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Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution du deuil familial :
approche comparative inter-culturelle Corse/Belgique
Auteur : Mangion, Valérie
Promoteur(s) : Scali, Thérèse
Faculté : þÿ�F�a�c�u�l�t�é� �d�e� �P�s�y�c�h�o�l�o�g�i�e�,� �L�o�g�o�p�é�d�i�e� �e�t� �S�c�i�e�n�c�e�s� �d�e� �l ��E�d�u�c�a�t�i�o�n
Diplôme : Master en sciences psychologiques, à finalité spécialisée en psychologie clinique
Année académique : 2018-2019
URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/7521
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Faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’Éducation
Rôle des rites funéraires sur le processus de résolution du deuil familial :
Approche comparative inter-culturelle Corse/Belgique
Mémoire présenté par Valérie Mangion
En vue de l’obtention du grade de master en Science Psychologiques, à finalité
spécialisée en psychologie clinique
Promotrice : Thérèse Scali
Lecteurs : Jacques Guy
Laetitia Di Piazza
Année académique 2018-2019
REMERCIEMENTS
En tout premier lieu, je tiens à remercier ma promotrice, madame Thérèse
Scali, pour sa confiance, sa bienveillance, sa disponibilité et ses bons conseils.
Merci également pour son humanité et son implication vis-à-vis de ses étudiants.
Merci à madame Laetitia Di Piazza et monsieur Jacques Guy pour l’intérêt
qu’ils portent à ce travail et pour le temps qu’ils ont accepté de passer à la lecture.
Une mention particulière pour monsieur Guy qui a accepté de faire le déplacement
de Corse pour l’occasion.
Un grand merci également aux personnes qui ont participé à cette étude, et
particulièrement les familles que j’ai rencontrées. Merci pour leur confiance, leur
temps, et leur ouverture d’esprit.
Je tiens à remercier chaleureusement monsieur Camille Canonici, professeur
de Corse au collège de Sartène. Merci pour sa disponibilité, son aide et ses bons
conseils dans la rédaction de la partie concernant les rites funéraires en Corse.
Merci à madame Vannina Lari, maitre de conférence en Cultures et Langues
Régionales à l’Université de Corse, pour son aide.
Merci à toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont contribué au
recrutement des participants pour cette étude.
Merci à mes amies pour leur fidélité et leur soutien tout au long de ces
années, merci également à mon chéri pour son implication dans ce projet et pour
l’aide qu’il m’a fournie.
Merci à ma cousine, Vannina Blanc, pour sa relecture minutieuse.
Merci à ma mémé pour son aide dans l’élaboration de la partie sur la Corse,
et pour son soutien.
Je tiens à remercier tout particulièrement mes parents pour leur amour, leur
soutien, leur confiance et leur patience depuis le début de mon cursus universitaire.
Enfin, merci à ma minà. Merci de veiller sur nous, et merci pour tout ce
qu’elle a laissé derrière elle. Puisse ce travail rendre hommage à sa mémoire…
SOMMAIRE
INTRODUCTION 1
CHAPITRE 1. DEUIL : POINT DE VUE INTRAPSYCHIQUE 3
1. Définition 3
2. Les étapes du deuil 4
CHAPITRE 2. DEUIL : POINT DE VUE SYSTÉMIQUE 6
1. Définition et étapes du deuil 6
2. La réorganisation du système après le décès 9
3. Héritage et relations familiales 17
4. Thérapie systémique du deuil 20
CHAPITRE 3. LES RITES FUNÉRAIRES 22
1. Définition 22
2. Contexte actuel 23
3. La fonction sociale des rites 24
4. Partie anthropologique 24
1. Les rites funéraires en Corse 24
2. Les rites funéraires en Belgique 32
CHAPITRE 4. MÉTHODOLOGIE 38
1. Problématique 38
� sur �1 3
2. Procédure de l’étude 39
3. Participants 40
4. Matériel 42
5. Méthode d’analyse 43
1. L’échelle « Rites funéraires » 44
2. L’échelle « Interactions familiales » 44
3. L’échelle « Vitesse de résolution du deuil » 45
CHAPITRE 5. RÉSULTATS 47
1. Introduction 47
2. Qualitatif 48
1. Famille I. 48
2. Famille M. 53
3. Famille C. 59
4. Famille T. 64
3. Quantitatif 69
1. Consistance interne 69
2. Corrélations 70
3. Régression linéaire 72
4. Test T de Student 74
5. Modération 75
4. Conclusion 78
CHAPITRE 6. DISCUSSION 79
� sur �2 3
1. Introduction 79
2. Discussion 79
3. Limites 83
CHAPITRE 7. CONCLUSIONS GÉNÉRALES 86
BIBLIOGRAPHIE 88
ANNEXES 92
� sur �3 3
INTRODUCTION
Le deuil est une étape à laquelle tout le monde est confronté un jour ou
l’autre. Il se caractérise par un profond sentiment de tristesse causé par la perte.
Beaucoup d’auteurs se sont intéressés au deuil d’un point de vue intrapsychique.
Dans la présente étude, c’est sur les conséquences que la perte d’un être cher peut
avoir dans le fonctionnement d’une famille que nous portons notre intérêt. Ainsi,
nous focaliserons notre attention sur ce qui peut être aidant dans le processus de
résolution du deuil familial, et plus particulièrement sur les rites funéraires.
Albert (1999), définit le rite par deux caractéristiques :
- « un rite se présente comme une séquence d'actions ou de comportements plus ou
moins conformes à un programme préétabli et identifiable comme tel par ceux qui le
pratiquent ou en sont les témoins.
- « ces actions débordent le cadre de la seule rationalité pragmatique : ou bien elles
sont matériellement inopérantes, ou bien elles associent à un acte efficace des
suppléments « inutiles ». »
Ainsi, « un rite se distingue des actes ordinaires par ses motivations et suggère des
significations sans les expliciter. ». Pour comprendre l’origine de la pratique des
rites, l’auteur propose deux rôles possibles de ceux-ci. Le premier est la pratique de
rites par rapport à la mort en elle-même, donc à la perte d’une personne. Cette
pratique aurait une fonction psychologique. Le deuxième est la pratique de rites par
rapport aux morts; cette proposition est à rattacher aux croyances quant à une
destinée post-mortem par exemple. Dans ce sens, la pratique de rites aurait plutôt
une fonction sociologique.
Les rites pratiqués par rapport à la mort sont, d’un point de vue psychanalytique,
une « tentative de solution de crise affective ». Ainsi, à travers les restrictions
imposées lors du deuil et les dépenses pour les obsèques, les vivants tentent de
soulager le sentiment de culpabilité qu’ils peuvent ressentir du fait d’être toujours en
vie, tandis que leur proche n’est plus.
� sur �1 92
Les rites pratiqués par rapport aux morts seraient à mettre en lien avec une
peur de la mort. Albert (1999) remarque un point commun à beaucoup de sociétés :
presque toutes distinguent deux périodes après la mort. La première serait celle de la
« disparition des parties molles du cadavre », durant laquelle le mort demeure près
des vivants et peut interférer avec eux. Le seconde, arrive après décomposition de
ces « parties molles ». Elle peut faire l’objet d’une « seconde sépulture » et marque
la fin du deuil pour les vivants. A ce niveau, le mort ne représente plus de danger.
Ainsi, nous comprenons que certes, les rites jouent un rôle psychologique, mais ils
sont également fondés sur des croyances d’existence post-mortem potentiellement
dangereuses.
Dans une société en voie de sécularisation, où la religion et les croyances
mystiques tendent à disparaitre, nous pouvons observer que les rites, bien qu’ils
changent de forme et évoluent, demeurent malgré tout. A l’heure de
l’hypertechnologisation de la société, où tout s’obtient instantanément à partir d’un
simple clic sur un clavier ou un écran, nous continuons de prendre du temps pour
dire au revoir à nos morts. Alors quelle en est l’utilité ? Cette pratique des rites est-
elle vraiment aidante dans le processus de résolution du deuil ou ne persistons-nous
que parce que « on a toujours fait comme ça » ?
Dans cette étude, nous tenterons de répondre à cette question. Pour cela, nous
avons choisi de comparer deux cultures très différentes : la culture corse à la culture
belge. L’une très soucieuse de la pratique des rites, tandis que l’autre y accordant
moins d’importance.
Nous aborderons dans un premier temps la question du deuil. D’abord d’un
point de vue individuel, puis d’un point de vue systémique. Nous verrons en quoi un
décès peut impacter l’équilibre familial établi. Nous explorerons ensuite la question
des rites; le contexte actuel et leur fonction sociale. Nous ouvrirons ensuite une petite
parenthèse anthropologique afin d’exposer les rites pratiqués en Corse et en Belgique
avant de passer à la présentation de la méthodologie de notre étude. Nous exposerons
enfin les résultats avant de les discuter et de fournir les limites de ce travail.
� sur �2 92
CHAPITRE 1. DEUIL : POINT DE VUE INTRAPSYCHIQUE
1. Définition
Le deuil est bien sûr une étape difficile de la vie , et par laquelle tout le
monde passe , un jour ou l'autre . Mais qu'est-ce que réellement le deuil ? Que cela
implique-t-il ? Nous allons d'abord définir le deuil , puis nous évoquerons quelques
théories sur les étapes par lesquelles passe une personne endeuillée . Tout cela sous
un point de vue individuel .
Pour parler de deuil , il convient d’abord de le définir .
Le Larousse (2019) donne la définition suivante : « Perte, décès d'un parent,
d'un ami : Avoir un deuil dans sa famille » ou encore « Douleur, affliction éprouvée à
la suite du décès de quelqu'un, état de celui qui l'éprouve : Le pays est en deuil, il
pleure ses morts. ».
D’un point de vue plus psychanalitique , Freud , dans « Deuil et mélancolie »
(2004), définit le deuil comme étant « la réaction à la perte d’une personne aimée ou
d’une abstraction mise à sa place, la patrie, la liberté, un idéal, etc. ». Il serait alors
caractérisé par des traits similaires à ceux de la mélancolie , à savoir « une
dépression profondément douloureuse, une suspension de l’intérêt pour le monde
extérieur, la perte de la capacité d’aimer, l’inhibition de toute activité » . Le seul trait
permettant de distinguer le deuil de la mélancolie est « le trouble du sentiment
d’estime de soi » .
Hanus dans « Le deuil de ces tout petits enfants » (2001) lui définit le deuil ,
non pas comme tourné vers le passé , en souffrance vis à vis de toutes les choses que
l'on a vécu avec la personne décédée et relatif à la remémoration de ce qui n'est plus ,
car le passé est terminé , et nul ne saurait revenir là-dessus . Personne n'est en
mesure d'effacer ce qui a été vécu . Les souvenirs resteront , au-delà de la mort .
Hanus (2001) pense que le deuil est un processus en lien avec l'avenir . Il s'agit de se
� sur �3 92
résigner et d'accepter d'abandonner l'idée d'un avenir commun . La personne vivra
toujours à travers les souvenirs du passé , mais plus rien ne la fera revenir et les
projets tombent à l'eau .
Même s'il le définit selon le passé et le futur , Hanus (2001) fait remarquer
que le deuil va , d'une certaine façon , figer le temps . Si la relation entretenue avec
la personne décédée était bonne , alors les souvenirs , bien que rappelés avec tristesse
, resteront doux et tendres . Si par contre la relation entretenue avec l'être perdu était
ambivalente ou conflictuelle , alors le deuil n'en sera que plus difficile : ce lien
restera enfermé dans le souvenir d'ambivalence ou de conflit, et plus aucune chance
ne lui sera laissée pour évoluer et pour s'améliorer .
2. Les étapes du deuil
Nous avons tous une certaine idée du deuil . Mais pour mieux le
comprendre , et pour mieux l'expliquer , certains auteurs en ont fourni une
explication plus poussée .
Kübler-Ross (1975) a décrit le processus de résolution du deuil selon 5 étapes .
Chacune d'elles constitue une tentative de contester la dure réalité à laquelle est
confrontée la personne endeuillée .
La première étape est le déni , le choc . Elle apparaît au moment où le proche
du défunt apprend le décès . La réalité est trop dure à accepter . La personne
endeuillée la refuse , l'ignore . Les émotions sont presque neutres , la personne n'a
pas conscience de ce qu'il se passe .
La deuxième étape est la colère . A ce stade là , la personne reprend contact
avec la réalité , elle prend conscience de ce qu'il se passe et réalise que l'être aimé
n'est plus . La colère se révèle être un sentiment puissant de protestation contre le
sort qu'elle endure . Sort contre lequel elle est totalement impuissante .
Vient ensuite l'étape de la négociation au cours de laquelle la personne
endeuillée va négocier intérieurement le principe de réalité avec celui de la perte non
acceptable . La mort est reconnue , mais la personne va tenter de la négocier
� sur �4 92
psychiquement . Il peut s'agir par exemple de croyances religieuses , telle que la vie
après la mort . L'autre n'est plus dans ce monde , mais il continue à exister ailleurs .
L'étape suivante est celle de la dépression . La personne en deuil va
finalement comprendre que l'être aimé est parti et qu'elle n'a aucun contrôle sur la
situation . Un sentiment de tristesse profonde , de détresse et d'impuissance va alors
l'envahir .
Enfin, l'acceptation est la dernière étape. Celle où le proche du défunt se
résigne et accepte enfin ce qui lui arrive. Après plusieurs étapes de lutte et plusieurs
tentatives de protestation , la personne endeuillée accepte finalement la réalité . La
tristesse peut encore être présente , mais elle retrouve un fonctionnement normal , en
reconstruisant sa vie malgré le vide et l'absence .
Selon Freud (2004), à travers l’épreuve du deuil, la personne est confrontée, par la
réalité, à la perte de l’objet aimé. Elle doit dès lors cesser d’investir toute libido dans
cet objet. Abandonner une "position libidinale" n’est pas chose facile, c’est pourquoi
la personne endeuillée peut en venir à « se détourner de la réalité et à maintenir
l’objet par une psychose hallucinatoire de désir », on peut citer comme exemple le
rêve, à travers lequel la personne maintient son lien avec l’objet perdu. Cela se
poursuit durant le temps nécessaire à désinvestir la libido de l’objet perdu. Ainsi,
« après avoir achevé le travail du deuil », le moi « redevient libre et sans
inhibitions ».
"Le travail qu'accomplit le deuil" est donc la confrontation à la réalité qui
pousse le sujet à désinvestir l'objet perdu, "la rébellion compréhensible", durant
laquelle l'objet perdu peut être maintenu psychiquement par hallucination et qui
demande beaucoup d'énergie, et enfin le désinvestissement de la libido et un moi qui
« redevient libre et sans inhibitions ».
� sur �5 92
CHAPITRE 2. DEUIL : POINT DE VUE SYSTÉMIQUE
Etant donné les étapes difficiles et mouvementées par lesquelles l'individu
endeuillé doit passer , il est aisé d'imaginer que le système familial, comprenant
plusieurs individualités, ne peut pas rester indemne à un deuil… Nous allons voir
comment le système se réorganise après la perte d'un être cher.
1. Définition et étapes du deuil
Dans « Les enfants en deuil par suicide », Paesmans (2005) cite Pereira
(1998) pour définir le deuil familial et ses étapes. Il s’agit d’ « un processus familial
qui se déclenche à la suite de la perte de l’un de ses membres ». Va s’en suivre une
réorganisation, les rôles de la personne décédée vont être redistribués entre les
membres de la famille. La famille subira une restructuration, une réorganisation
adaptative, à défaut de quoi elle sera menacée de disparition. Les quatre étapes du
deuil familial selon Pereira (1998) sont celles-ci :
1. « L’acceptation familiale de la perte permet à tous les membres de la famille de pouvoir
exprimer leur tristesse. A cette étape, les rituels tels la veillée funèbre et
l’enterrement jouent un rôle important. En effet, ceux-ci annoncent la
perte, favorisent son acceptation et crée un cadre adéquat pour
l’expression des émotions.
2. Le processus de réorganisation familiale implique la redistribution de la communication
interne et des rôles familiaux. Chaque famille possède son propre modèle
de communication ; chacun de ses membres jouant un rôle différent lors
de la transmission de l’information, que ce soit au sein de la famille ou
avec le monde extérieur. Lorsque l’un des canaux de communication
vient à disparaître, il faut alors mettre en place des alternatives afin de
maintenir une relation adéquate. La réorganisation des systèmes de
communication est loin d’être simple et dépendra de plusieurs facteurs
� sur �6 92
tels que les aptitudes et les capacités de communication de la famille,
l’importance du disparu dans la communication intra-familiale, et la
brutalité avec laquelle se produit la mort. La redistribution des rôles que
détenait le défunt entre les différents membres du système familial est,
quant à elle, souvent source de conflits. L’issue de ces derniers dépendra,
une fois de plus, de la fonction qu’occupait précédemment le défunt au
sein de la famille ; la disparition de quelqu’un occupant une position
centrale dans son fonctionnement pouvant produire un déséquilibre
intense dans le système. Les rôles précédemment attribués au défunt
seront donc soit répartis entre les membres survivants ou assumés par
l’un d’entre eux, soit maintenus « en réserve » en attendant la venue et
l’incorporation dans la famille d’un nouveau membre qui les assume.
3. Après la phase de réorganisation interne et, lorsque la famille commence à se sentir plus
stable et à se tourner vers l’extérieur, une réorganisation de la relation
avec l’environnement extérieur commence à être possible. Celle-ci
implique également la redistribution des rôles ainsi que la redéfinition de
nouveaux canaux de communication. De fait, le processus de deuil sera
également facilité par le fait que le système familial maintient des canaux
de communication avec l’environnement extérieur rendant ainsi plus
facile l’accès aux réseaux de soutien extérieur. Contrairement à cela, la
suppression de canaux de communication avec l’environnement extérieur
menace l’intégrité du système. A cela vient s’ajouter la réorganisation des
règles de fonctionnement du système. Lors de la réorganisation des règles
face à ces changements, la flexibilité de la famille ainsi que sa capacité à
maintenir une structure définie détermineront le fonctionnement et la
viabilité du système familial. La réorganisation des règles de
fonctionnement du système prend du temps et dépend du nombre de
règles qui doivent être modifiées, de la brutalité avec laquelle survient le
décès et du cycle vital de la famille.
4. La fin du travail de deuil familial est définie par la réaffirmation du sentiment
d’appartenance à la nouvelle structure familiale née de l’ancienne, mais
organisée de façon différente. Les canaux de communication et les rôles
� sur �7 92
qu’assumait le défunt ont été redistribués entre les autres membres de la
famille et de nouveaux canaux de communication ont été créés. Les
survivants cherchant parfois de nouveaux appuis après le décès, certaines
alliances se verront modifiées. Ceci ne veut pas dire qu’on oublie le
défunt mais plutôt qu’on essaye petit à petit de le restituer
émotionnellement de façon adéquate afin que sa figure fasse toujours
partie de l’histoire de la famille mais qu’elle cesse d’avoir une influence
directe sur le fonctionnement de celle-ci. »
Gaillard et Rey (2001) proposent également plusieurs étapes par lesquelles
passent une famille lors du décès d’un de ses membres. Elles sont au nombre de six,
et les membres de la famille peuvent les expérimenter individuellement. Il s’agit de
l’état de choc, la dénégation, la colère, le marchandage, le désespoir et la sagesse.
Gaillard et Rey comparent le deuil à une spirale au cours de laquelle la famille passe
d’une position à l’autre, sans ordre précis. « Les groupes endeuillés (deuil d’un autre
ou deuil de soi) passent et repassent dans le désordre sur les mêmes positions : l’un
des membres du groupe familial s’attarde sur une position qu’un autre shunte, alors
qu’un troisième met en boucle récursive deux ou trois positions entre lesquelles il
navigue indéfiniment (entre dénégation, colère et marchandage, par exemple), et
qu’un autre encore semble s’ancrer longuement dans une seule position (la colère, ou
la tristesse, par exemple). » Cette boucle permet de se rendre compte des différences
de rythmes pouvant exister entre les membres d’une même famille et permet donc
d’expliquer les incompréhensions et les différents possibles entre les membres au
cours du deuil familial.
D’après C. Héas et S. Héas (2007), « La fin du deuil familial est marquée par
l’acceptation de ses membres d’une nouvelle structure familiale, née de l’ancienne,
mais organisée d’une manière différente. La figure du défunt viendra à faire partie de
l’histoire de la famille, mais elle devrait cesser d’avoir une influence directe sur le
fonctionnement de celle-ci. »
� sur �8 92
2. La réorganisation du système après le décès
Dans sa recherche sur le développement personnel d’un enfant malgré le
suicide d’un de ses parents, Paesmans (2006) fait l’hypothèse de trois concepts
importants dans le deuil familial : la « base familiale de sécurité » de Byng-Hall
(1995), les scripts de Byng-Hall également (1995) et la notion de tiers pesant de
Goldbeter (1994). Ces concepts pourraient être également intéressants à développer
pour toutes les formes de deuil familial, et pas nécessairement uniquement dans le
cas d’un suicide du parent.
Byng-Hall (1995) considère la famille comme un cadre sécurisant et
disponible pour chacun des membres leur permettant l'assurance de soutien en cas de
besoin. Il appelle cela la "base familiale de sécurité" qu'il définit comme "une famille
qui offre un réseau fiable de relations d'attachement, lequel permet à tout membre
quel que soit son âge, de se sentir suffisamment en sécurité pour explorer ses
relations avec chacun des autres et avec des personnes extérieures à la famille".
Ainsi, la famille est donc un lieu où chacun occupe des rôles bien précis dans des
situations précises également.
Byng-Hall (1995) considère que chaque personne, au sein d'une famille,
occupe un rôle déterminé, et que le maintien de ces rôles assure l'équilibre du
fonctionnement familial. Il nomme cela les scripts familiaux, qu'il définit comme
"les attentes familiales communes concernant la manière dont les rôles familiaux
doivent être remplis dans différents contextes". Il existe 3 types de scripts familiaux :
on nomme scripts "réplicatifs" lorsqu'une personne reproduit ce qu'elle a vécu au
sein de sa famille d'origine, comme par exemple les types de relations, ou les rôles
occupés dans certaines situations, au sein de sa nouvelle famille. Au contraire, les
scripts "correctifs" sont le refus de reproduire le vécu provenant de la famille
d'origine, et la volonté de mettre en place de nouveaux types de relations. Enfin, les
scripts "actuels" sont le résultats d'un mélange entre les scripts "réplicatifs" et les
scripts "correctifs", et correspondent au fonctionnement propre à la famille. Ainsi, les
scripts peuvent donner une indication sur comment la famille doit vivre son deuil et
renseigner sur le sens qu’elle va donner au décès de l’un de ses membres, sa capacité
de soutien émotionnel.
� sur �9 92
Enfin la notion de tiers pesant (Goldbeter, 1994) va renseigner sur le rôle, la
place, la fonction qu’occupaient les membres décédés de la famille. Ainsi, le
difficulté du deuil sera fonction de la place qu’occupait le défunt, selon qu’il
comptait comme un tiers léger ou un tiers pesant au sein de la famille. Ces trois concepts sont intéressants dans la compréhension des mécanismes sous-
tendant la résolution du deuil familial.
Paesmans (2006) suggère que les scripts vont également jouer un rôle dans la
résolution du deuil familial. "Les scripts de deuil vont guider la façon dont les
différents membres de la famille, adultes et enfants, vont se soutenir mutuellement,
ainsi que la manière dont ils vont exprimer ou non le désespoir qui fait suite à la
perte d’un être cher." Lors d'un décès, le script familial va se modifier, et chacun
occupera un nouveau rôle, celui-ci pouvant se révéler plus ou moins important selon
que la personne soit plus ou moins proche du défunt, et donc plus ou moins porteuse
du deuil. Perdre un proche signifie alors faire le deuil de cette personne, mais
également celui du script familial, qui devra alors être modifié en prenant en compte
les changements occasionnés par la perte.La perte d'un être cher est toujours difficile.
Mais lorsque le défunt est un enfant, un processus particulier se met en place dans la
famille pour supporter le décès.
Toute la famille est touchée par le décès d'un enfant. Selon Coq, Romano, et
Scelles (2011), il s'agit alors de s'intéresser à tous les points de vue sur le décès dans
la famille : le point de vue individuel , propre à chacun , celui du sous-système
"couple" , et celui du sous-système "fratrie" . Ne pas réduire le deuil à un niveau
intrapsychique permet de ne pas isoler l'individu dans son deuil en coupant son lien
aux autres. Mais il est tout de même important de reconnaître chacun dans sa
spécificité et son individualité face au deuil, car ignorer la spécificité d'une personne
l'empêche de réaliser son processus de deuil aussi bien systémique qu'individuel.
Lors de l'annonce du décès d'un enfant dans une famille, chacun des membres
va réagir différemment. Chacun va gérer son deuil à son rythme. Penser que tous
vont s'accorder et avancer au même rythme serait parfaitement illusoire et risquerait
au contraire de créer des désaccords. Les membres de la famille vont donc
individuellement se remémorer chacun les liens qu'ils entretenaient avec l'enfant � sur �10 92
décédé, les relations d'amour et de haine; l'ambivalence du sujet vis à vis de l'enfant.
La famille va être confrontée au principe de réalité qui va les conduire vers un état
dépressif. Ceci jusqu'à un désinvestissement de la relation. Cela peut passer par un
"discours intérieur en direction de l'enfant mort", évoquant alors les événements
qu'ils ont vécu ensemble, où qui étaient prévus dans le futur.
Le processus de résolution du deuil d'un point de vue familial peut être
considéré de manière ambivalente.
Il peut s'avérer plus complexe que lorsqu’il est abordé de manière
individuelle. Chacun avançant à un rythme différent et selon des défenses
différentes, la souffrance évoquée par les uns peut perturber les autres, les renvoyant
à leurs propres failles, celles contre lesquelles ils luttent. La famille peut aussi
fonctionner sur un mode défensif en désignant une personne en particulier comme
les empêchant d'exprimer leurs propres émotions, leur propre tristesse, une personne
devenant alors l'"objet des projections de la souffrance familiale", il s'agit du
"deuilleur désigné".
Mais lorsque toute la famille tombe d'accord sur une manière de définir la
personne décédée, en la reconnaissant dans son ambivalence, en lui attribuant aussi
bien ses qualités que ses défauts et en cessant de l'idéaliser, alors cela peut mener à
limiter les sentiments de culpabilité individuelle. L'unité formée autour de ce
consensus permet de sortir de cette impression de responsabilité dans le décès de
l'enfant. Le groupe familial permet à chacun d'avancer à son propre rythme et de
rejouer sa place au sein du système, mais il permet en même temps un soutien, un
support, un contenant pour les émotions, les affects de chacun des membres. Il agit
comme une membrane qui protège les individus des agressions externes, mais ne les
y enferme pas, et leur permet des réinvestissements à l'extérieur.
Si l'approche systémique rassemble la famille en une unité donc chacun des
membres va vivre le deuil d'une manière qui lui est propre, les différents sous-
systèmes ne vont pas non plus vivre le décès de la même manière. On peut ainsi
différencier le deuil chez les parents du deuil au sein de la fratrie.
Lors de l'annonce du décès de leur enfant, les parents peuvent se trouver dans
un état de sidération, ils peuvent ne pas comprendre ce qui leur arrive, ne pas y
� sur �11 92
croire, être dans une forme de déni face à ce qui leur arrive et face à la mort. S'ils
étaient présents au moment du décès, ils peuvent aussi se trouver dans un état post-
traumatique. Ces différents états ne sont qu'une manière de se protéger de la réalité
inacceptable.
Un sentiment de culpabilité peut être le résultat d'une blessure narcissique
due au sentiment d'avoir échoué dans son rôle de parents en n'ayant pas réussi à
protéger son enfant adéquatement. Cette culpabilité n'est finalement qu'une façon de
lutter contre l'effondrement narcissique, en se réappropriant la situation, et en
reprenant du contrôle sur ce qui n'était pas contrôlable. A travers la culpabilité, ils ne
sont pas seulement spectateurs de leur malheur, mais en deviennent acteurs, même
s'ils n'ont pas le meilleur rôle. Ils peuvent également remettre la responsabilité sur
l'autre parent, mais il importe qu'ils trouvent un responsable. Les deux parents ne
vivant pas le deuil de la même façon, cela peut entraîner des conflits entre eux.
Le sous-système fratrie ne vit pas du tout le deuil de la même façon que le
sous-système parents. On pourrait penser que les enfants, de par leur jeune âge ne
ressentent pas la mort, ou ne réalisent pas, et l'on pourrait être tentés de sous-estimer
leur souffrance. Or , il n'y a pas d'âge pour percevoir la mort. Un bébé ne souffrira
pas du manque du frère décédé, mais il ressentira, à travers le contexte émotionnel
familial, le profond chagrin de ses parents, et celui de ses frères et soeurs. Un enfant
à peine plus âgé n'aura pas une réelle conscience de ce que signifie la mort, mais
l'absence prolongée et des réminiscences perceptives lui feront vivre le décès du
proche.
Les frères et soeurs d'un enfant décédé vivent le deuil à travers trois aspects :
d'une part, ils vivent la souffrance des parents et baignent dans le climat émotionnel
familial. D'autre part, les parents, ayant perdu un enfant, ne vont plus regarder leurs
enfants en vie de la même manière, le lien qui les unit en sera donc modifié. Enfin,
selon l'avancée dans le développement, le processus d'identification/séparation peut
mener à une interprétation du décès différente. Dans le développement normal de
l'enfant, le processus de d'identification/séparation au stade "identification" peut
mener l'enfant à fantasmer qu'il aurait pu être l'autre : ils ont été conçus par les
mêmes parents, se sont développés durant 9 mois dans le même ventre, et ont grandi
ensemble. Il peut exister à un jeune âge une tendance à penser que l'autre est à la fois
� sur �12 92
différent de soi, mais à la fois une partie de soi. Ainsi, l'enfant peut se trouver dans
une certaine confusion quant à la différenciation entre lui-même et l'autre. C'est par
la confrontation à l'autre, et par l'expérience de la vie que l'enfant va se différencier ,
et comprendre que l'autre n'est pas lui, car lorsque son frère tombe par exemple, lui
ne souffre pas. Il accèdera alors au stade de séparation. Lorsque le décès d'un frère
survient avant que ce processus de séparation ne soit abouti, les frères et soeurs
restants peuvent alors souffrir de voir mourir un "presque même que soi". La mort du
frère signifie alors la mort d'une partie de soi. Il devient alors compliqué de se
différencier, puisqu'il n'est plus possible de se confronter à l'autre et à la réalité de
cette différence. Ainsi, lorsqu'un enfant parle du manque de son frère décédé, il ne
s'agit pas juste de la souffrance de l'absence du frère, mais d'une disparition d'une
partie de lui-même. Lorsqu'un enfant nait après le décès d'un autre enfant, il pourrait
alors avoir pour "mandat générationnel d'incarner le frère mort". Ici les parents
pourraient projeter sur cet enfant ce qu'ils espéraient de celui qu'ils ont perdu.
L'enfant pourrait alors s'oublier, et vivre à travers le fantasme du frère décédé. Il
pourrait alors souffrir d'une perte identitaire, ce qui n'a plus rien à voir avec son
propre deuil, et qui se différencie alors du processus de deuil des parents. Michel
Hanus (2001) parle alors d’ « enfant de remplacement ». Un enfant conçu en
prévision de remplacer un enfant qui est promis à la mort, ou qui l’est déjà. Toute la
complexité consiste dans le fait que les parents projettent sur leurs enfants tout ce
qu’ils n’ont pas eu ou ce qu’ils ne sont pas devenus eux. Ainsi, l’enfant est
merveilleux, prodigieux, et ils veulent pour lui le meilleur. Ce que l’on pourrait
appeler de l’instinct parental de manière courante, est décrit par Michel Hanus
comme étant un prolongement narcissique des parents. L’enfant est un prolongement
d’eux-même, une autre partie de leur personne, et ils peuvent librement projeter les
meilleures qualités et espérer pour lui ce qu’ils ne peuvent plus attendre pour eux-
mêmes. En perdant un enfant, les parents perdent donc une partie d’eux-même,
partie idéalisée où ils plaçaient tous leurs espoirs. Il arrive alors parfois que cette
fragilité narcissique empêche les parents de faire le deuil de l’enfant, ils ne
parviennent pas à se désinvestir de l’enfant disparu , même plusieurs années plus
tard. Un nouvel enfant va naitre pour le remplacer. Il sera alors support des
projections parentales : il sera à la fois l’enfant mort, et à la fois un autre. Les parents
déplaceront toutes les attentes qu’ils avaient à l’égard de l’enfant décédé sur � sur �13 92
l’ « enfant de remplacement », tout en le comparant au premier, totalement idéalisé.
Ils déplaceront également tous les affects négatifs destinés à l’ainé, puisqu’idéalisé,
ils ne peuvent reconnaitre les défauts de cet enfant disparu. C’est l’ « enfant de
remplacement » qui les assumera. Ainsi, il ne sera jamais à la hauteur s’il ne s’efface
pas lui-même.
Les symptômes de l'enfant endeuillé étant différents de ceux des adultes, ils
risquent d'être négligés par les parents. Il peut s'agir de troubles dépressifs,
d'hypervigilance, de troubles anxieux envahissants, de douleurs psychosomatiques,
de troubles du comportement, et de PTSD (syndrome de stress post-traumatique) si
l'enfant était présent lors du décès. Un risque important pourrait également être qu'il
adopte un comportement en faux-self : l'enfant va masquer sa peine de peur
d'aggraver celle de ses parents. Mais de cette manière, il s'empêche d'avancer dans
son processus de deuil. Il peut exister chez l'enfant une sorte de culpabilité liée à la
mort du frère, l'enfant peut se souvenir avoir haï ce frère auparavant et peut penser
qu'il est responsable de sa mort pour peut-être l'avoir souhaitée.
L'une des principales difficultés dans la réalisation du deuil chez l'enfant
provient du fait qu'il n'a pas encore acquis les notions de temps et d'irréversibilité de
la mort. Il est alors difficile pour lui d'accepter la situation et de prendre conscience
du caractère définitif de l'absence de l'autre. Il peut se plonger dans une attente du
retour de l'autre longue et douloureuse. L'enfant pourrait ne plus vouloir grandir, ou
vivre, car avancer dans la vie signifierait pour lui qu'il est prêt à oublier l'autre, et
qu'il prendrait de l'avance sur lui, car pendant que lui grandit et évolue, l'autre enfant
restera à jamais fantastiquement figé dans un âge. Il pourrait aussi vouloir devenir
l'enfant mort, afin de le faire continuer à vivre à travers lui.
Il est également important de surveiller les frères et soeurs lorsqu'ils
atteignent l'âge qu'avait leur frère au moment du décès. Il peut s'agir d'un moment
difficile pour les parents, car ils peuvent revivre à travers eux la douleur qu'ils ont
subie lorsqu'ils ont perdu leur enfant, mais il est important que ces enfants puissent
discuter et verbaliser avec une personne de confiance l'éventuelle peur qu'il peuvent
avoir à l'idée de vivre la même chose que leur frère décédé. Le risque est de mettre
en acte ce qui ne peut pas être communiqué verbalement.
� sur �14 92
Suite au décès d'un frère, certains réaménagements peuvent être réalisés au
sein de la fratrie. Ainsi, il peut exister des réactions de violence exacerbées entre
frères et soeurs, pas nécessairement justifiées par des conflits ultérieurs, mais aussi
des comportements de dépendance et de contrôle réciproques ayant pour but de se
réassurer.
Il est important pour les enfants de continuer à vivre et de pouvoir parler de
leur frère décédé, tout en étant contenus par l'enveloppe familiale, ainsi, cela leur
permet progressivement d'accepter cette réalité.
Cuendet et Grimaud de Vincenzi (2003) se sont intéressés au deuil non résolu
des parents projeté sur leur(s) enfant(s). L’enfant « portefaix » serait porteur du
symptôme du deuil non résolu, voire carrément nié d’un des parents. Selon Racamier
(1992), cité par Cuendet et Grimaud de Vincenzi (2003), la « faisabilité du deuil »
dépend de la valence de l’investissement de l’objet perdu, de l’investissement
narcissique ou non de cet objet et de la présence physique d’une marque de la mort.
Ainsi, il est plus compliqué de s’engager dans un processus de résolution du deuil
lorsque les sentiments vis-à-vis de la personne décédée était de l’ordre de
l’ambivalence; ne pas « avoir pu régler ses comptes avec lui ou elle » laisse
l’investissement en suspens et bloque le processus de résolution du deuil. Lorsque
l’objet est investi narcissiquement, la perte n’est pas envisageable, la personne va
alors absolument la refouler et la projeter sur l’autre. Enfin, l’absence de corps et de
rituel va empêcher la personne de prendre conscience du caractère réel de la mort.
« Les pratiques codifiées sont nécessaires pour donner un sens symbolique à la
séparation ». Lorsque le parent n’arrive pas à accepter « la perte », il peut utiliser son enfant
comme « remplaçant » en lui attribuant les caractéristiques du défunt. L’enfant va
porter les symptômes du deuil non élaboré de son parent. Ces symptômes vont
rejouer, mettre en scène les non-dits. Ainsi l’enfant soulage la famille en assumant la
place du défunt et en évitant alors sa réorganisation.
� sur �15 92
Les causes et les circonstances d'un décès provoquent des réactions
différentes chez les familles. Certains types de mort peuvent s'avérer plus difficiles
que d'autres .
Dans une étude réalisée aux Etats-Unis, Mayer, Rosenfeld, et Gilbert (2013)
se sont intéressés aux interactions d'une famille après la "mort cardiaque subite" d'un
des membres.
Par les termes "mort cardiaque subite", les auteurs englobent également les morts
naturelles inattendues avec ou sans symptômes alarmants, soit des personnes qui
n'avaient pas de maladie déclarée autre que cardiaque.
L’étude a été menée sur 7 familles, soit environ 17 participants en tout. Les défunts
étaient tous des hommes âgés de 42 à 54 ans. Les familles ont été invitées à partager
leur histoire d'abord au cours d'un entretien familial, puis individuel.
Pour tous les participants, le moment où ils ont appris le décès a été
choquant, et en particulier lorsqu'ils n'étaient pas au courant que le défunt souffrait
d'une maladie cardiaque ou que celui-ci ne présentait pas de symptômes
préoccupants.
Un décès soudain bouscule l'équilibre familial. Il représente une grande
perturbation dans un espace où le sentiment de sécurité était considéré comme
définitivement acquis. Il provoque de grands changements pendant des jours, des
mois et des années; changements à la fois non désirés et imprévus. Les familles
éprouvent le besoin de raconter leur histoire, chose peu évidente, compte tenu de la
non désidérabilité sociale d'entendre parler de perte et de douleur.
La soudaineté du décès soulève de nombreux questionnements auprès des
proches. Questionnements qu'ils s'échangent entre eux, mais dont ils tentent d'obtenir
des réponses claires et précises auprès de médecins, et autres membres du personnel
soignant. Questions qu'ils poseront, et reposeront plusieurs fois; ce qui constitue
certainement une façon d'assimiler la réponse. Le caractère soudain peut également
être perturbateur car il empêche la famille de pouvoir se préparer et mobiliser des
ressources à l'avance. Elle doit vivre au jour le jour et improviser. Le principal
soutient vient souvent des amis et des proches, qui vont l'aider dans ses tâches
quotidiennes et l'assurer de leur présence.
� sur �16 92
Toutes les familles de l'études ont également témoigné de cérémonies plus ou
moins formelles qu'ils ont mis en place après le décès. Il pouvait s'agir de funérailles,
ou de rassemblements entre amis à plusieurs endroits. Les aspects importants de ces
cérémonies sont le nombre de participants, les gens qui y parlent et y témoignent leur
affection, et les histoires partagées entre les amis et la famille.
Après une perte importante, les personnes endeuillées doivent réapprendre
tous les aspects du monde, qu'ils soient physique, psychologique émotionnels ou
social; leur vision du monde étant modifiée par la perte, ils doivent apprendre à se
réapproprier celui-ci. Le monde social et surtout familial constitue un aspect
particulièrement important au moment du deuil, car il donne la possibilité de
s'exprimer et d'avoir des réponses à des questions telles que "pourquoi cela est-il
arrivé ?" ou "qu'est-ce que l'on peut faire ?", et cela permet à la famille de donner du
sens à ce décès; sens que les auteurs considèrent comme un processus important dans
le deuil.
La mort soudaine d'un membre de la famille vient bousculer le système et
provoquer des changements de rôles. Par exemple, on peut observer des enfants
soutenir les adultes endeuillés, un retour plus fréquent des jeunes adultes au foyer
familial venus chercher et apporter du soutien à la famille, ou encore des membres
de la famille vivant séparément et exprimant un besoin d'être ensemble et de
communiquer plus souvent. La réponse à ce type de décès n'est pas toujours positive,
mais elle résulte souvent en croissance post-traumatique. Il s'agit souvent de
croissance personnelle où les relations à l'autre sont modifiées et plus connectées. Il
en résulte également un sentiment accru de force personnel, de résilience et
d'empathie envers les autres.
L'étude n'ayant été réalisée que sur base de 7 familles, n'est pas généralisable.
Cependant, elle nous donne une idée des interactions pouvant survenir dans une
famille après un décès soudain.
3. Héritage et relations familiales
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Comment parler du deuil en famille sans évoquer la notion d'"héritage" .. Le besoin de reconnaissance est nécessaire à l'être humain car c'est à travers celui-ci
qu'il se sent perçu comme sujet, et non objet. Cuynet (2008) considère l'héritage
comme une démonstration de reconnaissance et de transmission. Il le situe à deux
moments particuliers dans le cycle de la vie : à la naissance, et au moment de la
mort.
Lors d'une naissance, l'arrivée d'un bébé va bousculer l'équilibre familial
existant. La place de chacun dans le système va s'en trouver modifiée, et le bébé va
attirer l'attention de toute la famille et susciter un phénomène de regroupement
autour de lui.
La famille va rechercher des éléments physiques confirmant l'appartenance
de l'enfant à celle-ci, des ressemblances attestants les liens qui l'unissent aux
membres de la famille. L'enfant sera idéalisé s'il correspond aux attentes de la
famille, et considéré comme persécuteur s'il ne correspond pas.
A partir du moment ou l'enfant est reconnu, il sera "intronisé" dans la famille
par sa reconnaissance identitaire au niveau légal, à la mairie.
L'enfant est porteur des attentes et des espoirs de la famille, ce qui le place
comme étant nécessaire à la famille et le valorise.
Ainsi, dès la naissance, l'enfant est porteur de "l'héritage psychique puisé
dans le passé familial". Certaines coutumes vont jusqu'à symboliser cet héritage de
manière physique : en offrant un objet qui appartenait au défunt, la famille espère
que l'enfant héritera également de ses qualités.
L'enfant devra ensuite choisir de s'approprier ou pas "l'héritage symbolique et
imaginaire" que la famille lui a transmis.
Le même phénomène se produit lors du décès d'un membre de la famille.
Le décès d'un proche va bousculer de nouveau l'équilibre familial, et va
casser ce sentiment d'union éternelle de la famille. Le défunt va, comme le nouveau-
né, mobiliser l'attention de tout le monde et susciter le regroupement de toute la
famille autour de lui. Ce regroupement permet, d'une certaine façon, de réparer
« l'enveloppe groupale » que la mort du proche a fissurée. A travers le recueillement,
la famille va tenter de retrouver le sentiment d’union qui existait auparavant, et les
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rites funéraires avec témoins vont lui permettre de prendre conscience du caractère
réel de la mort.
Au-delà d’une simple succession matérielle, l’héritage notarial s’inscrit
comme un moment de transition identitaire. La question de l'héritage va remettre en
jeu les liens existants entre les personnes vivantes et le défunt, soit en les confirmant,
soit en les infirmant. C’est pourquoi la découverte du testament peut s’avérer être un
moment choc dans certains cas, laissant un sentiment d’injustice et des conflits au
sein de la fratrie. Ainsi, la question de l'héritage n'est pas seulement matérielle, mais
il est aussi et surtout histoire de reconnaissance de l'identité et des origines du
successeur et des liens l'unissant au parent décédé. Le sentiment d'injustice laissé par
un testament « surprenant » peut être alors exacerbé par le fait que le défunt, alors
qu'il n'est plus là, continue à imposer son avis, alors que le vivant, totalement
impuissant, le subit, et n'est que spectateur dans cette situation.
« Il n'y a pas de don qui ne réclame un contre-don ». Pour qu'une
transmission soit saine, il faut que l'héritier se sente légitime, et digne de recevoir cet
héritage. Ainsi, même si l'héritier reçoit de droit ce qui appartenait au défunt, il devra
s'en montrer légitime, en assumant aussi bien les bonnes choses que les mauvaises.
La différence qui existe avec la naissance, c'est qu’ici, la personne a le choix, elle est
en mesure d'accepter ou de refuser l'héritage. Donc, accepter l'héritage revient à
"reconnaitre son ascendant comme digne d'être son parent", il s'agit de confirmer
l'héritage donné à la naissance.
Pour pouvoir recevoir l’héritage convenablement, le parent doit préparer son
héritier de son vivant, lui parler de ce qu’il voudrait lui laisser, lui transmettre. Car,
un héritier non préparé, en cas de mort subite, peut se trouver dans l’ambivalence,
perdu entre ce qui lui revient de droit, et ce qu’il se sent autorisé à recevoir. Si le
parent n’a pas pu préparer son héritier à la transmission, alors le testament peut
servir de parole pour attester de la réelle volonté du parent de transmettre, et non pas
simplement de léguer.
Le deuil ramène les individus à un état régressif. Les objets hérités du défunt
sont perçus avec une importance toute particulière dans la mesure où ils rassurent les
proches et leur permettent de se rappeler de leurs souvenirs avec lui. Ces objets
peuvent cependant être considérés de deux manières différentes : ils peuvent être � sur �19 92
utilisés comme objets transitionnels, faisant office de lien fantasmatique entre le
monde dans lequel se trouve le défunt et le mode des vivants, rappelant alors le
passage de l’être cher dans la vie familiale . Ou il peut devenir « relique » via un
pacte dénégatif conclu par la famille, et représentera une lutte contre l’acceptation 1
de la réalité de la perte. On peut facilement imaginer qu’en considérant les objets
laissés par le défunt comme reliques, le deuil sera difficile à dépasser, puisque la
famille continuera de voir en ces objets la présence du défunt.
4. Thérapie systémique du deuil
Il existe des outils systémiques employés dans la thérapie du deuil familial.
Cuendet et Grimaud de Vincenzi (2003) proposent un outil thérapeutique
pour révéler au grand jour les dénis de deuil des parents portés par les enfants
« portefaix » et pour relancer la dynamique familiale et la résolution du deuil
parental : le rituel. Tout d’abord, la thérapie offre un cadre, un contenant sécurisant
permettant à la famille de rejouer ce qui n’a pas été dit, ceci à distance du drame. Le
simple fait que chacun mette des mots sur son vécu peut fuir à débloquer la
dynamique qui s’était jusqu’alors figée. Un objet métaphorique peut aussi permettre
de s’exprimer et de remettre en marche la dynamique familiale; chacun amène en
thérapie un objet représentant le lien l’unissant au défunt ou symbolisant la perte.
L’objet et son histoire vont permettre de mettre en lumière le ressenti de chacun,
éclaircir les différents points de vue et relancer la dynamique familiale. Enfin,
lorsque le parent a projeté sur son enfant les qualités de son proche décédé, amener
une photo de ce dernier en thérapie permet de lui faire prendre conscience des
mécanismes de projection en jeu. Ainsi, il va être en mesure de différencier le défunt
de son enfant et ainsi, soulager ce dernier de son mal-être jusqu’à présent inexpliqué. Le rituel permet d’ « externaliser la mort, de la mettre en scène, de la réactualiser ».
Il permet au parent de régler ses comptes avec le défunt, de prendre conscience des
projections qu’il a pu faire sur son enfant. A travers le rituel, le parent va pouvoir
Pacte dénégatif : « formation intermédiaire générique qui, dans tout lien – qu’il s’agisse d’un couple, d’un groupe, d’une famille ou 1
d’une institution –, voue au destin du refoulement, de déni, ou du désaveu, ou encore maintient dans l’irreprésenté et dans l’imperceptible, ce qui viendrait mettre en cause la formation et le maintien de ce lien et des investissements dont il est l’objet. On peut donc tenir le pacte dénégatif comme un des corrélats du contrat de renoncement, et de la communauté d’accomplissement de désir, et du contrat narcissique » (Kaës, 1988, p. 32).
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rejouer ce qu'il n’a pas pu faire avant le décès et qui est resté figé depuis. Ainsi, il va
décharger son enfant du poids de ce deuil non résolu et pouvoir lui-même faire le
deuil de ce proche décédé.
Gaillard et Rey (2001) présentent, à travers la description de cas cliniques,
différents outils thérapeutiques intéressants pour les familles endeuillées.
Notamment le jeu de l’oie. A travers ce jeu, la famille va reconstruire son histoire.
D’un commun accord de tous les membres qui la composent, la famille va fournir
dix événements significatifs pour son histoire. Chacun va ensuite « qualifier
émotionnellement » chacun de ces événements avec une carte symbole (oie, pont,
prison, puits, hôtel, labyrinthe et mort). Ainsi, le plateau de jeu sera porteur de
plusieurs parcours : celui commun à tous les membres, plutôt factuel, et les parcours
individuels, plus émotionnels. Enfin, chacun des membres doit définir une case
comme le « départ » de ce parcours, et une case comme « l’arrivée », qui indique
comment il envisage l’avenir. Dans ce jeu, le deuil est posé comme un repère temporel avec des antécédents et un
futur. Il permet de structurer l’histoire de la famille, aussi bien chronologiquement
qu’émotionnellement. Il permet de partager la signification individuelle de chaque
événement avec les autres membres et ainsi de faire circuler les différents ressentis,
rouvrir le dialogue et mettre en lumière ce qui n’a pas pu être dit. Le jeu de l’oie
permet la « métabolisation symbolique » du décès. A travers le récit, la famille va
retrouver son enveloppe rassurante et soutenante.
� sur �21 92
CHAPITRE 3. LES RITES FUNÉRAIRES
1. Définition
C. Héas et S. Héas (2007) définissent le rituel comme « un ensemble de
gestes, de pensées, et de prises de positions, relevant d’une religion, d’une culture,
d’un mythe familial ou d’un processus psychopathologique et susceptible d’apporter,
à celui qui l’accomplit, un surcroît de pouvoir, un soulagement de l’angoisse ou la
possibilité de passer à une autre phase du cycle de vie. » Ainsi, au cours du deuil, le
rituel aide la personne à progressivement se détacher du défunt et à cheminer dans le
processus de résolution du deuil. Une famille ne pratiquant pas de rituels autour du
décès de l’un des siens parviendrait plus laborieusement à résoudre son deuil. Ainsi,
« la prescription de rituels thérapeutiques a une fonction très importante. Elle peut
restituer au temps une véritable dynamique. » Cela vient marquer l’importance des
rites mortuaires, enterrements et autres cérémonies lors du décès d’un proche.
Thomas (1985), cité par C. Héas et S. Héas (2007), soutient qu'ils "visent
avant tout à assurer la “paix des vivants“". Mais également à "marquer la frontière
entre le monde des vivants et des morts en s'assurant bien que ces derniers ne
reviennent pas troubler la tranquillité de ceux qui restent". Ils "s'emploient [...] à
fournir une signification à l'ineffable et une interprétation à l'inéluctable par la
référence à une cosmologie ou une théologie porteuse d'espérance. Ils s'emploient
également à compenser l'absence par une régénération du corps social et à apaiser la
perte par la promesse d'un “au-delà“ après la mort".
Les rites ont donc à la fois une fonction sociale, mais ils permettent également
d'apporter un sentiment de contrôle dans une situation où la personne n'a aucune
emprise. Selon les croyances, ils peuvent aussi expliquer l'absence physique par une
existence dans un ailleurs.
� sur �22 92
2. Contexte actuel
Dartiguenave et Dziedziczak (2012) remarquent une évolution dans la
pratique des rites funéraires dans la société actuelle. Il n'existe plus un modèle
unique de pratique funéraire, mais bien presque autant qu'il ne survient de décès.
Selon les auteurs, cette évolution serait la conséquence de la sécularisation de la
société. Alors que les rites rattachés aux croyances religieuses ou mythiques sont de
moins en moins fréquents, un "agir rituel" (Segalen, 2009) se maintient. Les auteurs
parlent d'une "capacité proprement anthropologique à produire du rite". Les
pratiques religieuses ou mythiques sont basées sur la croyance que l'esprit quitte la
Terre pour un au-delà. Le rôle des rites traditionnels est de relier "le monde terrestre
au monde des divinités ou des esprits". Aujourd'hui, les rites ne sont plus motivés par
ce genre de croyances, mais ils sont particulièrement marqués par une volonté des
familles d'appropriation via leur élaboration. L'organisation des funérailles donne
notamment lieu à une négociation des places dans le rituel. Les auteurs soutiennent
qu'"on assisterait sur le plan des pratiques funéraires au passage d'un modèle rituel
fondé sur l'hétéronomie, c'est-à-dire sur le consentement et l'obéissance à des normes
extérieures, issues d'une autorité transcendante, à l'expérimentation du rite sur le
mode d'une autonomie où les acteurs cherchent à se donner eux-mêmes leurs propres
règles ».
D'après les observations de Dartiguenave et de Dziedziczak (2012), les cérémonies
actuelles seraient le résultat de "recompositions". Si les cérémonies sacrées restent
différentes des profanes, chacune des deux tend à intégrer des éléments de l'autre.
Ainsi il n'est pas plus surprenant d'entendre des chansons ou textes profanes
appréciés du défunt ou de ses proches lors de cérémonies sacrées, que de voir des
signes de croix et d'entendre des prières lors de cérémonies profanes.
Pour la famille, il n'est plus tant question de cliver le profane du sacré, que de
réellement s'approprier la cérémonie à travers sa personnalisation.
Hanus (2002) confirme cette évolution en affirmant que "la moitié de la
population souhaite personnaliser les cérémonies et les pratiques. Les rites
traditionnels sont ressentis comme trop formels, déshabillés, impersonnels", ce qui
selon lui pourrait expliquer leur tendance à l'effacement. � sur �23 92
3. La fonction sociale des rites
Les rites sont donc le lieu de négociations sociales dans l’entourage du
défunt. Woodthorpe (2017) souligne l’importance des funérailles. Quiconque
s’engage dans l’organisation des funérailles s’engage également dans une relation
avec l’organisateur, mais se porte aussi comme garant financier de la cérémonie et
s’expose au jugement des autres quant à cette organisation. Ainsi, la façon dont les
funérailles sont organisées serait révélateur des liens entretenus entre les membres de
la famille du défunt et entre les différentes branches de la famille elle-même. C’est à
travers le contenu, la participation et le choix commercial des funérailles que
Woodthorpe (2017) les envisage comme un cadre où les liens entre les différents
membres de la famille vont être affirmés et rejetés activement. C’est aussi une façon
pour chacun de réaffirmer ses liens au défunt.
Dartiguenave et Dziedziczak (2012) mettent en évidence la réappropriation
des obsèques de la part des familles à travers le refus d’un modèle unique et la
personnalisation du rituel, qu’il soit religieux ou non. Ainsi, cette personnalisation
donne lieu à une négociation de la place de chacun dans la famille, aussi bien aux
yeux de la société, qu’à l’intérieur de la famille elle-même.
4. Partie anthropologique
1. Les rites funéraires en Corse
Les corses ont un rapport à la mort très particulier. Hurstel (2012) différencie
deux mondes : le "monde des vivants", et le "monde des forces surnaturelles", "da
culandi", celui où vont les morts. Ces deux mondes existeraient dans le même
espace, mais dans deux dimensions différentes, séparées par une frontière très fine :
les cours d'eau. C'est pourquoi il est de coutume en Corse de craindre de passer près
� sur �24 92
des cours d'eau et sur des ponts à minuit. Ainsi, d'un témoignage recueilli en 2000,
Hurstel (2012) retranscrit que les morts se rassemblent dans les bois, sous les ponts
ou près des cimetières, à minuit ou des jours bien précis, comme le vendredi, qui est
le "jour de la mort du Christ", "donc jour maléfique" d'après la personne intérrogée.
Ce monde des morts est fondé sur deux dimensions : une "dimension païenne
ancienne chargée de magie", et une "dimension chrétienne surnaturelle", de laquelle
ce monde tire sa dualité bien/mal, dieu/diable.
En Corse, il existe trois différents types de personnages, qui tournent autour de la
mort : les "esprits", que l'auteure définit comme des "êtres surnaturels fantastiques et
malveillants qui apportent la mort aux vivants", les "revenants", des "trépassés qui
font retour dans le monde des vivants" et qui font parti du "peuple des morts", et
enfin "ceux qui appartiennent à la fois au monde des morts et des vivants". Ces
esprits et revenants sont craints, tandis que le diable lui-même n'est pas évoqué.
Les êtres "malveillants qui apportent la mort" sont craints, car ils sont
maléf iques e t peuvent donner la mort . Hurs te l (2012) c i te " les
grammante" (fantômes), les "streghe" (sorcières), et les mazzeri "assomeurs, jeteurs
de sorts).
En ce qui concerne la deuxième catégorie, il existe deux sortes de revenants :
ceux de la "confrérie des morts" et ceux qui sont proches ou familiers. La "confrérie
des morts", appelée aussi "squadra d'arrozza" se déplace pour annoncer la mort
future d'une personne du village. Ainsi elle vient chercher la personne qui doit
mourir pendant son sommeil, et la place sur une civière pour l'emmener au cimetière
et simuler son enterrement. La personne décedera dans les jours suivants.
Lorsque les revenants sont familiers, c'est seuls qu'ils reviennent, "soit dans
des visions diurnes ou nocturnes, soit le plus souvent la nuit dans les rêves". Hurstel
(2012) relève d'un témoignage datant de 2002 qu'il ne faut surtout rien accepter ou
leur donner, car "sinon on offre l’âme".
Enfin, parmi les êtres qui sont entre la vie et la mort, l'auteure cite les
"mazzeri"; il s'agit de personnes ayant la capacité de se dédoubler pendant leur
sommeil. Elles partent de nuit, et chassent le sanglier à l'arme blanche. Lorsque la
bête est morte, les mazzeri en retournent la tête, et c'est alors le visage d'une
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personne du village qui apparait. La mort de cette personne surviendra entre 3 jours
et un an après cette chasse nocturne. La "signadora", "conjuratrice", est aussi une
personne ayant la capacité d'être en communication avec le monde des morts. Elle
enlève le mauvais oeil, guérit certaines maladies et certains maux avec des prières.
Si le corse respecte autant ses défunts, c'est aussi parce qu'il les craint, car s'il ne les
honore plus, "ils peuvent se venger cruellement". Il peut aussi arriver qu'une
personne rêve d'un proche décédé et que celle-ci se manifeste pour lui donner un
conseil lorsqu'il s'agit d'une décision majeure dans sa vie.
Hurstel (2012) relève donc un rapport ambivalent du corse à la mort. Autant il doit
respecter ses morts, les honorer, les aimer, mais il ne doit pas chercher à s'en
rapprocher ou à entrer en contact. Les vivants avec les vivants, et les morts avec les
morts.
Mais la pratique de rites sur l'Ile remonte à bien plus longtemps que ces
croyances. Le Dr. Natali en 2016, évoque la mort et les rites pratiqués en Corse de
manière chronologique. Ainsi, la sépulture la plus ancienne, "La Dame de
Bonifacio", date du Néolithique, environ 6500 ans avant Jésus-Christ. A cette époque
déjà, un grand soin était apporté à enduire le corps d'ocre rouge, et à orienter la tête
du côté droit. Cela révelerait la croyance du groupe en une nouvelle vie après la
mort. Plus tard, à l'âge de Bronze, environ 2000 / 1500 ans avant Jésus-Christ, et
sous l'influence de la culture "torréenne" les statues-menhirs, soupçonnées par
Grosjean (1956) de représenter les défunts et d'en constituer des "effigies
commémoratives", font leur apparition dans certains villages. De même, les "tafoni",
trous dans les rochers, étaient considérés comme des tombes.
Entre 500 et 340 ans avant Jésus-Christ, l'inhumation semble très majoritaire en
Corse, elle représente environ 93% des pratiques à cette période; "les morts sont
couchés comme sur un lit, entourés d'objets d'usage courant, de céramiques importés
d'Athènes, de bronzes étrusques". La vie terrestre continuait ainsi alors qu'un
nouveau monde s'ouvrait à eux. L'incinération commence à être pratiquée vers 300
ans avant Jésus-Christ.
� sur �26 92
Plus tard, vers 250 avant Jésus-Christ, sous la colonisation romaine, la Corse devient
chrétienne, et l'usage est de croire que le mort continue de vivre aussi bien autour
qu'à coté de sa tombe, plus qu'à l'intérieur.
Au XIème siècle, la Corse se christianise. Jusqu'au 18ème siècle, c'est dans "l'arca",
sorte de caveau sous le dallage des églises, que les défunts reposent collectivement.
Les sépultures individuelles ne font l'exception que pour les "sgiò", personnes
importantes ou riches, qui peuvent demander à reposer auprès des prêtres, dans les
églises.
En 1769, la Corse, sous la domination de la France, reçoit difficilement l'imposition
du cimetière, "campu santu", comme mode de sépulture obligatoire.
De la moitié du XIXème siècle à celle du XXème, des personnes considérées comme
importantes ou riches ont choisit de faire construire des tombeaux dans leur propre
propriété plutôt que d'être inhumées au cimetière.
La Corse du XIXème siècle et du début du XXème siècle est pauvre et violente. Une
cent-cinquantaine d'assassinats sont relevés chaque année dans l'Île, et elle compte
également un taux élevé de mortalité infantile. En cause, une justice que Natali
(2016) qualifie d'"expéditive", et en laquelle les corses n'avaient pas confiance. D'où
l'établissement d'un "code d'honneur spécifique" sur l'île. Lors d'un assassinat, c'était
soit les parents du défunt, soit des amis ou voisins qui déclaraient le décès. Pour la
veillée, le corps était vêtu de ses plus beaux vêtements, puis exposé dans la pièce
principale de la maison, allongé sur la "tola", la table. Lorsque le défunt était une
jeune femme pas encore mariée, c'était vêtue d'un voile qu'elle était exposée, car on
considérait que la mort dans leur condition les faisaient devenir épouses du Christ.
Les pleureuses chantaient le "voceru", qui s'adresse directement au mort, et qui est
une "narration de la vie du défunt, mais aussi une interpellation sociale, impliquant la
parentèle pour “se faire honneur face à la mort“".
La Grande-Guerre de 14-18, a mobilisé 40 000 hommes sur les 300 000 habitants de
l'Île, et en a tué 11 500. Des monuments aux morts ont été érigés dans les communes
corses. Natali (2016) fait remarquer que ceux-ci font très peu référence à la Corse,
contrairement à ceux d'autres régions comme la Bretagne, ayant également une
identité forte. L'après guerre marque la disparitions des « vendette »; cela pourrait
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s'expliquer par un sentiment de fraternité entre les hommes ayant combattu
ensemble, ou par la trop grande quantité de sang coulé.
Dans une émission diffusée sur France-Culture en date du 20 juin 2014,
Grazziani, historien et professeur à l'Université de Corse fait le point sur les rites qui
ont traversé les époques et qui sont toujours pratiqués aujourd'hui. Le "cunfortu" par
exemple, repas composé de plats préparés par les voisins et amis apportés à la
veillée, ceci évitant à la famille de devoir préparer à manger dans ce moment
difficile. Grazziani (2014) souligne aussi le maintien de la veillée du mort, "moment
d'immense convivialité".
Nous pouvons donc relever un rapport à la mort bien particulier en Corse. La
pratique de rites bien avant la christianisation de l'île, rites qui ont évolué sous
l'influence des multiples envahisseurs, et une crainte certaine concernant le retour
des défunts; crainte qui cette fois encore n'est pas totalement expliquée par des
croyances religieuses. La Corse est donc depuis toujours soucieuse du respect de la
mort et des morts.
Nous allons maintenant tenter de rendre compte des rites pratiqués actuellement en
Corse lors d'un décès.
Natali (2016) décrit les principaux rites pratiqués dans les villages corses lors
d'un décès. Bien que cette description soit représentative de ce qui se vit
actuellement dans la majorité de l'Île, il est à noter qu'il existe cependant des
particularités propres à chaque village. Ainsi, nous nuancerons parfois les propos de
Natali (2016) par des notations résultants d'observations personnelles.
Lorsqu'un décès survient dans une ville ou un village de Corse, la première étape, si
le défunt était chrétien, est de "sunà u murturiu", "sonner le glas". Cela permet
d'avertir qu'une personne du village est décédée, même si, le prêtre du Presbiter de
Saint-Forent, Père Nicoli, en 2014 dans l'émission de France Culture signale qu'à
l'heure actuelle, la nouvelle circule très rapidement, et que parfois le glas est sonné
plus par tradition que pour annoncer le décès réellement. Notons aussi que dans
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certains villages, la fonction du glas est d'annoncer que la famille reçoit. Le glas est
sonné au village, même si le décès a pu survenir ailleurs. S'il y a quelques années
encore, les gens faisaient du porte à porte pour faire passer le message, aujourd'hui,
c'est par téléphone que l'on annonce le décès. Par le biais des pompes funèbres, la
famille fait publier un avis de décès dans le journal "Corse-Matin".
Un article signé N. K. publié par le journal lui-même le 1er novembre 2018, jour de
la Toussaint, détaille l'importance de la rubrique nécrologique dans l'Île. Au-delà d'un
simple partage d'informations "pratiques" telles que la date et le lieu des obsèques,
l'avis de décès fait lieu de partage de souffrance d'une famille. Il peut révéler des
liens de parentés jusqu'alors inconnus, et des conflits entre des membres d'une même
famille peuvent également être découverts par l'absence d'un nom dans l'annonce.
Les corses sont soucieux de se manifester lors d'un décès; ils se rendent aux
funérailles, à la visite ou se manifestent au moins par téléphone si un empêchement
les retient. La rubrique nécrologique est donc essentielle dans le paysage insulaire,
car elle permet d'informer même les personnes les plus éloignées. Si la publication
d'un avis de décès dans le journal semble constituer une étape indispensable après un
décès, elle n'en reste pas moins onéreuse. Battestini (2018), anciennement rédactrice
dans l'espace nécrologique, explique "le plus simple et le plus court revient à environ
70 euros, mais certains avis de décès ont été payés jusqu'à 1500 euros". Le prix ne
semble pas dissuader les familles dans de telles circonstances. Parfois, un même
défunt peut faire l'objet de plusieurs avis de décès dans la même rubrique : si les
familles publient pour annoncer la triste nouvelle, l'avis peut également être partagé
par une entreprise, une association ou autre organisation. Il tient alors un autre rôle
que celui d'annonce; il fait plutôt office d'hommage et de soutien pour la famille.
Lors de la rédaction de l'avis, la famille prend les plus grandes précautions afin de
n'oublier personne, ce qui pourrait devenir source de conflits dans le cas contraire. Si
une erreur a été faite, la famille fait publier un erratum dans la rubrique. Certaines
familles continuent de demander la parution de leur défunt dans la rubrique pendant
plusieurs années, sous la dénomination "in memoriam". Ainsi ils entretiennent la
mémoire de leur proche.
Après l'annonce du décès, viennent les visites et la veillée. Natali (2016) mentionne
l'exposition du corps à cercueil ouvert soit à la maison, soit au funérarium. Nous
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pouvons rajouter que bien souvent, c'est dans son propre lit, après le passage des
pompes funèbres pour la thanatopraxie, que le défunt est exposé. Dans certaines
régions, les visites sont sous-tendues par des règles particulières : il est pour habitude
que les hommes reçoivent les visites dans une pièce et les femmes dans une autre.
La veillée et les visites sont l'occasion pour de nombreuses personnes de se
retrouver. Il n'est alors pas étonnant d'y entendre parler de sujets très divers et qui
n'ont rien à voir avec le décès. Si l'auteur ne le mentionne pas dans l'article, nous
pouvons noter que lors des visites, la famille s'assure de proposer café et gâteaux aux
personnes venues rendre hommage. Notons que les visites peuvent s'étendre sur
plusieurs jours, puisque la famille reçoit jusqu'au jour de l'enterrement; il y a
généralement un délais pouvant aller de 24 à 48 heures en moyenne entre le décès et
les funérailles.
Le jour des obsèques, les pompes funèbres viennent procéder à la levée du corps. Le
cercueil est transporté jusqu'à l'Eglise où de nombreuses personnes attendent soit à
l'intérieur, soit sur la place devant. Nous pouvons mentionner que, dans certaines
circonstances particulières, et selon la personnalité du défunt, sur une certaine
distance, le transport n'a pas lieu en corbillard, mais c'est à dos d'homme, porté par
les proches, qu'il est conduit jusqu'à l'Eglise. Bernardini (2014), figure du paysage
insulaire et membre fondateur du groupe "I Muvrini", fait remarquer que porter le
cercueil d'une personne est un "signe de réconciliation" et "d'estime profonde". Il y a
généralement beaucoup de monde car tout le village assiste aux obsèques.
Après la messe, la famille reçoit les condoléances. Cette étape obligatoire est souvent
très longue. Nous pouvons notifier que celles-ci bénéficient d'une organisation
différente selon les villages; alors qu'elles ont généralement, lieu de manière
indifférenciées devant l'Eglise, dans le Sartenais, les femmes les reçoivent à
l'intérieur, tandis que les hommes les reçoivent devant l'Eglise.
Le convoi part ensuite au cimetière. La foule se répartie alors devant le caveau
familial. Ceci n'est pas mentionné par l'auteur, mais cette pratique n'est pas adoptée
dans tous les villages. Toujours dans le sartenais, alors que la famille reçoit les
condoléances, le corps est acheminé vers le cimetière par les pompes funèbres.
Personne d'autre n'assiste alors à l'inhumation.
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Après les funérailles, la famille convie les personnes proches à partager un dernier
moment avec elle au domicile du défunt. Cette invitation a pour rôle d'affirmer et de
confirmer la qualité des liens entretenus avec ces personnes là.
Natali (2016) fait remarquer l'importance accordée à la fête des morts par les
corses. Des gâteaux spécifiques y sont préparés, les tombes fleuries. Rajoutons que si
le jour de la Toussaint est férié, beaucoup de corses demandent également congé
pour le 2 novembre, le jour des morts.
Morganti (2014), croc mort aux pompes funèbres de Bastia et toujours dans
l'émission diffusée par France Culture, affirme que la taille des tombes donne une
indication sur les moyen de la famille, car elles sont bien souvent proportionnelles à
sa fortune : au plus une famille a gagné d'argent, plus grosse sera la tombe. Les
tombes corses sont construites en hauteur, elle peuvent aller jusqu'à 5 caveaux et
s'élever jusqu'à 3 voire 4 mètre de haut, contrairement à la France continentale où les
défunts sont mis sous terre. Selon Morganti (2014), "on mesure l'importance de la
personne décédée au nombre de voitures garées devant le cimetière".
La musique et le chant occupent une place très importante dans l'île,
notamment lors des obsèques. Dans une émission diffusée sur France-Culture en date
du 20 juin 2014, Bernardini (2014) affirme très justement à propos des demandes de
familles endeuillées pour chanter la messe de leur défunt : "le plus souvent possible,
bien évidemment on s’y rend parce que là la polyphonie est véritablement dans sa
fonction sociale, et le simple fait de pouvoir dire à quelqu’un « tu es venu chanter
pour mes morts », c’est une manière extraordinaire de faire lien, de réparer, de
soigner, de prendre soin, d’être bienveillant, donc la mort de cette manière, elle ne
sépare pas. Elle est une manière aussi de concilier, de réconcilier, de rassembler.".
Bernardini (2014) s'attriste de l'évolution en cours : "Ce temps où le mort est
à la maison est un temps précieux, même si ici comme ailleurs, aujourd’hui nous
sommes confrontés à cette marchandisation de la mort, aujourd’hui quelqu’un qui
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meurt à l’extérieur ne peut plus être ramené dans son village, il doit aller à la
morgue, à l’hôpital ou dans un funérarium. Donc on est dans un monde où on nous
offre des stages de méditation à 500€ et où on ne peut plus méditer devant sa grand-
mère qui s’en va pendant un jour, ou sa mère. Et je crois que ça c’est un
appauvrissement du monde, ici comme partout ailleurs. Donc bien évidemment, ces
pratiques là elles grandissent chez nous aussi, et nous ne sommes bien sur pas à
l’abris de ça. Et en même temps, nous sommes un petit peu amputés quoi, parce que
dans cet art, justement, dans cette manière d’accompagner les morts, se dessine tout
l’art de vivre. C’est à la manière dont tu enterre tes mors, je vois aussi comment tu
vis ».
2. Les rites funéraires en Belgique
Il existe malheureusement très peu de littérature concernant les rites
funéraires en Belgique. Seul le registre légal semble faire office de convention. Si
nous ne pouvons imaginer que la pratique de rites est inexistante, elle ne semble
cependant pas beaucoup susciter l'intérêt des auteurs. Peut-être cela est-il explicable
par la notion de laïcité propre à la Belgique, à savoir une neutralité étatique qui "se
traduit par la reconnaissance de certaines religions et organisations non
confessionnelles" (Lombard, 2012), qui inclue donc une grande diversité culturelle et
religieuse, et par l'augmentation de la proportion d'athées.
Nous nous limiterons donc ici à la description des procédures légales, en
faisant la supposition qu'il n'existe pas de pratiques unanimes à une majorité de la
population en dehors de ces procédures, si nous faisons abstraction des pratiques
religieuses.
Medimmigrant (2010) détaille la procédure à suivre lorsqu'une personne décède en
Belgique. Ainsi, la première chose à faire est de contacter un médecin afin d'obtenir
un certificat de décès après constat. La famille doit ensuite se rendre à l'état civil de
la commune dans laquelle le décès à eu lieu afin d'en faire la déclaration, ceci dans
un délais de 5 jours, puis contacter les pompes funèbres.
Pour des raisons sanitaires, le défunt doit être inhumé ou enterré dans les 5 jours
suivant le décès. Une dérogation à ce délais peut être accordée dans certains cas. � sur �32 92
Concernant le financement des funérailles, un décret publié par le Service
Public de Wallonie en 2009 assure que, dans cette région, et dans le cas où "le défunt
est inscrit dans le registre de la population, le registre des étrangers ou le registre
d'attente", c'est la commune qui finance les opérations civiles. Les cérémonies
religieuses ou philosophiques sont quant à elles à charge des proches. C'est donc
celui qui s'en occupe qui doit en en assumer la charge financière. Autrement, la
charge est directement liée à l'héritage, et ce sont donc les héritiers qui en sont
responsables. Le coup d'un enterrement peut varier selon différents éléments comme
le choix du cercueil, le choix de l'entreprise de pompes funèbres, le choix du type de
véhicule par exemple.
Le décret publié par le Service Public de Wallonie en 2009 informe que les
modes de sépultures les plus courants en Belgique sont l'inhumation et la crémation
avec dispersion ou conservation des cendres. Cependant, le gouvernement wallon
peut accepter d'autres modes de sépultures. Dans tous les cas, la personne, de son
vivant, peut informer de son choix par écrit en remettant un document à l'officier
d'état civil de la commune où elle habite. "L'acte des dernières volontés peut
concerner le mode de sépulture, la destination des cendres après la crémation, le rite
confessionnel ou non confessionnel pour les obsèques ainsi que la mention de
l'existence d'un contrat d'obsèques". Dans un article publié par le Service Public
Fédéral Intérieur en 2011, on peut apprendre que cette déclaration est gratuite. Cette
année là, environ 0,95% de la population (soit 104 524 personnes pour une
population totale de 11 038 264) avait rempli ce document afin de faire connaitre
leur choix quant au mode de sépulture après leur décès. Selon les chiffres datant du
12 octobre 2011, l'inhumation n'a compté que 6 989 déclarations anticipées, contre
24 090 pour la crémation. Au total, le registre national enregistre 9 modes de
sépulture : l'inhumation, la crémation, la "crémation suivie de l'inhumation des
cendres dans l'enceinte du cimetière", la "crémation suivie du placement des cendres
dans le columbarium du cimetière", la "crémation suivie de la dispersion des cendres
sur la pelouse de dispersion du cimetière", la "crémation suivie de la dispersion des
cendres en mer territoriale belge", la "crémation suivie de la dispersion des cendres à
un endroit autre que le cimetière ou la mer territoriale belge", la "crémation suivie de
l’inhumation des cendres à un endroit autre que le cimetière", et la "crémation suivie
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de la conservation des cendres à un endroit autre que le cimetière". Ainsi, cet article
témoigne d'une volonté de pratique largement supérieure pour la crémation (24 090)
en Belgique par rapport à l'inhumation.
L'inhumation sur terrain privée est interdite. Les corps doivent être enterrés
dans les cimetières. Certaines communes disposent d'espaces prévus pour différentes
croyances religieuses ou philosophiques. Par exemple, les personnes pratiquant
l'islam tournent le visage de leur défunt vers la Mecque, les Hindous accordent de
l'importance au Nord. Ainsi, ce type d'espace accorde la liberté à chacun d'enterrer
son proche selon sa croyance. Un décret publié par le Service Public de Wallonie en
2009 rappelle que "l'emploi de cercueils, de gaines, de linceuls, de produits et de
procédés empêchant soit la décomposition naturelle et normale des corps, soit la
crémation, est interdit".
Dans des pays très peuplés comme la Belgique, l'incinération est souvent
choisie pour des questions de place dans les cimetières. Mais certaines personnes ont
aussi une pensée plus écologique, à savoir que parfois, la décomposition du corps
peut polluer la nappe phréatique. Le choix de l'incinération peut être aussi déterminé
par la religion : si certaines s'y opposent totalement, comme par exemple l'Islam pour
qui le corps doit conserver son intégrité le plus longtemps possible, et donc être
inhumé, ou le judaïsme qui croit en la résurrection future des corps, il est d'usage
pour d'autres d'incinérer les corps, comme par exemple pour les hindous adultes ou
les bouddhistes. De plus, l'entretien de la tombe étant obligatoire et à charge des
familles, l'incinération peut s'avérer être une solution moins exigeante. Pour cette
pratique également, le médecin doit fournir un certificat après constat et
determination des circonstances exactes. Ce n'est que 24 heures après la demande
que l'incinération peut être acceptée et pratiquée. Les cendres peuvent ensuite être
ramenée à la maison gratuitement si le défunt avait préalablement rempli un
formulaire de demande, ou dans le cas de la Flandres, peuvent être dispersée dans un
jardin si les personnes en possession des cendres en sont les propriétaires. Si la
famille souhaite les disperser sur une pelouse prévue à cet effet, cela est gratuit. Si
elle souhaite les répandre en mer, elle devra compter 50 euros pour une dispersion
collective, et 750 euros pour une dispersion individuelle, c'est à dire pour un bateau
qui ne partirait que pour répondre les cendres de cette personne uniquement.
� sur �34 92
S'il ne semble pas exister, à l'heure actuelle, de convention concernant la pratique de
rites en Belgique, ceux-ci ne sont néanmoins pas inexistants. De part sa notion de
laïcité particulière et une la diminution de la pratique de cultes religieux, le pays
compte une multitude de pratiques de rites différentes. Ainsi, toujours selon l'article
publié par Medimmigrant (2010), nous citerons quelques exemples de rites pratiqués
dans le pays, selon différentes croyances.
Si dans le temps les Catholiques procédaient à la mise en bière directement à
la maison du défunt, tout comme cela persiste encore en Corse actuellement, puis
organisaient des veillées, aujourd'hui celle-ci a lieu au funérarium. Le service
funèbre a généralement lieu à l’église, bien que les services de pompes funèbres
proposent également des lieux de cérémonies religieuses. Le cercueil est ensuite
transporté soit au cimetière, soit au crématorium, selon les volontés du défunt, sinon
celle de la famille. Après l'enterrement, les proches se réunissent et partagent
ensemble les souvenirs qu'ils gardent du défunt.
Les rites Bouddhistes peuvent varier considérablement selon la région, et
selon l'origine de la famille. Tout le monde semble cependant partager le fait que le
corps ne doit pas être manipuler au cours des huit premières heures suivant la mort,
la croyance étant que l'"âme" habite toujours le corps à ce moment la. Si la personne
décède à l'hôpital, le corps est ramené au domicile familial. Si par contre le décès
survient brutalement, la mise en bière a lieu à la morgue, car la famille craint de
potentielles conséquences négatives si le corps est ramené à la maison. La cérémonie
a ensuite lieu au crématorium; celle-ci est écourtée en Belgique, comparée à sa
version traditionnelle. Lorsque le décès n'est pas brutal, mais pré-senti, un moine
accompagne la personne vers la mort : il la prépare et la guide. Il est également
présent pour la famille après le décès, il la soutient, et veille sur l’ "âme". Les voisins
visitent la famille, aident à préparer les repas. Il est de coutume de manger végétarien
durant les obsèques : la viande étant associée à la mort, et donc au corps du défunt.
Avant de fermer le cercueil, tout le monde doit voir le corps de la personne décédée.
Des offrandes sont disposées sur l'autel; il peut s'agir de fleurs, de fruits, d'eau, de
thé, de vin, de bougies, d’encens..
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Dans la religion Islamique, l'enterrement doit avoir lieu dans un délais de 24
heures après le décès. Le Coran, qui ne doit pas être lu dans la pièce où repose le
défunt, qualifie la mort d'impure, c'est pourquoi le corps doit être toiletté le plus
rapidement possible. C'est la famille et les amis qui s'en occupent. Il sera lavé au
minimum 3 fois, puis encore au moins 2 autres fois s'il n'est pas assez propre. Le
nombre de toilettes doit être impair. Les hommes toilettent les hommes, tandis que
les femmes toilettent les femmes. Seuls les enfants peuvent être toilettés
indifféremment par une femme ou un homme. Le lavage est exécuté avec du savon
et du parfum sans alcool. Après la toilette, la famille enveloppe le corps dans des
linceuls; il s'agit de matière ordinaires, et non luxueuses. Les hommes sont
enveloppés dans 3 tissus, les femmes dans 5. Une prière est faite avant l'enterrement.
Le défunt est ensuite porté, tour à tour, par des personnes différentes. Il est couché
sur le coté droit, le visage en direction de la Mecque. C'est lorsque le corps est dans
cette position que la tombe est rebouchée. Les personnes assistants aux funérailles
jettent alors 3 poignées de sable dans la tombe.
Les Hindous portent le deuil pendant 10 jours. Les rituels doivent être
expliqués et traduits aux générations les plus jeunes, car ils sont difficilement
accessibles. La mise en bière a lieu au domicile du défunt ou au funérarium. Il est
lavé, puis vêtu de manière traditionnelle. Les gens s'assoient tout autour du cercueil,
généralement ouvert, et prient pour la paix de l'âme. Ils font des offrandes de
boulettes de riz, composées par les mêmes éléments que l'homme : le feu, l'eau, la
terre, l'air ou l'éther. Avant que le cercueil ne soit refermé, on y glisse des cadeaux.
Le cortège part ensuite jusqu'au lieu où aura lieu la crémation. Cette dernière est très
importante dans le rituel hindou : au plus vite le corps se désintègre, au plus vite
l'âme est libérée. Le cercueil est porté à dos d'hommes, 4 personnes le soutiennent.
Durant le trajet, il est déposé 5 fois à terre; la famille s'assied chacune des fois. Le
cercueil est ensuite déposé, ouvert, dans l'espace central. Il est décoré par des fleurs.
Le fils du défunt s'occupe des rituels d'usage. Le corps est ensuite brulé. Une
offrande de feu a lieu le 12ème ou 13ème jour, puis la vie normale reprend son cours.
En ce qui concerne les cérémonies civiles, donc laïques, elles peuvent avoir
lieu dans une salle de cérémonie soit au funérarium, soit au crématorium, au lieu où
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aura lieu l'inhumation, au domicile du défunt ou dans un autre endroit. Les
funérariums et crématoriums disposent généralement de ce genre de salle, permettant
le recueillement de la famille, et un dernier hommage au défunt avant l'inhumation
ou la crémation, et ce pour toutes les confessions ou croyances qu'il soit. En
consultant des sites internet d'entreprises de funérariums et crématoriums, tels que
Neomansio par exemple, nous pouvons lire que la tradition est "de se réunir à l'issue
de la cérémonie de funérailles. Ce moment est l'occasion pour les familles et les
proches de se retrouver pour un moment de convivialité." Ainsi, le lieu dispose d'
"espaces Horeca", proposant des buffets, et cafés dans des salons privés ou cafétéria
publique, pour restaurer la famille et les proches après une cérémonie funéraire.
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CHAPITRE 4. MÉTHODOLOGIE
1. Problématique
Le processus de deuil familial est influencé par les rites qui eux mêmes
prennent leur naissance dans le contexte légal et culturel. Nous mettons ici en
parallèle deux types de population, supposant, d'après la littérature sur le sujet,
qu'elles accordent chacune différents degrés d’importance à la pratique de ces rites :
la Belgique et la Corse. L’objectif est d'étudier la fonction des rites funéraires dans la
dynamique familiale du deuil, et plus globalement, étudier ce qui peut être aidant
pour une famille endeuillée.
Ce mémoire est donc l'occasion dans un premier temps de vérifier si la proportion de
littérature à propos des rites est réellement représentative de la réalité du terrain, à
savoir une pratique des rites belge plus rare qu'en Corse.
Nous testerons donc l'effet de ces trois variables sur la temporalité du deuil familial
telle que définie par Pereira (1998) : l'estimation de la qualité perçue des liens
entretenus avec la famille, la pratique des rites funéraires, et les interactions
familiales.
Ainsi, nous émettons les hypothèses suivantes :
- Plus la famille pratique de rites, plus rapidement le deuil sera résolu.
- Plus la famille a d'interactions après le décès, plus rapidement le deuil sera résolu.
- La pratique de rites conjointement à beaucoup d'interactions familiales vont écourter
le processus de deuil.
- La qualité perçue des liens entretenus avec la famille conjointement à la pratique de
rites peuvent expliquer la vitesse de résolution du deuil : Par
exemple, la pratique de rites, conjointement à une qualité des liens
familiaux perçue comme très bonne peut donner lieu à un
regroupement familial perçu comme soutenant et aidant dans le
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processus de résolution du deuil. A l'inverse, une qualité des liens
avec la famille perçue comme mauvaise, pourrait, malgré la pratique
de rites, s'avérer inefficace dans la résolution du processus de deuil.
- L'interaction entre la qualité perçue des liens entretenus avec la famille avec les
interactions familiales pourrait expliquer la vitesse de résolution du
deuil. Par exemple, une faible qualité perçue des liens entretenus avec
la famille, conjointement à beaucoup d'interactions familiales, peut ne
pas s'avérer être aussi aidant que lorsque la personne perçoit sa
famille comme entretenant des liens de bonne qualité.
Afin de tester ces hypothèses, l'étude a été conduite selon deux approches
différentes : une approche quantitative, via la diffusion d'un questionnaire en ligne, et
une approche qualitative, par la passation d’entretiens.
2. Procédure de l’étude
La présente étude a fait l'objet d'une demande soumise au comité d'éthique de
l'Université de Liège.
Le recrutement a commencé immédiatement après l'obtention d'une réponse positive.
Celui-ci a duré 3 mois pour la partie quantitative et 4 mois pour la partie qualitative.
Deux affiches mentionnant toutes les informations utiles à la bonne
compréhension des objectifs de l'étude ainsi que les critères d'inclusion ont été
diffusées .
La première contenait un lien et un QR code redirigeant directement le participant
vers le questionnaire en ligne, et lui permettant d'y répondre après avoir donné son
consentement.
La seconde affiche visait au recrutement de familles pour la partie qualitative. Elle
fournissait un numéro de téléphone et une adresse mail à contacter pour pouvoir
participer à l'étude. Les participants pouvaient également se manifester sur les
réseaux sociaux. Nous leur avons fourni les renseignements nécessaires, avons pris
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soin de répondre à leurs questions, et leur avons rappelé le caractère confidentiel de
l'étude avant de fixer un rendez-vous.
Le recrutement s'est principalement fait par le partage de ces affiches sur différents
réseaux sociaux. Afin d'élargir la visibilité de l'annonce au-delà de notre propre
cercle, et au-delà de celui de notre réseau, nous l'avons partagée sur des groupes à
échelle nationale pour la Belgique, et régionale pour la Corse. L'annonce a
également été affichée dans des salles d'attente médicales, avec autorisation des
médecins, et dans des centres hospitaliers. Enfin, le bouche à oreille a constitué un
mode de recrutement très efficace également.
Les entretiens ont eu lieu dans des endroits neutres et calmes, selon la volonté des
participants. Après avoir rappelé les objectifs de l'étude, le caractère confidentiel des
entretiens, et après avoir remercié les volontaires pour leur participation et leur
confiance, nous avons procédé à la signature des consentements.
Les données recueillies par le questionnaire ont ensuite été analysées à l'aide d'un
logiciel statistique, tandis que les entretiens semi-structurés ont fait l'objet d'une
analyse au cas par cas, de manière qualitative.
3. Participants
Les participants à l'étude sont des personnes ayant vécu le décès d'une personne de
leur famille.
Pour la partie quantitative, il s'agit de personnes ayant accepté de répondre au
questionnaire en ligne. Elles ont été recrutées essentiellement par la publication
d'annonces sur différents réseaux sociaux.
Pour pouvoir répondre au questionnaire, les participants devaient avoir perdu une
personne de leur famille, ou considérée comme faisant parti de leur famille, depuis
plus de 6 mois; ce délais permettant un processus de deuil déjà amorcé, voire abouti.
Trois groupes de participants se distinguent : les participants belges, les
participants corses, et ceux qui ne sont ni l'un, ni l'autre.
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L'échantillon final est constitué de 394 participants; il s'agit des personnes ayant
répondu au minimum à 2/3 de l'enquête en ligne. Il comptabilise 194 belges, 152
corses et 48 "autres"; soit des personnes à priori francophones qui ne sont ni belges,
ni corses. Rappelons que si l'objectif principal est d'évaluer la mesure dans laquelle
les rites aident à la résolution du processus de deuil familial, il s'agit également d'une
étude comparative inter-culturelle entre la Corse et la Belgique.
Au total, toute origine confondue, l'échantillon est composé de 331 femmes et de
63 hommes.
Le principal intérêt d'une étude quantitative était d'obtenir des résultats provenant
d'un échantillon très varié, aussi bien au niveau de l'âge, que du niveau socio-
culturel, et donc certainement plus représentatif de la réalité actuelle.
Les tableaux ci-dessous reprennent la fréquence et le pourcentage de chacune des
modalités pour les variables « Sexe » et « Origine ».
Pour la partie qualitative, les settings sont variables. Pour la Corse, nous comptons
deux familles et une personne isolée représentant sa famille. Pour la Belgique,
l'échantillon est composé d'une dyade de deux soeurs, et de deux personnes isolées
représentant chacune leur famille. Etant donné la difficulté à réunir des familles
complètes consentantes à aborder cette thématique, nous avons fait le choix d'élargir
nos critères de sélection. Ainsi, l'échantillon est composé des personnes ayant
accepté de parler ouvertement de la thématique du deuil familial. Un délais de 6
mois entre le décès et le moment de l'entretien est respecté dans presque tous les cas,
à l'exception d'une personne représentant sa famille en Belgique. Nous avons choisi
d'accepter de rencontrer cette personne malgré un court délais entre le moment du
décès et l'entretien, car sa situation permet d'illustrer le cas d'une famille ayant été
privée des rites.
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Sexe
Fréquence Pourcentage
Hommes 63 16,0
Femmes 331 84,0
Total 394 100,0
Origine
Fréquence Pourcentage
Belges 194 49,2
Corses 152 38,6
Autres 48 12,2
Total 394 100,0
Le bouche à oreille a été le principal mode de recrutement pour les entretiens.
L'inclusion d'une approche qualitative à cette étude était intéressante dans la
mesure où elle permet d'obtenir des informations bien plus précises que le
questionnaire, et donc bien plus riches. Les entretiens semi-structurés permettent à la
fois de recueillir les témoignages verbaux des participants, mais ils fournissent
également des éléments sur les interactions familiales par le biais de l’observation.
4. Matériel Pour la partie qualitative, les participants ont été invités à participer à un entretien
semi-directif. Ce type d'entretien "n'est ni entièrement ouvert, ni canalisé par un
grand nombre de questions précises" (Luc Van Campenhoudt et Raymond Quivy,
2011). Il s'agit donc d'une sorte de conversation assez ouverte, que le chercheur va
naturellement orienter de manière à pouvoir répondre à ses questions de recherches,
sans que cela ne donne à l'entretien des allures trop rigides.
Pour la partie quantitative, il a été demandé aux participants de répondre à un
questionnaire (adaptation Mangion-Scali 2018). Celui-ci est a été conçu pour cette
étude. Il est constitué de 4 catégories de questions :
La première est la catégorie "population". Elle collecte les données
démographiques telles que l'origine, le sexe et l'âge, ainsi qu'une évaluation en
pourcentage de la qualité perçue des liens entretenus avec la famille.
La seconde catégorie évalue la "pratique des rites funéraires". Les participants
doivent indiquer dans quelle mesure ils ont pratiqué les rites proposés.
La troisième catégories concerne "les interactions familiales". Elle est subdivisée
en 2 sous-catégories : "changements dans les interactions familiales", et "conflits".
Enfin, la dernière catégorie concerne les étapes du deuil familial telle que Pereira
(1998) les définit et leur temporalité.
La durée de passation du questionnaire est d'environ 20 minutes, bien que le temps
ne soit pas pris en compte dans l'analyse statistique.
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La réponse à une question est nécessaire pour pouvoir poursuivre et passer à la
question suivante.
Pour la plupart des propositions, le questionnaire fournit un choix de réponses
standardisées au participant. Il ne s'agit donc pas de questions ouvertes.
Le questionnaire évalue l'impact de 3 variables dépendantes ("estimation de la
qualité perçue des liens entretenus avec la famille", "pratique des rites funéraires" et
"interactions familiales") sur la variable indépendante « vitesse de résolution du
deuil".
5. Méthode d’analyse
Pour la partie qualitative, les données ont été recueillies par le biais d'entretiens
semi-directifs. Ils ont été conçus selon les principales questions de recherche; à
savoir la pratique de rites funéraires, les interactions familiales après le décès et les
étapes du deuil. Ils interrogent également le vécu émotionnel familial et la capacité
de la famille d'en parler. Ces entretiens ont ensuite fait l'objet d'une analyse
catégorielle. La grille d'analyse a été basée sur une comparaison qualitative entre les
différentes questions de recherches, et sur les étapes du deuil familial telles que
décrites par Pereira (1998).
Les données de la partie quantitative ont été recueillies par un questionnaire en
ligne que nous avons conçu pour cette étude. Celui-ci collecte des données socio-
démographiques, telles que le sexe, l'origine, et l'âge. Il demande également au
participant de fournir une estimation en pourcentage de la qualité perçue des liens
entretenus avec la famille.
Afin d'évaluer les différentes variables, nous avons créé une échelle de mesure
pour chacune d'entre elles : ainsi, le questionnaire comporte une section de questions
portant sur la pratique des rites funéraires, : l'échelle « Rites funéraires » ; les
interactions familiales ont été subdivisée en deux sous-échelles : les interactions
neutres, et les interactions négatives : les sous-échelles sont intitulées
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« Changements dans les interactions familiales », et « Conflits »; enfin la dernière
section de questions porte sur les étapes du deuil et leur temporalité : l'échelle
« Vitesse de résolution du deuil ».
1. L’échelle « Rites funéraires »
L’échelle « Rites funéraires » a été conçue pour quantifier la mesure dans laquelle
une personne pratique des rites funéraires. Elle est composée de 11 items, chacun
suggérant des rites. Les réponses aux questions se font exclusivement à l'aide d'un
curseur allant d'une extrémité signifiant "Totalement faux" à l'autre signifiant
"Totalement vrai", avec des réponses intermédiaires cotées de 0 à 4 (0%, 25%, 50%,
75%, 100%).
Le score total peut aller de 0 à 44 et s’obtient en calculant la somme totale des
scores fournit pour chaque item. Un score faible à cet échelle indique une faible
pratique des rites, tandis qu’un score élevé indique une pratique des rites importante.
Le type d’items proposés sont « Lors du décès, ma famille et moi avons reçu les
visites au domicile du défunt », ou encore « Les premiers jours qui ont suivi le décès,
ma famille et moi nous sommes vêtus de vêtements sombres ».
Cette échelle présente une consistance interne correcte, comme en témoigne
l’alpha de Cronbach que nous avons calculé (.73).
La liste des rites proposés ne pouvant être exhaustive, un douzième item interroge
sur la pratique d'autres rites que ceux suggérés dans les questions précédentes, et
permet au participant de les renseigner manuellement.
2. L’échelle « Interactions familiales »
L’échelle « Interaction familiales » mesure les différentes interactions qu’un décès
peut engendrer dans une famille. Elle est composée de deux sous-échelles :
« Changements dans les interactions familiales », et « Conflits ».
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Ici encore, et pour les deux sous-échelles, les réponses aux items se font
exclusivement à l'aide d'un curseur allant d'une extrémité signifiant "Totalement
faux" à l'autre signifiant "Totalement vrai ». Les scores sont cotés de 0 à 4.
La première sous-échelle, « Changements dans les interaction familiales » est
composée de 6 items. Elle évalue les changements qui peuvent s’opérer dans une
famille endeuillée, sans qu’une valence ne leur soit attribuée. Le score total, qui s’obtient simplement en additionnant les scores obtenus à chaque
item, peut aller de 0 à 24. Un score faible à cette sous-échelle indique peu de
changements dans les interactions, tandis qu’un score élevé indique le décès a
provoqué beaucoup de changements. Les items sont du type : « Le décès a permis à ma famille et moi-même de retrouver
des personnes que nous n’avions plus vues depuis longtemps », ou « Le décès a
motivé le besoin de renouer avec mes racines et ma famille, même éloignée ». L’alpha de Cronbach que nous avons calculé nous révèle une consistance interne
convenable pour cette sous-échelle (.63), bien que pas très élevée.
La seconde sous-échelle « Conflits » est composée de 3 items. Elle vise à
identifier les interactions négatives que le décès a pu provoquer au sein de la famille. Le score total peut varier de 0 à 12, et s’obtient en calculant la somme des scores
obtenus à chacun des items. Ici cependant, un score faible indique l’absence de
conflits, tandis qu’un score élevé en indique la présence. Les items proposés sont du type « Le décès a engendré l’éloignement avec une partie
de la famille », ou « Le décès a engendré des conflits au sein de la famille ». La consistance interne de cette sous-échelle est bonne (.83), comme le confirme
l’alpha de Cronbach que nous avons calculé.
3. L’échelle « Vitesse de résolution du deuil »
L’échelle « Vitesse de résolution du deuil », composée de 9 items, évalue les
étapes du deuil telles que Pereira (1998) les définit et leur temporalité. Elle permet
de fournir une estimation du temps qu’il a fallu à la famille pour franchir chaque
étape. � sur �45 92
Cette échelle est de type "QCM". Les items correspondent aux différentes étapes du
deuil familial. Pour chacun, plusieurs propositions évaluant la temporalité
correspondante sont proposées. Le score total peut aller de 9 à 51; un score faible indique une résolution du deuil
familial rapide, tandis qu’un score élevé indique une résolution du deuil familial
longue, voire inachevée. Les items proposés sont du type : « Ma famille et moi avons réussi à exprimer nos
émotions quant au décès », ou « Après le décès, j’ai remarqué un nouveau
fonctionnement, de nouveaux rituels, de nouvelles règles au sein de ma famille »,
avec des solutions de réponse correspondant à la temporalité dans laquelle
l’affirmation a été réalisée. L’alpha de Cronbach que nous avons calculé nous indique une consistance interne
convenable (.63), bien que de nouveau, peu élevée.
� sur �46 92
CHAPITRE 5. RÉSULTATS
1. Introduction
Ce chapitre sera consacré aux résultats de l’étude.
Nous présenterons dans un premier temps les résultats de l’analyse qualitative. Ainsi,
nous analyserons le contenu des entretiens des 4 familles que nous avons
rencontrées. Nous avons dessiné un génogramme avec chacune d’entre elle afin de
pouvoir nous représenter la situation familiale. Nous avons également réalisé une
flèche, représentant le processus de deuil, et sur laquelle nous avons demandé à la
famille de se concerter pour y marquer d’une croix le moment du décès. Ainsi, une
croix en milieu de flèche indique que le processus de deuil avait déjà commencé
avant le décès, ce qui peut parfois être le cas lors de maladie par exemple.
Inversement, une croix en début de flèche représente une deuil qui commence au
moment même du décès. Pour chacune des familles, nous présenterons le
génogramme ainsi que la flèche. Nous analyserons ensuite les entretiens selon les
axes de recherche suivant :
- les émotions ressenties au moment du décès
- les rites pratiqués et les vécus personnel et familial autour de ces rites
- le rôle des rites dans les relations familiales.
Dans un soucis de confidentialité, les personnes ayant accepté de nous rencontrer
seront désignées par la première lettre de leur prénom.
Nous présenterons ensuite les résultats de l’approche quantitative, obtenus via
l’enquête en ligne, traités statistiquement. La variable dépendante est la vitesse de
résolution du deuil familial, tandis que les variables explicatives sont l’estimation de
la qualité perçue des liens entretenus avec la famille, la pratique des rites funéraires
et les interactions familiales. Cette dernière est subdivisée en deux sous-dimensions :
les changements dans les interactions familiales, et les conflits. Nous vérifierons
alors la mesure dans laquelle ces différents facteurs expliquent la vitesse de
résolution du deuil familial. Nous comparerons également nos deux groupes de
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population : les belges et les corses, et vérifierons en quoi ces deux groupes diffèrent,
et si cela est statistiquement significatif, enfin, nous vérifierons si l’interaction de
deux variables explicatives peut impacter la vitesse de résolution du deuil.
2. Qualitatif
1. Famille I.
1. Présentation
La famille I. est une famille belge, d’origine italienne.
C’est par le bouche à oreille que nous l’avons recrutée. Il s’agit d’une famille
nucléaire initialement composée du couple parental, et de leurs 3 enfants : un fils
ainé et deux filles. Le deuil par lequel elle est touchée et dont nous parlerons,
concerne la perte du fils, LU, décédé en une semaine d’une maladie foudroyante.
Toute la famille n’a pas accepté de participer à l’entretien, c’est donc SA, la
plus âgée des soeurs, qui la représente.
Nous l’avons rencontrée chez elle.
Elle explique l’absence de sa famille par le fait que le décès de son frère soit
un sujet qu’ils n’abordent pas facilement et ouvertement. Seules des anecdotes
concernant des souvenirs avec lui sont évoquées en famille. « Tu vois, donc c’est un
peu heu... / on va dire un peu tabou quoi, je crois qu’on a un peu peur de la réaction
de chacun… »
La famille I est une famille aimante et soudée, bien que assez pudique quand
à l’expression verbale des émotions. « C’est vrai que de manière générale on n’est
pas du genre à ... à se montrer, enfin à s’ouvrir ouvertement, que ce soit à mes
parents ou même à ma soeur même si heu on s’adore toutes les deux heu, on va pas
être du genre à se dire heu.. à se dire des « je t’aime » ni rien quoi, tu vois donc
heu... Parce que voilà, je pense que pour nous on sait que c’est évident et on sait
qu’on n’a pas vraiment besoin quoi … »
Le génogramme ci-dessous représente la composition de la famille I.
� sur �48 92
Les personnes représentées mais dont le nom ne figurent pas sont décédées
longtemps avant le décès de LU, et SA a estimé non nécessaire de les présenter.
Figure 1 : Génogramme famille I.
LU avait 23 ans lorsqu’il est tombé malade. La famille a d’abord pensé qu’il
s’agissait d’une gastro. En voyant que son état ne s’améliorait pas, le médecin l’a fait
conduire aux urgences. C’est là que la famille a appris que le cas de LU était plus
grave que ce qu’ils ne pensaient et qu’il souffrait en fait d’une méningococcémie,
sorte de méningite. En tout, il aura passé une semaine aux soins intensifs avant de
décéder des suites de cette maladie.
Lorsque nous lui avons demandé d’indiquer par une croix le moment du
décès sur la flèche représentant le processus de deuil, SA a choisit de séparer la
famille en deux groupes : son père, qui s’était préparé à l’éventualité du décès au
moment où la maladie a été diagnostiquée, et le reste de la famille, à savoir la
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maman et les deux soeurs, qui elle n’ont pris conscience de la perte que pendant la
période des funérailles.
Figure 2 : Début du deuil et moment du décès pour le père.
Figure 3 : Début du deuil et moment du décès pour la mère et les soeurs.
2. Emotions ressenties au moment du décès et interactions familiales
Lorsque LU est décédé, toute la famille vivait encore au domicile parental.
Tous partageaient la même peine, mais différemment. D’après SA, son père a réalisé
la gravité de la situation dès le diagnostic de la maladie, et a donc été immédiatement
conscient de la perte lors du décès. SA le décrit comme « complètement anéanti »,
tandis que sa grand-mère était « stoïque » et « fort-taiseuse ». « Elle partait du
principe que d’toute façon c’était à elle de partir avant tout le monde enfin heu... pas
son petit fils… ». Inversement, sa mère ressentait le besoin d’en parler très souvent.
Quand à sa soeur et elle, SA dit qu’elles sont restées quelques jours dans le déni, et
qu’elles ont du mal a réaliser le décès de leur frère.
Lors des funérailles, l’ensemble de la famille était « un peu sonné ».
Malgré des vécus très différents et un mutisme général sur le décès, la famille
est restée très soudée, et soutenante. « On est restés fort présents l’un pour l’autre
quoi, donc j’ai passé, enfin... […]. On a essayé de passer le plus de temps possible
� sur �50 92
Funérailles
Diagnostic de la maladie
ensemble heu... essayé d’être présent pour tout le monde, pour chacun et heu... donc
voilà ».
3. Rites pratiqués et vécus personnel et familial autour de ces rites
LU est donc décédé à l’hôpital. Le lendemain, la dépouille a été transportée
au funérarium où elle est restée pendant 3 jours. La famille y a reçu des visites en fin
d’après-midi. Après les visites, la famille et les proches se réunissaient soit au
domicile familial, soit au domicile de la grand-mère qui vivait juste en face. Ces 3
jours se sont clôturés par une messe à l’église du village dans lequel ils vivaient, puis
de l’inhumation. Après l’enterrement, la famille avait préparé des sandwichs et à
boire à l’occasion d’une veillée, « pour que tout le monde puisse heu passer un
moment ensemble heu... et heu... réunir un peu toute la famille heu... histoire de pas
heu... Voilà, histoire de pas heu partir chacun (rit) chacun chez soi après
l’enterrement heu voilà… »
A l’heure actuelle, les parents vont régulièrement se recueillir sur la tombe de
leur fils, tandis que les filles ont adoptés des rituels plus personnels. « Moi, mon frère
et moi on allait beaucoup à, aux festivals et aux concerts et tout, et moi ça a été ... ça
a toujours été une espèce d’hommage à lui pour heu... enfin d’aller voir des artistes
qu’on aimait bien ensemble et tout heu… » , « certains de mes tatouages sont en
rapport avec lui donc heu... donc voilà, moi c’est ma manière à moi de... de lui
rendre hommage quoi. » Enfin, après un récent voyage au Mexique, SA a adopté un
nouveau rituel, pratiqué là-bas à l’occasion d’El Dia de Los Muertos. Il s’agit d’une
sorte d’autel sur lequel est déposé une photo des défunts auquel l’hommage est
rendu.
Les parents ont choisi d’enterrer leur fils et de donner une cérémonie à
l’église, bien que SA et sa soeur n’y trouvent pas d’intérêt particulier. Ce rite ne
semble pas avoir la même importance pour les différents membres de la famille.
« Voilà c’est une tradition, c’est... c’est comme ça, enfin voilà c’est... comme ça,
comme on a toujours fait et... je pense pas que mes parents auraient fait autrement. »
SA et sa soeur ne trouvent pas d’utilité à visiter la tombe de leur frère et préfèrent lui
rendre hommage à leur façon. « Je comprends que mes parents aient voulu faire
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comme ça parce que, parce que on n’a jamais incinéré personne quand heu... enfin,
quand y a eu des décès, c’est toujours heu... ça a toujours été de cette manière là
donc heu... voilà. Eux, ça a toujours été leur manière de... de rendre hommage aux
personnes parties et tout mais heu... moi ça ne m’a jamais parlé et à ma soeur non
plus donc heu... je me dis, j’ai pas l’impression de manquer de respect de mon coté
en faisant, enfin... en n’y allant pas mais... On s’est... on s’est compris quoi au final
avec mes parents.. » Malgré ces différences de point de vue concernant les rites
choisis pour les funérailles, les membres de cette famille font preuve de respect et de
tolérance concernant les besoins de chacun dans ce processus de deuil.
Au moment des funérailles, la famille entière a été touchée par les
nombreuses visites. « Non ça nous a... ça nous a fort touchés, ça nous a un peu heu...
allez heu... enfin, on s’est rendu compte que, enfin... ça on le savait déjà hein, mais
heu... on se rendait encore plus compte à quel point heu... on était entourés et heu...
enfin, et aimés quoi.. Et surtout mon, enfin.. et surtout mon frère aussi que... on se
rendait vraiment compte qu’il avait un super bon entourage et heu... et tout le monde
s’est vraiment rendu disponible pour nous, même des personnes qu’on a qua.. qu’on
a pratiquement jamais vues heu... et heu, non, pour ça ça nous a vraiment fait du
bien. »
4. Impact du décès dans les relations familiales et éloignées
Le décès de LU n’a donc pas éloigné cette famille. Tous sont restés soudés et
ont constitués des ressources les uns pour les autres.
Après les funérailles, SA s’est rapprochée des amis de son frère « Je pense
qu’on avait, ils avaient essayé, enfin, on avait chacun essayé un petit rapprochement
histoire déjà de pas perdre contact, et histoire, enfin... et heu... je pense que ces
personnes là ont essayé de se montrer aussi heu disponibles donc heu... pendant un
petit moment, moi je m’étais rapprochée un peu de ces amis là, mais heu... au bout
d’un moment ça s’est tassé et on ne s’est plus vraiment vus donc heu… » . Du coté
des parents, la mère de famille s’est éloignée de l’une de ses soeurs. « Comme ma
mère est quelqu’un de très ouverte qui avait besoin de, qui a besoin de parler, parler,
parler à tout le monde, et de s’exprimer, à un moment donné, justement, cette tante
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là lui avait un peu dit heu “est-ce que tu te sers pas un peu du deuil comme excuse
heu pour tes problème”, le truc pas délicat du tout à dire (rit), donc au final, ma
mère n’a plus jamais plus rien voulu savoir de cette femme là quoi. »
Hormis cela, le décès n’a pas modifié la qualité des relations entretenues avec
le reste du cercle familial, mais il a été l’occasion de revoir une partie de la famille
vivant en Italie. « On est heu... même de la famille d’Italie qui sont venus heu...
jusque... jusque chez nous pour heu... pour venir rendre hommage et tout donc heu...
Non ça nous a... ça nous a fort touchés ».
SA n’a pas pu indiquer si si les membres de sa famille avaient retrouvé un
sentiment d’appartenance à ce nouveau système depuis le décès de LU. Nous ne
pouvons donc pas affirmer que le deuil familial ait été résolu.
2. Famille M.
1. Presentation
La famille M est une grande famille recomposée belge. Nous l’avons recrutée
grâce au bouche à oreille.
Ayant eu des difficultés à réunir tout le monde pour l’entretien, c’est C et M
que nous avons rencontrées et qui ont représenté leur famille. Elles ont alors évoqué
le décès de leur grand-père paternel. Nous les avons rencontrées à leur domicile.
M justifie l’absence du reste de la famille le jour de l’entretien par une
difficulté réelle à réunir tout le monde. « Parce que on a une famille très dispersée
où les gens ont des chose à faire et on se retrouve pas souvent tous ensemble ».
Le génogramme ci-dessous représente la composition de la famille M.
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Figure 4 : Génogramme famille M.
C et M expliquent que leur grand-père est décédé des suites d’une infection.
Initialement, J1 avait une infection du sang qui a abimé son coeur. Il a du être
hospitalisé et subir une opération. Au départ, la famille ne pensait pas à un problème
grave. Puis une autre infection s’est déclarée dans la bouche et son état s’est
gravement dégradé. C et M ne semblent pas avoir les mêmes éléments concernant la
cause du décès. M se souvient d’avoir entendu que le décès était du à une
complication pendant l’opération, tandis que C pense que c’est l’infection de la
bouche qui a dégradé l’état général. « C : Moi j’avais pas ça en tête. On nous a peut-
être pas dit la même chose (rit). »
� sur �54 92
Au moment où les faits se sont produits, les jeunes femmes ne fréquentaient
plus leurs grands-parents depuis un certain temps, et ça n’est que lorsque leur grand-
père a été hospitalisé et que son état s’est aggravé qu’elles ont eu de ses nouvelles.
M et C vivent en colocation. B, le fils ainé ne vit plus non plus chez ses
parents. Ce n’est que très rarement que la famille se réunie. « M : On n’est pas très
soudés, |— C : On n’est pas soudés... —| à part nous deux. C : Ouais. Le reste
heu… » Globalement, la famille M ne communique pas beaucoup, les informations
n’y circulent pas fluidement. M et C expliquent n’avoir pas appris que leur grand-
père était malade avant que son état ne se dégrade gravement. « M : On
communique, bah sur pas grand chose... |— C : Pas grand chose... —| Ouais mais
on était quand même en contact souvent avec papa à ce moment là. On allait heu...
j’allais chez lui au moins une fois par mois et tout ça et... |— C : Ouais... —| Il
nous... il nous informait quand même pas parce qu’il se disait “bah ho... elles vont se
préoccuper pour rien, si y a pas mort d’homme y a pas besoin de... d’avertir” » .
« M : Donc heu... ouais on n’est pas trop informées... De tout un tas de choses, je
pense même papa à un moment si il avait des trucs comme ça il nous avertirait pas
non plus. »
En ce qui concerne l’expression des émotions, C et M confient qu’elle est
appréciée différemment selon leur valence. « M : C’est pas encouragé, mais si
quelqu’un le fait c’est pas mal reçu. Et ça dépend des... des contextes. Les émotions
positives c’est encouragé, |— C : Ouais, ça on le dit souvent... —| donc on va dire
qu’on est contents, je veux dire, on hésite pas à se dire “bisous”, à... “c’est chouette
de se voir” heu... “ ho voyons nous ensemble, c’est super chouette !” , “ ho ça fait
du bien d’être ensemble et de tous se voir” , “ je suis content que vous soyez là !”, “
je vous aime ! ”, blablabla... ces choses là elles se disent, heu.... / Les choses
négatives, c’est rare, et quand ça arrive c’est des petits moments de confidence. »
C et M ont également du s’accorder pour placer la croix représentant le
moment du décès sur la flèche représentant le processus de deuil. M aurait confie
que le fait d’avoir rendu visite à son grand-père à l’hôpital l’avait préparée à son
décès, tandis que C n’a su que son grand-père allait mourir que le soir même où cela
s’est produit. Ainsi, elles ont convenu ensemble de placer la croix en début de
� sur �55 92
flèche, car leur grand-père était en forme et son état n’était pas préoccupant, mais
avec un petit décalage entre le début du deuil et le décès, car le grand-père ayant été
euthanasié, la famille a tout de même bénéficié d’un petit moment pour lui dire au
revoir et pour se préparer.
« M : Ca, ça a duré toute une nuit ouais, des heures et des heures, et là on était dans
le processus de deuil parce que concrètement |— C : Oui, on savait qu’il allait
partir. —| il a eu heu... il a été euthanasié. »
Figure 5 : Début du deuil et moment du décès , famille M
2. Emotions ressenties au moment du décès et interactions familiales
Si la famille M n’est pas très expressive concernant les émotions de manière
général, l’hospitalisation et le décès du grand-père ont représenté des moments
d’exception dans lesquels, bien que discrètes, toutes les émotions étaient les
bienvenues. « M : On pouvait pleurer et on pouvait montrer nos émotions, c’était pas
mal reçu, je pense que notre père se contenait beaucoup parce que c’est lui qui avait
à charge ce qu’il se passait, mais y a quand même eu des moments où il disait “j’ai
besoin de... j’ai besoin de sortir me changer les idées, vous restez” et nous on restait
là. / Moi j’ai pleuré plusieurs fois à l’hôpital. »
Les différents membres de la famille n’ont pas vécu l’événement de la même
façon. Alors que C et M sont tristes, elles acceptent la situation très rapidement, bien
qu’avec quelques regrets. « M : On était tristes, mais je veux dire on n’a pas fait ho
putain c’est injuste, c’est dégueulasse... Le seul regret que j’ai eu, c’est qu’on les ait,
qu’on les ait pas vu dans les dernières années. ». C’est surtout par le chagrin de leur
père qu’elles ont été peinées. « C : Enfin, non, moi j’étais triste pour papy mais
j’étais plus triste pour papa. ». C et sa grand-mère ont eu un choc en découvrant le
corps de J1 sans vie. « La nuit où on l’a... où il est décédé, à la fin heu.. les
infirmières, tu sais il avait plein de tuyaux etcétéra, et les infirmières ont dit heu...
bah attendez on va lui enlever tout et comme ça vous pourrez lui dire au revoir une � sur �56 92
dernière fois sans tout ça quoi, pour avoir une image plus heu... nette, je vais dire,
sauf que après on est entrés dans la pièce, mais moi ça m’a trop choquée, genre
c’était plus lui, y avait plus heu... c’était trop bizarre, son âme elle était plus là,
c’était... vraiment étrange, mais du coup ça m’a... même mamie elle est entrée, elle a
dit « je veux pas, c’est plus lui, c’est plus lui ». |— M : Ouais, je l’ai ressenti aussi et
j’étais d’accord avec mamie... —| C’était vraiment impressionnant, y avait un truc
en moins quoi. C’était... c’était plus lui, c’était juste un corps. Et du coup moi
j’aurais préféré pas avoir cette image, mais bon… » , tandis que cela a permis à M
de prendre conscience de la réalité du décès. « M : c’était un choc, c’était un choc
mais c’était vraiment le ok, là c’est vraiment fini. » .
Tandis que Cr, J et leur mère ont ressenti une profonde tristesse, c’est surtout
par compassion à leur égard que les petits enfants semblent avoir été peinés. Ainsi, C
et M se sont montrées présentes et soutenantes vis à vis de leur père, leur grand-mère
et leur tante.
3. Rites pratiqués et vécus personnel et familial autour de ces rites
C et M souhaitent inscrire comme premier rite la présence de la famille au
complet à l’hôpital le soir du décès. Selon elles, ce moment a été très important car il
leur a permis de se retrouver, chose qui n’arrive pas souvent, de pouvoir partager
leurs émotions, se soutenir, et de dire au revoir à leur grand-père. Le surlendemain
du décès, le corps a été transporté au funérarium où il est resté durant 3 jours et où la
famille a reçu les visites en soirée. A l’issue de ces 3 jours, une cérémonie laïque a
été donnée au funérarium, à cercueil fermé. La famille était vêtue de vêtements
simples et sombres. J et B y ont fait des discours, résumant la vie de J1: qui il était,
ce qui était important pour lui. Ils ont diffusé des chansons et lu des poèmes
appréciés de J1, sur le thème de l’eau. Après la levée du corps, le cercueil est parti au
cimetière. Le cortège est parti à pied. Le cercueil a été placé dans une des allées
principales. Chacun a déposé une rose sur le cercueil en signe d’au revoir. Après
l’enterrement, la famille et les proches sont retournés au funérarium partager du café
et des tartes. Le soir, J, Cr, son compagnon, B1, B, C et M se sont retrouvés au
restaurant. M et C confient avoir été très surprises par le monde présent lors des
funérailles. � sur �57 92
Plus tard, C et M ont, avec leur colocataire, fait un autel, tradition mexicaine,
en hommage à leur grand-père. Elles ne visitent pas sa tombe au cimetière. « C :
Pour m… Ouais, pour nous c’est vide de sens. »
Concernant les rites, M et C confient qu’ils ont été bénéfiques pour Cr, J et
leur grand-mère, car ils leur ont apporté soutien et réconfort. Elles n’ont cependant
pas été touchées personnellement par ces pratiques. Durant les funérailles, C et M
n’étaient pas très à l’aise. Elles ne connaissaient pas les procédures à suivre, et se
demandaient régulièrement quelle conduite adopter. « C : Ouais, on demandait à
notre papa « on doit faire quoi là ? » « On se met où ? », « quoi ? Comment ? » |—
M : On s’habille comment ? —| Ouais (rit). / C’était un peu heu… ». En somme, C et
M ont accordé plus d’importance à la soirée passée en famille à l’hôpital qu’aux
funérailles, auxquelles elles n’ont assisté que par convention. « M : Le funérarium en
soi, moi j’avais rien à faire là. C : Ha non, le funérarium, clairement, enfin moi c’est
pas quelque chose qui me... / |— M : On y allait par convention, on n’y allait pas
pour nous. —| J’ai pas besoin de ça, oui. Non. ».
4. Impact du décès dans les relations familiales et éloignées
Le décès semble avoir rapproché la famille le temps des funérailles, puisqu’il
a réunit tout le monde, et a suscité la compassion des plus jeunes à l’égard de leurs
parents. Les funérailles ont permis aux petits-enfants du défunt de rencontrer ses
amis. Elles ont également été l’occasion de réunir Cr à J1 et sa famille, ce qui,
visiblement, est exceptionnel, C et M ayant été jusqu’à oublier de mentionner leur
tante dans le génogramme. La famille étant par ailleurs plutôt dispersée, le décès du
grand-père n’a pas provoqué de grands-changements dans le quotidien de ses
proches.
C et M confient que le membres de leur famille ont retrouvé un sentiment
d’appartenance quasiment immédiatement à ce nouveau système sans J1 après son
décès. Comme la famille ne se réunissait plus avec Cl et J1 depuis longtemps,
l’absence de ce dernier n’a pas provoqué de grands changement dans le
fonctionnement familial. Le deuil familial a donc été résolu plutôt rapidement.
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3. Famille C.
1. Presentation
La famille C est une famille corse initialement composée de 6 personnes : le
père, la mère, 3 filles et un fils. Nous les avons recrutés grâce au bouche oreille.
Nous les avons rencontrés au domicile du fils afin d’évoquer le décès du père de
famille. Toute la famille a accepté de participer à l’entretien.
La famille C n’est pas une famille qui a pour habitude de communiquer sur
ses émotions, ni sur le décès de JC, bien qu’elle ne considère pas ça comme un sujet
tabou, mais comme des choses qu’elle n’a pas envie de partager lorsqu’elle se réunit.
« R : Papa et le reste, pour moi c’est pas un sujet tabou mais, moi pour moi si on se
réunit, j’ai pas forcément non plus envie de parler des... des soucis des uns, de ma
séparation, de ton, de ton truc et de… »
Le génogramme ci-dessous illustre la composition de la famille.
Figure 6 : Génogramme famille C.
Au moment du décès de JC, la famille était assez dispersée. Le couple
parental était séparé depuis 2 ans. MF avait refait sa vie et fréquentait un autre
homme, tandis que les enfants, tous majeurs, vivaient chacun de leur coté.
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JC vivait seul, dans la maison familiale en plaine, alors que MF vivait dans la
maison familiale de montagne. Au moment du décès, JC revenait d’un séjour en
hôpital psychiatrique. La famille n’est pas claire sur les raisons exactes de ce séjour,
mais R laisse bien percevoir l’état dans lequel se trouvait son père : « livré à lui-
même et complètement… […] complètement à l’abandon. » , « Il avait des cachets, il
était au fond du gouffre, y avait pas moyen de discuter. Tu pouvais lui dire mais... il
perdait les pédales, enfin... moi j’avais le sentiment qu’il perdait les pédales, c’était
plus cohérent la plupart du temps, donc heu… ».
La famille a peiné à évoquer les circonstances du décès. Les informations
sont arrivées petit à petit, au cours de l’entretien, bien que la question ait été posée
clairement. Nous avons donc appris dans un premier temps que, alors que JC vivait
seul, c’est Ja, qui avait la clé de la maison, qui l’a découvert mort alors qu’elle était
venue emprunter des bols. Cependant la famille est restée vague sur ce point; Ja a
découvert la mort de JC mais ne l’a pas vu. C’est J2 qui a contacté la gendarmerie et
l’a identifié. Plus tard dans l’entretien, nous avons appris que JC était décédé dans
les toilettes où il était enfermé, cela quelques jours avant que Ja ne le découvre. Et
c’est donc l’odeur qui l’a alertée, sans pour autant qu’elle n’ait vu le corps.
La cause du décès est également vague. MF explique que le psychiatre de JC
avait pensé à quelque chose d’assimilable à la morte subite chez le nourrisson, dû un
arrêt brutal des médicaments. Les enfants ne partagent pas cette idée et pensent
plutôt à un malaise cardiaque, une rupture d’anévrisme ou à un AVC. Ceci étant, la
famille s’accorde pour dire que l’état de décomposition avancée du corps n’a pas
permis de réaliser une autopsie, et que donc la cause exacte demeure vague.
Nous avons ensuite demandé à la famille de placer la croix situant le décès
sur la ligne représentant le processus de deuil familial. Tout le monde s’est accordé
sur le fait que ce décès était inattendu et soudain et que donc le processus de deuil
n’a pu être entamé qu’après la découverte du corps.
Figure 7 : Début du deuil et moment du décès , famille C
� sur �60 92
2. Emotions ressenties au moment du décès et interactions familiales
A l’annonce du décès, toute la famille a ressenti un gros choc, car rien ne
laissait présager cela. Puis la majorité des membres a exprimé un soulagement. R
explique « J’étais soulagé parce que... parce que j’a.. j’ai l’impression que tout le
monde subissait quoi. Tout le monde subissait la situation. […] Subissait, attention,
je dis pas subir, LE subir, parce que toute façon tout le monde était dispatché aux 4
coins donc heu... à un moment donné on le subissait sans le subir, mais moi, moi j’ai
l’impression qu’on subissait cette situation. » Sentiment partagé par D et P, mais tout
de même nuancé. « D : j’étais partagée entre les deux. C’est à dire que... Bè le
soulagement il y était, même si y avait cette peine où y avait, y allait avoir ce
manque. Et je savais qu’y allait avoir ce manque. Mais y avait ce soulagement
[…] ». Avant le soulagement, c’est de la culpabilité que P a ressenti. « P : Moi ce qui
m’a fait.. moi ce qui m’a fait beaucoup heu.. m’effondrer, c’est je crois qu’y avait
beaucoup de culpabilité. De me dire « han... / |— D : On n’a pas été là... —| Qu’est-
ce qu’on a.. » ouais. Mais malgré tout, je veux dire dans la vie, dans le quotidien et
bè, et bè il était invivable quoi. Il était devenu invivable ! C’était difficile en tous cas,
par rapport à toutes nos vies et... de de de.. faire une place à ça quoi […] » . En ce
qui concerne C, le soulagement ne s’est fait sentir que des années plus tard. Etant en
conflit avec son père au moment du décès, c’est la culpabilité qui a été le sentiment
le plus présent. « Moi c’était pas du soulagement, moi ça a été de la culpabilité dès
le départ. (silence) Moi ça a été de la culpabilité. Je lui ai tellement souhaité la mort
quand on se disputait, que quand il est mort bè j’ai cru que c’était moi. J’ai cru que
c’était moi qui lui avais souhaité la mort qui étais arrivée à mes fins. […]Par contre
le soulagement, moi chez moi c’est, y a pas longtemps que... ça fait quoi... ça fait
peut-être heu... 5/7 ans ? Que maintenant, je le dis, maintenant. Ouais, (soupire)
c’était un soulagement parce que de toute façon on serait jamais arrivé à l’aider. ».
3. Rites pratiqués et Vécus personnel et familial autour de ces rites
En ce qui concerne les rites, le cas de JC n’a pas permis une pratique des rites
traditionnels corses. « MF : Mais par rapport aux rites, là c’est encore autre chose.
Parce que du fait qu’il est mort à la maison et qu’on l’a emmené à la morgue, y a
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pas eu... il n’y a pas eu de de... / Ce qu’on fait d’habitude chez nous c’est-à-dire la
veillée, les machins… »
Après que Ja ait découvert le corps, elle a contacté son mari J2, qui lui a
averti la gendarmerie, sa soeur MF et la fille ainée, D. Les gendarmes ont constaté le
décès, et ont emmené le corps à la morgue, où il est resté environ 24 heures. La
famille s’est réunie chez R, puis les enfants sont allés choisir un cercueil. Le soir,
tous sont montés au domicile familial à la montagne, là où vivait MF. L’état du corps
de JC n’a pas permis à la famille de le ramener à la maison pour les visites. C’est par
contre par choix qu’il n’y a pas eu de cérémonie religieuse. « MF : Il disait qu’il ne
voulait pas aller à l’église. Lui c’était, c’était heu... / / Quand je l’ai connu, on s’est
mariés à l’église parce que voilà, parce que chez nous on se marie à l’église, et donc
on est allés, on s’est mariés à l’église, lui il voulait pas. Et puis... parce qu’il avait, il
avait une véritable haine pour les curés. ». Ainsi, la famille s’est retrouvée à la
morgue, c’est là qu’elle y a reçu les visites. Le jour de l’enterrement, le corps est
parti de la morgue jusqu’au cimetière. La famille mentionne qu’il y avait beaucoup
de monde. J1 a fait un discours de remerciements avant d’enterrer le corps. Le soir,
la famille s’est de nouveau retrouvée au domicile familiale à la montagne avec des
gens du village.
Les ressentis et vécus par rapport aux rites sont assez différents selon les
personnes, bien que les femmes soient bien souvent d’accord.
Ainsi, elles s’accordent sur le rythme des funérailles. Il ne s’est écoulé qu’un peu
plus de 24 heures entre le moment où la famille apprend le décès, et le moment de
l’enterrement. « P : C’est allé trop vite en fait. Tout est allé trop vite en fait.
L’annonce du décès, et puis tout, quand on le met dans la boite et puis voilà c’est...
ça a été très rapide. ». Elles s’accordent également sur l’absence de passage à
l’église. « MF : Le fait de ne pas aller à l’église, il manque quelque chose. » . « C :
Ce manque de l’église c’est un lieu |— D : C’est une transition. —| où quelque part,
ouais. Y a un temps d’adieu. C’est un temps d’au revoir. Un petit temps. Voilà. Ca
nous laisse un petit temps de plus où… ». Avec du recul, P regrette le passage à
l’église, mais avoue que ce qui lui a le plus manqué est de ne pas avoir pu voir son
père; cela alimentant ce sentiment d’incrédulité quant au décès, partagé par C. R lui,
n’éprouve aucun regret quant aux funérailles et au passage à l’église. « R : Pour moi
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ça représente rien du tout. Pour moi c’est un moment qui est de trop de toute façon
en temps normal pour tout le monde, donc heu… ». Ce moment ne représente rien
pour lui et ne changera en rien la fin de vie de son père. « R : Mais quand je dis que
moi j’ai eu un sentiment de culpabilité, je me dis mais quoi, quoi ? On va tirer
jusqu’à quand ? Quoi ? On va aller, on va lui dire au revoir, quoi ? On lui a pas dit
au revoir. On l’a laissé mourir comme un chien ! On va prendre le temps de lui dire
au revoir maintenant qu’il est dans la boite ? »
4. Impact du décès dans les relations familiales et éloignées
Les funérailles de JC ont été l’occasion pour la famille de revoir son frère, R,
qui vivait sur le continent.
Avant le décès, la tendance de l’ambiance au sein de la famille était à l’écart.
Les réunions de famille étaient conflictuelles et rares.
Après son décès, MF déclare avoir eu une claire envie de réunir tout le
monde. « MF : Mon truc c’était de remettre la maison en état pour heu... et qu’on se
retrouve tous ensemble dans cette maison. ». Les réunions de famille sont décrites
comme plus apaisées, moins conflictuelles. Globalement, la famille décrit une
situation familiale « assainie » après le décès. Seule C s’est sentie écartée de la
famille « C : Après le décès, je suis désolée mais moi je vous ai plus vus. ». Chose
que le reste de la famille nuance; « R : Mais tu nous as plus vus pendant longtemps,
mais avant tu nous as plus vus pendant longtemps aussi ! », « P : C’est
physiquement, mais ça ne nous a pas... y avait pas de conflits ! » .
La presque totalité de la famille s’accorde pour affirmer que le sentiment
d’appartenance au nouveau système est arrivé presque immédiatement après le décès
de JC. Le deuil familial a donc été rapidement résolu.
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4. Famille T.
1. Presentation
La famille T est une grande famille Corse. Nous l’avons recruté par le bouche
à oreille. C’est de Al dont nous avons parlé avec A et MT, ses soeurs, et JP et N; ses
enfants.
Nous les avons rencontrés au domicile de JP, le fils de la défunte.
Le génogramme ci-dessous illustre la situation familiale de la famille.
Figure 8 : Génogramme famille T
Lorsque Al est décédée, elle vivait seule. Son mari était décédé 4 ans plus tôt.
Ses enfants vivaient chacun de leur coté avec leur famille. Ses frères étaient déjà tous
les deux décédés, et ses deux soeurs vivaient chacune avec leur mari.
Un matin, alors que A essayait d’appeler sa soeur Al au téléphone, celle-ci ne
répondait pas. Alors A a contacté MT afin de lui faire part de ses inquiétudes. Les
derniers temps, Al était fatiguée et avait du mal à dormir la nuit. C’est alors confiante � sur �64 92
que MT, qui ne vit pas très loin de Al, s’est rendue à son domicile, pensant la trouver
endormie dans son lit. C’est finalement étendue au sol que MT a trouvé sa soeur.
Le certificat de décès mentionne une mort naturelle. Al est décédée seule
dans son domicile, en fin de journée. JP pense qu’elle n’a pas souffert de la chute.
« Je pense que la manière dont ça s’est passé, heu... enfin moi c’est mon sentiment,
et j’allais dire un petit peu avec les études que j’ai faites qui ont fait que. / Elle a pas
saigné, ça veut dire que d’après moi, elle est morte, elle est tombée. D’après moi
hein...! Elle est pas, c’est pas le choc. Parce que elle avait une petite plaie qui n’a
pas saignée du tout, ça veut dire que le palpitant, il palpitait plus, y avait juste une
petite truc comme ça, donc, donc moi c... moi je me dis, elle est morte, et dans sa
chute, elle a tapé de tête / de tête quoi donc heu... ça ça n’a fait que... mais d’après
moi, elle a pas souffert. »
Pour placer la croix représentant le moment du décès sur la flèche
représentant le processus de deuil familial, la famille a d’abord suggéré de placer la
croix en tout début de flèche. Puis, après réflexion, prenant en compte l’état de
fatigue de Al et son état psychologique, la croix a été placée un peu après le début de
la flèche. « JP : Alors je m’y attendais... moi y a, maman, à chaque fois, les... […]
elle disait qu’elle avait plus envie. Elle en avait marre. |— N : Oui, ça c’est vrai. —|
Y avait plus papa, c’est... les journées étaient longues, |— A : Elle était seule. —| elle
était seule, […] et donc elle se préparait elle-même. C’est pour ça que je te dis... et
c’est pour ça peut-être que je m’y attendais inconsciemment, si tu veux, quand tu
m’a appelé. Parce que je sentais qu’y avait un... une fatigue |— A : Un refus de tout.
—| Ouais elle... tout pesait quoi, tout pesait. »
Figure 9 : Début du deuil et moment du décès , famille T
� sur �65 92
2. Emotions ressenties au moment du décès et interactions familiales
Globalement, l’ensemble de la famille s’accorde pour dire que le décès de Al
a été un choc. Bien qu’elle présentait des signes de fatigue, Al vivait seule et était
parfaitement autonome. Rien ne laissait présager une mort subite.
MT a été d’autant plus choquée qu’elle ne s’attendait pas à trouver sa soeur
morte en poussant la porte de son appartement. La découverte l’a sidérée à tel point
qu’elle n’a pas téléphoné de chez Al pour avertir. Elle est remontée chez elle, n’a
rien dit à son mari, a prévenu sa soeur et son neveu pour finalement retourner au
domicile de Al.
A, après avoir reçu l’appel de MT a son retour de chez Al, a tout de suite
compris de quoi il s’agissait. Pour elle, le décès de sa soeur a été particulièrement
douloureux. « A : Ca a été un coup de poignard. »
N a été profondément choquée par l’annonce du décès de sa mère. « N : Ho bè un
coup de massue hein. Moi ça a été un coup de massue autant physique que moral. »
C’est JP, son frère qui lui a téléphoné pour l’avertir. Bien que lui aussi ait ressenti un
gros choc, il confit avoir eu également un autre sentiment. « JP : Et bè moi, ça a été
heu... bien sur un coup de massue, je veux dire, ça c’est... c’est plus qu’évident. En
même temps, / un sentiment d’abandon. Tu vois ? Orphelin à 54 ans. » Il explique
cela par le fait de ne plus avoir personne au-dessus de lui dans sa lignée direct. Il dit
être maintenant « en haut de la pyramide ».
3. Rites pratiqués et vécus personnel et familial autour de ces rites
Après avoir trouvé le corps, MT a contacté sa soeur et son neveu qui l’ont
immédiatement rejoint au domicile d’Al. Ils ont ensuite appelé le médecin pour le
constat de décès, puis les pompes funèbres. Les pompes funèbres se sont occupées
de l’organisation des obsèques. Elles ont contacté l’église afin de prévoir la messe, et
ont mis la famille en relation avec Corse-Matin pour faire paraitre l’avis de décès
qu’elle a elle-même rédigé.
La nouvelle s’étant vite répandue dans la ville, les premières personnes sont
arrivées au domicile de la défunte en début d’après-midi, avant que le glas n’ait
sonné. « MT : Oui chez nous hein, on a... en principe, les visites si tu veux heu...
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arrivent, enfin. / La logique voudrait que le glas sonne aux environs de 16 heures
quand on enterre les gens le lendemain, et à partir de ce moment là, les gens
viennent rendre visite. Mais... chez nous, on n’attend pas le glas. » « JP : Mais
disons que ceux qui se sentent proches, viennent, et les autres ils attendent le glas. Si
tu les connais pas, tu attends. ». La famille a donc reçu les visites l’après-midi, puis
vers 18 heures, un prieur est venu au domicile de Al pour le rosaire. En principe, les
hommes et les femmes reçoivent les visites séparément. Mais dans ce cas-ci, JP dit
avoir eu besoin de rester avec ses tantes, sa femme, sa soeur et ses enfants. Le soir, la
famille et les proches sont restés au domicile de Al pour la veillée au cours de
laquelle du café a été servi. Le lendemain à 16 heures a eu lieu l’enterrement. Le
corbillard est venu chercher le corps, puis la famille a suivit à pied jusqu’à l’église.
Après la messe, les hommes ont reçu les condoléances devant l’église, tandis que les
femmes les ont reçues à l’intérieur. Pendant ce temps, le corbillard a emmené le
corps au cimetière, puis les employés des pompes funèbres sont revenus à l’église
présenter les condoléances à la famille, manière de faire savoir que le corps a bien
été inhumé; les familles ne devant pas se rendre au cimetière le jour même dans cette
région. Après l’église, la famille est retournée au domicile de Al où de nouveau, les
proches ont partagé un café.
Le lendemain, les membres de la famille sont allés au cimetière visiter la
tombe de Al.
Tous les ans, la famille fait prononcer une messe anniversaire à la date du
décès.
Globalement, l’ensemble de la famille est d’accord pour affirmer que les rites
ont été très important pour eux. MT y trouve un grand soutien. « MT : Ca t’apporte
quand même un réconfort, un soutien, je veux dire que… que ça aide quoi ! ». JP
trouve une vraie fonction sociale à ces rites. « JP : Et puis ça t’oblige à ne pas te
répandre. Tu es obligé d’avoir ce.. alors peut- être que c’est ça aussi, ce... ces rites
funéraires, ça t’oblige à être entre guillemets digne dans les moments où tu serais le
plus... le plus lamentable. Parce que c’est, quand ça t’arrive un truc comme ça, tu as
juste envie de t’enfermer, de voir personne et... et de ressasser le truc. Là tu es obligé
de.. voilà, tu es obligé d’avoir un rôle. ». La religion et la pratique des cultes est
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également importante pour cette famille. « N : Non et puis y a des choses qui t’aident
à, à.. à réagir, y a la foi aussi. A : Ha tout à fait oui. Ça, la foi… » .
4. Impact du décès dans les relations familiales et éloignées
Le décès a réuni la famille durant le temps les funérailles, c’est-à-dire deux
jours. Durant cette période, les rites ont provoqués une sorte de fusion entre les
membres.
Cependant, après les funérailles, chacun a repris le cours de sa vie. Lorsque
nous avons interrogé sur le sentiment d’appartenance à cette nouvelle famille, sans
Al, et sur son fonctionnement, tous n’ont pas été du même avis. Ainsi, MT se plaint
d’un manque de circulation des informations avec ses neveux, le principal canal de
communication ayant été Al. « MT : Le problème, c’est que de toute façon, la seule
chose, c’est que quand ta mère était là, elle nous disait “JP a fait ça, les enfants ont
eu ça”, on avait , on avait heu… des nouvelles ! On avait des liens ! Tandis que par
exemple, il se passe une année (tape dans ses mains) j’ai pas un coup de fil de N !
En l’occurrence ! Hè ! C’est la vérité ! ». A partage ce sentiment de manque de
circulation de l’information et de communication. Elle est cependant plus nuancée
que MT quand aux conséquences de cela. « A : Moi heu... fffff... (souffle) Je vais te
dire. Moi depuis que... elle maintenant, elle a des problèmes avec M, lalalilalala...
moi ça fait depuis que G est mort que.. enfin, avec J qui est... et moi en plus, donc tu
sais... j’en prends et j’en laisse. Et donc je relativise. C’est tout. Je relativise avec
mes enfants, alors a plus forte raison avec mes neveux. / Hein alors heu... Qu’est-ce
que tu veux. C’est la vie ! Je pense que c’est un... un cycle. La vie est comme ça, et
c’est tout ! Et puis il faut faire avec ! Faut pas se... Faut pas se formaliser hein ! ».
JP et N, eux, se sont plus vus et contactés depuis le décès de leur mère qu’avant. Si
Al ne faisait pas obstacle, A suppose qu’avec leur mère « A : Ça faisait le triangle, et
là ça fait ligne droite. ».
Ainsi, du point de vue de MT et A, le deuil familial n’a pas été résolu. Le
décès de leur soeur ayant provoqué de la distance entre leurs neveux et elles, le
sentiment d’appartenance à ce nouveau système peine à être apparaitre. Du point de
vue de N et JP, le sentiment d’appartenance au nouveau système est arrivé assez
� sur �68 92
rapidement. Chaque sous-système a donc traversé ce processus de résolution du deuil
familial différemment.
3. Quantitatif
1. Consistance interne
La consistance interne permet d’estimer l’homogénéité d’un test , d’une échelle ou
d’un instrument. Elle permet de vérifier que les différents items d’un même test ou
d’une même échelle mesurent bien la même dimension. Elle se mesure par l’Alpha
de Cronbach, dont le score peut varier de 0 à 1. Plus le score se rapproche de 1, plus
la consistance interne est élevée, on peut donc en déduire que les items sont
homogènes et qu’ils mesurent bien le même contenu. Plus le score se rapproche de 0,
plus la consistance interne est faible; les différents items du test ne mesurent donc
pas la même dimension et donc diffèrent dans leur contenu. Lorsque l’Alpha de
Cronbach se situe entre 0,5 et 0,7, il est considéré comme limite. La valeur seuil est
0,7 : au-delà, le score est élevé, tandis qu’au-dessous, il est faible.
Afin de nous assurer de la fiabilité de notre questionnaire, nous avons testé la
consistance interne des différentes échelles qu’il comporte. Nous avons donc calculé
l’Alpha de Cronbach pour chacune d’entre elles. Globalement, le test est acceptable,
bien que certaines échelles présentent une consistance interne plutôt limite, et donc
gagneraient à être améliorées (tableau 1). Le test comporte des échelles ayant un
score à l’alpha de Cronbach pouvant aller de .63 à .83. Ainsi, l’échelle « Rites
funéraires » et la sous-échelle « Conflits » obtiennent des scores suffisants
dépassants la valeur limite (0,70), tandis que la sous-échelle « Changements dans les
interactions familiales » et l’échelle « Vitesse de résolution du deuil » obtiennent des
scores limites inférieurs à la valeur limite (0,70).
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Tableau 1.
2. Corrélations
La corrélation est un calcul statistique que l’on utilise afin de vérifier si deux
variables sont liées. Si effectivement elles le sont, alors la modification de la valeur
d’une des variables va impacter l’autre. Ainsi, le calcul de la corrélation peut nous
renseigner à la fois sur l’existence d’un lien entre deux variables, sur la force de ce
lien, et sur le son mouvement. La corrélation est mesurée par le coefficient de
corrélation (r). Celui-ci peut varier entre -1,0 et 1,0. Le signe + ou - va indiquer si la
relation est positive ou négative. Lorsque le coefficient se situe entre 0,5 et 1,0 ou
-1,0 et -0,5, la relation est forte. Lorsqu’il est compris entre 0,3 et 0,5 ou -0,5 et -0,3,
la relation est modérée. Un coefficient entre 0,1 et 0,3 ou -0,3 et -0,1 indique une
relation faible. Entre -0,1 et 0,1, le coefficient indique une relation absente ou très
faible.
Afin de vérifier si des liens existent entre chacune de nos variables, nous
avons utilisé la corrélation de Pearson. Ainsi, le tableau suivant nous renseigne sur
les relations existants entre l’origine, le sexe, l’âge, la qualité perçu du lien avec la
famille, la pratique des rites, la vitesse de résolution du deuil, le changement dans les
interactions familiales et les conflits.
Niveau de consistance interne (Alphas de Cronbach) pour chaque échelle
Echelle utilisée Coefficient Alpha (α) de Cronbach
Rites funéraires .73
Interaction familiales
Changements dans les interactions familiales
Conflits
.63
.83
Vitesse de résolution du deuil .63
� sur �70 92
Tableau 2.
L’analyse des indices de corrélations présentés dans ce tableau nous révèle des
relations positives significatives entre différentes variables. Ainsi, nous pouvons
constater une relation significative entre la variable « origine » et les variables
« qualité perçue des liens entretenus avec la famille » , « pratique des rites » et
« changements dans les interactions familiales ». Les variables « sexe » et
« conflits » sont également significativement reliées. Nous pouvons également
observer que la variable « qualité perçue des liens entretenus avec la famille » est
Corrélation de Pearson entre les variables mesurées par le test1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.
1. Origine rSignificationN
_
2. Sexe rSignificationN
-.003.945394
_
3. Age rSignificationN
.019
.700393
-.162**.001393
_
4. Lien rSignificationN
.111*.027393
-.037.459393
-.083-.102
292_
5. Rites rSignificationN
.173**.001394
.098
.053394
.025
.625393
.247**.000393
_
6. Deuil rSignificationN
.033
.507394
.039
.436394
.044
.387393
-.106*.036393
-.006.913394
_
7.
Interactions
rSignificationN
.135**.007394
.055
.273394
.002
.970393
.248**.000393
.390**.000394
.068
.176394
_
8. Conflits rSignificationN
.052
.305394
.100*.048394
-.013.790393
-.311**.000393
-.075.136394
.282**.000394
-.060.236394
_
M 1.63 1.84 29.83 81.36 64.12 25.83 57.75 32.20
SD .69 .37 15.87 22.17 19.82 11.67 22.56 32.07
N 394 394 393 393 394 394 394 394
* p < .05. ** p < .01
� sur �71 92
significativement liée aux variables « pratique des rites » et « changements dans les
interactions familiales ». Un lien significatif peut également être constatée entre les
variables « pratique des rites » et « changements dans les interactions familiales ».
Enfin, la variable « vitesse de résolution du deuil » est significativement reliée à la
variable « conflits ».
Le tableau nous révèle également des relations significatives mais négatives
entre certaines variables. Ainsi, nous pouvons constater que les variables socio-
démographiques « sexe » et « âge » sont négativement corrélées, de même que les
variables « qualité perçue des liens entretenus avec la famille » et « pratique des
rites »
3. Régression linéaire
La régression linéaire est un modèle statistique qui permet d’expliquer une
relation entre une variable à expliquer, ici « vitesse de résolution du deuil », et une
ou plusieurs variables explicatives, ici « origine », « âge », « sexe », « qualité perçue
des liens entretenus avec la famille », « changements dans les interactions
familiales », « conflits », et « pratique des rites ». Ainsi, à partir des données
obtenues dans le passé, la régression linéaire permet de prédire des estimations dans
le futur.
Si la corrélation de Pearson nous a permis de découvrir l’existence de liens
entre les différentes variables que le test mesure, le modèle de la régression va nous
permettre de découvrir quel est le sens de ces relations.
Ainsi, le tableau ci-dessous résume les données obtenues après réalisation
d’une régression linéaire hiérarchique sur la variable dépendante « étapes du deuil ».
� sur �72 92
Tableau 3.
Le modèle de régression est composé de 4 étapes expliquant 9% de la
variance totale (adjusted R2 = .07), ce qui est faible. Cela signifie que la liste des
variables que nous avons choisies pour expliquer la vitesse de résolution du deuil
n’est pas exhaustive.
Les variables socio-démographiques (âge, origine et sexe) expliquent, elles-seules
moins de 1% de la variance. Les variables « qualité perçue des liens entretenus avec
la famille » et « changements dans les interactions familiales » expliquent, à elles
seules, environ 2% de la variance (adjusted R2 =.01). La variable « conflits » ajoute
environ 7% d’explication de la variance (adjusted R2 = .07). Enfin, la part de
variance expliquée par la variable « pratique des rites » est quasi nulle ( adjusted R2
= .07).
Le premier modèle est composé des variables socio-démographiques (âge,
origine et sexe). Il ne met en évidence aucune relation significative avec la variable
« vitesse de résolution du deuil ». Le deuxième modèle intègre les variables « qualité
perçue des liens entretenus avec la famille » et « changements dans les interactions
Modèles de régression prédisant la vitesse de résolution du deuilModèle 1 Modèle 2 Modèle 3 Modèle 4
Variable B B B B
Origine .609 .666 .264 .318
Sexe 1.664 1.309 .581 .488
Age .045 .035 .040 .041
Qualité perçue des liens entretenus avec la famille
-.065* -.020 -.018
Changements dans les interactions familiales
.039 .040 .045
Conflits .099*** .098***
Vitesse de résolution du deuil
-.017
F .891 3.210 27.703 .267
R2 .007 .023 .089 .089
Adjusted R2 -.001 .010 .074 .073
* p < .05. ** p < .01. *** p < .001.
� sur �73 92
familiales »; il révèle une relation négative significative entre la qualité perçue des
liens entretenus avec la famille et la vitesse de résolution du deuil. Cela signifie que
plus la qualité des liens est perçue comme bonne, moins la résolution du deuil
prendra du temps; et inversement, une mauvaise qualité perçue des liens entretenus
avec la famille prédit une résolution du deuil plus longue. Dans le troisième modèle,
la variable « conflits » est intégrée; l’effet de la qualité perçue des liens disparait,
tandis que nous remarquons l’apparition d’un effet significatif des conflits sur la
vitesse de la résolution du deuil. Enfin, le quatrième modèle intègre la variable
« pratique des rites »; nous ne remarquons aucun nouvel effet, mais celui de la
variable « conflits » est maintenu.
Nous pouvons remarquer une augmentation du R2 à mesure que nous
rajoutons des variables, jusqu’à la variable « conflits ». Ceci indique que la
prédiction de la régression gagne en qualité.
L’analyse de l’ensemble des variables étudiées dans cette étude nous permet
de conclure que la présence de conflits au sein d’une famille endeuillée va
augmenter significativement la durée du deuil.
4. Test T de Student
Le test T de Student est une procédure statistique permettant de vérifier si les
moyennes de deux groupes diffèrent significativement.
Dans notre étude, le test T de Student va nous permettre de comparer nos
deux groupes de population, les belges et les corses, quant aux différentes
dimensions que le test évalue : la pratique des rites, la vitesse de résolution du deuil,
les changements dans les relations familiales et les conflits provoqués par le deuil,
ainsi que la qualité perçue des liens entretenus avec la famille.
Ainsi, nous pouvons remarquer une différences significative entre les deux
populations concernant 3 variables. En ce qui concerne la pratique des rites, la moyenne des belges (M = 56.24,
SD = 15.07) est inférieure à celle des corses (M = 78.10, SD = 16.65). Le test T
indique que cette différence est significative t(344) = -12.78, p < .05.
� sur �74 92
Nous pouvons également constater des différences au niveau des moyennes
concernant la variable « changements dans les interactions familiales ». Les
interactions dans les familles belges (M = 52.34, SD = 21.14) semblent moins
modifiées par le décès que dans les familles corses (M = 66.12, SD = 22.21). Le test
T nous indique que cette différence est significative t(344) = -5.89, p < .05.
Enfin, concernant la qualité perçue des liens entretenus avec la famille, le test
de Levene nous indique que les variances des deux groupes sont hétérogènes F(.01)
= 7.23, p < .05. Le test T indique une différence significative entre les moyennes
obtenues par les deux groupes t(342.97) = -4.47, p < .05. La moyenne de qualité
perçue des liens entretenus avec la famille est plus faible pour la population belge (M
= 77.32, SD = 23.49) que pour la population corse (M = 87.32, SD = 18.07).
5. Modération
La modération est une opération statistique permettant d’étudier l’effet que
l’interaction d’une variable modératrice sur une variable indépendante produit sur la
variable dépendante. Une variable modératrice est une variable qui module le sens
et/ou la force de l’effet de X (variable indépendante) sur Y (variable dépendante)
(Baron et Kenny, 1986 ; James et Brett, 1984).
La régression linéaire que nous avons observé précédemment n’a pas révélé
de relation significative entre la pratique de rites et la vitesse de résolution du deuil.
Dans le cadre d’une première modération, nous allons analyser cette même
relation en prenant en compte l’effet de la variable modératrice « changements dans
les interactions familiales » sur l’impact de la pratique de rites sur la vitesse de
résolution du deuil.
La figure 10, ci-dessous, permet d’illustrer les résultats de cette modération.
� sur �75 92
Figure 10 : Modération : effet des changements dans les interactions
sur l’impact des rituels sur la vitesse de résolution du deuil.
Les résultats de la modération témoignent d’un effet statistiquement
significatif du modérateur « changement dans les interactions familiales » sur l’effet
de la variable « pratique des rites » sur la vitesse de résolution du deuil, avec un
coefficient de -.0026 pour une probabilité de dépassement .02 (p < .05)
Cela signifie que, globalement, les décès provoquant beaucoup de
changements dans les interactions familiales sont ceux dont le deuil est le plus long.
Inversement, les décès qui créent peu de changements dans les interactions familiales
sont ceux dont le deuil est le plus court.
Mais cela est modéré par l’impact de la pratique des rites. Cet impact est
d’autant plus grand lorsque le deuil a provoqué beaucoup de changements dans la
dynamique familiale. Dans ce cas-ci, une pratique de rites importante aide à une
résolution du deuil plus rapide.
Donc, lorsque le décès provoque beaucoup de changements, ce sont les
familles qui pratiquent peu de rites qui mettront le plus de temps à faire leur deuil.
� sur �76 92
Axe
des
vale
urs
obte
nues
à l’
éche
lles
« Vite
sse
de
réso
lutio
n du
deu
il »
24
25,5
27
28,5
30
Axe des changements dans les interactions après le décèsPeu Moyen Beaucoup
Pratique des rites : PeuPratique des rites : MoyenPratique des rites : Beaucoup
Dans la même situation, une famille qui pratique beaucoup de rites verra son temps
de deuil diminuer considérablement.
Une seconde modération va nous permettre d’analyser l’effet de la variable
modératrice « changements dans les interactions familiales » sur l’impact de la
variable « qualité perçue des liens entretenus avec la famille » sur la vitesse de
résolution du deuil. Le figure 11 résume les résultats de cette modération.
Figure 11 : Modération : effet des changements dans les interactions
sur l’impact de la qualité perçue ds liens entretenus avec la famille sur la vitesse de
résolution du deuil.
Les résultats de cette modération ne témoignent d’aucun effet statistiquement
significatif; le coefficient obtenu est de -.0009 pour une probabilité de dépassement
de .41 (p > .05) . Ainsi, on peut conclure que les changements dans les interactions
� sur �77 92
Axe
des
vale
urs
obte
nues
à l’
éche
lles
« Vite
sse
de ré
solu
tion
du d
euil »
20
22
24
26
28
30
32
Axe de la qualité perçue des liens entretenus avec la famille
Mauvais Moyen Bon
Changements dans les interactions familiales : peuChangements dans les interactions familiales : moyenChangements dans les interactions familiales : beaucoup
n’influence pas la mesure dans laquelle la qualité perçue des liens va impacter la
vitesse de résolution du deuil.
4. Conclusion
Nous avons, dans ce chapitre, présenté nos cas cliniques, ainsi que les
résultats obtenus par l’analyse statistique des réponses fournies au questionnaire.
L’analyse de la consistance interne nous a indiqué que nos variables explicatives
n’étaient pas exhaustives quant à la prédiction de la vitesse de résolution du deuil.
Nous avons découvert en comparant les moyennes de nos deux groupes de
population, que les corses percevaient les liens entretenu avec leur famille comme
significativement meilleurs que les belges, qu’ils pratiquaient également plus de
rites, et qu’ils avaient plus d’interactions après qu’un décès ait touché leur famille
également. La régression linéaire a permis de découvrir que la qualité perçue du lien
entretenu avec la famille était significativement prédictive de la vitesse de résolution
du deuil; donc plus une famille perçoit le lien qui l’unit comme bon, moins le deuil
prend de temps. Nous avons également pu découvrir que le niveau de conflit était
également prédicateur de la durée du deuil. Ainsi, plus le décès a provoqué de
conflits dans la famille, plus long sera le deuil. Enfin, la modération nous a permis
de découvrir que les décès qui créent le plus de changements sont ceux dont le deuil
est le plus long. Mais ceci est modéré par la pratique de rites : lorsque les décès ont
provoqué beaucoup de changements dans les interactions familiales, la pratique de
rites va permettre d’écourter significativement la durée du deuil.
L’ensemble de ces résultats est discutée dans le chapitre suivant.
� sur �78 92
CHAPITRE 6. DISCUSSION
1. Introduction
Dans ce chapitre, nous interpréterons et discuterons des résultats obtenus.
Nous reviendrons également sur nos hypothèses de recherche afin de les vérifier, et
nous tenterons de proposer des pistes de réflexion quand à la réponse à notre
problématique générale.
Enfin, nous discuterons des limites de cette étude et suggérerons des
propositions d’améliorations, ainsi que des pistes de réflexions pour d’éventuelles
futures recherches.
2. Discussion
Avant de commencer, rappelons la raison pour laquelle nous avons choisit de
comparer la culture belge à la culture corse : la pratique des rites funéraires. L’une
nous semblait peu pratiquante, tandis que l’autre, au contraire nous paraissait y être
très attachée. Ainsi, nous avons tenté de comprendre la mesure dans laquelle la
pratique des rites permettait une résolution plus rapide du processus de deuil, en
comparant ces deux types de population. G l o b a l e m e n t ,
nous ne pouvons pas affirmer que le fait d’être belge ou corse ait une quelconque
influence sur la vitesse à laquelle une famille évolue dans son processus de
résolution du deuil. Cependant, comme le volume de littérature existante à ce sujet
pour chacune des deux cultures le laissait présager, l’analyse statistique confirme que
les corses pratiquent significativement plus de rites que les belges.
Notre principale question de recherche portait sur le rôle des rites funéraires
dans le processus de résolution du deuil familial. Si l’analyse statistique ne démontre
� sur �79 92
pas d’influence significative de la pratique des rites seule sur la vitesse de résolution
du deuil, nous pouvons néanmoins observer une chose; au-delà de la simple pratique,
nous avons pu découvrir au cours des entretiens, que les familles corses semblent y
accorder plus d’importance et y trouver plus de sens. Dans l’entretien avec la famille
T, en Corse, JP nous a confié à propos des rites « Ce rôle de tous ces rites, c’est à un
moment où tu... peut-être que tu lâcherais, bè là tu peux pas lâcher parce que y a ça,
y a ça, et puis le timing il est... Tu as pas le temps de trop penser hein… ». Tandis
que pour la famille M en Belgique, C et M n’y trouvaient pas d’intérêt : « C : Ha
non, le funérarium, clairement, enfin moi c’est pas quelque chose qui me... / |— M :
On y allait par convention, on n’y allait pas pour nous. —| J’ai pas besoin de ça. » .
Si C et M n’ont pas trouvé d’utilité aux funérailles, elles ont néanmoins confié que le
regroupement de la famille au complet à l’hôpital avant le décès de leur proche a été
très aidant. « M : Pour moi, dans mon deuil, c’était plus important tout ce qu’il s’est
passé à l’hôpital que... que le funérarium et que... |— C : Oui moi aussi. Ca a plus
eu d’impact... —| Que ça… ». Ceci rejoint le témoignage de JP quant aux rites que la
famille T a pratiqué : « Moi c’est parce que justement, y a eu ce soutien familial, ce...
ce cadre qui m’a remis un petit peu en place là, tu vois TAC, ça y est. ». Nous
pouvons alors supposer que, puisque la pratique des rites seule n’a pas d’impact
significatif sur la vitesse de résolution du deuil, le soutien familial et le partage des
émotions qu’elle occasionne pourraient constituer des variables explicatives.
Ceci va d’ailleurs dans le sens du résultat suivant : la qualité perçue des liens
entretenus avec la famille est significativement prédictive de la vitesse de résolution
du deuil. Cela signifie, que plus une personne considère les liens l’unissant à sa
famille comme forts et de bonne qualité, plus vite le deuil sera résolu. Rappelons que
Pereira (1998) définit la fin du processus de deuil familial comme « la réaffirmation
du sentiment d’appartenance à la nouvelle structure familiale née de l’ancienne, mais
organisée de façon différente. » Ainsi, la notion de sentiment d’appartenance étant
centrale dans la résolution du deuil familial, il est aisé de supposer que plus une
personne considère les liens qui l’unissent à sa famille comme forts, plus elle ressent
ce sentiment d’appartenir à cette famille. Ceci pourrait alors expliquer que la qualité
perçue des liens entretenus avec la famille soit bonne prédictive de la vitesse de
résolution du deuil. De plus, nous pouvons également rappeler par la notion de
� sur �80 92
« base familiale de sécurité » de Byng-Hall (1995) que le système familial constitue
une ressource très importante pour chacun des membres. Ainsi, nous pouvons penser
qu’une bonne qualité perçue des liens entretenus avec la famille suppose une « base
familiale de sécurité » fonctionnelle et aidante, alors prédictive d’un deuil résolu plus
rapidement. Les analyses statistiques indiquent que plus un décès provoque de
conflits au sein de la famille, plus le deuil prendra du temps. De la même manière
que pour la qualité perçue du lien, nous pouvons supposer que plus un décès
provoque de conflits au sein de la famille, moins la « base familiale de sécurité »
sera fonctionnelle, et plus la famille mettra de temps à retrouver un sentiment
d’union et d’appartenance à ce nouveau système. Nous pouvons d’ailleurs illustrer
cela par le cas de la famille C, en Corse. Alors que toute la famille confie avoir
ressenti, plus ou moins rapidement, un soulagement après le décès de JC, et avoir
trouvé les relations familiales assainies, C n’est pas du même avis et a vécu le décès
de son père comme déclencheur de conflits entre le reste de sa famille et elle. « Bè
c’est la mort de papa, la mort de papa nous avait séparés. » Elle est par ailleurs la
seule personne de sa famille a n’avoir pas retrouvé de sentiment d’appartenance à
cette famille tout de suite, mais 15 ans après le décès.
Nous nous demandions également si les interactions familiales influençaient
la vitesse de résolution du deuil familial. En fait, comme nous venons de le voir, si
les interactions sont conflictuelles, alors le deuil sera plus long. Mais l’analyse
statistique révèle également que les décès provoquant beaucoup de changements
dans les interactions familiales sont ceux dont le deuil est le plus long. Rappelons-
nous de la notion de tiers-pesant de Golbeter (1994). Elle renseigne sur le rôle et sur
la place qu’occupait le défunt dans la famille, et par conséquent, elle renseigne
également sur la difficulté du deuil. Nous pouvons mettre en lien cette notion avec
les résultats de l’analyse statistique. Le décès d’une personne occupant un rôle
central au sein de la famille va provoquer beaucoup de changements. Nous pouvons
également mettre cette idée en lien avec les scripts familiaux de Byng-Hall (1995)
adaptés à la situation de deuil par Cécile Paesmans (2006). Selon la théorie des
scripts familiaux, chaque personne dans la famille occupe des rôles bien précis dans
des situations déterminées. Si nous allions la notion de tiers pesant à celle des
scripts, nous pouvons aisément penser que, lorsque c’est une personne occupant une
� sur �81 92
place importante au sein de la famille qui décède, tout le système en est atteint car le
script s’en verra lourdement modifié. Lorsqu’au contraire, c’est une personne
discrète qui disparait, si la peine n’en est pas moindre, le script familial n’en sera pas
beaucoup changé. Ainsi, plus un décès provoque de changements dans les
interactions, et donc dans le script, plus le deuil prendra de temps. Nous pouvons
illustrer cela par deux cas. Le premier, la famille belge I. Souvenons-nous qu’il s’agit
du décès du fils ainé, alors qu’il n’avait que 23 ans. La famille a été lourdement
affectée par ce décès et S n’a pas su dire si sa soeur, ses parents et elle avaient
retrouvé un sentiment d’appartenance à cette nouvelle famille, sans le fils ainé. Le
deuxième cas, celui de la famille C en Corse, illustre la situation contraire. Ici c’est
le père de famille qui est décédé. Rappelons le contexte familial à ce moment :
chacun vivait chez soi, les relations étaient conflictuelles et les réunions de famille
assez rares. JC était dans un état psychologique préoccupant, et personne ne savait
comment l’aider. Ainsi il vivait seul, isolé, et n’était plus au coeur de la dynamique
familiale. Presque toute la famille, à l’exception de C, dit avoir ressenti un sentiment
d’appartenance à cette nouvelle famille sans JC quasiment immédiatement après son
décès. La discrétion de JC dans les interactions familiales due à son isolement ont
rendu le deuil familial moins long, car le script familial n’a pas dû être intégralement
modifié après son décès.
Donc les décès qui provoquent le plus de changements dans les interactions
familiales sont ceux dont le deuil prend le plus de temps. Cependant, cette relation
est modérée par la pratique de rites. L’analyse statistique révèle que lorsqu’un décès
a provoqué beaucoup de changements dans les interactions familiales, la pratique des
rites impacte significativement la vitesse de résolution du deuil familial en la
réduisant. De nouveau, nous pouvons expliquer cela par les scripts familiaux que
Cécile Paesmans (2006) adapte à la situation de deuil. « Les scripts de deuil vont
guider la façon dont les différents membres de la famille, adultes et enfants, vont se
soutenir mutuellement, ainsi que la manière dont ils vont exprimer ou non le
désespoir qui fait suite à la perte d’un être cher ». Les rites funéraires peuvent être
comparés aux scripts. Ils fournissent une ligne de conduite à tenir, une place à
chacun et un certain protocole à respecter. Ainsi, dans un moment où la famille est
désorganisée, où son équilibre et son script sont atteints, les rites apportent un cadre
� sur �82 92
structurant, une place à chacun et permettent de contenir la famille et de l’unir. Par
cette union, la famille retrouve cette « base familiale de sécurité » (Byng-Hall, 1995)
et le soutien qu’elle lui procure. Nous pouvons illustrer cela par la famille T, en
Corse. Alors que leur père est décédé quelques années plus tôt, JP et N perdent leur
mère. JP dit se sentir « orphelin », tandis que N « déracinée ». Dans un moment où
les repères parentaux disparaissent, où le monde interne de JP et N change, ainsi que
les rôles dans la famille, les rites permettent de garantir un cadre, des repères et le
soutien familial.
3. Limites
Il est à noter que l’étude présente contient cependant des biais. Le premier
concerne l’échantillonnage. Le questionnaire ayant été diffusé via internet, seules les
personnes ayant accès à une connexion ont pu y répondre. . De plus, nous avons opté
pour une méthode d’échantillonnage non probabiliste. Cela signifie que seules des
personnes intéressées par le sujet ont répondu au questionnaire. Il convient alors de
rester prudent quant à la représentativité de l’échantillon et donc à la généralisation
des résultats à l’ensemble de la population.
La seconde limite concerne le questionnaire lui-même. Il nous a été rapporté
par certains participants que deux questions en particulier, n’étaient pas très clair.
Nous pouvons citer les questions 30 et 31. « Les membres de la famille se sont
réparti et ont maintenu des liens qu’entretenait le défunt avec les personnes et
organismes extérieurs à la famille ». « Depuis le décès, de nouveaux liens ont été
créés entre ma famille et des personnes ou organismes extérieurs. » La formulation
des questions n’est effectivement pas très claire. Elle serait à remplacer par « Les
membres de ma famille et moi-même avons continué à entretenir les relations avec
les connaissances et institutions auxquelles était rattaché le défunt ». et « Depuis le
décès, ma famille s’est liée à de nouvelles relations ».
La troisième limite concerne la consistance interne du test. En effet, les
variables socio-démographiques (origine, sexe et âge), « qualité perçue des liens
entretenus avec la famille », "Changements dans les interactions familiales » et
� sur �83 92
« Conflits » n’explique qu’à 9% la variable « Vitesse de résolution du deuil ». Cela
signifie que cette liste de variables n’est pas exhaustive. Après analyse statistique du
questionnaire et analyse catégorielle des entretiens, nous avons pensé à d’autres
variables pouvant expliquer la vitesse de résolution du deuil. Ainsi, nous pensons
que l’âge du défunt et la cause du décès constituent des critères important. Plus le
défunt est âgé, plus il y a de chances pour que le décès soit de cause naturelle et que
la famille s’y prépare. A contrario, plus la personne est jeune, plus la cause est
anormale. Comme nous l’avons abordé dans la discussion, le soutien familial et le
partage des émotions occasionnés par les rites pourraient probablement être
explicatifs de la vitesse de résolution du deuil. De nouveau, nous pouvons citer la
notion de « base familiale de sécurité » (Byng-Hall, 1995) que nous pensons centrale
dans le processus de résolution du deuil familial. Un autre facteur explicatif pourrait
être la présence de regrets quant aux interactions familiales avant le décès. Une
famille ayant délaissé ou connu des conflits avec l’un des membres avant que celui-
ci ne décède brutalement pourrait éprouver beaucoup de remords et avoir plus de
difficultés à résoudre son deuil et à retrouver un sentiment d’union et
d’appartenance; le décès pouvant provoquer des conflits entre les membres
survivants.
Une quatrième limite concerne le recrutement des familles. En effet, il a été
très compliqué d’obtenir le consentement de familles entières. Nous avons pu nous
apercevoir que le deuil était un sujet bien plus compliqué à aborder en famille
qu’attendu. Les raisons peuvent être multiples. La première peut être un problème de
méthode de recrutement. Nous pensons que le bouche à oreille puis la présentation
de l’étude en personne reste la meilleure façon de rassurer les familles et d’obtenir
leur confiance. Cependant, la réalité du terrain ne nous permet pas de rencontrer
beaucoup de monde. Ainsi le recrutement a été effectué dans un premier temps, par
le biais d’internet, puis dans un second temps, après échec du premier, par le bouche
à oreille. La difficulté de recrutement pourrait notamment s’expliquer par l’âge des
personnes. Nous avons remarqué une plus forte propension des personnes d’âge mûr
à âgées à s’intéresser au sujet et à nous approcher que de jeunes personnes. Nous
avons également pensé à la cause du décès; nous pensons que plus un décès est
brutal et accidentel, plus il est difficile d’en parler. Un autre élément probablement
� sur �84 92
dissuasif à la participation pourrait être la communication en famille. Une famille
dont les membres ne communiquent pas serait moins encline à accepter de
communiquer devant une tierce personne, dans un contexte tel que celui d’une étude.
Nous pouvons constater que si les deux familles complètes que nous avons
rencontrées n’abordent pas les sujets les plus sensibles lorsqu’elles se réunissent,
pour autant, la communication n’y est pas fermée. La famille C n’aime pas aborder
les sujets difficiles lors des réunions de famille, mais ils sont abordés de manière
plus informelle, parfois par dyades. Chacun dans la famille T a également exprimé
son ressenti librement et sans gêne lors de l’entretien. Nous pouvons aussi penser
que certaines personnes ne trouvent pas d’intérêt à participer à un entretien qui
certainement provoquera des reviviscences douloureuses. Peut-être aussi ne
comprennent-ils par l’utilité de la recherche où la considèrent peu importante compte
tenu de la douleur que participer à l’entretien pourrait provoquer. La temporalité du
deuil individuel pourrait également être un motif de réticence à la participation à
l’étude. Une personne dont le deuil est fait, pourrait avoir moins de difficulté et plus
de recul à évoquer le vécu douloureux, tandis qu’une autre dont le deuil n’est pas fait
pourrait tout simplement ne pas s’en sentir la force. Enfin, nous pouvons évoquer
l’ambiance familiale; une famille dont la tendance est à l’écart, et l’ambiance
conflictuelle pourrait éprouver quelques réticences, voire une réelle hostilité à l’idée
d’évoquer le vécu familial après le décès de leur proche.
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CHAPITRE 7. CONCLUSIONS GÉNÉRALES
Un décès au sein d’une famille provoque inévitablement une multitudes de
changements, plus ou moins importants, qui impactent l’équilibre établi.
Alors que chacun des membres doit gérer son deuil individuellement et faire
face aux sentiments que la perte provoque, l’intégralité de la famille, en tant que
système, doit tacher de se moduler afin de retrouver un équilibre fonctionnel.
Les rites funéraires tirent leur origine de croyances méta-physiques
concernant l’éventuel retour du défunt pour hanter le monde des vivants. Ainsi ces
derniers veillaient au bon traitement de la dépouille. Alors que la science a progressé
et que ces croyances se raréfient, les rites, bien qu’évolués, persistent. Leur fonction
en est alors modifiée.
Nous avions comme objectif, dans cette étude, de déterminer le rôle des rites
funéraires dans cette recherche d’équilibre, d’union et donc dans le processus de
résolution du deuil familial. Nous avons, pour cela, fait la proposition de comparer
deux types de population différant quant à leur pratique des rites : la Corse et la
Belgique. Pour cela, nous avons recueilli l’expérience de personnes ayant vécu le
deuil en contexte familial à travers un questionnaire auto-rapporté en ligne. Celui-ci
nous a permis d’évaluer la vitesse de résolution du deuil familial selon différentes
variables explicatives : la qualité perçue des liens entretenus avec la famille, les
modifications dans les interactions familiales provoquées par le décès, les conflits
après le décès, et la pratique des rites. Nous avons également rencontré des familles
ayant accepté de partager leur vécu au cours d’entretiens semi-structurés. Sur la
totalité de l’étude, nous avons recruté 394 participants aux questionnaires, et 4
familles; 2 familles corses et 2 belges, au setting différent, qui ont accepté de
participer à un entretien.
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Nous n’avons pas relevé de différence significative concernant la vitesse de
résolution du deuil entre la Corse et la Belgique, bien que la pratique des rites diffère
significativement entre les deux cultures.
Globalement, les rites seuls ne semblent pas être explicatifs de la vitesse de
résolution du deuil. D’autres variables seraient à considérer. Cependant, dans le cas
d’un décès ayant provoqué de grands changements dans les interactions familiales, la
pratique de rites s’avère significativement réductrice du temps de deuil familial.
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ANNEXES
Questionnaire : impact des rites funéraires sur le processus de résolution du deuil
familial .
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Questionnaire : impact des rites funéraires sur le processus de résolution du deuil familial.
Vous allez trouver dans ce questionnaire des formules que l’on peut utiliser pour décrire ses attitudes, opinions, intérêts ou sentiments suite à un décès, en situation de deuil. Pour les questions de la première partie, sélectionnez simplement la proposition qui vous correspond. Pour les parties II et III, pour chaque proposition, merci d’entourer le degré d’accord qui correspond le mieux à ce que vous ressentez ou à la manière dont vous agissez habituellement, selon les codes suivants :
Pour la partie IV, sélectionnez simplement la réponse appropriée à votre situation. Lisez attentivement chaque affirmation, mais ne passez pas trop de temps pour décider de la réponse.
Merci de répondre à toutes les questions, même si vous n'êtes pas très sûr(e) de la réponse. Essayez de vous décrire tel(le) que vous vous sentiez lors des moments précisés dans les affirmations, et pas spécialement en ce moment. Focalisez votre attention sur un décès en particulier. Rappelez-vous qu’il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses, mais choisissez uniquement la réponse qui vous ressemble le plus personnellement.
Pas du tout d’accord Tout à fait d’accord
I. Population
1. Vous êtes : - Belge - Corse - Autre
2. Vous êtes : - Un homme - Une femme
3. Quel âge avez-vous ?
4. Indiquez sur le curseur le pourcentage correspondant à la qualité des liens que vins estimez entre-tuer avec votre famille (0% : qualité médiocre, 100% : excellente qualité) :
3020 4010 6050 70 9080 1000
II. Pratique des rites Funéraires
5. Je connais les rites mortuaires de ma communauté.
6. Ma famille et moi pratiquons ces rites mortuaires lors d’un décès.
7. Lors des funérailles, ma famille et moi avons confié l’organisation de la cérémonie d’inhumation / crémation à un organisme extérieur.
8. Ma famille et moi avons choisi de limiter le travail des pompes funèbres à l’inhumation/la crémation, et avons nous-même organisé le reste des funérailles.
9. Lors du décès, ma famille et moi avons reçu les visites au domicile du défunt.
10.La cérémonie a suivi un rite religieux.
11.Le décès a fait l’objet d’une réunion familiale sur le ou les jours jours qui ont précédé l’inhumation / la crémation.
12.Les premiers jours qui ont suivi le décès, ma famille et moi nous sommes vêtus de vêtements sombres.
13.Ma famille et moi avons pour tradition de rendre hommage aux défunts de la famille lors de la Toussaint.
14.Lors du décès, ma famille et/ou moi avons contacté l’entourage pour annoncer la nouvelle.
15.Chaque année, ma famille et moi faisons prononcer une messe anniversaire en souvenirs de nos défunts.
16. Lors du décès de mon proche, ma famille et moi avons pratiqué d’autres rites que ceux mentionnés ci-dessus : - Oui - Non
16.a. Si oui, lesquels ?
III. Interactions familiales
17.Le décès a permis à ma famille et moi-même de retrouver des personnes que nous n’avions plus vues depuis longtemps.
18.Le décès a modifié l’équilibre familial.
19.Après le décès, les rôles de chacun se sont vus redistribués au sein de la famille.
20.Le regroupement familial (s’il a eu lieu) suite au décès, m’a permis de ne pas me sentir seul(e).
21.Le décès a engendré des conflits au sein de la famille.
22.Le décès a engendré l’éloignement avec une partie de la famille.
23.Le décès a motivé le besoin de renouer avec mes racines et ma famille, même éloignée.
24.Le décès a provoqué un rapprochement entre ma famille et moi.
25.Le décès a mis de la distance entre ma famille et moi.
IV. Etapes du deuil
26. Ma famille et moi avons accepté le décès : - La semaine suivant celui-ci - Le mois suivant celui-ci - Entre 1 et 6 mois suivant celui-ci - Plus de 6 mois après celui-ci - Ma famille et moi n’avons jamais pu accepter le décès
27. Ma famille et moi avons réussi à exprimer nos émotions quant au décès : - Tout de suite - La semaine suivant celui-ci - Le mois suivant celui-ci - Dans les 6 premiers mois suivant celui-ci - Plus de 6 mois après celui-ci - Nous n’avons jamais pu le faire
28. Après le décès, les ou certains des rôles qu’occupait le défunt au sein de la famille ont été redistribués entre les membres de la famille :
- Tout de suite - Dans le mois suivant le décès - Dans les 6 premiers mois suivant le décès - Plus de 6 mois après le décès - Jamais
29. La disparition du proche a provoqué un déséquilibre au niveau du fonctionnement familial :
- Pendant les premiers jours suivant le décès - Pendant le premier mois suivant le décès - Pendant les 6 premiers mois suivant le décès - Pendant la première année suivant le décès - Pendant plus d’un an après le décès - La disparition n’a pas provoqué de déséquilibre dans le fonctionnement
familial
30. Les membres de la famille se sont réparti et ont maintenu des liens qu’entretenait le défunt avec les personnes et organismes extérieurs à la famille :
- Pendant les premiers jours suivant le décès - Dans le mois qui a suivi le décès - Dans les 6 premiers mois qui ont suivi le décès - Entre 6 mois et un an après le décès - Plus d’un an après le décès - Plus jamais. La famille n’a plus fréquenté certaines personnes et organismes,
connaissances de la famille auparavant, depuis le décès
31. Depuis le décès, de nouveaux liens ont été créés entre ma famille et des personnes ou organismes extérieurs :
- Au cours du mois suivant le décès - Entre un et 6 mois après décès - Entre 6 mois et un an après le décès - Plus d’un an après le décès - Ma famille n’a plus créé de nouveaux liens avec l’extérieur depuis le décès
32. Après le décès, j’ai remarqué un nouveau fonctionnement, de nouveaux rituels, de nouvelles règles au sein de ma famille :
- Au cours des 6 premiers mois après le décès - Entre 6 mois et un an après le décès - Au cours des deux premières années après le décès - Au cours des 3 première années après le décès - Au moins 3 ans après le décès - Le fonctionnement dans ma famille ne s’est pas renouvelé depuis le décès,
d’ailleurs l’absence se fait sentir au quotidien et constitue un handicap dans le fonctionnement familial.
33. Sans avoir oublié le défunt pour autant, ma famille a retrouvé un équilibre fonctionnel :
- Au cours des 6 premiers mois après le décès - Entre 6 mois et un an après le décès - Au cours des deux premières années après le décès - Au cours des 3 première années après le décès - Au moins 3 ans après le décès - Ma famille n’a jamais retrouvé d’équilibre ou de fonctionnement adéquat
après le décès. Elle semble désunie, comme brisée.
34. Sans avoir oublié le défunt pour autant, et tout en l’inscrivant dans l’histoire familiale, ma famille a retrouvé une union, une unité, sous une nouvelle forme, une nouvelle structure, à laquelle nous adhérons tous et avons le sentiment d’appartenir :
- Au cours des 6 premiers mois après le décès - Entre 6 mois et un an après le décès - Au cours des deux premières années après le décès - Au cours des 3 première années après le décès - Au moins 3 ans après le décès - Jamais ma famille n’a su retrouver une unité depuis le décès de cette
personne, celui-ci ayant provoqué un vide ne pouvant être comblé.
RÉSUMÉ DU PROJET
Après un décès, la famille entière va se réorganiser, combler le vide laissé par
le défunt, afin de retrouver un équilibre familial à travers une organisation différente
de celle qui existait auparavant, mais de nouveau fonctionnelle. Selon Pereira (2004),
la fin du processus de deuil familial est marquée par « la réaffirmation du sentiment
d’appartenance à la nouvelle structure familiale née de l’ancienne, mais organisée de
façon différente ». Cette étude a pour objectif de découvrir dans quelle mesure la pratique de rites à
l'occasion d'un décès, facilite ou non le processus de résolution du deuil familial.
Afin d’apporter des réponses à cette problématique, nous comparerons deux
cultures : la culture belge chez qui les rites mortuaires ont pratiquement disparus, et
la culture corse, population encore très respectueuse de ces pratiques.
Nous nous proposons ainsi de répondre à cette question via deux approches :
une approche quantitative et une approche qualitative. La première fournit l’analyse
de données recueillies via un questionnaire en ligne (adaptation Mangion-Scali 2018)
évaluant la vitesse de résolution du deuil selon 4 variables explicatives : la qualité
perçue des liens entretenus avec la famille, les modifications dans les interactions
familiales provoquées par le décès, les conflits après le décès, et la pratique des rites.
La seconde approche fournit l’analyse catégorielle d’entretiens familiaux.