdéfaillances du marché (externalités), les interactions hors marché et les défauts de coor-dination des actions individuelles interdisent de retracer le lien entre préférences et résul-tats de l'action individuelle (voir par exemple Durlauf, 2002, à propos du capital social).De même, les préférences relatives à des phénomènes collectifs, résultant de l'interactionentre plusieurs agents ou de l'action publique, tels que l'inflation ou la répartition desrevenus, sont par définition difficile à révéler. Dans de tels cas, l'élucidation des décisionset les préférences des agents peut être facilitée par les données subjectives.

Un article récent de Gruber et Mullainathan (2002) est exemplaire de cette approche quiutilise le bien-être subjectif comme critère d'identification des comportements et d'appré-ciation des politiques publiques. Il montre que le montant des taxes sur les cigarettesaccroît le bien-être des fumeurs potentiels, ce qui valide le modèle d'incohérence tempo-relle associée au comportement de consommation de tabac, plutôt que le modèled'accoutumance rationnelle. Ce faisant la méthodologie habituelle est totalementinversée : ce ne sont plus les préférences, c'est-à-dire l'utilité ex ante, qui sont révéléespar les actions, mais bien le mode de décision, le comportement de consommation decigarettes, qui est révélé par l'utilité ex post.

La mesure directe de l'utilité est également utile à l'élaboration de la théorie des choix.Des expériences, dont les plus célèbres sont celles de Kahneman et Tversky (1979) ouKahneman, Wakker et Sarin (1997), ont ainsi montré que l'utilité éprouvée ne suivait pasexactement le modèle de l'utilité de décision, ou de l'utilité espérée, tel que se le repré-

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sentent les économistes (1). Enfin, l'intérêt de certains psychologues et économistes pourl'utilité éprouvée vient du fait qu'en définitive, l'utilité anticipée ex ante (decision utility),essentiellement cognitive, et l'utilité substantielle Benthamienne, éprouvée ex post (expe-rienced utility), et partiellement affective, ne se confondent pas totalement (Kahneman etal., 1997, Levy-Garboua et Montmarquette, 2001), la mesure de l'utilité ex post recelantdonc une information spécifique.

Si le recours aux données subjectives se justifie donc par l'absence d'autres moyens pouranalyser les choix individuels et éclairer les politiques publiques, les données disponiblessont-elles pour autant fiables et éclairantes ?

Nature et usage des données subjectives

Afin de mesurer les différentes notions de satisfaction et de bien-être, les psychologues etles économistes se fondent sur des enquêtes nationales, représentatives de la population,telles que le British Household Panel Survey (BHPS) pour la Grande-Bretagne, l’Internatio-nal Social Survey Program (ISSP) General Social Survey (GSS) américains, le GermanSocio-Economie Panel (GSOEP), les enquêtes européennes Eurobaromètre ou EuropeanCommunity Household Panel (ECHP) le Russian Longitudinal Monitoring Survey (RLMS)et l’International. Ces enquêtes contiennent des questions relatives au bien-être généraltelles que « globalement, en ce moment, à quel point vous estimez-vous satisfait de votreexistence ? », les individus devant choisir entre plusieurs réponses sur une échelle desatisfaction (GSOEP, RLMS, World Values Survey, Eurobarometer Surveys), ou encore «globalement, en ce moment, diriez-vous que vous êtes très heureux, plutôt heureux, ouplutôt malheureux ? » (GSS). Autre formulation possible, la présentation d'une échelle debien-être relatif, à la Cantril (1965) : « Voici une échelle qui représente l'échelle de la vie.Supposons que le sommet de l'échelle représente la vie la meilleure pour vous, et le basde l'échelle la vie la pire pour vous. Où vous situez-vous personnellement sur cette échel-le en ce moment ? ». Des questions plus précises sont parfois posées relativement à lasatisfaction retirée de tel ou tel aspect de l'existence, le bien-être (well-being) étant consi-déré comme un concept multi-dimensionnel, dont le bien-être économique (welfare),c'est-à-dire la satisfaction dérivée du revenu, est une composante, au même titre qued'autres domaines de satisfaction tels que la santé, le logement, le travail, le loisir, la viede famille, etc. (Ferrer-i-Carbonnell, 2002, Plug et van Praag, 1995, van Praag et al., 2001).

Les jugements de satisfaction reflètent-ils fidèlement le bien-être des agents ? Il sembleque les deux notions soient effectivement liées (2). Preuve en est la corrélation entre detelles réponses et l'indice de santé mentale contenu dans le General Health Questionnaireau sein de l'enquête anglaise BHPS, indice reconnu par le milieu de la recherche médicale,psychologique et sociale (3) (Clark, 2000a). Toutefois, le matériau statistique constitué parles données subjectives est souvent considéré avec réticence par les économistes.

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(1) Kahneman et al. (1997) montrent que lors d'épisodes étendus dans le temps, l'utilité rétrospectivementmémorisée par les sujets néglige la durée et ne reflète quasiment que les pics (les valeurs les plus intenses) etl'utilité instantanée de fin de période (Peak-End Theory). En conséquence, l'hypothèse de monotonicité dans letemps sous-jacente à la théorie de l'utilité espérée est invalidée. Un autre résultat très célèbre est le biais enfaveur du statu quo (statu quo bias) mis en évidence par Kahneman et Tversky (1979) qui montre que les agentstendent à surévaluer les pertes par rapport aux gains symétriques (loss aversion), d'où l'importance du cadre deperception des expériences (frame).(2) Oswald (1997) cite la liste des observations physiques que l'on sait corréler avec la satisfaction déclarée :durée du sourire authentique de « Duchenne », rythme cardiaque, pression artérielle en réponse au stress,mesures par électroencéphalogramme de l'activité pré-frontale (voir aussi van Praag, 2000). Ainsi, la neurologieet la psychiatrie suggéreraient-elles « un fondement matériel (biologique, neuronal) rendant les comparaisonsinterpersonnelles d'utilité possibles » (Ng, 1997). Diener et al. (1999) montrent également que les individus peu-vent reconnaître et prédire les déclarations de satisfaction de leurs proches.(3) Cet indice allant de 0 à 12 est construit à partir de 12 questions, chacune associée à une échelle à 4 degrés(capacité de concentration, troubles du sommeil, sentiment de stress, capacité à surmonter les difficultés, senti-ment de tristesse ou de dépression, perte de confiance en soi, dévalorisation de soi, sentiment de jouer un rôleimportant, capacité à prendre des décisions, capacité à savourer le quotidien, à faire face aux problèmes, senti-ment général de bonheur).

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Méthodologie du recours aux données de satisfaction subjective

Une suspicion multiforme s'attache aux mécanismes psychologiques sous-jacents auxjugements individuels : volonté de contrôle de l'image de soi, biais culturel à se déclarer(ou non) satisfait, interactions avec l'enquêteur, mémoire et lucidité éventuellementdéfaillantes de l'enquêté, effets liés à la formulation et à l'ordre de passage des questions,réponses données même à des questions absurdes, effets d'humeur et difficulté d'inter-préter les réponses (voir, par exemple, Bertrand et Mullainathan, 2001). Le problèmegénéral est l'interprétation de la satisfaction déclarée, variable par essence inobservableet sujette à de fortes variations individuelles.

L'interprétation des réponses subjectives impose de relier des jugements de satisfactionverbaux (discrets) à des niveaux d'une variable latente de satisfaction, puis de relier cesderniers à des caractéristiques observables, en comparant les réponses données par dif-férents individus, processus qui, à chaque étape, suppose de faire des hypothèses fortes,à savoir :

– le lien entre les variables observables (le revenu par exemple) et la satisfaction latenteest le même pour tous, c'est-à-dire que les paramètres de la fonction de satisfactionindividuelle (4) sont identiques pour tous (Tinbergen, 1991),

– l'association entre un label verbal de satisfaction et un niveau latent de satisfaction estla même pour tous.

Si l'une de ces hypothèses n'est pas vérifiée, « l'effet d'ancrage » (Winkelmann et Winkel-mann, 1998) qui en découle rend trompeuse toute interprétation des données subjectives.L'effet d'ancrage, qui est un problème d'hétérogénéité individuelle non observée, peutêtre particulièrement délicat et entraîner des régressions fallacieuses s'il est corrélé avecles variables explicatives, c'est-à-dire si des caractéristiques inobservables, spécifiquesaux individus et généralement invariantes dans le temps, influencent à la fois lesvariables explicatives et la variable endogène. Les psychologues appellent « personnalité »l'ensemble de ces variables idiosyncratiques. L'« extraversion » est ainsi fréquemmentcitée comme un trait associé à une personnalité plus heureuse, susceptible de ce fait d'in-fluencer des variables économiques telles que le revenu ou l'emploi.

Par ailleurs, l'estimation d'une fonction de bien-être à partir de données subjectives indi-viduelles impose de faire certains choix, notamment relativement à l'interprétation del'hétérogénéité individuelle et de la variable de satisfaction observée, choix qui se traduirapar le modèle statistique retenu (Frijters et Ferrer-i-Carbonnell, 2002a) : soit on supposeque les écarts entre les échelons de satisfaction sont identiques entre eux en termes desatisfaction latente, ce qui signifie que les jugements de satisfaction mesurent de manièrecardinale (5) la satisfaction, soit on considère que les différents échelons sont interprétésde la même manière par tous les individus, sans préjuger de la distance entre eux (c'est-à-dire de la distance entre les niveaux de satisfaction latente qu'ils traduisent). La premièrehypothèse suppose la comparabilité cardinale de la satisfaction individuelle, la seconde lacomparabilité ordinale. Seule la première hypothèse permet l'introduction d'effets fixesindividuels afin de contrôler l'hétérogénéité inobservée. Les psychologues admettentgénéralement la première hypothèse et les économistes la deuxième ; l'école de Leyden(Van Praag et al., 1991) adopte explicitement les deux hypothèses à la fois en affirmantque, face à une échelle de satisfaction donnée, afin de rendre leurs réponses aussi signifi-catives que possible, les agents découpent la quantité maximale de bien-être imaginée enautant de parts égales que d'intervalles proposés. De plus, les individus d'une mêmeculture opéreront les mêmes associations entre quantiles de bien-être et labels de satis-faction. Nous présentons en annexe de cette première partie les modèles statistiques uti-lisés en fonction des hypothèses retenues.

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(4) L'un des choix à opérer est celui de la forme fonctionnelle de la fonction d'utilité retenue. Faut-il par exempleretenir une fonction bornée, à la suite de l'école de Leyden, de manière à reproduire le processus mental suivipar les individus qui évaluent leur situation par rapport à un idéal indépassable ? Cette voie n'est pas exclusiveet le modèle d'analyse des variables discrètes adapté au traitement des échelles de satisfaction (logit ou probitordonné) ne l'impose pas.(5) Si l'hypothèse de la cardinalité, ou de l'intensité des préférences, initialement retenue par les utilitaristes(Bentham, 1789) a été écartée depuis les années 1930 (Robbins,1932), elle a aujourd'hui ses partisans. Ng (1997)plaide ainsi pour la cardinalité en arguant de sa conviction personnelle selon laquelle il lui est possible d'estimerexactement à quel point il préfère le panier de biens A au panier B.

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Les données subjectives à l'épreuve des faits

Malgré ces écueils méthodologiques, les données subjectives ont d'ores et déjà prouvéleur stabilité et leur utilité. D'une part, Diener et al. (1999) montrent que la composantestable de la satisfaction domine les effets d'humeur. D'autre part, la cohérence des résul-tats obtenus à partir de bases de données différentes, c'est-à-dire la stabilité des fonc-tions de bien-être estimées en fonction de variables socio-démographiques, peut êtreconsidérée comme un test de validité des données subjectives (Frey et Stutzer, 2002a, vanPraag et al., 2001, Di Telia et al., 2001a). Cette identification des « corrélats du bonheur »rejoint l'une des préoccupations initiales des psychologues (Wilson, 1967). Les relationsles plus stables sont, toutes choses égales par ailleurs, l'effet de l'âge (courbe en U avecun minimum autour de 40 ans, l'âge capturant généralement en même temps les effetsde cohorte), les effets positifs du mariage (par rapport au statut de divorcé ou de veuf), dela santé, de la croyance religieuse (Ellison, 1991, Lelkes, 2002), du fait d'être un homme,du revenu, et l'effet négatif du chômage indépendamment de la partie de revenu associée,(Clark et Oswald, 1994, Oswald, 1997, Winkelmann et Winkelmann, 1998, Frey et Stutzer,2000) (6). L'éducation a généralement un effet légèrement positif sur le bien-être, maiscette relation pourrait être médiatisée par des effets de revenu et de statut. Ainsi, les rela-tions entre les caractéristiques observables des individus et leur bien-être semblentstables et similaires d'un pays à l'autre. Bien entendu, pour la plupart de ces variables, ladirection de la causalité reste incertaine ; des biais de sélection et de variables omisessont souvent à redouter : ainsi, « les gens mariés sont plus heureux », mais la directionde la causalité n'est pas univoque. De plus, seuls environ 8 % à 20 % de la variation dubien-être individuel peuvent être expliqués par la variation des caractéristiques obser-vables (il s'agit de l'ordre de grandeur du R2 de ces régressions).

Enfin, les données subjectives ont un pouvoir de prédiction des actions (Manski, 2000a et2000b). Bertrand et Mullainathan (2001) montrent par exemple que les valeurs et lescroyances déclarées par les individus ont un pouvoir explicatif significatif du niveau dessalaires sur un échantillon d'étudiants adultes américains. Les données subjectives prédi-sent également correctement les comportements de consommation, d'épargne, d'inves-tissement ou de vote (Frey et Stutzer, 2002b).

De fait, la réticence des économistes vis-à-vis des données subjectives semble progressi-vement se dissiper. Sur la base de ces données subjectives issues des enquêtes auprèsdes ménages, un courant important de la littérature économique s'était développé dansles années 1970 au sein de l'Ecole de Leyden ; il connaît un renouveau important depuisla fin des années 1990.

L'école de Leyden

L'École de Leyden a quasiment ouvert le programme de recherche empirique sur le bien-être subjectif et son lien avec le revenu, dans les années 1970. Ses travaux adoptent uneméthodologie spécifique fondée sur la question suivante (Income Evaluation Question) :« En tenant compte de votre situation familiale et professionnelle, diriez-vous que votrerevenu net (après transferts et taxes) annuel (ou mensuel ou hebdomadaire) serait :

– excellent s'il était supérieur à ……...$– bon s'il était compris entre ...et... $– amplement suffisant s'il était compris entre ...et... $– suffisant s'il était compris entre ...et... $– à peine suffisant s'il était compris entre ...et... $– insuffisant s'il était compris entre ...et... $– très insuffisant s'il était compris entre ...et... $– mauvais s'il était compris entre ...et... $– très mauvais s'il était inférieur à ……...$ »

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(6) Blanchflower et Oswald (2000) fournissent quelques illustrations éclairantes sur la base des données améri-caines (GSS) et anglaises (Eurobarometer) sur la période allant de la fin des années 1970 à la fin des années1990 : en dollars constants de 1990, il faudrait 60 000 $ par an pour compenser les hommes du fait d'être auchômage, 30 000 $ par an pour les compenser du fait d'être Noir, et 100 000 $ par an pour compenser le divorceou le veuvage, par rapport au fait d'être marié.

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L'ensemble des 9 couples (seuil de revenu, appréciation) constitués par les réponses per-met d'estimer, pour chaque individu, une fonction de satisfaction dépendant du revenu(Welfare Function of Income). Les auteurs supposent que la fonction d'utilité du revenu aune forme log-normale : Wi = N(log yi, µi, σi), où yi représente le revenu de l'individu i. Cechoix repose sur l'hypothèse explicite selon laquelle un individu apprécie son revenu enfonction de sa place dans la répartition des revenus telle qu'il la perçoit, cette dernièresuivant elle-même une distribution log-normale (van Praag, 1991) (7). La notion d'utilitéretenue par l'école de Leyden est donc relative, van Herwaarden et Kapteyn (1981) véri-fient que cette forme fonctionnelle ajuste aussi bien les données que d'autres formes dela relation entre revenu et bien-être, au sens où elle minimise la variance des résidus (8).

Ayant obtenu autant de valeurs des paramètres (µi et σi) que d'individus i, on peut ensuiteexpliquer chacun d'entre eux par une régression sur les variables socio-démographiquesde la population. Les fonctions individuelles de bien-être obtenues par la méthode deLeyden sont souvent utilisées pour estimer la perception de la pauvreté, de l'inégalité, ouencore les échelles d'équivalences au sein d'une population (Kapteyn et van Herwaarden,1980, van Praag, 1991).

Le nouvel essor de l'analyse des données subjectives

Depuis les travaux pionniers de l'Ecole de Leyden, les données « subjectives » ont étémises à contribution non seulement pour analyser les fondements du bien-être indivi-duel, mais aussi pour éclairer des choix de politique publique et macroéconomique. Cettenouvelle vague d'articles se réfère explicitement ou implicitement à la méthodologie des« expériences naturelles » consistant à analyser l'impact en terme de bien-être des évolu-tions dans le temps ou dans l'espace de variables exogènes, ces variations étant suppo-sées toucher les individus de façon quasi-aléatoire.

Il s'agit en quelque sorte d'estimer une fonction de bien-être social à partir de donnéesindividuelles. Les données subjectives sont ainsi mobilisées afin de calculer le coût desfluctuations macroéconomiques en terme de bien-être (Di Tella et al., 2001a), les préfé-rences des différents types d'agents en matière d'arbitrage inflation-chômage (Di Tella etal., 2001b), la générosité optimale du système de protection sociale (Di Tella et al., 2001a,2001b), l'effet non pécunier du chômage sur le bien-être (Clark et Oswald, 1994, Winkel-mann et Winkelmann, 1998), l'effet des institutions démocratiques sur le bien-être (Frey etStutzer, 2000), l'effet des inégalités de revenu sur le bien-être (Alesina, et al., 2001b, Clarket Oswald, 1996, Senik, 2002), l'effet de la réunification allemande sur le bien-être (Frijterset al., 2001), le lien entre satisfaction et mobilité du travail (Akerlof et al., 1988), ou encorela composition d'un indice de qualité de la vie (Frey et Stutzer, 2002b). La mesure de lapauvreté, notion très controversée (Hagenaars et de Vos, 1987), constitue également unchamp d'application privilégié des données subjectives (Ravallion et Lokshin, 2001, Fer-rer-i-Carbonnell et van Praag, 2001).

Les sections suivantes illustrent les enseignements potentiels des données subjectives,dans le cas particulier du lien entre revenu et bien-être. Le revenu d'autrui, groupe deréférence (section I.C) ou répartition nationale des revenus (section I.D), ne dépendantpas de l'action d'un individu, il est difficile de connaître la manière dont ce dernier le per-çoit. Le vote sur la redistribution des revenus pourrait permettre d'accéder à ces préfé-rences, mais il est rare que le mode de scrutin autorise la révélation d'une informationaussi précise. Les données subjectives trouvent donc là un domaine d'application utile.En revanche, le lien entre revenu individuel et bien-être (section I.B) illustre le risqued'une utilisation parfois trompeuse des données subjectives.

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(7) Notons que le paramètre µi représente la valeur médiane de la distribution de revenus imaginée par l'indi-vidu i. Le paramètre σ représente la variance (perçue) du logarithme du revenu dans la population. On peut l'in-terpréter (van Herwaarden et al., 1977) comme la pente de la fonction de satisfaction au voisinage de la valeurmédiane eµ. Plus σ est grand, plus l'intervalle des revenus que l'individu perçoit comme étant différents de 0 ou1 est étendu ; σ représente donc la sensibilité de la satisfaction par rapport au revenu.(8) La particularité de la fonction log-normale est de ne pas être concave mais convexe pour les très faibles reve-nus ; une propriété contraire à l'hypothèse d'utilité marginale décroissante, mais considérée comme réaliste parles auteurs.

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I.B REVENU ET BIEN-ÊTRE

Si le lien entre revenu et utilité est central, bien qu'indirect, au sein de la théorie écono-mique, la vérification empirique de ce lien n'a pas toujours donné lieu à une confirmationunivoque. En particulier, une série d'études inaugurée par Easterlin (1974) suggère que lebien-être moyen d'une population ne semble pas augmenter avec son niveau de richesse.Or, si revenu et bien-être ne sont pas synonymes, au niveau individuel et national, lesobjectifs de la politique économique, ainsi que les agrégats de la comptabilité nationaledoivent être rectifiés (voir à ce propos Frey et Stutzer, 2002a ou Easterlin, 2000). En parti-culier, si l'augmentation du revenu individuel n'est recherchée que pour des motifs derivalité sociale et non pas en tant que telle, alors la croissance, loin de révéler les préfé-rences des agents est au contraire le résultat d'un arbitrage regrettable en faveur de laconsommation et au détriment du loisir (Frank, 1997). Les données subjectives condui-sent-elles effectivement à relativiser la préférence pour la consommation que semblentrévéler les comportements des agents des pays développés ? Les travaux évoqués dansles paragraphes suivants révèlent en réalité un lien fort et positif entre bien-être et revenu,mais dont la mesure dépend de la méthode utilisée et du type de données employées(voir aussi Frey et Stutzer, 2002b). Cette section souligne les dangers liés à un usage« naïf » des données subjectives.

La croissance n'élève pas la satisfaction moyenne des pays développés

Confortant son résultat de 1974, Easterlin (1995) montre à l'aide des données du GeneralSocial Survey que malgré une croissance du PNB par tête américain d'environ un tiers, lapart des individus se déclarant « très heureux » n'augmente pas entre 1972 et 1993. Demême, l'indice moyen de satisfaction n'a pas augmenté malgré les épisodes de croissanceforte aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, de 1970 à 1999 (Blanchflower et Oswald,2003), au Japon entre 1958 et 1987 (Veenhoven, 1993), en France, au Japon et aux USA,de 1946 à 1990 (Diener et Suh, 1997).

Cet ensemble de résultats, pour spectaculaire qu'il soit, doit être interprété en fonction dela méthode utilisée. Il repose en effet sur des mesures de satisfaction situées sur uneéchelle bornée. Autrement dit, les jugements de satisfaction recueillis sont relatifs à uncontexte qui définit les bornes de l'ensemble des possibles. Au fur et à mesure que cecontexte se modifie, les normes et les aspirations des agents évoluent (9) (Diener etLucas, 2000), de sorte que les mesures agrégées de satisfaction restent stables, sauf àl'occasion d'épisodes de crises aiguës et rapides au cours desquelles les agents n'ont pasle temps de modifier leur appréhension du contexte. La théorie de l'adaptation (10) sug-gère en effet que les aspirations évoluent en fonction des informations acquises et dessituations atteintes par les individus (11). Ainsi, l'une des contributions les plus remar-quables de l'Ecole de Leyden est la mise en évidence d'un « glissement des préférences »(preference drift), une certaine « évaporation » ex post des effets d'une augmentation durevenu, lié à l'élévation des exigences des agents (12).

À l'appui de cette hypothèse, Oswald (1997) refait les calculs d'Easterlin sur la base desmêmes données, mais en ne retenant que la série homogène qui s'étend de 1946 à 1957.Il observe alors une croissance de la proportion d'individus se déclarant très heureux (de39 % à 53 %) et une réduction du poids des individus se déclarant malheureux ; la crois-

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(9) Easterlin (1995) lui-même montre que les biens que les Américains associent à une vie désirable sont de plusen plus diversifiés et nombreux à mesure que le pays se développe. Les vêtements et une résidence secondairesont beaucoup plus souvent cités dans l'enquête à la Cantril de 1988 que dans celle de 1975 ; le contexte auregard duquel les Américains évaluent la qualité de leur vie s'est visiblement modifié entre ces deux dates.(10) Voir Helson, 1947, Duesenberry, 1949, Carroll et Weil, 1994, Headey and Wearing, 1989, Krause et Sternberg,1997, Parducci, 1995, Frederick et Loewenstein, 1999.(11) Easterlin (2001) relève d'ailleurs une observation remarquable sur la base de plusieurs surveys internatio-naux : les individus, en moyenne, quelles que soient leur classe d'âge et leur cohorte, considèrent qu'ils sontplus heureux que dans le passé (5 ans auparavant) et qu'ils seront plus heureux à l'avenir ; or, en moyenne, surla période considérée, l'indice de bien-être de ces mêmes individus demeure à peu près constant.(12) L'estimation de µ, avec Wi = N(log(yi) – µi, σi), sur des échantillons belges et néerlandais (van Herwaarden etal., 1977) donne le résultat suivant : µ = 3,02 (0,11) + 0,13 (0,01) ln (taille du ménage) + 0,64 (0,01) In (revenu cou-rant de l'individu), R2 = 0,634, écarts-types entre parenthèses. Le preference drift est donc de 0,64. Voir aussiGroot et Maassen van den Brink (1999) qui obtiennent le même résultat avec un probit ordonné.

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sance moyenne de la satisfaction aux Etats-Unis est positive, même si elle est faible. Cesrésultats peuvent s'expliquer par le fait que l'auteur analyse une période plus courte aucours de laquelle les individus n'ont pas totalement révisé leur définition du maximumpossible. La constance de long terme de l'indice moyen de satisfaction ne signifie doncpas que la satisfaction absolue des individus n'a pas augmenté. Elle reflète uniquement lefait que les jugements et les mesures de satisfaction sont relatifs au contexte.

Au-delà de l'effet d'adaptation au contexte, le recours à des indices agrégés de satisfac-tion, moyennes nationales ou poids des individus donnant telle ou telle réponse, est déli-cat. La composition de la population peut se modifier au cours de la période étudiée, ainsique les conditions de vie ; plusieurs explications sont alors possibles pour expliquer lelien observé entre satisfaction agrégée et croissance. Pour sortir de cette équivalenceobservationnelle, il est utile de recourir aux données microéconomiques. Les indices indi-viduels de satisfaction étudiés en coupes transversales sont en effet plus faciles à inter-préter puisqu'ils sont évalués au sein du même contexte. Mieux encore, les données depanel permettent de prendre en compte la révision dynamique des anticipations, c'est-à-dire de la représentation du contexte économique. Les résultats obtenus sont alors tout àfait différents, comme le montre le paragraphe suivant.

L'analyse microéconométrique révèle un lien fort entre revenu et satisfaction

Contrairement à l'observation initiale d'Easterlin (1974) sur données agrégées, les étudesmicroéconomiques révèlent systématiquement une influence positive et significative durevenu sur le bien-être individuel déclaré (Blanchflower et Oswald, 2003). En coupestransversales, Easterlin (2001) lui même observe, sur la base du GSS américain de 1994,une relation croissante entre le revenu et le bien-être. Les données longitudinales, quantà elles, révèlent systématiquement l'effet positif du revenu individuel ou du ménage surla satisfaction économique (voir Ravallion et Lokshin (2001) sur la base des vagues 1994et 1996 de l'enquête RLMS, Senik (2002) à l'aide des vagues 1994 à 2000 de la mêmeenquête, Frijters et al. (2001) sur 9 vagues du GSOEP allemand, Di Tella et al. (2001a) surdonnées européennes, ainsi que Frey et Stutzer (2000) sur données suisses).

En terme d'importance relative, le revenu constitue toujours l'une des variables les plussignificatives au sein des régressions multivariées. Ainsi la satisfaction financière obtient-elle le plus fort coefficient lors de la décomposition du bien-être selon différentsdomaines de satisfaction (van Praag et al., 2001) (13) : en niveau (between), les troisdomaines les plus importants sont, dans l'ordre, la situation financière, la santé, et le tra-vail ; vient ensuite le loisir, puis, dans une moindre mesure le logement et l'environne-ment. En variation (within), la santé vient en premier lieu, suivie de près par la situationfinancière et le travail. Le revenu est donc l'un des facteurs observables les plus détermi-nants dans la genèse du bien-être.

Conclusion : satisfaction mesurée et satiété

L'abondante littérature consacrée au lien entre revenu et bien-être suggère les conclu-sions suivantes : au sein d'un pays donné, les riches sont plus heureux que les pauvres ;les habitants des pays riches sont plus heureux que ceux des pays pauvres (voir Diener etal., 1995, Haring et al., 1984, Veenhoven, 1994) ; mais en longue période, la croissance nefait augmenter la satisfaction moyenne déclarée que faiblement du fait de l'adaptationdes anticipations. On ne peut donc pas conclure, pour reprendre la formulation initialed'Easterlin, que « l'augmentation du revenu de tous n'augmente pas la satisfaction detous ». Il s'agit d'une apparence trompeuse liée à l'outil utilisé, l'échelle relative de satis-faction étant interprétée comme une mesure absolue. Autrement dit, le bien-être aug-mente avec la richesse d'un pays et de ses habitants, même si les aspirations de ces der-niers évoluent, de sorte qu'ils ne se considèrent pas comme « satisfaits » au sens où ilsauraient atteint le niveau de richesse le plus élevé possible. Un test de cette interprétation

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(13) Les auteurs estiment d'abord des fonctions de satisfaction pour chaque domaine à l'aide d'un modèle deprobit ordonné, puis régressent la satisfaction générale sur la variable latente continue estimée pour chaquedomaine.

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consiste à analyser l'effet, non plus d'une hausse, mais d'une baisse de revenu. Frey etStutzer (2000) montrent qu'une perte de revenu a un effet très important sur le bien-être.De même, si un accident historique ramenait les habitants d'un pays à un niveau derevenu par tête bien inférieur à celui qu'ils connaissent, la perte de bien-être serait-ellesans doute très grande.

Si le résultat paradoxal d'Easterlin semble donc tenir essentiellement à la méthode uti-lisée (recours à des données agrégées), il a exercé une fonction heuristique en mettant enévidence l'importance des aspirations et du contexte dans les jugements de satisfaction.Il a également ouvert la question des éventuels effets de comparaison par lesquels l'au-teur expliquait la faible influence du revenu sur le bien-être, et qui font l'objet de la sec-tion suivante.

I.C REVENU RELATIF ET BIEN-ÊTRE

L'une des explications du paradoxe d'Easterlin est l'effet de comparaison. Si un enrichis-sement général n'améliore pas le bien-être de tous, c'est que seul compte pour chacun lacomparaison de son revenu par rapport à celui d'autrui. Cette hypothèse du revenu relatifa fait l'objet de nombreux travaux théoriques et empiriques depuis la formulation initialede Veblen (1899) et Duesenberry (1949). Elle constitue un cas particulier de la théorie psy-chologique de l'écart (Michalos, 1985) qui suppose que les jugements de satisfaction d'unindividu dépendent de l'écart entre sa condition et ses normes de comparaison (autrespersonnes, situation passée, aspirations, besoins et objectifs) (14).

Une série d'études fondées sur des données subjectives cherche à vérifier la conjecturedu revenu relatif au sens de « revenu de comparaison ». Ainsi, suivant la méthodologiede l'école de Leyden, van de Stadt et al. (1985), utilisant des données de panel hollan-daises (vagues de 1980 et 1981), mettent en évidence l'influence du revenu du groupe deréférence (défini par le niveau d'éducation, le statut d'emploi et la tranche d'âge) sur leparamètre µi qui est une norme de comparaison (voir section I.A). Les tests conduisentdonc à retenir l'hypothèse selon laquelle l'utilité est partiellement relative. Cependant, ilsne permettent pas d'affirmer que les groupes de référence définis correspondent effecti-vement à la manière dont l'individu perçoit la partition de la société.

À partir des données du GSS de 1994, McBride (2001) étudie l'effet sur la satisfaction d'unagent du revenu de sa cohorte (personnes nées dans un intervalle de 5 ans avant ouaprès lui) ainsi que de la comparaison de son niveau de vie par rapport à celui de sesparents à son âge (5 réponses proposées allant de bien pire à bien meilleur). Les résultatsd'un probit ordonné montrent que, toutes choses égales par ailleurs, et en contrôlantpour le revenu propre de l'individu, la satisfaction de ce dernier décroît avec le revenu desa cohorte et le niveau de vie de ses parents au même âge. L'effet du revenu relatif estd'autant plus fort que l'individu appartient à des classes de revenu élevé, tandis quel'effet du revenu propre est plus élevé pour les faibles revenus.

Clark et Oswald (1996) analysent la satisfaction dans le travail (« dans l'ensemble, à quelpoint êtes-vous satisfait de votre travail ? », réponse selon 7 modalités) des 5 195 salariésde l'enquête BHPS de 1991. Ils définissent le salaire de comparaison d'un salarié commele revenu de ses pairs, c'est-à-dire les employés occupant le même type de poste, demême âge et de même niveau de qualification. Les auteurs estiment ensuite une équationde satisfaction à l'aide d'un probit ordonné et constatent que le salaire individuel et lesalaire de comparaison attirent un signe opposé et sont égaux au signe près, ce quiimplique que l'utilité retirée du salaire est entièrement relative. Des régressions similairessur la « satisfaction relative au salaire », conduisent au même résultat.

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(14) De nombreux travaux, psychologiques et économiques ont nuancé cette théorie. Le choix du groupe deréférence et la direction des effets de la comparaison sont variables selon les individus et font l'objet de straté-gies de sélection (Diener et Fujita, 1997, Falk et Knell, 2000). Les théories telliques soulignent que l'assignationet la poursuite des objectifs peuvent constituer des facteurs de bien-être en tant que tels (Michalos, 1985, Csiks-zentmihalyi, 1990, Diener et Lucas, 2000). Enfin, la relation de causalité n'est pas univoque et il se pourrait que lebien-être affecte la définition des objectifs aussi bien que l'inverse. Certains (Diener et Fujita, 1995) insistentaussi sur l'importance de la congruence entre le niveau et la nature des aspirations d'un individu et ses res-sources.

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Ferrer-i-Carbonnell (2002) vérifie l'hypothèse de l'utilité relative sur la base du panel alle-mand GSOEP couvrant les années 1992 à 1997. Elle met en évidence, à l'aide d'un modèlede probit ordonné avec effet aléatoire, un effet positif important du revenu propre,accompagné d'un effet négatif du revenu du groupe de référence (défini par le grouped'âge, d'éducation et la région : Est ou Ouest) sur la satisfaction individuelle (sur uneéchelle à 10 degrés). L'effet est asymétrique pour les allemands de l'Ouest : le revenu deréférence ne joue significativement que pour les individus dont le revenu est inférieur àcelui du groupe de référence, conformément à l'intuition de Duesenberry (1949) selonlequel seules les comparaisons vers le haut affectent les individus.

Cependant, Ravallion et Lokshin (2001) obtiennent une conclusion différente. Régressantla satisfaction économique (classement subjectif sur une échelle à 9 niveaux en termes derang économique), ils interprètent le coefficient du revenu de l'année de base commereflétant l'effet du revenu relatif, c'est-à-dire le changement du revenu de référence avecle temps. Les régressions ne valident pas l'hypothèse du revenu relatif : les variablesd'année de base ne sont pas significatives.

Senik (2002) estime le revenu de référence suivant la même méthodologie que Clark etOswald (1996), à partir des caractéristiques productives des agents (expérience, diplôme,profession, branche, région). Elle observe, sur la base des données de panel RLMS(vagues 1994 à 2000), que le revenu de référence exerce un impact positif sur la satisfac-tion individuelle, et ce quel que soit le modèle statistique retenu (logit ordonné, modèledynamique à effet fixe, logit conditionnel à effet fixe). L'originalité de ce résultat est cer-tainement lié au contexte d'incertitude de la transition russe qui confère une valeur parti-culièrement importante au contenu informationnel véhiculé par le revenu du groupe deréférence. L'influence positive du revenu de référence est en effet d'autant plus marquéeque les individus sont en situation d'incertitude et d'inquiétude vis-à-vis de leurs perspec-tives matérielles. Elle concerne tout autant les individus en ascension personnelle queceux dont le revenu connaît un déclin. Elle concerne particulièrement les individus plusjeunes (moins de 40 ans), dont l'avenir professionnel est plus long.

Ces derniers résultats évoquent l'« effet tunnel » d'Hirschman (1973) : un automobilisteimmobilisé dans un embouteillage au milieu d'un tunnel comprenant deux files de voi-tures roulant dans la même direction, pourrait se réjouir de voir soudain l'autre file pro-gresser vers la sortie s'il en concevait l'espoir de faire bientôt de même. En matière derevenus, « l'effet tunnel (15) » accroîtrait le bien être de ceux qui s'enrichissent comme deceux qui attendent leur tour. Dans le contexte russe de mutation économique et de forteincertitude, le revenu d'autrui semble ainsi être appréhendé par les agents de manièreessentiellement cognitive, en tant qu'information et non en tant que norme. Les compa-raisons de revenu ont en effet peu d'intérêt dans la mesure où les situations relatives sontappelées à se modifier. À l'inverse, toute information permettant de fonder les anticipa-tions des agents revêt une valeur élevée. L'effet cognitif du revenu d'autrui domine doncl'effet de comparaison, celui-ci jouant de manière plus marquée dans d'autres contextesplus stables. Ce résultat est développé dans la deuxième partie de cet article.

Ainsi, l'hypothèse du revenu relatif se trouve-t-elle souvent vérifiée par les travaux empi-riques, même si l'interprétation du rôle joué par le groupe de référence n'est pas uni-voque. L'hypothèse du revenu relatif suggère que le revenu d'autrui affecte directementla satisfaction individuelle, tandis que l'interprétation cognitive du revenu de référenceimplique que la relation entre revenu d'autrui et satisfaction est indirecte et de natureinformationnelle. Ces deux types de résultats soulignent l'importance des interactionssociales définissant le lien entre revenu et satisfaction individuelle, phénomènes decomparaison ou d'apprentissage informationnel, que l'on ne saurait déduire de la simpleobservation des comportements individuels. Les données subjectives fournissent alorsune information utile là où la méthode de l'utilité révélée trouverait une limite.

Au-delà du revenu d'un groupe de référence, la question se pose de savoir comment larépartition des revenus dans la population toute entière affecte le bien-être des agents. Lasection suivante est consacrée à ce lien entre inégalité des revenus et bien-être.

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(15) La métaphore du tunnel (manque de visibilité) est importante au sens où l'information véhiculée par lerevenu d'autrui n'a de valeur que dans une situation d'incertitude relative à l'avenir.

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I.D INÉGALITÉ ET BIEN-ÊTRE

Le lien empirique entre inégalité et bien-être est encore mal connu, bien que l'on supposesouvent a priori que l'inégalité des revenus réduit le bien-être, ce qui justifie les politiquesde redistribution. La question est ici de savoir si l'inégalité, c'est-à-dire la répartition desrevenus, entre directement ou non dans la fonction d'utilité des agents, ce qui constitue-rait une forme d'altruisme. Si certaines études empiriques confirment la thèse d'une pureaversion aux inégalités, c'est-à-dire d'un lien direct entre inégalité et bien-être, d'autresmettent en évidence le rôle central des perspectives de mobilité dans l'attitude vis-à-visdes inégalités. Le lien est alors indirect et reflète non pas l'altruisme des agents maisl'évaluation de leurs propres perspectives. Cependant, d'autres analyses mettent en évi-dence le lien entre la nature de la mobilité et la demande de redistribution. C'est alorsl'inégalité dynamique, l'inégalité des chances, qui fait l'objet des préférences et non plusl'inégalité statique.

Une pure aversion aux inégalités de revenu

L'inégalité des revenus réduit-elle le bien-être des agents en tant que telle (16) ? L'hypo-thèse d'une aversion pour l'inégalité en tant que préférence signifie que la distributiondes revenus figure directement dans la fonction d'utilité des agents au même titre d'un« goût esthétique ». Dans ce cas, le caractère égalitaire de la répartition des revenusconstitue un bien public, non exclusif, non rival, pour lequel l'intervention publique (fis-cale) est légitime (Thurow, 1971).

L'une des premières tentatives de vérification empirique d'une hypothétique « préférencepour l'égalité » a été réalisée par Morawetz et al. (1977). Les auteurs comparent la satis-faction des membres de deux petites communautés (kibboutzim) composées de 40 à 50ménages chacune, situées à quelques kilomètres l'une de l'autre en Israël, semblables entous points à l'exception du degré d'inégalité. Une régression économétrique de la satis-faction déclarée (évaluation de la qualité de la vie sur une échelle de Cantril de 1 à 10, etévaluation du bonheur personnel sur une échelle de 1 à 4), fait apparaître l'influence posi-tive et significative du fait d'appartenir à la communauté la plus égalitaire (variable indi-catrice). Notons cependant que l'appartenance à de telles communautés, égalitaires parprincipe, constitue certainement un biais de sélection non sans influence sur le résultat.

Suivant une méthode comparable, Alesina et al. (2001b) aboutissent à un résultat plusnuancé. Utilisant les déclarations de satisfaction des enquêtes Eurobarometer (1975-1991)et GSS (1972-1994), ils montrent à l'aide d'un modèle de logit ordonné que les mesuresd'inégalité (indices de Gini) calculé au niveau des Etats (USA) ou des pays (Europe)n'affectent pas le bien-être des Américains, qu'ils soient de gauche ou de droite, pluspauvres ou plus riches que la médiane. En revanche, la satisfaction des Européens déclineavec l'inégalité, en particulier celle des pauvres et de ceux qui se décrivent comme étant« à gauche ». Ces derniers auraient donc une pure préférence pour l'égalité, indépendam-ment de leur situation personnelle.

Ce résultat pourrait indiquer une différence culturelle, l'aversion pour l'inégalité entrantdans les préférences des Européens mais non des Américains. Dans cet ordre d'idées,Suhrcke (2001), sur la base du module Inégalité Sociale de l'enquête ISSP de 1999,montre que 63 % des individus des pays anciennement socialistes se déclarent « tout àfait d'accord » avec l'idée que les différences de revenu sont trop fortes dans leur pays,contre 35,4 % dans les pays de l'OCDE. Cette spécificité des pays socialistes (17), que l'au-

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(16) Rappelons que la plupart des individus n'ont qu'une connaissance partielle de la répartition des revenusdans leur pays, voire dans leur région. Falk et Knell (2000) montrent ainsi, à l'aide des données du ISSP de 1992portant sur 18 pays, que le classement subjectif des individus sur une échelle de revenus à 10 échelons estbiaisé par rapport à leur situation réelle : la plupart des gens pensent appartenir à la tranche moyenne desrevenus. Les individus du premier décile se perçoivent comme étant à 4,5 et les individus du décile le plus élevéà 6,5. Le classement subjectif des agents constitue une courbe pratiquement horizontale par rapport à leur clas-sement objectif. Cette observation suggère que les agents ont une perception déformée de l'échelle des revenus ;ils ne connaissent qu'une petite partie de la distribution, celle dans laquelle ils se situent, accordent beaucoupde poids aux individus de leur rang, et peu aux extrêmes éloignés de leur position.(17) Contrôlant pour une série de caractéristiques individuelles, ainsi que l'indice de Gini de chaque pays, lesvariables indicatrices correspondant aux pays socialistes sont significatives.

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teur attribue au poids de l'histoire, est confirmée par une estimation à l'aide d'un modèlede logit ordonné, même si l'effet est réduit de moitié par l'inclusion des indices de Gini.Corneo et Gruner (2000, 2001) mettent également en évidence des différences nationalesen matière de demande de redistribution.

Le rôle de la mobilité perçue : retour à des préférences égoïstes

La préférence pour l'égalité varie-t-elle donc selon les cultures nationales ? Alesina et al.(2001) interprètent leur résultat différemment en l'attribuant à l'effet de la mobilitéperçue : « ... in the U.S., the poor see inequality as a ladder that, although steep, may beclimbed, while in Europe the poor see that ladder as more difficult to ascend ». Ce seraitdonc à l'aune de ses perspectives personnelles qu'un individu évaluerait l'inégalité desrevenus et des chances, l'inégalité dynamique étant perçue (à tort ou à raison) commeforte en Europe mais faible aux Etats-Unis. Si l'inégalité statique affecte peu les Améri-cains c'est qu'elle recèle peu de pouvoir de prédiction des revenus futurs, puisque larépartition instantanée des revenus ne préjuge pas de la position de chacun dans l'échelledes revenus futurs. Cette interprétation rejoint l'hypothèse de « l'effet tunnel » d'Hirsch-man (1973) : au cours d'un processus de transformation, la société peut tolérer et mêmeapprécier des inégalités fortes dans l'espoir de voir bientôt toutes les catégories de revenuprogresser également. Il est clair que l'effet tunnel dépend de manière primordiale de laperception de la mobilité sociale. En effet, pour que l'observation du sort d'autrui contienneune valeur informationnelle, il est nécessaire que la circulation des personnes entre lespositions sociales soit aussi fluide que possible. Ainsi les Américains toléreraient, oumême apprécieraient l'inégalité en tant que mesure de l'ensemble des possibilitésoffertes à chacun.

À partir des données russes RLMS (1994-2000, 11 000 individus), Senik (2002) introduitdes indices d'inégalité dans l'estimation d'une fonction de bien-être individuel et obtientle même résultat que Alesina et al. (2001). Malgré l'accroissement rapide et considérabledes inégalités en Russie (Brainard, 1998), les indices d'inégalité, de Gini ou de Stark (18),qu'ils soient calculés au niveau du pays, des régions ou des unités de recensement (envi-ron 42 ménages), n'influencent pas significativement le bien-être, quels que soient la spé-cification et les contrôles retenus. Pourtant, les agents semblent avoir une perceptionjuste de leur place dans la répartition du revenu. Lorsqu'on leur demande de se situer surune échelle de 1 à 9 en terme de rang économique, leur réponse est significativementcorrélée avec leur position effective dans l'échelle des revenus. La conjecture d'Hirsch-man selon laquelle le revenu d'autrui affecte l'utilité individuelle à travers l'informationqu'il recèle peut ici encore être mobilisée afin d'expliquer ce résultat. La valeur informa-tionnelle de la répartition instantanée des revenus est faible lorsque cette dernièresemble extrêmement changeante, ce qui est le cas en Russie. L'inégalité statique estdominée par la perspective de mobilité, lorsque celle-ci est perçue comme importante etaccessible.

Le lien entre inégalité et satisfaction supposé par Hirshman et Alesina dépend donc demanière centrale des anticipations concernant les positions futures que l'individu est sus-ceptible d'occuper. Le rôle crucial de la mobilité perçue reflète uniquement les chances demobilité et de réussite que l'individu évalue lors d'un calcul purement égoïste. Cettevision ne fait intervenir aucune interdépendance des préférences, aucune aversion purevis-à-vis des inégalités, du moins des inégalités de position. Dans la même ligne de pen-sée, d'autres études étudient non pas directement la satisfaction, mais l'opinion relative àl'inégalité et à la redistribution.

Ravallion et Lokshin (2000) montrent ainsi, qu'en Russie, en 1996 (vague 7 de l'enquêteRLMS, 6 000 individus), 63 % des individus appartenant au décile de consommation leplus élevé étaient en faveur de la restriction du revenu des riches : il s'agit d'individus quis'attendent à voir leur situation matérielle se dégrader dans l'année à venir (84,5 % despersonnes de cette catégorie sont favorables à la redistribution). L'estimation d'un modèlede probit avec effet aléatoire révèle que le niveau de vie réduit la demande de redistribu-tion uniquement chez les individus qui anticipent une amélioration de leur niveau de vie.

17

(18) Les indices de Stark mesurent l'écart moyen entre le revenu d'un individu et le revenu des ménages plusriches que lui (resp. plus pauvres).

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Les variables reflétant une inquiétude vis-à-vis de l'avenir (crainte de perte d'emploi,crainte de ne pouvoir subvenir à ses besoins matériels) attirent-elles aussi un coefficientpositif dans l'estimation de la demande de redistribution. Ainsi, sont favorables à la redis-tribution les agents dont les perspectives de mobilité sont négatives. La demande deredistribution est donc une demande d'assurance contre le risque. Ici encore, la demandede redistribution dépend des perspectives de mobilité de chacun. Dans le même ordred'idées, si l'accroissement des inégalités signifie l'augmentation de la pauvreté et de laviolence dans la société, les individus peuvent exprimer une aversion pour l'inégalité quireflète leur crainte purement égoïste de voir le taux de criminalité augmenter (voir parexemple Alesina et al., 2001a).

Ces travaux suggèrent que la mobilité joue un rôle important dans la perception desinégalités au sens où elle constitue les représentations des agents concernant leurs pers-pectives au sein de l'échelle des revenus. En fonction de ces perspectives dynamiques,ces derniers se positionnent vis-à-vis des inégalités, non pas en fonction d'une préférencepure pour l'égalité mais uniquement par souci de leur propre sort. La répartition desrevenus n'entre pas directement dans la fonction d'utilité des agents. Cependant, au-delàde cette vision, d'autres études montrent que la perception de la mobilité des revenuscomporte elle-même un aspect plus ou moins inégalitaire qui peut faire l'objet de l'appré-ciation des individus en tant que telle. Il s'agit alors d'une préférence pour l'égalité deschances plutôt que des positions.

Des préférences pour une mobilité égalitaire

Fong (2001) analyse le Gallup Poll Social Audit Survey de 1998 « Haves and have-not :perceptions of fairness and opportunities », un échantillon représentatif de 5 000 Améri-cains, dont 3 626 actifs. Un probit ordonné montre que des motifs purement égoïstesexercent une influence importante, mais non exclusive, sur l'opinion relative à la redistri-bution du revenu des riches vers les pauvres. Certes le niveau de vie des agents influenceleur attitude vis-à-vis de la redistribution. Cependant, les représentations de la mobilitésociale et de sa nature plus ou moins égalitaire jouent également un rôle significatif. Enparticulier, l'existence d'opportunités de travail et de progression pour tous, le poids res-pectif de la responsabilité personnelle et des forces sociales, de l'effort et du hasard, dansla détermination du revenu, ainsi que l'idée selon laquelle la société américaine est unesociété duale (de haves and have-not), exercent une influence significative sur lesréponses données. Ces motifs « altruistes » jouent même au sein d'un sous-échantillond'individus riches, anticipant une mobilité ascendante dans les cinq années à venir etsereins quant à leurs perspectives financières. L'interaction entre le fait de penser quel'appartenance ethnique joue sur les chances de réussite et le fait d'être blanc attire unsigne positif dans la demande de redistribution, à l'opposé du signe qui découlerait d'unintérêt purement égoïste. L'auteur en déduit que l'attitude vis-à-vis de la redistribution nepeut s'expliquer uniquement par des motifs égoïstes, mais bien également par des préfé-rences relatives aux revenus d'autrui (19). La répartition dynamique du revenu et en parti-culier l'égalité des chances, entrerait donc en tant que telle dans la fonction d'utilité desagents.

Dans le même ordre d'idées, Alesina et La Ferrara (2001), sur la base des données duGSS et du Panel Study of Income Dynamics (1978-1991), montrent à l'aide d'un logitordonné, que la réponse des agents à la question « le gouvernement devrait-il réduire ladifférence entre les riches et les pauvres » dépend de leur mobilité réelle (mobilité indivi-duelle par rapport à leurs parents et probabilité de mobilité ascendante calculée à partirde la matrice de mobilité américaine). Plus les agents connaissent une mobilité impor-tante, moins ils sont demandeurs de redistribution. De plus, leur attitude vis-à-vis de laredistribution dépend de leur opinion relativement aux déterminants du revenu : hasard,connaissances et histoire familiale versus effort, éducation et compétence. La propositionprincipale des auteurs est que l'égalité des chances et l'égalisation des positions sont enquelque sorte substituables aux yeux de la population américaine.

18

(19) Cette interprétation n'est pourtant pas la seule possible. La variable représentant la prévalence de la pau-vreté (haves and have not) peut être vue comme une variable proxy pour la criminalité, ce que l'auteur vérifieelle-même à l'aide de la base GSS. De même, la perception d'une société trop segmentée peut susciter descraintes d'instabilité sociale.

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Autrement dit, les agents ne réprouvent l'inégalité statique, que lorsqu'ils l'interprètentcomme le produit d'une inégalité des chances.

Ces articles suggèrent que l'attitude vis-à-vis des inégalités et de la redistribution dépenden partie du processus auquel les individus attribuent la répartition des revenus et lamobilité. Les inégalités leur semblent plus ou moins acceptables selon qu'elles sont per-çues comme résultant de l'effort individuel, du « mérite » ou de la transmission familialedes privilèges. Cette théorie pourrait expliquer la différence entre l'Europe et les Etats-Unis : les Américains croient à une mobilité potentielle plus forte et plus également parta-gée, ils sont donc moins demandeurs de redistribution. Selon le World Values Survey,71 % des Américains pensent que les pauvres ont une chance de sortir de la pauvreté,alors que cette proportion n'est que de 40 % en Europe (20). De même, 70 % des Alle-mands de l'Ouest pensent que la pauvreté vient de la société et non de la paresse, alorsque la proportion est inverse aux Etats-Unis : 60 % des Américains pensent que lespauvres sont paresseux (Alesina et al., 2001a).

Conclusion. Bien-être et inégalités : un lien multiforme

Il existe visiblement un lien entre inégalité des revenus et bien-être. Certaines études sug-gèrent l'existence d'une préférence pure pour l'inégalité statique des revenus. La plupartdes travaux révèlent cependant que la relation entre inégalité et bien-être est médiatiséepar la perception de la mobilité sociale. Ce sont avant tout les inégalités dynamiques, etnon statiques, c'est-à-dire l'inégalité des chances et non des positions, qui affectent lebien-être et l'attitude vis-à-vis de la redistribution.

L'un des aspects de cette relation dynamique de nature informationnelle : la répartitiondes revenus et la mobilité affectent indirectement le bien-être des individus (et leurdemande de redistribution) en les renseignant sur leurs perspectives futures. Le lien entreinégalité et utilité ne repose alors aucunement sur l'altruisme ; il met en jeu un typed'interaction sociale de nature informationnelle passant par la formation des anticipations.

Cependant, un certain nombre d'études montrent que l'inégalité des revenus influence lebien-être individuel au-delà de ce souci purement égoïste, les agents témoignant d'unepréférence pure (non intéressée) pour l'égalité des chances. La demande de redistributiondu revenu reflète alors une volonté de corriger l'inégalité des chances (ou son résultat) etnon l'inégalité des positions. Il s'agirait donc d'un type d'interaction sociale passant parl'interdépendance des préférences (21).

Le lien entre inégalité et bien-être comporte ainsi plusieurs facettes, chacune faisant inter-venir des interactions sociales hors marché difficile à mettre en évidence à l'aided'actions observables, serait-ce le vote. Les données subjectives jouent ici un rôle irrem-plaçable en permettant de mettre à jour la nature de ces interactions.

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

L'ensemble des travaux recensés dans cette première partie révèle un lien importantentre bien-être subjectif et revenu. Le revenu propre exerce une influence importante surla satisfaction individuelle, parfois atténuée par des effets d'adaptation et de comparai-son. Le revenu d'autrui, et plus généralement la nature égalitaire de la répartition desrevenus affecte le bien-être individuel, soit directement, soit de manière plus importante,de manière indirecte, par le biais de la mobilité perçue. Cette dernière détermine en effetles perspectives de progression de chacun. Les agents peuvent également être sensibles

19

(20) Gottshalk et Spolaore, 2001, et Fields et Ok, 1999, cités par les auteurs, montrent que ce sentiment n'est pasnécessairement fondé sur une réalité objective.(21) La relation entre inégalité et bien-être peut être tempérée par un phénomène particulier d'interdépendancedes préférences : l'altruisme ethnique. Ainsi, la demande de redistribution peut-elle dépendre de l'identité desbénéficiaires de cette politique, les agents étant d'autant moins favorables à la redistribution qu'ils anticipentqu'elle bénéficiera à un groupe ethnique différent du leur (voir Luttmer, 2001, Alesina et al., 1999, Alesina et al.,2001a). L'interdépendance des préférences serait ainsi limitée à un groupe ethnique ou religieux. Le revenud'autrui entrerait directement dans la fonction d'utilité individuelle, mais de manière sélective.

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à la nature égalitaire du processus de mobilité lui-même, auquel cas ce sont les inégalitésdynamiques et non statiques qui influencent le bien-être.

Nous proposons dans la partie suivante une tentative de discrimination du rôle respectifde l'information et de la comparaison dans la perception du revenu d'autrui, sur la basede données de panel russe. Cette étude s'inscrit dans notre interrogation générale relativeà la nature du lien (direct ou indirect) entre revenu d'autrui et bien-être, et à l'aspect dyna-mique de ce lien.

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ANNEXE À LA PREMIÈRE PARTIE

LE CHOIX DU MODÈLE STATISTIQUE

L'estimation d'une fonction de bien-être à partir de données subjectives individuellesimpose de faire certains choix, notamment relativement à la modélisation de l'hétérogé-néité individuelle et de la variable de satisfaction observée, choix qui se traduira par lemodèle statistique retenu (Frijters et Ferrer-i-Carbonnell, 2002a).

1. Les écarts entre les seuils de satisfaction sont identiques

Si l'on suppose que les écarts entre les différents seuils de satisfaction sont identiques,les différents échelons proposés peuvent être traités comme des mesure cardinales de lasatisfaction suivant une règle linéaire. On peut alors traiter le problème de l'hétérogénéitéindividuelle, dans la mesure où cette hétérogénéité est unidimensionnelle, en introdui-sant un effet fixe individuel, à condition de disposer de données longitudinales :

Uit = a + b Xit + νi + ηit (1)

où l'effet individuel νi est indépendant du terme d'erreur ηit, le paramètre b étant supposécommun à tous les individus. L'hétérogénéité individuelle représentée par le paramètre νipeut alors être éliminée de différentes manières, dont les plus courantes consistent àprendre les différences premières de l'équation (1) ou, suivant Mundlak (1978), à décom-poser les variables en moyennes individuelles Xi. d'une part, et en écart à la moyenne (Xit – Xi.) d'autre part. Cela signifie que le véritable modèle à estimer est :

Uit = a + b (Xit – Xi.) + c Xi. + νi + ηit (2)

où b est différent de c. On peut isoler les effets intra-individuels (within) des effets inter-individuels (between) en estimant séparément les transformations de l'équation (2) :

(Uit – Ui.) = b (Xit – Xi.) + ηit (2')

Ui = a + c Xi. + νi (2")

L'équation (2') estime l'effet des variations intra-individuelles des variables explicatives(régression en effets-fixes) ; elle répond à la question « comment varie la satisfaction d'unindividu donné lorsque son propre revenu augmente ? ». L'équation (2") estime les effetsde niveau, les différences entre individus, c'est-à-dire l'effet des variations inter-indivi-duelles (between), en répondant à la question « comment une différence de revenu entreindividus se traduit-elle en terme de différence de bien-être ? ». La présence d'hétérogé-néité individuelle inobservable signifie précisément que les réponses à ces deux ques-tions ne sont pas nécessairement identiques.

Un cas particulier, au sein de cette hypothèse de seuils équidistants, consiste à supposerque l'hétérogénéité individuelle est orthogonale aux variables explicatives, ou connue, cequi permet d'estimer l'équation de satisfaction individuelle par la méthode des moindrescarrés, en coupes transversales, sans effets individuels. C'est ce que font implicitementles psychologues, en particulier lorsqu'ils calculent des corrélations simples entre bien-être et caractéristiques observables. Ce sont également les hypothèses implicitementadoptées par les travaux qui comparent la satisfaction agrégée de différents pays (Easter-lin, 1974, 1995, Hagerty, 2000, etc.).

Notons que les auteurs qui, tels que Ravallion et Lokshin (2001), analysent en guise devariable explicative les changements de niveau de satisfaction entre deux dates, quelsque soient les échelons concernés, supposent implicitement que les intervalles de bien-être entre les seuils sont égaux, ce qui rend inutile le recours au modèle de probit ordonnéqu'adoptent les auteurs.

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2. Les écarts entre les seuils sont variables entre eux mais identiques pour tous lesindividus ; il n'y a pas d'effet d'ancrage.

Dès que l'on admet que les intervalles entre deux seuils de satisfaction déclarée ne sontpas égaux entre eux, c'est-à-dire que la distance entre « très malheureux » et « malheu-reux », n'est pas la même qu'entre « plutôt heureux » et « parfaitement heureux », ildevient nécessaire de reconstituer la fonction d'utilité latente Uit (Xit), où Uit est le niveaude satisfaction de l'individu i à l'instant t, et Xit le vecteur de caractéristiques observables.Les observations discrètes u1, ..., u5 sont alors interprétées comme des indications ordi-nales de la fonction d'utilité latente continue Ui(Xit). Les modèles logit ou probit ordonnégénéralement adoptés prédisent alors l'effet des différentes variables du vecteur Xit sur laprobabilité de donner une certaine réponse uk. C'est-à-dire, lorsque la fonction de satis-faction est linéaire :

Uit = θ’.Xit + εit et uk = k ⇔ µk < θ’.Xit + εit < µk + i), k = 1,K (3)

Où Xit est un vecteur de caractéristiques, θ un vecteur de paramètres, εit une variable aléa-toire qui suit une loi normale ou logistique, et µk un ensemble de seuils.

L'estimation sur une population d'individus d'une fonction de satisfaction suivant la spé-cification de l'équation (3), repose sur l'hypothèse selon laquelle les seuils (µk) de lavariable de satisfaction latente Ui permettant de passer d'une catégorie de bien-être à uneautre sont les mêmes pour tous, sans contrainte a priori sur la distance entre ces seuils.Cette hypothèse de comparabilité ordinale de la satisfaction (Ferrer-i-Carbonnell et Frij-ters, 2002) signifie que la satisfaction latente des individus qui choisissent une mêmeréponse est identique.

Cependant, il n'existe pas de modèle statistique permettant d'introduire, sans biais, uneffet fixe dans ce modèle d'estimation de la satisfaction individuelle (les coefficients esti-més sont instables et varient selon que la satisfaction augmente ou diminue). Le choix dece modèle suppose donc implicitement que l'hétérogénéité individuelle est orthogonaleaux variables observables Xit, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'effet d'ancrage et que les indi-vidus comprennent les différents labels de la même manière. Malgré cette hypothèseforte, ce modèle est souvent utilisé par les économistes (Clark et Oswald, 1996, Blanchflo-wer et Oswald, 2003, Frey et Stutzer, 2000, Alesina et al., 2001, etc.) qui semblent doncarbitrer en faveur de la prise en compte de la nature ordinale de la variable de satisfac-tion, plutôt que de l'hétérogénéité individuelle.

Une autre possibilité consiste à supposer que la structure de l'hétérogénéité inobservéeest connue et invariante dans le temps, c'est-à-dire que la corrélation entre l'hétéro-généité individuelle inobservée et les variables observables est capturée par la moyenneindividuelle des variables observables

–Xi., qui entre dans la structure des erreurs :

εit = α –Xi. + vi + ηit, ce qui permet d'utiliser la décomposition de Mundlak (1978). Cette der-

nière méthode est couramment adoptée par la « nouvelle école de Leyden », (van Praaget al., 2001, Ferrer-i-Carbonnell et Frijters, 2002). Notons que l'effet individuel vi est icialéatoire et invariant, et que vi et ηit sont deux bruits blancs orthogonaux entre eux et parrapport aux variables observables (Ferrer-i-Carbonnell, 2002).

Une quatrième possibilité consiste à réduire la variable expliquée de manière à neconserver que deux modalités de satisfaction. Il est alors possible de calculer la probabi-lité de changer de catégorie grâce à un modèle logit à effet fixe à la Chamberlain (1980).L'inconvénient de ce modèle est de ne retenir que les individus qui changent de catégoriede satisfaction, ce qui entraîne une grande perte d'information potentiellement généra-trice de biais. Ainsi Winkelmann et Winkelmann (1998), qui adoptent cette méthode, per-dent-ils les trois quarts de leur échantillon (de 10 000 personnes).

Pour éviter ce défaut, Ferrer-i-Carbonnell et Frijters (2002) proposent une autre méthodeproche de la précédente, pour introduire malgré tout un effet fixe au sein d'un modèle delogit ordonné : l'idée est de déterminer un seuil pour chaque individu, puis d'estimer laprobabilité de passer ce seuil. Le modèle est donc :

uit = a + b Xit + vi + ηit et Uit = uik ⇔ λik = uit = λi

k + 1 (4)

où ηit suit une loi logistique et les seuils sont présentés en ordre croissant (λik + 1 > λi

k). Cemodèle n'impose pas l'hypothèse selon laquelle les jugements de satisfaction sont ordi-

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nalement comparables entre les individus. Voir aussi le modèle de Das et van Soest(1999) dans le même ordre d'idées.

Quelles hypothèses retenir ?

S'il est clair que le choix des hypothèses retenues conditionne le modèle statistique uti-lisé, la question est de savoir dans quelle mesure ce choix influence les résultats. Ferrer-i-Carbonnell et Frijters (2002), sur la base des données de panel allemandes GSOEP, mon-trent que le choix de traiter la variable de satisfaction comme ordinale (logit ou probitordonné) ou cardinale (moindres carrés) ne change pas significativement les résultats,c'est-à-dire le signe et l'ordre de grandeur des coefficients associés aux différentesvariables explicatives, à savoir l'âge, le nombre d'enfants, la situation familiale et lerevenu. L'ajout d'un effet individuel aléatoire n'affecte pas non plus les résultats.

En revanche, le fait d'introduire un effet fixe individuel modifie notablement les résultats.Tous les modèles à effets fixes, modèle linéaire en premières différences (MCO), transfor-mation de Mundlak ou logit avec effet fixe, produisent des résultats proches entre eux etdifférents de ceux des modèles précédemment cités. Avec effet fixe, le coefficient associéau revenu individuel est plus faible (de 2/3). Il en va de même du statut marital et de lasanté. L'âge au carré change de signe et le nombre d'enfant perd sa significativité.

Le choix de traiter la variable de satisfaction comme cardinale ou ordinale est donc beau-coup moins lourd, en termes de conséquences statistiques, que celui de traiter ou nonl'hétérogénéité individuelle inobservée. Ce constat implique évidemment le recours à desdonnées de panel.

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PARTIE II :

COMPARAISON VERSUS INFORMATION :L'ENSEIGNEMENT DES DONNÉES DE PANEL RUSSES

Notre objectif est ici de distinguer les deux canaux par lesquels le revenu du groupe deréférence d'un agent influence potentiellement sa satisfaction : le canal de comparaison(la norme sociale) et le canal cognitif. Autrement dit, la question est de savoir si le revenud'autrui entre dans les préférences ou dans les anticipations.

Reprenons le cadre très simple proposé par Hirshman. Dans une société composée dedeux individus, ou deux groupes d'individus, l'utilité de l'individu A dépend de sonpropre revenu YA de son revenu futur anticipé EA et du revenu de B soit YB. Supposonsque les anticipations de A dépendent en partie de l'observation du revenu de B. La fonc-tion d'utilité de l'agent A s'écrit : UA = V(YA, EA (YB), YB). Le signe de δV / δYA est uni-voque. Il est également clair que le terme δV / δEA est positif et reflète le taux de déprécia-tion de l'agent A. Cependant, le signe de la dérivée partielle, δV /δYB est ambigu :

δV / δYB = (δV / δEA.δEA / δYB) + V1 (5)

Le premier terme de l'équation (5) est positif ; il représente l'effet cognitif du revenu de B,YB, sur l'utilité de A. Le deuxième terme V1 représente l'effet direct de YB sur V ; son signedépend de la diposition d'esprit de A vis-à-vis de B. Si, conformément à la théorie durevenu relatif, il s'agit d'envie plutôt que de compassion, alors ce terme est négatif. Ainsi,l'effet net d'une hausse du revenu de B sur la satisfaction de A, toutes choses égalespar ailleurs, est indéterminé a priori. Il dépend de la force respective des deux effetsà l'œuvre, l'effet cognitif et l'effet de comparaison. Nous interpréterons donc le signe ducoefficient associé au terme δV / δYB comme un test du poids relatif de ces deuxeffets (22).

Nous nous appuyons sur cinq vagues de l'enquête russe auprès des ménages (RussianLongitudinal Monitoring Survey), soit un panel représentatif de la population, au seinduquel 4 685 individus sont constamment présents de décembre 1994 à octobre2000 (23). L'enquête contient aussi bien des informations objectives relatives aux condi-tions de vie et aux revenus des individus et des ménages, que des questions relatives àleurs représentations subjectives telles que la satisfaction ou les anticipations. Les statis-tiques descriptives sont décrites dans l'annexe II de cette partie.

Le recours à des données russes est particulièrement adapté à notre interrogation du faitde l'importante variance des revenus et de leur répartition (Milanovic, 1998), ainsi que dela satisfaction des individus, depuis le début de la transition vers le marché. Nous analy-sons les réponses à la question suivante : « A quel point êtes-vous satisfait de votre vieen général en ce moment ? ». Les enquêtes doivent choisir parmi les 5 réponses sui-vantes : complètement satisfait, plutôt satisfait, oui et non, insatisfait, pas satisfait dutout.

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(22) Le mécanisme sous-jacent à δV / δYB apparaît plus complexe si l'on prend en compte la dynamique de lasatisfaction et des anticipations. D'une part, des anticipations optimistes peuvent accroître la satisfaction, maisd'autre part, elles peuvent se transformer en aspirations qui élèvent le niveau d'exigence de l'individu et dévalo-risent tout niveau de revenu inférieur au seuil escompté. Ainsi, le fait que le signe du terme δV / δYB soit positifest une condition suffisante mais non nécessaire pour établir la supériorité de l'effet cognitif. Cette note sou-ligne l'importance de prendre en compte les interactions dynamiques de la satisfaction et des anticipations dansle modèle à estimer.(23) Afin de corriger le biais éventuellement introduit par le phénomène d'attrition au cours des 5 vagues étu-diées, nous pondérons chaque observation par l'inverse de la probabilité de demeurer constamment dansl'échantillon (probabilité estimée à l'aide d'un probit).

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Tableau 1

L'évolution de la satisfaction individuelle en Russie 1994-2000 « A quel point êtes-vous satisfait de votre vie en général en ce moment ? »

(%) Round 5 Round 6 Round 7 Round 8 Round 9

Pas satisfait du tout 23 28 31 37 24

Plutôt non 44 39 38 35 39

Oui et non 21 21 20 18 22

Satisfait (complètement et plutôt) 13 12 10 10 15

Total 100 100 100 100 100

Nous interprétons la variable de satisfaction déclarée comme reflétant une fonction latentecontinue mesurant le flux d'utilité individuelle de la période. En raison du faible nombred'individus qui se déclarent parfaitement satisfaits, nous agrégeons les réponses parfaite-ment satisfait et plutôt satisfait. La répartition de la population entre les catégories desatisfaction est très variable selon les périodes (tableau 1). Elle suit un mouvement géné-ral de baisse, puis de remontée à partir de 1998 (date de la dévaluation du rouble quirelance l'activité économique). Au-delà de cette tendance, les individus connaissent uneforte mobilité entre les catégories. Moins de 40 % de l'échantillon reste dans la mêmecatégorie deux années de suite, au cours de la période étudiée (Senik, 2002).

À titre d'illustration, considérons l'exemple des salariés du secteur agricole et de l'admi-nistration gouvernementale (tableau 2) : de manière remarquable, leur satisfaction indivi-duelle suit les mouvements du revenu moyen de leur groupe professionnel plutôt queceux de leur revenu personnel.

Tableau 2

Satisfaction individuelle et évolution du revenu moyen de branche

Revenu moyendans la branche

Satisfaction individuelle

Revenu individuel Revenu individuelAGRICULTURE

croissant décroissant

1994 4831995 267 2,09 1,991996 192 2,03 1,871998 186 1,85 1,872000 367 2,35 2,20

ADMINISTRATION PUBLIQUE

1994 1 2001995 839 2,23 2,391996 923 2,40 2,421998 637 2,05 2,002000 732 2,60 2,56

Le revenu est exprimé en prix constants de 1992 (milliers de roubles). Entre 1995 et 1996, le revenu moyen dans l'agriculture est tombé de 267 à 192 milliers de roubles et la satisfac-tion individuelle des salariés de la branche a diminué aussi bien pour les individus dont le revenu personnelavait augmenté que pour ceux dont le revenu personnel avait diminué. Pendant la même période la satisfactionmoyenne augmentait dans le secteur de l'admnistration publique, de 2,23 à 2,4 pour les individus dont le revenupersonnel avait augmenté, ainsi que pour ceux dont le revenu personnel avait diminué, le revenu moyen de labranche augmentant de 839 à 923 milliers de roubles.

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Le recours à l'économétrie permet d'approfondir cette observation en contrôlant l'effetdes conditions socio-démographiques et psychologiques propres à chaque agent. La sec-tion suivante décrit le modèle économétrique estimé et la construction des variables uti-lisées. Nous présentons ensuite les résultats, suivis d'une conclusion générale.

II.A STRATÉGIE EMPIRIQUE

Pour chaque individu, nous définissons le revenu de référence comme le revenu moyendes actifs possédant les mêmes caractéristiques productives (diplôme, profession, expé-rience professionnelle, branche, région, âge et sexe). L'idée est que dans le contexterusse de profonde modification du lien entre compétences et rémunération (du fait de larestructuration du tissu économique), l'observation du revenu des individus partageantles mêmes caractéristiques productives permet certainement d'orienter les anticipationsd'un agent concernant ses propres perspectives. Nous estimons ensuite une fonction desatisfaction individuelle dépendant, entre autres variables, du revenu de référence.

La fonction de bien-être à estimer

Comme il n'existe pas de méthode statistique reconnue permettant de tenir compte de lanature ordinale des données tout en introduisant un effet fixe, nous présentons les résul-tats d'estimations suivant un probit ordonné (sans effet fixe), mais nous vérifions que lesrésultats sont identiques lorsque l'on reproduit les estimations à l'aide d'un logit condi-tionnel (bi-modal) à effets fixes, ou de techniques spécifiques aux données de panel(régressions linéaires avec effet fixe, doubles moindres carrés à la Arellano-Bond, 1991).Tous les résultats présentés dans cet article sont robustes au choix du modèle statistique.

Nous estimons donc une fonction de bien-être individuel dépendant du revenu individuelréel (log Yit), des anticipations de revenu formées en t – 1 (Ei t – 1), du revenu de référencede l'individu (log Yreference it), de caractéristiques socio-démographiques (Xit), et d'indica-trices d'année et de région :

Uit = V[log Yit, Ei, t – 1, log Yreference it, Uit – 1, Xit, It] (6)

Soit, selon les termes du modèle de probit ordonné :

P(Uit = uk) = P(µk < F(εit, log Yit, Eit – 1, log Yreference it, Uit – 1, Xit, It, θ) < µk + 1) (6')

où k = 1,4 et t = 1,5, F est une fonction de satisfaction linéaire dépendant d'un vecteur decaractéristiques Xit, θ un vecteur de paramètres, εit une variable aléatoire suivant une loinormale, et µk une série de paramètres de seuils.

Dans l'équation (6'), l'influence du revenu individuel semble naturelle ; ceteris paribus unrevenu plus élevé est synonyme d'une satisfaction plus élevée (voir section I.B). Nous uti-lisons deux catégories de revenu : le revenu individuel et le revenu du ménage, qui sontconstruits en incluant toutes les composantes possibles du revenu total, salaires et trans-ferts financiers et en nature. Nous utilisons également les dépenses des ménages, ellesaussi mesurées de manière exhaustive. L'introduction du revenu individuel dans larégression pourrait soulever des problèmes d'endogénéité à cause d'un biais de variableomise (voir section I.A). Pour tenir compte de ce risque, nous instrumentons cettevariable par sa valeur retardée. Nous introduisons également simultanément le revenu oules dépenses du ménage, afin de réduire les erreurs de mesure et le risque de sous-décla-ration des revenus (Ravallion and Lokshin, 2001). Tous ces éléments de revenu sont défla-tés à l'aide d'un indice national de prix régionaux à la consommation (24), mais les résul-

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(24) Les indices de prix sont construits au niveau de chaque Unité Primaire de Recensement. Nous multiplionsles indices de prix à la consommation nationaux construits par l'organie statistique russe Russian EconomieTrends, (http://www.recep.org/ret/), par le ratio des seuils de pauvreté régionaux et nationaux associés à chaqueménage dans la base RLMS. La formule du déflateur que nous utilisons est donc : Déflateur jt = Indice de prixnational t . [Σ(i ε j) (seuil de pauvreté régional it) / (seuil de pauvreté national it) ]. Où j indique les Unités Primairesde Recensement, i = l, 9 000 les ménages, t = 5,9 les vagues de l'enquête RLMS. Les seuils de pauvreté régio-naux et national sont définis par le coût d'un panier de biens pour chaque groupe démographique. Le fait deformer le ratio des seuils régionaux et nationaux supprime l'influence de cet ajustement démographique.

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tats sont également robustes à l'utilisation d'indices de prix nationaux (Senik, 2002).Enfin, nous utilisons de manière classique le logarithme du revenu afin de refléter l'hypo-thèse générale de concavité de la relation entre utilité et revenu.

Dans l'équation (6'), Xit est un vecteur de caractéristiques socio-démographiques quiinfluence généralement la satisfaction (statut marital, nombre d'enfants, taille du ménage,région, langue maternelle, santé, éducation, profession). Les variables indicatrices régio-nales synthétisent l'influence des externalités locales (biens publics locaux, bassins d'em-ploi, coût de la vie). Enfin, It , les variables indicatrices d'année, captent l'effet des fluctua-tions macro-économiques sur la satisfaction.

Notons que pour éviter les biais d'attrition, nous pondérons systématiquement les obser-vations du panel par l'inverse de la probabilité de demeurer dans l'échantillon à toutes lesvagues (calculée à l'aide d'un probit).

La construction du revenu de référence

De même que Clark and Oswald (1996), nous estimons pour chaque vague, dans unerégression séparée, le logarithme du revenu réel typique d'un individu en fonction de sondiplôme le plus élevé, de son expérience professionnelle, de sa branche (25), de son âge,de sa région et de sa profession (code ISCO – International Standard Classification ofOccupations – du BIT). Nous définissons alors le revenu de référence de l'individu commela prédiction de son revenu suivant cette estimation. La justification de cette stratégie estque dans le contexte russe de profonde modification du lien entre compétences et rému-nérations (du fait de la restructuration du tissu économique), l'observation du revenu desindividus partageant les mêmes caractéristiques productives permet certainementd'orienter les anticipations d'un agent concernant ses propres perspectives.

Afin de tenir compte du risque de sur-estimation des revenus des individus sans revenu,nous estimons le revenu de référence à l'aide d'une procédure de correction du biais desélection à la Heckman (1979), la probabilité de participation étant définie en fonction del'âge, du sexe et de la présence ou non d'un enfant de moins de 7 ans au foyer (tableau 3).Nous vérifions que les variables explicatives de cette estimation de première étape n'ontpas d'influence directe sur la satisfaction (tableau 4) ; de plus nous ne reprenons aucunede ces variables dans l'estimation de seconde-étape de la satisfaction, à l'exception dugenre et de la région, qui influencent certainement la satisfaction, mais par des canauxdifférents du revenu. On peut ainsi considérer que les variables explicatives de l'estima-tion de première étape n'influencent la satisfaction qu'indirectement, à travers le revenude référence qu'ils servent à construire.

Les indicateurs d'inégalité

Pour obtenir des indices d'inégalité individuels, nous avons recours aux indices de StarkSTARKH (resp. STARKL) qui mesurent l'écart moyen entre le revenu d'un individu donnéet le revenu des gens plus riches que lui (resp. plus pauvres), dans le pays, dans les huitrégions définies dans le tableau 4 ou dans l'Unité Primaire de l'Enquête de RLMS (100PSU retenues par l'enquête parmi 2 009, contenant environ 42 ménages chacun). Nousincluons également dans les régressions des indices de Gini calculés sur le revenu réelpour chaque année et définis selon les mêmes échelles géographiques.

Les anticipations de revenu

L'information et les anticipations jouent un rôle crucial dans notre interprétation du revenude référence. Les anticipations influencent également la satisfaction en déterminant leniveau d'aspiration. Afin de tenir compte de cet aspect dynamique, nous introduisantdans certaines spécifications de l'estimation du bien-être une variable retardée représen-

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(25) Nous remercions Klara Sabirianova, du William Davidson Institute, de nous avoir procuré les données rela-tives aux branches auxquelles les individus du RLMS appartiennent.

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tant les anticipations de la période passée. Dans la spécification linéaire, nous appliquonsla même méthode que pour la satisfaction, en instrumentant la variable à l'aide deretards, (t – 2) et au-delà à la Arellano-Bond (1991).

Grâce à la richesse des données RLMS, nous n'avons pas besoin de modéliser le proces-sus d'anticipation, puisque nous disposons d'une mesure directe des anticipations desagents sous la forme de leur réponse à la question : « Pensez-vous que dans les 12 mois àvenir vous et votre famille vivrez mieux qu'aujourd'hui ou moins bien ? ». Les anticipa-tions moyennes suivent la même évolution dynamique que la satisfaction : une dégrada-tion de 1994 à 1998 puis une amélioration (voir les statistiques descriptives dans letableau 7 de l'annexe II). Nous incluons les anticipations en (t – 1) dans la régression de lasatisfaction à l'instant t.

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Tableau 3

Estimation du revenu du groupe de référenceModèle de sélection de Heckman

Vague 9 Vague 8 Vague 7 Vague 6 Vague 5

Coef. Std.Err Coef. Std. Err Coef. Std. Err Coef. Std. Err Coef. Std. Err

Années d'éducation 0,024 0,003 0,029 0,004 0,027 0,009 0,025 0,004 0,017 0,004Homme 0,118 0,029 0,141 0,033 0,279 0,073 0,238 0,033 0,275 0,034Années d'expérience 0,017 0,001 0,014 0,001 0,007 0,010 0,011 0,001 0,015 0,001Profession

Cadres supérieurs 1,404 0,240 1,174 0,311 1,059 0,449 0,870 0,266 1,049 0,363Personnel qualifié 1,192 0,221 1,223 0,268 0,931 0,383 0,736 0,260 0,807 0,293Ingénieurs 1,027 0,226 0,995 0,266 0,817 0,397 0,679 0,252 0,644 0,288Administratifs 0,711 0,237 0,836 0,266 0,717 0,388 0,470 0,263 0,407 0,291Salariés des services 0,638 0,236 0,847 0,276 0,735 0,396 0,677 0,257 0,676 0,296Salariés agricoles 1,325 0,416 0,689 0,347 0,765 0,461 1,404 1,003 0,688 0,370Artisans 0,933 0,230 0,888 0,267 0,730 0,395 0,577 0,252 0,585 0,286Opérateurs et assembleurs 1,029 0,226 1,029 0,266 0,809 0,392 0,580 0,254 0,714 0,283Non qualifiées 0,495 0,232 0,760 0,266 0,520 0,393 0,395 0,247 0,312 0,286Armée 1,379 0,270 1,235 0,401 0,538 0,505 0,964 0,303 1,358 0,344Branche

Énergie 0,464 0,257 0,068 0,292 0,290 0,398 0,409 0,273 0,682 0,311Industrie lourde – 0,154 0,223 – 0,436 0,268 – 0,207 0,387 – 0,040 0,250 – 0,013 0,289Industrie légère – 0,262 0,231 – 0,552 0,267 – 0,070 0,394 0,044 0,253 – 0,048 0,290Agriculture – 1,047 0,242 – 1,127 0,278 – 0,937 0,401 – 0,589 0,253 – 0,579 0,290Restauration & petit commerce 0,020 0,225 – 0,245 0,267 – 0,053 0,383 0,131 0,254 0,124 0,289Services 0,114 0,223 – 0,180 0,267 0,205 0,387 0,273 0,254 0,344 0,291Secteur public – 0,595 0,218 – 0,800 0,262 – 0,437 0,383 – 0,238 0,250 – 0,135 0,287Government – 0,127 0,229 – 0,272 0,274 0,024 0,387 0,159 0,257 0,141 0,299Région

Nord & Nord-Ouest – 0,130 0,086 – 0,010 0,091 – 0,103 0,104 0,003 0,095 – 0,011 0,105Centre – 0,328 0,062 – 0,305 0,074 – 0,298 0,077 – 0,222 0,083 – 0,318 0,091Volga – 0,440 0,061 – 0,314 0,072 – 0,491 0,081 – 0,393 0,083 – 0,450 0,092Nord Caucase – 0,327 0,071 – 0,234 0,082 – 0,301 0,096 – 0,295 0,089 – 0,381 0,097Oural – 0,356 0,064 – 0,216 0,074 – 0,241 0,081 – 0,140 0,084 – 0,240 0,093Sibérie occidentale – 0,128 0,073 – 0,173 0,094 – 0,203 0,110 – 0,181 0,101 – 0,269 0,105Sibérie orientale – 0,554 0,084 – 0,405 0,090 – 0,623 0,104 – 0,371 0,094 – 0,347 0,107

Constante 5,101 0,082 5,047 0,087 5,880 0,620 5,385 0,102 5,648 0,110Nombre d'observations 3 988 3 978 3 982 3 833 3 963Observations censurées 740 1 252 1 592 1 059 1 108Observations non censurées 3 248 2 726 2 390 2 774 2 855Log vraisemblance – 5 313 – 5 303 – 5 291 – 4 916 – 5 080

Sélection

Âge 0,037 0,002 0,027 0,001 0,021 0,004 0,042 0,002 0,046 0,002Homme – 0,056 0,049 – 0,043 0,042 – 0,062 0,056 – 0,111 0,044 – 0,194 0,045Nb enfants < 7 ans 0,091 0,075 – 0,015 0,068 0,084 0,057 0,134 0,062 0,186 0,059Constante – 0,645 0,078 – 0,676 0,070 – 0,631 0,150 – 1,022 0,066 – 1,107 0,063Rho – 0,157 0,018 – 0,162 0,031 – 0,495 0,921 – 0,107 0,023 – 0,102 0,022Sigma 0,762 0,015 0,754 0,018 0,835 0,242 0,750 0,015 0,767 0,015Lambda – 0,119 0,015 – 0,122 0,024 – 0,414 0,889 – 0,080 0,017 – 0,079 0,017

Correction de l'auto-corrélation des résidus des observations relatives au même individu. Les estimations sontpondérées par l'inverse de la probabilité de demeurer dans l'échantillon à toutes les vagues. Les catégories deréférence sont : Moscou et St Petersbourg pour la région, la vague 5 de l'enquête, « inactif » pour la profession,« célibataire » pour le statut marital et « aucune « pour les branches. Les régressions simples en MCO ont un R2

d'environ 30 %.

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II.B RÉSULTATS

Les résultats confirment la conjecture de Hirshman. Au-delà des relations habituelles véri-fiées par l'estimation de la fonction de bien-être individuelle, le revenu du groupe de réfé-rence exerce toujours une influence significativement positive sur la satisfaction indivi-duelle, toutes choses égales par ailleurs. Ce résultat résiste à toutes les spécifications etau modèle statistique choisi. Des tests de robustesse permettent de conforter l'hypothèsede la nature informationnelle du groupe de référence.

Une fonction de bien-être classique

Nous vérifions tout d'abord que l'estimation de la fonction de bien-être sur les donnéesRLMS révèle les liaisons habituelles (voir section I.A), c'est-à-dire l'influence convexe del'âge, l'influence positive de la religion, du mariage et de la santé. Les hommes russessont plus heureux que les femmes, les habitants des grandes métropoles, Moscou et St-Petersbourg, sont plus satisfaits que les autres (tableau 4). La satisfaction généraledécroît entre 1994 et 1998, puis remonte en 2000. Sans surprise, les professions les plusprestigieuses (cadres supérieurs et dirigeants) connaissent un bien-être plus élevé (bienque la significativité des coefficients soit exagérée par le fait que la catégorie de référencede la variable profession soit inactif). Comme l'avaient déjà noté Ravallion et Lokshin(2001), le revenu ou la consommation du ménage ont plus d'impact sur la satisfactionque le revenu individuel.

La satisfaction est certainement un phénomène dynamique, comme l'a suggéré la sectionI.A. La théorie de l'adaptation voudrait qu'elle suive un processus de retour à lamoyenne ; si tel était le cas, alors le coefficient associé à la satisfaction retardée d'unepériode devrait être négatif, dans une spécification avec effets fixes : en effet une satisfac-tion supérieure à la moyenne lors de la période passée devrait être suivie d'une baisse desatisfaction afin de retourner au niveau cible. Les résultats ne valident pas cette hypo-thèse : le coefficient de la satisfaction retardée est positif (tableau 4.a, annexe I). Il est évi-demment également positif dans les régressions en between, ce qui traduit l'hétérogé-néité individuelle en matière d'« aptitude au bonheur ». Ainsi le processus de formationdu bien-être en Russie ne semble pas suivre un processus de retour à la moyenne. La for-mation des anticipations n'est donc pas contrainte par cette dynamique.

Concernant le rôle des anticipations, nous observons que des anticipations de revenuoptimistes à la période précédente attirent un coefficient négatif dans toutes les spécifica-tions en effet-fixe. À l'inverse, en between, les variables indicatrices représentant les anti-cipations de revenu les plus optimistes attirent un signe positif (tableaux 4.a, 4.b et 4.c,annexe I). Cela révèle, encore une fois, l'hétérogénéité individuelle : un individu plus opti-miste par nature sera plus heureux (effet inter-individuel, between), mais un individu quientretenait des aspirations plus élevées à la période précédente sera plus difficile à satis-faire (effet intra-individuel, within). Ce résultat confirme l'importance des anticipationsdans la satisfaction individuelle. Le rôle du revenu de référence explore cette voie plusavant.

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Tableau 4

Régression de base de la satisfaction individuelle, Probit Ordonné

(1) (2) (3) (4)

CATÉGORIES DÉMOGRAPHIQUES

Âge – 0,054*** – 0,050*** – 0,057*** – 0,052***(0,006) (0,006) (0,006) (0,006)

Âge au carré 0,001*** 0,001*** 0,001*** 0,001***(0,000) (0,000) (0,000) (0,000)

Mâle 0,058** 0,056* 0,045 0,057**(0,029) (0,029) (0,029) (0,029)

Taille du foyer – 0,024*** – 0,071*** – 0,023** – 0,052***(0,009) (0,009) (0,009) (0,009)

Langue maternelle russe – 0,221*** – 0,208*** – 0,229*** – 0,219***(0,034) (0,034) (0,035) (0,034)

Croyant 0,141*** 0,125*** 0,130*** 0,133***(0,029) (0,028) (0,028) (0,028)

STATUT MARITAL

Marié – 0,014 – 0,04 – 0,01 – 0,014(0,046) (0,045) (0,045) (0,045)

Divorcé – 0,253*** – 0,205*** – 0,256*** – 0,224***(0,064) (0,064) (0,063) (0,064)

Veuf – 0,194*** – 0,155*** – 0,198*** – 0,162***(0,059) (0,058) (0,058) (0,058)

CARACTÉRISTIQUES PRODUCTIVES

Années d'études 0,015*** 0,007* 0,013*** 0,011***(0,004) (0,004) (0,004) (0,004)

Années d'expérience 0,004 0,002 0,004 0,003(0,002) (0,002) (0,002) (0,002)

PROFESSION

Cadres supérieurs 0,654*** 0,576*** 0,546** 0,635***(0,214) (0,219) (0,255) (0,215)

Personnel qualifié 0,538*** 0,499** 0,438* 0,515**(0,207) (0,210) (0,249) (0,206)

Ingénieurs 0,451** 0,422** 0,35 0,439**(0,204) (0,208) (0,247) (0,204)

Administratifs 0,275 0,279 0,162 0,271(0,222) (0,227) (0,264) (0,222)

Salariés des services 0,343 0,329 0,229 0,326(0,211) (0,215) (0,253) (0,211)

Salariés de l'agriculture 0,558** 0,557** 0,464 0,530*(0,280) (0,277) (0,311) (0,274)

Artisans 0,319 0,335 0,239 0,321(0,205) (0,209) (0,247) (0,205)

Opérateurs et assembleurs 0,334 0,322 0,246 0,333(0,206) (0,210) (0,247) (0,206)

Non qualifiés 0,24 0,283 0,148 0,248(0,204) (0,208) (0,246) (0,204)

Armée 0,186 0,137 0,021 0,191(0,288) (0,290) (0,319) (0,277)

BRANCHE

Énergie 0,16 0,047 0,176 0,072(0,211) (0,215) (0,252) (0,211)

Industrie lourde – 0,234 – 0,278 – 0,2 – 0,263(0,206) (0,209) (0,246) (0,205)

Industrie légère – 0,195 – 0,222 – 0,168 – 0,226(0,208) (0,211) (0,249) (0,208)

Agriculture – 0,329 – 0,316 – 0,236 – 0,346*(0,205) (0,208) (0,247) (0,205)

Restauration et petits commerce – 0,129 – 0,174 – 0,101 – 0,151(0,208) (0,212) (0,250) (0,208)

Services – 0,076 – 0,144 – 0,041 – 0,105(0,208) (0,211) (0,250) (0,208)

31

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Tableau 4 suite

Secteur public – 0,271 – 0,28 – 0,219 – 0,283(0,204) (0,207) (0,246) (0,203)

Gouvernement – 0,055 – 0,1 – 0,019 – 0,076(0,214) (0,219) (0,255) (0,215)

RÉGION

Nord et Nord-ouest – 0,187*** – 0,136* – 0,170** – 0,157**(0,072) (0,072) (0,071) (0,071)

Centre et Terres Noires centrales – 0,165*** – 0,053 – 0,139** – 0,112*(0,060) (0,061) (0,059) (0,060)

Volga – 0,217*** – 0,083 – 0,178*** – 0,156**(0,061) (0,062) (0,059) (0,061)

Nord Caucase – 0,222*** – 0,140** – 0,168*** – 0,145**(0,063) (0,064) (0,062) (0,063)

Oural – 0,279*** – 0,163*** – 0,254*** – 0,226***(0,061) (0,061) (0,059) (0,060)

Sibérie occidentale – 0,302*** – 0,247*** – 0,261*** – 0,257***(0,067) (0,067) (0,065) (0,067)

Sibérie orientale et extrême orientale – 0,174** – 0,149** – 0,150** – 0,167**(0,069) (0,068) (0,068) (0,068)

VAGUES

Vague 6 – 0,082*** – 0,033 – 0,079*** – 0,043*(0,024) (0,024) (0,024) (0,024)

Vague 7 – 0,150*** – 0,066** – 0,122*** – 0,088***(0,026) (0,026) (0,026) (0,026)

Vague 8 – 0,311*** – 0,149*** – 0,183*** – 0,231***(0,027) (0,029) (0,031) (0,028)

Vague 9 0,028 0,146*** 0,136*** 0,073***(0,026) (0,028) (0,029) (0,027)

SANTÉ SUBJECTIVE

Mauvaise 0,381*** 0,362*** 0,374*** 0,371***(0,072) (0,073) (0,072) (0,073)

Moyenne 0,765*** 0,743*** 0,763*** 0,745***(0,073) (0,074) (0,073) (0,074)

Bonne 0,907*** 0,891*** 0,907*** 0,891***(0,077) (0,078) (0,078) (0,078)

Très bonne 0,823*** 0,831*** 0,818*** 0,850***(0,117) (0,118) (0,116) (0,118)

CATÉGORIES FINANCIÈRES

Consommation du ménage (log) 0,274***(0,015)

Revenu individuel (log) 0,025***(0,003)

Revenu du ménage (log) 0,134***(0,012)

Nb. Observations 17 897 17 897 17 553 17 897Pseudo R2 0,04 0,05 0,04 0,05Log vraisemblance – 22 612 – 22 300 – 22 077 – 22 445Wald chi2 1 086 1 361 1 170 1 207Prob > chi2 0,000 0,000 0,000 0,000_cut1 -1,119 1,204 -1,032 – 0,057

(0,150) (0,198) (0,146) (0,178)_cut2 – 0,044 2,300 0,052 1,030

(0,149) (0,198) (0,146) (0,178)_cut3 0,713 3,072 0,814 1,795

(0,149) (0,199) (0,146) (0,179)

Nous contrôlons pour l'auto-corrélation des résidus des observations relatives au même individu. Les estima-tions sont pondérées par l'inverse de la probabilité de demeurer dans l'échantillon à toutes les vagues. Les caté-gories de référence sont : « totalement insatisfait » pour la satisfaction retardée, « bien pire » pour les anticipa-

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tions de revenu retardées, « très mauvaise santé » pour l'auto-évaluation de la santé, Moscou et St-Petersbourgpour la région, la vague 5 de l'enquête, « inactif » pour la profession, « célibataire » pour le statut marital et« aucune » pour les branches. * significatif à 10 %, ** significatif à 5 %, *** significatif à 1 %.

L'influence du revenu de référence sur la satisfaction

Nous incluons à présent le revenu de référence dans la régression de la satisfaction, encontrôlant pour le revenu individuel retardé ou résiduel (la différence entre le revenu indi-viduel et le revenu de référence), ainsi que le revenu ou les dépenses du ménage. Commele revenu de référence est le produit d'une estimation de première étape, une régressionclassique conduirait à un écart-type biaisé. Nous estimons donc ce dernier à l'aide d'uneprocédure de bootstrap avec 1 000 replications.

Table 5.a

L'effet positif du revenu de référenceEstimation de la satifaction individuelle avec un probit ordonné

(1) (2) (3) (4) (5)

Revenu de référence 0,331*** 0,239*** 0,229*** 0,262*** 0,191***(0,027) (0,028) (0,029) (0,033) (0,033)

Revenu individual retardé 0,131*** 0,092***(0,017) (0,016)

Revenu individual résiduel 0,156*** 0,105*** 0,072***(0,017) (0,016) (0,018)

Dépenses du ménage 0,237*** 0,272***(0,019) (0,020)

Revenu du ménage 0,239***(0,019)

_cut1 0,700 2,201 2,126 1,359 2,903(0,233) (0,259) (0,257) (0,251) (0,267)

_cut2 1,834 3,350 3,274 2,448 4,012(0,233) (0,259) (0,256) (0,252) (0,269)

_cut3 2,600 4,127 4,050 3,213 4,791(0,233) (0,260) (0,257) (0,252) (0,269)

Nb. Observations 13 462 13 462 13 434 10 401 10 399Pseudo R2 0,04 0,05 0,05 0,04 0,06Log vraisemblance – 16 854 – 16 698 – 16 682 – 12 984 – 12 819Test β > 0 24,59 14,01 19,78Prob > chi2 0,0000 0,0002 0,0000

Contrôles : âge, statut marital, taille du foyer, langue maternelle, croyance religieuse, sexe, région, vague, santésubjective. Correction de l'auto-corrélation des résidus des obsenations relatives au même individu. Les estima-tions sont pondérées par l'inverse de la probabilité de demeurer dans l'échantillon à toutes les vagues. Écarts-types estimés avec une procédure de bootstrap (1 000 replications). Prob > Wald chi2 = 0,0000 pour toutes lesspécifications, * significatif à 10 %, ** significatif à 5 %, *** significatif à 1 %.

Le revenu de référence exerce visiblement une influence significative et positive sur lasatisfaction individuelle (tableau 5.a). Le signe positif du coefficient est systématique,quelle que soit la spécification retenue, quels que soient les contrôles introduits, revenuindividuel résiduel ou retardé, ou revenu du ménage, que l'on contrôle pour les anticipa-tions de revenu ou non. Les tests du chi2 confirment que le coefficient associé au revenude référence est significativement supérieur à zéro.

Notons à ce propos que l'estimation du revenu de référence donne : yi = zi + εi, où yi est lerevenu individuel, zi le revenu de référence estimé et εi le résidu de l'estimation. En négli-geant les autres variables, la fonction de bien-être estimée est : Ui = α.yi + β.zi + µi, soitUi = α.(zi + εi) + β.zi + µi, i.e. Ui = α.εi + (α + β).zi + µi, où ε1 est le revenu résiduel, et zi lerevenu de référence. Pour tester la significativité du revenu de référence, il faut donc véri-

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fier que β > 0, c'est-à-dire que le coefficient du revenu de référence zi est supérieur aucoefficient du revenu résiduel εi. La dernière ligne du tableau 4.a (colonnes 1 à 3) montreque c'est en effet le cas, et les tests du chi2 confirment que cette différence est significative.

Nous vérifions que ces résultants sont valides pour deux restrictions de l'échantillon. Toutd'abord, suivant l'idée que la notion de groupe de référence est particulièrement perti-nente pour les individus actifs qui valorisent effectivement leurs caractéristiques produc-tives, nous re-estimons l'équation de satisfaction en ne retenant que ces derniers, c'est-à-dire un échantillon de 8 000 individus environ. Ensuite, au sein des actifs, nousdistinguons les hommes des femmes, les carrières professionnelles différentes de cesdeux groupes créant peut-être une relation différente au revenu du groupe de référence.Les estimations conduisent au même résultat que la régression sur l'échantillon global :le revenu de référence exerce systématiquement une influence positive et significativesur la satisfaction individuelle (26).

Quel est l'ordre de grandeur de cet effet ? Le calcul des effets marginaux montre qu'il estloin d'être négligeable. Les effets marginaux mesurent l'effet d'un accroissement de lavariable explicative d'un montant d'un écart-type, sur la probabilité de se déclarer satis-fait. Ils répondent à la question « de combien augmente la probabilité de se déclarer satis-fait lorsque telle variable exogène augmente d'un écart-type ? ». Une variation du revenude référence exerce à peu près deux tiers de l'effet d'une variation du revenu individuelpropre, et presque la moitié de l'effet d'une hausse du revenu du ménage (tableau 5.b).Le revenu du ménage a en effet davantage d'influence marginale sur la satisfaction quecelui de l'individu. Le revenu de référence a davantage d'impact que le revenu individuelretardé ou résiduel.

Tableau 5.b

Taux de substitution entre les variables financières Estimation de la satisfaction suivant un probit ordonné

Ratio (effets marginaux*écart-type) des variables (%)

Revenu de référence/dépenses du ménage 57Revenu de référence/revenu du ménage 66Revenu de référence/revenu individuel 69Revenu de référence /revenu individuel retardé 123Revenu de référence / revenu individuel résiduel 145

Revenu individuel/dépenses du ménage 55Dépenses du ménage/ revenu du ménage 121Revenu individuel/ revenu du ménage 40

Calculés à partir des régressions du tableau 4.a. Les effets marginaux représentent l'effet d'une augmentationd'une variable explicative d'un écart-type sur la probabilité de se déclarer « satisfait ».

Si l'on distingue, à la Mundlak, les effets inter-individuels des effets intra-individuels, onobserve que le revenu de référence exerce une influence plus importante en variationqu'en niveau (tableau 5.c). L'ordre de grandeur de cet effet est encore plus important :une augmentation d'un écart-type du revenu de référence exerce, en variation intra-indi-viduelle, une influence aussi importante qu'une augmentation du revenu propre, indivi-duel ou familial. L'ordre de grandeur de l'effet inter-individuel est deux fois plus faible(tableau 5.d). Ces résultats sont conformes à l'idée selon laquelle c'est l'information véhi-culée par le revenu de référence qui affecte la satisfaction individuelle : il y a en effetdavantage d'information dans la variation du revenu de référence que dans son niveaumoyen.

(26) Le coefficient du revenu de référence est 0,235 (0,042) pour l'ensemble des actifs, 0,266 (0,063) pour leshommes actifs, et 0,212 (0,068) pour les femmes actives, en contrôlant pour le revenu individuel retardé. L'intro-duction d'autres contrôles ne modifie pas l'ordre de grandeur du coefficient.

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Tableau 5.c

Distinction entre les effets inter et intra-individuelsEstimation de la satisfaction suivant un probit ordonné

(1) (2) (3) (4)

EFFETS INTRA-INDIVIDUELS

Revenu de référence 0,294*** 0,245*** 0,225*** 0,224***(0,057) (0,055) (0,059) (0,061)

Revenu individual retardé 0,006(0,020)

Revenu individual résiduel 0,111*** 0,092*** 0,071***(0,019) (0,019) (0,021)

Dépenses du ménage 0,141***(0,021)

Revenu du ménage 0,122***(0,022)

EFFETS INTER-INDIVIDUELS

Revenu de référence 0,338*** 0,194*** 0,185*** 0,187*** (0,031) (0,032) (0,033) (0,041)

Revenu individual retardé 0,215***(0,027)

Revenu individual résiduel 0,192*** 0,102*** 0,066**(0,026) (0,026) (0,027)

Dépenses du ménage 0,328***(0,029)

Revenu du ménage 0,360***(0,027)

Nb. Observations 13 462 13 462 13 434 10 401Pseudo R2 0,04 0,05 0,05 0,05Log Vraisemblance – 16 848 – 16 668 – 16 630 – 12 954

Contrôles : âge, statut marital, taille du foyer, langue maternelle, croyance religieuse, sexe, région, vague, santésubjective. Correction de l'auto-corrélation des résidus des observations relatives au même individu. Les esti-mations sont pondérées par l'inverse de la probabilité de demeurer dans l'échantillon à toutes les vagues.Écarts-types estimés avec une procédure de bootstrap (1 000 replications). Prob > Wald chi2 = 0,0000 pourtoutes les spécifications, * significatif à 10 %, ** significatif à 5 %, *** significatif à 1 % .

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Tableau 5.d

Taux de substitution entre les variables financièresEstimation de la satisfaction suivant un probit ordonné

Distinction entre effets inter et intra-individuels

Ratio des (effets marginaux*écart-type) variables (%)

Revenu de référence /autres catégories, effets inter-individuelsRevenu de référence / revenu individual résiduel 135Revenu de référence / dépenses du ménage 38Revenu de référence / revenu du ménage 41Revenu de référence / revenu individuel 46Revenu de référence / revenu individuel retardé 52Revenu de référence /autres catégories, effets intra-individuelsRevenu de référence / revenu individual résiduel 161Revenu de référence / dépenses du ménage 86Revenu de référence / revenu du ménage 93Revenu de référence / revenu individuel 84Revenu de référence / revenu individuel retardé 2 221Comparaison des catégories de revenuRevenu individuel / dépenses du ménage, effets inter-individuels 45Revenu individuel / dépenses du ménage, effets intra-individuels 73Revenu individuel / revenu du ménage, effets inter-individuels 32Revenu individuel / revenu du ménage, effets intra-individuels 59Dépenses du ménage / revenu du ménage, effets inter-individuels 106Dépenses du ménage / revenu du ménage, effets intra-individuels 106Ratio des effets intra/inter-individuelsRevenu de référence 57Revenu individual résiduel 48Revenu individual 41Revenu individual retardé 2Dépenses du ménage 36Revenu du ménage 34

Calculés à partir des régressions du tableau 5.c. Les effets marginaux représentent l'effet d'une augmentationd'une variable explicative d'un écart-type sur la probabilité de se déclarer « satisfait ».

Ces résultats sont tout à fait inhabituels comme l'a montré la section I.C. Avec la mêmeméthode, Clark et Oswald (1996) observent une relation négative entre revenu de référenceet satisfaction dans le travail sur données anglaises ; leurs tests montrent même qu'on nepeut exclure l'hypothèse selon laquelle les coefficients associés au revenu propre et aurevenu de référence sont égaux et de signe opposé, ce qui signifie que l'utilité du revenuest totalement relative. Comme Clark and Oswald (1996) réalisent leurs estimations encoupe transversale, nous estimons également notre équation de satisfaction séparémentpour chaque vague, ce qui ne modifie pas le résultat (27). Notons que l'effet mis en évi-dence par Clark et Oswald concerne la satisfaction dans le travail et relativement au salaire,et non la satisfaction générale (28).

Nous pensons que l'originalité de notre résultat est liée au contexte d'incertitude de latransition russe qui confère une valeur particulièrement importante à l'information, c'est-à-dire au contenu informationnel véhiculé par le groupe de référence. Selon cette inter-prétation, l'effet mis en évidence devrait être plus important pour les jeunes que pour lesvieux, les premiers ayant davantage de temps et d'occasions de réaliser le potentiel révélépar l'information acquise à travers le revenu de référence. De fait (tableau 5.e), le revenude référence exerce un impact plus grand sur la satisfaction des individus de moins de40 ans : en contrôlant pour le revenu de référence et l'âge, l'interaction entre ces deux

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(27) Le coefficient du revenu de référence est 0,320 (0,062) pour la vague 5, 0,408 (0,068) pour la vague 6, 0,298(0,065) pour la vague 7,0,348 (0,073) pour la vague 8 et 0,361 (0,049) pour la vague 9.(28) On peut concevoir que le revenu de référence réduise la satisfaction dans le travail et accroisse la satisfac-tion générale si la première reflète un jugement sur la situation courante de l'individu, alors que la secondeintègre un élément d'anticipation de l'avenir.

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variables (revenu de référence*âge inférieur à 40 ans) attire un signe positif et significatif(colonne 1), ce qui signifie que la pente de la relation entre revenu de référence et satis-faction est plus forte pour les jeunes gens que pour la population en moyenne. À l'inverse,la pente est moins forte pour les individus âgés de plus de 40 ans (colonne 2).

Tableau 5.e

L'influence du revenu de référence est plus forte pour les individus de moins de 40 ans

(1) (2)

Revenu de référence* âge < 40 ans 0,019**(0,009) – 0,016**

Revenu de référence* âge > 40 ans (0,008)

Nombre d'observations 8 675 8 645Pseudo R2 0,028 0,028Log vraisemblance – 11 031 – 10 995

Contrôles : revenu, de référence, âge, statut marital, taille du foyer, langue maternelle, croyance religieuse, sexe,région, vague, santé subjective. Correction de l'auto-corrélation des résidus des observations relatives au mêmeindividu. Les estimations sont pondérées par l'inverse de la probabilité de demeurer dans l'échantillon à toutesles vagues. Ecarts-types estimés avec une procédure de bootstrap (1 000 replications). Prob>Wald chi2 = 0,0000pour les deux spécifications, * significatif à 10 %, ** significatif à 5 %, *** significatif à 1 %.

Mobilité individuelle et revenu de référence

De manière à vérifier la nature cognitive du revenu de référence, et à éliminer des inter-prétations alternatives qui seraient observationnellement équivalentes à notre premierrésultat, nous procédons à des tests complémentaires.

Il se pourrait, par exemple, que le revenu du groupe de référence joue non pas en tantqu'information sur les perspectives des individus, mais en tant que sentiment de domina-tion sociale, un rang plus élevé dans la société étant lié à une satisfaction accrue. Il s'agi-rait donc d'un effet de revenu relatif particulier, l'individu comparant non pas son revenuà celui de son groupe de référence, mais plutôt le revenu de son groupe à celui des autresgroupes. Pour explorer cette conjecture, nous introduisons successivement dans larégression l'évaluation subjective par l'individu de son rang économique, de son rang enterme de pouvoir, et en terme de respect (sur une échelle de 1 à 9), ainsi que son décilede revenu objectif. Nous vérifions que l'effet du groupe de référence joue encore demanière significative dans toutes ces spécifications de l'équation de satisfaction (29).Ainsi, c'est bien en tant qu'information que le revenu du groupe de référence influence lebien-être.

Nous vérifions également, en partitionnant l'échantillon en deux groupes, que le revenude référence conserve son influence positive sur le bien-être aussi bien pour les individusdont le revenu propre augmente que pour les autres, et ceci que l'on contrôle ou nonpour les anticipations de revenu passées (30). De même, le coefficient du revenu de référencereste positif et significatif, que les individus appartenant à un groupe de référence enascension ou en déclin. Ces résultats excluent l'idée selon laquelle l'effet du revenu deréférence serait « dominé » par les individus en ascension, heureux de cette avance parrapport à leur groupe de référence. Ils excluent également l'interprétation selon laquellel'effet serait dominé par la tendance à la baisse du revenu moyen et de la satisfactionmoyenne, jusqu'en 1998 (Tableau 5.f).

37

(29) Le coefficient associé au revenu de référence est respectivement de 0,209 (0,024), 0,257 (0,023), 0,255(0,025), 0,198 (0,024) et 0,136 (0,040) lorsque l'on inclut, dans des régressions successives et séparées, le rangéconomique subjectif, le décile de revenu objectif, le rang de respect subjectif et le rang de pouvoir subjectif.(30) Comme l'augmentation du revenu pourrait être endogène à la satisfaction, nous instrumentons cettevariable par sa probabilité, c'est-à-dire la probabilité que le revenu ait augmenté entre deux périodes, estimée àl'aide d'un modèle de probit, puis nous divisons la population en deux groupes, selon que cette probabilité estsupérieure ou inférieure à 0,5.

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Le coefficient associé au revenu de référence est donc positif et significatif, aussi bienpour les individus en ascension qu'en déclin. La symétrie de cet « effet tunnel », qui dansl'article d'Hirschman est plus particulièrement associé aux agents en recul relatif, reflètele caractère particulièrement chaotique de l'environnement russe. La plupart des indivi-dus, même ceux qui s'enrichissent, doutent de leurs perspectives futures et de la valorisa-tion de leurs talents spécifiques au sein d'une économie changeante. Ravallion and Lok-shin (2000) ont montré que 63 % des individus appartenant au décile de consommation leplus élevé se déclaraient en faveur de la restriction du revenu des riches : il s'agit de gensqui s'attendent à voir leur situation matérielle se dégrader dans l'année à venir. Nospropres calculs montrent qu'en moyenne sur la période, environ 28 % des individussitués sur le décile de revenu le plus élevé s'attendent à une détérioration de leur situa-tion matérielle dans les 12 mois à venir. L'incertitude sur l'avenir est donc présente ausommet de la hiérarchie des revenus et non uniquement à sa base. L'observation du sortde leurs pairs fournit alors aux agents une information sur l'évolution de la demande rela-tive adressée à leurs compétences particulières. Ainsi, les individus dont le revenu a aug-menté interpréteraient la hausse de leur revenu de référence comme le signe d'un fonde-ment objectif de leur propre progrès ; à l'inverse, ils percevraient le déclin de leur revenu deréférence comme une menace.

Tableau 5.f

La symétrie de l'effet tunnelEstimation de la satisfaction individuelle à l'aide d'un probit ordonné

Revenu individuel : Revenu de référence :

En hausse En baisse En hausse En baisse

(1) (2) (3) (4)

Revenu de référence 0,337*** 0,363*** 0,425*** 0,331***(0,029) (0,046 ) (0,046 ) (0,045)

Nb. Observations 7 666 5 796 4 676 6 090Pseudo R2 0,04 0,05 0,05 0,05Log vraisemblance – 9 621 – 7 185 – 5 840 – 7 608

La colonne (1) (resp. (2)) présente la régression de la satisfaction individuelle sur le sous-échantillon des indivi-dus dont le revenu a augmenté (resp. baissé) depuis la période précédente avec une probabilité supérieure(resp. inférieure) à 0,5. La colonne (3) (resp. 4) présente la régression de la satisfaction individuelle sur le sous-échantillon des individus dont le revenu de référence a augmenté (resp. baissé) depuis la période précédente.Contrôles : revenu de référence, âge, statut marital, taille du foyer, langue maternelle, croyance religieuse, sexe,région, vague, santé subjective. Correction de l'auto-corrélation des résidus des observations relatives au mêmeindividu. Les estimations sont pondérées par l'inverse de la probabilité de demeurer dans l'échantillon à toutesles vagues. Ecarts-types estimés avec une procédure de bootstrap (1 000 replications). Prob > Wald chi2 = 0,0000 pour les deux spécifications, * significatif à 10 %, ** significatif à 5 %, *** significatif à 1 %.

Une autre interprétation, proche de la précédente, serait que l'influence positive du revenude référence reflète uniquement l'effet du revenu propre de l'individu car les deux catégo-ries varient de la même manière. Afin de tester cette hypothèse, nous vérifions que l'effetdu revenu de référence est maintenu quelle que soit la situation relative de l'individu,c'est-à-dire que la variation de son propre revenu individuel et de son revenu de référencecoïncide ou non (tableau 5.g). Nous écartons ainsi l'hypothèse selon laquelle le revenu deréférence ne serait qu'un instrument du revenu individuel.

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Tableau 5.g

Le revenu de référence n'est pas un instrument du revenu individuel

(1) (2) (3) (4)

Revenu individual En hausse En hausse En baisse En baisseRevenu de référence En hausse En baisse En hausse En baisseRevenu de référence 0,415*** 0,402*** 0,546*** 0,305***

(0,057) (0,085) (0,081) (0,060)Nb. Observations 3 141 1 829 1 535 4 261PseudoR2 0,05 0,05 0,07 0,04Log vraisemblance – 3 941 – 2 289 – 1 871 – 5 295

La colonne (1) présente la régression de la satisfaction individuelle sur le sous-échantillon des individus dont lerevenu a augmenté depuis la période précédente avec une probabilité supérieure à 0,5, et dont le revenu deréférence a également augmenté.Contrôles : revenu de référence, âge, statut marital, taille du foyer, langue maternelle, croyance religieuse, sexe,région, vague, santé subjective. Correction de l'auto-corrélation des résidus des observations relatives au mêmeindividu. Les estimations sont pondérées par l'inverse de la probabilité de demeurer dans l'échantillon à toutesles vagues. Ecarts-types estimés avec une procédure de bootstrap (1 000 replications). Prob>Wald chi2 = 0,0000pour les deux spécifications, * significatif à 10 %, ** significatif à 5 %, *** significatif à 1 %.

Un approfondissement du rôle de l'incertitude et de l'information

Nous incluons à présent des variables qui représentent l'incertitude et la volatilité àlaquelle les individus sont confrontés. Tout d'abord, nous calculons la variance du revenuindividuel au cours de la période. Nous divisons ensuite l'échantillon en deux groupesd'individus selon que la variance de leur revenu est inférieure ou supérieure à la moyenne.L'estimation de la fonction de bien-être séparément sur les deux groupes montre (tableau5.h, colonnes 1 et 2) que le coefficient du revenu de référence n'est significatif que pourles individus confrontés à une forte volatilité, c'est-à-dire dont le revenu est plus imprévi-sible. Ce résultat va dans le sens d'une interprétation du revenu de référence comme outilde prévision. Nous vérifions également que la substituabilité entre revenu de référence etanticipations de revenu est plus forte pour le groupe dont la volatilité est plus grande.

Comme autre mesure de l'incertitude, nous utilisons la question « Êtes-vous inquiets àl'idée de ne pouvoir vous procurer les biens de première nécessité dans les 12 mois àvenir ? ». Nous partitionnons l'échantillon en deux groupes suivant que les individus sedisent inquiets ou non (en regroupant les réponses en deux catégories). Nous observons(Tableau 5.h, colonnes 3 et 4) que le revenu de référence exerce un effet positif chez lesindividus qui répondent affirmativement à la question mais non chez les autres. De lamême manière, le revenu de référence influence exclusivement le bien-être des individusqui se disent « inquiets de perdre leur emploi » (Tableau 5.h, colonnes 5 et 6). Ainsi, lesindividus en situation de forte incertitude utilisent le revenu de référence comme sourced'information sur leurs perspectives futures ; ceux pour lesquels l'incertitude est moinsgrande n'ont pas besoin de cette information.

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Tableau 5.h

Revenu de référence et volatilité du revenu individuelEstimation de la satisfaction individuelle à l'aide d'un probit ordonné

Peur de ne pouvoirVolatilité du revenu vous procurer les biens

Peur de perdre

de première nécessité ?votre emploi ?

(1) (2) (3) (4) (5) (6)

Faible Forte Non Oui Non Oui

Revenu de référence 0,094 0,176*** 0,150 0,127** 0,083 0,298***(0,057) (0,064 ) (0,112) (0,048) (0,055 ) (0,071)

Nb. Observations 3 002 2 798 1 119 4 665 3 637 2 125Pseudo R2 0,06 0,07 0,04 0,06 0,07 0,05Log vraisemblance – 3 707 – 3 423 – 1 379 – 5 588 – 4 365 – 2 688

La colonne (1) (resp. 2) présente la régression sur le sous-échantillon des individus dont la variance du revenudans le temps est supérieure (resp. inférieure) à la moyenne.Contrôles : revenu de référence, âge, statut marital, taille du foyer, langue maternelle, croyance religieuse, sexe,région, vague, santé subjective. Correction de l'auto-corrélation des résidus des observations relatives au mêmeindividu. Les estimations sont pondérées par l'inverse de la probabilité de demeurer dans l'échantillon à toutesles vagues. Écarts-types estimés avec une procédure de bootstrap (1 000 replications). Prob > Wald chi2 = 0,0000pour toutes les spécifications, * significatif à 10 %, ** significatif à 5 %, *** significatif à 1 %.

Cet ensemble de résultats suggère que dans le contexte russe, le revenu du groupe deréférence est utilisé avant tout comme une catégorie cognitive utile à la formation desanticipations des individus concernant leurs revenus futurs. Nous avons vérifié que l'effetétait maintenu pour le sous-échantillon des individus qui anticipaient correctement l'évo-lution future de leur revenu. Enfin, le rôle informationnel joué par le revenu de référenceest illustré par l'observation suivante : lorsque les anticipations de revenu sont introduitesdans la régression, elles réduisent le pouvoir explicatif du revenu de référence, en parti-culier pour les individus dont le revenu personnel diminue (l'intervalle de confiance aug-mente au point de changer le niveau de significativité). Les deux variables sont de mêmenature puisqu'elles sont partiellement substituts. Nous vérifions par ailleurs que les anti-cipations de revenu sont positivement corrélées avec le revenu de référence del'individu (31). L'analyse des indices d'inégalités vient étayer cette vision cognitive de laperception du revenu d'autrui.

Inégalité et bien-être

L'introduction des indices d'inégalité dans l'estimation du bien-être individuel vient àl'appui de l'interprétation cognitive à la Hirschman : en effet, de même que dans l'articled'Alesina et al. (2001), l'inégalité ne semble pas affecter le bien-être individuel, et ce mal-gré le poids de l'idéologie égalitariste héritée du passé soviétique (Suhrcke, 2001).

Les indices d'inégalité, de Gini ou de Stark, n'influencent pas significativement le bien-être, quelle que soit la spécification et les contrôles retenus (tableau 6). Cette observationpourrait être attribuée au fait que les individus ignorent la répartition du revenu qui nepeut donc les affecter. Nous introduisons donc des indices de Gini et de Stark calculés auniveau de la région (suivant le découpage en 8 régions tel que dans le tableau 4) et nonplus du pays, suivant l'idée que les individus ont certainement une meilleure connaissancedes revenus locaux. Les résultats restent les mêmes : les indices d'inégalité régionauxsont insignifiants (voir Senik, 2002). Enfin, nous calculons ces indicateurs au niveau desUnités Primaires d'Enquête, en supposant que ces dernières représentent un niveau plus

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(31) Lorsque l'on régresse les anticipations de revenu (5 modalités) à l'aide d'un probit ordonné, le coefficientdu revenu de référence est 0,081, avec un écart-type (estimé à l'aide d'un bootstrap) de 0,027 ce qui correspondà un niveau de confiance de 0,002.

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pertinent de perception des inégalités. Les indices de Gini restent insignifiants (tableau 6)ainsi que les indicateurs STARKH. Seuls les indicateurs STARKL, qui mesurent l'écartmoyen entre le revenu de l'individu i et ceux des individus plus pauvres attirent un coeffi-cient positif et significatif, cette variable étant statistiquement un substitut du rang écono-mique de l'agent (colonne 4).

Pourtant, les agents semblent avoir une perception juste de leur place dans la répartitiondu revenu. Lorsqu'on leur demande de se situer sur une échelle de 1 à 9 en terme de rangéconomique (« Imaginez une échelle à 9 degrés sur laquelle, au premier échelon, en bas,se situent les gens les plus pauvres, tandis que sur l'échelon le plus élevé, le neuvième,se tiennent les gens les plus riches. Sur quel échelon vous situez-vous aujourd'hui ? »)leur réponse est significativement corrélée avec leur position effective dans l'échelle desrevenus, mesurée par leur décile de revenu individuel ou leur indice de STARKH (Senik,2002). Ainsi, si l'inégalité n'influence pas la satisfaction, ce n'est pas parce que les agentsn'en ont pas conscience.

La conjecture d'Hirschman selon laquelle le revenu d'autrui m'affecte à travers l'informa-tion qu'il recèle peut ici encore être mobilisée afin d'expliquer ce résultat. La valeur infor-mationnelle de la répartition statique, instantanée, des revenus est faible lorsque cettedernière est perçue comme extrêmement changeante. Cela explique pourquoi elle n'af-fecte pas les agents. Ce résultat rejoint celui d'Alesina et al. (2001b) qui, à l'aide d'uneméthode similaire (voir section I.D), montrent que les indices de Gini affectent la satisfac-tion des Européens mais non des Américains (32). La perception de l'inégalité statique estdominée par la perspective de mobilité, lorsque celle-ci est perçue comme importante etaccessible.

Tableau 6

Les indices d'inégalité n'affectent pas la satisfaction individuelleEstimations de la satisfaction à l'aide d'un probit ordonné

(1) (2) (3) (4)

GINI 0,069(0,240)

STARKH 0,000(0,000)

STARKL 0,003*** 0,002*(0,001) (0,001)

Nb. Observations 10 439 10 439 10 439 10 294Pseudo R2 0,06 0,06 0,06 0,1Log vraisemblance – 12 883 – 12 883 – 12 876 – 12 081

Les indices de Gini et Stark sont calculé au niveau des Unités Primaires de Recensement sur la base des revenusdu ménage. Les résultats sont identiques lorsque l'on introduit le revenu du ménage, le revenu individuel retardéou d'autres contrôles. Dans la colonne (4) le rang économique subjectif est introduit dans la régression.Contrôles : revenu de référence, âge, statut marital, taille du foyer, langue maternelle, croyance religieuse, sexe,région, vague, santé subjective. Correction de l'auto-corrélation des résidus des observations relatives au mêmeindividu. Les estimations sont pondérées par l'inverse de la probabilité de demeurer dans l'échantillon à toutesles vagues. Écarts-types estimés avec une procédure de bootstrap (1 000 replications). Prob > Wald chi2 = 0,0000pour toutes les spécifications, * significatif à 10 %, ** significatif à 5 %, *** significatif à 1 %.

(32) Corneo and Grimer (2001), à partir des opinions relatives à la redistribution contenues dans les donnéesISSP, observent également une aversion aux inégalités particulièrement faible aux États-Unis.

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CONCLUSION GÉNÉRALE

Ainsi, bien que la fonction de bien-être estimée sur les données russes témoigne de pro-priétés habituelles en ce qui concerne l'influence des variables socio-démographiques,elle révèle une influence positive du revenu du groupe de référence, résultat inhabituelqui contredit l'hypothèse du revenu relatif fondé sur un effet de comparaison. L'influencepositive du revenu de référence est d'autant plus marquée que les individus sont en situa-tion d'incertitude et d'inquiétude vis-à-vis de leurs perspectives matérielles. Elle concernetout autant les individus en ascension personnelle que ceux dont le revenu connaît undéclin, ce qui constitue une sorte d'extension de « l'effet tunnel » à la Hirschman. Autreobservation étonnante, malgré l'exceptionnelle augmentation des inégalités de revenudepuis le début de la période étudiée, la satisfaction individuelle ne semble pas affectéepar les indicateurs d'inégalité statique.

Ces résultats semblent confirmer l'intuition d'Hirschman. Dans le contexte russe de muta-tion économique et de forte incertitude, le revenu d'autrui est appréhendé par les agentsde manière essentiellement cognitive, en tant qu'information et non en tant que norme.Les comparaisons de revenu ont en effet peu d'intérêt dans la mesure où les situationsrelatives sont appelées à se modifier. À l'inverse, toute information permettant de fonderles anticipations des agents revêt une valeur élevée. L'effet cognitif du revenu d'autruidomine donc l'effet de comparaison, celui-ci jouant de manière plus marquée dansd'autres contextes plus stables. De la même manière, l'inégalité des positions affecte peules agents en raison du faible contenu informationnel qu'il véhicule.

Une interprétation plus étroite des résultats, également conforme à l'intuition d'Hirsch-man, pourrait être que les Russes sont optimistes quant à leurs chances de bénéficier dela transformation, ce qui les rend indifférents à la perception de l'inégalité immédiate.Quelle que soit l'interprétation retenue, les résultats témoignent du fait que dans cer-taines situations, les individus ne se livrent pas à des comparaisons sociales fondées surdes effets de domination ou de frustration. La transition russe semble être un cas de« retour aux fondamentaux », au sein duquel les agents ne se soucient que de leur propresort, y compris l'information nécessaire à sa prévision.

De manière plus générale, l'exemple russe illustre le fait que l'appréciation subjective de larépartition des revenus dépend de la mobilité perçue par les individus. Peut-on en inférerque ce sont les perspectives offertes aux individus qui affectent leur bien-être et non larépartition instantanée des positions ? Cette question est clairement porteuse d'implicationsimportantes en matière de politique économique, en particulier concernant les mesures decorrection à apporter aux inégalités. Sans vouloir trancher, notons simplement que la per-ception subjective de la répartition des revenus reste un champ à explorer. L'ensemble destravaux présentés dans cet article a en effet montré que le recours aux données « subjec-tives » pouvait constituer un éclairage complémentaire par rapport aux variables obser-vables et vérifiables habituellement mises à contribution par les économistes.

Les articles recensés ont confirmé l'importance du lien entre revenu et bien-être subjectif.Le revenu propre exerce une influence primordiale sur la satisfaction individuelle, parfoisatténuée par des effets d'adaptation et de comparaison. Le revenu d'autrui, et plus géné-ralement la nature égalitaire de la répartition des revenus affecte le bien-être individuel,essentiellement de manière indirecte, par le biais de la mobilité perçue. Cette dernièredétermine en effet les perspectives de progression de chacun. Les agents peuvent égale-ment être sensibles à la nature égalitaire du processus de mobilité lui-même, auquel casce sont les inégalités dynamiques et non statiques qui influencent le bien-être.

Le lien entre utilité et revenu se trouve à la fois au cœur de l'action économique et aucœur de l'adhésion des individus à la répartition sociale des richesses, celle-ci condition-nant la demande de politiques publiques de redistribution. Cette demande de redistribu-tion est rarement observée ex ante, puisque le fonctionnement concret des mécanismesdémocratiques ne conduit pas à recueillir les suffrages des citoyens sur des mesures iso-lées, mais plutôt sur des ensembles de mesures proposées par les candidats et les partispolitiques. Pour les mêmes raisons, il n'existe pas de moyens de vérifier ex post, la satis-faction des agents suite à telle ou telle mesure de politique redistributive. Autrement dit,dans ce domaine pourtant central au débat de politique économique, la révélation despréférences est difficile. Nous voyons là un exemple du rôle croissant que pourraientjouer les données subjectives dans la recherche économique, à la fois sur le plan théo-rique, en élucidant la formation de l'utilité, et de manière appliquée, en éclairant les choixde politique économique au vu des préférences des citoyens.

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ANNEXES À LA DEUXIÈME PARTIE

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ANNEXE I

ESTIMATION DE LA SATISFACTION À PARTIR DES DONNÉESDE PANEL RLMS VAGUE 5 – VAGUE 9 (1994-2000)

Tableau 4.a

Estimation de la satisfaction sur les variables socio-démographiquesDoubles moindres carrés, effets-fixes (1)

(1) (2)Effets-fixes (within) IV Between IV

Coefficient Écart-type Coefficient Écart-type

Satisfaction en t – 1 (2) 0,065 0,044 0,574*** 0,030Anticipations de revenu en t – 1 (2) – 0,01 0,041 0,077** 0,031Âge – 0,032 0,100 – ,012** 0,005Âge au carré ,000* 0,000 0,000*** 0,000Mauvaise santé ,050 0,116 0,256*** 0,085Santé moyenne ,296** 0,123 0,401*** 0,083Bonne santé ,310** 0,135 0,435*** 0,090Très bonne santé ,420* 0,214 0,498*** 0,145Croyant (dropped) 0,051* 0,028Homme (dropped) 0,037 0,028Années d'éducation – 0,006 0,017 0,001 0,004Langue maternelle russe (dropped) – ,104** 0,036Nord & Nord-Ouest (dropped) 0,004 0,080Centre (dropped) – 0,003 0,068Volga (dropped) – 0,040 0,068Nord Caucase (dropped) – 0,040 0,072Oural (dropped) – 0,028 0,069Sibérie occidentale (dropped) – 0,100 0,072Sibérie orientale (dropped) 0,040 0,076Vague 6Vague 7Vague 8 – 0,222 0,183 – ,271*** 0,055Vague 9Cadres supérieurs – 0,020 0,197 ,414*** 0,142Personnel qualifié 0,045 0,177 ,322*** 0,114Ingénieurs – 0,180 0,169 ,240** 0,114Administratifs – 0,261 0,206 0,163 0,125Salariés des services – 0,177 0,182 ,376*** 0,126Salariés agricoles 0,889 0,588 0,313 0,283Artisans 0,001 0,171 ,234** 0,116Opérateurs et assembleurs 0,043 0,170 0,184 0,115Non qualifiées 0,064 0,166 0,108 0,119Armée – 0,050 0,589 0,305 0,215Marié ,386*** ,146 ,103** ,0511Divorcé – ,036 ,173 ,095 ,068Veuf – ,021 ,184 ,116* ,064Constante 1,830 4,699 0,636*** 0,179Nombre d'observations 5 400 5 400Numbre de groupes 2 994 2 994R2 within 0,025 0,118R2 between 0,001 0,426R2 total 0,003 0,166

(1) La satisfaction en (t – 1) et les anticipations de revenu en (t – 1) sont instrumentées à l'aide des mêmesvariables retardées en (t – 2), et (t – 3).(2) Cela implique de traiter la satisfaction et les anticipations retardées comme des variables continues.Les catégories de référence sont : pour la santé : très mauvaise, pour la région : Moscou, St-Petersbourg, lavague 5, pour le statut marital : célibataire, pour la profession : inactif. * significatif à 10 %, ** significatif à 5 %,*** significatif à 1 %.

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Tableau 4.b

Estimation de la satisfaction sur les variables socio-démographiquesMoindres Carrés Ordinaires, effets-fixes

(1) Effets fixes (2) Effets Between

Coefficient Écart-type Coefficient Écart-type

Âge – ,004 ,033 – ,022*** ,004Âge au carré 0,0003* ,0001 0,0003*** ,00005Mauvaise santé 0,126** ,063 0,236** ,1003Santé moyenne 0,289*** ,066 0,570*** ,093Bonne santé 0,332*** ,071 0,726*** ,099Très bonne santé 0,482*** ,105 0,727*** ,163Croyant (dropped) 0,101*** ,024Homme (dropped) 0,045* ,026Années d'éducation (dropped) – ,080 ,054Langue maternelle russe - ,005 ,007 0,006 ,004Nord & Nord-Ouest (dropped) – ,137** ,067Centre (dropped) – ,115** ,057Volga (dropped) – ,145** ,057Nord Caucase (dropped) – ,192*** ,061Oural (dropped) – ,226*** ,058Sibérie occidentale (dropped) – ,259*** ,061Sibérie orientale (dropped) – ,127* ,065Vague 6 – ,007 ,153 0,230** ,111Vague 7 – ,095 ,123 (dropped)Vague 8 – ,247*** ,064 – ,101 ,109Vague 9 (dropped) 0,184* ,102Cadres supérieurs 0,152 ,095 0,595*** ,162Personnel qualifié 0,095 ,077 0,372*** ,116Ingénieurs 0,114 ,074 0,260** ,117Administratifs 0,043 ,087 0,129 ,125Salariés des services 0,057 ,084 0,162 ,129Salariés agricoles 0,168 ,234 0,482* ,270Artisans 0,139* ,074 0,162 ,118Opérateurs et assembleurs 0,152** ,074 0,183 ,117Non qualifiées 0,066 ,073 0,044 ,119Armée – ,008 ,263 0,328 ,202Marié 0,049 ,069 – ,010 ,046Divorcé – ,157 ,082 – ,151** ,062Veuf – ,071 ,086 – ,163*** ,058Anticipations de revenu retardéesPire – ,062** ,025 ,580*** ,047Identique – ,077*** ,023 ,815*** ,039Meilleur – ,094*** ,034 1,130*** ,054Constante 1,435 1,561 1,263 ,172sigma_u ,783sigma_e ,782Rhô ,500R2 within 0,036 0,002R2 between 0,001 0,264R2 total 0,001 0,094F 12,75 32,73corr(u_i, Xb) – 0,402nb observations 12 949 12 949nb groupes 3 693 3 693

Les catégories de référence sont : pour la santé : très mauvaise, pour la région : Moscou, St-Petersbourg, lavague 5, pour le statut marital : célibataire, pour la profession : inactif. * significatif à 10 %, ** significatif à 5 %,*** significatif à 1 %

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Tableau 4.c

Estimation de la satisfaction sur les variables socio-démographiquesLogit conditionnel, effets fixes (1)

Coefficient Écart-type

Âge ,0141 ,112Âge au carré ,0009** ,00037Mauvaise santé ,0795 ,236Santé moyenne ,537** ,245Bonne santé ,663*** ,255Très bonne santé 1,016*** ,347Années d'éducation – ,0119 ,023Vague 6 (2) ,263 ,519Vague 7 ,006 ,416Vague 8 – ,437** ,216Cadres supérieurs ,323 ,303Personnel qualifié ,0146 ,241Ingénieurs ,116 ,231Administratifs – ,036 ,279Salariés des services – ,0148 ,263Salariés agricoles ,725 ,764Artisans ,208 ,235Opérateurs et assembleurs ,308 ,237Non qualifiées ,0638 ,235Armée – ,556 ,908Marié ,165 ,205Divorcé – ,352 ,264Veuf – ,170 ,273Anticipations de revenu retardées :Pire – ,177** ,084Identique – ,197** ,078Meilleur – ,208** ,106Nb observations 7 011Nb groupes 1 935LR chi2(27) 174,89Log vraisemblance – 2 554

(1) Ce modèle impose d'agréger la satisfaction selon deux catégories. Les catégories de référence sont : pour lasanté : très mauvaise, pour la région : Moscou, St Petersbourg, la vague 5, pour le statut marital : célibataire,pour la profession : inactif. * significatif à 10 %, ** significatif à 5 %, *** significatif à 1 %

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Tableau 5.i

L'influence positive du revenu de référenceEstimation de la satisfaction, Doubles Moindres Carrés

Effets-fixes Effets-fixes Premières PremièresIV IV différences IV différences IV

Revenu de référence ,327*** ,288** ,324*** ,286**(,113) (,112) (,113) (,112)

Revenu résiduel ,0930** ,0639* ,0930** ,0639*(,0377) (,0380) (,0377) (,0381)

Dépenses du ménage ,1422*** ,1421 ***(,0371) (,0371)

Nombre d'observations 4 152 4 152 1 558 1 558Nombre de groupes 2 594 2 594 1 558 1 558R2 : Within 0,0505 0,0703

Between 0,0069 0,0052Overall 0,0045 0,0031 0,0028 0,0015

corr (u_i, Xb) – 0,888 – 0,876 – 0,689 – 0,688Sigma_u 1,876 1,794 1,323 1,322Sigma_e ,778 ,771 1,101 1,090Rhô ,853 ,844 ,591 ,595

La satisfaction en (t – 1) et les anticipations de revenu en (t – 1) sont instrumentées à l'aide des mêmes variablesretardées en (t – 2) et en (t – 3). Cela implique de traiter ces dernières comme des variables continues.Contrôles : âge, âge au carré, statut marital, taille du foyer, langue maternelle, croyance religieuse, sexe, région,vague, santé subjective. Correction de l'auto-corrélation des résidus des observations relatives au même individu.Les estimations sont pondérées par l'inverse de la probabilité de demeurer dans l'échantillon à toutes lesvagues. Ecarts-types estimés avec une procédure de bootstrap (1 000 replications). Prob > Wald chi2 = 0,0000pour toutes les spécifications, * significatif à 10 %, ** significatif à 5 %, *** significatif à 1 % .

Tableau 5.j

L'influence positive du revenu de référenceEstimation de la satisfaction, logit conditionnel, effets-fixes

(1) (2) (3) (4)

Revenu de référence 0,290** ,335** ,258* ,265*(0,144) (,145) (,145) (,146)

Revenu résiduel ,0856**(,0340)

Dépenses du ménage ,394***(,079)

Revenu du ménage ,295***(,071)

Nombre d'observations 3 048 3 048 3 048 3 032Nombre de groupes 939 939 939 935Log vraisemblance – 1 040 – 1 036 – 1 027 – 1 026

L'estimation d'un modèle de logit conditionnel à effets fixes suppose d'agréger la variable de satisfaction endeux catégories.Contrôles : âge, âge au carré, statut marital, taille du foyer, langue maternelle, croyance religieuse, sexe, région,vague, santé subjective. Correction de l'auto-corrélation des résidus des observations relatives au même individu.Les estimations sont pondérées par l'inverse de la probabilité de demeurer dans l'échantillon à toutes lesvagues. Écarts-types estimés avec une procédure de bootstrap (1 000 replications). Prob > Wald chi2 = 0,0000pour toutes les spécifications, * significatif à 10 %, ** significatif à 5 %, *** significatif à 1 %.

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48

ANNEXE II

STATISTIQUES DESCRIPTIVES DU PANEL RLMS

VAGUE 5 - VAGUE 9 (1994-2000)

Tableau 7Les variables subjectives

% Vague 5 Vague 6 Vague 7 Vague 8 Vague 9 Total

Satisfaction dans la vie (1)

Complètement insatisfait 23 29 32 38 24 29Plutôt insatisfait 44 39 38 35 39 39Oui et non 20 21 20 17 22 20Satisfait 13 12 10 10 15 12Total 100 100 100 100 100 100

Anticipations de revenu (2)

Meilleur 25 25 24 33 10 23Comme aujourd'hui 24 22 21 23 16 21Pire 36 41 43 34 55 42Bien pire 14 13 12 10 19 14Total 100 100 100 100 100 100

Peur de ne pouvoir se procurer les biens de base? (3)

Très inquiet 58 59 60 66 51 59Un peu 21 21 21 20 23 21Oui et non 7 8 8 6 10 8Pas trop inquiet 10 9 7 6 11 9Pas inquiet du tout 4 4 3 2 4 4Total 100 100 100 100 100 100

Peur de perdre votre emploi ? (4)

Très inquiet 41 40 41 49 36 41Un peu 19 22 24 21 23 22Oui et non 8 10 9 9 10 9Pas trop inquiet 16 15 13 11 17 15Pas inquiet du tout 17 13 13 9 14 13Total 100 100 100 100 100 100

Certain de retrouver un emploi le cas échéant ? (5)

Absolument certain 12 11 9 8 10 10Plutôt certain 10 12 11 8 16 11Oui et non 11 13 13 11 16 13Plutôt incertain 28 26 28 26 27 27Certain du contraire 39 38 39 46 31 39Total 100 100 100 100 100 100

Évaluation subjective de la santé

Très bonne santé 1 2 1 2 2 2Bonne santé 22 26 27 24 22 24Santé moyenne 60 56 55 55 57 56Mauvaise santé 15 14 15 16 16 15Très mauvaise santé 2 2 2 3 4 2Total 100 100 100 100 100 100

(1) Êtes-vous satisfait de votre vie en ce moment ?(2) « Pensez-vous qu'au cours des 12 prochains mois, vous et votre famille vivrez mieux ou moins bien ? ».(3) « Êtes-vous inquiet à l'idée de ne pouvoir vous procurer les biens de base au cours des 12 prochains mois ? ».(4) « Avez-vous peur de perdre votre emploi ? ».(5) « Êtes-vous certain de retrouver un emploi en cas de licenciement ? ».

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Tableau 7 (suite)

Les variables subjectives

% Vague 5 Vague 6 Vague 7 Vague 8 Vague 9 Total

Rang économique subjectif (6)

1 13 13 14 17 10 142 16 18 17 19 15 173 25 24 23 24 24 244 21 21 20 20 20 205 19 19 20 16 22 196 4 4 4 3 6 47-8-9 2 1 2 1 3 2Total 100 100 100 100 100 100

Rang de pouvoir subjectif (7)

1 34 29 28 32 24 292 18 19 20 21 19 193 18 20 21 20 19 204 14 14 13 12 15 145 11 13 14 11 16 136 3 3 3 2 4 37-8-9 2 1 2 1 3 2Total 100 100 100 100 100 100

Rang de respect subjectif (8)

1 3 2 2 2 2 22 3 2 3 3 2 33 6 7 5 6 5 64 11 13 11 10 10 115 29 27 30 28 25 286 14 16 16 16 17 167-8-9 35 33 34 35 40 35Total 100 100 100 100 100 100

(6) Rang économique : « Imaginez une échelle à 9 niveaux sur laquelle, en bas, au premier échelon, se trouventles gens les plus pauvres, et en haut, au neuvième échelon, les gens les plus riches. Sur quel échelon voussituez-vous aujourd'hui ? ».(7) Rang de pouvoir : « Imaginez une échelle à 9 niveaux sur laquelle, en bas, au premier échelon, se trouventles gens qui n'ont aucun droit, et en haut, au neuvième échelon, les gens qui ont le plus de pouvoir. Sur queléchelon vous situez-vous ? ».(8) Rang de respect : « imaginez une échelle à 9 niveaux sur laquelle, en bas, au premier échelon, se trouvent lesgens qui ne jouissent d'aucun respect, et en haut, au neuvième échelon, les gens qui sont très respectés. Surquel échelon vous situez-vous ? ».

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50

Tableau 8

Les variables de revenu

Nb observations Moyenne Écart-type

Revenu réel du ménage

Vague 5 4 081 8 260 7 550Vague 6 4 081 6 481 6 239Vague 7 4 081 6 219 7 283Vague 8 4 081 4 846 4 944Vague 9 4 081 6 068 7 970

Dépenses réelles du ménage

Vague 5 4 081 10 949 10 275Vague 6 4 081 9 121 9 372Vague 7 4 081 8 156 9 688Vague 8 4 081 6 042 7 200Vague 9 4 081 7 020 8 107

Revenu individuel nominal

Vague 5 3 561 167 904 227 529Vague 6 3 765 314 045 508 328Vague 7 3 757 396 623 769 885Vague 8 4 004 483 768Vague 9 3 986 1 230 1 780

(1) En 1998 (vague 8), tous les prix ont été divisés par 1 000 à la suite d'une réforme monétaire.

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Tableau 9

Caractéristiques socio-démographiques variables

% Vague 5 Vague 6 Vague 7 Vague 8 Vague 9

Statut marital

Célibataire 10 13 14 17 16Marié 72 70 67 64 63Divorcé 7 7 7 6 7Veuf 11 11 12 13 15Total 100 100 100 100 100

Chef de ménage

Homme actif 75 74 73 70 67Femme active 9 9 10 10 10Homme retraité 10 11 11 13 15Femme retraitée 6 6 6 7 8Total 100 100 100 100 100

Emploi principalInactif 46 46 49 52 52Cadres supérieurs 1 2 0 1 3Personnel qualifié 10 8 9 9 9Ingénieurs 8 8 8 8 7Administratifs 4 4 4 3 3Salariés des services 4 4 3 3 4Salariés agricoles 0 0 0 0 0Artisans 10 9 9 7 7Opérateurs et 10 11 10 9 9assembleursNon qualifiées 7 8 7 6 6Armée 0 0 0 0 0Total 100 100 100 100 100

Effectifs totaux 4 087 4 096 4 096 4 094 4 092

Emploi secondaire

Cadres supérieurs 3 22 4 6 8Personnel qualifié 25 19 27 26 26Ingénieurs 16 4 14 10 14Administratifs 3 9 4 2 2Salariés des services 13 18 8 16 13Salariés agricoles 0 0 0 0 2Artisans 12 3 19 16 9Opérateurs et assembleurs 8 26 2 7 5Non qualifiées 21 0 22 17 20Armée 100 100 100 100 100

Effectifs totaux 76 74 83 82 85

Branches

Non indiquée 47 46 49 52 52Energie 1 2 2 1 1Industrie lourde 9 9 8 7 7Industrie légère 5 5 5 4 4Agriculture 8 8 7 6 6Restauration et commerce 7 8 7 7 7Services 6 6 6 5 6Secteur public 13 13 14 13 13Gouvernement 3 3 3 3 3

Total 100 100 100 100 100

51

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52

Tableau 10

Caractéristiques (quasi) invariantes

Min Max

Année de naissance 1902 1985Âge (vague 9) 15 98

Effectifs Pourcentage

Nationalité

Russe 3 038 82CEI 468 13Reste du Monde 192 5

Langue maternelle russe ?

Non 905 22Oui 3 191 78

Localité

Urbaine 2 493 61Rurale 1 588 39

Né en Russie ?

Non 2 097 51Oui 1 984 49

Croyant (vague 9) ?

Non 1 197 29Oui 2 899 71

Orthodoxe ?

Non 1 000 25Oui 3 081 76

Région

Moscou & St-Pétersbourg 155 4Nord & Nord-Ouest 257 6Centre 834 20Volga 893 22Nord Caucase 556 14Oural 674 17Sibérie occidentale 418 10Sibérie orientale 294 7

Genre

Homme 1 676 41Femme 2 420 59

Diplôme (vague 9)

Sans diplôme 34 1Primaire 522 13Primaire professionnel 202 5Secondaire court 492 12Secondaire long 976 24Secondaire + professionnel 475 12Supérieur technique 787 19Université 604 15

Moyenne Écart-type

Taille du ménage 3,23 1,58Années d'études 11 4Années d'expérience 24 15

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