109
http://lib.uliege.be https://matheo.uliege.be Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution du deuil familial : approche comparative inter-culturelle Corse/Belgique Auteur : Mangion, Valérie Promoteur(s) : Scali, Thérèse Faculté : þÿFaculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l Education Diplôme : Master en sciences psychologiques, à finalité spécialisée en psychologie clinique Année académique : 2018-2019 URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/7521 Avertissement à l'attention des usagers : Tous les documents placés en accès ouvert sur le site le site MatheO sont protégés par le droit d'auteur. Conformément aux principes énoncés par la "Budapest Open Access Initiative"(BOAI, 2002), l'utilisateur du site peut lire, télécharger, copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral de ces documents, les disséquer pour les indexer, s'en servir de données pour un logiciel, ou s'en servir à toute autre fin légale (ou prévue par la réglementation relative au droit d'auteur). Toute utilisation du document à des fins commerciales est strictement interdite. Par ailleurs, l'utilisateur s'engage à respecter les droits moraux de l'auteur, principalement le droit à l'intégrité de l'oeuvre et le droit de paternité et ce dans toute utilisation que l'utilisateur entreprend. Ainsi, à titre d'exemple, lorsqu'il reproduira un document par extrait ou dans son intégralité, l'utilisateur citera de manière complète les sources telles que mentionnées ci-dessus. Toute utilisation non explicitement autorisée ci-avant (telle que par exemple, la modification du document ou son résumé) nécessite l'autorisation préalable et expresse des auteurs ou de leurs ayants droit.

Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

http://lib.uliege.be https://matheo.uliege.be

Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution du deuil familial :

approche comparative inter-culturelle Corse/Belgique

Auteur : Mangion, Valérie

Promoteur(s) : Scali, Thérèse

Faculté : þÿ�F�a�c�u�l�t�é� �d�e� �P�s�y�c�h�o�l�o�g�i�e�,� �L�o�g�o�p�é�d�i�e� �e�t� �S�c�i�e�n�c�e�s� �d�e� �l ��E�d�u�c�a�t�i�o�n

Diplôme : Master en sciences psychologiques, à finalité spécialisée en psychologie clinique

Année académique : 2018-2019

URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/7521

Avertissement à l'attention des usagers :

Tous les documents placés en accès ouvert sur le site le site MatheO sont protégés par le droit d'auteur. Conformément

aux principes énoncés par la "Budapest Open Access Initiative"(BOAI, 2002), l'utilisateur du site peut lire, télécharger,

copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral de ces documents, les disséquer pour les

indexer, s'en servir de données pour un logiciel, ou s'en servir à toute autre fin légale (ou prévue par la réglementation

relative au droit d'auteur). Toute utilisation du document à des fins commerciales est strictement interdite.

Par ailleurs, l'utilisateur s'engage à respecter les droits moraux de l'auteur, principalement le droit à l'intégrité de l'oeuvre

et le droit de paternité et ce dans toute utilisation que l'utilisateur entreprend. Ainsi, à titre d'exemple, lorsqu'il reproduira

un document par extrait ou dans son intégralité, l'utilisateur citera de manière complète les sources telles que

mentionnées ci-dessus. Toute utilisation non explicitement autorisée ci-avant (telle que par exemple, la modification du

document ou son résumé) nécessite l'autorisation préalable et expresse des auteurs ou de leurs ayants droit.

Page 2: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’Éducation

Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution du deuil familial :

Approche comparative inter-culturelle Corse/Belgique

Mémoire présenté par Valérie Mangion

En vue de l’obtention du grade de master en Science Psychologiques, à finalité

spécialisée en psychologie clinique

Promotrice : Thérèse Scali

Lecteurs : Jacques Guy

Laetitia Di Piazza

Année académique 2018-2019

Page 3: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

REMERCIEMENTS

En tout premier lieu, je tiens à remercier ma promotrice, madame Thérèse

Scali, pour sa confiance, sa bienveillance, sa disponibilité et ses bons conseils.

Merci également pour son humanité et son implication vis-à-vis de ses étudiants.

Merci à madame Laetitia Di Piazza et monsieur Jacques Guy pour l’intérêt

qu’ils portent à ce travail et pour le temps qu’ils ont accepté de passer à la lecture.

Une mention particulière pour monsieur Guy qui a accepté de faire le déplacement

de Corse pour l’occasion.

Un grand merci également aux personnes qui ont participé à cette étude, et

particulièrement les familles que j’ai rencontrées. Merci pour leur confiance, leur

temps, et leur ouverture d’esprit.

Je tiens à remercier chaleureusement monsieur Camille Canonici, professeur

de Corse au collège de Sartène. Merci pour sa disponibilité, son aide et ses bons

conseils dans la rédaction de la partie concernant les rites funéraires en Corse.

Merci à madame Vannina Lari, maitre de conférence en Cultures et Langues

Régionales à l’Université de Corse, pour son aide.

Merci à toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont contribué au

recrutement des participants pour cette étude.

Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au long de ces

années, merci également à mon chéri pour son implication dans ce projet et pour

l’aide qu’il m’a fournie.

Merci à ma cousine, Vannina Blanc, pour sa relecture minutieuse.

Merci à ma mémé pour son aide dans l’élaboration de la partie sur la Corse,

et pour son soutien.

Je tiens à remercier tout particulièrement mes parents pour leur amour, leur

soutien, leur confiance et leur patience depuis le début de mon cursus universitaire.

Enfin, merci à ma minà. Merci de veiller sur nous, et merci pour tout ce

qu’elle a laissé derrière elle. Puisse ce travail rendre hommage à sa mémoire…

Page 4: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

SOMMAIRE

INTRODUCTION 1

CHAPITRE 1. DEUIL : POINT DE VUE INTRAPSYCHIQUE 3

1. Définition 3

2. Les étapes du deuil 4

CHAPITRE 2. DEUIL : POINT DE VUE SYSTÉMIQUE 6

1. Définition et étapes du deuil 6

2. La réorganisation du système après le décès 9

3. Héritage et relations familiales 17

4. Thérapie systémique du deuil 20

CHAPITRE 3. LES RITES FUNÉRAIRES 22

1. Définition 22

2. Contexte actuel 23

3. La fonction sociale des rites 24

4. Partie anthropologique 24

1. Les rites funéraires en Corse 24

2. Les rites funéraires en Belgique 32

CHAPITRE 4. MÉTHODOLOGIE 38

1. Problématique 38

� sur �1 3

Page 5: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

2. Procédure de l’étude 39

3. Participants 40

4. Matériel 42

5. Méthode d’analyse 43

1. L’échelle « Rites funéraires » 44

2. L’échelle « Interactions familiales » 44

3. L’échelle « Vitesse de résolution du deuil » 45

CHAPITRE 5. RÉSULTATS 47

1. Introduction 47

2. Qualitatif 48

1. Famille I. 48

2. Famille M. 53

3. Famille C. 59

4. Famille T. 64

3. Quantitatif 69

1. Consistance interne 69

2. Corrélations 70

3. Régression linéaire 72

4. Test T de Student 74

5. Modération 75

4. Conclusion 78

CHAPITRE 6. DISCUSSION 79

� sur �2 3

Page 6: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

1. Introduction 79

2. Discussion 79

3. Limites 83

CHAPITRE 7. CONCLUSIONS GÉNÉRALES 86

BIBLIOGRAPHIE 88

ANNEXES 92

� sur �3 3

Page 7: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

INTRODUCTION

Le deuil est une étape à laquelle tout le monde est confronté un jour ou

l’autre. Il se caractérise par un profond sentiment de tristesse causé par la perte.

Beaucoup d’auteurs se sont intéressés au deuil d’un point de vue intrapsychique.

Dans la présente étude, c’est sur les conséquences que la perte d’un être cher peut

avoir dans le fonctionnement d’une famille que nous portons notre intérêt. Ainsi,

nous focaliserons notre attention sur ce qui peut être aidant dans le processus de

résolution du deuil familial, et plus particulièrement sur les rites funéraires.

Albert (1999), définit le rite par deux caractéristiques :

- « un rite se présente comme une séquence d'actions ou de comportements plus ou

moins conformes à un programme préétabli et identifiable comme tel par ceux qui le

pratiquent ou en sont les témoins.

- « ces actions débordent le cadre de la seule rationalité pragmatique : ou bien elles

sont matériellement inopérantes, ou bien elles associent à un acte efficace des

suppléments « inutiles ». »

Ainsi, « un rite se distingue des actes ordinaires par ses motivations et suggère des

significations sans les expliciter. ». Pour comprendre l’origine de la pratique des

rites, l’auteur propose deux rôles possibles de ceux-ci. Le premier est la pratique de

rites par rapport à la mort en elle-même, donc à la perte d’une personne. Cette

pratique aurait une fonction psychologique. Le deuxième est la pratique de rites par

rapport aux morts; cette proposition est à rattacher aux croyances quant à une

destinée post-mortem par exemple. Dans ce sens, la pratique de rites aurait plutôt

une fonction sociologique.

Les rites pratiqués par rapport à la mort sont, d’un point de vue psychanalytique,

une « tentative de solution de crise affective ». Ainsi, à travers les restrictions

imposées lors du deuil et les dépenses pour les obsèques, les vivants tentent de

soulager le sentiment de culpabilité qu’ils peuvent ressentir du fait d’être toujours en

vie, tandis que leur proche n’est plus.

� sur �1 92

Page 8: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Les rites pratiqués par rapport aux morts seraient à mettre en lien avec une

peur de la mort. Albert (1999) remarque un point commun à beaucoup de sociétés :

presque toutes distinguent deux périodes après la mort. La première serait celle de la

« disparition des parties molles du cadavre », durant laquelle le mort demeure près

des vivants et peut interférer avec eux. Le seconde, arrive après décomposition de

ces « parties molles ». Elle peut faire l’objet d’une « seconde sépulture » et marque

la fin du deuil pour les vivants. A ce niveau, le mort ne représente plus de danger.

Ainsi, nous comprenons que certes, les rites jouent un rôle psychologique, mais ils

sont également fondés sur des croyances d’existence post-mortem potentiellement

dangereuses.

Dans une société en voie de sécularisation, où la religion et les croyances

mystiques tendent à disparaitre, nous pouvons observer que les rites, bien qu’ils

changent de forme et évoluent, demeurent malgré tout. A l’heure de

l’hypertechnologisation de la société, où tout s’obtient instantanément à partir d’un

simple clic sur un clavier ou un écran, nous continuons de prendre du temps pour

dire au revoir à nos morts. Alors quelle en est l’utilité ? Cette pratique des rites est-

elle vraiment aidante dans le processus de résolution du deuil ou ne persistons-nous

que parce que « on a toujours fait comme ça » ?

Dans cette étude, nous tenterons de répondre à cette question. Pour cela, nous

avons choisi de comparer deux cultures très différentes : la culture corse à la culture

belge. L’une très soucieuse de la pratique des rites, tandis que l’autre y accordant

moins d’importance.

Nous aborderons dans un premier temps la question du deuil. D’abord d’un

point de vue individuel, puis d’un point de vue systémique. Nous verrons en quoi un

décès peut impacter l’équilibre familial établi. Nous explorerons ensuite la question

des rites; le contexte actuel et leur fonction sociale. Nous ouvrirons ensuite une petite

parenthèse anthropologique afin d’exposer les rites pratiqués en Corse et en Belgique

avant de passer à la présentation de la méthodologie de notre étude. Nous exposerons

enfin les résultats avant de les discuter et de fournir les limites de ce travail.

� sur �2 92

Page 9: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

CHAPITRE 1. DEUIL : POINT DE VUE INTRAPSYCHIQUE

1. Définition

Le deuil est bien sûr une étape difficile de la vie , et par laquelle tout le

monde passe , un jour ou l'autre . Mais qu'est-ce que réellement le deuil ? Que cela

implique-t-il ? Nous allons d'abord définir le deuil , puis nous évoquerons quelques

théories sur les étapes par lesquelles passe une personne endeuillée . Tout cela sous

un point de vue individuel .

Pour parler de deuil , il convient d’abord de le définir .

Le Larousse (2019) donne la définition suivante : « Perte, décès d'un parent,

d'un ami : Avoir un deuil dans sa famille » ou encore « Douleur, affliction éprouvée à

la suite du décès de quelqu'un, état de celui qui l'éprouve : Le pays est en deuil, il

pleure ses morts. ».

D’un point de vue plus psychanalitique , Freud , dans « Deuil et mélancolie »

(2004), définit le deuil comme étant « la réaction à la perte d’une personne aimée ou

d’une abstraction mise à sa place, la patrie, la liberté, un idéal, etc. ». Il serait alors

caractérisé par des traits similaires à ceux de la mélancolie , à savoir « une

dépression profondément douloureuse, une suspension de l’intérêt pour le monde

extérieur, la perte de la capacité d’aimer, l’inhibition de toute activité » . Le seul trait

permettant de distinguer le deuil de la mélancolie est « le trouble du sentiment

d’estime de soi » .

Hanus dans « Le deuil de ces tout petits enfants » (2001) lui définit le deuil ,

non pas comme tourné vers le passé , en souffrance vis à vis de toutes les choses que

l'on a vécu avec la personne décédée et relatif à la remémoration de ce qui n'est plus ,

car le passé est terminé , et nul ne saurait revenir là-dessus . Personne n'est en

mesure d'effacer ce qui a été vécu . Les souvenirs resteront , au-delà de la mort .

Hanus (2001) pense que le deuil est un processus en lien avec l'avenir . Il s'agit de se

� sur �3 92

Page 10: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

résigner et d'accepter d'abandonner l'idée d'un avenir commun . La personne vivra

toujours à travers les souvenirs du passé , mais plus rien ne la fera revenir et les

projets tombent à l'eau .

Même s'il le définit selon le passé et le futur , Hanus (2001) fait remarquer

que le deuil va , d'une certaine façon , figer le temps . Si la relation entretenue avec

la personne décédée était bonne , alors les souvenirs , bien que rappelés avec tristesse

, resteront doux et tendres . Si par contre la relation entretenue avec l'être perdu était

ambivalente ou conflictuelle , alors le deuil n'en sera que plus difficile : ce lien

restera enfermé dans le souvenir d'ambivalence ou de conflit, et plus aucune chance

ne lui sera laissée pour évoluer et pour s'améliorer .

2. Les étapes du deuil

Nous avons tous une certaine idée du deuil . Mais pour mieux le

comprendre , et pour mieux l'expliquer , certains auteurs en ont fourni une

explication plus poussée .

Kübler-Ross (1975) a décrit le processus de résolution du deuil selon 5 étapes .

Chacune d'elles constitue une tentative de contester la dure réalité à laquelle est

confrontée la personne endeuillée .

La première étape est le déni , le choc . Elle apparaît au moment où le proche

du défunt apprend le décès . La réalité est trop dure à accepter . La personne

endeuillée la refuse , l'ignore . Les émotions sont presque neutres , la personne n'a

pas conscience de ce qu'il se passe .

La deuxième étape est la colère . A ce stade là , la personne reprend contact

avec la réalité , elle prend conscience de ce qu'il se passe et réalise que l'être aimé

n'est plus . La colère se révèle être un sentiment puissant de protestation contre le

sort qu'elle endure . Sort contre lequel elle est totalement impuissante .

Vient ensuite l'étape de la négociation au cours de laquelle la personne

endeuillée va négocier intérieurement le principe de réalité avec celui de la perte non

acceptable . La mort est reconnue , mais la personne va tenter de la négocier

� sur �4 92

Page 11: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

psychiquement . Il peut s'agir par exemple de croyances religieuses , telle que la vie

après la mort . L'autre n'est plus dans ce monde , mais il continue à exister ailleurs .

L'étape suivante est celle de la dépression . La personne en deuil va

finalement comprendre que l'être aimé est parti et qu'elle n'a aucun contrôle sur la

situation . Un sentiment de tristesse profonde , de détresse et d'impuissance va alors

l'envahir .

Enfin, l'acceptation est la dernière étape. Celle où le proche du défunt se

résigne et accepte enfin ce qui lui arrive. Après plusieurs étapes de lutte et plusieurs

tentatives de protestation , la personne endeuillée accepte finalement la réalité . La

tristesse peut encore être présente , mais elle retrouve un fonctionnement normal , en

reconstruisant sa vie malgré le vide et l'absence .

Selon Freud (2004), à travers l’épreuve du deuil, la personne est confrontée, par la

réalité, à la perte de l’objet aimé. Elle doit dès lors cesser d’investir toute libido dans

cet objet. Abandonner une "position libidinale" n’est pas chose facile, c’est pourquoi

la personne endeuillée peut en venir à « se détourner de la réalité et à maintenir

l’objet par une psychose hallucinatoire de désir », on peut citer comme exemple le

rêve, à travers lequel la personne maintient son lien avec l’objet perdu. Cela se

poursuit durant le temps nécessaire à désinvestir la libido de l’objet perdu. Ainsi,

« après avoir achevé le travail du deuil », le moi « redevient libre et sans

inhibitions ».

"Le travail qu'accomplit le deuil" est donc la confrontation à la réalité qui

pousse le sujet à désinvestir l'objet perdu, "la rébellion compréhensible", durant

laquelle l'objet perdu peut être maintenu psychiquement par hallucination et qui

demande beaucoup d'énergie, et enfin le désinvestissement de la libido et un moi qui

« redevient libre et sans inhibitions ».

� sur �5 92

Page 12: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

CHAPITRE 2. DEUIL : POINT DE VUE SYSTÉMIQUE

Etant donné les étapes difficiles et mouvementées par lesquelles l'individu

endeuillé doit passer , il est aisé d'imaginer que le système familial, comprenant

plusieurs individualités, ne peut pas rester indemne à un deuil… Nous allons voir

comment le système se réorganise après la perte d'un être cher.

1. Définition et étapes du deuil

Dans « Les enfants en deuil par suicide », Paesmans (2005) cite Pereira

(1998) pour définir le deuil familial et ses étapes. Il s’agit d’ « un processus familial

qui se déclenche à la suite de la perte de l’un de ses membres ». Va s’en suivre une

réorganisation, les rôles de la personne décédée vont être redistribués entre les

membres de la famille. La famille subira une restructuration, une réorganisation

adaptative, à défaut de quoi elle sera menacée de disparition. Les quatre étapes du

deuil familial selon Pereira (1998) sont celles-ci :

1. « L’acceptation familiale de la perte permet à tous les membres de la famille de pouvoir

exprimer leur tristesse. A cette étape, les rituels tels la veillée funèbre et

l’enterrement jouent un rôle important. En effet, ceux-ci annoncent la

perte, favorisent son acceptation et crée un cadre adéquat pour

l’expression des émotions.

2. Le processus de réorganisation familiale implique la redistribution de la communication

interne et des rôles familiaux. Chaque famille possède son propre modèle

de communication ; chacun de ses membres jouant un rôle différent lors

de la transmission de l’information, que ce soit au sein de la famille ou

avec le monde extérieur. Lorsque l’un des canaux de communication

vient à disparaître, il faut alors mettre en place des alternatives afin de

maintenir une relation adéquate. La réorganisation des systèmes de

communication est loin d’être simple et dépendra de plusieurs facteurs

� sur �6 92

Page 13: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

tels que les aptitudes et les capacités de communication de la famille,

l’importance du disparu dans la communication intra-familiale, et la

brutalité avec laquelle se produit la mort. La redistribution des rôles que

détenait le défunt entre les différents membres du système familial est,

quant à elle, souvent source de conflits. L’issue de ces derniers dépendra,

une fois de plus, de la fonction qu’occupait précédemment le défunt au

sein de la famille ; la disparition de quelqu’un occupant une position

centrale dans son fonctionnement pouvant produire un déséquilibre

intense dans le système. Les rôles précédemment attribués au défunt

seront donc soit répartis entre les membres survivants ou assumés par

l’un d’entre eux, soit maintenus « en réserve » en attendant la venue et

l’incorporation dans la famille d’un nouveau membre qui les assume.

3. Après la phase de réorganisation interne et, lorsque la famille commence à se sentir plus

stable et à se tourner vers l’extérieur, une réorganisation de la relation

avec l’environnement extérieur commence à être possible. Celle-ci

implique également la redistribution des rôles ainsi que la redéfinition de

nouveaux canaux de communication. De fait, le processus de deuil sera

également facilité par le fait que le système familial maintient des canaux

de communication avec l’environnement extérieur rendant ainsi plus

facile l’accès aux réseaux de soutien extérieur. Contrairement à cela, la

suppression de canaux de communication avec l’environnement extérieur

menace l’intégrité du système. A cela vient s’ajouter la réorganisation des

règles de fonctionnement du système. Lors de la réorganisation des règles

face à ces changements, la flexibilité de la famille ainsi que sa capacité à

maintenir une structure définie détermineront le fonctionnement et la

viabilité du système familial. La réorganisation des règles de

fonctionnement du système prend du temps et dépend du nombre de

règles qui doivent être modifiées, de la brutalité avec laquelle survient le

décès et du cycle vital de la famille.

4. La fin du travail de deuil familial est définie par la réaffirmation du sentiment

d’appartenance à la nouvelle structure familiale née de l’ancienne, mais

organisée de façon différente. Les canaux de communication et les rôles

� sur �7 92

Page 14: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

qu’assumait le défunt ont été redistribués entre les autres membres de la

famille et de nouveaux canaux de communication ont été créés. Les

survivants cherchant parfois de nouveaux appuis après le décès, certaines

alliances se verront modifiées. Ceci ne veut pas dire qu’on oublie le

défunt mais plutôt qu’on essaye petit à petit de le restituer

émotionnellement de façon adéquate afin que sa figure fasse toujours

partie de l’histoire de la famille mais qu’elle cesse d’avoir une influence

directe sur le fonctionnement de celle-ci. »

Gaillard et Rey (2001) proposent également plusieurs étapes par lesquelles

passent une famille lors du décès d’un de ses membres. Elles sont au nombre de six,

et les membres de la famille peuvent les expérimenter individuellement. Il s’agit de

l’état de choc, la dénégation, la colère, le marchandage, le désespoir et la sagesse.

Gaillard et Rey comparent le deuil à une spirale au cours de laquelle la famille passe

d’une position à l’autre, sans ordre précis. « Les groupes endeuillés (deuil d’un autre

ou deuil de soi) passent et repassent dans le désordre sur les mêmes positions : l’un

des membres du groupe familial s’attarde sur une position qu’un autre shunte, alors

qu’un troisième met en boucle récursive deux ou trois positions entre lesquelles il

navigue indéfiniment (entre dénégation, colère et marchandage, par exemple), et

qu’un autre encore semble s’ancrer longuement dans une seule position (la colère, ou

la tristesse, par exemple). » Cette boucle permet de se rendre compte des différences

de rythmes pouvant exister entre les membres d’une même famille et permet donc

d’expliquer les incompréhensions et les différents possibles entre les membres au

cours du deuil familial.

D’après C. Héas et S. Héas (2007), « La fin du deuil familial est marquée par

l’acceptation de ses membres d’une nouvelle structure familiale, née de l’ancienne,

mais organisée d’une manière différente. La figure du défunt viendra à faire partie de

l’histoire de la famille, mais elle devrait cesser d’avoir une influence directe sur le

fonctionnement de celle-ci. »

� sur �8 92

Page 15: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

2. La réorganisation du système après le décès

Dans sa recherche sur le développement personnel d’un enfant malgré le

suicide d’un de ses parents, Paesmans (2006) fait l’hypothèse de trois concepts

importants dans le deuil familial : la « base familiale de sécurité » de Byng-Hall

(1995), les scripts de Byng-Hall également (1995) et la notion de tiers pesant de

Goldbeter (1994). Ces concepts pourraient être également intéressants à développer

pour toutes les formes de deuil familial, et pas nécessairement uniquement dans le

cas d’un suicide du parent.

Byng-Hall (1995) considère la famille comme un cadre sécurisant et

disponible pour chacun des membres leur permettant l'assurance de soutien en cas de

besoin. Il appelle cela la "base familiale de sécurité" qu'il définit comme "une famille

qui offre un réseau fiable de relations d'attachement, lequel permet à tout membre

quel que soit son âge, de se sentir suffisamment en sécurité pour explorer ses

relations avec chacun des autres et avec des personnes extérieures à la famille".

Ainsi, la famille est donc un lieu où chacun occupe des rôles bien précis dans des

situations précises également.

Byng-Hall (1995) considère que chaque personne, au sein d'une famille,

occupe un rôle déterminé, et que le maintien de ces rôles assure l'équilibre du

fonctionnement familial. Il nomme cela les scripts familiaux, qu'il définit comme

"les attentes familiales communes concernant la manière dont les rôles familiaux

doivent être remplis dans différents contextes". Il existe 3 types de scripts familiaux :

on nomme scripts "réplicatifs" lorsqu'une personne reproduit ce qu'elle a vécu au

sein de sa famille d'origine, comme par exemple les types de relations, ou les rôles

occupés dans certaines situations, au sein de sa nouvelle famille. Au contraire, les

scripts "correctifs" sont le refus de reproduire le vécu provenant de la famille

d'origine, et la volonté de mettre en place de nouveaux types de relations. Enfin, les

scripts "actuels" sont le résultats d'un mélange entre les scripts "réplicatifs" et les

scripts "correctifs", et correspondent au fonctionnement propre à la famille. Ainsi, les

scripts peuvent donner une indication sur comment la famille doit vivre son deuil et

renseigner sur le sens qu’elle va donner au décès de l’un de ses membres, sa capacité

de soutien émotionnel.

� sur �9 92

Page 16: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Enfin la notion de tiers pesant (Goldbeter, 1994) va renseigner sur le rôle, la

place, la fonction qu’occupaient les membres décédés de la famille. Ainsi, le

difficulté du deuil sera fonction de la place qu’occupait le défunt, selon qu’il

comptait comme un tiers léger ou un tiers pesant au sein de la famille. Ces trois concepts sont intéressants dans la compréhension des mécanismes sous-

tendant la résolution du deuil familial.

Paesmans (2006) suggère que les scripts vont également jouer un rôle dans la

résolution du deuil familial. "Les scripts de deuil vont guider la façon dont les

différents membres de la famille, adultes et enfants, vont se soutenir mutuellement,

ainsi que la manière dont ils vont exprimer ou non le désespoir qui fait suite à la

perte d’un être cher." Lors d'un décès, le script familial va se modifier, et chacun

occupera un nouveau rôle, celui-ci pouvant se révéler plus ou moins important selon

que la personne soit plus ou moins proche du défunt, et donc plus ou moins porteuse

du deuil. Perdre un proche signifie alors faire le deuil de cette personne, mais

également celui du script familial, qui devra alors être modifié en prenant en compte

les changements occasionnés par la perte.La perte d'un être cher est toujours difficile.

Mais lorsque le défunt est un enfant, un processus particulier se met en place dans la

famille pour supporter le décès.

Toute la famille est touchée par le décès d'un enfant. Selon Coq, Romano, et

Scelles (2011), il s'agit alors de s'intéresser à tous les points de vue sur le décès dans

la famille : le point de vue individuel , propre à chacun , celui du sous-système

"couple" , et celui du sous-système "fratrie" . Ne pas réduire le deuil à un niveau

intrapsychique permet de ne pas isoler l'individu dans son deuil en coupant son lien

aux autres. Mais il est tout de même important de reconnaître chacun dans sa

spécificité et son individualité face au deuil, car ignorer la spécificité d'une personne

l'empêche de réaliser son processus de deuil aussi bien systémique qu'individuel.

Lors de l'annonce du décès d'un enfant dans une famille, chacun des membres

va réagir différemment. Chacun va gérer son deuil à son rythme. Penser que tous

vont s'accorder et avancer au même rythme serait parfaitement illusoire et risquerait

au contraire de créer des désaccords. Les membres de la famille vont donc

individuellement se remémorer chacun les liens qu'ils entretenaient avec l'enfant � sur �10 92

Page 17: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

décédé, les relations d'amour et de haine; l'ambivalence du sujet vis à vis de l'enfant.

La famille va être confrontée au principe de réalité qui va les conduire vers un état

dépressif. Ceci jusqu'à un désinvestissement de la relation. Cela peut passer par un

"discours intérieur en direction de l'enfant mort", évoquant alors les événements

qu'ils ont vécu ensemble, où qui étaient prévus dans le futur.

Le processus de résolution du deuil d'un point de vue familial peut être

considéré de manière ambivalente.

Il peut s'avérer plus complexe que lorsqu’il est abordé de manière

individuelle. Chacun avançant à un rythme différent et selon des défenses

différentes, la souffrance évoquée par les uns peut perturber les autres, les renvoyant

à leurs propres failles, celles contre lesquelles ils luttent. La famille peut aussi

fonctionner sur un mode défensif en désignant une personne en particulier comme

les empêchant d'exprimer leurs propres émotions, leur propre tristesse, une personne

devenant alors l'"objet des projections de la souffrance familiale", il s'agit du

"deuilleur désigné".

Mais lorsque toute la famille tombe d'accord sur une manière de définir la

personne décédée, en la reconnaissant dans son ambivalence, en lui attribuant aussi

bien ses qualités que ses défauts et en cessant de l'idéaliser, alors cela peut mener à

limiter les sentiments de culpabilité individuelle. L'unité formée autour de ce

consensus permet de sortir de cette impression de responsabilité dans le décès de

l'enfant. Le groupe familial permet à chacun d'avancer à son propre rythme et de

rejouer sa place au sein du système, mais il permet en même temps un soutien, un

support, un contenant pour les émotions, les affects de chacun des membres. Il agit

comme une membrane qui protège les individus des agressions externes, mais ne les

y enferme pas, et leur permet des réinvestissements à l'extérieur.

Si l'approche systémique rassemble la famille en une unité donc chacun des

membres va vivre le deuil d'une manière qui lui est propre, les différents sous-

systèmes ne vont pas non plus vivre le décès de la même manière. On peut ainsi

différencier le deuil chez les parents du deuil au sein de la fratrie.

Lors de l'annonce du décès de leur enfant, les parents peuvent se trouver dans

un état de sidération, ils peuvent ne pas comprendre ce qui leur arrive, ne pas y

� sur �11 92

Page 18: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

croire, être dans une forme de déni face à ce qui leur arrive et face à la mort. S'ils

étaient présents au moment du décès, ils peuvent aussi se trouver dans un état post-

traumatique. Ces différents états ne sont qu'une manière de se protéger de la réalité

inacceptable.

Un sentiment de culpabilité peut être le résultat d'une blessure narcissique

due au sentiment d'avoir échoué dans son rôle de parents en n'ayant pas réussi à

protéger son enfant adéquatement. Cette culpabilité n'est finalement qu'une façon de

lutter contre l'effondrement narcissique, en se réappropriant la situation, et en

reprenant du contrôle sur ce qui n'était pas contrôlable. A travers la culpabilité, ils ne

sont pas seulement spectateurs de leur malheur, mais en deviennent acteurs, même

s'ils n'ont pas le meilleur rôle. Ils peuvent également remettre la responsabilité sur

l'autre parent, mais il importe qu'ils trouvent un responsable. Les deux parents ne

vivant pas le deuil de la même façon, cela peut entraîner des conflits entre eux.

Le sous-système fratrie ne vit pas du tout le deuil de la même façon que le

sous-système parents. On pourrait penser que les enfants, de par leur jeune âge ne

ressentent pas la mort, ou ne réalisent pas, et l'on pourrait être tentés de sous-estimer

leur souffrance. Or , il n'y a pas d'âge pour percevoir la mort. Un bébé ne souffrira

pas du manque du frère décédé, mais il ressentira, à travers le contexte émotionnel

familial, le profond chagrin de ses parents, et celui de ses frères et soeurs. Un enfant

à peine plus âgé n'aura pas une réelle conscience de ce que signifie la mort, mais

l'absence prolongée et des réminiscences perceptives lui feront vivre le décès du

proche.

Les frères et soeurs d'un enfant décédé vivent le deuil à travers trois aspects :

d'une part, ils vivent la souffrance des parents et baignent dans le climat émotionnel

familial. D'autre part, les parents, ayant perdu un enfant, ne vont plus regarder leurs

enfants en vie de la même manière, le lien qui les unit en sera donc modifié. Enfin,

selon l'avancée dans le développement, le processus d'identification/séparation peut

mener à une interprétation du décès différente. Dans le développement normal de

l'enfant, le processus de d'identification/séparation au stade "identification" peut

mener l'enfant à fantasmer qu'il aurait pu être l'autre : ils ont été conçus par les

mêmes parents, se sont développés durant 9 mois dans le même ventre, et ont grandi

ensemble. Il peut exister à un jeune âge une tendance à penser que l'autre est à la fois

� sur �12 92

Page 19: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

différent de soi, mais à la fois une partie de soi. Ainsi, l'enfant peut se trouver dans

une certaine confusion quant à la différenciation entre lui-même et l'autre. C'est par

la confrontation à l'autre, et par l'expérience de la vie que l'enfant va se différencier ,

et comprendre que l'autre n'est pas lui, car lorsque son frère tombe par exemple, lui

ne souffre pas. Il accèdera alors au stade de séparation. Lorsque le décès d'un frère

survient avant que ce processus de séparation ne soit abouti, les frères et soeurs

restants peuvent alors souffrir de voir mourir un "presque même que soi". La mort du

frère signifie alors la mort d'une partie de soi. Il devient alors compliqué de se

différencier, puisqu'il n'est plus possible de se confronter à l'autre et à la réalité de

cette différence. Ainsi, lorsqu'un enfant parle du manque de son frère décédé, il ne

s'agit pas juste de la souffrance de l'absence du frère, mais d'une disparition d'une

partie de lui-même. Lorsqu'un enfant nait après le décès d'un autre enfant, il pourrait

alors avoir pour "mandat générationnel d'incarner le frère mort". Ici les parents

pourraient projeter sur cet enfant ce qu'ils espéraient de celui qu'ils ont perdu.

L'enfant pourrait alors s'oublier, et vivre à travers le fantasme du frère décédé. Il

pourrait alors souffrir d'une perte identitaire, ce qui n'a plus rien à voir avec son

propre deuil, et qui se différencie alors du processus de deuil des parents. Michel

Hanus (2001) parle alors d’ « enfant de remplacement ». Un enfant conçu en

prévision de remplacer un enfant qui est promis à la mort, ou qui l’est déjà. Toute la

complexité consiste dans le fait que les parents projettent sur leurs enfants tout ce

qu’ils n’ont pas eu ou ce qu’ils ne sont pas devenus eux. Ainsi, l’enfant est

merveilleux, prodigieux, et ils veulent pour lui le meilleur. Ce que l’on pourrait

appeler de l’instinct parental de manière courante, est décrit par Michel Hanus

comme étant un prolongement narcissique des parents. L’enfant est un prolongement

d’eux-même, une autre partie de leur personne, et ils peuvent librement projeter les

meilleures qualités et espérer pour lui ce qu’ils ne peuvent plus attendre pour eux-

mêmes. En perdant un enfant, les parents perdent donc une partie d’eux-même,

partie idéalisée où ils plaçaient tous leurs espoirs. Il arrive alors parfois que cette

fragilité narcissique empêche les parents de faire le deuil de l’enfant, ils ne

parviennent pas à se désinvestir de l’enfant disparu , même plusieurs années plus

tard. Un nouvel enfant va naitre pour le remplacer. Il sera alors support des

projections parentales : il sera à la fois l’enfant mort, et à la fois un autre. Les parents

déplaceront toutes les attentes qu’ils avaient à l’égard de l’enfant décédé sur � sur �13 92

Page 20: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

l’ « enfant de remplacement », tout en le comparant au premier, totalement idéalisé.

Ils déplaceront également tous les affects négatifs destinés à l’ainé, puisqu’idéalisé,

ils ne peuvent reconnaitre les défauts de cet enfant disparu. C’est l’ « enfant de

remplacement » qui les assumera. Ainsi, il ne sera jamais à la hauteur s’il ne s’efface

pas lui-même.

Les symptômes de l'enfant endeuillé étant différents de ceux des adultes, ils

risquent d'être négligés par les parents. Il peut s'agir de troubles dépressifs,

d'hypervigilance, de troubles anxieux envahissants, de douleurs psychosomatiques,

de troubles du comportement, et de PTSD (syndrome de stress post-traumatique) si

l'enfant était présent lors du décès. Un risque important pourrait également être qu'il

adopte un comportement en faux-self : l'enfant va masquer sa peine de peur

d'aggraver celle de ses parents. Mais de cette manière, il s'empêche d'avancer dans

son processus de deuil. Il peut exister chez l'enfant une sorte de culpabilité liée à la

mort du frère, l'enfant peut se souvenir avoir haï ce frère auparavant et peut penser

qu'il est responsable de sa mort pour peut-être l'avoir souhaitée.

L'une des principales difficultés dans la réalisation du deuil chez l'enfant

provient du fait qu'il n'a pas encore acquis les notions de temps et d'irréversibilité de

la mort. Il est alors difficile pour lui d'accepter la situation et de prendre conscience

du caractère définitif de l'absence de l'autre. Il peut se plonger dans une attente du

retour de l'autre longue et douloureuse. L'enfant pourrait ne plus vouloir grandir, ou

vivre, car avancer dans la vie signifierait pour lui qu'il est prêt à oublier l'autre, et

qu'il prendrait de l'avance sur lui, car pendant que lui grandit et évolue, l'autre enfant

restera à jamais fantastiquement figé dans un âge. Il pourrait aussi vouloir devenir

l'enfant mort, afin de le faire continuer à vivre à travers lui.

Il est également important de surveiller les frères et soeurs lorsqu'ils

atteignent l'âge qu'avait leur frère au moment du décès. Il peut s'agir d'un moment

difficile pour les parents, car ils peuvent revivre à travers eux la douleur qu'ils ont

subie lorsqu'ils ont perdu leur enfant, mais il est important que ces enfants puissent

discuter et verbaliser avec une personne de confiance l'éventuelle peur qu'il peuvent

avoir à l'idée de vivre la même chose que leur frère décédé. Le risque est de mettre

en acte ce qui ne peut pas être communiqué verbalement.

� sur �14 92

Page 21: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Suite au décès d'un frère, certains réaménagements peuvent être réalisés au

sein de la fratrie. Ainsi, il peut exister des réactions de violence exacerbées entre

frères et soeurs, pas nécessairement justifiées par des conflits ultérieurs, mais aussi

des comportements de dépendance et de contrôle réciproques ayant pour but de se

réassurer.

Il est important pour les enfants de continuer à vivre et de pouvoir parler de

leur frère décédé, tout en étant contenus par l'enveloppe familiale, ainsi, cela leur

permet progressivement d'accepter cette réalité.

Cuendet et Grimaud de Vincenzi (2003) se sont intéressés au deuil non résolu

des parents projeté sur leur(s) enfant(s). L’enfant « portefaix » serait porteur du

symptôme du deuil non résolu, voire carrément nié d’un des parents. Selon Racamier

(1992), cité par Cuendet et Grimaud de Vincenzi (2003), la « faisabilité du deuil »

dépend de la valence de l’investissement de l’objet perdu, de l’investissement

narcissique ou non de cet objet et de la présence physique d’une marque de la mort.

Ainsi, il est plus compliqué de s’engager dans un processus de résolution du deuil

lorsque les sentiments vis-à-vis de la personne décédée était de l’ordre de

l’ambivalence; ne pas « avoir pu régler ses comptes avec lui ou elle » laisse

l’investissement en suspens et bloque le processus de résolution du deuil. Lorsque

l’objet est investi narcissiquement, la perte n’est pas envisageable, la personne va

alors absolument la refouler et la projeter sur l’autre. Enfin, l’absence de corps et de

rituel va empêcher la personne de prendre conscience du caractère réel de la mort.

« Les pratiques codifiées sont nécessaires pour donner un sens symbolique à la

séparation ». Lorsque le parent n’arrive pas à accepter « la perte », il peut utiliser son enfant

comme « remplaçant » en lui attribuant les caractéristiques du défunt. L’enfant va

porter les symptômes du deuil non élaboré de son parent. Ces symptômes vont

rejouer, mettre en scène les non-dits. Ainsi l’enfant soulage la famille en assumant la

place du défunt et en évitant alors sa réorganisation.

� sur �15 92

Page 22: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Les causes et les circonstances d'un décès provoquent des réactions

différentes chez les familles. Certains types de mort peuvent s'avérer plus difficiles

que d'autres .

Dans une étude réalisée aux Etats-Unis, Mayer, Rosenfeld, et Gilbert (2013)

se sont intéressés aux interactions d'une famille après la "mort cardiaque subite" d'un

des membres.

Par les termes "mort cardiaque subite", les auteurs englobent également les morts

naturelles inattendues avec ou sans symptômes alarmants, soit des personnes qui

n'avaient pas de maladie déclarée autre que cardiaque.

L’étude a été menée sur 7 familles, soit environ 17 participants en tout. Les défunts

étaient tous des hommes âgés de 42 à 54 ans. Les familles ont été invitées à partager

leur histoire d'abord au cours d'un entretien familial, puis individuel.

Pour tous les participants, le moment où ils ont appris le décès a été

choquant, et en particulier lorsqu'ils n'étaient pas au courant que le défunt souffrait

d'une maladie cardiaque ou que celui-ci ne présentait pas de symptômes

préoccupants.

Un décès soudain bouscule l'équilibre familial. Il représente une grande

perturbation dans un espace où le sentiment de sécurité était considéré comme

définitivement acquis. Il provoque de grands changements pendant des jours, des

mois et des années; changements à la fois non désirés et imprévus. Les familles

éprouvent le besoin de raconter leur histoire, chose peu évidente, compte tenu de la

non désidérabilité sociale d'entendre parler de perte et de douleur.

La soudaineté du décès soulève de nombreux questionnements auprès des

proches. Questionnements qu'ils s'échangent entre eux, mais dont ils tentent d'obtenir

des réponses claires et précises auprès de médecins, et autres membres du personnel

soignant. Questions qu'ils poseront, et reposeront plusieurs fois; ce qui constitue

certainement une façon d'assimiler la réponse. Le caractère soudain peut également

être perturbateur car il empêche la famille de pouvoir se préparer et mobiliser des

ressources à l'avance. Elle doit vivre au jour le jour et improviser. Le principal

soutient vient souvent des amis et des proches, qui vont l'aider dans ses tâches

quotidiennes et l'assurer de leur présence.

� sur �16 92

Page 23: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Toutes les familles de l'études ont également témoigné de cérémonies plus ou

moins formelles qu'ils ont mis en place après le décès. Il pouvait s'agir de funérailles,

ou de rassemblements entre amis à plusieurs endroits. Les aspects importants de ces

cérémonies sont le nombre de participants, les gens qui y parlent et y témoignent leur

affection, et les histoires partagées entre les amis et la famille.

Après une perte importante, les personnes endeuillées doivent réapprendre

tous les aspects du monde, qu'ils soient physique, psychologique émotionnels ou

social; leur vision du monde étant modifiée par la perte, ils doivent apprendre à se

réapproprier celui-ci. Le monde social et surtout familial constitue un aspect

particulièrement important au moment du deuil, car il donne la possibilité de

s'exprimer et d'avoir des réponses à des questions telles que "pourquoi cela est-il

arrivé ?" ou "qu'est-ce que l'on peut faire ?", et cela permet à la famille de donner du

sens à ce décès; sens que les auteurs considèrent comme un processus important dans

le deuil.

La mort soudaine d'un membre de la famille vient bousculer le système et

provoquer des changements de rôles. Par exemple, on peut observer des enfants

soutenir les adultes endeuillés, un retour plus fréquent des jeunes adultes au foyer

familial venus chercher et apporter du soutien à la famille, ou encore des membres

de la famille vivant séparément et exprimant un besoin d'être ensemble et de

communiquer plus souvent. La réponse à ce type de décès n'est pas toujours positive,

mais elle résulte souvent en croissance post-traumatique. Il s'agit souvent de

croissance personnelle où les relations à l'autre sont modifiées et plus connectées. Il

en résulte également un sentiment accru de force personnel, de résilience et

d'empathie envers les autres.

L'étude n'ayant été réalisée que sur base de 7 familles, n'est pas généralisable.

Cependant, elle nous donne une idée des interactions pouvant survenir dans une

famille après un décès soudain.

3. Héritage et relations familiales

� sur �17 92

Page 24: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Comment parler du deuil en famille sans évoquer la notion d'"héritage" .. Le besoin de reconnaissance est nécessaire à l'être humain car c'est à travers celui-ci

qu'il se sent perçu comme sujet, et non objet. Cuynet (2008) considère l'héritage

comme une démonstration de reconnaissance et de transmission. Il le situe à deux

moments particuliers dans le cycle de la vie : à la naissance, et au moment de la

mort.

Lors d'une naissance, l'arrivée d'un bébé va bousculer l'équilibre familial

existant. La place de chacun dans le système va s'en trouver modifiée, et le bébé va

attirer l'attention de toute la famille et susciter un phénomène de regroupement

autour de lui.

La famille va rechercher des éléments physiques confirmant l'appartenance

de l'enfant à celle-ci, des ressemblances attestants les liens qui l'unissent aux

membres de la famille. L'enfant sera idéalisé s'il correspond aux attentes de la

famille, et considéré comme persécuteur s'il ne correspond pas.

A partir du moment ou l'enfant est reconnu, il sera "intronisé" dans la famille

par sa reconnaissance identitaire au niveau légal, à la mairie.

L'enfant est porteur des attentes et des espoirs de la famille, ce qui le place

comme étant nécessaire à la famille et le valorise.

Ainsi, dès la naissance, l'enfant est porteur de "l'héritage psychique puisé

dans le passé familial". Certaines coutumes vont jusqu'à symboliser cet héritage de

manière physique : en offrant un objet qui appartenait au défunt, la famille espère

que l'enfant héritera également de ses qualités.

L'enfant devra ensuite choisir de s'approprier ou pas "l'héritage symbolique et

imaginaire" que la famille lui a transmis.

Le même phénomène se produit lors du décès d'un membre de la famille.

Le décès d'un proche va bousculer de nouveau l'équilibre familial, et va

casser ce sentiment d'union éternelle de la famille. Le défunt va, comme le nouveau-

né, mobiliser l'attention de tout le monde et susciter le regroupement de toute la

famille autour de lui. Ce regroupement permet, d'une certaine façon, de réparer

« l'enveloppe groupale » que la mort du proche a fissurée. A travers le recueillement,

la famille va tenter de retrouver le sentiment d’union qui existait auparavant, et les

� sur �18 92

Page 25: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

rites funéraires avec témoins vont lui permettre de prendre conscience du caractère

réel de la mort.

Au-delà d’une simple succession matérielle, l’héritage notarial s’inscrit

comme un moment de transition identitaire. La question de l'héritage va remettre en

jeu les liens existants entre les personnes vivantes et le défunt, soit en les confirmant,

soit en les infirmant. C’est pourquoi la découverte du testament peut s’avérer être un

moment choc dans certains cas, laissant un sentiment d’injustice et des conflits au

sein de la fratrie. Ainsi, la question de l'héritage n'est pas seulement matérielle, mais

il est aussi et surtout histoire de reconnaissance de l'identité et des origines du

successeur et des liens l'unissant au parent décédé. Le sentiment d'injustice laissé par

un testament « surprenant » peut être alors exacerbé par le fait que le défunt, alors

qu'il n'est plus là, continue à imposer son avis, alors que le vivant, totalement

impuissant, le subit, et n'est que spectateur dans cette situation.

« Il n'y a pas de don qui ne réclame un contre-don ». Pour qu'une

transmission soit saine, il faut que l'héritier se sente légitime, et digne de recevoir cet

héritage. Ainsi, même si l'héritier reçoit de droit ce qui appartenait au défunt, il devra

s'en montrer légitime, en assumant aussi bien les bonnes choses que les mauvaises.

La différence qui existe avec la naissance, c'est qu’ici, la personne a le choix, elle est

en mesure d'accepter ou de refuser l'héritage. Donc, accepter l'héritage revient à

"reconnaitre son ascendant comme digne d'être son parent", il s'agit de confirmer

l'héritage donné à la naissance.

Pour pouvoir recevoir l’héritage convenablement, le parent doit préparer son

héritier de son vivant, lui parler de ce qu’il voudrait lui laisser, lui transmettre. Car,

un héritier non préparé, en cas de mort subite, peut se trouver dans l’ambivalence,

perdu entre ce qui lui revient de droit, et ce qu’il se sent autorisé à recevoir. Si le

parent n’a pas pu préparer son héritier à la transmission, alors le testament peut

servir de parole pour attester de la réelle volonté du parent de transmettre, et non pas

simplement de léguer.

Le deuil ramène les individus à un état régressif. Les objets hérités du défunt

sont perçus avec une importance toute particulière dans la mesure où ils rassurent les

proches et leur permettent de se rappeler de leurs souvenirs avec lui. Ces objets

peuvent cependant être considérés de deux manières différentes : ils peuvent être � sur �19 92

Page 26: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

utilisés comme objets transitionnels, faisant office de lien fantasmatique entre le

monde dans lequel se trouve le défunt et le mode des vivants, rappelant alors le

passage de l’être cher dans la vie familiale . Ou il peut devenir « relique » via un

pacte dénégatif conclu par la famille, et représentera une lutte contre l’acceptation 1

de la réalité de la perte. On peut facilement imaginer qu’en considérant les objets

laissés par le défunt comme reliques, le deuil sera difficile à dépasser, puisque la

famille continuera de voir en ces objets la présence du défunt.

4. Thérapie systémique du deuil

Il existe des outils systémiques employés dans la thérapie du deuil familial.

Cuendet et Grimaud de Vincenzi (2003) proposent un outil thérapeutique

pour révéler au grand jour les dénis de deuil des parents portés par les enfants

« portefaix » et pour relancer la dynamique familiale et la résolution du deuil

parental : le rituel. Tout d’abord, la thérapie offre un cadre, un contenant sécurisant

permettant à la famille de rejouer ce qui n’a pas été dit, ceci à distance du drame. Le

simple fait que chacun mette des mots sur son vécu peut fuir à débloquer la

dynamique qui s’était jusqu’alors figée. Un objet métaphorique peut aussi permettre

de s’exprimer et de remettre en marche la dynamique familiale; chacun amène en

thérapie un objet représentant le lien l’unissant au défunt ou symbolisant la perte.

L’objet et son histoire vont permettre de mettre en lumière le ressenti de chacun,

éclaircir les différents points de vue et relancer la dynamique familiale. Enfin,

lorsque le parent a projeté sur son enfant les qualités de son proche décédé, amener

une photo de ce dernier en thérapie permet de lui faire prendre conscience des

mécanismes de projection en jeu. Ainsi, il va être en mesure de différencier le défunt

de son enfant et ainsi, soulager ce dernier de son mal-être jusqu’à présent inexpliqué. Le rituel permet d’ « externaliser la mort, de la mettre en scène, de la réactualiser ».

Il permet au parent de régler ses comptes avec le défunt, de prendre conscience des

projections qu’il a pu faire sur son enfant. A travers le rituel, le parent va pouvoir

Pacte dénégatif : « formation intermédiaire générique qui, dans tout lien – qu’il s’agisse d’un couple, d’un groupe, d’une famille ou 1

d’une institution –, voue au destin du refoulement, de déni, ou du désaveu, ou encore maintient dans l’irreprésenté et dans l’imperceptible, ce qui viendrait mettre en cause la formation et le maintien de ce lien et des investissements dont il est l’objet. On peut donc tenir le pacte dénégatif comme un des corrélats du contrat de renoncement, et de la communauté d’accomplissement de désir, et du contrat narcissique » (Kaës, 1988, p. 32).

� sur �20 92

Page 27: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

rejouer ce qu'il n’a pas pu faire avant le décès et qui est resté figé depuis. Ainsi, il va

décharger son enfant du poids de ce deuil non résolu et pouvoir lui-même faire le

deuil de ce proche décédé.

Gaillard et Rey (2001) présentent, à travers la description de cas cliniques,

différents outils thérapeutiques intéressants pour les familles endeuillées.

Notamment le jeu de l’oie. A travers ce jeu, la famille va reconstruire son histoire.

D’un commun accord de tous les membres qui la composent, la famille va fournir

dix événements significatifs pour son histoire. Chacun va ensuite « qualifier

émotionnellement » chacun de ces événements avec une carte symbole (oie, pont,

prison, puits, hôtel, labyrinthe et mort). Ainsi, le plateau de jeu sera porteur de

plusieurs parcours : celui commun à tous les membres, plutôt factuel, et les parcours

individuels, plus émotionnels. Enfin, chacun des membres doit définir une case

comme le « départ » de ce parcours, et une case comme « l’arrivée », qui indique

comment il envisage l’avenir. Dans ce jeu, le deuil est posé comme un repère temporel avec des antécédents et un

futur. Il permet de structurer l’histoire de la famille, aussi bien chronologiquement

qu’émotionnellement. Il permet de partager la signification individuelle de chaque

événement avec les autres membres et ainsi de faire circuler les différents ressentis,

rouvrir le dialogue et mettre en lumière ce qui n’a pas pu être dit. Le jeu de l’oie

permet la « métabolisation symbolique » du décès. A travers le récit, la famille va

retrouver son enveloppe rassurante et soutenante.

� sur �21 92

Page 28: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

CHAPITRE 3. LES RITES FUNÉRAIRES

1. Définition

C. Héas et S. Héas (2007) définissent le rituel comme « un ensemble de

gestes, de pensées, et de prises de positions, relevant d’une religion, d’une culture,

d’un mythe familial ou d’un processus psychopathologique et susceptible d’apporter,

à celui qui l’accomplit, un surcroît de pouvoir, un soulagement de l’angoisse ou la

possibilité de passer à une autre phase du cycle de vie. » Ainsi, au cours du deuil, le

rituel aide la personne à progressivement se détacher du défunt et à cheminer dans le

processus de résolution du deuil. Une famille ne pratiquant pas de rituels autour du

décès de l’un des siens parviendrait plus laborieusement à résoudre son deuil. Ainsi,

« la prescription de rituels thérapeutiques a une fonction très importante. Elle peut

restituer au temps une véritable dynamique. » Cela vient marquer l’importance des

rites mortuaires, enterrements et autres cérémonies lors du décès d’un proche.

Thomas (1985), cité par C. Héas et S. Héas (2007), soutient qu'ils "visent

avant tout à assurer la “paix des vivants“". Mais également à "marquer la frontière

entre le monde des vivants et des morts en s'assurant bien que ces derniers ne

reviennent pas troubler la tranquillité de ceux qui restent". Ils "s'emploient [...] à

fournir une signification à l'ineffable et une interprétation à l'inéluctable par la

référence à une cosmologie ou une théologie porteuse d'espérance. Ils s'emploient

également à compenser l'absence par une régénération du corps social et à apaiser la

perte par la promesse d'un “au-delà“ après la mort".

Les rites ont donc à la fois une fonction sociale, mais ils permettent également

d'apporter un sentiment de contrôle dans une situation où la personne n'a aucune

emprise. Selon les croyances, ils peuvent aussi expliquer l'absence physique par une

existence dans un ailleurs.

� sur �22 92

Page 29: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

2. Contexte actuel

Dartiguenave et Dziedziczak (2012) remarquent une évolution dans la

pratique des rites funéraires dans la société actuelle. Il n'existe plus un modèle

unique de pratique funéraire, mais bien presque autant qu'il ne survient de décès.

Selon les auteurs, cette évolution serait la conséquence de la sécularisation de la

société. Alors que les rites rattachés aux croyances religieuses ou mythiques sont de

moins en moins fréquents, un "agir rituel" (Segalen, 2009) se maintient. Les auteurs

parlent d'une "capacité proprement anthropologique à produire du rite". Les

pratiques religieuses ou mythiques sont basées sur la croyance que l'esprit quitte la

Terre pour un au-delà. Le rôle des rites traditionnels est de relier "le monde terrestre

au monde des divinités ou des esprits". Aujourd'hui, les rites ne sont plus motivés par

ce genre de croyances, mais ils sont particulièrement marqués par une volonté des

familles d'appropriation via leur élaboration. L'organisation des funérailles donne

notamment lieu à une négociation des places dans le rituel. Les auteurs soutiennent

qu'"on assisterait sur le plan des pratiques funéraires au passage d'un modèle rituel

fondé sur l'hétéronomie, c'est-à-dire sur le consentement et l'obéissance à des normes

extérieures, issues d'une autorité transcendante, à l'expérimentation du rite sur le

mode d'une autonomie où les acteurs cherchent à se donner eux-mêmes leurs propres

règles ».

D'après les observations de Dartiguenave et de Dziedziczak (2012), les cérémonies

actuelles seraient le résultat de "recompositions". Si les cérémonies sacrées restent

différentes des profanes, chacune des deux tend à intégrer des éléments de l'autre.

Ainsi il n'est pas plus surprenant d'entendre des chansons ou textes profanes

appréciés du défunt ou de ses proches lors de cérémonies sacrées, que de voir des

signes de croix et d'entendre des prières lors de cérémonies profanes.

Pour la famille, il n'est plus tant question de cliver le profane du sacré, que de

réellement s'approprier la cérémonie à travers sa personnalisation.

Hanus (2002) confirme cette évolution en affirmant que "la moitié de la

population souhaite personnaliser les cérémonies et les pratiques. Les rites

traditionnels sont ressentis comme trop formels, déshabillés, impersonnels", ce qui

selon lui pourrait expliquer leur tendance à l'effacement. � sur �23 92

Page 30: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

3. La fonction sociale des rites

Les rites sont donc le lieu de négociations sociales dans l’entourage du

défunt. Woodthorpe (2017) souligne l’importance des funérailles. Quiconque

s’engage dans l’organisation des funérailles s’engage également dans une relation

avec l’organisateur, mais se porte aussi comme garant financier de la cérémonie et

s’expose au jugement des autres quant à cette organisation. Ainsi, la façon dont les

funérailles sont organisées serait révélateur des liens entretenus entre les membres de

la famille du défunt et entre les différentes branches de la famille elle-même. C’est à

travers le contenu, la participation et le choix commercial des funérailles que

Woodthorpe (2017) les envisage comme un cadre où les liens entre les différents

membres de la famille vont être affirmés et rejetés activement. C’est aussi une façon

pour chacun de réaffirmer ses liens au défunt.

Dartiguenave et Dziedziczak (2012) mettent en évidence la réappropriation

des obsèques de la part des familles à travers le refus d’un modèle unique et la

personnalisation du rituel, qu’il soit religieux ou non. Ainsi, cette personnalisation

donne lieu à une négociation de la place de chacun dans la famille, aussi bien aux

yeux de la société, qu’à l’intérieur de la famille elle-même.

4. Partie anthropologique

1. Les rites funéraires en Corse

Les corses ont un rapport à la mort très particulier. Hurstel (2012) différencie

deux mondes : le "monde des vivants", et le "monde des forces surnaturelles", "da

culandi", celui où vont les morts. Ces deux mondes existeraient dans le même

espace, mais dans deux dimensions différentes, séparées par une frontière très fine :

les cours d'eau. C'est pourquoi il est de coutume en Corse de craindre de passer près

� sur �24 92

Page 31: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

des cours d'eau et sur des ponts à minuit. Ainsi, d'un témoignage recueilli en 2000,

Hurstel (2012) retranscrit que les morts se rassemblent dans les bois, sous les ponts

ou près des cimetières, à minuit ou des jours bien précis, comme le vendredi, qui est

le "jour de la mort du Christ", "donc jour maléfique" d'après la personne intérrogée.

Ce monde des morts est fondé sur deux dimensions : une "dimension païenne

ancienne chargée de magie", et une "dimension chrétienne surnaturelle", de laquelle

ce monde tire sa dualité bien/mal, dieu/diable.

En Corse, il existe trois différents types de personnages, qui tournent autour de la

mort : les "esprits", que l'auteure définit comme des "êtres surnaturels fantastiques et

malveillants qui apportent la mort aux vivants", les "revenants", des "trépassés qui

font retour dans le monde des vivants" et qui font parti du "peuple des morts", et

enfin "ceux qui appartiennent à la fois au monde des morts et des vivants". Ces

esprits et revenants sont craints, tandis que le diable lui-même n'est pas évoqué.

Les êtres "malveillants qui apportent la mort" sont craints, car ils sont

maléf iques e t peuvent donner la mort . Hurs te l (2012) c i te " les

grammante" (fantômes), les "streghe" (sorcières), et les mazzeri "assomeurs, jeteurs

de sorts).

En ce qui concerne la deuxième catégorie, il existe deux sortes de revenants :

ceux de la "confrérie des morts" et ceux qui sont proches ou familiers. La "confrérie

des morts", appelée aussi "squadra d'arrozza" se déplace pour annoncer la mort

future d'une personne du village. Ainsi elle vient chercher la personne qui doit

mourir pendant son sommeil, et la place sur une civière pour l'emmener au cimetière

et simuler son enterrement. La personne décedera dans les jours suivants.

Lorsque les revenants sont familiers, c'est seuls qu'ils reviennent, "soit dans

des visions diurnes ou nocturnes, soit le plus souvent la nuit dans les rêves". Hurstel

(2012) relève d'un témoignage datant de 2002 qu'il ne faut surtout rien accepter ou

leur donner, car "sinon on offre l’âme".

Enfin, parmi les êtres qui sont entre la vie et la mort, l'auteure cite les

"mazzeri"; il s'agit de personnes ayant la capacité de se dédoubler pendant leur

sommeil. Elles partent de nuit, et chassent le sanglier à l'arme blanche. Lorsque la

bête est morte, les mazzeri en retournent la tête, et c'est alors le visage d'une

� sur �25 92

Page 32: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

personne du village qui apparait. La mort de cette personne surviendra entre 3 jours

et un an après cette chasse nocturne. La "signadora", "conjuratrice", est aussi une

personne ayant la capacité d'être en communication avec le monde des morts. Elle

enlève le mauvais oeil, guérit certaines maladies et certains maux avec des prières.

Si le corse respecte autant ses défunts, c'est aussi parce qu'il les craint, car s'il ne les

honore plus, "ils peuvent se venger cruellement". Il peut aussi arriver qu'une

personne rêve d'un proche décédé et que celle-ci se manifeste pour lui donner un

conseil lorsqu'il s'agit d'une décision majeure dans sa vie.

Hurstel (2012) relève donc un rapport ambivalent du corse à la mort. Autant il doit

respecter ses morts, les honorer, les aimer, mais il ne doit pas chercher à s'en

rapprocher ou à entrer en contact. Les vivants avec les vivants, et les morts avec les

morts.

Mais la pratique de rites sur l'Ile remonte à bien plus longtemps que ces

croyances. Le Dr. Natali en 2016, évoque la mort et les rites pratiqués en Corse de

manière chronologique. Ainsi, la sépulture la plus ancienne, "La Dame de

Bonifacio", date du Néolithique, environ 6500 ans avant Jésus-Christ. A cette époque

déjà, un grand soin était apporté à enduire le corps d'ocre rouge, et à orienter la tête

du côté droit. Cela révelerait la croyance du groupe en une nouvelle vie après la

mort. Plus tard, à l'âge de Bronze, environ 2000 / 1500 ans avant Jésus-Christ, et

sous l'influence de la culture "torréenne" les statues-menhirs, soupçonnées par

Grosjean (1956) de représenter les défunts et d'en constituer des "effigies

commémoratives", font leur apparition dans certains villages. De même, les "tafoni",

trous dans les rochers, étaient considérés comme des tombes.

Entre 500 et 340 ans avant Jésus-Christ, l'inhumation semble très majoritaire en

Corse, elle représente environ 93% des pratiques à cette période; "les morts sont

couchés comme sur un lit, entourés d'objets d'usage courant, de céramiques importés

d'Athènes, de bronzes étrusques". La vie terrestre continuait ainsi alors qu'un

nouveau monde s'ouvrait à eux. L'incinération commence à être pratiquée vers 300

ans avant Jésus-Christ.

� sur �26 92

Page 33: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Plus tard, vers 250 avant Jésus-Christ, sous la colonisation romaine, la Corse devient

chrétienne, et l'usage est de croire que le mort continue de vivre aussi bien autour

qu'à coté de sa tombe, plus qu'à l'intérieur.

Au XIème siècle, la Corse se christianise. Jusqu'au 18ème siècle, c'est dans "l'arca",

sorte de caveau sous le dallage des églises, que les défunts reposent collectivement.

Les sépultures individuelles ne font l'exception que pour les "sgiò", personnes

importantes ou riches, qui peuvent demander à reposer auprès des prêtres, dans les

églises.

En 1769, la Corse, sous la domination de la France, reçoit difficilement l'imposition

du cimetière, "campu santu", comme mode de sépulture obligatoire.

De la moitié du XIXème siècle à celle du XXème, des personnes considérées comme

importantes ou riches ont choisit de faire construire des tombeaux dans leur propre

propriété plutôt que d'être inhumées au cimetière.

La Corse du XIXème siècle et du début du XXème siècle est pauvre et violente. Une

cent-cinquantaine d'assassinats sont relevés chaque année dans l'Île, et elle compte

également un taux élevé de mortalité infantile. En cause, une justice que Natali

(2016) qualifie d'"expéditive", et en laquelle les corses n'avaient pas confiance. D'où

l'établissement d'un "code d'honneur spécifique" sur l'île. Lors d'un assassinat, c'était

soit les parents du défunt, soit des amis ou voisins qui déclaraient le décès. Pour la

veillée, le corps était vêtu de ses plus beaux vêtements, puis exposé dans la pièce

principale de la maison, allongé sur la "tola", la table. Lorsque le défunt était une

jeune femme pas encore mariée, c'était vêtue d'un voile qu'elle était exposée, car on

considérait que la mort dans leur condition les faisaient devenir épouses du Christ.

Les pleureuses chantaient le "voceru", qui s'adresse directement au mort, et qui est

une "narration de la vie du défunt, mais aussi une interpellation sociale, impliquant la

parentèle pour “se faire honneur face à la mort“".

La Grande-Guerre de 14-18, a mobilisé 40 000 hommes sur les 300 000 habitants de

l'Île, et en a tué 11 500. Des monuments aux morts ont été érigés dans les communes

corses. Natali (2016) fait remarquer que ceux-ci font très peu référence à la Corse,

contrairement à ceux d'autres régions comme la Bretagne, ayant également une

identité forte. L'après guerre marque la disparitions des « vendette »; cela pourrait

� sur �27 92

Page 34: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

s'expliquer par un sentiment de fraternité entre les hommes ayant combattu

ensemble, ou par la trop grande quantité de sang coulé.

Dans une émission diffusée sur France-Culture en date du 20 juin 2014,

Grazziani, historien et professeur à l'Université de Corse fait le point sur les rites qui

ont traversé les époques et qui sont toujours pratiqués aujourd'hui. Le "cunfortu" par

exemple, repas composé de plats préparés par les voisins et amis apportés à la

veillée, ceci évitant à la famille de devoir préparer à manger dans ce moment

difficile. Grazziani (2014) souligne aussi le maintien de la veillée du mort, "moment

d'immense convivialité".

Nous pouvons donc relever un rapport à la mort bien particulier en Corse. La

pratique de rites bien avant la christianisation de l'île, rites qui ont évolué sous

l'influence des multiples envahisseurs, et une crainte certaine concernant le retour

des défunts; crainte qui cette fois encore n'est pas totalement expliquée par des

croyances religieuses. La Corse est donc depuis toujours soucieuse du respect de la

mort et des morts.

Nous allons maintenant tenter de rendre compte des rites pratiqués actuellement en

Corse lors d'un décès.

Natali (2016) décrit les principaux rites pratiqués dans les villages corses lors

d'un décès. Bien que cette description soit représentative de ce qui se vit

actuellement dans la majorité de l'Île, il est à noter qu'il existe cependant des

particularités propres à chaque village. Ainsi, nous nuancerons parfois les propos de

Natali (2016) par des notations résultants d'observations personnelles.

Lorsqu'un décès survient dans une ville ou un village de Corse, la première étape, si

le défunt était chrétien, est de "sunà u murturiu", "sonner le glas". Cela permet

d'avertir qu'une personne du village est décédée, même si, le prêtre du Presbiter de

Saint-Forent, Père Nicoli, en 2014 dans l'émission de France Culture signale qu'à

l'heure actuelle, la nouvelle circule très rapidement, et que parfois le glas est sonné

plus par tradition que pour annoncer le décès réellement. Notons aussi que dans

� sur �28 92

Page 35: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

certains villages, la fonction du glas est d'annoncer que la famille reçoit. Le glas est

sonné au village, même si le décès a pu survenir ailleurs. S'il y a quelques années

encore, les gens faisaient du porte à porte pour faire passer le message, aujourd'hui,

c'est par téléphone que l'on annonce le décès. Par le biais des pompes funèbres, la

famille fait publier un avis de décès dans le journal "Corse-Matin".

Un article signé N. K. publié par le journal lui-même le 1er novembre 2018, jour de

la Toussaint, détaille l'importance de la rubrique nécrologique dans l'Île. Au-delà d'un

simple partage d'informations "pratiques" telles que la date et le lieu des obsèques,

l'avis de décès fait lieu de partage de souffrance d'une famille. Il peut révéler des

liens de parentés jusqu'alors inconnus, et des conflits entre des membres d'une même

famille peuvent également être découverts par l'absence d'un nom dans l'annonce.

Les corses sont soucieux de se manifester lors d'un décès; ils se rendent aux

funérailles, à la visite ou se manifestent au moins par téléphone si un empêchement

les retient. La rubrique nécrologique est donc essentielle dans le paysage insulaire,

car elle permet d'informer même les personnes les plus éloignées. Si la publication

d'un avis de décès dans le journal semble constituer une étape indispensable après un

décès, elle n'en reste pas moins onéreuse. Battestini (2018), anciennement rédactrice

dans l'espace nécrologique, explique "le plus simple et le plus court revient à environ

70 euros, mais certains avis de décès ont été payés jusqu'à 1500 euros". Le prix ne

semble pas dissuader les familles dans de telles circonstances. Parfois, un même

défunt peut faire l'objet de plusieurs avis de décès dans la même rubrique : si les

familles publient pour annoncer la triste nouvelle, l'avis peut également être partagé

par une entreprise, une association ou autre organisation. Il tient alors un autre rôle

que celui d'annonce; il fait plutôt office d'hommage et de soutien pour la famille.

Lors de la rédaction de l'avis, la famille prend les plus grandes précautions afin de

n'oublier personne, ce qui pourrait devenir source de conflits dans le cas contraire. Si

une erreur a été faite, la famille fait publier un erratum dans la rubrique. Certaines

familles continuent de demander la parution de leur défunt dans la rubrique pendant

plusieurs années, sous la dénomination "in memoriam". Ainsi ils entretiennent la

mémoire de leur proche.

Après l'annonce du décès, viennent les visites et la veillée. Natali (2016) mentionne

l'exposition du corps à cercueil ouvert soit à la maison, soit au funérarium. Nous

� sur �29 92

Page 36: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

pouvons rajouter que bien souvent, c'est dans son propre lit, après le passage des

pompes funèbres pour la thanatopraxie, que le défunt est exposé. Dans certaines

régions, les visites sont sous-tendues par des règles particulières : il est pour habitude

que les hommes reçoivent les visites dans une pièce et les femmes dans une autre.

La veillée et les visites sont l'occasion pour de nombreuses personnes de se

retrouver. Il n'est alors pas étonnant d'y entendre parler de sujets très divers et qui

n'ont rien à voir avec le décès. Si l'auteur ne le mentionne pas dans l'article, nous

pouvons noter que lors des visites, la famille s'assure de proposer café et gâteaux aux

personnes venues rendre hommage. Notons que les visites peuvent s'étendre sur

plusieurs jours, puisque la famille reçoit jusqu'au jour de l'enterrement; il y a

généralement un délais pouvant aller de 24 à 48 heures en moyenne entre le décès et

les funérailles.

Le jour des obsèques, les pompes funèbres viennent procéder à la levée du corps. Le

cercueil est transporté jusqu'à l'Eglise où de nombreuses personnes attendent soit à

l'intérieur, soit sur la place devant. Nous pouvons mentionner que, dans certaines

circonstances particulières, et selon la personnalité du défunt, sur une certaine

distance, le transport n'a pas lieu en corbillard, mais c'est à dos d'homme, porté par

les proches, qu'il est conduit jusqu'à l'Eglise. Bernardini (2014), figure du paysage

insulaire et membre fondateur du groupe "I Muvrini", fait remarquer que porter le

cercueil d'une personne est un "signe de réconciliation" et "d'estime profonde". Il y a

généralement beaucoup de monde car tout le village assiste aux obsèques.

Après la messe, la famille reçoit les condoléances. Cette étape obligatoire est souvent

très longue. Nous pouvons notifier que celles-ci bénéficient d'une organisation

différente selon les villages; alors qu'elles ont généralement, lieu de manière

indifférenciées devant l'Eglise, dans le Sartenais, les femmes les reçoivent à

l'intérieur, tandis que les hommes les reçoivent devant l'Eglise.

Le convoi part ensuite au cimetière. La foule se répartie alors devant le caveau

familial. Ceci n'est pas mentionné par l'auteur, mais cette pratique n'est pas adoptée

dans tous les villages. Toujours dans le sartenais, alors que la famille reçoit les

condoléances, le corps est acheminé vers le cimetière par les pompes funèbres.

Personne d'autre n'assiste alors à l'inhumation.

� sur �30 92

Page 37: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Après les funérailles, la famille convie les personnes proches à partager un dernier

moment avec elle au domicile du défunt. Cette invitation a pour rôle d'affirmer et de

confirmer la qualité des liens entretenus avec ces personnes là.

Natali (2016) fait remarquer l'importance accordée à la fête des morts par les

corses. Des gâteaux spécifiques y sont préparés, les tombes fleuries. Rajoutons que si

le jour de la Toussaint est férié, beaucoup de corses demandent également congé

pour le 2 novembre, le jour des morts.

Morganti (2014), croc mort aux pompes funèbres de Bastia et toujours dans

l'émission diffusée par France Culture, affirme que la taille des tombes donne une

indication sur les moyen de la famille, car elles sont bien souvent proportionnelles à

sa fortune : au plus une famille a gagné d'argent, plus grosse sera la tombe. Les

tombes corses sont construites en hauteur, elle peuvent aller jusqu'à 5 caveaux et

s'élever jusqu'à 3 voire 4 mètre de haut, contrairement à la France continentale où les

défunts sont mis sous terre. Selon Morganti (2014), "on mesure l'importance de la

personne décédée au nombre de voitures garées devant le cimetière".

La musique et le chant occupent une place très importante dans l'île,

notamment lors des obsèques. Dans une émission diffusée sur France-Culture en date

du 20 juin 2014, Bernardini (2014) affirme très justement à propos des demandes de

familles endeuillées pour chanter la messe de leur défunt : "le plus souvent possible,

bien évidemment on s’y rend parce que là la polyphonie est véritablement dans sa

fonction sociale, et le simple fait de pouvoir dire à quelqu’un « tu es venu chanter

pour mes morts », c’est une manière extraordinaire de faire lien, de réparer, de

soigner, de prendre soin, d’être bienveillant, donc la mort de cette manière, elle ne

sépare pas. Elle est une manière aussi de concilier, de réconcilier, de rassembler.".

Bernardini (2014) s'attriste de l'évolution en cours : "Ce temps où le mort est

à la maison est un temps précieux, même si ici comme ailleurs, aujourd’hui nous

sommes confrontés à cette marchandisation de la mort, aujourd’hui quelqu’un qui

� sur �31 92

Page 38: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

meurt à l’extérieur ne peut plus être ramené dans son village, il doit aller à la

morgue, à l’hôpital ou dans un funérarium. Donc on est dans un monde où on nous

offre des stages de méditation à 500€ et où on ne peut plus méditer devant sa grand-

mère qui s’en va pendant un jour, ou sa mère. Et je crois que ça c’est un

appauvrissement du monde, ici comme partout ailleurs. Donc bien évidemment, ces

pratiques là elles grandissent chez nous aussi, et nous ne sommes bien sur pas à

l’abris de ça. Et en même temps, nous sommes un petit peu amputés quoi, parce que

dans cet art, justement, dans cette manière d’accompagner les morts, se dessine tout

l’art de vivre. C’est à la manière dont tu enterre tes mors, je vois aussi comment tu

vis ».

2. Les rites funéraires en Belgique

Il existe malheureusement très peu de littérature concernant les rites

funéraires en Belgique. Seul le registre légal semble faire office de convention. Si

nous ne pouvons imaginer que la pratique de rites est inexistante, elle ne semble

cependant pas beaucoup susciter l'intérêt des auteurs. Peut-être cela est-il explicable

par la notion de laïcité propre à la Belgique, à savoir une neutralité étatique qui "se

traduit par la reconnaissance de certaines religions et organisations non

confessionnelles" (Lombard, 2012), qui inclue donc une grande diversité culturelle et

religieuse, et par l'augmentation de la proportion d'athées.

Nous nous limiterons donc ici à la description des procédures légales, en

faisant la supposition qu'il n'existe pas de pratiques unanimes à une majorité de la

population en dehors de ces procédures, si nous faisons abstraction des pratiques

religieuses.

Medimmigrant (2010) détaille la procédure à suivre lorsqu'une personne décède en

Belgique. Ainsi, la première chose à faire est de contacter un médecin afin d'obtenir

un certificat de décès après constat. La famille doit ensuite se rendre à l'état civil de

la commune dans laquelle le décès à eu lieu afin d'en faire la déclaration, ceci dans

un délais de 5 jours, puis contacter les pompes funèbres.

Pour des raisons sanitaires, le défunt doit être inhumé ou enterré dans les 5 jours

suivant le décès. Une dérogation à ce délais peut être accordée dans certains cas. � sur �32 92

Page 39: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Concernant le financement des funérailles, un décret publié par le Service

Public de Wallonie en 2009 assure que, dans cette région, et dans le cas où "le défunt

est inscrit dans le registre de la population, le registre des étrangers ou le registre

d'attente", c'est la commune qui finance les opérations civiles. Les cérémonies

religieuses ou philosophiques sont quant à elles à charge des proches. C'est donc

celui qui s'en occupe qui doit en en assumer la charge financière. Autrement, la

charge est directement liée à l'héritage, et ce sont donc les héritiers qui en sont

responsables. Le coup d'un enterrement peut varier selon différents éléments comme

le choix du cercueil, le choix de l'entreprise de pompes funèbres, le choix du type de

véhicule par exemple.

Le décret publié par le Service Public de Wallonie en 2009 informe que les

modes de sépultures les plus courants en Belgique sont l'inhumation et la crémation

avec dispersion ou conservation des cendres. Cependant, le gouvernement wallon

peut accepter d'autres modes de sépultures. Dans tous les cas, la personne, de son

vivant, peut informer de son choix par écrit en remettant un document à l'officier

d'état civil de la commune où elle habite. "L'acte des dernières volontés peut

concerner le mode de sépulture, la destination des cendres après la crémation, le rite

confessionnel ou non confessionnel pour les obsèques ainsi que la mention de

l'existence d'un contrat d'obsèques". Dans un article publié par le Service Public

Fédéral Intérieur en 2011, on peut apprendre que cette déclaration est gratuite. Cette

année là, environ 0,95% de la population (soit 104 524 personnes pour une

population totale de 11 038 264) avait rempli ce document afin de faire connaitre

leur choix quant au mode de sépulture après leur décès. Selon les chiffres datant du

12 octobre 2011, l'inhumation n'a compté que 6 989 déclarations anticipées, contre

24 090 pour la crémation. Au total, le registre national enregistre 9 modes de

sépulture : l'inhumation, la crémation, la "crémation suivie de l'inhumation des

cendres dans l'enceinte du cimetière", la "crémation suivie du placement des cendres

dans le columbarium du cimetière", la "crémation suivie de la dispersion des cendres

sur la pelouse de dispersion du cimetière", la "crémation suivie de la dispersion des

cendres en mer territoriale belge", la "crémation suivie de la dispersion des cendres à

un endroit autre que le cimetière ou la mer territoriale belge", la "crémation suivie de

l’inhumation des cendres à un endroit autre que le cimetière", et la "crémation suivie

� sur �33 92

Page 40: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

de la conservation des cendres à un endroit autre que le cimetière". Ainsi, cet article

témoigne d'une volonté de pratique largement supérieure pour la crémation (24 090)

en Belgique par rapport à l'inhumation.

L'inhumation sur terrain privée est interdite. Les corps doivent être enterrés

dans les cimetières. Certaines communes disposent d'espaces prévus pour différentes

croyances religieuses ou philosophiques. Par exemple, les personnes pratiquant

l'islam tournent le visage de leur défunt vers la Mecque, les Hindous accordent de

l'importance au Nord. Ainsi, ce type d'espace accorde la liberté à chacun d'enterrer

son proche selon sa croyance. Un décret publié par le Service Public de Wallonie en

2009 rappelle que "l'emploi de cercueils, de gaines, de linceuls, de produits et de

procédés empêchant soit la décomposition naturelle et normale des corps, soit la

crémation, est interdit".

Dans des pays très peuplés comme la Belgique, l'incinération est souvent

choisie pour des questions de place dans les cimetières. Mais certaines personnes ont

aussi une pensée plus écologique, à savoir que parfois, la décomposition du corps

peut polluer la nappe phréatique. Le choix de l'incinération peut être aussi déterminé

par la religion : si certaines s'y opposent totalement, comme par exemple l'Islam pour

qui le corps doit conserver son intégrité le plus longtemps possible, et donc être

inhumé, ou le judaïsme qui croit en la résurrection future des corps, il est d'usage

pour d'autres d'incinérer les corps, comme par exemple pour les hindous adultes ou

les bouddhistes. De plus, l'entretien de la tombe étant obligatoire et à charge des

familles, l'incinération peut s'avérer être une solution moins exigeante. Pour cette

pratique également, le médecin doit fournir un certificat après constat et

determination des circonstances exactes. Ce n'est que 24 heures après la demande

que l'incinération peut être acceptée et pratiquée. Les cendres peuvent ensuite être

ramenée à la maison gratuitement si le défunt avait préalablement rempli un

formulaire de demande, ou dans le cas de la Flandres, peuvent être dispersée dans un

jardin si les personnes en possession des cendres en sont les propriétaires. Si la

famille souhaite les disperser sur une pelouse prévue à cet effet, cela est gratuit. Si

elle souhaite les répandre en mer, elle devra compter 50 euros pour une dispersion

collective, et 750 euros pour une dispersion individuelle, c'est à dire pour un bateau

qui ne partirait que pour répondre les cendres de cette personne uniquement.

� sur �34 92

Page 41: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

S'il ne semble pas exister, à l'heure actuelle, de convention concernant la pratique de

rites en Belgique, ceux-ci ne sont néanmoins pas inexistants. De part sa notion de

laïcité particulière et une la diminution de la pratique de cultes religieux, le pays

compte une multitude de pratiques de rites différentes. Ainsi, toujours selon l'article

publié par Medimmigrant (2010), nous citerons quelques exemples de rites pratiqués

dans le pays, selon différentes croyances.

Si dans le temps les Catholiques procédaient à la mise en bière directement à

la maison du défunt, tout comme cela persiste encore en Corse actuellement, puis

organisaient des veillées, aujourd'hui celle-ci a lieu au funérarium. Le service

funèbre a généralement lieu à l’église, bien que les services de pompes funèbres

proposent également des lieux de cérémonies religieuses. Le cercueil est ensuite

transporté soit au cimetière, soit au crématorium, selon les volontés du défunt, sinon

celle de la famille. Après l'enterrement, les proches se réunissent et partagent

ensemble les souvenirs qu'ils gardent du défunt.

Les rites Bouddhistes peuvent varier considérablement selon la région, et

selon l'origine de la famille. Tout le monde semble cependant partager le fait que le

corps ne doit pas être manipuler au cours des huit premières heures suivant la mort,

la croyance étant que l'"âme" habite toujours le corps à ce moment la. Si la personne

décède à l'hôpital, le corps est ramené au domicile familial. Si par contre le décès

survient brutalement, la mise en bière a lieu à la morgue, car la famille craint de

potentielles conséquences négatives si le corps est ramené à la maison. La cérémonie

a ensuite lieu au crématorium; celle-ci est écourtée en Belgique, comparée à sa

version traditionnelle. Lorsque le décès n'est pas brutal, mais pré-senti, un moine

accompagne la personne vers la mort : il la prépare et la guide. Il est également

présent pour la famille après le décès, il la soutient, et veille sur l’ "âme". Les voisins

visitent la famille, aident à préparer les repas. Il est de coutume de manger végétarien

durant les obsèques : la viande étant associée à la mort, et donc au corps du défunt.

Avant de fermer le cercueil, tout le monde doit voir le corps de la personne décédée.

Des offrandes sont disposées sur l'autel; il peut s'agir de fleurs, de fruits, d'eau, de

thé, de vin, de bougies, d’encens..

� sur �35 92

Page 42: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Dans la religion Islamique, l'enterrement doit avoir lieu dans un délais de 24

heures après le décès. Le Coran, qui ne doit pas être lu dans la pièce où repose le

défunt, qualifie la mort d'impure, c'est pourquoi le corps doit être toiletté le plus

rapidement possible. C'est la famille et les amis qui s'en occupent. Il sera lavé au

minimum 3 fois, puis encore au moins 2 autres fois s'il n'est pas assez propre. Le

nombre de toilettes doit être impair. Les hommes toilettent les hommes, tandis que

les femmes toilettent les femmes. Seuls les enfants peuvent être toilettés

indifféremment par une femme ou un homme. Le lavage est exécuté avec du savon

et du parfum sans alcool. Après la toilette, la famille enveloppe le corps dans des

linceuls; il s'agit de matière ordinaires, et non luxueuses. Les hommes sont

enveloppés dans 3 tissus, les femmes dans 5. Une prière est faite avant l'enterrement.

Le défunt est ensuite porté, tour à tour, par des personnes différentes. Il est couché

sur le coté droit, le visage en direction de la Mecque. C'est lorsque le corps est dans

cette position que la tombe est rebouchée. Les personnes assistants aux funérailles

jettent alors 3 poignées de sable dans la tombe.

Les Hindous portent le deuil pendant 10 jours. Les rituels doivent être

expliqués et traduits aux générations les plus jeunes, car ils sont difficilement

accessibles. La mise en bière a lieu au domicile du défunt ou au funérarium. Il est

lavé, puis vêtu de manière traditionnelle. Les gens s'assoient tout autour du cercueil,

généralement ouvert, et prient pour la paix de l'âme. Ils font des offrandes de

boulettes de riz, composées par les mêmes éléments que l'homme : le feu, l'eau, la

terre, l'air ou l'éther. Avant que le cercueil ne soit refermé, on y glisse des cadeaux.

Le cortège part ensuite jusqu'au lieu où aura lieu la crémation. Cette dernière est très

importante dans le rituel hindou : au plus vite le corps se désintègre, au plus vite

l'âme est libérée. Le cercueil est porté à dos d'hommes, 4 personnes le soutiennent.

Durant le trajet, il est déposé 5 fois à terre; la famille s'assied chacune des fois. Le

cercueil est ensuite déposé, ouvert, dans l'espace central. Il est décoré par des fleurs.

Le fils du défunt s'occupe des rituels d'usage. Le corps est ensuite brulé. Une

offrande de feu a lieu le 12ème ou 13ème jour, puis la vie normale reprend son cours.

En ce qui concerne les cérémonies civiles, donc laïques, elles peuvent avoir

lieu dans une salle de cérémonie soit au funérarium, soit au crématorium, au lieu où

� sur �36 92

Page 43: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

aura lieu l'inhumation, au domicile du défunt ou dans un autre endroit. Les

funérariums et crématoriums disposent généralement de ce genre de salle, permettant

le recueillement de la famille, et un dernier hommage au défunt avant l'inhumation

ou la crémation, et ce pour toutes les confessions ou croyances qu'il soit. En

consultant des sites internet d'entreprises de funérariums et crématoriums, tels que

Neomansio par exemple, nous pouvons lire que la tradition est "de se réunir à l'issue

de la cérémonie de funérailles. Ce moment est l'occasion pour les familles et les

proches de se retrouver pour un moment de convivialité." Ainsi, le lieu dispose d'

"espaces Horeca", proposant des buffets, et cafés dans des salons privés ou cafétéria

publique, pour restaurer la famille et les proches après une cérémonie funéraire.

� sur �37 92

Page 44: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

CHAPITRE 4. MÉTHODOLOGIE

1. Problématique

Le processus de deuil familial est influencé par les rites qui eux mêmes

prennent leur naissance dans le contexte légal et culturel. Nous mettons ici en

parallèle deux types de population, supposant, d'après la littérature sur le sujet,

qu'elles accordent chacune différents degrés d’importance à la pratique de ces rites :

la Belgique et la Corse. L’objectif est d'étudier la fonction des rites funéraires dans la

dynamique familiale du deuil, et plus globalement, étudier ce qui peut être aidant

pour une famille endeuillée.

Ce mémoire est donc l'occasion dans un premier temps de vérifier si la proportion de

littérature à propos des rites est réellement représentative de la réalité du terrain, à

savoir une pratique des rites belge plus rare qu'en Corse.

Nous testerons donc l'effet de ces trois variables sur la temporalité du deuil familial

telle que définie par Pereira (1998) : l'estimation de la qualité perçue des liens

entretenus avec la famille, la pratique des rites funéraires, et les interactions

familiales.

Ainsi, nous émettons les hypothèses suivantes :

- Plus la famille pratique de rites, plus rapidement le deuil sera résolu.

- Plus la famille a d'interactions après le décès, plus rapidement le deuil sera résolu.

- La pratique de rites conjointement à beaucoup d'interactions familiales vont écourter

le processus de deuil.

- La qualité perçue des liens entretenus avec la famille conjointement à la pratique de

rites peuvent expliquer la vitesse de résolution du deuil : Par

exemple, la pratique de rites, conjointement à une qualité des liens

familiaux perçue comme très bonne peut donner lieu à un

regroupement familial perçu comme soutenant et aidant dans le

� sur �38 92

Page 45: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

processus de résolution du deuil. A l'inverse, une qualité des liens

avec la famille perçue comme mauvaise, pourrait, malgré la pratique

de rites, s'avérer inefficace dans la résolution du processus de deuil.

- L'interaction entre la qualité perçue des liens entretenus avec la famille avec les

interactions familiales pourrait expliquer la vitesse de résolution du

deuil. Par exemple, une faible qualité perçue des liens entretenus avec

la famille, conjointement à beaucoup d'interactions familiales, peut ne

pas s'avérer être aussi aidant que lorsque la personne perçoit sa

famille comme entretenant des liens de bonne qualité.

Afin de tester ces hypothèses, l'étude a été conduite selon deux approches

différentes : une approche quantitative, via la diffusion d'un questionnaire en ligne, et

une approche qualitative, par la passation d’entretiens.

2. Procédure de l’étude

La présente étude a fait l'objet d'une demande soumise au comité d'éthique de

l'Université de Liège.

Le recrutement a commencé immédiatement après l'obtention d'une réponse positive.

Celui-ci a duré 3 mois pour la partie quantitative et 4 mois pour la partie qualitative.

Deux affiches mentionnant toutes les informations utiles à la bonne

compréhension des objectifs de l'étude ainsi que les critères d'inclusion ont été

diffusées .

La première contenait un lien et un QR code redirigeant directement le participant

vers le questionnaire en ligne, et lui permettant d'y répondre après avoir donné son

consentement.

La seconde affiche visait au recrutement de familles pour la partie qualitative. Elle

fournissait un numéro de téléphone et une adresse mail à contacter pour pouvoir

participer à l'étude. Les participants pouvaient également se manifester sur les

réseaux sociaux. Nous leur avons fourni les renseignements nécessaires, avons pris

� sur �39 92

Page 46: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

soin de répondre à leurs questions, et leur avons rappelé le caractère confidentiel de

l'étude avant de fixer un rendez-vous.

Le recrutement s'est principalement fait par le partage de ces affiches sur différents

réseaux sociaux. Afin d'élargir la visibilité de l'annonce au-delà de notre propre

cercle, et au-delà de celui de notre réseau, nous l'avons partagée sur des groupes à

échelle nationale pour la Belgique, et régionale pour la Corse. L'annonce a

également été affichée dans des salles d'attente médicales, avec autorisation des

médecins, et dans des centres hospitaliers. Enfin, le bouche à oreille a constitué un

mode de recrutement très efficace également.

Les entretiens ont eu lieu dans des endroits neutres et calmes, selon la volonté des

participants. Après avoir rappelé les objectifs de l'étude, le caractère confidentiel des

entretiens, et après avoir remercié les volontaires pour leur participation et leur

confiance, nous avons procédé à la signature des consentements.

Les données recueillies par le questionnaire ont ensuite été analysées à l'aide d'un

logiciel statistique, tandis que les entretiens semi-structurés ont fait l'objet d'une

analyse au cas par cas, de manière qualitative.

3. Participants

Les participants à l'étude sont des personnes ayant vécu le décès d'une personne de

leur famille.

Pour la partie quantitative, il s'agit de personnes ayant accepté de répondre au

questionnaire en ligne. Elles ont été recrutées essentiellement par la publication

d'annonces sur différents réseaux sociaux.

Pour pouvoir répondre au questionnaire, les participants devaient avoir perdu une

personne de leur famille, ou considérée comme faisant parti de leur famille, depuis

plus de 6 mois; ce délais permettant un processus de deuil déjà amorcé, voire abouti.

Trois groupes de participants se distinguent : les participants belges, les

participants corses, et ceux qui ne sont ni l'un, ni l'autre.

� sur �40 92

Page 47: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

L'échantillon final est constitué de 394 participants; il s'agit des personnes ayant

répondu au minimum à 2/3 de l'enquête en ligne. Il comptabilise 194 belges, 152

corses et 48 "autres"; soit des personnes à priori francophones qui ne sont ni belges,

ni corses. Rappelons que si l'objectif principal est d'évaluer la mesure dans laquelle

les rites aident à la résolution du processus de deuil familial, il s'agit également d'une

étude comparative inter-culturelle entre la Corse et la Belgique.

Au total, toute origine confondue, l'échantillon est composé de 331 femmes et de

63 hommes.

Le principal intérêt d'une étude quantitative était d'obtenir des résultats provenant

d'un échantillon très varié, aussi bien au niveau de l'âge, que du niveau socio-

culturel, et donc certainement plus représentatif de la réalité actuelle.

Les tableaux ci-dessous reprennent la fréquence et le pourcentage de chacune des

modalités pour les variables « Sexe » et « Origine ».

Pour la partie qualitative, les settings sont variables. Pour la Corse, nous comptons

deux familles et une personne isolée représentant sa famille. Pour la Belgique,

l'échantillon est composé d'une dyade de deux soeurs, et de deux personnes isolées

représentant chacune leur famille. Etant donné la difficulté à réunir des familles

complètes consentantes à aborder cette thématique, nous avons fait le choix d'élargir

nos critères de sélection. Ainsi, l'échantillon est composé des personnes ayant

accepté de parler ouvertement de la thématique du deuil familial. Un délais de 6

mois entre le décès et le moment de l'entretien est respecté dans presque tous les cas,

à l'exception d'une personne représentant sa famille en Belgique. Nous avons choisi

d'accepter de rencontrer cette personne malgré un court délais entre le moment du

décès et l'entretien, car sa situation permet d'illustrer le cas d'une famille ayant été

privée des rites.

� sur �41 92

Sexe

Fréquence Pourcentage

Hommes 63 16,0

Femmes 331 84,0

Total 394 100,0

Origine

Fréquence Pourcentage

Belges 194 49,2

Corses 152 38,6

Autres 48 12,2

Total 394 100,0

Page 48: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Le bouche à oreille a été le principal mode de recrutement pour les entretiens.

L'inclusion d'une approche qualitative à cette étude était intéressante dans la

mesure où elle permet d'obtenir des informations bien plus précises que le

questionnaire, et donc bien plus riches. Les entretiens semi-structurés permettent à la

fois de recueillir les témoignages verbaux des participants, mais ils fournissent

également des éléments sur les interactions familiales par le biais de l’observation.

4. Matériel Pour la partie qualitative, les participants ont été invités à participer à un entretien

semi-directif. Ce type d'entretien "n'est ni entièrement ouvert, ni canalisé par un

grand nombre de questions précises" (Luc Van Campenhoudt et Raymond Quivy,

2011). Il s'agit donc d'une sorte de conversation assez ouverte, que le chercheur va

naturellement orienter de manière à pouvoir répondre à ses questions de recherches,

sans que cela ne donne à l'entretien des allures trop rigides.

Pour la partie quantitative, il a été demandé aux participants de répondre à un

questionnaire (adaptation Mangion-Scali 2018). Celui-ci est a été conçu pour cette

étude. Il est constitué de 4 catégories de questions :

La première est la catégorie "population". Elle collecte les données

démographiques telles que l'origine, le sexe et l'âge, ainsi qu'une évaluation en

pourcentage de la qualité perçue des liens entretenus avec la famille.

La seconde catégorie évalue la "pratique des rites funéraires". Les participants

doivent indiquer dans quelle mesure ils ont pratiqué les rites proposés.

La troisième catégories concerne "les interactions familiales". Elle est subdivisée

en 2 sous-catégories : "changements dans les interactions familiales", et "conflits".

Enfin, la dernière catégorie concerne les étapes du deuil familial telle que Pereira

(1998) les définit et leur temporalité.

La durée de passation du questionnaire est d'environ 20 minutes, bien que le temps

ne soit pas pris en compte dans l'analyse statistique.

� sur �42 92

Page 49: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

La réponse à une question est nécessaire pour pouvoir poursuivre et passer à la

question suivante.

Pour la plupart des propositions, le questionnaire fournit un choix de réponses

standardisées au participant. Il ne s'agit donc pas de questions ouvertes.

Le questionnaire évalue l'impact de 3 variables dépendantes ("estimation de la

qualité perçue des liens entretenus avec la famille", "pratique des rites funéraires" et

"interactions familiales") sur la variable indépendante « vitesse de résolution du

deuil".

5. Méthode d’analyse

Pour la partie qualitative, les données ont été recueillies par le biais d'entretiens

semi-directifs. Ils ont été conçus selon les principales questions de recherche; à

savoir la pratique de rites funéraires, les interactions familiales après le décès et les

étapes du deuil. Ils interrogent également le vécu émotionnel familial et la capacité

de la famille d'en parler. Ces entretiens ont ensuite fait l'objet d'une analyse

catégorielle. La grille d'analyse a été basée sur une comparaison qualitative entre les

différentes questions de recherches, et sur les étapes du deuil familial telles que

décrites par Pereira (1998).

Les données de la partie quantitative ont été recueillies par un questionnaire en

ligne que nous avons conçu pour cette étude. Celui-ci collecte des données socio-

démographiques, telles que le sexe, l'origine, et l'âge. Il demande également au

participant de fournir une estimation en pourcentage de la qualité perçue des liens

entretenus avec la famille.

Afin d'évaluer les différentes variables, nous avons créé une échelle de mesure

pour chacune d'entre elles : ainsi, le questionnaire comporte une section de questions

portant sur la pratique des rites funéraires, : l'échelle « Rites funéraires » ; les

interactions familiales ont été subdivisée en deux sous-échelles : les interactions

neutres, et les interactions négatives : les sous-échelles sont intitulées

� sur �43 92

Page 50: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

« Changements dans les interactions familiales », et « Conflits »; enfin la dernière

section de questions porte sur les étapes du deuil et leur temporalité : l'échelle

« Vitesse de résolution du deuil ».

1. L’échelle « Rites funéraires »

L’échelle « Rites funéraires » a été conçue pour quantifier la mesure dans laquelle

une personne pratique des rites funéraires. Elle est composée de 11 items, chacun

suggérant des rites. Les réponses aux questions se font exclusivement à l'aide d'un

curseur allant d'une extrémité signifiant "Totalement faux" à l'autre signifiant

"Totalement vrai", avec des réponses intermédiaires cotées de 0 à 4 (0%, 25%, 50%,

75%, 100%).

Le score total peut aller de 0 à 44 et s’obtient en calculant la somme totale des

scores fournit pour chaque item. Un score faible à cet échelle indique une faible

pratique des rites, tandis qu’un score élevé indique une pratique des rites importante.

Le type d’items proposés sont « Lors du décès, ma famille et moi avons reçu les

visites au domicile du défunt », ou encore « Les premiers jours qui ont suivi le décès,

ma famille et moi nous sommes vêtus de vêtements sombres ».

Cette échelle présente une consistance interne correcte, comme en témoigne

l’alpha de Cronbach que nous avons calculé (.73).

La liste des rites proposés ne pouvant être exhaustive, un douzième item interroge

sur la pratique d'autres rites que ceux suggérés dans les questions précédentes, et

permet au participant de les renseigner manuellement.

2. L’échelle « Interactions familiales »

L’échelle « Interaction familiales » mesure les différentes interactions qu’un décès

peut engendrer dans une famille. Elle est composée de deux sous-échelles :

« Changements dans les interactions familiales », et « Conflits ».

� sur �44 92

Page 51: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Ici encore, et pour les deux sous-échelles, les réponses aux items se font

exclusivement à l'aide d'un curseur allant d'une extrémité signifiant "Totalement

faux" à l'autre signifiant "Totalement vrai ». Les scores sont cotés de 0 à 4.

La première sous-échelle, « Changements dans les interaction familiales » est

composée de 6 items. Elle évalue les changements qui peuvent s’opérer dans une

famille endeuillée, sans qu’une valence ne leur soit attribuée. Le score total, qui s’obtient simplement en additionnant les scores obtenus à chaque

item, peut aller de 0 à 24. Un score faible à cette sous-échelle indique peu de

changements dans les interactions, tandis qu’un score élevé indique le décès a

provoqué beaucoup de changements. Les items sont du type : « Le décès a permis à ma famille et moi-même de retrouver

des personnes que nous n’avions plus vues depuis longtemps », ou « Le décès a

motivé le besoin de renouer avec mes racines et ma famille, même éloignée ». L’alpha de Cronbach que nous avons calculé nous révèle une consistance interne

convenable pour cette sous-échelle (.63), bien que pas très élevée.

La seconde sous-échelle « Conflits » est composée de 3 items. Elle vise à

identifier les interactions négatives que le décès a pu provoquer au sein de la famille. Le score total peut varier de 0 à 12, et s’obtient en calculant la somme des scores

obtenus à chacun des items. Ici cependant, un score faible indique l’absence de

conflits, tandis qu’un score élevé en indique la présence. Les items proposés sont du type « Le décès a engendré l’éloignement avec une partie

de la famille », ou « Le décès a engendré des conflits au sein de la famille ». La consistance interne de cette sous-échelle est bonne (.83), comme le confirme

l’alpha de Cronbach que nous avons calculé.

3. L’échelle « Vitesse de résolution du deuil »

L’échelle « Vitesse de résolution du deuil », composée de 9 items, évalue les

étapes du deuil telles que Pereira (1998) les définit et leur temporalité. Elle permet

de fournir une estimation du temps qu’il a fallu à la famille pour franchir chaque

étape. � sur �45 92

Page 52: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Cette échelle est de type "QCM". Les items correspondent aux différentes étapes du

deuil familial. Pour chacun, plusieurs propositions évaluant la temporalité

correspondante sont proposées. Le score total peut aller de 9 à 51; un score faible indique une résolution du deuil

familial rapide, tandis qu’un score élevé indique une résolution du deuil familial

longue, voire inachevée. Les items proposés sont du type : « Ma famille et moi avons réussi à exprimer nos

émotions quant au décès », ou « Après le décès, j’ai remarqué un nouveau

fonctionnement, de nouveaux rituels, de nouvelles règles au sein de ma famille »,

avec des solutions de réponse correspondant à la temporalité dans laquelle

l’affirmation a été réalisée. L’alpha de Cronbach que nous avons calculé nous indique une consistance interne

convenable (.63), bien que de nouveau, peu élevée.

� sur �46 92

Page 53: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

CHAPITRE 5. RÉSULTATS

1. Introduction

Ce chapitre sera consacré aux résultats de l’étude.

Nous présenterons dans un premier temps les résultats de l’analyse qualitative. Ainsi,

nous analyserons le contenu des entretiens des 4 familles que nous avons

rencontrées. Nous avons dessiné un génogramme avec chacune d’entre elle afin de

pouvoir nous représenter la situation familiale. Nous avons également réalisé une

flèche, représentant le processus de deuil, et sur laquelle nous avons demandé à la

famille de se concerter pour y marquer d’une croix le moment du décès. Ainsi, une

croix en milieu de flèche indique que le processus de deuil avait déjà commencé

avant le décès, ce qui peut parfois être le cas lors de maladie par exemple.

Inversement, une croix en début de flèche représente une deuil qui commence au

moment même du décès. Pour chacune des familles, nous présenterons le

génogramme ainsi que la flèche. Nous analyserons ensuite les entretiens selon les

axes de recherche suivant :

- les émotions ressenties au moment du décès

- les rites pratiqués et les vécus personnel et familial autour de ces rites

- le rôle des rites dans les relations familiales.

Dans un soucis de confidentialité, les personnes ayant accepté de nous rencontrer

seront désignées par la première lettre de leur prénom.

Nous présenterons ensuite les résultats de l’approche quantitative, obtenus via

l’enquête en ligne, traités statistiquement. La variable dépendante est la vitesse de

résolution du deuil familial, tandis que les variables explicatives sont l’estimation de

la qualité perçue des liens entretenus avec la famille, la pratique des rites funéraires

et les interactions familiales. Cette dernière est subdivisée en deux sous-dimensions :

les changements dans les interactions familiales, et les conflits. Nous vérifierons

alors la mesure dans laquelle ces différents facteurs expliquent la vitesse de

résolution du deuil familial. Nous comparerons également nos deux groupes de

� sur �47 92

Page 54: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

population : les belges et les corses, et vérifierons en quoi ces deux groupes diffèrent,

et si cela est statistiquement significatif, enfin, nous vérifierons si l’interaction de

deux variables explicatives peut impacter la vitesse de résolution du deuil.

2. Qualitatif

1. Famille I.

1. Présentation

La famille I. est une famille belge, d’origine italienne.

C’est par le bouche à oreille que nous l’avons recrutée. Il s’agit d’une famille

nucléaire initialement composée du couple parental, et de leurs 3 enfants : un fils

ainé et deux filles. Le deuil par lequel elle est touchée et dont nous parlerons,

concerne la perte du fils, LU, décédé en une semaine d’une maladie foudroyante.

Toute la famille n’a pas accepté de participer à l’entretien, c’est donc SA, la

plus âgée des soeurs, qui la représente.

Nous l’avons rencontrée chez elle.

Elle explique l’absence de sa famille par le fait que le décès de son frère soit

un sujet qu’ils n’abordent pas facilement et ouvertement. Seules des anecdotes

concernant des souvenirs avec lui sont évoquées en famille. « Tu vois, donc c’est un

peu heu... / on va dire un peu tabou quoi, je crois qu’on a un peu peur de la réaction

de chacun… »

La famille I est une famille aimante et soudée, bien que assez pudique quand

à l’expression verbale des émotions. « C’est vrai que de manière générale on n’est

pas du genre à ... à se montrer, enfin à s’ouvrir ouvertement, que ce soit à mes

parents ou même à ma soeur même si heu on s’adore toutes les deux heu, on va pas

être du genre à se dire heu.. à se dire des « je t’aime » ni rien quoi, tu vois donc

heu... Parce que voilà, je pense que pour nous on sait que c’est évident et on sait

qu’on n’a pas vraiment besoin quoi … »

Le génogramme ci-dessous représente la composition de la famille I.

� sur �48 92

Page 55: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Les personnes représentées mais dont le nom ne figurent pas sont décédées

longtemps avant le décès de LU, et SA a estimé non nécessaire de les présenter.

Figure 1 : Génogramme famille I.

LU avait 23 ans lorsqu’il est tombé malade. La famille a d’abord pensé qu’il

s’agissait d’une gastro. En voyant que son état ne s’améliorait pas, le médecin l’a fait

conduire aux urgences. C’est là que la famille a appris que le cas de LU était plus

grave que ce qu’ils ne pensaient et qu’il souffrait en fait d’une méningococcémie,

sorte de méningite. En tout, il aura passé une semaine aux soins intensifs avant de

décéder des suites de cette maladie.

Lorsque nous lui avons demandé d’indiquer par une croix le moment du

décès sur la flèche représentant le processus de deuil, SA a choisit de séparer la

famille en deux groupes : son père, qui s’était préparé à l’éventualité du décès au

moment où la maladie a été diagnostiquée, et le reste de la famille, à savoir la

� sur �49 92

Page 56: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

maman et les deux soeurs, qui elle n’ont pris conscience de la perte que pendant la

période des funérailles.

Figure 2 : Début du deuil et moment du décès pour le père.

Figure 3 : Début du deuil et moment du décès pour la mère et les soeurs.

2. Emotions ressenties au moment du décès et interactions familiales

Lorsque LU est décédé, toute la famille vivait encore au domicile parental.

Tous partageaient la même peine, mais différemment. D’après SA, son père a réalisé

la gravité de la situation dès le diagnostic de la maladie, et a donc été immédiatement

conscient de la perte lors du décès. SA le décrit comme « complètement anéanti »,

tandis que sa grand-mère était « stoïque » et « fort-taiseuse ». « Elle partait du

principe que d’toute façon c’était à elle de partir avant tout le monde enfin heu... pas

son petit fils… ». Inversement, sa mère ressentait le besoin d’en parler très souvent.

Quand à sa soeur et elle, SA dit qu’elles sont restées quelques jours dans le déni, et

qu’elles ont du mal a réaliser le décès de leur frère.

Lors des funérailles, l’ensemble de la famille était « un peu sonné ».

Malgré des vécus très différents et un mutisme général sur le décès, la famille

est restée très soudée, et soutenante. « On est restés fort présents l’un pour l’autre

quoi, donc j’ai passé, enfin... […]. On a essayé de passer le plus de temps possible

� sur �50 92

Funérailles

Diagnostic de la maladie

Page 57: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

ensemble heu... essayé d’être présent pour tout le monde, pour chacun et heu... donc

voilà ».

3. Rites pratiqués et vécus personnel et familial autour de ces rites

LU est donc décédé à l’hôpital. Le lendemain, la dépouille a été transportée

au funérarium où elle est restée pendant 3 jours. La famille y a reçu des visites en fin

d’après-midi. Après les visites, la famille et les proches se réunissaient soit au

domicile familial, soit au domicile de la grand-mère qui vivait juste en face. Ces 3

jours se sont clôturés par une messe à l’église du village dans lequel ils vivaient, puis

de l’inhumation. Après l’enterrement, la famille avait préparé des sandwichs et à

boire à l’occasion d’une veillée, « pour que tout le monde puisse heu passer un

moment ensemble heu... et heu... réunir un peu toute la famille heu... histoire de pas

heu... Voilà, histoire de pas heu partir chacun (rit) chacun chez soi après

l’enterrement heu voilà… »

A l’heure actuelle, les parents vont régulièrement se recueillir sur la tombe de

leur fils, tandis que les filles ont adoptés des rituels plus personnels. « Moi, mon frère

et moi on allait beaucoup à, aux festivals et aux concerts et tout, et moi ça a été ... ça

a toujours été une espèce d’hommage à lui pour heu... enfin d’aller voir des artistes

qu’on aimait bien ensemble et tout heu… » , « certains de mes tatouages sont en

rapport avec lui donc heu... donc voilà, moi c’est ma manière à moi de... de lui

rendre hommage quoi. » Enfin, après un récent voyage au Mexique, SA a adopté un

nouveau rituel, pratiqué là-bas à l’occasion d’El Dia de Los Muertos. Il s’agit d’une

sorte d’autel sur lequel est déposé une photo des défunts auquel l’hommage est

rendu.

Les parents ont choisi d’enterrer leur fils et de donner une cérémonie à

l’église, bien que SA et sa soeur n’y trouvent pas d’intérêt particulier. Ce rite ne

semble pas avoir la même importance pour les différents membres de la famille.

« Voilà c’est une tradition, c’est... c’est comme ça, enfin voilà c’est... comme ça,

comme on a toujours fait et... je pense pas que mes parents auraient fait autrement. »

SA et sa soeur ne trouvent pas d’utilité à visiter la tombe de leur frère et préfèrent lui

rendre hommage à leur façon. « Je comprends que mes parents aient voulu faire

� sur �51 92

Page 58: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

comme ça parce que, parce que on n’a jamais incinéré personne quand heu... enfin,

quand y a eu des décès, c’est toujours heu... ça a toujours été de cette manière là

donc heu... voilà. Eux, ça a toujours été leur manière de... de rendre hommage aux

personnes parties et tout mais heu... moi ça ne m’a jamais parlé et à ma soeur non

plus donc heu... je me dis, j’ai pas l’impression de manquer de respect de mon coté

en faisant, enfin... en n’y allant pas mais... On s’est... on s’est compris quoi au final

avec mes parents.. » Malgré ces différences de point de vue concernant les rites

choisis pour les funérailles, les membres de cette famille font preuve de respect et de

tolérance concernant les besoins de chacun dans ce processus de deuil.

Au moment des funérailles, la famille entière a été touchée par les

nombreuses visites. « Non ça nous a... ça nous a fort touchés, ça nous a un peu heu...

allez heu... enfin, on s’est rendu compte que, enfin... ça on le savait déjà hein, mais

heu... on se rendait encore plus compte à quel point heu... on était entourés et heu...

enfin, et aimés quoi.. Et surtout mon, enfin.. et surtout mon frère aussi que... on se

rendait vraiment compte qu’il avait un super bon entourage et heu... et tout le monde

s’est vraiment rendu disponible pour nous, même des personnes qu’on a qua.. qu’on

a pratiquement jamais vues heu... et heu, non, pour ça ça nous a vraiment fait du

bien. »

4. Impact du décès dans les relations familiales et éloignées

Le décès de LU n’a donc pas éloigné cette famille. Tous sont restés soudés et

ont constitués des ressources les uns pour les autres.

Après les funérailles, SA s’est rapprochée des amis de son frère « Je pense

qu’on avait, ils avaient essayé, enfin, on avait chacun essayé un petit rapprochement

histoire déjà de pas perdre contact, et histoire, enfin... et heu... je pense que ces

personnes là ont essayé de se montrer aussi heu disponibles donc heu... pendant un

petit moment, moi je m’étais rapprochée un peu de ces amis là, mais heu... au bout

d’un moment ça s’est tassé et on ne s’est plus vraiment vus donc heu… » . Du coté

des parents, la mère de famille s’est éloignée de l’une de ses soeurs. « Comme ma

mère est quelqu’un de très ouverte qui avait besoin de, qui a besoin de parler, parler,

parler à tout le monde, et de s’exprimer, à un moment donné, justement, cette tante

� sur �52 92

Page 59: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

là lui avait un peu dit heu “est-ce que tu te sers pas un peu du deuil comme excuse

heu pour tes problème”, le truc pas délicat du tout à dire (rit), donc au final, ma

mère n’a plus jamais plus rien voulu savoir de cette femme là quoi. »

Hormis cela, le décès n’a pas modifié la qualité des relations entretenues avec

le reste du cercle familial, mais il a été l’occasion de revoir une partie de la famille

vivant en Italie. « On est heu... même de la famille d’Italie qui sont venus heu...

jusque... jusque chez nous pour heu... pour venir rendre hommage et tout donc heu...

Non ça nous a... ça nous a fort touchés ».

SA n’a pas pu indiquer si si les membres de sa famille avaient retrouvé un

sentiment d’appartenance à ce nouveau système depuis le décès de LU. Nous ne

pouvons donc pas affirmer que le deuil familial ait été résolu.

2. Famille M.

1. Presentation

La famille M est une grande famille recomposée belge. Nous l’avons recrutée

grâce au bouche à oreille.

Ayant eu des difficultés à réunir tout le monde pour l’entretien, c’est C et M

que nous avons rencontrées et qui ont représenté leur famille. Elles ont alors évoqué

le décès de leur grand-père paternel. Nous les avons rencontrées à leur domicile.

M justifie l’absence du reste de la famille le jour de l’entretien par une

difficulté réelle à réunir tout le monde. « Parce que on a une famille très dispersée

où les gens ont des chose à faire et on se retrouve pas souvent tous ensemble ».

Le génogramme ci-dessous représente la composition de la famille M.

� sur �53 92

Page 60: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Figure 4 : Génogramme famille M.

C et M expliquent que leur grand-père est décédé des suites d’une infection.

Initialement, J1 avait une infection du sang qui a abimé son coeur. Il a du être

hospitalisé et subir une opération. Au départ, la famille ne pensait pas à un problème

grave. Puis une autre infection s’est déclarée dans la bouche et son état s’est

gravement dégradé. C et M ne semblent pas avoir les mêmes éléments concernant la

cause du décès. M se souvient d’avoir entendu que le décès était du à une

complication pendant l’opération, tandis que C pense que c’est l’infection de la

bouche qui a dégradé l’état général. « C : Moi j’avais pas ça en tête. On nous a peut-

être pas dit la même chose (rit). »

� sur �54 92

Page 61: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Au moment où les faits se sont produits, les jeunes femmes ne fréquentaient

plus leurs grands-parents depuis un certain temps, et ça n’est que lorsque leur grand-

père a été hospitalisé et que son état s’est aggravé qu’elles ont eu de ses nouvelles.

M et C vivent en colocation. B, le fils ainé ne vit plus non plus chez ses

parents. Ce n’est que très rarement que la famille se réunie. « M : On n’est pas très

soudés, |— C : On n’est pas soudés... —| à part nous deux. C : Ouais. Le reste

heu… » Globalement, la famille M ne communique pas beaucoup, les informations

n’y circulent pas fluidement. M et C expliquent n’avoir pas appris que leur grand-

père était malade avant que son état ne se dégrade gravement. « M : On

communique, bah sur pas grand chose... |— C : Pas grand chose... —| Ouais mais

on était quand même en contact souvent avec papa à ce moment là. On allait heu...

j’allais chez lui au moins une fois par mois et tout ça et... |— C : Ouais... —| Il

nous... il nous informait quand même pas parce qu’il se disait “bah ho... elles vont se

préoccuper pour rien, si y a pas mort d’homme y a pas besoin de... d’avertir” » .

« M : Donc heu... ouais on n’est pas trop informées... De tout un tas de choses, je

pense même papa à un moment si il avait des trucs comme ça il nous avertirait pas

non plus. »

En ce qui concerne l’expression des émotions, C et M confient qu’elle est

appréciée différemment selon leur valence. « M : C’est pas encouragé, mais si

quelqu’un le fait c’est pas mal reçu. Et ça dépend des... des contextes. Les émotions

positives c’est encouragé, |— C : Ouais, ça on le dit souvent... —| donc on va dire

qu’on est contents, je veux dire, on hésite pas à se dire “bisous”, à... “c’est chouette

de se voir” heu... “ ho voyons nous ensemble, c’est super chouette !” , “ ho ça fait

du bien d’être ensemble et de tous se voir” , “ je suis content que vous soyez là !”, “

je vous aime ! ”, blablabla... ces choses là elles se disent, heu.... / Les choses

négatives, c’est rare, et quand ça arrive c’est des petits moments de confidence. »

C et M ont également du s’accorder pour placer la croix représentant le

moment du décès sur la flèche représentant le processus de deuil. M aurait confie

que le fait d’avoir rendu visite à son grand-père à l’hôpital l’avait préparée à son

décès, tandis que C n’a su que son grand-père allait mourir que le soir même où cela

s’est produit. Ainsi, elles ont convenu ensemble de placer la croix en début de

� sur �55 92

Page 62: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

flèche, car leur grand-père était en forme et son état n’était pas préoccupant, mais

avec un petit décalage entre le début du deuil et le décès, car le grand-père ayant été

euthanasié, la famille a tout de même bénéficié d’un petit moment pour lui dire au

revoir et pour se préparer.

« M : Ca, ça a duré toute une nuit ouais, des heures et des heures, et là on était dans

le processus de deuil parce que concrètement |— C : Oui, on savait qu’il allait

partir. —| il a eu heu... il a été euthanasié. »

Figure 5 : Début du deuil et moment du décès , famille M

2. Emotions ressenties au moment du décès et interactions familiales

Si la famille M n’est pas très expressive concernant les émotions de manière

général, l’hospitalisation et le décès du grand-père ont représenté des moments

d’exception dans lesquels, bien que discrètes, toutes les émotions étaient les

bienvenues. « M : On pouvait pleurer et on pouvait montrer nos émotions, c’était pas

mal reçu, je pense que notre père se contenait beaucoup parce que c’est lui qui avait

à charge ce qu’il se passait, mais y a quand même eu des moments où il disait “j’ai

besoin de... j’ai besoin de sortir me changer les idées, vous restez” et nous on restait

là. / Moi j’ai pleuré plusieurs fois à l’hôpital. »

Les différents membres de la famille n’ont pas vécu l’événement de la même

façon. Alors que C et M sont tristes, elles acceptent la situation très rapidement, bien

qu’avec quelques regrets. « M : On était tristes, mais je veux dire on n’a pas fait ho

putain c’est injuste, c’est dégueulasse... Le seul regret que j’ai eu, c’est qu’on les ait,

qu’on les ait pas vu dans les dernières années. ». C’est surtout par le chagrin de leur

père qu’elles ont été peinées. « C : Enfin, non, moi j’étais triste pour papy mais

j’étais plus triste pour papa. ». C et sa grand-mère ont eu un choc en découvrant le

corps de J1 sans vie. « La nuit où on l’a... où il est décédé, à la fin heu.. les

infirmières, tu sais il avait plein de tuyaux etcétéra, et les infirmières ont dit heu...

bah attendez on va lui enlever tout et comme ça vous pourrez lui dire au revoir une � sur �56 92

Page 63: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

dernière fois sans tout ça quoi, pour avoir une image plus heu... nette, je vais dire,

sauf que après on est entrés dans la pièce, mais moi ça m’a trop choquée, genre

c’était plus lui, y avait plus heu... c’était trop bizarre, son âme elle était plus là,

c’était... vraiment étrange, mais du coup ça m’a... même mamie elle est entrée, elle a

dit « je veux pas, c’est plus lui, c’est plus lui ». |— M : Ouais, je l’ai ressenti aussi et

j’étais d’accord avec mamie... —| C’était vraiment impressionnant, y avait un truc

en moins quoi. C’était... c’était plus lui, c’était juste un corps. Et du coup moi

j’aurais préféré pas avoir cette image, mais bon… » , tandis que cela a permis à M

de prendre conscience de la réalité du décès. « M : c’était un choc, c’était un choc

mais c’était vraiment le ok, là c’est vraiment fini. » .

Tandis que Cr, J et leur mère ont ressenti une profonde tristesse, c’est surtout

par compassion à leur égard que les petits enfants semblent avoir été peinés. Ainsi, C

et M se sont montrées présentes et soutenantes vis à vis de leur père, leur grand-mère

et leur tante.

3. Rites pratiqués et vécus personnel et familial autour de ces rites

C et M souhaitent inscrire comme premier rite la présence de la famille au

complet à l’hôpital le soir du décès. Selon elles, ce moment a été très important car il

leur a permis de se retrouver, chose qui n’arrive pas souvent, de pouvoir partager

leurs émotions, se soutenir, et de dire au revoir à leur grand-père. Le surlendemain

du décès, le corps a été transporté au funérarium où il est resté durant 3 jours et où la

famille a reçu les visites en soirée. A l’issue de ces 3 jours, une cérémonie laïque a

été donnée au funérarium, à cercueil fermé. La famille était vêtue de vêtements

simples et sombres. J et B y ont fait des discours, résumant la vie de J1: qui il était,

ce qui était important pour lui. Ils ont diffusé des chansons et lu des poèmes

appréciés de J1, sur le thème de l’eau. Après la levée du corps, le cercueil est parti au

cimetière. Le cortège est parti à pied. Le cercueil a été placé dans une des allées

principales. Chacun a déposé une rose sur le cercueil en signe d’au revoir. Après

l’enterrement, la famille et les proches sont retournés au funérarium partager du café

et des tartes. Le soir, J, Cr, son compagnon, B1, B, C et M se sont retrouvés au

restaurant. M et C confient avoir été très surprises par le monde présent lors des

funérailles. � sur �57 92

Page 64: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Plus tard, C et M ont, avec leur colocataire, fait un autel, tradition mexicaine,

en hommage à leur grand-père. Elles ne visitent pas sa tombe au cimetière. « C :

Pour m… Ouais, pour nous c’est vide de sens. »

Concernant les rites, M et C confient qu’ils ont été bénéfiques pour Cr, J et

leur grand-mère, car ils leur ont apporté soutien et réconfort. Elles n’ont cependant

pas été touchées personnellement par ces pratiques. Durant les funérailles, C et M

n’étaient pas très à l’aise. Elles ne connaissaient pas les procédures à suivre, et se

demandaient régulièrement quelle conduite adopter. « C : Ouais, on demandait à

notre papa « on doit faire quoi là ? » « On se met où ? », « quoi ? Comment ? » |—

M : On s’habille comment ? —| Ouais (rit). / C’était un peu heu… ». En somme, C et

M ont accordé plus d’importance à la soirée passée en famille à l’hôpital qu’aux

funérailles, auxquelles elles n’ont assisté que par convention. « M : Le funérarium en

soi, moi j’avais rien à faire là. C : Ha non, le funérarium, clairement, enfin moi c’est

pas quelque chose qui me... / |— M : On y allait par convention, on n’y allait pas

pour nous. —| J’ai pas besoin de ça, oui. Non. ».

4. Impact du décès dans les relations familiales et éloignées

Le décès semble avoir rapproché la famille le temps des funérailles, puisqu’il

a réunit tout le monde, et a suscité la compassion des plus jeunes à l’égard de leurs

parents. Les funérailles ont permis aux petits-enfants du défunt de rencontrer ses

amis. Elles ont également été l’occasion de réunir Cr à J1 et sa famille, ce qui,

visiblement, est exceptionnel, C et M ayant été jusqu’à oublier de mentionner leur

tante dans le génogramme. La famille étant par ailleurs plutôt dispersée, le décès du

grand-père n’a pas provoqué de grands-changements dans le quotidien de ses

proches.

C et M confient que le membres de leur famille ont retrouvé un sentiment

d’appartenance quasiment immédiatement à ce nouveau système sans J1 après son

décès. Comme la famille ne se réunissait plus avec Cl et J1 depuis longtemps,

l’absence de ce dernier n’a pas provoqué de grands changement dans le

fonctionnement familial. Le deuil familial a donc été résolu plutôt rapidement.

� sur �58 92

Page 65: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

3. Famille C.

1. Presentation

La famille C est une famille corse initialement composée de 6 personnes : le

père, la mère, 3 filles et un fils. Nous les avons recrutés grâce au bouche oreille.

Nous les avons rencontrés au domicile du fils afin d’évoquer le décès du père de

famille. Toute la famille a accepté de participer à l’entretien.

La famille C n’est pas une famille qui a pour habitude de communiquer sur

ses émotions, ni sur le décès de JC, bien qu’elle ne considère pas ça comme un sujet

tabou, mais comme des choses qu’elle n’a pas envie de partager lorsqu’elle se réunit.

« R : Papa et le reste, pour moi c’est pas un sujet tabou mais, moi pour moi si on se

réunit, j’ai pas forcément non plus envie de parler des... des soucis des uns, de ma

séparation, de ton, de ton truc et de… »

Le génogramme ci-dessous illustre la composition de la famille.

Figure 6 : Génogramme famille C.

Au moment du décès de JC, la famille était assez dispersée. Le couple

parental était séparé depuis 2 ans. MF avait refait sa vie et fréquentait un autre

homme, tandis que les enfants, tous majeurs, vivaient chacun de leur coté.

� sur �59 92

Page 66: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

JC vivait seul, dans la maison familiale en plaine, alors que MF vivait dans la

maison familiale de montagne. Au moment du décès, JC revenait d’un séjour en

hôpital psychiatrique. La famille n’est pas claire sur les raisons exactes de ce séjour,

mais R laisse bien percevoir l’état dans lequel se trouvait son père : « livré à lui-

même et complètement… […] complètement à l’abandon. » , « Il avait des cachets, il

était au fond du gouffre, y avait pas moyen de discuter. Tu pouvais lui dire mais... il

perdait les pédales, enfin... moi j’avais le sentiment qu’il perdait les pédales, c’était

plus cohérent la plupart du temps, donc heu… ».

La famille a peiné à évoquer les circonstances du décès. Les informations

sont arrivées petit à petit, au cours de l’entretien, bien que la question ait été posée

clairement. Nous avons donc appris dans un premier temps que, alors que JC vivait

seul, c’est Ja, qui avait la clé de la maison, qui l’a découvert mort alors qu’elle était

venue emprunter des bols. Cependant la famille est restée vague sur ce point; Ja a

découvert la mort de JC mais ne l’a pas vu. C’est J2 qui a contacté la gendarmerie et

l’a identifié. Plus tard dans l’entretien, nous avons appris que JC était décédé dans

les toilettes où il était enfermé, cela quelques jours avant que Ja ne le découvre. Et

c’est donc l’odeur qui l’a alertée, sans pour autant qu’elle n’ait vu le corps.

La cause du décès est également vague. MF explique que le psychiatre de JC

avait pensé à quelque chose d’assimilable à la morte subite chez le nourrisson, dû un

arrêt brutal des médicaments. Les enfants ne partagent pas cette idée et pensent

plutôt à un malaise cardiaque, une rupture d’anévrisme ou à un AVC. Ceci étant, la

famille s’accorde pour dire que l’état de décomposition avancée du corps n’a pas

permis de réaliser une autopsie, et que donc la cause exacte demeure vague.

Nous avons ensuite demandé à la famille de placer la croix situant le décès

sur la ligne représentant le processus de deuil familial. Tout le monde s’est accordé

sur le fait que ce décès était inattendu et soudain et que donc le processus de deuil

n’a pu être entamé qu’après la découverte du corps.

Figure 7 : Début du deuil et moment du décès , famille C

� sur �60 92

Page 67: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

2. Emotions ressenties au moment du décès et interactions familiales

A l’annonce du décès, toute la famille a ressenti un gros choc, car rien ne

laissait présager cela. Puis la majorité des membres a exprimé un soulagement. R

explique « J’étais soulagé parce que... parce que j’a.. j’ai l’impression que tout le

monde subissait quoi. Tout le monde subissait la situation. […] Subissait, attention,

je dis pas subir, LE subir, parce que toute façon tout le monde était dispatché aux 4

coins donc heu... à un moment donné on le subissait sans le subir, mais moi, moi j’ai

l’impression qu’on subissait cette situation. » Sentiment partagé par D et P, mais tout

de même nuancé. « D : j’étais partagée entre les deux. C’est à dire que... Bè le

soulagement il y était, même si y avait cette peine où y avait, y allait avoir ce

manque. Et je savais qu’y allait avoir ce manque. Mais y avait ce soulagement

[…] ». Avant le soulagement, c’est de la culpabilité que P a ressenti. « P : Moi ce qui

m’a fait.. moi ce qui m’a fait beaucoup heu.. m’effondrer, c’est je crois qu’y avait

beaucoup de culpabilité. De me dire « han... / |— D : On n’a pas été là... —| Qu’est-

ce qu’on a.. » ouais. Mais malgré tout, je veux dire dans la vie, dans le quotidien et

bè, et bè il était invivable quoi. Il était devenu invivable ! C’était difficile en tous cas,

par rapport à toutes nos vies et... de de de.. faire une place à ça quoi […] » . En ce

qui concerne C, le soulagement ne s’est fait sentir que des années plus tard. Etant en

conflit avec son père au moment du décès, c’est la culpabilité qui a été le sentiment

le plus présent. « Moi c’était pas du soulagement, moi ça a été de la culpabilité dès

le départ. (silence) Moi ça a été de la culpabilité. Je lui ai tellement souhaité la mort

quand on se disputait, que quand il est mort bè j’ai cru que c’était moi. J’ai cru que

c’était moi qui lui avais souhaité la mort qui étais arrivée à mes fins. […]Par contre

le soulagement, moi chez moi c’est, y a pas longtemps que... ça fait quoi... ça fait

peut-être heu... 5/7 ans ? Que maintenant, je le dis, maintenant. Ouais, (soupire)

c’était un soulagement parce que de toute façon on serait jamais arrivé à l’aider. ».

3. Rites pratiqués et Vécus personnel et familial autour de ces rites

En ce qui concerne les rites, le cas de JC n’a pas permis une pratique des rites

traditionnels corses. « MF : Mais par rapport aux rites, là c’est encore autre chose.

Parce que du fait qu’il est mort à la maison et qu’on l’a emmené à la morgue, y a

� sur �61 92

Page 68: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

pas eu... il n’y a pas eu de de... / Ce qu’on fait d’habitude chez nous c’est-à-dire la

veillée, les machins… »

Après que Ja ait découvert le corps, elle a contacté son mari J2, qui lui a

averti la gendarmerie, sa soeur MF et la fille ainée, D. Les gendarmes ont constaté le

décès, et ont emmené le corps à la morgue, où il est resté environ 24 heures. La

famille s’est réunie chez R, puis les enfants sont allés choisir un cercueil. Le soir,

tous sont montés au domicile familial à la montagne, là où vivait MF. L’état du corps

de JC n’a pas permis à la famille de le ramener à la maison pour les visites. C’est par

contre par choix qu’il n’y a pas eu de cérémonie religieuse. « MF : Il disait qu’il ne

voulait pas aller à l’église. Lui c’était, c’était heu... / / Quand je l’ai connu, on s’est

mariés à l’église parce que voilà, parce que chez nous on se marie à l’église, et donc

on est allés, on s’est mariés à l’église, lui il voulait pas. Et puis... parce qu’il avait, il

avait une véritable haine pour les curés. ». Ainsi, la famille s’est retrouvée à la

morgue, c’est là qu’elle y a reçu les visites. Le jour de l’enterrement, le corps est

parti de la morgue jusqu’au cimetière. La famille mentionne qu’il y avait beaucoup

de monde. J1 a fait un discours de remerciements avant d’enterrer le corps. Le soir,

la famille s’est de nouveau retrouvée au domicile familiale à la montagne avec des

gens du village.

Les ressentis et vécus par rapport aux rites sont assez différents selon les

personnes, bien que les femmes soient bien souvent d’accord.

Ainsi, elles s’accordent sur le rythme des funérailles. Il ne s’est écoulé qu’un peu

plus de 24 heures entre le moment où la famille apprend le décès, et le moment de

l’enterrement. « P : C’est allé trop vite en fait. Tout est allé trop vite en fait.

L’annonce du décès, et puis tout, quand on le met dans la boite et puis voilà c’est...

ça a été très rapide. ». Elles s’accordent également sur l’absence de passage à

l’église. « MF : Le fait de ne pas aller à l’église, il manque quelque chose. » . « C :

Ce manque de l’église c’est un lieu |— D : C’est une transition. —| où quelque part,

ouais. Y a un temps d’adieu. C’est un temps d’au revoir. Un petit temps. Voilà. Ca

nous laisse un petit temps de plus où… ». Avec du recul, P regrette le passage à

l’église, mais avoue que ce qui lui a le plus manqué est de ne pas avoir pu voir son

père; cela alimentant ce sentiment d’incrédulité quant au décès, partagé par C. R lui,

n’éprouve aucun regret quant aux funérailles et au passage à l’église. « R : Pour moi

� sur �62 92

Page 69: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

ça représente rien du tout. Pour moi c’est un moment qui est de trop de toute façon

en temps normal pour tout le monde, donc heu… ». Ce moment ne représente rien

pour lui et ne changera en rien la fin de vie de son père. « R : Mais quand je dis que

moi j’ai eu un sentiment de culpabilité, je me dis mais quoi, quoi ? On va tirer

jusqu’à quand ? Quoi ? On va aller, on va lui dire au revoir, quoi ? On lui a pas dit

au revoir. On l’a laissé mourir comme un chien ! On va prendre le temps de lui dire

au revoir maintenant qu’il est dans la boite ? »

4. Impact du décès dans les relations familiales et éloignées

Les funérailles de JC ont été l’occasion pour la famille de revoir son frère, R,

qui vivait sur le continent.

Avant le décès, la tendance de l’ambiance au sein de la famille était à l’écart.

Les réunions de famille étaient conflictuelles et rares.

Après son décès, MF déclare avoir eu une claire envie de réunir tout le

monde. « MF : Mon truc c’était de remettre la maison en état pour heu... et qu’on se

retrouve tous ensemble dans cette maison. ». Les réunions de famille sont décrites

comme plus apaisées, moins conflictuelles. Globalement, la famille décrit une

situation familiale « assainie » après le décès. Seule C s’est sentie écartée de la

famille « C : Après le décès, je suis désolée mais moi je vous ai plus vus. ». Chose

que le reste de la famille nuance; « R : Mais tu nous as plus vus pendant longtemps,

mais avant tu nous as plus vus pendant longtemps aussi ! », « P : C’est

physiquement, mais ça ne nous a pas... y avait pas de conflits ! » .

La presque totalité de la famille s’accorde pour affirmer que le sentiment

d’appartenance au nouveau système est arrivé presque immédiatement après le décès

de JC. Le deuil familial a donc été rapidement résolu.

� sur �63 92

Page 70: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

4. Famille T.

1. Presentation

La famille T est une grande famille Corse. Nous l’avons recruté par le bouche

à oreille. C’est de Al dont nous avons parlé avec A et MT, ses soeurs, et JP et N; ses

enfants.

Nous les avons rencontrés au domicile de JP, le fils de la défunte.

Le génogramme ci-dessous illustre la situation familiale de la famille.

Figure 8 : Génogramme famille T

Lorsque Al est décédée, elle vivait seule. Son mari était décédé 4 ans plus tôt.

Ses enfants vivaient chacun de leur coté avec leur famille. Ses frères étaient déjà tous

les deux décédés, et ses deux soeurs vivaient chacune avec leur mari.

Un matin, alors que A essayait d’appeler sa soeur Al au téléphone, celle-ci ne

répondait pas. Alors A a contacté MT afin de lui faire part de ses inquiétudes. Les

derniers temps, Al était fatiguée et avait du mal à dormir la nuit. C’est alors confiante � sur �64 92

Page 71: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

que MT, qui ne vit pas très loin de Al, s’est rendue à son domicile, pensant la trouver

endormie dans son lit. C’est finalement étendue au sol que MT a trouvé sa soeur.

Le certificat de décès mentionne une mort naturelle. Al est décédée seule

dans son domicile, en fin de journée. JP pense qu’elle n’a pas souffert de la chute.

« Je pense que la manière dont ça s’est passé, heu... enfin moi c’est mon sentiment,

et j’allais dire un petit peu avec les études que j’ai faites qui ont fait que. / Elle a pas

saigné, ça veut dire que d’après moi, elle est morte, elle est tombée. D’après moi

hein...! Elle est pas, c’est pas le choc. Parce que elle avait une petite plaie qui n’a

pas saignée du tout, ça veut dire que le palpitant, il palpitait plus, y avait juste une

petite truc comme ça, donc, donc moi c... moi je me dis, elle est morte, et dans sa

chute, elle a tapé de tête / de tête quoi donc heu... ça ça n’a fait que... mais d’après

moi, elle a pas souffert. »

Pour placer la croix représentant le moment du décès sur la flèche

représentant le processus de deuil familial, la famille a d’abord suggéré de placer la

croix en tout début de flèche. Puis, après réflexion, prenant en compte l’état de

fatigue de Al et son état psychologique, la croix a été placée un peu après le début de

la flèche. « JP : Alors je m’y attendais... moi y a, maman, à chaque fois, les... […]

elle disait qu’elle avait plus envie. Elle en avait marre. |— N : Oui, ça c’est vrai. —|

Y avait plus papa, c’est... les journées étaient longues, |— A : Elle était seule. —| elle

était seule, […] et donc elle se préparait elle-même. C’est pour ça que je te dis... et

c’est pour ça peut-être que je m’y attendais inconsciemment, si tu veux, quand tu

m’a appelé. Parce que je sentais qu’y avait un... une fatigue |— A : Un refus de tout.

—| Ouais elle... tout pesait quoi, tout pesait. »

Figure 9 : Début du deuil et moment du décès , famille T

� sur �65 92

Page 72: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

2. Emotions ressenties au moment du décès et interactions familiales

Globalement, l’ensemble de la famille s’accorde pour dire que le décès de Al

a été un choc. Bien qu’elle présentait des signes de fatigue, Al vivait seule et était

parfaitement autonome. Rien ne laissait présager une mort subite.

MT a été d’autant plus choquée qu’elle ne s’attendait pas à trouver sa soeur

morte en poussant la porte de son appartement. La découverte l’a sidérée à tel point

qu’elle n’a pas téléphoné de chez Al pour avertir. Elle est remontée chez elle, n’a

rien dit à son mari, a prévenu sa soeur et son neveu pour finalement retourner au

domicile de Al.

A, après avoir reçu l’appel de MT a son retour de chez Al, a tout de suite

compris de quoi il s’agissait. Pour elle, le décès de sa soeur a été particulièrement

douloureux. « A : Ca a été un coup de poignard. »

N a été profondément choquée par l’annonce du décès de sa mère. « N : Ho bè un

coup de massue hein. Moi ça a été un coup de massue autant physique que moral. »

C’est JP, son frère qui lui a téléphoné pour l’avertir. Bien que lui aussi ait ressenti un

gros choc, il confit avoir eu également un autre sentiment. « JP : Et bè moi, ça a été

heu... bien sur un coup de massue, je veux dire, ça c’est... c’est plus qu’évident. En

même temps, / un sentiment d’abandon. Tu vois ? Orphelin à 54 ans. » Il explique

cela par le fait de ne plus avoir personne au-dessus de lui dans sa lignée direct. Il dit

être maintenant « en haut de la pyramide ».

3. Rites pratiqués et vécus personnel et familial autour de ces rites

Après avoir trouvé le corps, MT a contacté sa soeur et son neveu qui l’ont

immédiatement rejoint au domicile d’Al. Ils ont ensuite appelé le médecin pour le

constat de décès, puis les pompes funèbres. Les pompes funèbres se sont occupées

de l’organisation des obsèques. Elles ont contacté l’église afin de prévoir la messe, et

ont mis la famille en relation avec Corse-Matin pour faire paraitre l’avis de décès

qu’elle a elle-même rédigé.

La nouvelle s’étant vite répandue dans la ville, les premières personnes sont

arrivées au domicile de la défunte en début d’après-midi, avant que le glas n’ait

sonné. « MT : Oui chez nous hein, on a... en principe, les visites si tu veux heu...

� sur �66 92

Page 73: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

arrivent, enfin. / La logique voudrait que le glas sonne aux environs de 16 heures

quand on enterre les gens le lendemain, et à partir de ce moment là, les gens

viennent rendre visite. Mais... chez nous, on n’attend pas le glas. » « JP : Mais

disons que ceux qui se sentent proches, viennent, et les autres ils attendent le glas. Si

tu les connais pas, tu attends. ». La famille a donc reçu les visites l’après-midi, puis

vers 18 heures, un prieur est venu au domicile de Al pour le rosaire. En principe, les

hommes et les femmes reçoivent les visites séparément. Mais dans ce cas-ci, JP dit

avoir eu besoin de rester avec ses tantes, sa femme, sa soeur et ses enfants. Le soir, la

famille et les proches sont restés au domicile de Al pour la veillée au cours de

laquelle du café a été servi. Le lendemain à 16 heures a eu lieu l’enterrement. Le

corbillard est venu chercher le corps, puis la famille a suivit à pied jusqu’à l’église.

Après la messe, les hommes ont reçu les condoléances devant l’église, tandis que les

femmes les ont reçues à l’intérieur. Pendant ce temps, le corbillard a emmené le

corps au cimetière, puis les employés des pompes funèbres sont revenus à l’église

présenter les condoléances à la famille, manière de faire savoir que le corps a bien

été inhumé; les familles ne devant pas se rendre au cimetière le jour même dans cette

région. Après l’église, la famille est retournée au domicile de Al où de nouveau, les

proches ont partagé un café.

Le lendemain, les membres de la famille sont allés au cimetière visiter la

tombe de Al.

Tous les ans, la famille fait prononcer une messe anniversaire à la date du

décès.

Globalement, l’ensemble de la famille est d’accord pour affirmer que les rites

ont été très important pour eux. MT y trouve un grand soutien. « MT : Ca t’apporte

quand même un réconfort, un soutien, je veux dire que… que ça aide quoi ! ». JP

trouve une vraie fonction sociale à ces rites. « JP : Et puis ça t’oblige à ne pas te

répandre. Tu es obligé d’avoir ce.. alors peut- être que c’est ça aussi, ce... ces rites

funéraires, ça t’oblige à être entre guillemets digne dans les moments où tu serais le

plus... le plus lamentable. Parce que c’est, quand ça t’arrive un truc comme ça, tu as

juste envie de t’enfermer, de voir personne et... et de ressasser le truc. Là tu es obligé

de.. voilà, tu es obligé d’avoir un rôle. ». La religion et la pratique des cultes est

� sur �67 92

Page 74: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

également importante pour cette famille. « N : Non et puis y a des choses qui t’aident

à, à.. à réagir, y a la foi aussi. A : Ha tout à fait oui. Ça, la foi… » .

4. Impact du décès dans les relations familiales et éloignées

Le décès a réuni la famille durant le temps les funérailles, c’est-à-dire deux

jours. Durant cette période, les rites ont provoqués une sorte de fusion entre les

membres.

Cependant, après les funérailles, chacun a repris le cours de sa vie. Lorsque

nous avons interrogé sur le sentiment d’appartenance à cette nouvelle famille, sans

Al, et sur son fonctionnement, tous n’ont pas été du même avis. Ainsi, MT se plaint

d’un manque de circulation des informations avec ses neveux, le principal canal de

communication ayant été Al. « MT : Le problème, c’est que de toute façon, la seule

chose, c’est que quand ta mère était là, elle nous disait “JP a fait ça, les enfants ont

eu ça”, on avait , on avait heu… des nouvelles ! On avait des liens ! Tandis que par

exemple, il se passe une année (tape dans ses mains) j’ai pas un coup de fil de N !

En l’occurrence ! Hè ! C’est la vérité ! ». A partage ce sentiment de manque de

circulation de l’information et de communication. Elle est cependant plus nuancée

que MT quand aux conséquences de cela. « A : Moi heu... fffff... (souffle) Je vais te

dire. Moi depuis que... elle maintenant, elle a des problèmes avec M, lalalilalala...

moi ça fait depuis que G est mort que.. enfin, avec J qui est... et moi en plus, donc tu

sais... j’en prends et j’en laisse. Et donc je relativise. C’est tout. Je relativise avec

mes enfants, alors a plus forte raison avec mes neveux. / Hein alors heu... Qu’est-ce

que tu veux. C’est la vie ! Je pense que c’est un... un cycle. La vie est comme ça, et

c’est tout ! Et puis il faut faire avec ! Faut pas se... Faut pas se formaliser hein ! ».

JP et N, eux, se sont plus vus et contactés depuis le décès de leur mère qu’avant. Si

Al ne faisait pas obstacle, A suppose qu’avec leur mère « A : Ça faisait le triangle, et

là ça fait ligne droite. ».

Ainsi, du point de vue de MT et A, le deuil familial n’a pas été résolu. Le

décès de leur soeur ayant provoqué de la distance entre leurs neveux et elles, le

sentiment d’appartenance à ce nouveau système peine à être apparaitre. Du point de

vue de N et JP, le sentiment d’appartenance au nouveau système est arrivé assez

� sur �68 92

Page 75: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

rapidement. Chaque sous-système a donc traversé ce processus de résolution du deuil

familial différemment.

3. Quantitatif

1. Consistance interne

La consistance interne permet d’estimer l’homogénéité d’un test , d’une échelle ou

d’un instrument. Elle permet de vérifier que les différents items d’un même test ou

d’une même échelle mesurent bien la même dimension. Elle se mesure par l’Alpha

de Cronbach, dont le score peut varier de 0 à 1. Plus le score se rapproche de 1, plus

la consistance interne est élevée, on peut donc en déduire que les items sont

homogènes et qu’ils mesurent bien le même contenu. Plus le score se rapproche de 0,

plus la consistance interne est faible; les différents items du test ne mesurent donc

pas la même dimension et donc diffèrent dans leur contenu. Lorsque l’Alpha de

Cronbach se situe entre 0,5 et 0,7, il est considéré comme limite. La valeur seuil est

0,7 : au-delà, le score est élevé, tandis qu’au-dessous, il est faible.

Afin de nous assurer de la fiabilité de notre questionnaire, nous avons testé la

consistance interne des différentes échelles qu’il comporte. Nous avons donc calculé

l’Alpha de Cronbach pour chacune d’entre elles. Globalement, le test est acceptable,

bien que certaines échelles présentent une consistance interne plutôt limite, et donc

gagneraient à être améliorées (tableau 1). Le test comporte des échelles ayant un

score à l’alpha de Cronbach pouvant aller de .63 à .83. Ainsi, l’échelle « Rites

funéraires » et la sous-échelle « Conflits » obtiennent des scores suffisants

dépassants la valeur limite (0,70), tandis que la sous-échelle « Changements dans les

interactions familiales » et l’échelle « Vitesse de résolution du deuil » obtiennent des

scores limites inférieurs à la valeur limite (0,70).

� sur �69 92

Page 76: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Tableau 1.

2. Corrélations

La corrélation est un calcul statistique que l’on utilise afin de vérifier si deux

variables sont liées. Si effectivement elles le sont, alors la modification de la valeur

d’une des variables va impacter l’autre. Ainsi, le calcul de la corrélation peut nous

renseigner à la fois sur l’existence d’un lien entre deux variables, sur la force de ce

lien, et sur le son mouvement. La corrélation est mesurée par le coefficient de

corrélation (r). Celui-ci peut varier entre -1,0 et 1,0. Le signe + ou - va indiquer si la

relation est positive ou négative. Lorsque le coefficient se situe entre 0,5 et 1,0 ou

-1,0 et -0,5, la relation est forte. Lorsqu’il est compris entre 0,3 et 0,5 ou -0,5 et -0,3,

la relation est modérée. Un coefficient entre 0,1 et 0,3 ou -0,3 et -0,1 indique une

relation faible. Entre -0,1 et 0,1, le coefficient indique une relation absente ou très

faible.

Afin de vérifier si des liens existent entre chacune de nos variables, nous

avons utilisé la corrélation de Pearson. Ainsi, le tableau suivant nous renseigne sur

les relations existants entre l’origine, le sexe, l’âge, la qualité perçu du lien avec la

famille, la pratique des rites, la vitesse de résolution du deuil, le changement dans les

interactions familiales et les conflits.

Niveau de consistance interne (Alphas de Cronbach) pour chaque échelle

Echelle utilisée Coefficient Alpha (α) de Cronbach

Rites funéraires .73

Interaction familiales

Changements dans les interactions familiales

Conflits

.63

.83

Vitesse de résolution du deuil .63

� sur �70 92

Page 77: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Tableau 2.

L’analyse des indices de corrélations présentés dans ce tableau nous révèle des

relations positives significatives entre différentes variables. Ainsi, nous pouvons

constater une relation significative entre la variable « origine » et les variables

« qualité perçue des liens entretenus avec la famille » , « pratique des rites » et

« changements dans les interactions familiales ». Les variables « sexe » et

« conflits » sont également significativement reliées. Nous pouvons également

observer que la variable « qualité perçue des liens entretenus avec la famille » est

Corrélation de Pearson entre les variables mesurées par le test1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.

1. Origine rSignificationN

_

2. Sexe rSignificationN

-.003.945394

_

3. Age rSignificationN

.019

.700393

-.162**.001393

_

4. Lien rSignificationN

.111*.027393

-.037.459393

-.083-.102

292_

5. Rites rSignificationN

.173**.001394

.098

.053394

.025

.625393

.247**.000393

_

6. Deuil rSignificationN

.033

.507394

.039

.436394

.044

.387393

-.106*.036393

-.006.913394

_

7.

Interactions

rSignificationN

.135**.007394

.055

.273394

.002

.970393

.248**.000393

.390**.000394

.068

.176394

_

8. Conflits rSignificationN

.052

.305394

.100*.048394

-.013.790393

-.311**.000393

-.075.136394

.282**.000394

-.060.236394

_

M 1.63 1.84 29.83 81.36 64.12 25.83 57.75 32.20

SD .69 .37 15.87 22.17 19.82 11.67 22.56 32.07

N 394 394 393 393 394 394 394 394

* p < .05. ** p < .01

� sur �71 92

Page 78: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

significativement liée aux variables « pratique des rites » et « changements dans les

interactions familiales ». Un lien significatif peut également être constatée entre les

variables « pratique des rites » et « changements dans les interactions familiales ».

Enfin, la variable « vitesse de résolution du deuil » est significativement reliée à la

variable « conflits ».

Le tableau nous révèle également des relations significatives mais négatives

entre certaines variables. Ainsi, nous pouvons constater que les variables socio-

démographiques « sexe » et « âge » sont négativement corrélées, de même que les

variables « qualité perçue des liens entretenus avec la famille » et « pratique des

rites »

3. Régression linéaire

La régression linéaire est un modèle statistique qui permet d’expliquer une

relation entre une variable à expliquer, ici « vitesse de résolution du deuil », et une

ou plusieurs variables explicatives, ici « origine », « âge », « sexe », « qualité perçue

des liens entretenus avec la famille », « changements dans les interactions

familiales », « conflits », et « pratique des rites ». Ainsi, à partir des données

obtenues dans le passé, la régression linéaire permet de prédire des estimations dans

le futur.

Si la corrélation de Pearson nous a permis de découvrir l’existence de liens

entre les différentes variables que le test mesure, le modèle de la régression va nous

permettre de découvrir quel est le sens de ces relations.

Ainsi, le tableau ci-dessous résume les données obtenues après réalisation

d’une régression linéaire hiérarchique sur la variable dépendante « étapes du deuil ».

� sur �72 92

Page 79: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Tableau 3.

Le modèle de régression est composé de 4 étapes expliquant 9% de la

variance totale (adjusted R2 = .07), ce qui est faible. Cela signifie que la liste des

variables que nous avons choisies pour expliquer la vitesse de résolution du deuil

n’est pas exhaustive.

Les variables socio-démographiques (âge, origine et sexe) expliquent, elles-seules

moins de 1% de la variance. Les variables « qualité perçue des liens entretenus avec

la famille » et « changements dans les interactions familiales » expliquent, à elles

seules, environ 2% de la variance (adjusted R2 =.01). La variable « conflits » ajoute

environ 7% d’explication de la variance (adjusted R2 = .07). Enfin, la part de

variance expliquée par la variable « pratique des rites » est quasi nulle ( adjusted R2

= .07).

Le premier modèle est composé des variables socio-démographiques (âge,

origine et sexe). Il ne met en évidence aucune relation significative avec la variable

« vitesse de résolution du deuil ». Le deuxième modèle intègre les variables « qualité

perçue des liens entretenus avec la famille » et « changements dans les interactions

Modèles de régression prédisant la vitesse de résolution du deuilModèle 1 Modèle 2 Modèle 3 Modèle 4

Variable B B B B

Origine .609 .666 .264 .318

Sexe 1.664 1.309 .581 .488

Age .045 .035 .040 .041

Qualité perçue des liens entretenus avec la famille

-.065* -.020 -.018

Changements dans les interactions familiales

.039 .040 .045

Conflits .099*** .098***

Vitesse de résolution du deuil

-.017

F .891 3.210 27.703 .267

R2 .007 .023 .089 .089

Adjusted R2 -.001 .010 .074 .073

* p < .05. ** p < .01. *** p < .001.

� sur �73 92

Page 80: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

familiales »; il révèle une relation négative significative entre la qualité perçue des

liens entretenus avec la famille et la vitesse de résolution du deuil. Cela signifie que

plus la qualité des liens est perçue comme bonne, moins la résolution du deuil

prendra du temps; et inversement, une mauvaise qualité perçue des liens entretenus

avec la famille prédit une résolution du deuil plus longue. Dans le troisième modèle,

la variable « conflits » est intégrée; l’effet de la qualité perçue des liens disparait,

tandis que nous remarquons l’apparition d’un effet significatif des conflits sur la

vitesse de la résolution du deuil. Enfin, le quatrième modèle intègre la variable

« pratique des rites »; nous ne remarquons aucun nouvel effet, mais celui de la

variable « conflits » est maintenu.

Nous pouvons remarquer une augmentation du R2 à mesure que nous

rajoutons des variables, jusqu’à la variable « conflits ». Ceci indique que la

prédiction de la régression gagne en qualité.

L’analyse de l’ensemble des variables étudiées dans cette étude nous permet

de conclure que la présence de conflits au sein d’une famille endeuillée va

augmenter significativement la durée du deuil.

4. Test T de Student

Le test T de Student est une procédure statistique permettant de vérifier si les

moyennes de deux groupes diffèrent significativement.

Dans notre étude, le test T de Student va nous permettre de comparer nos

deux groupes de population, les belges et les corses, quant aux différentes

dimensions que le test évalue : la pratique des rites, la vitesse de résolution du deuil,

les changements dans les relations familiales et les conflits provoqués par le deuil,

ainsi que la qualité perçue des liens entretenus avec la famille.

Ainsi, nous pouvons remarquer une différences significative entre les deux

populations concernant 3 variables. En ce qui concerne la pratique des rites, la moyenne des belges (M = 56.24,

SD = 15.07) est inférieure à celle des corses (M = 78.10, SD = 16.65). Le test T

indique que cette différence est significative t(344) = -12.78, p < .05.

� sur �74 92

Page 81: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Nous pouvons également constater des différences au niveau des moyennes

concernant la variable « changements dans les interactions familiales ». Les

interactions dans les familles belges (M = 52.34, SD = 21.14) semblent moins

modifiées par le décès que dans les familles corses (M = 66.12, SD = 22.21). Le test

T nous indique que cette différence est significative t(344) = -5.89, p < .05.

Enfin, concernant la qualité perçue des liens entretenus avec la famille, le test

de Levene nous indique que les variances des deux groupes sont hétérogènes F(.01)

= 7.23, p < .05. Le test T indique une différence significative entre les moyennes

obtenues par les deux groupes t(342.97) = -4.47, p < .05. La moyenne de qualité

perçue des liens entretenus avec la famille est plus faible pour la population belge (M

= 77.32, SD = 23.49) que pour la population corse (M = 87.32, SD = 18.07).

5. Modération

La modération est une opération statistique permettant d’étudier l’effet que

l’interaction d’une variable modératrice sur une variable indépendante produit sur la

variable dépendante. Une variable modératrice est une variable qui module le sens

et/ou la force de l’effet de X (variable indépendante) sur Y (variable dépendante)

(Baron et Kenny, 1986 ; James et Brett, 1984).

La régression linéaire que nous avons observé précédemment n’a pas révélé

de relation significative entre la pratique de rites et la vitesse de résolution du deuil.

Dans le cadre d’une première modération, nous allons analyser cette même

relation en prenant en compte l’effet de la variable modératrice « changements dans

les interactions familiales » sur l’impact de la pratique de rites sur la vitesse de

résolution du deuil.

La figure 10, ci-dessous, permet d’illustrer les résultats de cette modération.

� sur �75 92

Page 82: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Figure 10 : Modération : effet des changements dans les interactions

sur l’impact des rituels sur la vitesse de résolution du deuil.

Les résultats de la modération témoignent d’un effet statistiquement

significatif du modérateur « changement dans les interactions familiales » sur l’effet

de la variable « pratique des rites » sur la vitesse de résolution du deuil, avec un

coefficient de -.0026 pour une probabilité de dépassement .02 (p < .05)

Cela signifie que, globalement, les décès provoquant beaucoup de

changements dans les interactions familiales sont ceux dont le deuil est le plus long.

Inversement, les décès qui créent peu de changements dans les interactions familiales

sont ceux dont le deuil est le plus court.

Mais cela est modéré par l’impact de la pratique des rites. Cet impact est

d’autant plus grand lorsque le deuil a provoqué beaucoup de changements dans la

dynamique familiale. Dans ce cas-ci, une pratique de rites importante aide à une

résolution du deuil plus rapide.

Donc, lorsque le décès provoque beaucoup de changements, ce sont les

familles qui pratiquent peu de rites qui mettront le plus de temps à faire leur deuil.

� sur �76 92

Axe

des

vale

urs

obte

nues

à l’

éche

lles

« Vite

sse

de

réso

lutio

n du

deu

il »

24

25,5

27

28,5

30

Axe des changements dans les interactions après le décèsPeu Moyen Beaucoup

Pratique des rites : PeuPratique des rites : MoyenPratique des rites : Beaucoup

Page 83: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Dans la même situation, une famille qui pratique beaucoup de rites verra son temps

de deuil diminuer considérablement.

Une seconde modération va nous permettre d’analyser l’effet de la variable

modératrice « changements dans les interactions familiales » sur l’impact de la

variable « qualité perçue des liens entretenus avec la famille » sur la vitesse de

résolution du deuil. Le figure 11 résume les résultats de cette modération.

Figure 11 : Modération : effet des changements dans les interactions

sur l’impact de la qualité perçue ds liens entretenus avec la famille sur la vitesse de

résolution du deuil.

Les résultats de cette modération ne témoignent d’aucun effet statistiquement

significatif; le coefficient obtenu est de -.0009 pour une probabilité de dépassement

de .41 (p > .05) . Ainsi, on peut conclure que les changements dans les interactions

� sur �77 92

Axe

des

vale

urs

obte

nues

à l’

éche

lles

« Vite

sse

de ré

solu

tion

du d

euil »

20

22

24

26

28

30

32

Axe de la qualité perçue des liens entretenus avec la famille

Mauvais Moyen Bon

Changements dans les interactions familiales : peuChangements dans les interactions familiales : moyenChangements dans les interactions familiales : beaucoup

Page 84: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

n’influence pas la mesure dans laquelle la qualité perçue des liens va impacter la

vitesse de résolution du deuil.

4. Conclusion

Nous avons, dans ce chapitre, présenté nos cas cliniques, ainsi que les

résultats obtenus par l’analyse statistique des réponses fournies au questionnaire.

L’analyse de la consistance interne nous a indiqué que nos variables explicatives

n’étaient pas exhaustives quant à la prédiction de la vitesse de résolution du deuil.

Nous avons découvert en comparant les moyennes de nos deux groupes de

population, que les corses percevaient les liens entretenu avec leur famille comme

significativement meilleurs que les belges, qu’ils pratiquaient également plus de

rites, et qu’ils avaient plus d’interactions après qu’un décès ait touché leur famille

également. La régression linéaire a permis de découvrir que la qualité perçue du lien

entretenu avec la famille était significativement prédictive de la vitesse de résolution

du deuil; donc plus une famille perçoit le lien qui l’unit comme bon, moins le deuil

prend de temps. Nous avons également pu découvrir que le niveau de conflit était

également prédicateur de la durée du deuil. Ainsi, plus le décès a provoqué de

conflits dans la famille, plus long sera le deuil. Enfin, la modération nous a permis

de découvrir que les décès qui créent le plus de changements sont ceux dont le deuil

est le plus long. Mais ceci est modéré par la pratique de rites : lorsque les décès ont

provoqué beaucoup de changements dans les interactions familiales, la pratique de

rites va permettre d’écourter significativement la durée du deuil.

L’ensemble de ces résultats est discutée dans le chapitre suivant.

� sur �78 92

Page 85: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

CHAPITRE 6. DISCUSSION

1. Introduction

Dans ce chapitre, nous interpréterons et discuterons des résultats obtenus.

Nous reviendrons également sur nos hypothèses de recherche afin de les vérifier, et

nous tenterons de proposer des pistes de réflexion quand à la réponse à notre

problématique générale.

Enfin, nous discuterons des limites de cette étude et suggérerons des

propositions d’améliorations, ainsi que des pistes de réflexions pour d’éventuelles

futures recherches.

2. Discussion

Avant de commencer, rappelons la raison pour laquelle nous avons choisit de

comparer la culture belge à la culture corse : la pratique des rites funéraires. L’une

nous semblait peu pratiquante, tandis que l’autre, au contraire nous paraissait y être

très attachée. Ainsi, nous avons tenté de comprendre la mesure dans laquelle la

pratique des rites permettait une résolution plus rapide du processus de deuil, en

comparant ces deux types de population. G l o b a l e m e n t ,

nous ne pouvons pas affirmer que le fait d’être belge ou corse ait une quelconque

influence sur la vitesse à laquelle une famille évolue dans son processus de

résolution du deuil. Cependant, comme le volume de littérature existante à ce sujet

pour chacune des deux cultures le laissait présager, l’analyse statistique confirme que

les corses pratiquent significativement plus de rites que les belges.

Notre principale question de recherche portait sur le rôle des rites funéraires

dans le processus de résolution du deuil familial. Si l’analyse statistique ne démontre

� sur �79 92

Page 86: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

pas d’influence significative de la pratique des rites seule sur la vitesse de résolution

du deuil, nous pouvons néanmoins observer une chose; au-delà de la simple pratique,

nous avons pu découvrir au cours des entretiens, que les familles corses semblent y

accorder plus d’importance et y trouver plus de sens. Dans l’entretien avec la famille

T, en Corse, JP nous a confié à propos des rites « Ce rôle de tous ces rites, c’est à un

moment où tu... peut-être que tu lâcherais, bè là tu peux pas lâcher parce que y a ça,

y a ça, et puis le timing il est... Tu as pas le temps de trop penser hein… ». Tandis

que pour la famille M en Belgique, C et M n’y trouvaient pas d’intérêt : « C : Ha

non, le funérarium, clairement, enfin moi c’est pas quelque chose qui me... / |— M :

On y allait par convention, on n’y allait pas pour nous. —| J’ai pas besoin de ça. » .

Si C et M n’ont pas trouvé d’utilité aux funérailles, elles ont néanmoins confié que le

regroupement de la famille au complet à l’hôpital avant le décès de leur proche a été

très aidant. « M : Pour moi, dans mon deuil, c’était plus important tout ce qu’il s’est

passé à l’hôpital que... que le funérarium et que... |— C : Oui moi aussi. Ca a plus

eu d’impact... —| Que ça… ». Ceci rejoint le témoignage de JP quant aux rites que la

famille T a pratiqué : « Moi c’est parce que justement, y a eu ce soutien familial, ce...

ce cadre qui m’a remis un petit peu en place là, tu vois TAC, ça y est. ». Nous

pouvons alors supposer que, puisque la pratique des rites seule n’a pas d’impact

significatif sur la vitesse de résolution du deuil, le soutien familial et le partage des

émotions qu’elle occasionne pourraient constituer des variables explicatives.

Ceci va d’ailleurs dans le sens du résultat suivant : la qualité perçue des liens

entretenus avec la famille est significativement prédictive de la vitesse de résolution

du deuil. Cela signifie, que plus une personne considère les liens l’unissant à sa

famille comme forts et de bonne qualité, plus vite le deuil sera résolu. Rappelons que

Pereira (1998) définit la fin du processus de deuil familial comme « la réaffirmation

du sentiment d’appartenance à la nouvelle structure familiale née de l’ancienne, mais

organisée de façon différente. » Ainsi, la notion de sentiment d’appartenance étant

centrale dans la résolution du deuil familial, il est aisé de supposer que plus une

personne considère les liens qui l’unissent à sa famille comme forts, plus elle ressent

ce sentiment d’appartenir à cette famille. Ceci pourrait alors expliquer que la qualité

perçue des liens entretenus avec la famille soit bonne prédictive de la vitesse de

résolution du deuil. De plus, nous pouvons également rappeler par la notion de

� sur �80 92

Page 87: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

« base familiale de sécurité » de Byng-Hall (1995) que le système familial constitue

une ressource très importante pour chacun des membres. Ainsi, nous pouvons penser

qu’une bonne qualité perçue des liens entretenus avec la famille suppose une « base

familiale de sécurité » fonctionnelle et aidante, alors prédictive d’un deuil résolu plus

rapidement. Les analyses statistiques indiquent que plus un décès provoque de

conflits au sein de la famille, plus le deuil prendra du temps. De la même manière

que pour la qualité perçue du lien, nous pouvons supposer que plus un décès

provoque de conflits au sein de la famille, moins la « base familiale de sécurité »

sera fonctionnelle, et plus la famille mettra de temps à retrouver un sentiment

d’union et d’appartenance à ce nouveau système. Nous pouvons d’ailleurs illustrer

cela par le cas de la famille C, en Corse. Alors que toute la famille confie avoir

ressenti, plus ou moins rapidement, un soulagement après le décès de JC, et avoir

trouvé les relations familiales assainies, C n’est pas du même avis et a vécu le décès

de son père comme déclencheur de conflits entre le reste de sa famille et elle. « Bè

c’est la mort de papa, la mort de papa nous avait séparés. » Elle est par ailleurs la

seule personne de sa famille a n’avoir pas retrouvé de sentiment d’appartenance à

cette famille tout de suite, mais 15 ans après le décès.

Nous nous demandions également si les interactions familiales influençaient

la vitesse de résolution du deuil familial. En fait, comme nous venons de le voir, si

les interactions sont conflictuelles, alors le deuil sera plus long. Mais l’analyse

statistique révèle également que les décès provoquant beaucoup de changements

dans les interactions familiales sont ceux dont le deuil est le plus long. Rappelons-

nous de la notion de tiers-pesant de Golbeter (1994). Elle renseigne sur le rôle et sur

la place qu’occupait le défunt dans la famille, et par conséquent, elle renseigne

également sur la difficulté du deuil. Nous pouvons mettre en lien cette notion avec

les résultats de l’analyse statistique. Le décès d’une personne occupant un rôle

central au sein de la famille va provoquer beaucoup de changements. Nous pouvons

également mettre cette idée en lien avec les scripts familiaux de Byng-Hall (1995)

adaptés à la situation de deuil par Cécile Paesmans (2006). Selon la théorie des

scripts familiaux, chaque personne dans la famille occupe des rôles bien précis dans

des situations déterminées. Si nous allions la notion de tiers pesant à celle des

scripts, nous pouvons aisément penser que, lorsque c’est une personne occupant une

� sur �81 92

Page 88: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

place importante au sein de la famille qui décède, tout le système en est atteint car le

script s’en verra lourdement modifié. Lorsqu’au contraire, c’est une personne

discrète qui disparait, si la peine n’en est pas moindre, le script familial n’en sera pas

beaucoup changé. Ainsi, plus un décès provoque de changements dans les

interactions, et donc dans le script, plus le deuil prendra de temps. Nous pouvons

illustrer cela par deux cas. Le premier, la famille belge I. Souvenons-nous qu’il s’agit

du décès du fils ainé, alors qu’il n’avait que 23 ans. La famille a été lourdement

affectée par ce décès et S n’a pas su dire si sa soeur, ses parents et elle avaient

retrouvé un sentiment d’appartenance à cette nouvelle famille, sans le fils ainé. Le

deuxième cas, celui de la famille C en Corse, illustre la situation contraire. Ici c’est

le père de famille qui est décédé. Rappelons le contexte familial à ce moment :

chacun vivait chez soi, les relations étaient conflictuelles et les réunions de famille

assez rares. JC était dans un état psychologique préoccupant, et personne ne savait

comment l’aider. Ainsi il vivait seul, isolé, et n’était plus au coeur de la dynamique

familiale. Presque toute la famille, à l’exception de C, dit avoir ressenti un sentiment

d’appartenance à cette nouvelle famille sans JC quasiment immédiatement après son

décès. La discrétion de JC dans les interactions familiales due à son isolement ont

rendu le deuil familial moins long, car le script familial n’a pas dû être intégralement

modifié après son décès.

Donc les décès qui provoquent le plus de changements dans les interactions

familiales sont ceux dont le deuil prend le plus de temps. Cependant, cette relation

est modérée par la pratique de rites. L’analyse statistique révèle que lorsqu’un décès

a provoqué beaucoup de changements dans les interactions familiales, la pratique des

rites impacte significativement la vitesse de résolution du deuil familial en la

réduisant. De nouveau, nous pouvons expliquer cela par les scripts familiaux que

Cécile Paesmans (2006) adapte à la situation de deuil. « Les scripts de deuil vont

guider la façon dont les différents membres de la famille, adultes et enfants, vont se

soutenir mutuellement, ainsi que la manière dont ils vont exprimer ou non le

désespoir qui fait suite à la perte d’un être cher ». Les rites funéraires peuvent être

comparés aux scripts. Ils fournissent une ligne de conduite à tenir, une place à

chacun et un certain protocole à respecter. Ainsi, dans un moment où la famille est

désorganisée, où son équilibre et son script sont atteints, les rites apportent un cadre

� sur �82 92

Page 89: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

structurant, une place à chacun et permettent de contenir la famille et de l’unir. Par

cette union, la famille retrouve cette « base familiale de sécurité » (Byng-Hall, 1995)

et le soutien qu’elle lui procure. Nous pouvons illustrer cela par la famille T, en

Corse. Alors que leur père est décédé quelques années plus tôt, JP et N perdent leur

mère. JP dit se sentir « orphelin », tandis que N « déracinée ». Dans un moment où

les repères parentaux disparaissent, où le monde interne de JP et N change, ainsi que

les rôles dans la famille, les rites permettent de garantir un cadre, des repères et le

soutien familial.

3. Limites

Il est à noter que l’étude présente contient cependant des biais. Le premier

concerne l’échantillonnage. Le questionnaire ayant été diffusé via internet, seules les

personnes ayant accès à une connexion ont pu y répondre. . De plus, nous avons opté

pour une méthode d’échantillonnage non probabiliste. Cela signifie que seules des

personnes intéressées par le sujet ont répondu au questionnaire. Il convient alors de

rester prudent quant à la représentativité de l’échantillon et donc à la généralisation

des résultats à l’ensemble de la population.

La seconde limite concerne le questionnaire lui-même. Il nous a été rapporté

par certains participants que deux questions en particulier, n’étaient pas très clair.

Nous pouvons citer les questions 30 et 31. « Les membres de la famille se sont

réparti et ont maintenu des liens qu’entretenait le défunt avec les personnes et

organismes extérieurs à la famille ». « Depuis le décès, de nouveaux liens ont été

créés entre ma famille et des personnes ou organismes extérieurs. » La formulation

des questions n’est effectivement pas très claire. Elle serait à remplacer par « Les

membres de ma famille et moi-même avons continué à entretenir les relations avec

les connaissances et institutions auxquelles était rattaché le défunt ». et « Depuis le

décès, ma famille s’est liée à de nouvelles relations ».

La troisième limite concerne la consistance interne du test. En effet, les

variables socio-démographiques (origine, sexe et âge), « qualité perçue des liens

entretenus avec la famille », "Changements dans les interactions familiales » et

� sur �83 92

Page 90: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

« Conflits » n’explique qu’à 9% la variable « Vitesse de résolution du deuil ». Cela

signifie que cette liste de variables n’est pas exhaustive. Après analyse statistique du

questionnaire et analyse catégorielle des entretiens, nous avons pensé à d’autres

variables pouvant expliquer la vitesse de résolution du deuil. Ainsi, nous pensons

que l’âge du défunt et la cause du décès constituent des critères important. Plus le

défunt est âgé, plus il y a de chances pour que le décès soit de cause naturelle et que

la famille s’y prépare. A contrario, plus la personne est jeune, plus la cause est

anormale. Comme nous l’avons abordé dans la discussion, le soutien familial et le

partage des émotions occasionnés par les rites pourraient probablement être

explicatifs de la vitesse de résolution du deuil. De nouveau, nous pouvons citer la

notion de « base familiale de sécurité » (Byng-Hall, 1995) que nous pensons centrale

dans le processus de résolution du deuil familial. Un autre facteur explicatif pourrait

être la présence de regrets quant aux interactions familiales avant le décès. Une

famille ayant délaissé ou connu des conflits avec l’un des membres avant que celui-

ci ne décède brutalement pourrait éprouver beaucoup de remords et avoir plus de

difficultés à résoudre son deuil et à retrouver un sentiment d’union et

d’appartenance; le décès pouvant provoquer des conflits entre les membres

survivants.

Une quatrième limite concerne le recrutement des familles. En effet, il a été

très compliqué d’obtenir le consentement de familles entières. Nous avons pu nous

apercevoir que le deuil était un sujet bien plus compliqué à aborder en famille

qu’attendu. Les raisons peuvent être multiples. La première peut être un problème de

méthode de recrutement. Nous pensons que le bouche à oreille puis la présentation

de l’étude en personne reste la meilleure façon de rassurer les familles et d’obtenir

leur confiance. Cependant, la réalité du terrain ne nous permet pas de rencontrer

beaucoup de monde. Ainsi le recrutement a été effectué dans un premier temps, par

le biais d’internet, puis dans un second temps, après échec du premier, par le bouche

à oreille. La difficulté de recrutement pourrait notamment s’expliquer par l’âge des

personnes. Nous avons remarqué une plus forte propension des personnes d’âge mûr

à âgées à s’intéresser au sujet et à nous approcher que de jeunes personnes. Nous

avons également pensé à la cause du décès; nous pensons que plus un décès est

brutal et accidentel, plus il est difficile d’en parler. Un autre élément probablement

� sur �84 92

Page 91: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

dissuasif à la participation pourrait être la communication en famille. Une famille

dont les membres ne communiquent pas serait moins encline à accepter de

communiquer devant une tierce personne, dans un contexte tel que celui d’une étude.

Nous pouvons constater que si les deux familles complètes que nous avons

rencontrées n’abordent pas les sujets les plus sensibles lorsqu’elles se réunissent,

pour autant, la communication n’y est pas fermée. La famille C n’aime pas aborder

les sujets difficiles lors des réunions de famille, mais ils sont abordés de manière

plus informelle, parfois par dyades. Chacun dans la famille T a également exprimé

son ressenti librement et sans gêne lors de l’entretien. Nous pouvons aussi penser

que certaines personnes ne trouvent pas d’intérêt à participer à un entretien qui

certainement provoquera des reviviscences douloureuses. Peut-être aussi ne

comprennent-ils par l’utilité de la recherche où la considèrent peu importante compte

tenu de la douleur que participer à l’entretien pourrait provoquer. La temporalité du

deuil individuel pourrait également être un motif de réticence à la participation à

l’étude. Une personne dont le deuil est fait, pourrait avoir moins de difficulté et plus

de recul à évoquer le vécu douloureux, tandis qu’une autre dont le deuil n’est pas fait

pourrait tout simplement ne pas s’en sentir la force. Enfin, nous pouvons évoquer

l’ambiance familiale; une famille dont la tendance est à l’écart, et l’ambiance

conflictuelle pourrait éprouver quelques réticences, voire une réelle hostilité à l’idée

d’évoquer le vécu familial après le décès de leur proche.

� sur �85 92

Page 92: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

CHAPITRE 7. CONCLUSIONS GÉNÉRALES

Un décès au sein d’une famille provoque inévitablement une multitudes de

changements, plus ou moins importants, qui impactent l’équilibre établi.

Alors que chacun des membres doit gérer son deuil individuellement et faire

face aux sentiments que la perte provoque, l’intégralité de la famille, en tant que

système, doit tacher de se moduler afin de retrouver un équilibre fonctionnel.

Les rites funéraires tirent leur origine de croyances méta-physiques

concernant l’éventuel retour du défunt pour hanter le monde des vivants. Ainsi ces

derniers veillaient au bon traitement de la dépouille. Alors que la science a progressé

et que ces croyances se raréfient, les rites, bien qu’évolués, persistent. Leur fonction

en est alors modifiée.

Nous avions comme objectif, dans cette étude, de déterminer le rôle des rites

funéraires dans cette recherche d’équilibre, d’union et donc dans le processus de

résolution du deuil familial. Nous avons, pour cela, fait la proposition de comparer

deux types de population différant quant à leur pratique des rites : la Corse et la

Belgique. Pour cela, nous avons recueilli l’expérience de personnes ayant vécu le

deuil en contexte familial à travers un questionnaire auto-rapporté en ligne. Celui-ci

nous a permis d’évaluer la vitesse de résolution du deuil familial selon différentes

variables explicatives : la qualité perçue des liens entretenus avec la famille, les

modifications dans les interactions familiales provoquées par le décès, les conflits

après le décès, et la pratique des rites. Nous avons également rencontré des familles

ayant accepté de partager leur vécu au cours d’entretiens semi-structurés. Sur la

totalité de l’étude, nous avons recruté 394 participants aux questionnaires, et 4

familles; 2 familles corses et 2 belges, au setting différent, qui ont accepté de

participer à un entretien.

� sur �86 92

Page 93: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Nous n’avons pas relevé de différence significative concernant la vitesse de

résolution du deuil entre la Corse et la Belgique, bien que la pratique des rites diffère

significativement entre les deux cultures.

Globalement, les rites seuls ne semblent pas être explicatifs de la vitesse de

résolution du deuil. D’autres variables seraient à considérer. Cependant, dans le cas

d’un décès ayant provoqué de grands changements dans les interactions familiales, la

pratique de rites s’avère significativement réductrice du temps de deuil familial.

� sur �87 92

Page 94: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

BIBLIOGRAPHIE

Albert, J.-P. (1999). Les rites funéraires. Approches anthropologiques. Les cahiers de

la faculté de théologie, 141-152.

Byng-Hall, J. (1995). Rewriting Family Scripts : Improvisation and systems change.

New York and London : Guildford Press.

Coq, J.-M., Romano, H., Scelles, R. (2011). La mort d’un enfant : Processus de deuil

dans le groupe familial. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 59,

356-361. DOI 10.1016/j.neurenf.2011.02.001

Cuendet, C.L., & Grimaud de Vincenzi, A. (2003). Des rituels de deuil : Libération

pour les parents, libération pour les enfants. Thérapie familiale, 2(24), 161-168. DOI 10.3917/tf.032.0161

Cuynet, P. (2008). La reconnaissance dans l’héritage. Le Divan familial, 1(20),

47-59. DOI 10.3917/difa.020.0047

Dartiguenave, J.-Y., & Dziedziczak, P. (2012). Familles et rites funéraires : Vers

l’autonomie et la personnalisation d’une pratique rituelle. Recherches familiales,

1(9), 93-102. DOI 10.3917/rf.009.0093

Définition du deuil, (2019). Définition récupérée en janvier 2019, sur http://

www.larousse.fr.

� sur �88 92

Page 95: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Freud, S. (2004). Deuil et mélancolie. Extrait de Métapsychologie, Sociétés, 4(86),

7-19. DOI 10.3917/soc.086.0007

Gaillard, J.-P., & Rey, Y. (2001). Deuil et thérapie familiale : Quels objets flottants ?.

Thérapie familiale, 3(22), 251-269. DOI 10.3917/tf.013.0251

Goldbeter-Merinfeld, E. (1994). Tiers pesant et tiers absent dans le système.

Thérapie familiale, 15, 373-380.

Hanus, M. (2001). Le deuil de ces tout-petits enfants. Etudes sur la mort, 1(119),

7-15. DOI 10.3917/eslm.119.0007

Hanus, M. (2002). Evolution du deuil et des pratiques funéraires. Etudes sur la mort,

1(121), 63-72.

Héas, C., & Héas, S. (2007). Les rituels thérapeutiques de séparation : Le travail de

deuil lors de la perte accidentelle d’un enfant. Thérapie familiale, 2(28), 101-120. DOI 10.3917/tf.072.0101

Hurstel, F. (2012). Figures et fonctions de la mort en Corse : Un monde en

mouvement. Etudes sur la mort, 2(142), 157-172.

K., N. (2018). Ces avis de décès à la pointe de l’information la plus sacrée, Corse-

Matin.

� sur �89 92

Page 96: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Kübler-Ross, E. (1975). Les derniers instants de la vie, Genève : Labor et Fides.

Lombard, E. (2012). Laïcité « à la belge ». Document récupéré en juin 2019, sur le

site www.hyperdebat.net

Mayer, D. M., Rosenfeld A. G., Gilbert, K. (2013). Lives forever changed : Family

bereavement experiences after sudden cardiac death. Applied Nursing Reasearch, 26,

168-173. DOI 10.1016/j.apnr.2013.06.007

Medimmigrant. (2010). Que faire lors du décès d’un proche ?. Document récupéré en

juin 2019, sur le site www.medimmigrant.be

Natali, F. (2016, Octobre). Mort et rites funéraires en Corse, hier et aujourd’hui,

Journée annuelle de l’UNASP, Bastia, Corse, France.

Neomansio, crématoriums de service public, (2019). Site internet http://

www.neomansio.be/fr

Paesmans, C. (2005). Les enfants en deuil par suicide. Approches individuelle et

systémique. Etudes dur la mort, 1(127), 101-115. DOI 10?3917/eslm.127.0101

Paesemans, C., (2006). Le deuil familial. Extrait de mémoire récupéré en février

2018, sur http://systemique.be.

Pereira R. (1998). Le deuil : De l’optique individuelle à l’approche familiale.

Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseau, 20, 31-48.

� sur �90 92

Page 97: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Racamier, P.-C. (1992). Le génie des origines. Paris : Payot.

Segalen, M. (2009). Rites et rituels contemporains. (2nd ed.) Paris : Colin.

Service Public Fédéral Intérieur, (2011). Mode de sépulture : 104.524 Belges ont fait

enregistrer leur choix auprès de leur commune. Document récupéré en juin 2019, sur

le site https://www.ibz.rrn.fgov.be

Service public de Wallonie, (2009, 6 Mars). Décret modifiant le Chapitre II du Titre

III du Livre II de la première partie du Code de la démocratie locale et de la

décentralisation relatif aux funérailles et sépultures. Document récupéré en juin

2019, sur le site http://www.ejustice.just.fgov.be

Sur la route… de la mort, en Corse. (2014). Emission de radio récupérée en mars

2019, sur http://www.franceculture.fr

Thomas, L. V. (1985). Pour la paix des vivants. Paris : Payot.

Woodthorpe, K. (2017). Family and funerals : Taking a relational perspective. Death

studies, 9(41), 592-601. DOI 10.1080/07481187.2017.1325419

� sur �91 92

Page 98: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

ANNEXES

Questionnaire : impact des rites funéraires sur le processus de résolution du deuil

familial .

� sur �92 92

Page 99: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

Questionnaire : impact des rites funéraires sur le processus de résolution du deuil familial.

Vous allez trouver dans ce questionnaire des formules que l’on peut utiliser pour décrire ses attitudes, opinions, intérêts ou sentiments suite à un décès, en situation de deuil. Pour les questions de la première partie, sélectionnez simplement la proposition qui vous correspond. Pour les parties II et III, pour chaque proposition, merci d’entourer le degré d’accord qui correspond le mieux à ce que vous ressentez ou à la manière dont vous agissez habituellement, selon les codes suivants :

Pour la partie IV, sélectionnez simplement la réponse appropriée à votre situation. Lisez attentivement chaque affirmation, mais ne passez pas trop de temps pour décider de la réponse.

Merci de répondre à toutes les questions, même si vous n'êtes pas très sûr(e) de la réponse. Essayez de vous décrire tel(le) que vous vous sentiez lors des moments précisés dans les affirmations, et pas spécialement en ce moment. Focalisez votre attention sur un décès en particulier. Rappelez-vous qu’il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses, mais choisissez uniquement la réponse qui vous ressemble le plus personnellement.

Pas du tout d’accord Tout à fait d’accord

Page 100: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

I. Population

1. Vous êtes : - Belge - Corse - Autre

2. Vous êtes : - Un homme - Une femme

3. Quel âge avez-vous ?

4. Indiquez sur le curseur le pourcentage correspondant à la qualité des liens que vins estimez entre-tuer avec votre famille (0% : qualité médiocre, 100% : excellente qualité) :

3020 4010 6050 70 9080 1000

Page 101: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

II. Pratique des rites Funéraires

5. Je connais les rites mortuaires de ma communauté.

6. Ma famille et moi pratiquons ces rites mortuaires lors d’un décès.

7. Lors des funérailles, ma famille et moi avons confié l’organisation de la cérémonie d’inhumation / crémation à un organisme extérieur.

8. Ma famille et moi avons choisi de limiter le travail des pompes funèbres à l’inhumation/la crémation, et avons nous-même organisé le reste des funérailles.

9. Lors du décès, ma famille et moi avons reçu les visites au domicile du défunt.

10.La cérémonie a suivi un rite religieux.

Page 102: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

11.Le décès a fait l’objet d’une réunion familiale sur le ou les jours jours qui ont précédé l’inhumation / la crémation.

12.Les premiers jours qui ont suivi le décès, ma famille et moi nous sommes vêtus de vêtements sombres.

13.Ma famille et moi avons pour tradition de rendre hommage aux défunts de la famille lors de la Toussaint.

14.Lors du décès, ma famille et/ou moi avons contacté l’entourage pour annoncer la nouvelle.

15.Chaque année, ma famille et moi faisons prononcer une messe anniversaire en souvenirs de nos défunts.

Page 103: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

16. Lors du décès de mon proche, ma famille et moi avons pratiqué d’autres rites que ceux mentionnés ci-dessus : - Oui - Non

16.a. Si oui, lesquels ?

Page 104: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

III. Interactions familiales

17.Le décès a permis à ma famille et moi-même de retrouver des personnes que nous n’avions plus vues depuis longtemps.

18.Le décès a modifié l’équilibre familial.

19.Après le décès, les rôles de chacun se sont vus redistribués au sein de la famille.

20.Le regroupement familial (s’il a eu lieu) suite au décès, m’a permis de ne pas me sentir seul(e).

21.Le décès a engendré des conflits au sein de la famille.

22.Le décès a engendré l’éloignement avec une partie de la famille.

Page 105: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

23.Le décès a motivé le besoin de renouer avec mes racines et ma famille, même éloignée.

24.Le décès a provoqué un rapprochement entre ma famille et moi.

25.Le décès a mis de la distance entre ma famille et moi.

Page 106: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

IV. Etapes du deuil

26. Ma famille et moi avons accepté le décès : - La semaine suivant celui-ci - Le mois suivant celui-ci - Entre 1 et 6 mois suivant celui-ci - Plus de 6 mois après celui-ci - Ma famille et moi n’avons jamais pu accepter le décès

27. Ma famille et moi avons réussi à exprimer nos émotions quant au décès : - Tout de suite - La semaine suivant celui-ci - Le mois suivant celui-ci - Dans les 6 premiers mois suivant celui-ci - Plus de 6 mois après celui-ci - Nous n’avons jamais pu le faire

28. Après le décès, les ou certains des rôles qu’occupait le défunt au sein de la famille ont été redistribués entre les membres de la famille :

- Tout de suite - Dans le mois suivant le décès - Dans les 6 premiers mois suivant le décès - Plus de 6 mois après le décès - Jamais

29. La disparition du proche a provoqué un déséquilibre au niveau du fonctionnement familial :

- Pendant les premiers jours suivant le décès - Pendant le premier mois suivant le décès - Pendant les 6 premiers mois suivant le décès - Pendant la première année suivant le décès - Pendant plus d’un an après le décès - La disparition n’a pas provoqué de déséquilibre dans le fonctionnement

familial

30. Les membres de la famille se sont réparti et ont maintenu des liens qu’entretenait le défunt avec les personnes et organismes extérieurs à la famille :

Page 107: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

- Pendant les premiers jours suivant le décès - Dans le mois qui a suivi le décès - Dans les 6 premiers mois qui ont suivi le décès - Entre 6 mois et un an après le décès - Plus d’un an après le décès - Plus jamais. La famille n’a plus fréquenté certaines personnes et organismes,

connaissances de la famille auparavant, depuis le décès

31. Depuis le décès, de nouveaux liens ont été créés entre ma famille et des personnes ou organismes extérieurs :

- Au cours du mois suivant le décès - Entre un et 6 mois après décès - Entre 6 mois et un an après le décès - Plus d’un an après le décès - Ma famille n’a plus créé de nouveaux liens avec l’extérieur depuis le décès

32. Après le décès, j’ai remarqué un nouveau fonctionnement, de nouveaux rituels, de nouvelles règles au sein de ma famille :

- Au cours des 6 premiers mois après le décès - Entre 6 mois et un an après le décès - Au cours des deux premières années après le décès - Au cours des 3 première années après le décès - Au moins 3 ans après le décès - Le fonctionnement dans ma famille ne s’est pas renouvelé depuis le décès,

d’ailleurs l’absence se fait sentir au quotidien et constitue un handicap dans le fonctionnement familial.

33. Sans avoir oublié le défunt pour autant, ma famille a retrouvé un équilibre fonctionnel :

- Au cours des 6 premiers mois après le décès - Entre 6 mois et un an après le décès - Au cours des deux premières années après le décès - Au cours des 3 première années après le décès - Au moins 3 ans après le décès - Ma famille n’a jamais retrouvé d’équilibre ou de fonctionnement adéquat

après le décès. Elle semble désunie, comme brisée.

Page 108: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

34. Sans avoir oublié le défunt pour autant, et tout en l’inscrivant dans l’histoire familiale, ma famille a retrouvé une union, une unité, sous une nouvelle forme, une nouvelle structure, à laquelle nous adhérons tous et avons le sentiment d’appartenir :

- Au cours des 6 premiers mois après le décès - Entre 6 mois et un an après le décès - Au cours des deux premières années après le décès - Au cours des 3 première années après le décès - Au moins 3 ans après le décès - Jamais ma famille n’a su retrouver une unité depuis le décès de cette

personne, celui-ci ayant provoqué un vide ne pouvant être comblé.

Page 109: Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution ... · recrutement des participants pour cette étude. Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au

RÉSUMÉ DU PROJET

Après un décès, la famille entière va se réorganiser, combler le vide laissé par

le défunt, afin de retrouver un équilibre familial à travers une organisation différente

de celle qui existait auparavant, mais de nouveau fonctionnelle. Selon Pereira (2004),

la fin du processus de deuil familial est marquée par « la réaffirmation du sentiment

d’appartenance à la nouvelle structure familiale née de l’ancienne, mais organisée de

façon différente ». Cette étude a pour objectif de découvrir dans quelle mesure la pratique de rites à

l'occasion d'un décès, facilite ou non le processus de résolution du deuil familial.

Afin d’apporter des réponses à cette problématique, nous comparerons deux

cultures : la culture belge chez qui les rites mortuaires ont pratiquement disparus, et

la culture corse, population encore très respectueuse de ces pratiques.

Nous nous proposons ainsi de répondre à cette question via deux approches :

une approche quantitative et une approche qualitative. La première fournit l’analyse

de données recueillies via un questionnaire en ligne (adaptation Mangion-Scali 2018)

évaluant la vitesse de résolution du deuil selon 4 variables explicatives : la qualité

perçue des liens entretenus avec la famille, les modifications dans les interactions

familiales provoquées par le décès, les conflits après le décès, et la pratique des rites.

La seconde approche fournit l’analyse catégorielle d’entretiens familiaux.