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RÉMINISCENCES BIBLIQUES DAN S LA. CHRONIQUE DE RAOUL DE SAINT-TRON D Les principales sources littéraires de la culture monastique d u moyen âge sont l'Écriture Sainte, les Pères de l'Église et le s auteurs classiques . De cet ensemble de textes, l'Écriture Sainte tient la première place . Au moyen âge, comme le note le P . C . Spicq, «l'étude de la Bible fait partie de l'enseignement scolaire , et constitue, après l'initiation aux sept arts libéraux, le sommet de la formation intellectuelle, le culmen Scripturarun.t 1 » . Quant aux moines, sans cesse ils recouraient au texte biblique . Ils étaien t astreints chaque semaine à la récitation de tout le psautier 2 ; des lectures bibliques, tirées de l'Ancien et du Nouveau Testament , avaient lieu à plusieurs moments de l'office divin . De plus il y avait la lectio divina : de longues heures y étaient consacrées à l a lecture et à l'étude de la Parole de Dieu 3. Il faut se rappeler en outre la façon de lire au moyen âge . Dans son excellent livr e d'initiation aux auteurs monastiques, Dom Jean Leclercq nou s la rappelle : « au moyen âge, on lit généralement en prononçan t avec les lèvres, au moins à voix basse, par conséquent en en - tendant les phrases que les yeux voient . . . Plus qu'une mémoire visuelle des mots écrits, il en résulte une mémoire musculaire de s mots prononcés, une mémoire auditive des mots entendus 4 . » Ainsi par la lectio, la meditatio, par ce qu'ils appellent parfois l a I . C. Spicg, Esquisse d'une histoire de l ' exégèse latine au Moyen-Age, Paris, 1 944. Le culmen Scripturarum est d'ALcuIN, Grammatica, P . L ., roi, c . 8 54 . 2. Voyez la Regula monachorum de saint BENOIT, 18, éd . B. LINDERBAUER n , . . dum omnimodis id attendat, ut omni hebdomada psalterium ex integr o numero centum quinquaginta Psalmorum psallatur n. 3. Quant aux heures que saint Benoît réserve â la lectio divina, voyez la Règle , 48 . 4. Jean LZCLERCQ, L'amour des lettres et le désir de Dieu, éd . du Cerf, Paris , 1 957, P . 72 .

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RÉMINISCENCES BIBLIQUES DAN SLA. CHRONIQUE DE RAOUL DE SAINT-TROND

Les principales sources littéraires de la culture monastique d umoyen âge sont l'Écriture Sainte, les Pères de l'Église et lesauteurs classiques . De cet ensemble de textes, l'Écriture Saintetient la première place . Au moyen âge, comme le note le P . C.Spicq, «l'étude de la Bible fait partie de l'enseignement scolaire ,et constitue, après l'initiation aux sept arts libéraux, le sommet dela formation intellectuelle, le culmen Scripturarun.t 1 » . Quant auxmoines, sans cesse ils recouraient au texte biblique . Ils étaientastreints chaque semaine à la récitation de tout le psautier 2 ;des lectures bibliques, tirées de l'Ancien et du Nouveau Testament ,avaient lieu à plusieurs moments de l'office divin . De plus il yavait la lectio divina : de longues heures y étaient consacrées à lalecture et à l'étude de la Parole de Dieu 3. Il faut se rappeler enoutre la façon de lire au moyen âge . Dans son excellent livred'initiation aux auteurs monastiques, Dom Jean Leclercq nou sla rappelle : « au moyen âge, on lit généralement en prononçan tavec les lèvres, au moins à voix basse, par conséquent en en -tendant les phrases que les yeux voient . . . Plus qu'une mémoirevisuelle des mots écrits, il en résulte une mémoire musculaire de smots prononcés, une mémoire auditive des mots entendus 4 . »

Ainsi par la lectio, la meditatio, par ce qu'ils appellent parfois l a

I . C. Spicg, Esquisse d'une histoire de l ' exégèse latine au Moyen-Age, Paris,1 944. Le culmen Scripturarum est d'ALcuIN, Grammatica, P. L., roi, c . 8 54 .

2. Voyez la Regula monachorum de saint BENOIT, 18, éd . B. LINDERBAUERn , . . dum omnimodis id attendat, ut omni hebdomada psalterium ex integronumero centum quinquaginta Psalmorum psallatur n .

3. Quant aux heures que saint Benoît réserve â la lectio divina, voyez la Règle ,48 .

4. Jean LZCLERCQ, L'amour des lettres et le désir de Dieu, éd . du Cerf, Paris ,1 957, P . 72 .

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ruminatio du texte sacré b, le moine en arrivait à connaître l aBible par coeur .

C'est un fait qu'il importe d'avoir constamment présent àl'esprit quand on examine les productions littéraires du moye nage . Partout, dans tous les textes, on trouvera l'influence d el'Écriture sous forme de réminiscences nombreuses, tantô tconscientes, tantôt inconscientes . Comme dans toutes les oeuvresde l'époque, on en trouve d'abondantes dans les sept premier slivres des Gesta abbatum Trudonensium, c'est-à-dire dans lapartie de ces Gesta qui est l'oeuvre propre du bénédictin Raoulde Saint-Trond . Il ne saurait être question, en ces quelquespages, de les passer toutes en revue . Il sera moins fastidieuxet, nous l'espérons, plus intéressant pour le lecteur, de connaîtr eles divers types de réminiscences que l'on rencontre chez Raoul ,et d'en examiner quelques exemples .

Il n'est pas commode d'en faire un classement adéquat . Lescritères de classement paraissent nombreux à première vue ;mais la réalité est complexe . Essayons de laisser à Raoul lepremier rôle . Nous pourrons alors, pour opérer notre distinctio nfondamentale, partir des attitudes diverses que Raoul adopt edevant l'Écriture au cours de son travail de rédaction .

Nous distinguerons ainsi deux grands cas :— dans le premier, tout est dit essentiellement dans le text e

même de la Chronique : si notre auteur se sert de la Bible, con-sciemment ou inconsciemment, c'est pour amplifier son texte ,l'enrichir d'expressions souvent frappantes, le colorer d'image sriches en évocation. Dans ce type de réminiscences, c 'est lamémoire de Raoul qui intervient principalement .

— dans le second, l'explication du texte de Raoul se trouv edans l'Écriture : on ne comprend vraiment son texte, on n'ensaisit les harmoniques qu'en se référant aux Livres Saints . C'estici l'interprétation que Raoul fait de l'Écriture, son intelligenc edu texte qui joue surtout .

Examinons d'abord les réminiscences où c'est la mémoire qu iintervient principalement . L'écrivain se souvient d'une expression ,d'une tournure qu'il a lue dans la Bible ; il a retenu l'expression ,

5 . ID ., ibid ., p. 72 .

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il se souvient de telle ou telle tournure, sans plus ; en l'employantil n'a pas conscience d 'emprunter une expression ou une tournurebiblique. Ainsi :

Cecidit igitur tandem, cecidit illud monasterium . . . (II, 13) 6 :

cf. Isaïe, 21, 9 Cecidit, cecidit Babylon, et Apocalypse, 14, 8 : Ceci-dit, cecidit Babylon tilla magna . Voyez également Apocalypse, 18, 2 .

Raoul a employé les mêmes mots, la même tournure qu el'Écriture ; mais seule la mémoire a dû jouer ici, car la différenc eest grande entre les résonances de l'un et de l'autre texte . ChezIsaïe et dans les deux passages de l'Apocalypse, c'est la victoire,le cri de joie jeté sur Babylone la maudite . Chez Raoul, c'est laruine, la désolation : il pleure la dévastation de son cher monastère .Choisissons maintenant un exemple où l'on verra que ce n'est pa sla mémoire seule qui est intervenue . Le texte même nous faitpenser que Raoul a dû emprunter consciemment tel passage del'Écriture :Mansi paene tata tilla nocte insomnis, maxime, ut est pavida naturamuliercularum, me ibi trepidare facientium ubi non erat timor(VII, 3) : cf. Psaumes, 13,5 et 52,6 : illic trepidaverunt timore ub inon erat timor . Il faut se souvenir du premier verset de l'un etl'autre psaumes : Dixit insipiens in corde suo : Non est Deus . Cesmulierculae — et il faut noter que dans le contexte de Raoulmuliercula n'a aucun sens péjoratif — sont des insi7ientes .Notre auteur se livre ici à une petite plaisanterie contre le sfemmes . Consciemment, avec une légère rosserie voulue, il leurapplique le texte biblique ' .

6. Les références que l'on trouvera après chaque citation, se rapportent àl ' édition de R . KoE p iac, Gesta abbatum Trudonensium, dans Monuments Germa-nise historica, Scriptores, X, Hannovre, 1852, pp . 227-272 . Le lecteur pourraégalement se référer à l ' édition de C . DE BORMAN, Chronique de l'abbaye de Saint-Trend, I, Liège, 1877 .

7. Dans le chapitre 7 de la Vita Evracli de Renier de Saint-Laurent, on trouveune réminiscence du même texte biblique : . . .atque singulos circuiens /minettearguebat diffidentiae, qui trepidarent timore ubi non erat timor. L ' accusationde feminea di ff.dentia est lancée contre ces gens parce qu'ils ont peur sans motif,comme c'est le cas, sous-entend le texte, chez les femmes . Cette Vita a été étudiéepar M . H . Silvestre . Voyez ses Notes sur la Vita Evracli de Renier de Saint-Laurent ,dans Revue d'Histoire Ecclésiastique, 44 ( 1 949), pp . 3o-86 . Selon l 'auteur, Renierétait né au plus vers 1130 . Rappelons que Raoul est mort en 1138 . On peut s edemander si les moines de l'époque n'aimaient pas citer ce texte biblique àpropos des femmes . Serait-ce alors simplement une plaisanterie a classique »

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On remarque donc que dans ce premier type de réminiscencesdeux cas se présentent : tantôt la mémoire seule intervient ,consciemment ou. inconsciemment ; tantôt, une intention spé-ciale s'est greffée sur cet exercice de la mémoire : en vue d'un butprécis, l'écrivain a fait appel au texte biblique . Le lecteur nousconcèdera qu'il n'est pas toujours facile de délimiter les deux cas ,que parfois la distinction peut sembler arbitraire . Aussi, une foisprécisées ces deux éventualités, ne distinguerons-nous désormai sce premier genre de réminiscences que d'après le contenu mêmede celles-ci .

Cinq cas se présenteront à nous :1 . Les emprunts textuels ou quasi tels : Raoul a fait à l'Écriture

un emprunt plus ou moins long sans opérer d'autre changemen tdans le texte sacré que celui qui est nécessité par l'insertion d utexte biblique dans son texte propre .

z . Les emprunts modifiés : Raoul a amplifié, abrégé ou modifi éde quelque autre manière le texte sacré .

3. Les emprunts qui se limitent à une simple expression .4. Les alliances de mots : deux ou trois mots qui se trouvent

associés dans l'Écriture se retrouvent de même dans le texte d eRaoul .

5. Les cas de coiztaminatio : une même phrase de Raoul attest edes emprunts à divers passages indépendants dans la Bible 9 .

1 . Nous examinerons d'abord les emprunts textuels ou quas itels 9 :

contre les femmes ? Ou pourrait-on supposer que Renier lui-même se souvenaitdu passage de Raoul ? Cette dernière supposition semble parfaitement plausible .Dans son étude sur la Chronique de Saint-Laurent, M . H. Silvestre note que dan ssa Vita Wolbodonis, Renier manifeste implicitement qu'il avait connaissance de sGesta abbatuns Trudonensium : il y a là des parallélismes de textes assez frap-pants . Voyez H . SILVESTRE, Le Chronicon Sancti Laurentii Leodiensis dit deDeutz, Louvain, 1952, p . zoo, n . 3 .

8. Nous n'avons pas cru devoir suivre entièrement la classification proposé epar M. H. Silvestre dans ses Notes sur la Vita Evracli . Les réminiscences trou-vées chez Raoul, semblent de natures trop diverses pour pouvoir entrer dans le scatégories qu'il propose .

9. Nous n'envisageons pas ici le cas des citations bibliques ; nous n'abordon sque le phénomène particulier de la réminiscence . Le problème des citations bibli-ques est de nature toute différente . Tous les emprunts dont nous parlons sontdonc des emprunts non explicites .

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. . .tacite egi . . .ist me. . .de claustro nostro educeret, animamquemeam de medio catulorumn leonum eriperet (Vil, 12) : cf . Psaumes ,65,5 : eripuit animam meam de medio catulorum leonum .

Si on compare la phrase de Raoul et celle de l'Écriture, on voitque notre auteur n'a apporté de changement au texte bibliqueque pour en faciliter l'insertion dans son propre texte . En effet ,il lui fallait un subjonctif imparfait au lieu d'un indicatif parfait ,et d'autre part, dans son désir d'introduire le cursus, il a rejeté leverbe à la fin ( . . .nóstro edúceret, . . .león.um eriperet — cursustardus — ) .

Citons encore deux autres exemples d'emprunt quasi textuel .Ici également, Raoul change légèrement l'ordre des mots dutexte sacré, et ce pour un motif stylistique :

. . .et reminiscens, quanta mala . . .accidissent in brevi suo tempore ,ipsumque maximam partem iode fuisse, tactus intrinsecus cordisdolore . . .atque graviter se peccasse 10 inclamans in nostrarn aeccle-siam, accinxit se . . .ad parcendum in qui bus ulterius peccare thumanitus (IV, 4) : cf . Genèse, 6,6 : . . .tactus dolore cordis intrin-secus . . .

Grâce au changement opéré par Raoul, trois membres dephrase riment entre eux : tempore, fuisse, dolore . En outre, ilobtient ainsi deux cas de cursus planus : Inde fuisse, auquel répondcordis doldre, et deux cas de cursus tardus : ndstram aecclésiam etpecccret humcínitus .

factus est apud nos error novissimus, peior priore . . . (VII, ŸT) :

cf . Matthieu, 27, 64 : . . .et erit novissimus error peior priore .Raoul semble avoir voulu éviter ici ce qu'a d'inélégant cett e

accumulation de r et de or . Celle-ci aurait été encore accentué epar une identité de cursus (novissimus érror, et peior pridre : onaurait eu deux cas de cursus planus) . D'autre part, novissimu squi répond à factus termine avec bonheur cet élément de phrase .

On peut supposer que dans ces cas d'emprunt textuel ou quasi

tel, l'auteur a fait consciemment appel à l'Écriture. Le caractèrepresque littéral de cet emprunt et sa longueur relative tendent àle prouver, 11 d'autant plus que nous apercevons les raisons pour

ro . Voyez Esdras, g, 7 : nos tipi peccavimus graviter usque ad diem banc .Ce type de réminiscences sera envisagé plus loin .

rr . Nous rejoignons là ce qu'écrivait M. H. Silvestre dans ses Notes sur laVite Evracli, p. 51 .

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lesquelles il a modifié légèrement le texte sacré. On voit d'autrepart que ce recours à l'Écriture confère à la phrase de Raoul unesolennité, une gravité toute particulière, et que c'est surtout dan sles moments d'émotion qu'il recourt comme spontanément auxLivres Saints .

2 . En ce qui concerne les emprunts quasi textuels, les léger sremaniements que Raoul a fait subir au texte biblique ne sontintervenus que parce qu'il était bien obligé d'insérer le passage d ela Bible dans sa phrase, et parce qu'il désirait le faire le mieu xpossible (songeons à son souci stylistique) . Dans le cas des em-prunts modifiés, Raoul a amplifié ou abrégé le texte sacré ; il achangé la construction, employé tel mot au lieu de tel autre ,par exemple un substantif pour un verbe, ou bien il a uni en un eseule phrase deux propositions que l'Écriture coordonnait pa ret . Voici quelques exemples :

Corrupti graviter et facti tur5iter abhominabiles 12 in studiispessimae hujus symoniae, omnes . . .querebant, quomodo . . . (VII, u) :cf . Psaumes, 13,1 : Corrupti sunt et abominabiles facti sunt instudiis suis . Voyez également Psaumes, 52,2 .

. . .ita evenie bat, ut dum invicem morderent, ab invicem consume-rentur (IV, 9) : cf . Galates, 5,15 : si invicem mordetis et comeditis,videte ne ab invicem consumamini .

. . .cognoscens quod se graviter apud hommes in/amassa et apudDeum condempnasset, quia scilicet illicita ascensione viventisadhuc patris sui cubile maculasset (III, 15) : cf . Genèse, 49,4 :ascendisti cubile patris tui et maculasti stratum ejus .

Hac. . . male loquacium et maligne detrahentium necessitatecompulsus, . . . (VI, 8) : cf . Psaumes, xo8, 20 : Hoc opus eorum quidetrahunt mild apud Dominum et qui loquuntur mala advenusanimam meam .

. . .sub suavi jugo Domini leve satis habebatur no bis onus nostraea§lictionis : cf . Matthieu, ü, 30 : Jugum enim meum suave est ,et onus meum leve .

12 . A propos de l'orthographe d ' abhominabilis et de l ' étymologie qui enrésulte, voyez J . ENGELS, De Geschiedenis van het woord Abominabel, Groningen,J . B. Wolters, 1958 .

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Bien d'autres exemples pourraient encore être cités . Mais onvoit clairement dès à présent quelle est ici l'attitude de Raou ldevant la Bible. L'étendue des extraits et leur quasi conformit éavec le texte sacré tendent à prouver, ici également, que c'es tsans doute consciemment que Raoul a recours à l'Écriture . Onremarque aussi combien le texte de Raoul se trouve enrichi partous ces emprunts à la Bible . Il nous faudra dès lors, dans notr econclusion, poser le problème de l'originalité d'un auteur quiemprunte constamment à l'Écriture et qui insère si naturellemen tles mots bibliques dans son style propre qu'il n'est pas toujour saisé de les découvrir .

3 . Une troisième catégorie d'emprunts mérite maintenant notr eattention : ceux qui se limitent à une simple expression . On nes'étonnera pas que Raoul ait repris à la Bible un bon nombr ed'expressions de toutes sortes . Les auteurs classiques ont certesjoué un grand rôle dans l'éducation intellectuelle du moyen âge .Tous les moines, ou presque tous, ainsi que nous le rappelle Do mJean Leclercq, «les ont pratiqués à l'école, dans leur jeunesse, àl'âge de la mémorisation facile 18 » . L'étude des auteurs classiquesse faisait néanmoins dans un climat imprégné en quelque sorte

d'Écriture Sainte . « On cherchait à atteindre un but pratique :former des jeunes chrétiens, des futurs moines, les introduire àl'Écriture Sainte, les orienter vers le ciel par la voie de la gramma-

tica 14 » . On comprend dès lors pourquoi si fréquemment lemoine du moyen âge, plutôt que de recourir à telle ou tell eexpression classique, employait spontanément et la plupart dutemps sans doute inconsciemment, l'expression qu'il avaitrencontrée dans la Bible . Bien souvent il s'était attaché à cesexpressions bibliques à cause de leur caractère poétique, de leu rpuissance d'évocation ou de leur richesse de contenu 16 . Beaucoupd'entre elles se retrouvent en divers endroits des Livres Saints .D'autres n'y apparaissent qu'une seule fois .

Examinons d'abord quelques expressions composées de sub-stantifs :

13. Jean LECLERCQ, op . cit ., p . iio .14. ID., ibid., p . 115 .15. ID ., ibid., p . 75 .

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. . .super stratum doloris sui . . . (I, 9) : cf . Psaumes, 40,4 : . . .su75er

lectum doloris ejus .. . .veritatis semita . . . (II, 1) : cf . Baruch, 4, 13 : . . .per semitas

veritatis . . .. . .tamquam ministrae irae et virga furoris Domini in nostros ,

etiam violentes assentiri non poterant (II . 8) 16 : cf . Isaïe : 10,5 :

Vae Assur, virga furoris mei .Cette même expression nous la retrouverons en deux autre s

passages du même paragraphe . On dirait que Raoul veut faire decette répétition une sorte d'argument : il désire nous convaincreque ceux qui allaient punir les moines infidèles n'agissaient pas,de leur propre initiative, mais qu'ils étaient les instruments d ela volonté divine. D'autre part, on pouvait se douter que Raoul ,particulièrement ému à la pensée des malheurs de son monastère ,fasse plus abondamment appel au texte sacré, où il trouvaitespoir et consolation .

. . . f rater imj5eratricis secundum carnem (I, 6) : cf . Romains ,

9,3 : .. .Pro fratribus meis qui sunt cognati mei secundum carnem .Dans cette même Lettre aux Romains, on retrouve encore l'ex-pression secundum carnem en 1,3 et 4,1 .

. . .a planta pedis usque ad verticem . . . (VI, 8) : cf . Deutéronome,

28 , 35 ; Job, 2, 7 et Isaïe, 1, 6 .D'autres, plus nombreuses, sont des expressions verbales .

Ainsi :. . .gladius usque ad quam blurimos et de meliori bus semper viras

voraverat (III, 7) : cf . II Rois, 18,8 : . . .hi quos voraverat gladiusin die illa . Voyez de même Isaïe, 31,8 .

. . .in omnem ventum dispergere (IV, 3) : cf. Ezéchiel, 5, 12 : . . .inomnem ventum dispergam . De même : Ezéchiel, 12, 14 et Jérémie ,

49, 32 .. . .ore ad os ista sunt loculi (IV, II) : cf . Nombres, 12, 8 : ore

enim ad os loquor ei .. . .ut omises . . .in ore gladii interficiat (VI, 12) : cf . Deutéronome,

20, 17 : inter facies in ore gladii I-lethaeum . Voyez de même I Rois ,15,8 : omne . . .vulgus interfecit in ore gladii . L'expression seule inore gladii se rencontre vingt-quatre fois dans la Bible .

16 . Ces serviteurs de la colère du Seigneur sont les évêques de Liège et de Met zqui refusent de donner leur accord (assentiri) à l'élection abbatiale faite par le sfrères ; ils ont décidé d'envoyer tous les moines en d'autres monastères .

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Quod illa libentissime de ore meo suscepit (VII, 7) : cf . Job,22,22 : Suscite ex ore illius legem . Les seuls mots de ore me o(tuo, nostro, ou vestro), employés sans le verbe suscifiere, formenteux-mêmes une expression fréquente dans l'Écriture .

D'autres emprunts, enfin, se limitent â un substantif et so népithète :

fia humilitate ethilaris vultus obedientia in tam s pecioso . . .juvene. . . considerata (I, 5) : cf. Ecclésiastique, 26,4 : in omxi temporevultus illorum hilaris . Voyez aussi Ecclésiastique, 35, 11 .

. . .dampnosa manuum iniquarum rapacitas . . . (I, 12) : cf. IIMaccabées, 4,40 : . . .iniquis manibus uti coepit . Voyez égalementSagesse, 15,17 .

Intelligebat enim tamquam vir prudens non evenire ea suis nequesuorum meritis . . . (II, 2) : cf. II Rois, 13,3 : Erat auteur Amnonamicus nomine Jonadab . . . vir prudens valde . De même : II Chro-niques, 2,13 : Misi tibi virum prudentem . . .

. . .non tam volubili fortunae rota, quam justa . . .Dei ira, nichilfirmum nostris esse fiermititur . . . (III, 14) : cf . Ezéchiel, ro, 13 : Etrotas listas vocavit volubiles .

On voit ici combien certaines de ces expressions sont devenue sdes clichés . Celui qui analyse ce dernier texte, y trouvera ,intimement mêlées, une réminiscence des Livres Saints (la rotavolubilis d'Ezéchiel), et une réminiscence payenne (fortunae rota) .Dans l'esprit de Raoul néanmoins, ces emprunts étaient sansdoute inconscients .

Une place spéciale doit être accordée aux expressions quiconcernent le nom de Dieu :

Deus judex justes (I, 9) . De même en II, 8 . Cf . Psaumes, 7, 12 .Voyez également Il Maccabées, 12,5 et II Timothée, 4,8 .

On trouve l'expression Deus vindex en deux passages : III, 6et III, 14 : cf. I Thessaloniciens, 4, 6 : . . .quoniam vindex es tDominus de his omnibus .

. . .manas tonantis Dei excelsa . . .terribilissimo fulgure subito no sfierforavit, tollen no bis de medio domnum abbatem Theodericum . . .(VI, 24) : cf . Job, 37, 5 : tonabit Deus in voce sua mirabiliter .Voyez aussi II Rois, 22,14 .

Raoul évoque ici la figure du Dieu qui tonne à propos de lamort de l'abbé Thierry et il continue l'image biblique : fulgur esubito nos perforavit .

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Voyez également ces cas où. Raoul emploie les verbes percuter eou persequi à propos de Dieu :

Percussit igitur eum Dominus . . . (II, 4) : cf . Genèse, 38, Io :

percussit eum Dominus . L'expression Dominus percuta aliquemest très fréquente dans la Bible : cf . Exode, 12, 29 ; Psaumes, 68 ,

27 ; 134, 8 et Io ; I Rois, 4, 3 .Episcopi igitur nec justae petitioni nostrorum acquiescentes, nec

Deum in se nostros persequi pro peccatis tam suis quam nostrisintelligentes, . . . (II, 9) : cf . Job, 19, 22 : Quare persequimini mesicut Deus . . . ?

Tout comme les amis de Job, ces évêques dont parle Raoul necomprennent pas la véritable action de Dieu .

4 . Les alliances de mots forment un type d'emprunts la plupar tdu temps inconscient . A maintes reprises, Raoul rencontrait dansl'Écriture tel mot associé à tel autre, et cela soit parce qu'unemême association de mots y figurait en plusieurs passages, soi tparce qu'il lisait ou entendait fréquemment les mêmes textes .Ces mots s'étaient alors si intimement associés en son espritque l'emploi de l'un entrainait automatiquement celui de l'autre .Sa Chronique atteste plusieurs exemples de ce phénomène : autotal 26 cas, Ainsi :

. . .flagella irae Dei et indignationis super locum nostrum nonvidimus incepisse (I, 8) : cf. Romains, 2, 8 : is. . .qui non acquies-cunt veritati, . . .ira et indignatio . Cette association est fréquentedans la Bible . Voyez notamment Psaumes, 77, 49 et 84, 4 . Raou ll'emploie encore en deux autres passages : VI, Il et VII, 16.

Trois fois également, il associe pax et abundantia (I, Io ; I, 1 2et II, 2) : cf . Psaumes, 121, 6-7 : Rogate quae ad pacern suretJerusalem et abundantia diligentibus te . Fiat pax in virtute tuaet abundantia in turri bus tais . Il est intéressant de remarquer quedu mardi au samedi, ce psaume 121 était récité chaque jour àl'office de tierce 17 .

. . .de patrimonio suo tristis et merens vivebat (III, 2) : cf . Isaïe,29, 2 : Et circumvallabo Ariel, et exit tristis et moerens .

Erat igitur omnibus grandis formido, pavor et tri bulatio (VI ,18) : cf. Exode, 15,16 : Irruat super eos formido et pavor .

1 7 . Voyez la Regula monacicoruin de saint BENOIT, 18 .

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. . .efteratis crudelissime omnibus Herimannitis 18 in nostramtribulationem, fame, siti, nuditate (VII, Ix) : cf. Deutéronome, 28 ,48 : servies inimico tuo . . . in fame et siti et nuditate et omnipenuria . Voyez également II Corinthiens, xx, 27 . On voit ce quetout ceci a de mécanique, et comment, inconsciemment, l'auteurfait appel à l'Écriture pour amplifier son texte .

5 . Dans cette première catégorie de réminiscences, où c'est lamémoire qui intervient principalement, avec ou sans intentionspéciale, il nous reste à parler maintenant d'un procédé médiéva lde composition apparenté à la contamivatio des Anciens .M. H. Silvestre à qui nous reprenons cette distinction, le définitdans ses Notes sur la Vita Evracli : « deux phrases ou deuxmembres de phrase complètement indépendants dans l'original(ici, dans la Bible) sont unis pour former un tout ' 9 » . On enregistrechez Raoul 27 cas de l'espèce. Les mots de « procédé de composi-tion » ne doivent cependant pas donner l'idée qu'il s'agit d'unrecours conscient à l'Écriture . Nous savons que ces moinesconnaissaient la Bible par coeur : nous en retrouvons la réalit ésans cesse dans leurs écrits . Donnons-en quelques exemples :

Nulli igitur mirum sit, si in gloria et divitiis attenuati hodiehumiliter vivimus (V, 5) : cf . Psaumes, II, 3 : Gloria et divitiae indomo ejus — on trouve fréquemment dans la Bible l'associationde gloria et de divitiae—et Isaïe, 17, 4 : attenuabitur gloria Jacob .

perveni ad Sanctum Hubertum per viam longissimam et vastasolitudine horribilissimam (VII, 7) : cf . Josué, 9, II : Tollite inmanibus cibaria olh longissimam viam (voyez aussi Proverbes ,7, 1g : abut via longissima) et Deutéronome, 32, Io : Invertiteum . . .in loco horroris et vastae solitudinis .

Inter quae minantia famae volitantis cotidie tonitrua, manustonantis Dei excelsa, jam dudum ab antiquo gravissime super nosextenta, terribilissimo fulgure subito nos perforavit . . . (VI, 24) :cf. Esther, 9, 4 : fama. . . per cunctorum ora volitabat 20, Job,

18 . Les partisans de Herman.I9 . H . SILVESTRE, Notes sur la Vita Evracli, p . 55 .zo. On retrouve la même image chez VIRGILE, Enéide, IX, 473-474 :

Interea pavidam volitans pennata per urbe mnuntia Fama ruit . . .

L ' étude des réminiscences classiques nous apprend que Raoul connaissait bie nVirgile . L'image provient-elle originellement de la Bible ? Elle est devenue entout cas, dans la suite, une sorte de cliché .

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37, 5 : tonabit Deus in voce sua mirabiliter (voyez également IlRois, 22, 14), Deutéronome, 32, 27 : Manus nostra excelsa et Isaïe ,

14, 26 : haec est manus extenta super universas gentes .Certains cas de contaminatio ne sont qu'un amalgame d'ex-

pressions . Ainsi : recognoscimus factos nos esse obprobrium omni-

bus per circuitum nostrum (II, 6) : cf . Psaumes, 78, 4 : Facti

sumus opprobrium vicinis nostris, — voyez de même Psaumes,

30, 12 ; 88, 42 et zo8, 25 — et Jérémie, 46, 14 : devorabit gladius

ea quae per circuitum tuum sont — l'expression per circuitum

se rencontre fréquemment dans la Bible .

**

*

La distinction que nous avons opérée entre deux grande sclasses de réminiscences est au fond celle de la lettre et de l'esprit.Dans les différentes catégories du premier type, Raoul s'en réfèr eessentiellement, mais non pas toujours uniquement, à la lettre d el'Écriture. Dans tous ces cas néanmoins la lettre prime . Quant ausecond type, l'essentiel n'est pas dans le texte même que nouslisons chez Raoul, mais bien dans celui de l'Écrit ure auquel il veutnous faire penser : un membre de phrase plus ou moins long, voireun simple mot, nous reporte au contexte biblique où il a étérepris . Nous ne comprendrons ni la portée du texte de Raoul, n ipeut-être même son vrai sens, si nous ne connaissons pas l epassage de l'Écriture consciemment invoqué par l'auteur, sansqu'il le soit toutefois de façon explicite .

Ici également, il sera nécessaire de faire un choix ; du moin sessayerons-nous de donner, par la variété des exemples, une idéeexacte du phénomène. Prenons d'abord l'exemple qui semble leplus clair :

Hac tarnen ratione et ordine Luipo abbatiam nostram prianumvisus est intrasse ; qui si turn et postmodurn gratis et per ostiumintraverit, testabuntur sequentia ipsius operis (III, 2) : c'esttoute la parabole du bon Pasteur qui est évoquée ici et spéciale-ment ce passage : Jean, Io, 1-2 : qui non intrat per ostium inovile ovium, sed ascendit aliunde, tille fur est, et latro . Qui auteurintrat per ostium, pastor est ovium .

Un autre passage fait allusion à la même parabole :

. . .illa venditio, quam fecisset non episcopus, sed fur et latro (IV,5) : voyez le Ille fur est, et latro de Jean .

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Cet abbé et cet évêque n'étaient que des bergers à gages, de srnercenarii — voyez le mercenarius de jean en so, 12 —. Il fautremarquer d'ailleurs que Raoul rapproche dans le premier casgratis et per ostium. Par conséquent, dans le premier passage ,deux faits montrent que Raoul fait allusion à toute la parabolebiblique : l'impossibilité de comprendre le texte si on ne s'e nréfère pas à la Bible et le rapprochement de gratis et de per ostium .Dans le second passage, on ne comprendrait pas la portée dufur et latro .

Dans la dédicace de sa Chronique, Raoul parle constammentdes nova et vetera . Voyez plus spécialement ce passage :

mitto tibi hystoriam. . .de his quae acciderunt antiquo et modernotem flore erga aecclesiam nostram, ut qui veterum et novarum rerumusu delectaris, vetera nostra et nova per earn sapias . . . Et un peuplus loin :

. . .scire tarnen poteris, qui nova scire cum veteribus queris ,qualis . . . Raoul, semble-t-il, sous-entend que son désir, toutcomme celui du prévôt de Saint-Denis à qui est dédicacée l aChronique — et c'est là pour ce dernier un éloge en même temp squ'une exhortation — est de réaliser finalement la phrase que l eChrist prononce à la fin du discours parabolique : voyez Matthieu ,13, 52 : Ideo omnis scriba doctus in regno caelorum, similis es thomini fiatrifamilias, qui profert de thesauro suo nova et vetera .Il s'agit d'être doctus in regno caelorum, d'être le paterfamiliasde sa communauté 21 , et dès lors de tirer de son trésor du neuf e tdu vieux .

Dans cet autre cas, nous ne réaliserons la portée exacte de c eque nous dit Raoul qu'en nous reportant aux textes sacrés :

mata gravissima et dolores super dolorem mulieris parturienti sapprehenderunt aecclesiam nostrani, qualia non sunt audita in tot o

umquam mundo ab illo famoso sub Tito et Vespasiano Iherosoli-morum excidio (II, 1) .

21 . Voyez ce passage de la préface où Raoul déclare quel est le but de son livre ,et l'intention finale qu'il poursuit : A bbates et monachos post nie futuros in ho ccoenobio volo sollicites inde reddere, quatenus . . . suis quoque posteris de predeces-soribus suis plenum fidai monumentum scrigno velinquant . n quo dum probitas seuimprobitas singulorum fregenter legi fioterit, probi piorum exemplo accensi, inmelius et melius semper proficiant, improbi imaginata sibi vita sua confusi, amalis operibus suis . . . resipiscant .

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La grandeur des maux qui frappèrent le monastère n'avai tmanie pas son équivalent dans l'Écriture ! Souvent il y est ques-

tion des douleurs de l'enfantement . Cf . Jérémie, 13, 21 : Numquid

non dolores apprehendent te quasi mulierem parturientem ? Id . ,

22, 23 : congemuisti, cum venissent tibi dolores quasi dolores partu-rientis . Psaumes, 47, 7 : Ibi dolores ut parturientis . Voyez de mêmeJérémie, 6, 24 ; 5 0 , 43 ; Osée, 13, 13 ; Michée, 4, 9 . Jamais doncl'Écriture ne parle des dolores super dolores parturientis .

Autre exemple encore :Vidit inimicus et invidit prosperis de ordine nostris successibus . . .

(VI, 23) . Nous ne pouvons saisir d'emblée le sens de la phrasequ'en nous référant à la parabole de l'ivraie . Cf . Matthieu, 13 ,

24-25 : Simile factum est regnum caelorum homini, qui seminavitbonum semen in agro suo . Cum autem dormirent homines, venitinimicus ejus, et superseminavit zizania . . . La bonne semence, cefut pour les moines de Saint-Trond, l'ordo Cluniacensium, larègle de Cluny, qui fut introduite à ce moment dans le monastère ,grace d'ailleurs aux efforts persévérants de Raoul — voyez l ede ordine dans notre passage. — L'ennemi, c'est le diable :voyez Matthieu, 1 3, 39 : Inimicus autem . . .est diabolus . Raoulsavait que son lecteur comprendrait de suite son allusion àl'Écriture ; aussi écrira-t-il dans la phrase suivante à propos d el'inimicus :

Implevit igitur spirite suo nequissimo . . .eundem Heynricum adaffligendas animas nostras jam dudum usitatissimum sibi minis-trum et familiarissimum .

Il veut parler de l'inspiration diabolique de cet Henri, serviteu ret grand ami du diable .

Font également partie de cette classe de réminiscences le sallusions à des personnages ou à des figures bibliques . Raoulatteste quatre réminiscences de ce type . Elles se trouvent dan sdes passages voisins, comme si, sous l'influence de quelqu electure, Raoul s'était consciemment avisé d'avoir recours à ceprocédé .

. . .cum domnus abbas Theodericus . . . Leodium venisset, injuriantsuam, persecutionem, redivivi Symonis superbiam . . .exposuisset ,. . .totam civitatem merore . . . obnubilavit (VI, 14) .

Raoul fait allusion ici à l'histoire de Simon le Magicien, qui,

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voyant que les apôtres donnaient l'Esprit Saint par l'impositio ndes mains, leur offrit de l'argent pour avoir lui aussi ce pouvoir .Voyez les Actes des Apôtres, 8, 9-24 .

Dans un autre cas (VI, i6), Raoul fait allusion à Bel, qui estune idole du Livre de Daniel . Voyez Daniel, 14, 1-21 22 .

On peut rattacher enfin à ce type de réminiscences les idée sbibliques que l'on rencontre chez Raoul . Ainsi :

. . .accingere se videbatur ad diluenda peccata sua per elemosi-nas . . . (IV, 2) : voyez Tobie, 12, g : . . .eleemosyna . . .purgat peccata .

. . .proximioremque Dei clementiam indubitanter credamus ess eerga illos, quos dignatur corripiendo flagellare, quam . . . (II, 8) :voyez Proverbes, 3, 12 : Quem enim diligit Dominus corripit .Voyez aussi Proverbes, 28, 23 .

Tantaque erat caecitas judicio Dei eorum, qui . . . (I11,4) :voyez Marc, 3, 5 : . . .contristatus super caecitate cordis eorum ,dicit homini . . . Ephésiens, 4, 18 : . . .alienati a vita Dei--proptercaecitatem cordis ipsorum . On retrouve cette même idée chezRaoul en un autre passage :

. . .veteri malicia caecitatis suae . . . (VI, 8) .

Au terme de cette recherche, faut-il conclure que Raoul ,ainsi que tous ceux qui, comme lui, recouraient sans cesse à l aBible, et surtout à la lettre du texte sacré, ne savait pas s'expri-mer, pour se trouver sans cesse obligé de faire des emprunts à untexte étranger ? Le problème ne se pose pas de cette manière .L'abondance des réminiscences ne nous prouve nullement quenotre auteur n'a pas de personnalité, qu'il ne sait pas trouverl'expression personnelle adéquate . Il ne faut pas se laisser abuserpar notre optique actuelle en fait d'originalité . Se mettre à l'écol edes anciens, était l'attitude générale à l'époque . Ces moine sconsidéraient les écrits de l'antiquité comme leur bien propre ,et cela est d'autant plus vrai qu'il s'agit ici de leurs textes sacrés .Dès lors, l'attitude qu'ils avaient à l'égard de l'Ecriture n'est pa s

22 . Les deux autres cas se trouvent en VI, 13 : dans un discours que Raoulprête à l'abbé Thierry, il évoque les figures de David et d ' Ozias . Il ne fait icique décalquer l'E25ître 112, 2 de saint Jérôme . L ' hypothèse d'une influenc ede lecture pour les autres cas se trouve ainsi confirmée . Voyez notre articleLes citations bibliques dans la Chronique de Raoul de Saint-Trond, qui paraîtradans Latomus, 3 0 fascicule, 1961 .

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à comparer à celle que nous avons habituellement vis-à-vis destextes. Ils savaient la Bible par coeur, mais ils n'en restaient pas là .Ils se sentaient mêlés à cette Histoire Sainte, ils avaient conscienc ede vivre eux-mêmes en pleine histoire sainte . Aussi ce textebiblique, non seulement ils le connaissaient, mais ils le vivaient .Celui-ci finissait par être vraiment le leur propre .

Nous espérons que cette étude aura montré quelque peu com-bien les textes gagnent à être lus de cette façon . Certains passagessont difficilement compréhensibles si on ne se réfère pas au text ebiblique sous-jacent . Le plus souvent, on ne comprendra pastoute la portée du texte . Il faut saisir les allusions et les sous-entendus . D'autre part il est nécessaire de circonscrire exacte -ment tous les emprunts bibliques si l'on veut porter un jugemen tsur la langue, la grammaire, le style d'un auteur médiéval . Le vraiproblème en définitive est celui de l'humanisme du )(II e sièclenaissant . Il s'agit de le saisir à vif, dans un homme de l'époque .

Liège .

Paul TOMBEUR,

Stagiaire de Recherche sdu F.N.R.S .