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Réformes structurelles et résilience des marchés du travail en zone euro Yann Thommen * Alors que les réformes structurelles se sont multipliées dans les économies de la zone euro suite à la crise économique mondiale de 2008, leur efficacité fait débat. Cet article propose un bref tour d’horizon des réformes qui ont modifié le fonctionnement du marché du travail, en explicitant leurs objectifs et leurs effets. L’objectif est de savoir si les marchés du travail en zone euro sont armés pour faire face au prochain choc macroéconomique global. « Mirage ». C’est l’apposition employée par l’économiste Dani Rodrik lorsqu’il parle des réformes structurelles dans une note de blog publiée le 8 octobre 2015 1 . Il affirme qu’elles ont de minces effets positifs sur la croissance économique de long terme, alors qu’elles ont quasiment toujours des effets négatifs à court terme. En opposition, Mario Draghi, dans un discours prononcé le 18 octobre 2017 à Francfort 2 , plaide l’efficacité des réformes structurelles, en insistant sur le fait qu’elles permettent une « meilleure résilience des économies de la zone euro ». L’opposition parait binaire et conséquemment intrigante. L’objet de cet article est d’éclairer ce débat à la lumière de quelques statistiques et de la littérature récente sur l’effet des réformes structurelles dans les économies de la zone euro, en mettant l’accent sur les réformes qui concernent le marché du travail. Les implications économiques des réformes structurelles sont bien mieux documentées aujourd’hui qu’il y a dix ans, notamment grâce au terreau fertile mis à disposition des chercheurs en économie par la crise financière et économique mondiale de 2008. En effet, en présence d’une récession économique majeure, sans l’instrument monétaire pour relancer la compétitivité-prix, en pleine crise de la dette couplée à de faibles perspectives de croissance, les possibilités de relance par la demande étaient très réduites. Face à cela, les gouvernements européens ont dû privilégier la 1 The Mirage of Structural Reform, Project Syndicate, le 8 octobre 2015. 2 Lors d’une conférence intitulée « Structural reforms in the euro area ». Le discours est disponible au lien suivant : https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/ 2017 /html /ecb.sp171018.en.html . mise en place de réformes structurelles, dont un nombre important concernait le marché du travail. Pourquoi des réformes structurelles dans la zone euro ? Les réformes structurelles visent à améliorer la capacité des économies à absorber et se remettre rapidement de chocs économiques exogènes. Une économie qui possède cette capacité est une économie résiliente. Plus précisément, l’économie est résiliente si, en cas de choc, elle dévie peu de sa trajectoire de croissance (PIB, emploi, etc.) et y revient rapidement. En zone euro, améliorer la résilience des économies est un des moyens d’achever la quête vers une meilleure stabilisation macroéconomique, autrement dit faciliter la correction des déséquilibres macroéconomiques en cas de choc asymétrique. En effet, la stabilisation est encore loin d’y être une évidence puisque les mécanismes de partage du risque actuels ne permettent de lisser que 30 % des effets des chocs, contre plus de 75 % aux États-Unis ou parmi les Lands allemands (Furceri et Zdzienicka, 2015). Afin de l’améliorer, et en attendant de finaliser l’union bancaire et celle des marchés des capitaux, les dirigeants de la zone euro, Ursula Von der Leyen en tête, ont commencé à mettre en avant la nécessité d’un instrument budgétaire supranational, qui pourrait prendre des formes diverses : un budget commun entre les États de la zone euro finançant des grands projets d’investissements ou bien une assurance chômage européenne qui assurerait le rôle de stabilisateur automatique à l’échelle européenne, entre autres. Ils se basent sur une * Université de Strasbourg, CNRS, BETA UMR 7522, F-67000 Strasbourg, France. 21

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Réformes structurelles et résilience des marchés du travail en zone euro

Yann Thommen*

Alors que les réformes structurelles se sont multipliées dans les économies de la zone eurosuite à la crise économique mondiale de 2008, leur efficacité fait débat. Cet article propose unbref tour d’horizon des réformes qui ont modifié le fonctionnement du marché du travail, enexplicitant leurs objectifs et leurs effets. L’objectif est de savoir si les marchés du travail enzone euro sont armés pour faire face au prochain choc macroéconomique global.

« Mirage ».

C’est l’apposition employée par l’économisteDani Rodrik lorsqu’il parle des réformesstructurelles dans une note de blog publiée le 8octobre 20151. Il affirme qu’elles ont de minceseffets positifs sur la croissance économique delong terme, alors qu’elles ont quasimenttoujours des effets négatifs à court terme. Enopposition, Mario Draghi, dans un discoursprononcé le 18 octobre 2017 à Francfort2, plaidel’efficacité des réformes structurelles, eninsistant sur le fait qu’elles permettent une« meilleure résilience des économies de la zoneeuro ». L’opposition parait binaire etconséquemment intrigante. L’objet de cet articleest d’éclairer ce débat à la lumière de quelquesstatistiques et de la littérature récente sur l’effetdes réformes structurelles dans les économies dela zone euro, en mettant l’accent sur lesréformes qui concernent le marché du travail.

Les implications économiques des réformesstructurelles sont bien mieux documentéesaujourd’hui qu’il y a dix ans, notamment grâceau terreau fertile mis à disposition deschercheurs en économie par la crise financièreet économique mondiale de 2008. En effet, enprésence d’une récession économique majeure,sans l’instrument monétaire pour relancer lacompétitivité-prix, en pleine crise de la dettecouplée à de faibles perspectives de croissance,les possibilités de relance par la demandeétaient très réduites. Face à cela, lesgouvernements européens ont dû privilégier la

1 The Mirage of Structural Reform, Project Syndicate, le8 octobre 2015.2 Lors d’une conférence intitulée « Structural reforms inthe euro area ». Le discours est disponible au liensuivant : https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/ 2017 /html /ecb.sp171018.en.html.

mise en place de réformes structurelles, dont unnombre important concernait le marché dutravail.

Pourquoi des réformes structurelles dans la zone euro ?

Les réformes structurelles visent à améliorer lacapacité des économies à absorber et se remettrerapidement de chocs économiques exogènes.Une économie qui possède cette capacité estune économie résiliente. Plus précisément,l’économie est résiliente si, en cas de choc, elledévie peu de sa trajectoire de croissance (PIB,emploi, etc.) et y revient rapidement.

En zone euro, améliorer la résilience deséconomies est un des moyens d’achever la quêtevers une meilleure stabilisationmacroéconomique, autrement dit faciliter lacorrection des déséquilibres macroéconomiquesen cas de choc asymétrique. En effet, lastabilisation est encore loin d’y être uneévidence puisque les mécanismes de partage durisque actuels ne permettent de lisser que 30 %des effets des chocs, contre plus de 75 % auxÉtats-Unis ou parmi les Lands allemands(Furceri et Zdzienicka, 2015). Afin del’améliorer, et en attendant de finaliser l’unionbancaire et celle des marchés des capitaux, lesdirigeants de la zone euro, Ursula Von derLeyen en tête, ont commencé à mettre en avantla nécessité d’un instrument budgétairesupranational, qui pourrait prendre des formesdiverses : un budget commun entre les États dela zone euro finançant des grands projetsd’investissements ou bien une assurancechômage européenne qui assurerait le rôle destabilisateur automatique à l’échelleeuropéenne, entre autres. Ils se basent sur une

* Université de Strasbourg, CNRS, BETA UMR 7522, F-67000 Strasbourg, France.

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littérature économique grandissante (voirBarbier-Gauchard et Simon, 2019). Ces projetssont ambitieux et a priori efficaces (Clemens etClaveres, 2018). Cependant, l’efficacité de telsinstruments budgétaires pourrait être renforcée,ou bien les attentes placées en eux réduites, siles marchés du travail européens étaientrésilients aux chocs macroéconomiques.

Améliorer leur résilience passe nécessairementpar la réforme de leurs institutions, quimodèlent les interactions entre les agentséconomiques sur les marchés du travail, via deslois, conventions ou normes informelles. Eneffet, plusieurs travaux montrent que desinstitutions du marché du travail (IMT) quidiffèrent entre pays impliquent des évolutionssignificativement différentes des taux dechômage entre ces mêmes pays lorsqu’ils sonttouchés par un choc macroéconomiquesimilaire, par exemple un choc pétrolier(Blanchard et Wolfers, 2000, Bertola et al.,2007, Gnocchi et al., 2015, Murtin et Robin,2018). Cette non-synchronisation des évolutionsdes taux de chômage rend la mission destabilisation poursuivie par un éventuelinstrument budgétaire supranational plusdifficile à remplir. Si les pays de la zone euroadoptaient des combinaisons d’IMT quipermettent de réduire la volatilité de leur taux

de chômage, le travail de stabilisation demandéà l’instrument budgétaire supranational seraitmoindre ; les mêmes objectifs seraient atteintsen utilisant moins de ressources, ou autrementdit, une relance budgétaire d’initiativeeuropéenne porterait plus rapidement ses fruits.

Au-delà de l’intérêt européen pour plus destabilisation, améliorer la résilience des marchésdu travail est un objectif pertinent à suivre parn’importe quel gouvernement. Une meilleurerésilience limite les coûts sociaux de courtterme (en limitant le nombre d’emploisdétruits), tout en améliorant les performances del’économie à moyen terme, en réduisant lerisque d’une augmentation du chômagestructurel via le phénomène d’hystérèse. Eneffet, un taux de chômage conjoncturel tropélevé et qui dure dans le temps implique ladévalorisation des compétences de la main-d’œuvre, entraînant une perte de capital humain,tout en renforçant le pouvoir de négociation desinsiders (salariés en contrat permanent). Cesderniers conforteront leur position via demeilleurs salaires et une meilleure sécurité del’emploi, rendant l’embauche des outsiders(sans-emploi ou salariés en contrat temporaire)peu attractive pour les employeurs ; lesphénomènes d’abord conjoncturels setransforment en facteurs structurels (Blanchard

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Tableau 1 : Taxonomie des déterminants de la résilience économique.

Absorption RedressementSecteur financier

Mécanismes de transmission de la politique monétaire fonctionnels, secteurbancaire sain, marchés des capitaux intégrés permettant la diversification desactifs et le partage des risques.

Procédures de résolution efficace et rapide des problèmes des banques en difficulté mais viables et des créances douteuses.

Marché des biens et services

Flexibilité des prix, possibilité pour les entreprises de diversifier les risques (par exemple, en augmentant les exportationslorsque la demande intérieure faiblit).

Réglementation commerciale, concurrence sur le marché intérieur, procédures d’insolvabilité.

Marché du travail

Salaires et heures de travail flexibles, mécanismes de négociations (collectives) fonctionnant bien.

Bon fonctionnement et coordination des institutions du marché du travail, capital humain élevé, réallocation de main-d’œuvre vers des entreprises/secteurs plus productifs (par exemple,via des politiques actives du marché du travail), mobilité de la main-d’œuvre et portabilité des droits sociaux liés au travail.

Secteur public Stabilisateurs automatiques adéquats et marge de manœuvre budgétaire, systèmede sécurité social bien ciblé et soutenable financièrement.

Affectation des dépenses publiques favorable à lacroissance économique.

Fiscalité Les différences et la complexité del’imposition des sociétés font qu’il estdifficile pour les entreprises dediversifier les risques par des activitéstransfrontalières.

Régime fiscal favorable à l’offre de travail.

Source : Adapté de Giudice et al. (2018).

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et Summers, 1986) et diminuent les perspectivesde croissance.

Des marchés du travail résilients semblent doncêtre une condition sine qua non à la stabilisationmacroéconomique nationale et européenne. Laquestion évidente à ce stade est donc lasuivante : quel est le niveau de résilience desmarchés du travail en zone euro ? Avant d’yrépondre, il est utile de faire un tour d’horizonde l’ensemble des facteurs de résilience d’uneéconomie, qui ne se limitent pas qu’au marchédu travail.

Les facteurs de résilience d’une économie

Bien que le fonctionnement du marché dutravail joue un rôle prépondérant dans larésilience d’une économie, d’autres panspeuvent être réformés pour améliorer cettedernière. Cette section en fait un inventaire.Cependant, il ne s’agit pas d’une énumérationhétéroclite à la Prévert, puisque les différentsdéterminants de la résilience économiquepeuvent avoir des influences réciproques ;certaines politiques publiques visant à limiterl’ampleur des récessions économiques réduisentla croissance et l’emploi à long terme (Sanchezet al. 2016).

Giudice et al. (2018) proposent une taxonomiedes facteurs pouvant affecter la résilience, etcatégorisent ceux permettant une meilleureabsorption et ceux permettant un meilleurredressement. Le tableau 1 présente cettetaxonomie pour 5 domaines : le secteurfinancier, le marché des biens et services, lemarché du travail, le secteur public et lafiscalité. La capacité d’absorption s’observe parla capacité à amortir directement un choc enminimisant immédiatement la baisse du niveaud’activité et le nombre d’emplois détruits. Lacapacité de redressement s’observe à la duréede persistance d’un choc, qui reflète la rapiditéavec laquelle une économie retrouve son niveaud’activité d’avant le choc.

Jolles et al. (2018) ont testé économétriquementune partie des caractéristiques structurellesregroupées dans le tableau 1, afin de savoirlesquelles sont les plus déterminantes pour larésilience économique des pays membres de lazone euro. Leurs résultats suggèrent que lesfacteurs qui permettent un fonctionnementfluide des marchés – libre entrée, flexibilité desprix, etc. – sont essentiels pour se remettre

rapidement de chocs exogènes. Par exemple,favoriser la création d’entreprises via desfacilités administratives permet de mieuxabsorber les chocs, alors que contrôler les prixralentit le processus de redressement. Un niveaud’encours de créances douteuses trop importantet un faible niveau de concurrence dans lesecteur bancaire affectent négativement lacapacité d’absorption et de redressement d’uneéconomie. L’ouverture économique, elle,semble ne pas avoir le même impact sur lacapacité d’absorption et sur la capacité deredressement en cas de choc macroéconomiquecommun : un fort degré d’ouverture aucommerce international affaiblit la capacitéd’absorption, car les marchés étrangers sontégalement affectés par le choc commun, mais ilpeut permettre une reprise plus rapide lorsque lechoc s’estompe, surtout s’il s’estompe plusrapidement dans certains marchés étrangers.

Concernant le marché du travail, sa flexibilitésemble jouer un rôle important dans larésilience économique. C’est ce que montrentDuval et Vogel (2008), qui à partir d’uneinvestigation empirique sur un panel de 20 paysde l’OCDE pendant la période 1982-2003distinguent trois groupes de pays relativement àleur organisation institutionnelle et à laperformance de leur marché bancaire : (1) lespays anglophones, qui ont des marchés dutravail et des biens flexibles ainsi que desmarchés des emprunts hypothécairesdéveloppés, font preuve d’un redressementrapide suite à un choc, mais avec une volatilitéde l’écart de production élevé ; (2) les pays depetite taille, ayant une réglementation modéréedes marchés du travail et de produits et desmarchés des emprunts hypothécairesdéveloppés, présentent une économie résilienteen termes d’absorption et de redressement ; (3)les pays d’Europe continentale où laréglementation du marché du travail et des biensest rigoureuse et où le marché des empruntshypothécaires est moins développé, ont deséconomies moins résilientes.

La résilience des marchés du travail en zone euro

Le leitmotiv des réformes structurelles en zoneeuro est donc l’amélioration de la résilience desmarchés du travail. Il est lui-même motivé parl’expérience de certains marchés du travail lorsde la crise économique mondiale de 2008, qui

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ont montré une capacité de résilience très faiblecomparativement à certains de leurs voisins.

Le graphique 1 met en exergue lescapacités de résilience des marchésdu travail européens en montrantl’évolution de la croissance du tauxd’emploi. Se focaliser surl’indicateur de croissance permetd’observer aisément si uneéconomie est capable de revenirrapidement sur sa dynamiqued’avant crise. Cette capacité peuts’évaluer en 2007-2008 et durantles années qui suivent, puisquec’est à ce moment-là que leséconomies ont été touchées par unchoc économique exogènecommun. On observe que lacroissance moyenne3 du tauxd’emploi chute fortement, jusqu’àdevenir négative (− 3,6 %) en2009. En parallèle, la dispersiondes variations des taux d’emploientre les pays membres de la zoneeuro augmente considérablement,atteignant un écart-type de 4 pointsde pourcentages en 2009. Cesévolutions témoignent dedynamiques divergentes desmarchés du travail européens enpériode de récession : la baisse dutaux d’emploi est bien plusprononcée dans certains pays quedans d’autres. La capacitéd’absorption, première composante d’un marchédu travail résilient, est loin d’être similaireparmi l’ensemble des économies de la zoneeuro : l’Irlande, la Lettonie, l’Estonie, la Grèceou encore l’Espagne ont subi une fortedécroissance du taux d’emploi dès 2008, ce quin’a pas été le cas en Allemagne, en Autriche, auLuxembourg ou aux Pays-Bas. Concernant ladeuxième composante, la capacité deredressement, les divergences sont également demise. En effet, alors qu’en moyenne ladécroissance du taux d’emploi commence àralentir dès 2010, pour se transformer encroissance positive en 2011, la dispersiondiminue dans un premier temps, pour ensuiteaugmenter. Ce comportement indique que leretour au taux d’emploi d’équilibre ne se faitpas de manière uniforme dans tous les pays : leredressement a été significativement plus long

3 Moyenne de la croissance du taux d’emploi des paysmembres de la zone euro.

en Grèce, en Espagne et au Portugal qu’enFinlande ou en Estonie.

Il faut noter que la résilience du marché dutravail est généralement symétrique à larésilience observée du PIB dépendant en partiede la nature et de la taille des chocs : c’est dansles économies qui subissent de larges déviationsde leur PIB par rapport à leur PIB potentieldurant une crise économique que les pertesd’emplois sont les plus fortes. Ainsi, ladifférence de résilience du PIB entrel’Allemagne d’un côté, et la Grèce ou l’Irlandede l’autre (ces derniers ayant été frappés trèslourdement par la crise de la dette et la crisebancaire), peut en partie expliquer lesdivergences de résilience observées de leurmarché du travail (Hijzen et al., 2018). Letableau 2 présente la corrélation entre lesvariations du PIB et les variations du tauxd’emploi pour 17 pays de la zone euro sur lapériode 2007-2017. Là encore, l’hétérogénéitédes réactions des marchés du travail par rapportaux fluctuations de l’activité économique estévidente. En résumé, l’interaction entre la taille

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Graphique 1 : Evolution de la croissance du taux d’emploi en zone euro (%).

Source : Calculs de l’auteur à partir des données de l’OCDE.

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et la nature du choc (économique, financier) etles IMT détermine en grande partie la réactiondes entreprises en matière de gestion de main-d’œuvre, et donc l’évolution de l’emploi dansun secteur d’activité ou dans l’économie touteentière (Boeri et Jimeno, 2016).

Réformes des institutions du marché dutravail

Les politiques structurelles se différencient despolitiques conjoncturelles – budgétaire etmonétaire – qui sont mises en place pour régulerles fluctuations économiques de court terme enstabilisant la demande agrégée. Elless’inscrivent dans un horizon temporel plus long,avec l’objectif de modifier durablement certainspans de l’économie et comportements d’agentséconomiques. Elles peuvent modifier la fixationdes prix (contrôle, libéralisation), la gestion desfinances publiques, le fonctionnement dusecteur financier, la protection sociale, ouencore le marché du travail.

Les réformes structurelles qui concernent lemarché du travail consistent en unemodification du fonctionnement et del’organisation d’une ou plusieurs institutions quile composent. Ces modifications peuvent êtreformelles, en étant directement le fruit de lapolitique du gouvernement via des changementsde lois ou de discussions jointes entre legouvernement et les partenaires sociaux(syndicats de travailleurs et fédérationsd’employeurs) amenant à la modification derègles administratives. Les modificationspeuvent également être plus informelles, par desaccords tacites entre les partenaires sociaux, ouencore suite à des modifications des normessociales.

Boeri (2011) définit une institution du marchédu travail comme un système de lois, de normeset de conventions qui résultent d’un choixcollectif et qui fournissent des contraintes et des

incitations qui influent sur les choix faits par lesindividus concernant le travail et les salaires. Eneffet, les individus et les entreprises considèrentles institutions comme « données » lorsqu’ilsprennent leurs propres décisions. Par exemple,des employeurs, couverts par un accord de

branche déterminant la rémunération desheures supplémentaires, prennent leursdécisions (embauche ou non d’untravailleur additionnel) dans ce cadreformel. Ces institutions modèlent lecomportement des individus sur lemarché du travail et par conséquent sastructure : les modifier permet auxgouvernements d’influencer l’offre et lademande de travail.

Les réformes qui modifient les IMTpeuvent être classées en quatre

catégories, selon leur périmètre et leur intensité(Boeri, 2011). Une réforme est considéréecomme partielle si elle ne concerne qu’un sous-ensemble des travailleurs ou bien la totalité destravailleurs mais sur une période supérieure à 30ans4. A contrario, une réforme est complète sielle concerne l’ensemble des travailleurs dansun délai raisonnable. Indépendamment de ladurée de mise en place ou du nombre detravailleurs concernés, les réformes peuventavoir des intensités différentes. L’intensité de laréforme peut se mesurer comme l’importance dela variation de la rigueur imposée parl’institution – souvent mesurée par un indicateurprenant des valeurs discrètes5 – par rapport àl’écart-type de cette même forme de rigueurdans un groupe de pays servant de référence.

Une réforme est dite incrémentale si la variationest inférieure à un seuil arbitraire de l’écart-type(par exemple, 20 %). Au-dessus de ce seuil, la

4 En effet, la durée moyenne de vie au travail estd’environ 30 ans dans les pays européens. Ainsi, uneréforme qui est implémentée suivant un long agenda neconcernera pas tous les travailleurs.5 Exemple : indicateurs sur la protection de l’emploi del’OCDE (https://www.oecd.org/fr/emploi/emp/lesindicateursdelocdesurlaprotectiondelemploi.htm).

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Tableau 2 : Corrélation entre les cycles économiques et l’évolution dutaux d’emploi sur la période 2007-2017.

Luxembourg Allemagne Portugal Slovaquie Irlande

− 0,33 0,51 0,57 0,59 0,60

Pays-Bas Slovénie France Italie Autriche0,60 0,62 0,64 0,70 0,77

Lituanie Belgique Estonie Finlande Grèce0,79 0,81 0,82 0,84 0,88

Espagne Lettonie0,91 0,94

Source : Calculs de l’auteur à partir des données de l’OCDE et du PWT 9.1.

Tableau 3 : Taxonomie des types de réformes.

Périmètre

Inte

nsi

Radicale Partielle

Structurelle

IncrémentalePartielle

IncrémentaleComplète

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réforme est considérée comme étant radicale.Une réforme est structurelle si elle est à la foiscomplète et radicale. Cette taxonomie estprésentée de manière synthétique dans letableau 3.

Enfin, le « sens » de la réforme importe. Uneréforme peut augmenter ou diminuer le coininstitutionnel. Ce dernier est défini par Boeri(2011) comme l’écart entre la productivitémarginale du travail et son coût d’opportunitéinduit par les institutions. Un coin institutionnelpositif implique que le niveau d’emploi enprésence des contraintes institutionnelles estinférieur au niveau d’emploi qui serait atteintavec une flexibilité totale des prix et quantitéssur le marché du travail. En effet, les institutionspeuvent induire une distorsion des prix sur lemarché du travail (salaire minimum, taxes sur letravail, syndicats, allocations chômage) ou biendes quantités (régulation des heures travaillées,politiques d’immigration, âge minimal de fin descolarisation, protection de l’emploi). Parexemple, décentraliser les négociationssalariales plus proches du niveau de l’entrepriseaugmente la corrélation entre les salaires et laproductivité du travail, réduisant ainsi lecoin institutionnel. Autrement dit, lesréformes structurelles du marché dutravail déterminent l’importance duniveau de rétention de main-d’œuvre, eninfluant sur les marges d’ajustement dufacteur travail, via les possibilitésd’ajustements interne (salaires horaires,heures travaillées) et externe(destructions d’emplois). Elles influentégalement sur l’effet potentield’hystérèse concernant le chômage, enlimitant – ou non – la perte decompétences des travailleurs.

Les précis théoriques développés, laprochaine question à se poser est lasuivante : quelles ont été les réformesmenées sur les marchés du travail de lazone euro ? Le graphique 2 y répondpartiellement en présentant le nombre deréformes adoptées chaque année selonplusieurs catégories, à savoir : fiscalité dutravail, politiques actives, retraite anticipée,temps de travail, indemnités chômage,protection de l’emploi, fixation/ négociation dessalaires.

Une forte accélération du nombre de réformess’observe à partir de 2008, avec un pic en 2012,expliqué par une hausse du nombre de réformesdans les pays soumis directement ou

indirectement aux programmes d’ajustementstructurel mis en place par la Troïka6. Lesréformes concernant les politiques actives del’emploi – augmentation des budgets attribuésaux services de l’emploi, développement desformations pour les travailleurs et subventions àl’embauche versées aux entreprises – dontl’objectif est d’encourager les chômeurs à lareprise d’emploi, ont toujours été nombreuses.Les gouvernements y consacrent un budgetimportant car ce sont des politiques trèsefficaces, notamment les programmes visant àrenforcer le capital humain (Levy Yeyati et al.,2019), composante essentielle de la capacité deredressement d’un marché du travail. Ledomaine concerné par la hausse la plusmarquante du nombre de réformes est celui dela protection de l’emploi, c’est-à-dire des règlesqui encadrent l’embauche et le licenciement destravailleurs, qui est l’IMT généralement vue parles décideurs comme le coupable idéal lors desrécessions économiques, du fait de ses effetsnégatifs sur la durée des emplois ; lesemployeurs anticipant des coûts de séparationcroissants avec l’ancienneté (Cahuc et al.,2019).

Le nombre de réformes a considérablementaugmenté pendant et suite à la crise financièredébutée en 2007. Mais ces réformes ont-ellesaugmenté ou diminué le coin institutionnel ? Legraphique 3 en donne une indication. Il présentel’évolution de quatre IMT dans les économies

6 La Troïka est un terme couramment utilisé pourdésigner l’ensemble Commission européenne, Banquecentrale européenne et Fonds monétaire international.

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Graphique 2 : Nombre de réformes selon la catégorie et par année, zone euro.

Source : Calculs de l’auteur à partir de LABREF.

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de la zone euro : les indemnités chômage (via letaux de remplacement), la protection del’emploi (via un indicateur de rigueur sur leslicenciements), le salaire minimum (via l’indicede Kaitz), et les négociations collectives (via unindicateur de centralisation des négociationssalariales).

Le taux de remplacement des indemnités dechômage sur 24 mois, qui correspond à laproportion du revenu du travail antérieur qui estmaintenue après 24 mois de chômage7, a, enmoyenne, légèrement chuté après les années2005, mais a augmenté suite à la crise de 2008.Cependant, l’indicateur de dispersion indiqueune évolution hétérogène selon les pays. Cesévolutions peuvent refléter l’arbitrage auquelfont face les gouvernements concernant lesindemnités de chômage, les menant à faire deschoix, choix qui peuvent être différents. Eneffet, lorsqu’elles sont généreuses, elles jouentun rôle de stabilisateur automatique, enmaintenant le niveau de consommation despersonnes qui ont perdu leur emploi durant unerécession, mais elles réduisent l’incitation à la

7 Au 24ème mois de chômage, pour un adulte de 40 ansayant une durée d’emploi ininterrompue depuis l’âge de19 ans jusqu’à la perte d’emploi.

reprise d’emploi (Tatsiramos, K., et Van Ours.,2014).

Le degré de rigueur de la protection de l’emploi,qui fait référence aux règles qui gouvernent lasignature et la rupture d’un contrat de travail, aprogressivement chuté à partir de 2008, et cedans la plupart des pays, comme le montre

l’indicateur de dispersion. Ceci pour les raisonsévoquées précédemment, ainsi que pour seseffets négatifs sur la réallocation de main-d’œuvre – déplacement de la main-d’œuvred’une entreprise à une autre, d’un secteur à unautre, notamment dans les secteurs qui exigentune plus grande flexibilité du travail – pourtantcruciale pour amortir les chocs économiques(Micco et Pagés-Serra, 2004).

L’indice de Kaitz permet de faire descomparaisons internationales sur la législationconcernant le salaire minimum. Il correspond aurapport entre le salaire minimum légal et lesalaire médian. Plus l’indice est élevé, plus lesalaire minimum est important et structurantpour les politiques salariales sur le marché dutravail. La moyenne de l’indice a augmentédepuis les années 2007, soit par l’effet d’unebaisse du salaire médian ou d’une hausse dusalaire minimum. Il n’en reste pas moins que lesalaire minimum ne semble pas avoir été la

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Graphique 3 : Evolution des IMT dans les économies de la zone euro.

Source : Calculs de l’auteur à partir des données de l’OCDE et ICTWSS 6.0.

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variable d’ajustement choisie par lesgouvernements pour favoriser l’emploi.

Enfin, le degré de centralisation desnégociations collectives (en termes decouverture des travailleurs) a diminué enmoyenne depuis les années 2005, avec uneaccélération à partir de 2009, tout comme sadispersion. Ces baisses s’inscrivent dans unestratégie de décentralisation des négociationsengagée par la grande majorité des pays, quivise à rapprocher les négociations sur lessalaires et les conditions d’emploi du niveau del’entreprise individuelle. L’objectif d’une tellestratégie est de permettre une certaine flexibilitéau niveau de l’entreprise pour ajuster les coûtsen cas de choc économique ou financier, et ainsirenforcer la résilience du marché du travail(Visser, 2016).

Le graphique 4 permet d’affiner l’analyse de ladispersion dans l’évolution des IMT. Ildécompose par groupes de pays l’évolution dechacune des IMT précédemment listées. Le« Groupe Sud » est constitué des pays du Sudles plus durement touchés par la crise ainsi quede l’Irlande8. Le « Groupe Centre Nord » estcomposé des pays de l’Ouest et du Nord, moins

8 Groupe Sud : Espagne, Grèce, Italie, Portugal etIrlande.

durement touchés par la crise9. Le « GroupeEst » est composé des pays de l’Est, qui ontrejoint la zone euro plus tard et qui présententdes caractéristiques différentes du fait de leurhistoire plus ou moins liée à l’ex-bloccommuniste10. Le groupe de pays « Sud » a étéde loin le plus radical dans les réformes,notamment concernant la baisse de la rigueur dela protection de l’emploi et la décentralisationdes négociations collectives. Ce n’est passurprenant puisque ce sont les pays les plusdurement affectés par la crise de la dette et doncconcernés par les plans d’ajustement structurels.Les pays « Centre/Nord », non concernés parces plans, ont également réformé leur marché dutravail, mais dans une bien moindre intensité.Une différence notable est cependant àsoulever : l’indice de Kaitz a diminué dans ce

groupe de pays, alors qu’il a largementaugmenté dans les deux autres groupes. Cetteévolution opposée peut s’expliquer du fait quec’est aussi dans ce groupe de pays que lemontant du salaire minimum était le plus élevéet donc le plus enclin à défavoriser l’emploi destravailleurs peu qualifiés (Neumark, 2018).

9 Groupe Centre/Nord : Autriche, Belgique, Allemagne,France, Luxembourg, Pays-Bas, Finlande.10 Groupe Est : Lettonie, Estonie, Slovaquie.

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Graphique 4 : Evolution des IMT par groupe de pays, zone euro.

Source : Calculs de l’auteur à partir des données de l’OCDE et ICTWSS 6.0.

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Enfin, les pays du bloc « Est » de la zone europrésentent des IMT moins protectrices et rigidesque les deux autres groupes de pays. Malgrécela, ils ont diminué temporairement la rigueurde la protection de l’emploi entre 2008 et 2013,tout en décentralisant encore plus leursnégociations salariales.

Comme le montrent les graphiques 3 et 4, laplupart des réformes menées depuis la criseéconomique mondiale visent, même si c’est ànuancer, à déréguler le marché des biens etservices et le marché du travail. Cacciatore etFiori (2016) se sont intéressés aux effetsmacroéconomiques de cette dérégulation. Al’aide d’un modèle théorique de cycles réelspermettant de modéliser le cycle des affaires àtravers des chocs de productivité aléatoires, etd’une analyse empirique sur des sériestemporelles, ils montrent qu’augmenter laflexibilité des marchés des biens et du travailpeut entraîner des effets récessifs à court terme,alors que les effets à plus long terme sontpositifs. Notamment, ils notent une diminutionsignificative de la perte de bien-être des agentséconomiques lors des récessions économiques,grâce à des décisions moins contraintes par lesinstitutions. Néanmoins, ils précisent que ceseffets ne s’observent que si la dérégulation sefait sur les deux marchés à la fois. Il estégalement à noter que la dérégulation d’uneIMT peut permettre d’améliorer les effets d’uneautre IMT. C’est le cas de la décentralisationsalariale et du salaire minimum : une hausse dusalaire minimum n’a pas d’effet négatif surl’emploi lorsque les employeurs ont du pouvoirde négociation sur les salaires. Il peut alorspleinement jouer son rôle redistributif et desoutien à la demande des bas salaires (Okudairaet al., 2019).

L’effet des réformes s’analyse également selonleur timing : une réforme d’IMT donne-t-elle lesmêmes résultats selon qu’elle est mise en placeen période de récession ou en périoded’expansion économique ? Plusieurs résultatsmacroéconomiques et microéconomiqueslaissent penser que les réformes d’IMT vuescomme nécessaires pour restaurer lacompétitivité-prix des économies européennespeuvent avoir des effets indésirableslorsqu’elles sont menées en pleine récession(Boeri et Jimeno, 2016).

Eggertsson et al. (2014) ont essayé d’éclairercette question. Ils ont comparé les effets deréformes structurelles menées en « tempsnormal » aux effets de réformes similaires

menées en « temps de crise ». Selon leursrésultats, entamer des réformes structurelles quidérégulent le marché des biens et le marché dutravail, affecte négativement l’activitééconomique à court terme, de par un effet surles anticipations déflationnistes. En effet, lorsd’une crise économique, le taux d’intérêtnominal tend généralement vers sa valeurplancher. Un contexte de déflation auratendance à pousser le taux d’intérêt réel à lahausse, poussant à une compression de lademande globale. Les réformes qui dérégulentl’économie, notamment pour gagner encompétitivité-prix, renforcent les anticipationsde déflation et donc, sans politique monétaireadéquate, peuvent ne pas remplir leur objectifde reprise de l’activité économique.

Duval et al. (2017) ont répondu à la mêmequestion, mais en se focalisant sur ladérégulation de la protection de l’emploi.Après avoir répertorié les réformes touchant à lalégislation sur la protection de l’emploiconcernant les travailleurs pour 26 paysdéveloppés sur 40 ans, ils ont estimé lesvariations du taux d’emploi sectoriel induit parune réforme. Leur résultat est assez clair : lesréformes dérégulant la législation sur laprotection de l’emploi sont positives pourl’emploi lorsqu’elles sont mises en place enpériode d’expansion économique, alors qu’ellesdeviennent négatives en période de récession.Ce résultat peut s’expliquer par le fait que labaisse de la rigueur de la protection de l’emploiaugmente considérablement les licenciementsen période de récession. Or, dans un contexte demanque de débouchés sur le marché des biens etservices, les embauches n’augmentent pas. Lahausse du chômage qui en résulte perduregénéralement sur plusieurs années, puisque cesont les travailleurs les moins productifs quisont majoritairement licenciés et qui mettentensuite du temps à retrouver un emploi, untemps d’autant plus long que la croissanceéconomique est atone.

Concernant les réformes d’assurance chômage,elles se concentrent sur la durée et le montant del’indemnisation, qui, suivant la théorie du jobsearch, influent sur la durée des épisodes dechômage (Mortensen, 1986). Une assurancechômage plus généreuse augmente le salaire deréservation des travailleurs (salaire à partirduquel ils acceptent un emploi), les menant àprendre plus de temps avant d’accepter uneoffre d’emploi. De plus, une assurance chômageplus généreuse augmente le coût du travail,

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menant à plus de destructions d’emplois etmoins de créations et donc un chômage plusélevé (Mortensen et Pissarides, 1994).Cependant, la moindre incitation à accepter unemploi ne s’observe que très peu en période derécession, rendant moins pertinentes lesréformes de l’assurance chômage vers moins degénérosité pour accélérer les reprises d’emploisen période de récession, surtout qu’ellesrisquent de réduire le pouvoir d’achat decertains chômeurs et donc d’aggraver ladépression de la demande globale. Cependant,les résultats empiriques ne semblent pascorroborer ces intuitions théoriques. Parexemple, Cacciatore et al. (2016) montrentqu’une réduction du montant des indemnitéschômage a un effet positif sur l’emploi plus fortlorsque cette réduction est mise en place durantune récession qu’en temps normal.

Enfin, le succès de la décentralisation desnégociations salariales est particulièrement lié àl’évolution des prix. Comme le montrent Gali etMonacelli (2016), accroître la compétitivité-prixen permettant une plus grande flexibilitésalariale, mais sans que cela soit accompagnéd’une baisse des prix, résultera en une baisse dupouvoir d’achat et aucun gain en compétitivité.Or, l’évolution des prix dans la zone euro est enpartie déterminée par la Banque centraleeuropéenne (BCE), dont le mandat est d’assurerla stabilité des prix dans l’ensemble de la zoneeuro, sans se préoccuper de chaque paysindividuellement. Cela peut expliquer le faiblesuccès, du moins à court terme, des programmesd’ajustement imposés à certains pays du Sud.

Les marchés du travail plus flexibles sont-ils plus résilients ?

In fine, les réformes d’IMT mises en placeavant, pendant et après la crise économiquemondiale de 2008 auront porté ses fruits si lesmarchés du travail sont devenus plus résilients.Duval et Vogel (2008) expliquent que les IMTpeuvent avoir des effets contradictoires sur larésilience. En effet, elles peuvent améliorer lacapacité d’absorption et ralentir le redressement,et inversement. En même temps, leurs résultatsmontrent que les économies où laréglementation est la plus rigoureuse présententles moins bonnes performances en termes derésilience. Il reste donc à se demander si desmarchés du travail plus flexibles sonteffectivement plus résilients. L’intuition estforte, mais une telle assertion serait trop

générale et s’en contenter insuffisant. En effet,comme cela a été souligné par Monastiriotis(2018) dans un rapport pour la Commissioneuropéenne, « il existe de bons (et de mauvais)exemples de résilience à la fois dans les pays àforte flexibilité et les pays à faible flexibilité,ainsi que dans les économies libérales demarché et les économies de marchécoordonnées »11.

Cazes et al. (2011) ont observé l’évolution de larelation empirique entre le taux de croissance duPIB et la variation du taux de chômage – appelée « Loi d’Okun » – lors de la crisemondiale de 2008 pour les pays développés. Lescoefficients de l’élasticité du taux de chômage àla croissance économique estimés par lesauteurs sont très différents selon les pays,signifiant que les marchés du travail ontrépondu de manière hétérogène à la crise. Parexemple, en Espagne, lourdement affectée par lacrise, le coefficient a fortement augmenté parrapport aux niveaux d’avant crise, dans lesannées 2000. A l’inverse, en Allemagne et auxPays-Bas, où certaines IMT sont plusstructurées, le coefficient a diminué.Manifestement, les régulations du marché dutravail jouent un rôle dans l’évolution du tauxde chômage des pays en réponse à un chocmacroéconomique. Mais lesquelles et de quellemanière ? Y répondre permettra de savoir si lanature et le sens des réformes listées jusqu’icipermettront aux marchés du travail de la zoneeuro d’être plus résilients qu’en 2008 lorsque laprochaine crise macroéconomique mondialeapparaîtra.

Hijzen et al. (2018) ont estimé, à partir d’unéchantillon composé des pays de l’OCDE,qu’en moyenne 30 % de la perte de PIB a étéretranscrite en une hausse du taux de chômage.Cette résilience du marché du travail auxvariations du PIB est cependant différente selonles pays. Les auteurs montrent qu’elle dépendprincipalement de trois facteurs : desajustements dans les domaines de laproductivité du travail, du temps de travail et dela participation au marché du travail. Lathésaurisation de la main-d’œuvre – qui s’esttraduite par une baisse de la croissance de laproductivité horaire du travail – a constitué leprincipal facteur d’atténuation de la baisse de lacroissance du PIB sur le chômage. Dans unemoindre mesure, les ajustements du temps detravail et les mesures d’activité partielle (Cahucet al., 2018) ainsi que la baisse de la

11 Traduit par l’auteur.

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participation au marché du travail ont égalementjoué un rôle. Concernant les IMT qui jouentdans ces processus d’ajustements et donc sur larésilience, Hijzen et al. (2018) ont estiméempiriquement que seuls la législation sur laprotection de l’emploi et le niveau decentralisation et coordination des négociationscollectives sont significativement liés à larésilience du marché du travail. Un systèmestrict de protection de l’emploi réduit le nombrede destructions en plein cœur de la récession,mais impacte négativement les créationsd’emplois ensuite. Un système de négociationscollectives centralisé et coordonné limite lesajustements via l’emploi en promouvant desajustements du temps de travail, sans réductiondes salaires horaires, comparativement auxsystèmes plus décentralisés. En effet, dans lessystèmes centralisés, des accords de baisse dutemps de travail ont été négociéscollectivement, et bien qu’ils s’accompagnentde baisse équivalente de rémunération, celle-ciest mieux acceptée par les travailleurs qu’unebaisse de la rémunération horaire du travail.D’autant plus que dans plusieurs pays, cesbaisses de rémunération dues à la baisse dutemps de travail sont compensées par desprogrammes d’activité partielle (ex. Allemagne,France). Au contraire, le taux de remplacementde l’assurance chômage ou le taux decouverture des travailleurs par les accordscollectifs ne jouent pas un rôle significatif sur larésilience du marché du travail.

Un modèle souvent cité comme performant entermes de résilience est le modèle de flexicurité,alliant flexibilité d’ajustement de main-d’œuvrepour les employeurs, indemnisation chômagegénéreuse et politique d’activation efficace pourles travailleurs. Le cas du Danemark, souventconsidéré comme le pays « modèle » dont lesautres pays feraient bien de s’inspirer en matièrede flexicurité, est frappant. Malgré une fortecontraction du PIB lors de la crise économiquemondiale de 2008, les flux sur le marché dutravail (créations et destructions d’emplois) ysont restés élevés ; les périodes de chômagesont restées courtes et il n’y a pas d’observationd’effet d’hystérèse, c’est-à-dire d’un chômagede longue durée qui aurait augmenté (Andersen,2015). Un fait particulièrement marquant est larelative faible augmentation du chômage desjeunes, comparativement à de nombreusesautres économies européennes. Cependant,même si la flexicurité semble faire ses preuvesconcernant la résilience du marché du travail,elle ne constitue pas un système parfait pour

autant. Elle implique une forte corrélationnégative entre les variations de l’emploi et lesdépenses publiques, notamment pour financerles indemnités chômages généreuses. Ainsi, untel système n’est soutenable que dans un paysdisposant de capacités budgétaires suffisantes.L’autre point négatif est qu’un tel systèmesoutient des flux d’emplois importants quin’incitent pas les entreprises à investir dans laformation de leurs travailleurs, ce qui peutréduire les gains de productivité et la croissanceéconomique à plus long terme.

Conclusion

Les marchés du travail sont-ils prêts à faire faceà la prochaine récession macroéconomiqueglobale ? En décortiquant les réformes mises enplace depuis 2008 et en analysant leurs effets àl’aide de la littérature récente, il est tentant derépondre oui. En tout cas, plus qu’avant. Lesréformes structurelles sont-elles un mirage ?Concernant celles du marché du travail, leurseffets ne sont pas univoques et parfois difficilesà cerner, mais il ne fait nul doute qu’elles sontessentielles.

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