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Si ces deux dernières décennies, la pratique quo- tidienne de la chirurgie dentaire a énormément évolué sur le plan technique, elle s’est aussi consi- dérablement diversifiée et surtout complexifiée tout particulièrement en ce qui concerne le profil médical des patients. En effet, la prise en charge de patients polymédiqués présentant une ou plu- sieurs pathologies médicales sous-jacentes occupe chaque jour une place plus conséquente dans l’exercice du praticien. La réduction de la prévalence de nombreuses maladies, le traitement de certaines pathologies ou l’amélioration de leur pronostic, attribuables aux progrès de la médecine tant dans le domaine de la prévention que des nouvelles thérapies, expli- quent en partie le nombre grandissant de patients, le plus souvent qualifiés de « patient à risques », que rencontre aujourd’hui quotidiennement le chirurgien-dentiste dans sa pratique. De plus, ces progrès, conjugués aux avancées scientifiques et technologiques, se traduisent aussi par une augmentation constante de l’es- pérance de vie. Ce qui a, entre autres, favorisé l’émergence et le développement de plus en plus important d’une frange âgée de la population, aux besoins spécifiques accompagnant le béné- fice de la longévité. Quand on sait que qua- tre personnes sur cinq âgées de plus de 65 ans présentent au moins une pathologie chronique majeure, qu’à ce jour 20 % de la population a plus de 65 ans, qu’en 2030, un tiers de la population aura plus de 60 ans et que chaque personne âgée de 65 à 75 ans prend quotidien- nement 3,3 médicaments (4,6 après 85 ans), on comprend l’incidence de cette réalité sur l’exer- cice quotidien et le challenge majeur que consti- tue la prise en charge de cette population, ce qui nécessite le plus souvent une adaptation et/ou une limitation des schémas thérapeutiques. Enfin, l’apparition, la progression ou la réémer- gence de certaines pathologies, comme c’est respectivement le cas de l’infection par le VIH, de la maladie d’Alzheimer ou de la tuberculose, auxquelles sont généralement associés polymé- dications, problèmes médicaux multiples et/ou facteurs socio-économiques, ont aussi participé à l’augmentation des patients dits à risque. En fait, le praticien, en tant que responsable des soins qu’il donne à ses patients, doit avoir les connaissances et l’expertise pour assurer ces soins chez tous ceux qui en font la demande quel que soit leur classe d’âge et quel que soit leur statut social, économique et médical. Prodiguer des soins appropriés et de qualité, en toute sécurité, dans le cadre de l’exercice quotidien de la chirurgie dentaire et qui plus est, de plus en plus fréquem- ment, aux patients présentant un risque médical sous-jacent, nécessite des connaissances médicales de plus en plus étendues. S’il va de soi que l’ap- titude du praticien à reconnaître et interpréter les signes principaux des maladies les plus fréquentes est sans aucun doute d’un bénéfice considérable pour le patient en termes de dépistage, de préven- tion ou lors d’une urgence médicale au fauteuil, il va aussi de soi que des connaissances médicales sont indispensables pour pouvoir évaluer chaque patient candidat à des soins afin que tout risque médical soit identifié et prévenu. Cette préven- tion, qui repose sur la prise de précautions et sur des actes adaptés, peut nécessiter, dans certains cas, une consultation médicale, notamment lorsqu’un diagnostic de présomption a été posé chez des patients pouvant se présenter avec des signes et symptômes associés à des problèmes médicaux Introduction

Risques médicaux au cabinet dentaire en pratique quotidienne || Introduction

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Si ces deux dernières décennies, la pratique quo-tidienne de la chirurgie dentaire a énormément évolué sur le plan technique, elle s’est aussi consi-dérablement diversifiée et surtout complexifiée tout particulièrement en ce qui concerne le profil médical des patients. En effet, la prise en charge de patients polymédiqués présentant une ou plu-sieurs pathologies médicales sous-jacentes occupe chaque jour une place plus conséquente dans l’exercice du praticien.La réduction de la prévalence de nombreuses maladies, le traitement de certaines pathologies ou l’amélioration de leur pronostic, attribuables aux progrès de la médecine tant dans le domaine de la prévention que des nouvelles thérapies, expli-quent en partie le nombre grandissant de patients, le plus souvent qualifiés de « patient à risques », que rencontre aujourd’hui quotidiennement le chirurgien-dentiste dans sa pratique.De plus, ces progrès, conjugués aux avancées scientifiques et technologiques, se traduisent aussi par une augmentation constante de l’es-pérance de vie. Ce qui a, entre autres, favorisé l’émergence et le développement de plus en plus important d’une frange âgée de la population, aux besoins spécifiques accompagnant le béné-fice de la longévité. Quand on sait que qua-tre personnes sur cinq âgées de plus de 65 ans présentent au moins une pathologie chronique majeure, qu’à ce jour 20 % de la population a plus de 65 ans, qu’en 2030, un tiers de la population aura plus de 60 ans et que chaque personne âgée de 65 à 75 ans prend quotidien-nement 3,3 médicaments (4,6 après 85 ans), on comprend l’incidence de cette réalité sur l’exer-cice quotidien et le challenge majeur que consti-tue la prise en charge de cette population, ce qui

nécessite le plus souvent une adaptation et/ou une limitation des schémas thérapeutiques.Enfin, l’apparition, la progression ou la réémer-gence de certaines pathologies, comme c’est respectivement le cas de l’infection par le VIH, de la maladie d’Alzheimer ou de la tuberculose, auxquelles sont généralement associés polymé-dications, problèmes médicaux multiples et/ou facteurs socio- économiques, ont aussi participé à l’augmentation des patients dits à risque.En fait, le praticien, en tant que responsable des soins qu’il donne à ses patients, doit avoir les connaissances et l’expertise pour assurer ces soins chez tous ceux qui en font la demande quel que soit leur classe d’âge et quel que soit leur statut social, économique et médical. Prodiguer des soins appropriés et de qualité, en toute sécurité, dans le cadre de l’exercice quotidien de la chirurgie dentaire et qui plus est, de plus en plus fréquem-ment, aux patients présentant un risque médical sous-jacent, nécessite des connaissances médicales de plus en plus étendues. S’il va de soi que l’ap-titude du praticien à reconnaître et interpréter les signes principaux des maladies les plus fréquentes est sans aucun doute d’un bénéfice considérable pour le patient en termes de dépistage, de préven-tion ou lors d’une urgence médicale au fauteuil, il va aussi de soi que des connaissances médicales sont indispensables pour pouvoir évaluer chaque patient candidat à des soins afin que tout risque médical soit identifié et prévenu. Cette préven-tion, qui repose sur la prise de précautions et sur des actes adaptés, peut nécessiter, dans certains cas, une consultation médicale, notamment lorsqu’un diagnostic de présomption a été posé chez des patients pouvant se présenter avec des signes et symptômes associés à des problèmes médicaux

Introduction

XVI Risques médicaux au cabinet dentaire en pratique quotidienne

non diagnostiqués. Des informations incomplètes et/ou confuses issues de l’interrogatoire médical du patient nécessiteront, quant à elles, un entre-tien avec le praticien traitant du patient.Le praticien doit connaître non seulement les pathologies médicales les plus fréquentes et tout particulièrement celles pouvant se manifester au niveau de la cavité buccale mais aussi leur impact sur les soins et/ou l’impact des soins sur celles-ci. Par ailleurs, certaines pathologies ayant pour pre-mière expression clinique la cavité buccale, tel le sida, ou se révélant au cours des soins (comme certaines hémopathies), peuvent permettre au praticien d’identifier une maladie potentielle, jusqu’alors non diagnostiquée, conférant à celui-ci un rôle indiscutable dans le dépistage de certaines pathologies. Ce rôle de dépistage et/ou de pré-vention s’exerce non seulement par l’évaluation des signes vitaux (tels que la mesure de la pression artérielle) qui s’impose dans le cadre de certaines pathologies, mais aussi à travers la prescription de certains examens complémentaires (glycé-mie, numération/formule sanguine…). De plus, le praticien doit toujours avoir à l’esprit que de nombreux patients sont sous traitements médica-menteux dont la pharmacologie et les interactions potentielles avec ses propres prescriptions doivent être connues. C’est le cas, par exemple, des anti-coagulants et des anti-hypertenseurs. Enfin, dans de nombreuses situations, le praticien peut tout à fait apprécier un traitement médicamenteux en cours aussi bien en termes d’efficacité que d’ob-servance, par exemple.L’explosion des connaissances de détails et d’in-formations, qui sont aujourd’hui indispensables à une prise en charge adaptée et efficace des risques médicaux dans la pratique quotidienne de la chirur-gie dentaire, nécessite une mise à jour permanente. Dans cet ouvrage, dont l’objectif est notamment de contribuer à cette mise à jour, les données les plus récentes en matière de prise en charge au quotidien des principaux risques médicaux sont présentées. Malgré le nombre important de pathologies vis- à-vis desquelles une prise en charge spécifique est à considérer, et bien qu’il existe plus de 200 affections systémiques à expression buccodentaire, seules les pathologies les plus fréquemment rencontrées et

celles pour lesquelles l’incidence des soins bucco-dentaires, à travers les actes et/ou les prescriptions, peuvent être particulièrement préjudiciables dans le cadre de la pratique quotidienne, sont présentées ici. Toutefois, certaines autres pathologies, soit en pleine expansion, telle la maladie d’Alzheimer, soit ayant une incidence particulière dans le cadre des soins buccodentaires pour des raisons médicales, telles les transplantations d’organe, figurent aussi dans cet ouvrage.Cet ouvrage est composé de quarante-deux chapitres regroupés en douze thèmes génériques traitant de la prise en charge du patient présentant : •unepathologiecardiovasculaire(athérosclérose,

hypertension artérielle, angor, infarctus du myo-carde, insuffisance cardiaque, troubles du rythme, bradycardie, valvulopathies rhumatismales, val-vulopathies non rhumatismales, souffles cardia-ques, cardiopathies congénitales, endocardite bactérienne et patients à risque d’endocardite bactérienne, patient présentant des lésions car-diovasculaires devant être opérées ou ayant été opérées, cardiomyopathies) ;

•unepathologieendocrinienne(diabète,insuffi-sance surrénalienne et corticothérapie, désordres thyroïdiens) et de la femme enceinte (grossesse, allaitement et contraception) ;

•une pathologie respiratoire (affections pul-monaires chroniques obstructives, asthme, tuberculose) ;

•une pathologie gastro-intestinale (ulcères gas-tro-duodénaux, cirrhose hépatique, hépatites virales) ;

•unepathologie hématologique (troubles de lacoagulation et de l’hémostase, anémies, désor-dres leucocytaires non prolifératifs, affections hématologiques malignes : leucémies, affections hématologiques malignes : lymphomes et myé-lome multiple) ;

•unepathologiearticulaire(arthriterhumatoïdeet ostéoarthrite) ;

•une pathologie génito-urinaire (infectionssexuellement transmissibles, insuffisance rénale chronique et dialyse) ;

•unepathologieimmunitaire(allergies,infectionpar le VIH et sida, transplantations d’organe et greffes de moelle) ;

Introduction XVII

•une pathologie neurologique (épilepsie, acci-dents vasculaires cérébraux, maladie d’Alzhei-mer, maladie de Parkinson) ;

•des soins de radiothérapie et/ou chimiothérapie anticancéreuse ;

•un âge avancé ;•un comportement toxicomane.

L’enquête médicale, les examens cliniques intra- et extrabuccaux, les examens complémentaires et leur interprétation sont ici exclus car chacun d’eux pourrait faire l’objet d’un ouvrage spécifique.La plupart des chapitres sont constitués de six par-ties distinctes.La première partie, Généralités, est destinée non seulement à aider à la compréhension de la patho-logie concernée et à la connaissance des incidences que peuvent avoir les soins buccodentaires, mais aussi à favoriser le dialogue entre le chirurgien-dentiste et le praticien traitant généraliste ou spé-cialiste. En effet, ce dialogue constitue une étape fondamentale dans la prise en charge du patient à risque. Il s’inscrit d’une part, dans le cadre d’une demande d’informations complémentaires sur la nature de la pathologie du patient et sur le type de traitement suivi (prescriptions médicamenteu-ses, posologie…) et d’autre part, dans la définition éventuelle de certaines précautions ainsi que de leurs modalités tout particulièrement lorsqu’une modification du traitement médical s’impose. L’étiologie, les manifestations cliniques, le dia-gnostic, les complications et les traitements sont successivement envisagés.La deuxième partie concerne les Manifestations buccales associées à la pathologie et/ou à ses trai-tements. Dans certains cas, la présence de mani-festations pourra soit témoigner de l’existence d’une pathologie sous-jacente non diagnosti-quée et permettre de poser un diagnostic de pré-somption, soit résulter d’effets secondaires d’un traitement qui pourront orienter le praticien.Dans la troisième partie, Problèmes potentiels en pratique quotidienne, sont exposés les problèmes associés ou pouvant être associés à la pathologie concernée, dans le cadre des soins, ainsi que leurs incidences. Ces problèmes potentiels peuvent résulter de la pathologie par elle-même et/ou des

complications qui y sont associées et/ou de son traitement.Dans la quatrième partie, Identification et éva-luation en pratique quotidienne, les objectifs et les modalités de l’identification et de l’évaluation des patients présentant la pathologie concernée, qu’elle soit diagnostiquée ou suspectée, sont présentés. En effet, après avoir identifié qu’un patient présente telle ou telle pathologie, il est essentiel d’en préciser notamment la sévérité et d’en connaître les complications associées. Cette évaluation doit permettre non seulement de définir les risques qui y sont associés et leur importance (faibles, modérés, élevés) mais aussi les précautions à prendre. Par souci de simplifi-cation et outre la démarche habituelle de cette évaluation basée entre autres sur l’interrogatoire médical du patient et la symptomatologie, celle-ci fait aussi référence à la classification élaborée par la Société américaine des anesthésistes (classifica-tion ASA).Dans la cinquième partie, Catégories de patients pouvant être rencontrés en pratique quotidienne, sont définis les types de patients susceptibles d’être retrouvés dans le cadre des soins, en fonc-tion du risque qui est associé à leur pathologie. Chaque type est défini, le plus souvent, selon la présence ou l’absence d’une symptomatolo-gie ou d’un traitement et de son efficacité, et/ou selon des critères associés à des examens complémentaires.Dans la sixième partie, Prise en charge quoti-dienne : prévention des problèmes potentiels et pré-cautions à prendre, un premier volet est consacré aux modalités de prévention à suivre en fonction des problèmes potentiels associés à la patholo-gie évoquée. Dans le deuxième volet, les précau-tions à prendre, générales (vis-à-vis de l’anxiété, de l’anesthésie, des traitements suivis, des pres-criptions quotidiennes et spécifiques, de l’infec-tion…) et spécifiques selon la nature des risques, sont exposées. Toutes les précautions exposées sont le résultat d’une synthèse de la littérature propre à chaque thématique. À l’exception des précautions à prendre vis-à-vis de l’endocardite bactérienne qui font l’objet d’un consensus et des précautions qui font l’objet de recommandations,

XVIII Risques médicaux au cabinet dentaire en pratique quotidienne

certaines d’entre elles peuvent être discutées et modulées selon la pathologie considérée, la nature des actes envisagés et l’avis médical. Bien que certaines précautions soient communes à différentes pathologies, elles sont quasi systéma-tiquement présentées dans les différents chapi-tres afin que chacun d’eux constitue une entité à part entière. Ainsi, en général, le lecteur qui consultera une des thématiques exposées, n’aura pas à rechercher dans une autre thématique les précautions proposées. Dans un troisième volet est exposée la stratégie globale des soins.Les informations « clés » présentées dans chaque chapitre et qui s’inscrivent dans le cadre des rap-pels et des généralités, des manifestations bucca-les, des problèmes potentiels, de l’identification et de l’évaluation, des catégories de patients et de la prise en charge au quotidien, c’est-à-dire de la prévention et des précautions à prendre, sont systématiquement synthétisées sous forme de

tableaux ou d’encadrés permettant au lecteur d’al-ler à l’essentiel.

Quand une des pathologies présentée peut se manifester au fauteuil (crise hypertensive, crise d’angor, infarctus du myocarde, malaise hypo-glycémique, crise d’asthme…) notamment sous forme d’urgence médicale, la conduite à tenir est présentée en fin du chapitre correspondant.Enfin, une bibliographie est proposée pour per-mettre au lecteur qui le souhaite, d’obtenir des informations complémentaires.

Destiné à la fois aux étudiants, aux chirurgiens-dentistes et aux médecins, cet ouvrage a pour objectif d’apporter au lecteur les données les plus récentes, en matière de prise en charge des patients à risque en pratique quotidienne, et de les présenter aussi clairement que possible, afin qu’une application appropriée et pertinente de l’information bénéficie au patient.

Yvon Roche