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1 Richard Abibon L’universel féminin À propos de « By the sea » de Angelina Jolie Pitt. Voilà une dame qui sait faire du cinéma. Elle a écrit le scénario, elle réalise et joue. L’investissement est total. J’ai senti des références presque explicites aux plus grands auteurs : Godard (Le mépris, à Capri), Antonioni (Le désert rouge), Ettore Scola (Une journée particulière : étonnant comme Brad Pitt et Angelina Jolie Pitt ressemblent physiquement à Marcello Mastroianni et Sophia Loren). Et, de fait, Angelina Jolie Pitt s’inscrit avec aisance parmi ces plus grands. Je conseille au lecteur de voir d’abord le film si ça n’a pas encore été le cas. Pour les besoins de l’analyse que je vais en faire, je vais être obligé de le raconter et cela risquerait de déflorer la tension dramatique.

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RichardAbibonL’universelféminin

Àproposde«Bythesea»deAngelinaJoliePitt.

Voilà une dame qui sait faire du cinéma. Elle a écrit le scénario, elle réalise et

joue. L’investissement est total. J’ai senti des références presque explicites aux plusgrandsauteurs:Godard(Lemépris,àCapri),Antonioni(Ledésertrouge),EttoreScola(Unejournéeparticulière:étonnantcommeBradPittetAngelinaJoliePittressemblentphysiquement àMarcelloMastroianni et Sophia Loren). Et, de fait, Angelina Jolie Pitts’inscritavecaisanceparmicesplusgrands.

Jeconseilleaulecteurdevoird’abordlefilmsiçan’apasencoreétélecas.Pourles besoins de l’analyse que je vais en faire, je vais être obligé de le raconter et celarisqueraitdedéflorerlatensiondramatique.

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Ilnesepassepresqueriendanscethôtelaussiimprobablequ’isoléetdésertsur

lacôted’azur française,enété.Audépart, le coupledeRolandetVanessaconstitue laseuleclientèle.Beauxcommedesdieux, ilstrainent leurennuiet leurmalaisedansunenvironnementdignede l’Olympequiauraitété transportédansune îlegrecque.Leurinstallationdanslachambreavecvuesurlamerdénoteunecomplicitédelonguedate:à deux, sans unmot, ils déplacent aussitôt le bureau empire pour le placer face à lafenêtre. On comprend bientôt: Roland est écrivain, il a eu du succès, il vient là pourécriresonprochainlivre.Trèsviteonvacomprendrequecetteouverturecomplicenesesoutientplusdanslaréalitéquotidienne.Ellerestedanslachambre,inoccupéeettriste,presquefantomatique;parfoisellepleure.Sesrarespromenadessolitairesl’amènentauborddelapetitefalaiseavec,visiblement,unetentationsuicidaire.Ilvaaubardel’hôteletboitaulieud’écrire.

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AngelinaJoliePittnousimposeuneapprochequasitactiledumalaise.Onlesent,

épais, s’amalgamer entre l’homme et la femme. Je le disais, il ne se passe rien. Etpourtantelleréussitletourdeforcedenousmettredanslemêmeétatdetensionquesespersonnageseninstallantunsuspensdigned’unfilmpolicier.Enmêmetemps,noussavonsquenousnesommespasdansunfilmdecegenre.Onseposelaquestion:maisenfin, que sepasse-t-il entre eux? Ils ne sontplus tout jeunesmais ils sontbeaux, ilssontriches,ilsontdutalent–enfin,aumoinslui,puisqu’ellerestetrèsdiscrètesurelle-même, même s’il évoque avec nostalgie sa présence sur scène. Ils ne se parlentquasimentpasetcequenoussavons,nousl’apprenonsparlesconversationsenfrançaisentreRolandetMichel,letenancierdubar.Cedernierrôleestmagnifiquementtenupar

unNielsArestrupbouleversant,confitdanslapeinequeluiaoccasionnélamortrécentedesafemme.

Or,quelquechoseestmortàl’intérieurdecebeaucoupled’américainsenFrance.

Quoi?Laquestionresteraensuspensjusqu’àlafin,etc’estletalentdel’auteurdel’avoirscelléainsi.

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Vanessa refuse que sonmari la rejoigne sous la douche. Elle ne supporte plusqu’il la touche. Voilà déjà une indication. Si le mot drame vient du grec δραµα quisignifie action, c’est bien la seule actionqui vient trancherdans l’ennui. L’alchimiedel’auteur transmute la tension dramatique, déjà bien installée, en tension érotique. Ilrentretard,complètementsaoul,etc’estpourallerdirectementvomirdanslestoilettes.L’instantd’après,au lit, il la forceà l’embrasser.Ellesedéfend, lerepousseetserinceaussitôtlaboucheaveclevinblancqui,assisdansunverreàpied,semblaitn’attendrequeçasurlatabledenuit.Sonexpressiondedégoutestsansappel:onsesouvientdu«Mépris»deGodard.Elleachèvel’exploitenlejetantdulitàcoupsdepieds.

Elle lui reproche son alcoolisme,mais chaque fois qu’il rentre, elle lui offre unverre,commesiellevoulaitacheverl’ouvragededestructiondéjàbienavancé.

Alanguiesurlecanapé,ellelaissetombersabelletêteenarrièreetsonregardsuruntroudanslacloison,dissimulésousleguéridon.Latensionérotiquemonteaussitôtd’uncran.Voilàl’évocationd’unvoyeurismepotentiel.Iln’yapersonnedanslachambred’à côté,maispuisque le trou lesy invite siobligeamment,uncouplede jeunemariésvienttrèsrapidements’yinstaller.

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Le champde la tensionérotique s’élèveau carrépar la grâcede la rondeurdu

trou.Rolandaussidécouvrel’orificeetlesjoiesduvoyeurisme.Lecouplevatrouverlaréunificationautourdel’observationcommuneetalcooliséedesébatsdestourtereaux.Le moment est remarquable. Vanessa est nue dans son bain, dans lequel elle essaiefréquemment de se dissoudre avec sa peine. Roland regarde par le trou. Elle luidemande de décrire ce qu’il voit. Il décrit une scène érotique. La caméra reste sur levisagedeVanessaqui semontre sensibleau récit.Visiblement, elle s’yvoit… jusqu’aumoment où, tournant les yeux, elle aperçoit Roland qui la regarde en continuant àdécrire ce qu’il n’observait qu’en son imagination. Et leur frigidité commune tombe àl’eau.

Lesdeuxcouplesfontconnaissance.Quelquesconversationsrenaissent.L’artdufilm policier consiste souvent à mettre le spectateur sur de fausses pistes quant àl’identité de l’assassin. Nous avions déjà eu l’incapacité à écrire et l’alcoolisme deRoland, celui-ci étant peut-être la conséquence de celle-là. A présent nous apprenonsqueVanessaaétédanseuseetqu’elleaduyrenonceràcausedel’âge.Ilssontdoncdeuxàavoireudutalentquelquepartetàs’entrouverdéserté.

Mais que cherche Vanessa? Elle ne cesse de provoquer Roland sur l’attirancequ’il pourrait avoir à l’égard de la belle voisine, Léa, campée par Mélanie Laurent. Ildénie vigoureusementmais observe de son côté une certaine complicité qui se noueentresafemmeetFrançois, lefringant jeunemarié, interprétéparMelvilPoupaud.Unjour, en rentrant, à sa grande surprise il ne trouve pas Vanessa. Le doute s’insinueaussitôt.Ilvavérifierparletrouetc’estbiença:FrançoisestentraindecommencerledéshabillagedeVanessa.

Ledrameseprécipite.Ils’engouffredanslachambrevoisine,terrasseFrançoisàcoupsdepoingset, telunpoliciertenantenfin lecoupable, ilgifleVanessaàplusieursreprises pour l’obliger à parler. Pour avouer quoi? Le flagrant délit n’était-il pasévident? Il le lui fait dire: elle est jalouse de ce couple parfait qui fête comme unanniversaire ses deux mois de mariage. Ce qu’elle veut, c’est détruire ce bonheurinsolentquil’insulte,carenréalitéc’estluiqu’elleaime,etseulementlui,Roland.Illedità saplace tellement il enest sûr,mais il lagifleencorepour lui faire cracher la suite.Pourquoiest-ellesijalouse?Ellefinitparl’exhalerdansunsouffle:«I’mbarren,jesuisstérile».

C’estréussi,lecouplevoisinsembledétruit.RolandexpliqueàLéalepourquoidela tentative de sa femme. Après deux fausses couches, le couple a dû se résigner à lastérilitédeVanessa.Tel est lemotde la fin: stérilité, celledeVanessa ayant entrainécelle,littéraire,deRoland.

Angelina Jolie Pitt vient de dresser un magistral portrait de l’universel de la

femme. Il dément absolument les allégations de Lacan sur le thème du «la femmen’existe pas», décliné dans les arguties sur «une femme» qui, elle, existerait, auprétexte qu’elle serait plus proche du particulier que de l’universel, ce dernier étant,toujours selon lui, l’apanagede l’homme.L’universelde la femmeest là: elleveutdesenfants.Sacréativitédansd’autresdomainespeutavoiruneimportance(ici, ladanse),maiscelle-cis’effacedevantlesnécessitésimpérieusesdel’enfantement.L’Hommepeutêtre triste de ne pouvoir expérimenter la paternité, mais son essentiel repose sur sacréativitépropre,ici,l’écriture.Stérilité:lemotestlemême,maisilsedéclinededeuxfaçonsdifférentes.

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Mais,me direz-vous, tous les hommes ne sont pas créatifs. Non,mais tous ontenvie de baiser, sauf exception rarissime. En deçà de toute créativité (et de tout lepenchant théorique où se réfugierait l’universel selon le champ lacanien), tel estl’universel de l’homme, tandis que pour l’universel de la femme, c’est subsidiaire. Çapeut avoir une grande importance temporaire, à condition que l’objectif à long termereste l’enfant.Sicethorizonestbarréparunestérilitéouautrechose, ledésirdesexes’étiolejusqu’àparfoiss’éteindre.C’estlecasdanslefilmd’AngelinaJoliePitt,etcen’estpasuneexception.Enrevanche,lastérilitélittérairedeRolandnel’empêchenullementdedésirersafemme.S’iln’apluslestylo-phallus,il luirestel’illusiondupénis-phallus,néanmoinsrégulièrementcastréparlastérilitédesafemme.

C’estquel’homme,enproieàl’angoissedecastration,abesoindeseprouverla

présencedesonphallusparsamiseenactedanslaconfrontationàcequiest imaginécommecastration,voirecommecastrateur, l’existencemêmedusexeféminin.Certainshommes, soitmalpourvuspar lanature, soitpourquelqueautre raison,enarriventàtransférer ce besoin de preuve sur un désir d’enfant. Ne pouvant exhiber un phallusrespectable, ils exhibent l’enfant en témoignage de sa puissance. Mais ceci restesubsidiaireenrapportàl’activitéphalliquecommetelle.Demêmeencequiconcernelespapas-poule d’aujourd’hui qui, certes, commencent à exister, mais, à mon sens, nes’investissentauprèsdesenfantsqu’enreprisedesdemandesd’amourdeleurfemme.Àune époque où elles peuvent s’éclipser comme de rien, il y a intérêt à se montrerconciliantsurcequ’ellesveulent:lapermanencedel’activitésexuelleendépend!

C’est exactement l’inverse chez la femme.D’où sa reluctance à, comme elle dit,être considérée en objet ou seulement comme un corps. Chez l’homme, l’appendicecorporeloffreunfondementàsapersonnalité, faisantducorpsunéquivalentde l’êtrepar le fait de l’avoir. Chez la femme, l’absence de phallus entraine le paradoxe d’uninvestissementplusgrandsur lesapparences(habillement,maquillage,accessoires)etmoins grand sur le corps comme tel: puisqu’il n’apas l’organe attendu, il nedoit pasêtre l’objet d’intérêt (quitte à avoir envie d’être, par moment, irrésistible, maisseulementparcequ’elleenadécidéainsi).Elleveutêtreaiméepourautrechosequecequi est imaginé comme porteur de manque, de blessure, de faillite. Toutes chosesimaginaires,faut-ilencorelepréciser?Àunriendenuance,ellepourraadorerqu’onlacomplimentesursabeauté,outrouverl’hommageoutrageantpuisqu’ilsefocalisesurlecorps.

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En conséquence, l’homme a essentiellement un désir de sexe, la femme unedemanded’amour.Angelina JoliePitt ledécrit fortbienenmettantdans labouchedesonépoux-partenaire-de-jeulesmotsquetoutefemmeaimeraitentendre:«iln’yaquetoi que j’aime et, malgré ta terreur deme voir en désirer une autre, tu es la seule àlaquellejepense».Mieux,lorsqu’elleauraétésurlepointdetrompersonmari,elleluiferatenirlemêmediscoursinversé:«malgrétonmanquementactuel, iln’yaquemoiquetuaimes,cartun’asvoulumetromperquepourdesraisonsdejalousieàl’égarddecette autre femme, parce qu’elle est féconde». L’idéal, pour une femme: l’hommequicomprendjusqu’àl’extrêmelapassiondesafemmepourl’enfant.

L’équivalencephallus=enfantsuinteàtous lesmomentsdecefilm,mêmesi larévélationn’enadviendraqu’àlafin.Uneredondancediscrèteenestproposéeenmargedel’intrigueprincipaleparcebravecafetierquiaimeencoresafemme,morteilyaunan,aprèstouteunevieencommun.Unebellerépliquedecedernier,àRoland:«vousêtesmarié depuis 14 ans? Ah, ça, c’est les débuts!». La phrase résonne lourdementdans latêteduditRolandayantsous l’œil-au-trou lesébatsducouplequienestàsesdeuxmois.

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Cetroudanslemurestsansdouteunemétaphoredumanque,puisqu’ilspeuvent

yobserveràloisircequ’ilsn’ontplus,ledésirsexueletlapossibilitéd’enfant.Maisc’estaussiàtraversluiqueleurreviendront,commeunedouceombredeleurpassé,àlafoisledésiretl’amour.

À de nombreuses reprises, j’ai été confronté à la mésaventure suivante: unefemmemeraconteunrêvedontlasignificationévidentemesauteauxyeux:ils’agitdeson envie de phallus ou de sa castration (lorsque le phallus n’est pas explicite, maisdissimulé sous n’importe quelle figure oblongue ou autre). Comme d’habitude je n’enmoufte pasmot, je pousse simplement l’analysante à aller plus loin dans l’analyse. Iln’estpasrarequel’interprétationqu’elleproposesoitalorscelledel’enfant.Parfoisj’aientendu aussi surgir l’image du père, en tant que porteur de phallus. On retrouvel’équationenfant=phallus,enmêmetempsqueladivergenceentrelepointdevued’unhommeetceluid’unefemme.Jenefaisévidemmentjamaisprévaloirmonpointdevue,mecontentantdem’étonnerencoreunefois,dansmatête,decettedivergencedanslamodalitéquiestenfaitconvergencedanslefond:lesdeuxmembresdel’équationsontdifférents, mais c’est une équation! Souvent, cette interprétation en termes d’enfantsurprend aussi la femme elle-même, notamment lorsqu’elle est jeune et se déclareexplicitement du côté de la jouissance de la vie, les enfants n’étant pour elle qu’unhorizonlointain.Sasurpriseestdetrouverlà,dansleprésent,undésird’enfantqu’ellene se soupçonnait pas. Les oublis de pilule ou de toute protection dans un «momentd’égarementamoureux»sontàmettreaucomptedesmêmesimpératifsinconscients.

Jepenseàcefilm,«17filles»,quifaitlerécitd’unévénementréellementarrivéenFrance, où17 copinesde lycéeontdécidéde tomber enceintes ensemble. En voilàquelques-unesaumoinspourlesquellesledésirétaitexplicite.

Certaines en restent à cette interprétation, d’autres vont un peu plus loin etparviennent, grâce à l’analyse de nombreux rêves, à la fameuse équation enfant =phallus. Il est vrai qu’obtenir un phallus pour une femme est pour le moinsproblématique (quoiqu’en rêve il puisse leur apparaitre n’importe où sur le corps!),alors que l’enfant fait partie de ses possibilités évidentes. J’ai entendu aussi certaines

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établir ladistinctionentre«enviedegrossesse»et«envied’enfant», car toutexiste!L’enviedegrossesseestalorsbeaucoupplusrapidementrattachéeàl’enviedephallus:ils’agitdecomblerunvide,maisl’enfantquiendécoulenécessairementnesuscitepasd’intérêt. Il s’agit juste de voir pousser là le complément corporel attendu depuis lanaissance. Je fais l’hypothèsequedenombreusesnaissances tardivesoudouloureusessontlefruitdecefantasme:ils’agitdeconserverensoilefameuxcomplémentcorporel.L’accouchementestd’autantplusdouloureuxqu’il témoigned’unconflitentre ledésirdegarderetceluide fairenaitre.Certaines femmesm’onteneffetprésentéainsi leursdifficultés d’accouchements passés. À l’inverse, des grossesses où l’enfant risque detomber à tout moment peuvent être mises au compte d’un refus inconscient de cetenfant-là,sansdoutetémoind’unerelationnonsatisfaisante,voiredouloureuse.

Jediscelaendehorsdescontingencesphysiquesqui,pourêtreparfoismodifiéesparlesdésirsinconscients,n’enexistentpasmoinsparfois,demanièreindépendante.

Cefilmm’aremuéaupointdemesusciterlerêvesuivant:Je suisenvacancesaubordde lameravecma fille.Le soirvenu, jemedisque je

pourraispeut-êtrecouchermespetits-enfantsqui sontencoreenbasâge. Je lesemportedoncdansmesbras,soudainréduitsàunseulalorsqu’ilssontcensésêtredeux.Ilsétaientposésquelquepartentredesbougiesalluméesquisemblentdessymbolesd’anniversaires.Emportantl’enfant,enfaitavecmesbrassemipliés,lesmainssoussesaisselles,j’embarquedanslemouvementaumoinsunedesbougiesquirestealluméeentremoietl’enfant.Jemedemandeuninstantsiçanevapasmettrelefeuàmonpantalonléger,maistoutsepassebien,malgrél’impossibilitématérielledecequejedécris.Surtout, jememetsàpleureràchaudes larmes, de très gros sanglots quimontent de très loin et ne parviennent pas às’arrêter.Lachambredesenfantsdanslaquellejeparviensestdépourvuedematelas,voiredetoutmobilier.Ellemefaitpenseràladernièrechambrequej’aieuechezmesparents,entre17et18ans,époqueoùj’aiquittélefoyerfamilial.

L’interprétation en termes d’enfant est déjà dans le rêve: comme Vanessa et

Roland,jen’aiplusd’enfantsàm’occuper.Nonparcequej’enaipaseu,maisparcequ’ilsontgrandi;mêmemespetitsenfantsontgrandis!Quandjepenseaupensumquec’étaitde s’en occuper, je m’étonne. Malgré le divorce, je me suis occupé de ma fille,certainement plus que la plupart des pères de l’époque. Je le considérais comme undevoirplusquecommeunepassion.Évidemment, avec le tempset l’accomplissementdudevoir,l’amourestvenu.Maisàlabase,jen’étaisriend’autrequ’unpèrelambdaquin’apasgrand-choseàfairedecetenfant,malgrésesdénégationsconscientesetpourlagalerie (dont il fait partie), dans lesquelles il se dit enthousiasmé par la naissance etpassionnéparsesnouvellestâchesdepère.

Lorsquemespetits-enfantsétaientpetits,chaquefoisquej’allaischezmafille,jeprenais le relais pour raconter l’histoire du soir avant le coucher. Je faisais là aussil’enthousiaste,maisjesavaistrèsbienquejedevaismepousserpourlefaire,alorsquema fille le faisait sanseffortsdansunmomentdebonheur. Il arrivaitd’ailleursque lesoir,surlafindurepasfamilial,elledisparaissesansquejeleremarque,lancéquej’étaisdans je ne sais quelle conversation avec son compagnon. Jem’apercevais unpeuplustardqu’elles’étaitoccupéeducoucherdesesgarçonsetdel’histoire.Elles’entrouvaitmieuxetmoi,pasplusmal.

Et voilà que le rêvememet sous le nez un regret effroyable de ces momentsperdus.Lapartiefémininedemoi-mêmeétaitlàetjenelesavaispas.

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L’interprétation en termes phalliques est là aussi. Ce sont ces bougiesbizarrementplacéesqui,deplus,sedéplacentavecl’enfantpoursetrouverentremoietlui.Ellesrisquentdem’enflammer,cequisignifiequelalibidoestmobilisée,l’enfantetlabougieétant situésaumêmeendroitque lephallus.Cecimeramèneàmadernièrechambred’enfant,cellequej’aiquitté,lalaissantaussividequecellequejetrouvedanslerêve.J’aiaussiperdulàl’enfantquej’étaismoi-même,phallusdemamère.

2juin.16