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Roadie girls
La féminisation des métiers techniques
dans le spectacle vivant
Diplôme de l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse
Master II Sociologie politique des représentations et Expertises culturelles
Mémoire de recherche présenté par Flore Brasquies
Directeurs du mémoire : Marie-Christine Monnoyer et Marc Perrenoud
Date : 2010
Roadie girls
La féminisation des métiers techniques
dans le spectacle vivant
Diplôme de l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse
Master II Sociologie politique des représentations et expertises culturelles
Mémoire présenté par Flore Brasquies
Directeurs du mémoire : Marie-Christine Monnoyer et Marc Perrenoud
Date : 2010
AVANT-PROPOS
« Les succès professionnels plus fréquents des chercheurs masculins sont liés à leur plus
grande capacité à déléguer à d'autres – le plus souvent des femmes – les soucis d'intendance :
dans la sphère domestique mais aussi dans la sphère professionnelle. »
Catherine Marry
« Non, la place de la femme n’est pas plus au foyer qu’ailleurs. Comme celle de l’homme, elle
est partout, partout où son activité peut et veut se déployer. Pourquoi, de quel droit
l’enfermer, la parquer dans son sexe, transformé, qu’on le veuille ou non, en profession, pour
ne pas dire en métier ? »
Jules Guesde
« La plus utile et honorable science et occupation à une femme, c’est la science du ménage. »
Montaigne
« Travailler avec une blonde en technique, c’est se préparer à ce que quand tu lui demandes
de gérer la poursuite [des projecteurs] elle aille enfiler un jogging ! »
Un « pote » de Dour
Remerciements
Un grand merci à mes directeurs de mémoire pour leur confiance dans ce sujet, à ma famille
qui m‟a supportée pendant la rédaction de ce mémoire, et à mes « potes », hommes comme
femmes, roadies girls, techniciens ou chargées de production, qui ont immédiatement soutenu
cette démarche et m‟ont permis de ne pas prendre partie.
Avertissement : L‟IEP de Toulouse n‟entend donner aucune approbation, ni improbation
dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur
auteure.
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS ................................................................................................................................... 4
SOMMAIRE .............................................................................................................................................. 6
INTRODUCTION ....................................................................................................................................... 7
CHAPITRE 1 : RAPPORT AU TERRAIN ET METHODOLOGIE .................................................................. 9
PARTIE 1 PROFESSIONNALISATION DES METIERS MASCULINS ............................................................. 13
CHAPITRE 2 : L’INSTITUTIONNALISATION D’UN MILIEU SUBVERSIF ................................................. 14
Etude de cas : le secteur des musiques actuelles ............................................................................. 16
CHAPITRE 3 UNE PROFESSIONNALISATION AU SERVICE DE LA FEMINISATION ? ............................ 35
CHAPITRE 4 L’ORIENTATION SCOLAIRE BIAISEE SELON LA CATEGORISATION DES SEXES ................ 50
PARTIE 2 « CULTURE DU METIER » ET MARGINALISATION FEMININE................................................. 62
CHAPITRE 5 LA PRIMAUTE PERSISTANTE DE L’AUTODIDAXIE .......................................................... 63
CHAPITRE 6 LE POIDS DES RESEAUX SOCIAUX ................................................................................. 78
CHAPITRE 7 CONCILIER UNE « VIE DE FEMME » ET UN METIER D’HOMME .................................... 91
CONCLUSION ....................................................................................................................................... 104
7
INTRODUCTION
Le secteur culturel a souvent été perçu comme « en avance sur son temps », annonciateur des
grandes révolutions sociales et « voix des opprimés ». Le spectacle vivant bénéficie
particulièrement de cette « aura anti-institutionnelle », de par sa lutte perpétuelle pour aborder
tous les sujets, s‟exprimer en tous lieux, et toucher tous les publics.
Pourtant, de nombreux auteurs ont déjà mis en lumière l‟absence persistante des femmes dans
certains courants ou certaines pratiques artistiques. Non pas qu‟elles soient absentes du circuit
événementiel, cependant les femmes semblent figées dans des « postes parfaits pour elles ».
De cette manière, si le rôle d‟actrice ou de danseuse leur semble traditionnellement dévolu,
leur présence en « arrière scène » semble beaucoup plus rare, en dehors des maquilleuses,
coiffeuses, costumières et « assistante de ». En effet, le spectacle vivant, tout comme le milieu
cinématographique, trahit encore une ségrégation verticale et horizontale des femmes.
Les professionnels comme la sphère publique semblent en avoir pris conscience et appellent à
une plus grande parité, notamment par le biais d‟événements populaires tels que la Fête de la
Musique, placée cette année sous le signe des Femmes, ou le festival de musique Les Femmes
S‟en Mêlent. L‟IRMA consacre à son tour un forum sur la place qu‟occupent aujourd‟hui les
femmes dans les musiques actuelles. Enfin, cette 25ème
édition du festival de théâtre de rue
célébrait la venue d‟une femme, Catherine Tasca, à la présidence, et profitait de l‟occasion
pour célébrer la parité et le droit des femmes, durant les quatre jours que dura le festival.
Comment expliquer alors cette marginalisation féminine, au XIXème siècle, dans un secteur
aussi « ouvert » que celui du spectacle vivant ? Les rencontres avec les professionnels
concluent toutes à une incompréhension générale et à un constat regrettable, face aux
recensements professionnels. A la lumière des données nationales, les effectifs des métiers
techniques seraient d‟ailleurs les « plus masculins ».
Ces métiers, loin d‟être particulièrement sexistes, sont caractérisés par l‟importance accordée
à l‟autodidaxie et à la « culture du métier ». De plus, l‟exercice loin des projecteurs n‟a pas
souvent suscité l‟intérêt de personnes extérieures et semblent obéir encore à des logiques
issues des premiers activistes culturels.
8
Parallèlement, nous assistons depuis près de trente ans à une rationalisation croissante de ce
secteur, qui entraîne ses acteurs à se professionnaliser et à se spécialiser, afin de perdurer et de
s‟inscrire dans un réseau régional subventionné. Cette professionnalisation passe notamment
par le biais de formations, de plus en plus en plus nombreuses, afin de légitimer un savoir-
faire et de le sanctionner par un diplôme reconnu. Cette technicisation du secteur ne devrait-
elle pas annoncer une rupture avec la tradition masculine de ses activités ?
Cette période d‟évolution du milieu du spectacle vivant pourrait alors être particulièrement
révélatrice des impacts de la professionnalisation sur la féminisation d‟un secteur.
Nous chercherons donc à comprendre dans ce mémoire si la professionnalisation des métiers
techniques du spectacle vivant entraîne une féminisation du groupe professionnel.
A cet effet, une étude du processus d‟institutionnalisation du secteur du spectacle vivant, et de
ses impacts sur la professionnalisation des effectifs autodidactes techniciens, nous permettra,
en premier lieu, d‟évaluer les évolutions dans les modalités de recrutement pour ces métiers
« traditionnellement masculins ». Nous pourrons alors les confronter aux impacts relatifs en
termes de répartition homme-femme et ainsi aborder la problématique de genre.
Ce constat de stagnation des effectifs féminins nous entraînera à approfondir nos recherches
concernant la socialisation des techniciens du spectacle et l‟assimilation des valeurs
traditionnellement virilistes de « la culture de métier ». Nous comprendrons alors pourquoi la
technicisation de ces métiers n‟a pas entraîné une rupture avec les valeurs originelles, et
comment celles-ci se perpétuent au travers des logiques d‟apprentissage autodidactique et de
cooptation par les réseaux informels masculins.
Enfin, l‟exemple de techniciennes, d‟ingénieures et de régisseuses rencontrées, nous éclairera
sur les pressions qui s‟exercent autour de la vocation technique de ces femmes. En effet, s‟il
n‟est pas impossible de parvenir à exercer ces métiers techniques, au-delà de tous les préjugés
de pénibilité physique et de milieu déviant inapproprié aux femmes, il apparait beaucoup plus
difficile de « durer dans le métier ». Pour se faire, il leur faudra exister au-delà de leur « statut
principal de femme », au risque de sacrifier leur identité de femme et leur vie privée.
9
CHAPITRE 1 : RAPPORT AU TERRAIN ET METHODOLOGIE
Aborder ce terrain à l‟aune de cette problématique s‟est imposé avec le temps, au fur et à
mesure de mon observation participante, et au fil de mes lectures concernant les
professionnels du spectacle vivant. En effet, mon expérience assez variée et pluridisciplinaire
sur ce terrain ne m‟avait pas, de prime abord, semblée propice à une analyse sociologique, de
type ethnographique, du secteur professionnel que je maîtrisais le moins : la technique.
C‟est grâce à la rencontre avec mes deux directeurs de mémoire et à l„intérêt qu‟ils ont porté à
mes aspirations professionnelles que j‟ai pris conscience de l‟avantage de ma position « au
carrefour » des trois principaux type de professions dans le secteur du spectacle vivant, que je
nommerai communément ici les « artistes », les « organisateurs » et les « techniciens ».
Ayant baigné depuis l‟enfance dans l‟événementiel théâtral et musical, je craignais un manque
de recul lors de l‟observation et de grandes difficultés pour mettre à plat toutes les prénotions
accumulées au fil des expériences.
Pour résumer mon parcours, j‟ai en premier lieu expérimenté la scène via l‟art dramatique et
chorégraphique (de 2003 à 2007), puis choisi de m‟orienter professionnellement vers les
métiers de l‟organisation événementielle (de 2003 à 2010), en multipliant les bénévolats,
stages et courts contrats dans les secteurs de la communication et de la production. Le hasard
des rencontres dans ce milieu m‟a permis de développer de nombreuses amitiés, dès le plus
jeune âge, avec les professionnels de la technique.
Ayant tenté plusieurs fois de me former auprès de ces amis, je me heurtais constamment à une
réticence de leur part que je ne savais m‟expliquer. J‟envisageai par la suite de suivre une
formation professionnelle pour parvenir à m‟initier au fameux « matos » qui ne semblait pas
m‟être destiné.
Ce bref parcours m‟avait donc d‟abord influencée dans le choix d‟une problématique abordant
séparément la professionnalisation du secteur et ses répercussions sur les logiques internes, et
la féminisation des ses métiers traditionnellement masculins. Ma condition de femme aspirant
à des postes techniques tels que la régie, m‟a longtemps convaincue que je ne pourrais
aborder ce terrain sous l‟angle de la sociologie du genre sans que mon propos ne soit biaisé.
10
Peu à peu, il est devenu évident que je ne pourrai étudier ces deux phénomènes séparément,
leur développement mutuel étant positivement corrélé. Là encore, le soutien de mes directeurs
de mémoire, ainsi que la lecture de plusieurs auteures ayant mis à profit leur propre
expérience du terrain, m‟a persuadé de l‟originalité d‟étudier le groupe professionnel le moins
reconnu du spectacle vivant, afin de mettre à jour les valeurs virilistes traditionnelles de « sa
culture de métier » et les dysfonctionnements qu‟elles perpétuent.
Il n‟a pas toujours été aisé de prendre la distance nécessaire pour comprendre les rapports
sociaux de sexe entre professionnels de la technique. De même, souhaitant m‟orienter vers
une formation professionnalisante autour de la technique, je croyais fermement que la
technicisation d‟une profession impliquait nécessairement une féminisation croissante.
Enfin, sans me sentir réellement « intégrée » au groupe étudié, une partie importante des
sujets sont des amis ou de « vieilles connaissances ». Bien que cela s‟avère particulièrement
cohérent avec mon choix d‟observation participante sur mes lieux de stage ou d‟emploi, au
festival de Dour, dans les associations toulousaines ou au sein du festival d‟Aurillac,
appréhender mes amis dans l‟optique d‟étudier leurs comportements, impliquait à mes yeux
une sorte de « double jeu » qui ne m‟inspirait pas beaucoup.
J‟ai donc choisi de leur expliquer ma démarche au préalable, d‟en discuter avec eux et de leur
permettre de me soumettre leurs suggestions concernant l‟approche que j‟adopterais. A ma
grande surprise, beaucoup ont soutenu ma démarche et ont même manifesté leur plaisir que
l‟on s‟intéresse enfin à ces « métiers de l‟ombre ». Les femmes se sont montrées
particulièrement accueillantes vis-à-vis de ma requête.
Au final, j‟ai délibérément écarté l‟option de les enregistrer lors de nos entretiens. Lors de
mes observations, il est vite apparu qu‟il était nécessaire pour eux de me considérer comme
« une des leurs », ou du moins comme quelqu‟un « qui savait de quoi ils parlaient ». S‟il
m‟est souvent arriver de prendre quelques notes devant eux, sous le prétexte qu‟ils m‟avaient
donné une idée dont je souhaitais me souvenir, la plupart des entretiens se sont effectués sur le
mode de la discussion, entre « potes » ou « collègues ». De plus, le terrain ne se prête guère à
des entretiens très formels : les pauses sont courtes, la masse de travail importante pour nous
tous, l‟ambiance alterne très rapidement stress et euphorie, et les enquêtés, habitués à être
effacés sur leur lieu de travail, ne souhaitaient pas me consacrer trop de temps dès lors que
cela n‟était pas dans un cadre informel.
11
Afin de ne pas m‟égarer, aveuglée par mes préjugés, j‟ai choisi de rassembler en premier lieu
des données qualitatives (entretiens, lectures spécialisées, documentation sur Internet) et de
les confronter aux données quantitatives que j‟ai pu collecter principalement à l‟aide d‟un
questionnaire élaboré suite à mes premiers entretiens type, mais également grâce aux enquêtes
du centre national d‟informations et de ressources pour les musiques actuelles, et de
l‟observatoire de l‟emploi culturel.
Les cas ne furent pas sélectionnés pour leur similarité mais au contraire pour leurs différences.
Comme le souligne Howard Becker « plutôt que d‟essayer d‟ignorer ou de “contrôler” les
variations locales, nous devrions trouver ces spécificités locales et construire nos résultats à
partir de ces différences » (Becker, 1998). Les secteurs et structures représentés sont donc très
variés : milieu théâtral, chorégraphique et musical, événements dans la rue ou dans une
structure « en dur », associations, sociétés et collectifs.
Une fois les difficultés inhérentes à ma position sociale détaillées, il n‟en reste pas moins que
de nombreuses définitions ont posé problème, notamment de par le processus inabouti de la
rationalisation de ce secteur. Ainsi, décrire la professionnalisation en cours d‟un secteur
« industriel de l‟art », ou détailler les différents métiers techniques alors qu‟ils ne sont pas
bien définis (postes polyvalents, autodidactes « touche-à-tout », frontière floue entre
« artiste » et « technicien » dans le spectacle vivant que ce soit au niveau des textes de lois ou
au niveau de la pratique) s‟est avéré bien périlleux.
Comment définir les professionnels techniques ? Cela désigne-t-il tous ceux qui ne sont pas
artistes comme les textes de lois le supposent ? Ou ceux qui font preuve de « technicité » et
manie un matériel « technique » ?
Aucune règle fiable n‟existant à ce sujet, et les frontières étant plus souvent franchies que
respectées dans ce milieu, nous conviendrons par convention que l‟objet de notre étude
renvoie aux « techniciens » ou « professionnels de la technique », soit du roadie au régisseur
général, tandis que « l‟organisation » renvoie aux professionnels en charge du travail en
amont de l‟événement (programmation, administration, production et communication,…).
De même, il est quasiment impossible de rencontrer les femmes qui ne sont pas parvenues à
s‟intégrer professionnellement, alors qu‟elles auraient pu illustrer les obstacles à la
féminisation du secteur. Autre réalité non documentée, l‟économie souterraine caractéristique
de la précarité du secteur reste bien sur invisible. Peut-on considérer que ces techniciens ne
12
sont pas professionnels, quand bien même cette économie du « black » représente une réalité
connue de tous les intermittents ? Quant-aux intermittents, représentent-ils une catégorie
d‟analyse, un statut de professionnel ou un régime d‟indemnisation du chômage ?
Autant de questions auxquelles la loi peine à répondre. Aussi nous ne prétendrons pas
solutionner l‟accès à une reconnaissance sociale, qui aboutirait éventuellement à une
professionnalisation totale du « métier », mais nous espérons seulement apporter quelques
pistes d‟analyse sur les pratiques et les logiques qui régissent un envers du décor bien trop
méconnu.
13
PARTIE 1
PROFESSIONNALISATION DES METIERS MASCULINS
Les métiers de la technique sont apparus dès les débuts du spectacle vivant, avec les premiers
machinistes (décors, éclairage à la bougie puis avec des rampes alimentées au gaz puis à
l‟électricité), mais ont considérablement évolué avec le développement de la sonorisation à
partir des années 30 et surtout au cours des années 60, au rythme des évolutions
technologiques de l‟amplification, de l‟enregistrement audiovisuel et de la scénarisation.
Cependant, comme nous l‟avons vu, il est très difficile de situer chronologiquement la
professionnalisation de ce secteur technique, caractérisé à ses débuts par la polyvalence et
l‟autodidaxie. Bien que des écoles spécialisées (pour la plupart privées) semblent avoir existé
en France depuis environ vingt ans, les entretiens effectués et les questionnaires1 administrés
aux professionnels affirment (pour la quasi-totalité) la grande importance de leur engagement
premier au sein de structures culturelles plus ou moins formelles et professionnalisées,
principalement associatives et alternatives aux réseaux professionnels. Leur « vocation » s‟est
ainsi construite comme ces structures se sont peu à peu institutionnalisées, leur bénévolat
devenant peu à peu l‟exercice d‟un savoir-faire reconnu, pour finalement aboutir à l‟exercice
d‟un métier, plus ou moins défini.
Il nous semble donc nécessaire de revenir sur le processus d‟institutionnalisation de ces
structures, afin de comprendre les évolutions rencontrées par ces anciens activistes au cours
de leur socialisation au sein du secteur du spectacle vivant.
1 Modèle en ligne en Annexe
14
CHAPITRE 2 : L’INSTITUTIONNALISATION D’UN MILIEU SUBVERSIF
Les festivals et associations du spectacle vivant qui ont constitué mon terrain d‟enquête
appartiennent à la génération issue de la décentralisation culturelle, précédés qu‟ils sont par
quelques grands frères d‟une première vague de l‟après-guerre et des transformations des
années 1970. Leur moyenne d‟âge est de vingt cinq ans, ce qui est le cas pour le Festival de
Théâtre de Rue d‟Aurillac, contre vingt-deux pour le Festival de Dour. Or, les années 80,
années de développement d‟une politique dite de « démocratie culturelle », sont aussi les
années de « réhabilitation des cultures populaires ». Leur entrée dans la sphère des
subventions publiques s‟est paradoxalement effectuée au milieu des années d‟affirmation
d‟une forte idéologie anti-institutionnelle, annoncée par le mouvement punk des années
76-77.
Aujourd‟hui encore, le milieu du spectacle vivant reste fortement marqué par ses premiers
acteurs et porte-paroles réunis sous des formes embryonnaires d‟associations loi 1901,
atomisées sur le territoire mais fédérées autour d‟une même « humeur anti-institutionnelle ».
Néanmoins, cette distance tant sociale que politique avec les pouvoirs publics, a cédé
progressivement la place à une demande croissante d‟intervention publique, et par là-même à
l‟entrée des pouvoirs publics dans la structuration du secteur, procédant peu à peu à son
institutionnalisation. Les acteurs associatifs ont pu ainsi accéder aux ressources matérielles,
économiques et symboliques qu‟offrent les pouvoirs publics.
« L‟institutionnalisation décrit le processus par lequel une activité est peu à peu séparée de
son support individuel, pour obtenir une existence sui generis ; l‟activité (gérer une
association) se trouve relativement séparée des individus, elle est objectivée dans une position
sociale, qui peut alors accueillir de nouveaux acteurs qui reproduiront l‟activité dans ce qu‟il
sera alors convenu d‟appeler un « poste » (un poste continue d‟exister avec toutes ses
propriétés sociales et techniques lorsqu‟il est déclaré vacant). »2
Or, la configuration générale du champ du spectacle vivant s‟était précédemment forgée
autour du théâtre, au cours des décennies 1950, 1960 et 1970, lorsqu‟émerge ce « nouveau»
segment d‟acteurs dans le champ. Le secteur des musiques actuelles s‟est donc inscrit dans un
2 Brandl (Emmanuel), L’ambivalence du rock : entre subversion et subvention, L‟Harmattan, 2009, p 264.
15
double niveau de contrainte et de structuration préexistantes qui ont eu une influence sur cette
émergence, à la fois en terme de causes, mais aussi d‟effets sur les modalités de leur
développement.
Cette évolution a généré une contradiction parmi ces acteurs, entraînés dans un rapport de
domination symbolique des pouvoirs publics contre lesquels ils s‟étaient initialement
structurés. Les organisations du spectacle vivant sont ainsi caractérisées par un double aspect :
« communautaire et sociétaire 3», sans jamais correspondre strictement aux « sociétés
traditionnelles » analysées par Durkheim, ni aux « bureaucraties d‟Etat » décrites par Weber.
« C‟est l‟hybridation des logiques d‟action qui caractérise le mieux, aujourd‟hui, ces
organisations, ne devant pas tout abandonner d‟elles-mêmes, mais devant intégrer les formes
organisationnelles issues d‟autres champs sociaux, comme le champ politico-administratif. In
fine l‟ambivalence « communauté-société » apparaît comme la contradiction dynamique [du
champ des musiques amplifiées] ; c‟est leur mécanisme d‟adaptation au champ culturel et
d‟adaptation du champ culturel à elles. »4
Le sort des professionnels techniciens du spectacle vivant dépend nécessairement des
évolutions dans ce champ culturel, et la situation de ses acteurs reflète toujours ces
contradictions. Nombreux sont ceux ayant appris en autodidactes au sein de ces associations
nées dans les années 80, qui revendiquant encore aujourd‟hui qu‟elles ont déclenché « leur
vocation », bien qu‟ils aient dû chacun leur tour se professionnaliser pour continuer à exercer.
En étudiant le processus d‟institutionnalisation des musiques actuelles, on illustre des
évolutions que l‟on peut – avec ses limites – apparenter à celles connues par la globalité des
mouvements culturels activistes des années 80 dans le spectacle vivant. Majoritairement
regroupés sous forme associative, leur persistance à ce jour relève de leur capacité à adapter
leur discours envers la sphère publique et à se professionnaliser. Les festivals de théâtre de
rue sont d'ailleurs, pour la majorité, issus de l'initiative des pouvoirs publics, ce qui a tout
naturellement entraîné la rationalisation des activités des acteurs associatifs. Les spécificités
de la « culture » musicale, théâtrale ou chorégraphique ne pourront bien évidemment être
abordées ici. Cependant on peut réellement parler d‟un « entre-soi » au sein des acteurs du
3 Brandl (Emmanuel), ibid.
4 Brandl (Emmanuel), ibidem.
16
spectacle vivant et d‟une « culture » commune, particulièrement incarnée en la personne du
technicien, qui exerce bien souvent au sein de chacun de ces segments du spectacle vivant.
Etude de cas : le secteur des musiques actuelles
Emergence du tissu associatif
Cet ensemble d‟acteurs alternatifs au secteur concentré des variétés n‟a pas émergé de façon
unitaire. « Localisées et regroupées au sein de famille esthétique, ces initiatives ont formé des
mondes relativement isolés les uns par rapport aux autres et n‟ayant pas émergés aux mêmes
moments »5.
Tout d‟abord le jazz (à partir des années 1930), puis le renouveau des musiques traditionnelles
(dans les années 1970), et enfin le rock (à partir de la fin des années 1970, mais surtout au
cours des années 1980 en France), ont vu se constituer des tissus d‟acteurs à diverses époques.
Néanmoins, ils se sont tous développés en opposition et/ou en alternative aux circuits
professionnels existants, dans une marginalité économique et professionnelle.
Le secteur des musiques actuelles, relativement jeune dans sa prise en compte par les
politiques publiques, s‟est structuré progressivement, en conjuguant institutionnalisation
croissante et constitution de ses propres réseaux et fédérations, fidèles à la multitude des
courants que regroupent les musiques actuelles.
Les années 1980 ont été le témoin d‟une émulation intense, du développement de nombreuses
initiatives et de la multiplication sur l‟ensemble du territoire d‟espaces de diffusion d‟un rock
français, jusque là exclu des circuits professionnels du spectacle vivant des musiques
actuelles, majoritairement contrôlés par les professionnels des variétés. Ces « scènes locales »
se sont ensuite connectées entre elles et ont amorcé une structuration nationale au cours des
années 1990. Deux facteurs ont participé à créer cette émulation et à l‟éclosion de ce tissu
d‟initiatives : l‟explosion de la pratique du rock par la jeunesse et l‟arrivée du punk, avec sa
démarche « Do It Yourself » (ou avec les moyens du bord et sans le soutien des autres).
5 Chantal (Sylvain), «Les réseaux musiques actuelles », Tohu Bohu, 11, 2008, p.13.
17
De nombreux viviers foisonnants et dynamiques de groupes et de passionnés activistes ont
ainsi constitué des réseaux locaux d‟acteurs. Les groupes cherchant à trouver des espaces pour
faire des concerts, et les activistes cherchant à promouvoir ces groupes, ont ainsi constitué la
base d‟un tissu associatif organisant des concerts partout où il le pouvait.
Bien souvent, le cadre administratif de « l‟association » reste à l‟état débauche, «l‟association
étant déclarée en préfecture, elle n‟a pour fonction que de permettre l‟occupation des lieux ».6
En effet, souvent réclamée par la municipalité afin d‟autoriser leurs manifestations,
l‟obtention du statut d‟association des premiers acteurs locaux obéit à une vision purement
utilitariste (pas de siège social, aucune réunion, aucun Conseil d‟Administration…).
Néanmoins, « cette rencontre entre ces deux univers de pratiques (celui des musiciens de punk
et celui des responsables municipaux), qui sont encore à ce moment là, grandement
indépendants, voire antagonistes, va modifier toute la trajectoire sociale de se groupe
d‟individus alors juridiquement constitué. »7
Néanmoins, l‟énergie déployée par les groupes et les associations pour trouver des endroits où
faire des concerts parvient à rencontrer l‟intérêt de divers lieux, le plus souvent non conçus
initialement pour accueillir des concerts de musiques amplifiées (café, MJC, discothèques,
café cabaret, café théâtre, …). Enfin, les festivals indépendants, qui se développèrent
également dans les années 80, ont largement contribué à la création d‟un réseau de diffusion
alternatif, qui avec le temps bénéficia aussi des aides des pouvoirs publics, lorsque ceux-ci
n‟avaient pas eux-mêmes œuvré à leur création, comme c‟est le cas pour le Festival de
Théâtre de Rue d‟Aurillac.
A partir des années 70 et surtout dans les années 80, que ce soit dans un premier temps pour la
chanson« à texte » ou « engagée », ou dans un second temps pour le rock, les Maisons des
Jeunes et de la Culture, les Foyers de Jeunes Travailleurs et autres Foyers Ruraux, ont
constitué les premiers espaces de diffusion des artistes et des groupes en marge des circuits
professionnels du spectacle qui privilégiaient la variété et les figures internationales. Par
ailleurs, les structures socioculturelles ont aussi développé, au cours des années 1980, des
activités connexes à la diffusion comme la répétition, la formation ou l‟enregistrement.
Abordant la pratique musicale avec une certaine globalité, ces structures ont ainsi continué à
6 Brandl (Emmanuel), ibid.
7 Brandl (Emmanuel), ibid.
18
pallier des manques, avec les moyens du bord. C‟est au sein de ces mêmes structures que
beaucoup d‟activistes ont eu accès pour la première fois au matériel technique de la
sonorisation et des lumières, et ont pu ainsi se former par l‟observation et la prise en main
progressive.
A cette époque, les premiers techniciens se définissaient avant tout comme des activistes,
appartenant à l‟association, et apprenaient le « métier » en autodidactes. Le matériel technique
se résumait à ce qu‟ils avaient réussi à « récupérer » et non pas à ce qui aurait été nécessaire
pour respecter la fiche technique.
« Le plus important, c‟est de faire avec ce que tu as. Le matos c‟est bien, mais si le groupe
sonne pas, de toute façon ça sonnera pas. Et puis avec du matos moyen, pas dernier cri quoi,
tu fais au mieux et des fois c‟est aussi bien. Y a toujours moyen de créer une ambiance »
revendique encore Jeannot, aujourd‟hui salarié d‟une association de musique amplifiées à
Aurillac, ayant « appris sur le tas » son métier depuis les années 80.
Quant aux salaires, majoritairement payés « au black », la plupart exerçait en passionnés, à
côté d‟un autre emploi plus alimentaire. Il n‟y a alors pas de division et de définition des
« postes » : la même personne assure la logistique (régie/technicien plateau), pousse les
caisses (roadie) et s‟occupent de la sonorisation, voire des lumières (ingénieurs son et
lumière). On peut y voir les prémices d‟un bénévolat actif qui caractérise aujourd‟hui la
plupart des initiatives culturelles indépendantes, et particulièrement les associations.
La structure majoritairement associative de ce tissu d‟acteurs ainsi que l‟économie de celle-ci
permettent de comprendre l‟informalité de leur fonctionnement. « Dans cette perspective, le
développement d‟un secteur associatif dans le champ des musiques actuelles au cours des
années 1970 et 1980 peut s‟interpréter comme une réponse à l‟absence de prise en compte de
toute une partie des expressions et des pratiques musicales par le secteur professionnel en
place à cette époque. Face à cette éviction et à cette ignorance, les porteurs et les passionnés
de ces musiques ont créé eux-mêmes leurs espaces d‟activités. »8
8 Demaline (Davy), La structuration des fédérations et des réseaux nationaux dans le secteur associatif du
spectacle vivant des musiques actuelles, Mémoire réalisé en 2006, dans le cadre du Master "Direction
d‟équipements et de projets dans le secteur des musiques actuelles" de l'Université d'Angers, sous la direction de
Gérôme Guibert.
19
Le théâtre comme matrice organisationnelle
Le champ du spectacle vivant français des années 1970 et du début des années 1980 était en
effet fortement dominé par le théâtre, utilisé par ailleurs comme « matrice organisationnelle et
sources de références professionnelles »9, que ce soit « en terme de volume d‟activité et
d‟infrastructure, d‟influence et de structuration professionnelle, ou de soutien par les
collectivités publiques. »10
. Il a ainsi influé sur la construction et la structuration du secteur
global du spectacle vivant, que ce soit pour sa partie « publique » ou « privée »
Le secteur associatif des musiques actuelles s‟est donc développé dans un contexte
professionnel et institutionnel pensé et construit à partir d‟un modèle d‟activité différent, et a
subis un certain nombre de cadres légaux et réglementaires inadaptés. Les structures
professionnelles de diffusion étaient en grande majorité des théâtres ou des lieux issus de la
décentralisation théâtrale. Bien que se voulant polyvalents dans les discours, ils avaient été
pensés pour accueillir du théâtre (place assise, salle en pente …), et étaientt ainsi rarement
équipés d‟une sonorisation adaptée à la diffusion de concerts musicaux amplifiés. La
configuration architecturale n‟était pas non plus propice aux comportements d‟un public de
concert de musiques actuelles.
« Le lieu de spectacle » et « le théâtre » passent d‟ailleurs quasiment pour synonymes, comme
en témoignent les recensements de l‟INSEE concernant les lieux de diffusion qui ne
distinguaient pas les différents types de salles de spectacles. Ainsi, en 1980, l‟INSEE
recensait 2331 salles de spectacles et 1346 centres culturels11
. Aussi, avant la fin des années
1980, il n‟est pas possible de quantifier précisément le nombre de salles de spectacles dédiées
aux musiques actuelles. Mais, les premières revendications des producteurs et des diffuseurs
spécialisés dans les musiques actuelles, à la fin des années 1970 et au tournant des années
1980, étant la création de lieux de diffusion spécifiquement pensés et dédiés aux musiques
actuelles, et pointant ainsi leurs difficultés à trouver des lieux de diffusion appropriés et
ouverts à ces expressions, laissaient entendre un constat de pénurie de ce type de lieu.
9Demaline (Davy)ibidem,
10 Demaline (Davy), ibid.
11 D‟Angelo (Mario), Socio-économie de la musique en France, La Documentation Française, Paris, 1997.
20
Dans un rapport de 1985, Bruno Lion, Jan Karczewki et Daniel Commins concluaient
d‟ailleurs (sans le quantifier pour autant) à « l‟absence [qu‟il faut entendre par l‟extrême
insuffisance] de circuits et de lieux de diffusion » spécialisés dans les musiques actuelles12
.
D‟ailleurs, le concept de salle de musiques actuelles semble n‟apparaître qu‟au cours des
années 1980, avec notamment la création des Zéniths. Au regard des 3677 lieux de diffusion
recensés en 1980 par l‟INSEE, ce constat de manque apparaît parlant.
Enfin, il convient de préciser que le faible maillage en équipement du territoire français en
lieux de diffusion adaptés et dédiés aux musiques actuelles est contrôlé à cette époque par un
nombre restreint de professionnels du spectacle (producteur, impresario, gérant de salle,
diffuseur/tourneur) concentrés à Paris, en lien avec l‟industrie du disque et les médias, et
concentrant la plus grande partie du marché du spectacle des musiques actuelles.
Ainsi, le statut associatif, l‟activité bénévole et non lucrative, la capacité des salles, la
marginalité des musiques défendues, l‟audience des types de musique diffusés, toutes ces
caractéristiques fondamentales des initiatives qui ont éclos à cette période induisent
structurellement des problèmes vis-à-vis des cadres légaux en vigueur dans les années 1980 et
de l‟équilibre économique de l‟activité dans le cadre du marché. Ces associations furent ainsi
confrontées à trois types d‟incompatibilité avec les cadres légaux du spectacle vivant
renvoyant à trois sources de droit différentes : la réglementation spécifique du spectacle, le
droit du travail et la réglementation sur la sécurité dans les Etablissements recevant du public
(ERP).
Cependant, la visibilité grandissante de ces initiatives a attiré l‟attention des caisses sociales,
des syndicats de salariés, de la SACEM ou de l‟inspection du travail sur leur fonctionnement.
Les contrôles administratifs et techniques croissants ont ainsi progressivement obligé ces
espaces de diffusion à rentrer dans les cadres légaux du spectacle vivant, entraînant des
fermetures de lieux et des cessations d‟activité pour ceux qui ne pouvaient pas s‟y conformer.
En l‟espace d‟une décennie, un flux et un reflux ont eu lieu, l‟important développement de ce
réseau alternatif l‟exposant directement à la sanction légale.
12
Bruno Lion, Jan Karczewki et Daniel Commins, Le rock à la recherche de lieux, Ministère de la Culture, DEP,
Paris, 1985
21
Ainsi, la fin des années 1980 et le début des années 1990 ont été les témoins de la disparition
de nombreux de ces petits lieux de diffusion.13
Un cadre législatif et réglementaire inadapté
La mesure législative fondamentale du spectacle vivant, l‟ordonnance de 1945, qui institue la
profession « réglementée » d‟entrepreneur de spectacle en soumettant toute entreprise
œuvrant dans le champ à l‟obligation d‟être titulaire d‟une Licence délivrée par l‟Etat,
traduisait encore une certaine focalisation sur l‟activité théâtrale. En effet, jusqu‟à sa révision
en 1999, l‟ordonnance de 1945 opérait une classification des entreprises de spectacle à partir
d‟une typologie relativement incohérente, mêlant des critères de genres artistiques et de types
de lieux de spectacle, mais qui reflétait l‟état de domination du théâtre sur le secteur du
spectacle vivant.
Les six catégories déterminées par l‟Ordonnance sont :
- Catégorie 1 : Théâtres nationaux.
- Catégorie 2 : Autres théâtres fixes.
- Catégorie 3 : Tournées et théâtres démontables exclusivement consacrés à des spectacles
d‟art dramatique, lyrique ou chorégraphique.
- Catégorie 4 : Concerts symphoniques et autres orchestres divers, chorale.
- Catégorie 5 : Théâtre de marionnettes, cabarets artistiques, cafés concerts, music halls et
cirques
- Catégorie 6 : Spectacles forains, exhibitions de chant et de danse dans les lieux publics et de
tous spectacles de curiosités et de variétés.
Au travers de cette classification, la prédominance du théâtre ressortait clairement (deux
catégories lui sont exclusivement consacrées). Les musiques actuelles étaient intégrées dans le
« fourre-tout » que constituent les deux dernières catégories. Cette typologie retranscrit de
nouveau l‟amalgame entre le terme de « théâtre » et celui de lieu de spectacle.
13
Dampenon (Philippe), Les petites structures de spectacles, Fond de Soutien Chanson Variétés Jazz, Paris,
1988. Dans un rapport datant de décembre 1988, le Fond de Soutien Chanson Variétés Jazz (FSV) notait la
disparition de 60% du réseau national des petites salles de spectacles programmant régulièrement des musiques
actuelles entre 1983 et 1988, passant selon ses données d‟une centaine à une quarante.
Néanmoins, il faut noter que les données du FSV étaient basées sur les affiliées et les payeurs de la taxe
parafiscale, ce qui excluait de son panel la plupart des petites structures alternatives dont il est ici question.
22
Il convient aussi de préciser que l‟Ordonnance de 1945 inscrivait l‟activité professionnelle
d‟organisation de spectacle uniquement dans le cadre des activités lucratives, car seules les
entreprises sous statut commercial avaitt accès à la Licence d‟entrepreneur de spectacle
(SARL, SA …). Les acteurs du secteur associatif étaient exclus de ce fait des cadres légaux de
l‟activité professionnelle de spectacle.
Par ailleurs, il importe aussi de préciser que l‟objectif de l‟Ordonnance de 1945 était de
normaliser et de rationaliser le secteur du spectacle vivant, et notamment en incitant les
entrepreneurs de spectacle « à assumer un statut d‟employeur et à remplir les obligations
légales liées à l‟activité ». Cette normalisation et cette inscription de l‟entrepreneur de
spectacle dans un rôle d‟employeur poseront notamment des problèmes au secteur associatif,
que se soit pour des raisons économiques (difficulté à assumer toutes les charges découlant
des obligations légales d‟employeurs) ou symboliques (ambiguïté et inadaptation de la notion
d‟employeur dans le secteur associatif qui affichait une volonté d‟absence de hiérarchie).
De nombreux autres exemples de législation témoignent de l‟omniprésence de la matrice
théâtrale :
- le décret du 19 décembre 1953 relatif à l‟organisation des spectacles amateurs (censé régir
l‟activité de spectacle des praticiens amateurs et leur rapport concurrentiel avec les entreprises
de spectacle, principalement à destination des « troupes de théâtres » et des « fédérations de
théâtre amateurs ».
- les réglementations professionnelles, issues des trois conventions collectives nationales
(CCN) dans le spectacle vivant au début des années 1980 :
- la CCN du Théâtre Privée datant de 1977 et portée par le Syndicat des directeurs de
théâtre privé (SDTP) qui représente quasi-uniquement des théâtres privés parisiens.
- la CCN des Entrepreneurs de spectacles et artistes dramatiques, lyriques,
chorégraphiques et de variété en tournée (1958) portée par le Syndicat national des
entrepreneurs de spectacle (SNES), qui regroupe principalement des grandes
entreprises de tournées issues de la tradition des grandes tournées théâtrales dans le
contexte de « désertification culturelle de la France » précédant la décentralisation
théâtrale menée par le Ministère de la Culture à partir des années 1950.
23
- La CCN des Entreprises Artistiques et Culturelles, datant de 1984, qui concerne tous
les entrepreneurs de spectacle « privé ou public », exploitant un lieu fixe ou non, étant
régulièrement subventionné. La création de cette convention collective a été portée par
le SYNDEAC, Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, qui regroupe
principalement des théâtres publics issus de la décentralisation théâtrale et des
compagnies de théâtre conventionnées par le Ministère de la Culture.14
Malgré leur origine syndicale représentant principalement le monde du théâtre, ces trois
conventions collectives ont été étendues à l‟ensemble du champ du spectacle vivant, au risque
de ne pas être adaptées aux réalités des nouveaux entrants, telles les musiques actuelles. En
effet, seul le secteur théâtral était structuré professionnellement à cette époque, ayant créé des
syndicats pour défendre ses intérêts professionnels et agir sur les cadres de leur activité. Le
premier syndicat spécifique aux musiques actuelles n‟est fondé qu‟en 1988 : le SNPS
(Syndicat national des producteurs de spectacles, devenu en 1996 le Synpos, et enfin le
Prodiss en 2000).
L‟antériorité de la structuration professionnelle du secteur théâtral a eu comme conséquence
d‟imprimer sa marque dans la morphologie de la structuration professionnelle de l‟ensemble
du spectacle vivant. En effet, au tournant des années 1980, le spectacle vivant est structuré en
deux grands ensembles, le secteur dit « public » et le secteur dit « privé », dont la
formalisation tend à se renforcer à l‟heure actuelle. Cet héritage de la structuration propre au
théâtre définit un secteur public, constitué des structures initiées et subventionnées par l‟Etat
et les Collectivités Territoriales, notamment à partir des années 1960 dans le cadre de sa
politique volontariste de décentralisation théâtrale, ainsi qu‟un secteur privé, constitué des
entrepreneurs de spectacle (producteur, diffuseur, salle de spectacle), sous forme d‟entreprise
commerciale (SARL, SA, …) suite à l‟Ordonnance de 1945 qui avait inscrit le secteur privé
du spectacle vivant dans une logique commerciale et lucrative, ne bénéficiant pas de
subventions pérennes de la part des pouvoirs publics. Cet aspect ne sera modifié qu‟en 1992.
Cette bipolarité de la structuration professionnelle du secteur du spectacle vivant ne
correspond pas à la voie choisie par les acteurs du secteur associatif des musiques actuelles,
14
Demaline (Davy), ibid. Elle-même fait référence à : Jérôme Guibert, Scènes locales, scènes globales, Thèse de
doctorat de sociologie, Nantes, 2004, ainsi qu‟au Décret du 19 décembre 1953 relatif à l‟organisation des
spectacles amateurs et leurs rapports avec les entreprises de spectacles professionnels et à Joëlle Farchy et
Dominique Sagot-Duvauroux, Economie des Politiques Culturelles, PUF, Paris, 1994.
24
qui s‟inscrivent à la fois dans une démarche d‟initiative « privée » et dans une configuration
économique nécessitant des financements publics, se retrouvant ainsi dans une situation
intermédiaire.
La reconnaissance par les pouvoirs publics
Structurellement empêtré dans cette situation, une issue s‟est présentée lorsque l‟Etat et les
Collectivités Territoriales ont décidé de soutenir ce segment du secteur des musiques actuelles
à partir de la fin des années 1980, suite à diverses études.
Les enquêtes du Département des Etudes et de la Prospective du Ministère de la Culture sur
les pratiques culturelles des français ont ainsi mis en avant un accroissement constant depuis
1973 de l‟écoute et de la pratique (individuelle et en groupe) de la musique, et principalement
du rock chez les classes d‟âges 15-19 ans et 20-24 ans, témoignant de l‟importance de la
musique dans la construction identitaire et dans la vie de la jeunesse.
L‟aide des pouvoirs publics, qui passa par diverses étapes, a largement contribué à stabiliser
et à professionnaliser ces acteurs associatifs, soit en les confortant, soit en soutenant leur
création, soit en sanctionnant leurs initiatives. De la même manière elle instaure une
domination symbolique légitimée sur la base de leur capital de certification (de consécration
administrative), de leur capital économique et de leur capital symbolique (de consécration
culturelle)15
.
Le mouvement de structuration du secteur associatif des musiques actuelles s‟est inscrit dans
un contexte institutionnel et politique particulier : l‟arrivée de la gauche au pouvoir en 1981.
Infléchissant la ligne politique fixée depuis André Malraux, le 2nd
Ministère de Jack Lang a
ouvert le périmètre des expressions artistiques intéressant l‟action du Ministère de la Culture,
et notamment en direction des musiques actuelles, considérées pour la première fois comme «
le laboratoire indispensable des talents de demain 16
».
15
Brandl (Emmanuel), ibid. 16
O. Donnat (Olivier), Tolila (Paul), Le(s) public(s) de la culture, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p.155-
180.
25
Les années 1980 ont aussi vu le développement d‟autres espaces de diffusion alternatifs aux
circuits du music hall et des variétés : les festivals. Bien que certains soient directement reliés
et participent de l‟industrie du spectacle musical (Printemps de Bourges), la multiplication des
festivals a aussi contribué à la création d‟un réseau de diffusion alternatif. Aussi, malgré une
certaine focalisation des pouvoirs publics sur l‟aide aux salles, les festivals ont aussi profité
d‟un soutien public, allant parfois jusqu‟à la prise d‟initiative de leur création (Eurockéennes
de Belfort).
Dans le cadre de son action culturelle, l‟Etat a soutenu la structuration collective des acteurs
du secteur associatif, notamment dans l‟espoir de voir leurs fonctionnements se normaliser et
se formaliser.
Toutefois, l‟attention du Ministère se focalisait sur des problématiques d‟ordre professionnel
et économique, l‟objectif étant de « trouver des structures intermédiaires entre d’une part les
cafés concerts et les boîtes de nuit, et d’autre part le circuit traditionnel des grandes salles de
music hall et des complexes Zénith », dans l‟optique de dégager « des points d’appui pour la
mise en place de tournées véritablement professionnelles et professionnalisantes pour les
artistes »17
. Parallèlement, cette focalisation sur la problématique de la professionnalisation
traduisait la volonté de l‟Etat d‟influer sur la normalisation d‟un monde dont le
fonctionnement était caractérisé par l‟informalité et l‟illégalité vis-à-vis du droit du travail et
de la propriété intellectuelle, et échappant en grande partie au contrôle des pouvoirs publics.
L’accumulation de « capitaux »
Selon Emmanuel Brandl, le processus d‟institutionnalisation réside aussi dans ses effets
constitutifs de « capital symbolique » et de « capital de sociabilité ». Il établit une relation
concomitante entre le degré d‟institutionnalisation des organisations et la structure du
« capital de sociabilité » accumulé, lequel comprend deux « états », organique et mécanique,
selon le mode de solidarité de ses individus, et inévitablement le mode de socialisation
(communautaire ou sociétaire).
L‟institutionnalisation serait donc avant tout un processus de différenciation des activités qui 17
Jacques Chabrillat, Les nouveaux lieux culturels, ARSEC, Lyon, 1990. Propos relatif aux conclusions du
rapport de Bruno Lion, Les petits lieux musicaux dans les secteurs du rock et des variétés, DEP, Paris, 1989.
26
amène un phénomène de rationalisation bureaucratique des structures et une division des
tâches en termes de « postes », entraînant une « hiérarchisation stricte des pouvoirs de
décisions, [une] délimitation réglementée des champs de compétence, [des] revenus fixés dans
une grille, [une] standardisation des carrières, [une] discipline […] et [une] spécialisation.18
»
En retour, ces postes agissent sur leurs occupants comme « autant de contraintes et de points
d‟appui à toute nouvelle action.19
» L‟institutionnalisation, par son acte fondateur de se
déclarer sous une forme juridictionnelle (en association ou en SARL…), entraîne l‟obtention
de bâtiments, mais également de routines, de techniques, de vocabulaire, de droits… Elle
participe à la mise en place d‟une division du travail et des représentations induites, « des
procédures bureaucratisées […] qui rendent le destin de la personne collective moins
dépendant du jeu des actions et interactions entre agents (c'est-à-dire surtout entre porte-
parole).»20
Au niveau symbolique, l‟institutionnalisation fait écho au « processus de légitimation
culturelle » de Bourdieu, constitutif du « capital symbolique » ou de reconnaissance.
Au niveau de la nature du lien social qui lie entre eux individus, fonctions et sphère d‟activité,
l‟institutionnalisation renvoie au processus de passage d‟un lien de « solidarité mécanique » à
un lien de solidarité organique », et consécutivement, d‟une « socialisation communautaire » à
une « socialisation sociétaire ».
Ce processus induit donc des changements profonds dans les logiques internes :
« D‟un état primitif d‟indivision des fonctions, de logiques coopératives sans hiérarchisation,
d‟un processus de création collective continuée, de relations sociales où ce sont les logiques
interindividuelles qui dominent face aux relations statutaires, on passe à une séparation
progressive de toutes ces fonctions, à une logique de hiérarchisation et de subordination (c‟est
le principe premier d‟un contrat de travail), de relations sociales où ce sont les relations
statutaires qui dominent, où l‟on parle moins de famille que d‟équipe. »21
On passe alors de pratiques collectives « qui dépendent surtout des habitus pour leur
reproduction » à des pratiques collectives qui « dépendent principalement de mécanismes
objectifs, tels que ceux qui tendent à garantir la reproduction du capital économique et du
18
Brandl (Emmanuel), ibid. 19
Boltanski (Luc), Les cadres, la formation d’un groupe social, Paris, Minuit, 1982, p.235. 20
Boltanski (Luc), ibidem. 21
Brandl (Emmanuel), ibid.
27
capital culturel et auxquels il faut ajouter toutes les formes de contraintes organisationnelles
[…] et de codification des pratiques. »22
Ces profonds changements sont consécutifs au processus d‟accumulation des différents
« capitaux » qui se traduit par : plus de personnel, de subventions, d‟activité, de
manifestations, de reconnaissance locale…
Afin de se légitimer, les structures tendent à pallier leur manque en capital spécifique :
- capital culturel incorporé (ou savoir-faire), objectivé (réputation, couleur),
institutionnalisé (compétences et labellisation),
- capital économique propre à la structure, privé (mécénat), public (subvention, locaux),
objectivé (matériel),
- capital social interne (l‟équipe, plus ou moins professionnalisée), externe (contacts
professionnels, pairs, mais aussi public), politique (connaissances dans le champ
politique) ou journalistique,
- capital juridique (selon la structuration en association ou en SARL)
Ces capitaux n‟ont de valeur et de sens que dans leur combinaison. Afin d‟y parvenir, les
structures cherchent de plus à plus à s‟adapter dans leur démarche, leur discours et dans le
recrutement de leur personnel selon les capitaux apportés par chacun.
Ceci implique un changement des dispositions sociales des acteurs du spectacle vivant. Si l‟on
devait établir un portrait de l‟activiste militant originel ce serait celui d‟un individu mû par la
défense et la promotion d‟une idée, d‟un contenu. Ces individus se sont investis sans compter
dans le montage de leur projet. Le parcours type de cet activiste militant est celui de la
personne « passionnée » par un contenu artistique ou un projet culturel, qui s‟implique
bénévolement ou à « temps perdu » (économiquement) dans la réalisation d‟une activité pour
diffuser et promouvoir l‟objet de sa passion, montant sa structure (le plus souvent une
association) pour défendre son projet d‟activité, et se professionnalisant dans un second temps
afin de pérenniser et de développer son projet.
De cette manière, si les acteurs militants du secteur accèdent aux « nouveaux postes » créés à
l‟aide du soutien des collectivités à la fin des années 80, ils devront céder leur place dès que
22
Bourdieu (Pierre), Médiations pascaliennes, Seuil, 1997, p.256.
28
les propriétés sociales des postes s‟avéreront supérieures à leurs propres dispositions, aux
capitaux accumulés au cours de leur carrière. Les autodidactes ne pouvant adapter leur
discours aux nouvelles représentations de leur poste, subissent une violence symbolique qui
les relègue au rang de « militants charismatiques dépassés » et les entraîne à « passer la
main » aux jeunes diplômés, disposant d‟une « aptitude socialement conditionnée à maîtriser
et à utiliser les règles de production des comportements accordées aux positions occupées et
[…] d‟une aptitude à faire varier les manières, le style, le discours, les conduites. »23
On
assiste à une diminution de la distance sociale entre le poste (par exemple de président) et les
caractéristiques de la personne qui l‟occupe, ou à un « ajustement réaliste aux structures
objectives ».24
La formalisation et la rationalisation du secteur se traduisent aussi dans l‟aménagement des
lieux occupés, qui vise à gommer peu à peu leur origine « anti-institutionnelle » (hygiène,
horaires strictes, décoration …) afin d‟éviter le « déclassement » et de réaffirmer leur
légitimité. Peu à peu, cela peut conduire à l‟éviction de styles jugés trop anti-conventionnels
et à déposséder les lieux socialement25
. De même les conditions d‟apprentissage, ou
d‟incorporation des valeurs, des techniques évoluent, laissant moins de place aux savoir-faire
autodidactes pour plus de technicité.
Cette professionnalisation entraîne un sentiment d‟incertitude et de méfiance, voire
d‟injustice, de la part des acteurs possédant le moins de « compétences », autrement dit en
grande majorité les plus anciens, à l‟origine de l‟émergence du secteur. Or, avec la
rationalisation de leurs activités, les structures cherchent moins à se doter en « savoir-faire »
qu‟en « compétences avérées», sanctionnées par des diplômes notamment. Le paradoxe réside
dans le fait que les premiers militants fondateurs, en cherchant à développer leurs activités et
à être reconnus, ont participé aux conditions de leur propre décalage, voire de leur exclusion.
Le « temps des changements » ou le processus d‟institutionnalisation des structures participe
alors d‟un clivage des habitus, « coincées entre un ethos de l‟entre-soi et la discipline
bureaucratique »26
. De la même manière, la sociabilité primaire initiale, entre « potes », se
23
Boltanski (Luc), L‟espace positionnel. Multiplicité des positions institutionnelles et habitus de classe, Revue
française de sociologie, 14, 1973, p3-26. 24
Bourdieu (Pierre), La force du droit, éléments pour une sociologie du champ juridique, Actes de la recherche
en sciences sociales, 64, Sept 1986, p3-19. 25
Brandl (Emmanuel), ibid. 26
Brandl (Emmanuel), ibid.
29
déstructure : tous les « potes » ne se retrouvent pas forcément dans les nouveaux objectifs, le
rapport au sein de l‟équipe ou même avec le public, et la disparition de leur « culture ».
Cependant ce secteur ne peut exister en reniant totalement « cette culture » qui donne du sens
et participe à la construction de l‟entre-soi et des valeurs communes à des générations
d‟acteurs. Le dilemme réside dans ce fragile équilibre entre « légitimité culturelle » et
« valeurs originelles ».
La plupart des responsables affichent donc encore aujourd‟hui des positions ambivalentes : ils
cherchent la reconnaissance des pairs vis-à-vis de leur éthique subversive, mais nécessitent
plus que jamais la reconnaissance institutionnelle pour perdurer à l‟heure d‟une fragilité
persistante du secteur du spectacle vivant. Ils empruntent donc des « positions-carrefours »
instables, en tentant de faire concorder une imagerie alternative et autonome, et un discours
« normé doublé d‟une maîtrise des rouages et des stratégies administratives »27
.
L‟ambivalence se traduit alors à tous les échelons de l‟organisation, qui revendique réussir à
conjuguer les compétences et le savoir-faire, la rigueur entrepreneuriale et la souplesse de
l‟association militante, des relations fonctionnelles et des « potes dans le milieu »…
La structuration nationale en réseau
Le développement et la professionnalisation croissante de ces tissus d‟acteurs se sont
accompagnés de leur structuration collective au cours des années 1980 et 1990, au sein
d‟organisations professionnelles.
Fortement localisés dans un premier temps, c'est-à-dire attachés à un territoire et développant
des activités rayonnant sur des espaces délimités, les acteurs d‟un même univers musical ont
commencé à se connecter entre eux à l‟échelle nationale au cours des années 1980 et des
années 1990. Acquérant progressivement une certaine stabilité et engagée sur la voie de la
professionnalisation grâce aux aides des pouvoirs publics, une partie de ces tissus associatifs
s‟est fédérée afin de faire valoir et de défendre collectivement leurs existences et leurs
objectifs.
27
Brandl (Emmanuel), ibid.
30
La progressive consolidation des structures les moins précaires et acceptant de jouer le jeu de
l‟institutionnalisation, a rendu possible et s‟est accompagnée d‟une structuration collective.
En effet, la création des fédérations et des réseaux est concomitante de l‟arrivée des
financements publics en direction du secteur associatif. L‟acquisition d‟un minimum de
pérennité est ainsi apparue comme un préalable pour que les acteurs puissent envisager de se
regrouper et d‟agir collectivement. A cet égard, il ressort que ce sont les structures bénéficiant
d‟un subventionnement relativement pérenne, qui sont fédérées.
Le choix d‟une structuration en réseau et sous forme associative apparaissait être une réponse
adaptée à « l‟objet du regroupement, qui est la poursuite d‟un objectif désintéressé, artistique
et culturel, et non pas la défense d‟un type d‟entreprise ou d‟un secteur économique »28
. La
forme syndicale n‟apparaissait donc pas en accord avec les objectifs des acteurs. La technicité
et le juridisme du travail des syndicats n‟intéressaient pas les fondateurs des fédérations et
réseaux, majoritairement des activistes militants dont les objectifs n‟étaient pas encore axés
sur les cadres légaux et professionnels de leur activité. Au regard de la réalité de leur
quotidien et de leurs problèmes de gestion, ces questions apparaissaient trop lointaines et
déconnectées de leurs besoins premiers. Par ailleurs, les porteurs des structures fondatrices ne
se reconnaissaient pas dans la dichotomie paritaire opposant employeur et salarié.
La primauté de l‟objet artistique entraînera donc une structuration par familles esthétiques
alors même que l‟environnement professionnel du spectacle vivant s‟était construit autour
d‟une entrée économique et professionnelle basée sur les types d‟économie (privée ou
publique) ou les types d‟activité (producteur, diffuseur, salle de spectacle).
L'histoire retiendra de la structuration des acteurs du secteur associatif des musiques actuelles
en fédérations ou en réseaux, les deux réseaux précurseurs :
Le "Réseau Rock" initié par une poignée de militants de la musique, qui autour de la
question de l'information ont organisé un maillage de correspondants sur le territoire
national. Leur mission : identifier les lieux de diffusions, les groupes dans chaque
région... En 1994, ce réseau deviendra l'IRMA, structure nationale d‟informations et
de ressources pour les musiques actuelles, qui regroupe le CIJ (Centre d‟information
du jazz), le CIMT(Centre d‟information des musiques traditionnelles et du monde), le
CIR (Centre d‟information rock, chanson, hip-hop, musiques électroniques).
28
Chantal (Sylvain), ibidem.
31
Du coté de la diffusion le "Réseau Printemps", développera des antennes pour
repérer et soutenir des découvertes musicales qui sont invitées aux Printemps de
Bourges.
Aujourd'hui sous l‟impulsion de la Fédurok29
notamment, les réseaux ont engagé une
réflexion autour des politiques publiques, rejoignant les questions liées au développement et à
l‟aménagement du territoire. D‟autre part, une structuration professionnelle, autour des
questions de l‟emploi (conventions collectives) et de la fiscalisation des structures de droit
privé à but non lucratif, a été développée afin de mieux représenter le secteur dans les
instances paritaires. Cette évolution, en particulier dans le contexte actuel, a conduit à des
réflexions plus engagées et vindicatives à l‟exemple de celles portées par l‟Ufisc (Union
Fédérale d‟Intervention des Structures Culturelles).
L‟heure est aujourd‟hui au regroupement et à la mise en synergie sur des enjeux
transversaux, dépassant le seul champ des musiques actuelles. En parallèle, autour de la
création par le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres le 16 janvier 2006 du
Conseil Supérieur des Musiques Actuelles (CSMA), une plate-forme de dialogue a été mise
en œuvre entre les fédérations et syndicats professionnels des musiques actuelles et les
fédérations d‟élus (Association des régions de France, Association des départements de
France, Association des grandes villes, Fédération des élus pour la culture, Fédération
Nationale des Collectivités pour la Culture…), qui s‟organisent en fonction des territoires et
des domaines de compétence. Si le CSMA peine à trouver son juste positionnement dans un
contexte national morose, cette démarche a conduit à l‟activation d‟une nouvelle étape dans la
structuration régionale.
D‟autres démarches relèvent par ailleurs d‟organisations professionnelles paritaires
structurées à partir des représentations syndicales (SMA, Prodiss, Snam…).
Tous ces nombreux réseaux et fédérations peuvent se classer en trois grandes familles :
- les réseaux et fédérations liées aux esthétiques artistiques (FAMDT, AFIJMA, Zone
Franche, FSJ…),
29
Fédération française rassemblant 71 structures et équipements œuvrant pour la diffusion et l'accompagnement
de pratiques artistiques dans le secteur des musiques actuelles et amplifiées.[
32
- les réseaux et fédérations liées aux fonctions ou métiers (le réseau de festivals De
Concert !, le Réseau Printemps, le réseau des correspondants de l‟Irma, la Fédurok,
l‟Ufisc, le Réseau Ressource, Musiques et danses, le collectif RPM, la Fnejma…)
- les réseaux ou fédérations liées au développement des territoires (PRMA, RIF…).
La volonté de se regrouper en réseau atteste ici autant de leur conscience de
professionnalisation du secteur, voire même de leur volonté de le professionnaliser davantage
pour le pérenniser, mais également de l‟affirmation d‟une « culture commune » de ses acteurs
souhaitant s‟autonomiser de la sphère publique. Cette dernière (à tous les échelons) collabore
d‟ailleurs de plus en plus avec ces regroupements d‟acteurs afin d‟élaborer sa politique
culturelle.
On remarque également que ces acteurs se sont regroupés au nom de leur structure, ou de leur
« culture », et non pas au nom de leur statut ou de leur « poste », pourtant aujourd‟hui mieux
définis. Cependant, la nature des relations entretenues par ces acteurs au sein de ses réseaux,
bien que souvent issues d‟une initiative affective au départ, a été modifiée par le processus
d‟institutionnalisation : ce sont moins des « potes » que des « professionnels » qui
collaborent.
Lequel du lien « socio-musical30
» (amis en premier lieu et collaborateurs en deuxième lieu)
ou « musico-social » (des professionnels de la musique qui deviennent par la suite des amis)
détermine le plus les relations dans le champ ? La socialisation sociétaire a-t-elle
définitivement pris le pas sur la socialisation communautaire ?
L‟institutionnalisation ne peut aboutir à des changements aussi radicaux dans un secteur
construit à l‟origine à l‟encontre des logiques institutionnelles. L‟entre-deux persiste, mêlant
« l‟affect » caractérisé par la « vocation pour un projet fédérateur » et « le professionnalisme »
nécessaire à la survie de « l‟entreprise ». Ainsi ce secteur, et tout particulièrement les
« professions mal définies » comme celles de la technique31
, demeure marqué par la
polyvalence et l‟opacité de la division du travail, non pas officiellement (au regard des
institutions, des collectivités locales…) mais plus officieusement au sein même des logiques
30
Brandl (Emmanuel), ibid. 31
Voir Annexe « Les « postes » de techniciens du spectacle »
33
de l‟organisation interne. L‟émergence « d‟acteurs pivots32
» possédant les dispositions
sociales et culturelles au carrefour du « monde culturel alternatif » et du « champ
institutionnel » a d‟ailleurs été indispensable à ce processus d‟institutionnalisation.
Constat méthodologique
Selon Bourdieu, le concept de « champ » présuppose qu‟une activité n‟existe qu‟à partir du
moment où elle bénéficie d‟un certain degré d‟objectivation, soit de professionnalisation.33
Or, comme le montre Emmanuel Brandl, dans notre cas, cela rend difficile de penser « le
passage de l‟avant à l‟après institutionnalisation autrement que comme le passage du rien au
tout. […] En fait les champs correspondent assez bien aux domaines des activités
professionnelles (et/ou publiques) en mettant hors jeu les populations sans activité
professionnelle. ». Le concept de champ suppose un « certain degré d‟objectivation, une
inscription dans la durée, ne serait-ce que parce que les positions qui structurent le champ sont
relativement indépendantes de leurs occupants.34
» A l‟inverse, dans la théorie
interactionniste, les positions occupées ne peuvent être séparées de leurs occupants.
Mais concernant notre objet, « le processus d‟institutionnalisation permet cette relative
autonomisation, faisant que le destin de la personne collective est moins dépendant du jeu des
actions et des interactions entre les acteurs35
».
Nous sommes donc ici à l‟intersection entre les concepts de « champ » et de « monde », tous
deux montrant des limites à l‟analyse des conditions sociales et des processus
d‟institutionnalisation pour le « milieu » du spectacle vivant.
Ici le concept de « champ » paraît plus indiqué pour l‟analyse des institutions et des rapports
de domination qu‟elles entretiennent avec les structures fortement professionnalisées du
spectacle vivant. Le concept de « monde36
» quant à lui convient mieux aux groupes informels
qui gravitent autour (moins professionnalisés, amateurs ou « hors champ37
») et aux relations
32
Brandl (Emmanuel), ibid. 33
Bourdieu (Pierre), Les règles de l‟art. Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, 1992. 34
Lafaye Claudette, La sociologie des organisations, Nathan, 128, 1996, p. 99. 35
Brandl (Emmanuel), ibid. 36
Becker (HS), Les mondes de l’art, Flammarion, 1998. 37
Lahire (Bernard), « Champ, hors-champ, contre-champ », in Lahire (B.) dir., Le travail sociologique de Pierre
Bourdieu, dettes et critiques, La Découverte, 1999, p 293-58.
34
interindividuelles subjectives. Le secteur étudié dans ce mémoire illustre parfaitement les
propos de Lahire :
« Tout contexte pertinent d‟activité n‟est pas un champ […mais] un univers relativement
autonome qui possède sa logique propre de fonctionnement, [et qui] est une configuration de
relations d‟interdépendances entre des êtres jamais totalement interchangeables »38
.
Les concepts de « champ » et de « monde » apparaissent ici comme des concepts
synchroniques39
. Selon le stade atteint dans le processus d‟institutionnalisation (qui n‟est pas
linéaire), il nous faut faire appel aux deux pour comprendre le passage, jamais radical, de
groupes informels reposant en priorité sur une sociabilité affective, à des institutions aux
relations interindividuelles fonctionnelles et objectivées dans des positions ou des « postes ».
L‟ambivalence caractéristique des positions empruntées par les professionnels du spectacle
vivant est symptomatique de l'institutionnalisation en cours des musiques actuelles (ou du
théâtre de rue) qui constitue un des principaux marchés de l'emploi, mais aussi l'espace de
socialisation premier de la majorité des techniciens rencontrés. La professionnalisation de ses
métiers ne serait alors pas aboutie à ce jour, du moins au regard de la rationalisation des
comportements et pratiques au sein du groupe professionnel. Cela s‟illustre par les difficultés
à définir des "postes" et des "tâches" distinctes dans les métiers et par la prévalence
persistante de l'autodidaxie. Le statut dominant d'intermittent en France et le non-statut en
Belgique - qui posent problème actuellement40
- révèlent aussi l'inachèvement du processus de
professionnalisation.
Sans nous étendre plus en avant sur les problèmes liés à la faible reconnaissance sociale de
ses métiers encore mal définis41
entre eux, nous tenterons de mettre à profit cette période
dynamique pour déterminer l‟impact de la professionnalisation de ce secteur de l‟emploi
technique sur la mixité du groupe professionnel.
38
Lahire (Bernard), ibidem. 39
Brandl (Emmanuel), ibid. 40
Voir Annexe « Le régime d‟assurance chômage des intermittents du spectacle » 41
Voir Annexe « Les « postes » de techniciens du spectacle »
35
CHAPITRE 3
UNE PROFESSIONNALISATION AU SERVICE DE LA FEMINISATION ?
Avant d‟établir un état des lieux du groupe professionnel, il nous faut au préalable définir
notre approche dans l‟utilisation de ces termes, reflétant chacun des processus complexes et
équivoques, notamment pour comprendre pourquoi la professionnalisation devrait d‟elle-
même susciter l‟entrée des femmes sur le marché des emplois techniques du spectacle vivant.
Quelle définition de la profession ?
La professionnalisation, comme concept dynamique, peut être entendue de deux façons
différentes mais intrinsèquement liées entre elles. Selon la tradition sociologique anglo-
saxonne – et dans le cadre de sociologie du travail et des professions – elle entend une
acception restreinte du terme qui renvoie à l'évolution d'un métier vers une "profession
établie", ou au processus de reconnaissance. La professionnalisation est alors interrogée dans
ses dimensions sociales et économiques.
Dans notre approche première, l‟utilisation de ce terme dans le domaine des métiers
techniques du spectacle, renvoie à une acception plus large, qui rejoint le sens commun, pour
évoquer la normalisation des pratiques et la formalisation des règles dans un métier,
transformant les savoir-faire en compétences, en savoirs transmissibles par des formations et
non pas par la seule observation et l‟autodidaxie.
Notre ambition, dans la présente étude, s‟est d‟abord orientée vers cette seconde option. Nous
souhaitions aborder la profession sous l‟angle des dynamiques de formation et de travail
susceptibles de professionnaliser des individus ou des activités. Notre perspective était donc
davantage centrée sur l‟analyse de la constitution de ce que l‟on peut appeler « le système
d‟expertise » d‟une profession, plutôt que sur celle cherchant à comprendre comment, à un
niveau que nous pourrions appeler « sociétal », une profession se construit en termes de
rapport sociaux.
Néanmoins, nous nous sommes rapidement rendu compte que – la professionnalisation restant
un processus complexe et difficilement quantifiable de par les caractéristiques intrinsèques
36
aux métiers techniques du spectacle vivant – nous ne pouvions pas évoquer l‟apparition de
formations et d‟institutions diplômantes spécialisées, sans considérer les modalités de la
socialisation mise en œuvre. De même nous ne pouvions évoquer l‟évolution de l‟activité
elle-même, sans toucher aux changements de statut du groupe professionnel. De plus, ces
métiers commencent tout juste à se préciser et à se différencier en plusieurs « postes »
hiérarchiquement distincts, ce qui entraîne encore des problèmes de reconnaissance dans un
milieu toujours marqué par l‟autodidaxie. Ces deux approches restent donc indéniablement
liées.
Nous allons donc tout d‟abord présenter de manière synthétique les approches fondatrices de
la sociologie des professions en s‟inspirant largement de la recension réalisée par Dubar C. et
Tripier P.42
.
Dans la conception d‟Emile Durkheim, « une profession renvoie à un groupe intermédiaire
entre l‟individu et l‟Etat assumant une fonction clé : la cohésion, l‟intégration du système
social sous un angle moral 43
» Exercer une profession correspond, dès lors, au fait d‟être
inscrit dans un collectif, d‟avoir en quelque sorte proclamé sa foi publiquement, au sens
religieux de « ce qui relie ». Cette socialisation correspond à une communauté d‟appartenance
à laquelle le professionnel adhère volontairement dans la mesure où sa conviction personnelle
correspond à l‟intériorisation des croyances propres à ce groupe et des pratiques qui le
caractérisent.
Ici la place d‟une « culture » commune est prévalente, mais postérieure à la
professionnalisation des individus. La socialisation au sein des pairs « techniciens » explique
en grande partie les logiques internes à ces métiers.
Ceci renvoie aussi à l‟obtention d‟un « statut », qui justifie bien que l‟on « ne fait que ça » ou
du moins que « l‟on en vit ». Dans notre cas, cela pourrait être illustré notamment par
l‟obtention du statut d‟intermittent44
ou de salarié qui réaffirme la dimension professionnelle
de l‟exercice, par opposition aux nombreux « amateurs » qui exercent occasionnellement leurs
savoir-faire techniques. Cependant, cette approche connaît également des limites, car comme
l‟a démontré Marc Perrenoud dans le cas des « musicos »45
, une définition par l‟obtention du
statut d‟intermittent – qui déjà n‟est pas un statut professionnel mais un régime
42
Dubar, C. et Tripier, P. Sociologie des professions. Paris, A. Colin, 1998 43
Dubar, C. et Tripier, P. ibidem. 44
Voir Annexe « Le régime d‟assurance chômage des intermittents du spectacle » 45
Perrenoud (Marc), Les musicos. Enquête sur des musiciens ordinaires, La Découverte, Paris, 2007.
37
d‟indemnisation du chômage – s‟avère peu pertinente au regard de la porosité qui persiste
dans ce milieu entre « amateurs » et professionnels.
Une deuxième conception des professions est celle d‟inspiration wébérienne.
Une place déterminante y est faite au sens subjectif donné par les hommes à ce qui les anime
dans l‟exercice de leurs activités. L‟idéal type de l‟expert professionnel se veut fils du
détenteur d‟un esprit, d‟une forme de penser et d‟agir qui le démarque du commun des
mortels : on retrouve l‟idée d‟un corporatisme que l‟on pourrait ressentir auprès des
techniciens du spectacle, cependant cette notion de Weber renvoie également à la
reconnaissance instituée. Ainsi sécularisé, le professionnel wébérien se distingue de l‟amateur
par son savoir scientifique labellisé (diplôme, concours), éventuellement par son prestige et
son pouvoir, en tout cas par sa passion, sa conviction, laquelle devra cependant être relayée
par l‟éthique de la responsabilité.
Cependant la labellisation des métiers techniques dans le spectacle vivant est encore toute
relative, et le parcours scolaire à suivre n‟est pas toujours très cohérent. Ainsi on peut lire sur
un site internet qui est dédié aux ingénieurs du son :
« Pratique musicale et hautes compétences techniques sont plus que nécessaires,
certes, mais l’expérience de terrain compte aussi. Il existe peu de filières de
formation uniquement centrées sur les professions du son…
Il est recommandé de suivre une formation technologique ou scientifique – la section
artistique du bac ne se combinant qu‟avec une série L, elle est trop pauvre en
compétences techniques – tels qu‟un baccalauréat scientifique, technologique STI ou
professionnel maintenance de l‟audiovisuel électronique. Ensuite le choix se restreint :
les diplômes universitaires mention « arts du spectacle » ne nous semblent pas
apporter une expérience technique suffisante, nous vous conseillons un BTS
audiovisuel option son, un BTS électronique, un brevet de technicien des métiers de la
musique (Lycée de Sèvres).
Les diplômes en deux ans après le bac vous permettront d‟accéder directement à la vie
professionnelle ou de préparer le concours d‟entrée des écoles supérieures : la FEMIS
(spécialisation son), l‟ENSLL. Si vous êtes d‟un tempérament chercheur, un DEA
acoustique vous permettra de justifier de vos connaissances.
Malgré des cursus très diversifiés, ces formations permettent d’accéder aux
professions techniques du son. Mais certains professionnels intègrent le milieu
sans formation spécifique, d’autres se forment au sein d’une entreprise ou par le
biais de stages d’éducation permanente. Il n’existe pas en France de diplôme
d’ingénieur du son homologué par l’Etat, c’est pourquoi seule l’expérience
permet d’accéder à ce niveau de compétences et de responsabilité du métier. […]
38
Il n’existe aucune formation universitaire de premier cycle spécifiquement axée
sur les métiers du son ; en revanche, nombreuses sont les formations généralistes
aux métiers de l’audiovisuel abordant l’audio dans leurs programmes. Tel est le
cas des DEUG lettres et arts ou arts plastiques, arts du spectacle tournés sur
l‟audiovisuel ou encore du DEUST communication audiovisuelle. Enfin, s‟il ne
constitue pas un diplôme suffisant pour accéder aux métiers du son, le DEUG «
musique » demeure cependant un bon atout pour envisager une formation spécialisée
en son.
Les Instituts Universitaires Professionnalisés assurent une formation technologique en
trois ans qui permet d‟obtenir un titre d‟ingénieur maître. Chaque année est validée par
un diplôme national : DEUG, Licence, maîtrise avec mention de la spécialité. Il existe
cependant des diplômes de 2éme cycle spécialisés dans le son. [Courte liste]» 46
Effectivement, les formations spécialisées restent peu développées au regard du nombre de
professionnels. De plus, la grande majorité des formations est proposée dans des
établissements privés et représente un investissement très coûteux pour obtenir un diplôme
qui ne sera pas reconnu par l‟Etat. En moyenne, il faut compter entre 3050 et 6500 euros de
frais de scolarité, pour des enseignements de valeur très inégale.
Fanny J., assistante de direction au Centre de Formation Professionnelle de la Musique47
admet d‟ailleurs, lors de notre entretien téléphonique, suite à notre question « Comment se
passe l‟insertion professionnelle suite à votre formation ? » :
« Nous n‟effectuons aucun suivi post-formation. […] Mais pour une
professionnalisation, il faut un vrai projet, une vocation. […] Ici ils ont entre vingt ans
et trente six ans, même plus de trente six ans. Ils sont donc souvent financés par un
CIF48
ou c‟est à leur charge personnelle. […] Par exemple, on a eu un gars qui avait
46
Source : http://www.ingenieurduson.com 47
Une des principales écoles privées, qui propose des formations à Paris, Lyon, Nice, Lille, Strasbourg, Dijon,
Rouen, Rennes, Bordeaux, Toulouse et Montpellier. 48
« Le congé individuel de formation (CIF) est le droit de s‟absenter de son poste de travail pour suivre une
formation de son choix. Pour en bénéficier, le salarié doit remplir certaines conditions et présenter sa demande à
l‟employeur, selon une procédure déterminée. Le salarié peut bénéficier, également sous certaines conditions,
d‟une prise en charge de sa rémunération et des frais liés au congé de la part de l‟organisme paritaire collecteur
agréé au titre du CIF. » Source : http://www.travail-solidarite.gouv.fr/
Dans notre cas, l‟organisme paritaire est bien souvent l‟AFDAS en charge des intermittents du spectacle.
Trois conditions doivent être réunies (recevabilité appréciée au moment du dépôt du dossier) pour voir sa
formation financée :
Ancienneté professionnelle de 2 ans
Volume d‟activité de 220 jours de travail ou cachets répartis sur les 2 à 5 dernières années :
Sur ces 220 jours de travail ou cachets, les techniciens du spectacle vivant bénéficient, par dérogation,
de conditions d‟accès plus favorables et doivent justifier de : 88 jours de travail ou cachets répartis sur
les 24 derniers mois ou 44 jours ou cachets répartis sur les 12 derniers mois
Source : http://www.afdas.com/
39
déjà son studio. Pour l‟ouvrir, il voulait un diplôme. Et puis le stage leur permet aussi
d‟acquérir un réseau. Il faut se faire connaître.
Et puis on va ouvrir une rubrique d‟offres d‟emploi sur notre site. »
Cette formation délivre un diplôme de technicien supérieur de « type 4 » qui n‟est par reconnu
par l‟Etat.
Autre limite à aborder notre terrain par cette approche wébérienne, ces mêmes écoles et la
plupart des professionnels rencontrés reconnaissent qu‟il est très difficile de définir
exactement des « postes »49
, que les termes utilisés pour les décrire sont souvent génériques et
représentent chacun des réalités dans les conditions de travail très différentes.
Autre difficulté : où s‟arrêtent les professions techniques dans le spectacle vivant ? Englobent-
elles tout ce qui ne relève pas du travail artistique, comme par exemple les métiers de
production artistique qui n‟ont d‟artistique que le nom ? La production représente aussi bien
la gestion administrative et l‟accueil des artistes, que la régie générale de tout l‟aspect
technique d‟un festival.
Les institutions diplômantes entretiennent la confusion. Ainsi, les Formations d‟Issoudun50
,
particulièrement réputées en la matière, proposent deux formations, jugées « presque
équivalentes » par un des professeurs lors d‟un entretien téléphonique, nommées
respectivement : assistant de production et régisseur de production. Elles nous ont toujours été
fortement recommandées dans le milieu technique, où que nous soyons en France.
Effectivement le programme propose dans chacune une formation sérieuse en termes
d‟appréhension du matériel technique.
Ils justifient d‟ailleurs leur offre en cultivant l‟ambiguïté autour de ces postes :
« Il s‟agissait de prendre en compte l‟émergence de nouveaux profils professionnels, encore
absents des dispositifs traditionnels de formation professionnelle. »
Ceci renvoie à la notion de « position-carrefour » des nouveaux profils apparus dans le secteur
du spectacle vivant51
.
49
Voir Annexe « LES « POSTES » DE TECHNICIENS DU SPECTACLE » 50
Site internet : http://www.lfissoudun.org/ 51
Brandl (Emmanuel), ibid.
40
A contrario, une approche interactionniste, envisage le professionnel comme un « individu au
confluent d‟une trajectoire biographique et d‟un environnement où se déroulent des
phénomènes collectifs sur un territoire donné : déploiement de rhétorique d‟acteurs cherchant
à se faire reconnaître, en quête d‟un statut qui les protège en même temps qu‟ils sont en
capacité de le faire émerger par des coalitions, des démarches auto-organisantes »52
.
Cette dynamique s‟accompagne d‟une « sociabilité nouvelle, interactive et intériorisée,
volontaire et émergente et non plus imposée et subie. C‟est le partage de ces attitudes,
conduites et normes, par ajustement mutuel, qui constitue l‟esprit collectif d‟un groupe et non
pas son intégration à un ordre préétabli. L‟ordre émerge des interactions et se reproduit par
intériorisation dans les personnalités des membres53
».
Ici, c‟est bien plus à la socialisation entre pairs et à la « culture » de la profession que l‟on fait
référence. Le processus d‟institutionnalisation exposé précédemment et la prévalence de
l‟apprentissage « sur le terrain » qui persiste chez les techniciens du spectacle, impliquent
nécessairement d‟aborder « la profession » dans ce sens.
Enfin, le travail de synthèse de François Aballea, rapporté par Sorel et Wittorsky
54, à partir
d‟un travail de synthèse des conceptualisations notamment anglo-saxonnes, propose de
considérer qu‟une profession existe si cinq éléments sont réunis, qui sont l‟existence :
- d‟un objet de travail délimité, qui circonscrit un domaine d‟intervention au regard de
finalités d‟ordre sociétal ; en ce sens, il n‟y a de profession qu‟accompagnée d‟une légitimité
donnée par une société ;
- d‟un système d‟expertise sur des savoirs complexes ;
- d‟un système de référence et d‟un univers moral – c‟est là au moins autant que dans
l‟existence des savoirs spécifiques à la profession, que se fonderait et se définirait l‟identité
professionnelle ;
- d‟une reconnaissance sociale du système d‟expertise et du système de références - d‟un
système institutionnalisé de contrôle qui définit les modalités de recrutement et les règles de
discipline de la profession considérée, c'est-à-dire qui garantit la capacité de celle-ci et régule
les rapports entre la société et les professionnels.
52
Anor (Sarah), Sur les voies de la professionnalisation des formateurs impliqués dans la formation de base :
quelle place pour la formation continue ?, Mémoire réalisé dans le cadre du Master Professionnel Sciences de
l‟Homme, des territoires et de la société, sous la direction de Dominique Bucheton, 2006 53
Dubar, C. et Tripier, P. ibid. 54
Sorel (Maryvonne) et Wittorski (Richard), La professionnalisation en actes et en questions, L‟Harmattan,
Action et Savoir, Paris, 2005.
41
Là encore nous rencontrons des limites à l‟utilisation de cette définition qui convient mieux à
l‟étude des professions libérales. Cette conception renvoie certainement à la perception propre
aux anglo-saxons, qui appréhende la profession, comme l‟ensemble d‟individus qui exercent
une activité intellectuelle et fixent de manière endogène les règles de bonnes manières et les
conditions d‟entrée dans le groupe. Elles sont présentées comme des catégories homogènes et
stables dans le temps alors que les métiers techniques évoluent au rythme des innovations
technologiques et du processus - relativement récent - d‟institutionnalisation du secteur
événementiel. Or, « les processus de professionnalisation s‟observent, en règle générale, au
sein des métiers en pleine expansion 55
» et c‟est donc très logiquement que l‟essor des NTIC a
contribué à favoriser ce type de phénomènes. De nouveaux noms de métiers liés aux NTIC
apparaissent dans la technique, tel que le vjing56
par exemple. Bien sur, si « les modes de
professionnalisation se multiplient comme se diversifie le monde du travail avec une
incessante division des tâches […] certains métiers associés à des étapes très précises du
développement technique sont aussi éphémères que l‟innovation à laquelle correspond leur
nécessité »57
.
« Le concept de « profession » dans notre société n‟est pas tant un terme descriptif qu‟un
jugement de valeur et de prestige. 58
» Il a longtemps, de par la tradition interactionniste qui l‟a
ignoré, légitimé une stratification sociale, en différenciant tâches nobles et « sale boulot », et
en insistant sur l‟inégale capacité des groupes professionnels à éviter ce dernier, les groupes
dominants le déléguant aux groupes subordonnés59
. Or, ce « sale boulot » fait partie intégrante
des tâches dévolues aux techniciens du spectacle, et plus particulièrement aux ouvriers. De
même, selon les valeurs traditionnelles de cet espace professionnel, elles représentent bien
55
Bureau (Sylvain), De l‟émergence à la rationalisation d‟un métier : professionnaliser ou tayloriser ?
Le cas des webmestres de l‟intranet de France Télécom, Mémoire, dans le cadre du DEA Sciences de Gestion
"Management & Stratégie" de l‟Université Paris Val de Marne et de l‟Ecole Centrale Paris, sous la direction de
Pierre-Jean Benghozi et Bernard Forgues, 2003. Lui-même cite : Rémy, Jacques, « La crise de la
professionnalisation en agriculture : les enjeux de la lutte pour le contrôle du titre d‟agriculteur », Sociologie du
travail, n° 4, 1987, p. 415-441. 56
Désigne la performance visuelle en temps réel du Vidéo-Jockey. Cette notion englobe la création ou la
manipulation de l'image en temps réel via la médiation technologique et en direction d'un public, en
synchronisation avec la musique. 57
Rémy, Jacques, ibid. 58
Hughes (Everett), Le Regard professionnel, textes réunis et présentés par Jean-Michel Chapoulie, Paris,
Presses de la Maison des Sciences de l‟Homme, 1996 59
Champy (Florent), « La sociologie française des « groupes professionnels ». Ascendance interactionniste,
programme épistémologique dominant, ontologie implicite », 2006, retranscription tronquée d‟une
communication prononcée le 11 février 2004 dans le cadre du séminaire du Centre d‟études sociologiques de la
Sorbonne, qui articule les travaux de Donald Schön (1994), Andrew Abbott (1988) et Jean-Michel Berthelot
(2004).
42
souvent le « passage obligé » durant l‟apprentissage sur le terrain. Les premiers temps, on
apprend en « poussant les flight-case », et « effectuant le câblage », en observant et en
exécutant.
Il nous semble donc que le terme de profession renvoie plus ici au « métier » (ou
« occupation » en anglais), notamment dans connotation manuelle et ouvrière. Nous étudions
donc plus ici la « professionnalisation d‟un métier ».
Nous admettrons donc ici que la professionnalisation des métiers techniques induit :
- de professionnaliser des activités, des métiers60
, au sens de l‟organisation sociale d‟un
ensemble d‟activités (création de règles d‟exercice de ces activités, reconnaissance sociale de
leur utilité, construction de programmes de formation à ces activités) : il s‟agit ici de
constituer une profession, mais qui dans notre cas n‟est pas aboutie, pas encore clairement
distincte et reconnue dans toutes ses spécialisations, de par une division du travail qui n‟est
pas encore clairement établie ;
- de professionnaliser des acteurs, au sens de l‟apprentissage de savoirs et moins de
l‟appropriation de savoir-faire directement sur le terrain, de la production des compétences
nécessaires pour exercer la profession auxquelles s‟ajoute la construction d‟une identité de
professionnel : il s‟agit ici d‟accroître la professionnalité des individus concernés ;
- de professionnaliser des organisations : il s‟agit ici de formaliser un système d‟expertise par
et dans l‟organisation, de mettre en place un système institutionnalisé de contrôle qui définit
les modalités de recrutement et les règles de discipline au sein du groupe.
Le processus de professionnalisation en cours devrait donc impliquer, de part la
rationalisation progressive des activités du secteur et la mise en place de formations et d‟un
système institutionnalisé de contrôle et de recrutement, que les hommes et les femmes
disposent d‟un égal accès à ces métiers, jusque-là considérés comme quasi-exclusivement
« masculins ». On pourrait donc parler d‟une féminisation au sein des professionnels.
60
Voir Annexe « Les « postes » de techniciens du spectacle »
43
Deux « féminisations » pour une mixité de l’emploi
Concernant le terme de féminisation, il renvoie lui aussi à deux notions distinctes : aussi bien
l‟accession des femmes à des « postes » et/ou des pratiques dévolu(e)s jusqu‟alors aux
hommes, que l‟apparition de « postes » ou pratiques faisant écho à des dispositions sociales
reconnues comme « féminines ». La question soulève ainsi deux réalités différentes mais
nécessairement interdépendantes.
Ainsi, l‟arrivée des femmes dans des milieux reconnus comme essentiellement masculins n‟a
bien souvent été possible que lorsque sont apparues de nouvelles tâches qui nécessitaient des
dispositions dites « féminines » telles la patience, la discrétion, l‟empathie. On ne peut pas
non plus nier l‟impact des avancées technologiques sur l‟entrée des femmes dans le marché
des professions techniques : l‟allègement rendu possible par les nouveaux matériaux et la
réduction du matériel technique ont bien entendu facilité le maniement de celui-ci par des
femmes.
Néanmoins, Camille Gaudy constate la quasi absence des femmes dans les professions
techniques du cinéma61
, qui lorsqu‟elles sont intégrées à une équipe, se voit bien souvent
directement affectées à des postes « plus adaptés ». La division horizontale du travail
légitimée par des stéréotypes entraîne une division du travail excluant les femmes des métiers
techniques ou créatifs en raison d‟un matériel trop lourd ou difficile à manier, et les reléguant
par là même, aux métiers plus « féminins » de costumière, « habilleuse-maquilleuse-
coiffeuse », scripte, ou au montage (dans le cinéma) « nécessitant de petites mains agiles »62
.
Si les professions dites « masculines » tendent à devenir mixtes avec l‟avancée technologique,
les métiers dits « féminins » semblent quant à eux nécessiter des qualités exclusivement
féminines. Ainsi le métier de scripte63
semble par définition être destiné aux femmes, de par
des impératifs de capacités d‟observation, de précision, d‟attention, d‟être capable de créer
une intimité, de mémorisation et d‟empathie, qualités « naturellement » dévolues aux femmes.
Plus qu‟une mémoire, la scripte relève de l‟intimité du réalisateur qui la consulte souvent. Et
c‟est bien en tant que « femme » qu‟elle incarne la confiance et la compréhension dont les
61
GAUDY (Camille), « Être une femme » sur un plateau de tournage, Ethnologie française, Vol.XXXVIII,
2008, p. 107-117 62
GAUDY (Camille), ibid. 63
GAUDY (Camille), ibid.
44
réalisateurs disent avoir besoin. Ses caractéristiques en font le métier qui permet l‟accès le
plus large au cinéma pour les femmes.
Cependant, de la division du travail à la hiérarchisation des compétences, il n‟y a souvent
qu‟un pas, comme c‟est le cas pour les artistes bien souvent64
.
Les femmes ayant plus souvent des rôles de second plan, justifiés par leur nécessaire
discrétion ou effacement, leur place dans la hiérarchie semble très naturellement prédestinée.
Ainsi Camille Gaudy constate la généralisation d‟un schéma dans le cinéma français : le
réalisateur ou chef et son assistante, celui-ci se déclinant pour tous les postes importants,
schéma que nous ne pouvons qu‟étendre au spectacle vivant, notamment de par notre
expérience personnelle du milieu de l‟événementiel musical ou théâtral.
La question à laquelle nous souhaitons donc tenter de répondre, relève de l‟accession des
femmes à des postes techniques, jugés jusqu‟il y a peu comme « masculins » dans le secteur
du spectacle vivant.
La rationalisation du secteur du spectacle vivant devrait en toute logique, de par le processus
de professionnalisation, entraîner l‟égal accès des femmes et des hommes aux « postes »
nouvellement définis ; la sélection se faisant au niveau des dispositions sociales et culturelles
recherchées – comme nous l‟avons vu dans le chapitre précédent –, et la loi française se
chargeant de garantir la mixité au sein des institutions diplômantes.
La mixité en chiffres
Une étude de l‟Observatoire de l‟emploi culturel nous a permis d‟aborder la réalité de la
mixité de ce secteur de manière quantitative. En effet, celui-ci a publié en mai 2006 un
recensement des intermittents de l‟audiovisuel et du spectacle vivant sur la période 1987-
2003. C‟est à ce jour le document le plus récent et le plus précis auquel nous avons eu accès.
De nouveau, il nous faut relativiser les résultats obtenus. Car si ce régime d‟indemnisation du
chômage représente le « statut » le plus courant dans les métiers technique, il n‟en demeure
64
FAURE (Sylvia), « Filles et garçons en danse hip-hop. La production institutionnelle de pratiques sexuées »,
Sociétés contemporaines, n°55, décembre 2004, p. 5-20.
45
pas moins qu‟il invisibilise la partie salariée et la partie informelle de ce milieu. Or le travail
« au noir » reste très répandu dans le spectacle vivant, notamment aux dires des enquêtés. De
plus, le turnover, ou la proportion d‟individus entrant et sortant du régime d‟indemnisation,
concernait près de 50% des intermittents en 200265
.
On peut néanmoins présumer que la répartition hommes-femmes doit être substantiellement la
même selon le statut professionnel, notamment de par la porosité existant entre les différents
régimes.
Il est cependant indiqué en avertissement :
« Ne sont donc pas prises en compte les données concernant d’éventuelles activités
complémentaires (emploi permanent dans ou hors spectacle, activités d’enseignement…) et
d’éventuels autres revenus (salaires, indemnités chômage…). Les contrats intermittents non
déclarés à la Caisse des congés spectacles ne sont pas non plus pris en compte dans les
données présentées dans ce document. 66
»
Enfin, nous tenons à rappeler l‟importance de la polyvalence au sein de ces métiers. Lorsque
la Caisse des congés spectacles parvient à définir des « postes » au sein des catégories
socioprofessionnelles, il ne faut pas oublier qu‟une grande majorité des techniciens exercent
plusieurs fonctions selon les contrats.
Selon cette étude67
, en 2003, la Caisse des congés spectacles recense environ 58 000
intermittents non-artistes, parmi lesquels 22 000 cadres, 32 000 techniciens, et 4 000 ouvriers.
Les hommes y représentent près des deux tiers des professionnels intermittents. Cette
surreprésentation masculine concerne toutes les catégories professionnelles : les artistes (64
%), mais aussi les personnels technico-artistiques (65 % chez les techniciens, 69 % chez les
cadres), avec un caractère particulièrement marqué au sein des professions ouvrières (89 %).
Au sein d‟une même catégorie professionnelle, des variations parfois importantes peuvent
toutefois s‟observer. Ainsi, parmi les cadres, on note une forte opposition entre les fonctions
les plus « techniques », quasi-exclusivement masculines (ingénieurs du son, par exemple :
65
Perrenoud (Marc), ibidem. 66
Etude publiée par l‟Observatoire de l‟emploi culturel, « Le marché du travail des artistes et des techniciens
intermittents de l‟audiovisuel et du spectacle vivant (1987-2003) », Ministère de la culture et de la
communication, Délégation au développement et aux affaires internationales (DDAI). Département des études,
de la prospective et des statistiques (DEPS), Paris, 2006. 67
Voir Annexe « Tableaux présentant les données nationales »
46
93% d‟hommes) et celles liées à la production (directeurs de production : 44 %). Des
disparités s‟observent également parmi les techniciens, la part des hommes variant de 19 %
(coiffeurs-maquilleurs) à 91 % (éclairagistes).
Constat plus édifiant : la répartition de la population intermittente par sexe est restée identique
au cours des dernières années et aurait même baissé d‟1 % pour les femmes. La
professionnalisation croissante de ces dernières années n‟aurait donc rien changé à la
répartition hommes-femmes.
Pourtant toutes les personnes rencontrées (hommes ou femmes) trouvent « qu‟on en voit de
plus en plus » [des femmes techniciennes du spectacle] et que « c‟est tant mieux ». Pourquoi
cette impression ? Serait-ce dû au fait que cela reste extraordinaire de voir une femme exercer
ces fonctions et que l‟on se rappelle donc plus de leur présence ?
Malheureusement, cette étude n‟évoque pas la mobilité des femmes au sein de ces métiers
depuis 1987. Cela ne nous permet donc pas objectivement de dire que la répartition hommes-
femmes n‟a pas évolué du tout dans les métiers techniques. Cependant, la répartition globale
n‟ayant pas évolué, la mobilité des femmes au sein de métiers reconnus comme « plus
masculins » induirait que les métiers « plus féminins » connaîtraient à leur tour une
recrudescence de la gent masculine, ce que Camille Gaudy réfutait récemment68
.
Pourtant près de la moitié des intermittents ont moins de trente-cinq ans et cette jeunesse des
effectifs est tout particulièrement marquée pour les techniciens (63 % de moins de 35 ans) et
les ouvriers (50 %). De plus l‟étude atteste que les quinze dernières années ont été marquées
par l‟augmentation de l‟offre d‟emplois dans le spectacle vivant (+ 165 %). Quant au nombre
d‟intermittents en 2003, chaque catégorie socioprofessionnelle a presque triplé ses effectifs.
Or on sait qu‟il y a de plus en plus de formations proposées et que la professionnalisation en
cours du secteur entraîne une croissance des diplômés ayant fréquenté des institutions
spécialisées pour s‟assurer des débouchés. En postulant que la génération des premiers
activistes autodidactes a entraîné cette perception de ces métiers comme « masculins », on
aurait pu espérer que la professionnalisation et la baisse de l‟autodidaxie entraînerait l‟entrée
des femmes, dans ces formations premièrement, et dans le marché des métiers techniques du
spectacle a fortiori.
68
GAUDY (Camille), ibid.
47
Des métiers différenciés sexuellement, aux statuts féminins
L‟explication résiderait-elle alors dans l‟existence de métiers jugés comme « dévolus aux
femmes » et ne leur permettant pas d‟accéder à d‟autres postes ?
Notre propre expérience au sein d‟un festival nous pousse à admettre que, bien qu‟ayant
toujours voulu apprendre à utiliser le matériel technique et l‟ayant clairement stipulé devant
nos employeurs, l‟on nous a toujours orientée vers des postes à la production artistique, à
l‟accueil ou à la communication. Lors de discussions avec des amis techniciens autour d‟une
éventuelle formation technique pour nous réorienter vers la régie, la plupart, bien que nous
soutenant par amitié, trouvaient notre démarche peu pertinente.
« Pourquoi tu veux pas rester à la prod ? Tu veux pousser des caisses ? Et puis avec tes études
y a moyen de bosser à l‟administration. Après y a sûrement des formations qui sont très bien
pour éviter de passer par la base et de décharger les flight-case. »
Le témoignage d‟Ikrame, environ 35 ans, assistante régie générale au festival de Dour,
soutient également cette thèse :
« Moi j‟ai commencé comme toi. A la prod. J‟ai bossé quelques années et après je me
suis fait un réseau, un nom. J‟ai eu du bol aussi. Un jour y a un poste de régisseur qui
s‟est libéré et bien que j‟avais pas commencé comme ça, ils m‟ont proposé d‟essayer.
J‟ai tout appris sur le terrain. Y a eu personne pour m‟expliquer toute la technique et
d‟ailleurs je dois dire que je ne m‟y connais pas trop au final. Bien sur t‟apprends le
vocabulaire adequat et puis tu sais lire une fiche technique. Mais de là à se servir de
tout le matos. »
A ma réponse : « Le truc c‟est qu‟à chaque fois que je demande à quelqu‟un qui me connait
s‟il ne veut pas me faire une initiation son et lumière, on me renvoie toujours au fait que je
sors de Sciences Po et que je n‟ai pas besoin de ça. », elle me répond :
« Tu sais, moi aussi je sors d‟HEC et c‟est vrai que ça m‟a pas toujours aidé. T‟es une
fille et en plus t‟as l‟air d‟être une intello, forcément on se méfie. Mais le plus
important c‟est de persévérer. De montrer que tu en veux. Il te faudra peut-être faire
tes preuves deux fois plus qu‟un mec, mais une fille peut arriver à la régie. »
48
Le témoignage de Clémence, 26 ans, éclairagiste à Lille, revient également sur ses « postes »
ou ses « statuts » directement affectés aux femmes :
« Ça ne fait que quatre ans que je suis officiellement intermittente du spectacle ... et
l'évolution remarquée est surtout le rapport que j'entretiens avec mes collègues.
Beaucoup plus de respect, de confiance, d'amitié dans certains cas. Ceux qui ne me
voyaient que comme "la p‟tite nana" ou "la stagiaire" - je ne l'ai jamais été - me voient
comme un membre de l'équipe, un "gars" parmi les autres. Cela n'a rien de péjoratif, et
n'entache en rien ma féminité. Le collectif m'a englobée en tant que technicien et non
mise à l'écart par misogynie. Mais c'est un combat rude, et de tous les instants...
L'argumentaire de prise de position par rapport à la mixité dans ce travail est parfois
plus fatiguant que vider les semi remorques ! »
A la question « As-tu été témoin de discrimination envers les femmes ? » :
« Selon certaines personnes de la gent masculine, les femmes sont faites pour travailler
derrière un bureau! Je pense qu'il est peut-être plus juste d'affirmer que certaines
personnes n'ont pas les capacités physiques pour décharger un semi remorque :
hommes ou femmes! »
L‟entretien avec Fanny J., assistante de direction au Centre de Formation Professionnelle de la
Musique, nous révèle que cela ne se joue pas forcément à l‟embauche ou sur le terrain.
Lorsque nous lui demandons la répartition hommes-femmes au niveau des formations que son
centre propose sur onze des plus grandes villes française, elle nous répond ne pas savoir, mais
accepte de nous renseigner :
« Alors, sur Lyon, j‟en ai… zéro en fait. Attendez. Il me semblait que j‟en avais.
[longue attente] Ah… Ben en fait j‟en ai bien une mais sur Paris. »
Au final, sur onze villes, seule une femme a suivi une de leur formation dans toute la France
cette année. Elle se justifie d‟ailleurs par : « Vous savez, c‟est qu‟elles [ les femmes ] ne
postulent pas parce que sinon on en voudrait bien.
Les résultats de nos recherches au sein d‟autres institutions moins importantes valident
toujours cette impression. On recense bien quelques étudiantes dans les formations dédiées
aux métiers techniques du spectacle, mais la plupart vont (d‟elles-mêmes ?) s‟orienter vers
49
des professions connues pour être « plus féminines », nécessitant des dispositions attribuées
traditionnellement au genre féminin.
La professionnalisation en cours de ces métiers ne permettant pas d‟expliquer l‟inégale
répartition hommes-femmes au sein de ces métiers, nous orientons alors notre réflexion autour
d‟une étude des modalités de constructions des trajectoires professionnelles, traditionnelles ou
atypiques, du point de vue de la catégorisation des sexes et de la division du travail
engendrée.
50
CHAPITRE 4
L’ORIENTATION SCOLAIRE BIAISEE SELON LA CATEGORISATION DES SEXES
La question qui se pose à présent est de savoir en quoi la professionnalisation croissante d‟un
secteur marqué originellement par l‟autodidaxie, va paradoxalement alimenter, voire
légitimer, la division horizontale du travail, selon les métiers requérant des dispositions
« féminines » ou « masculines ». La naturalisation des dispositions reconnues à chaque sexe
se révèlerait être le principal obstacle à une mixité professionnelle. L‟enjeu ne résiderait alors
pas seulement dans le secteur professionnel, mais en premier lieu lors du choix d‟orientation
scolaire et de spécialisation professionnelle. Or, comme nous l‟avons vu précédemment69
, les
conseils dispensés aux aspirants techniciens ou ingénieurs relèvent systématiquement d‟une
orientation des plus précoces vers la formation technologique et professionnelle.
A ce sujet, l‟étude réalisée en 1987 par Anne-Marie Daune-Richard, Catherine Flament,
Madeleine Lemaire et Catherine Marry, intitulée « Les filles dans les formations industrielles
de technicien supérieur liées aux nouvelles technologies », s‟est penchée sur les modalités de
« sortie des ghettos professionnels féminins70
», afin d‟éluder les conditions dans lesquelles
quelques très rares femmes étaient parvenues à suivre une scolarité dans des « filières
considérées comme masculines ». Elle met parallèlement en lumière ce qui peut faire obstacle
à ce choix atypique de la part des femmes. Bien que cette étude ait vingt ans, les précédents
résultats, attestant de la stagnation des effectifs féminins dans les secteurs masculins du
spectacle vivant et dans ses formations, nous induisent à penser que les barrières sociales à la
mixité de ces formations n‟ont pas forcément changé.
69
Conseils autour de la formation du site : www.ingenieurduson.com 70
Enquête d‟Anne-Marie Daune-Richard, Catherine Flament, Madeleine Lemaire et Catherine Marry, intitulée
« Les filles dans les formations industrielles de technicien supérieur liées aux nouvelles technologies. Le cas des
BTS et des DUT dans l‟académie Aix-Marseille », pour le Laboratoire d‟économie et de sociologie du Travail,
1987
51
Les filles dans les formations techniques
Les résultats de leur enquête, qu‟il s‟agisse des types de mobilité familiale, des itinéraires
scolaires ou des modalités de choix du « technique » par les jeunes femmes, sont fortement
marqués par leur inscription dans les caractéristiques des filières et des institutions dans
lesquelles elles se sont inscrites.
Elles rappellent ainsi que les BTS, même créés récemment, s‟inscrivent dans une tradition
ancienne d‟enseignement technique secondaire destiné « à former l‟encadrement moyen de
l‟industrie, et qui a toujours une filière de mobilité sociale pour les ouvriers et leurs fils. »
Ce « technique long » continuerait de jouer ce rôle, et plus particulièrement pour les filles qui
souhaitent « échapper au destin le plus probable qui serait le leur au sortir des filières
féminines du technique, à savoir le secrétariat, l‟employée de bureau ou de services
hospitaliers… ». A l‟inverse les DUT s‟apparenteraient presque à l‟Université, l‟origine
sociale et le bagage scolaire des étudiants comme des enseignants, étant plus élevés, et les
contenus plus théoriques.
Les spécificités communes relèveraient :
- de la forte sélection à l‟entrée (10 à 15 % des dossiers retenus),
- du rythme de travail soutenu et étroitement encadré (36 à 39 heures par semaines, travail par
groupe),
- de la grande part accordée aux enseignements pratiques (travaux et stages)
- de la très faible fréquentation des filles au sein de leurs sections technologiques (2 à 3%
contre 26% dans les classes préparatoires aux grandes écoles et 18% dans les écoles
d‟ingénieurs).
Le lien entre le cursus scolaire des femmes et les politiques d‟établissement (discrimination
positive pour les femmes ou sélection « objective et asexuée») aurait un impact conséquent
sur la perception que les femmes auraient de leurs études, sur le déroulement de celles-ci et
sur l‟intégration au sein des étudiants. Elles évoquent le « vécu » des études comme garant de
la réussite scolaire, et l‟importance de réussir de la part des femmes pour persévérer dans ce
choix atypique. A l‟inverse une trop grande réussite scolaire va rapidement attirer la jalousie.
52
L‟attitude des professeurs à leur encontre aurait également des répercussions sur le
comportement général de leurs camarades.
Des politiques d’établissement qui cultivent les dispositions genrées…
Cependant les discours des défenseurs de la discrimination positive, et plus largement de la
mixité tout au long de notre enquête, ont bien souvent toujours été teintés de stéréotypes de
genres, assimilant les répercussions de la présence féminine à celles des « dispositions
reconnues comme féminines ». Ainsi on parle bien souvent de « la douceur », de la
« discrétion », de « l‟entraide » et de la « tenue » qu‟une femme va conférer à l‟équipe
technique ou à la classe d‟étudiants.
Loin de participer à une mise à égalité asexuée, ces discours véhiculent tout autant de propos
discriminants, car pour chaque disposition féminine jugée positive on peut trouver un
équivalent négatif aux yeux d‟un milieu viriliste privilégiant les « dispositions masculines ».
Ainsi une fille « douce » devient une « mijaurée », la « discrétion » devient « un manque
d‟initiative », « une fille qui provoque l‟entraide » devient « une incapable qui a besoin qu‟on
l‟aide », et « une fille qui a de la tenue » va devenir « une casseuse d‟ambiance ».
Sans noircir le tableau, reconnaître aux filles des « dispositions naturelles » entretient le
mythe qu‟il y aurait des différences naturelles dans les capacités des hommes et des femmes.
De la même manière, l‟étude témoigne d‟une volonté des filières techniques de promouvoir la
présence des filles dans leur établissement, afin de « changer l‟image de marque » (saleté –
propreté) et de ne plus être « un sous-groupe ».
53
… à la légitimation d’une division du travail selon le sexe
De la différenciation des dispositions selon le genre aux statuts féminins, la limite est ténue.
Ainsi, ces jeunes femmes rencontrent les premières grandes difficultés au moment de trouver
un stage, surtout lorsqu‟elles postulent en atelier ou en PME, et d‟autant plus si elles doivent
diriger une équipe. Ici le réseau familial pour y parvenir est presque nécessaire. Les
enseignants les orientent donc de leur propre initiative vers les bureaux d‟études, les
laboratoires de recherche ou les services d‟accueil. On rejoint ici les dires de Clémence
évoqués plus haut, selon lesquels beaucoup d‟employeurs penseraient toujours « que les
femmes sont faites pour travailler derrière un bureau ». Les auteures soulèvent d‟ailleurs la
question autour des conséquences de cette incapacité à trouver un stage en équipe ou sur le
terrain qui impliquera nécessairement, à terme, de se retrouver dans la même situation lors de
la recherche d‟un emploi. Justifier de son expérience est essentiel dans les métiers techniques
du service. Les propos d‟un industriel illustrent ce problème :
« En atelier, ça coince pour les filles, par contre le labo, c‟est bien… Pour les
industriels, une femme c‟est une secrétaire, ça doit rester dans un bureau71
».
Les professeurs admettent que les jeunes femmes intériorisent ces difficultés et se projettent
plus facilement vers des métiers discrets, en autonomie, ou jugés « plus féminins » tels que le
professorat.
Lors d‟un entretien téléphonique avec Alexandre B., professeur MAO72
au Centre de
Formation Professionnelle de la Musique, concernant l‟absence des femmes au sein de leurs
filières, celui-ci se justifie ainsi :
« Le studio [d‟enregistrement] c‟est encore pire que le live, parce qu‟on laisse très peu
de femmes prendre les commandes des studios. »
71
Entretien retranscrit dans l‟enquête d‟Anne-Marie Daune-Richard, Catherine Flament, Madeleine Lemaire et
Catherine Marry, intitulée « Les filles dans les formations industrielles de technicien supérieur liées aux
nouvelles technologies. Le cas des BTS et des DUT dans l‟académie Aix-Marseille », pour le Laboratoire
d‟économie et de sociologie du Travail, 1987 72
La musique assistée par ordinateur (MAO) regroupe l'ensemble des utilisations de l'informatique comme outil
associé à la chaîne de création musicale depuis la composition musicale jusqu'à la diffusion des œuvres, en
passant par la formation pédagogique au solfège ou aux instruments. Source : Wikipédia
54
On retrouve l‟idée d‟une répartition des compétences selon les dispositions « féminines » et
« masculines ». L‟accueil, la sensibilité et la communication relèveraient essentiellement de la
« nature féminine » tandis que la technique devrait rester du domaine « masculin ».
Céline Frezza, artiste et technicienne, témoigne lors d‟une interview pour l‟IRMA :
« Pour moi, si nous sommes si peu nombreuses, aujourd‟hui encore, c‟est surtout à
cause du rapport des femmes aux technologies, de notre éducation face à la technique.
Dès notre plus jeune âge on nous fait comprendre que pour nous ce sont les lettres et la
poésie, et qu‟aux hommes sont réservés les domaines des techniques et de la science.
Les musiques actuelles se font beaucoup par des machines, celles ci s‟apprennent par
un apprentissage technique, ce qui en freine plus d‟une. Ce qui fait qu‟il y a beaucoup
de femmes derrière un micro, un violon, une guitare, etc. mais finalement moins
derrière un ordi, comme si les instruments de musique étaient sexuellement
déterminés.
Enfin, de mon expérience personnelle l‟accueil d‟une femme derrière un ordinateur ou
une console est toujours bon, même si parfois il est un peu condescendant, en tant que
technicienne, je pense que j‟ai sûrement plus de choses à prouver qu‟un homme, ce
que je ressens moins en tant que musicienne : cela rejoint ce que je disais plus haut
(une femme à la technique, c‟est étrange et pas forcément compétent, par contre à
l‟expression sensible…).
Donc, pour moi c‟est à nous de dépasser les carcans de notre éducation pour nous
sentir à l‟aise et faire notre place dans tous les domaines, je pense que les hommes
sont prêts, ou forçons-les à l‟être ! »73
Contourner l’obstacle « par le haut »
La poursuite des études constitue également un autre moyen de « contourner par le haut »
cette difficulté à être reconnues en tant que technicienne.
73
Interview sur le thème «Quelle place est faite aux femmes dans les musiques actuelles ? » effectuée par le
centre d‟information et de ressources pour les musiques actuelles. Source : http://www.irma.asso.fr/
55
Sans pouvoir l‟affirmer de par la faiblesse des effectifs féminins rencontrés au cours de mon
enquête, il se vérifie néanmoins que la majorité des femmes étant parvenue à exercer,
disposent d‟un solide bagage universitaire, comme par exemple Ikrame évoquée plus haut, ou
Delphine, sa collègue à Dour.
De la même manière, elles n‟ont pas commencé à exercer sur le terrain mais bien dans des
bureaux, parvenant peu à peu à « se faire un nom » sans commencer « en bas de la hiérarchie
en poussant des caisses ».
La plupart des enseignants en IUT ou en lycées, s‟accordaient d‟ailleurs à dire (en 198774
),
que la poursuite des études serait « plus fréquente pour les filles que pour les garçons ». Elles
tenteraient ainsi « d‟échapper à la vie active » par « une fuite en avant » et/ou seraient
contraintes par leurs professeurs ou leurs familles de le faire, pour améliorer leurs chances de
trouver un emploi, les cadres féminins étant mieux acceptés par les entreprises que les
techniciennes.
Il faudrait alors justifier d‟une plus grande « capacité d‟expertise » ou « maîtrise théorique »
pour pallier une division sexuée du travail défavorable ? N‟oublions pas que la catégorie des
cadres dans la technique du spectacle vivant, peut très bien renvoyer au travail de bureau.
Ainsi, la classification de la Caisse des congés spectacles inclut dans cette catégorie aussi bien
les assistants metteur en scène que les directeurs de production.
Les techniciennes du spectacle vivant : des techniciennes industrielles typiques ?
La suite de l‟analyse des profils sociologiques des femmes suivant des formations de
technicien supérieur, ne correspond pas totalement aux résultats obtenus par le biais de notre
questionnaire75
ou des entretiens effectués. En effet l‟étude dresse un portrait type, dont les
caractéristiques sociales justifieraient leur choix d‟orientation. Ainsi, les facteurs du choix
relèveraient en priorité du contexte familial, et seraient marqués par le poids des projets
parentaux, visant une mobilité socioprofessionnelle et une mobilité de « sexe », dans une
volonté de promotion sociale. Les jeunes filles interrogées dans cette étude se situeraient
74
Selon l‟enquête d‟Anne-Marie Daune-Richard, Catherine Flament, Madeleine Lemaire et Catherine Marry,
ibidem. 75
Modèle en ligne en Annexe
56
« toutes dans une position à la marge de leur catégorie de sexe, tout au moins pour ce qui
concerne le champ du professionnel ».
S‟il est envisageable qu‟une partie des aspirantes techniciennes supérieures du spectacle
vivant ait été confrontée à « des préoccupations en terme de promotion ou de maintien du
statut social » de la part de leurs parents, les questionnaires administrés révèlent tout autant de
mobilité « nulle » ou de mobilité « descendante » parmi les femmes occupant des postes
techniques dans le spectacle vivant.
De la même manière, le choix d‟un positionnement « dans la hiérarchie homme-femme »,
inculqué dans l‟enfance par une mère déçue de sa propre situation ou ambitionnant un
meilleur avenir pour sa fille, ou développé par la fille en question par opposition au schéma
familial, peut tout à fait avoir joué un rôle dans la formation de son projet professionnel vers
un métier « masculin », cependant dans notre cas, le choix d‟orientation n‟a jamais été justifié
de cette manière.
De même, cette étude distingue les critères d‟orientation des DUT et ses étudiantes
majoritairement plus douées et destinées à des postes de cadres, et des BTS, plus manuelles et
désirant obtenir un diplôme « qui serve à quelque chose ». En effet, les étudiantes de DUT
auraient été « contraintes » à ce choix du « technique » qu‟elles auraient effectué assez
tardivement (suite au baccalauréat), tandis que les étudiantes de BTS assument un goût
prononcé pour la « technique », le « concret » et le « masculin », et ceci depuis la fin de la
3ème
, à la suite de laquelle elles ont bien souvent quitté la filière générale ou redoublé à de
multiples reprises.
Enfin, l‟étude conclut à une orientation vers un DUT dans l‟optique de poursuivre « dans une
filière scientifique sélective laissant ouvertes des possibilités de poursuite d‟études », tandis
que l‟orientation vers un BTS s‟inscrirait plus dans une logique scolaire visant à aller « le plus
loin possible » que dans une logique de professionnalisation.
A aucun moment dans cette étude, n‟est pris en compte que cette orientation atypique résulte
d‟un choix inscrit dans un projet fort, sur le registre de la vocation, lui-même parfois sous-
tendu par un projet de repositionnement dans les rapports sociaux de sexes. Ici se trouve la
57
limite de l‟analyse de notre terrain du spectacle vivant à la lumière de cette étude des
formations techniques du domaine industriel.
Car comment expliquer la détermination dont les femmes font preuve pour se faire une place
dans un milieu traditionnellement masculin, voire viriliste, vers lequel les institutions
scolaires ne vont pas naturellement l‟orienter et qui, à la différence du domaine industriel, ne
va garantir en rien une promotion sociale ou un accès facilité à l‟emploi ?
Une orientation professionnelle sur le registre de la vocation
Le choix d‟une professionnalisation dans les métiers techniques du spectacle pourrait assez
difficilement relever des projets parentaux. En effet, dans l‟imaginaire collectif – qui se
justifie aisément – vouloir travailler dans le milieu technique implique nécessairement de
fréquenter un milieu d‟hommes, et surtout d‟hommes « déviants » tels que celui des
« musicos76
» de Marc Perrenoud ou des « musiciens de danse77
» de Becker.
Traditionnellement assimilé aux salles indépendantes enfumées et aux tournées où « l‟alcool
coule à flots », le milieu du spectacle, bien que de plus en plus institutionnalisé, conserve une
mauvaise réputation.
Alexandre B. admet d‟ailleurs :
« Travailler dans la musique, ça fait pas bien, en France comme en Belgique. C‟est pas
comme en Angleterre ou aux US. C‟est un mal bien « francophone » quoi. Il faut
surtout pas faire de la musique… euh… c‟est comme le bâtiment quoi ! C‟est pas un
vrai métier. »
« Pour les garçons des classes moyennes, c‟est souvent déjà une forme de déchéance sociale
que d‟annoncer à leur entourage familial qu‟ils veulent « être musicien », mais pour une fille
c‟est simplement inimaginable. Concrètement, la vie des « musicos » se passe largement dans
des bars, la nuit, à jouer pour des rémunérations occultes dans un univers où l‟alcool est
omniprésent, les drogues rarement absentes et la violence physique pas totalement exclue. La
76
Perrenoud (Marc), Les musicos. Enquête sur des musiciens ordinaires, La Découverte, Paris, 2007 77
Becker (Howard S.), Outsiders (1963), traduction de 1985, Paris, Métaillié.
58
« culture de métier » des musiciens ordinaires s‟entretient donc souvent dans des lieux
« conçus pour les loisirs et pour être rentables 78
», où l‟on boit, où l‟on parle fort et où les
« filles » sont souvent d‟abord vues comme des objets de séduction.79
»
Si de nombreux ouvrages s‟attachent à décrire le « style de vie artiste », on en oublie
facilement que derrière la scène, la « technique » doit tenir une cadence d‟autant plus rude. Le
technicien travaille dans des conditions particulièrement pénibles de par la manutention
physique et les horaires décalés. A cela, on peut ajouter les fréquentes difficultés d‟embauche,
le salaire et la reconnaissance très faible au regard des tâches effectuées, la quasi-impossibilité
de mener une vie de famille, du moins traditionnelle, ainsi que la confrontation à des
discriminations, voire à de la misogynie, dès la formation et parfois jusqu‟à la retraite.
Suite à l‟énumération des aspects les plus pénibles de ces métiers, il nous apparaît que le
choix de la part d‟une femme de les exercer relève plus du sacerdoce que d‟une logique
rationnelle de marché.
A présent lorsqu‟on se réfère aux réponses des enquêtés sur les raisons de ce choix
professionnel, l‟argument le plus récurrent est celui de la « vocation », suivi de près par :
- le « goût » ou « la pratique artistique »
- « l‟ambiance de travail » (pour une femme seulement mais la majorité des hommes)
- « suite à une(des) rencontre(s) » (pour une femme),
Le « bénévolat », les « contacts », et « la pratique en amateur » sont quant à eux toujours cités
par des hommes, à l‟image des premiers activistes.
On note que les réponses féminines sont de l‟ordre affectif. Cette conception vocationnelle
(omniprésente chez les deux sexes) explique aisément ce rapport ascétique des femmes à la
formation et à l‟emploi de technicienne du spectacle. On retrouve une notion de don de soi
dans les enquêtes. Ainsi, elles admettent renoncer à la tranquillité, à la vie de famille, à la
sécurité de l‟emploi, à leur féminité bien souvent, voire à leur santé parfois, en recherche du
contre-don : se faire une place dans un métier d‟hommes certes, mais au sein du spectacle
vivant. Ceci implique une certaine contradiction avec la logique scolaire d‟orientation par
l‟échec vers les filières du technique.
78
Becker (Howard), Paroles et musique, Paris, L‟Harmattan, 2003 79
Perrenoud (Marc), Les musicos et la « masculinité », in Welzer-Lang D. et Zaouche C. Masculinités : un état
des lieux, Toulouse, Eres, 2011 (à paraître).
59
Des techniciennes « particulièrement bien dotées 80»
Le profil sociologique de ces femmes se révèle par ailleurs quasiment inversé avec celui établi
précédemment pour les filières industrielles. Elles bénéficient bien souvent d‟un capital
culturel élevé, sont fortement diplômées et ont parallèlement mis à profit l‟offre croissante de
formation professionnalisante. Elles ont néanmoins débuté la plupart du temps au sein de
« postes » plus féminins pour parvenir à terme au « poste » et aux responsabilités qu‟elles
visaient. Par ailleurs, elles s‟inscrivent bien souvent dans une mobilité géographique de type
« cosmopolite », du moins tant qu‟elles n‟ont pas fondé une famille.
Les caractéristiques observées parmi leurs pairs masculins, selon l‟âge, vont différer. En effet,
les jeunes hommes (jusque la trentaine environ) présentent aussi souvent des caractéristiques
similaires aux femmes observées, que des caractéristiques similaires aux techniciens de la
première génération (ou des activistes professionnalisés bien souvent). Ces derniers,
générations confondues, proviennent bien souvent d‟un milieu populaire, sont très faiblement
diplômés et revendiquent l‟apprentissage autodidacte. La plupart ne connaîtra aucune
évolution dans la hiérarchie professionnelle, et ne l‟envisageait même pas. Ils se limiteront à
une mobilité ancrée dans le local. En de nombreux points, ils sont comparables aux
« musicos » de Marc Perrenoud81
. D‟ailleurs nombreux sont ceux qui ont connu la même
socialisation musicale et ont embrassé (ou continuent) d‟embrasser une carrière
d‟instrumentiste semi-professionnelle.
Du côté des femmes, on note que par leurs caractéristiques et leur parcours, elles se
distinguent nettement des femmes-artistes inscrites dans l‟emploi qui leur est
traditionnellement réservé (le chant, les mots, l‟émotion, la séduction) pour se rapprocher des
femmes instrumentistes étudiées par Marie Buscatto82
, qui « transgressent les frontières
presque étanches du genre pour aller jouer les instrumentistes, « du côté des hommes », de
l‟outil, du geste, de la technique 83
». Bien que « technicienne » avant tout, elles adoptent le
80
Référence aux « Femmes du Jazz » de Marie Buscatto, CNRS Editions, 2007. En effet, la « sursocialisation »
des femmes instrumentistes de Jazz qu‟elle présente est très similaire à celle des techniciennes que nous
étudions. Cet ouvrage nous a d‟ailleurs servi de référence pour confronter nos hypothèses. 81
Perrenoud (Marc), Les musicos. Enquête sur des musiciens ordinaires, La Découverte, Paris, 2007 82
Buscatto (Marie), ibidem. 83
Perrenoud (Marc), ibid.
60
même mode d‟engagement vocationnel et, de par leur nomadisme, le même « style de vie
artiste 84
».
Les progrès scientifiques, les études de la sociologie du genre et les faits que nous avons pu
observer sur le terrain, ont depuis longtemps attesté qu‟une femme peut effectuer les mêmes
tâches qu‟un homme. De plus, les progrès technologiques ont grandement diminué la
pénibilité et l‟insécurité du point de vue de la santé physique au sein de ses métiers. Enfin, la
professionnalisation, bien qu‟ayant des effets pervers liés à l‟orientation scolaire qui reste
traditionnellement sexuée, a profité aux femmes présentant une réelle vocation pour ses
métiers techniques du spectacle. Les femmes intégrées actuellement au sein des équipes
techniques, sont d‟ailleurs reconnues par leurs pairs masculins comme « des vraies bosseuses
acharnées », mais également comme « un mec, un pote de l‟équipe », apportant parallèlement
« un peu de douceur et de féminité dans ce vestiaire de foot ». Elles présentent habituellement
une polyvalence appréciée, due à leur parcours alambiqué et leur socialisation plurielle
(capital culturel important, études relativement longues, divers postes occupés dans
l‟événementiel, expérience de terrain avec les collègues masculins…).
Pourtant les chiffres sont parlants : les effectifs féminins n‟ont pas évolué en vingt ans.
Comment expliquer alors une si faible représentation ?
Alexandre B., professeur MAO au sein du CFPM, évoque alors une autre limite de la
professionnalisation par les diplômes :
«Dans un futur proche, les diplômes de formations techniques ne seront toujours pas
très valorisés sur le terrain. Pour qu‟il y ait une reconnaissance des diplômes, il faut
attendre que les autodidactes partent à la retraite, et deviennent minoritaires. Mais là
faut que tu compte encore au moins dix ans avant que l‟on atteigne cette « génération
diplôme » ! Et vu que le milieu des ingés c‟est super concurrentiel … Quand t‟as un
truc, tu le dis pas aux autres, du moins en dehors de ton réseau de « potes » ! J‟aime
autant te dire qu‟il vaut mieux que t‟es un bon réseau si tu veux travailler en ce
moment ! »
84
BOURDIEU (Pierre), La distinction, Paris, Minuit, 1979
61
La question qui se pose à présent est de comprendre en quoi ces logiques d‟apprentissage
autodidacte et de cooptation par réseaux seraient contradictoires avec la féminisation du
métier.
62
PARTIE 2
« CULTURE DU METIER » ET MARGINALISATION FEMININE
Nous avons démontré jusqu‟ici que la technicisation du métier n‟a pas assuré la féminisation
des professionnels techniques du spectacle vivant de manière pérenne. Cette partie tend à
présent à expliquer en quoi la professionnalisation de ce secteur de l‟emploi n‟a pas entraîné
une rupture avec les pratiques et les valeurs traditionnelles, l‟apprentissage autodidacte, la
cooptation, l'informalité et l'arbitraire, qui régnaient lors de l‟émergence de ce secteur. Nous
allons ainsi tenter de comprendre en quoi les vestiges des initiatives fondatrices du spectacle
vivant entretiennent l‟éviction des femmes de ses « postes » techniques. Plus exactement en
quoi la « culture » du spectacle vivant, et l‟habitus du technicien, excluent durablement les
femmes du circuit. Ceci se traduira nécessairement au sein du groupe de femmes qui
parviennent à exercer leur « vocation ». En effet, celles-ci devront alors faire preuve de
dispositions particulières qui les distingueront, sinon des hommes avec qui elles travaillent,
des autres femmes.
63
CHAPITRE 5
LA PRIMAUTE PERSISTANTE DE L’AUTODIDAXIE
Comment expliquer, à l‟ère des diplômés surqualifiés, que ce milieu présente toujours une
forte population autodidacte ? Cette persistance se voit d‟ailleurs légitimée autant par les
enfants de l‟autodidaxie, que par les diplômés et leurs professeurs.
Ainsi Jeannot, 53 ans, salarié autodidacte, d‟une structure socioculturelle et d‟un studio de
répétition affirme :
« Moi, j‟ai commencé en suivant ceux qui savaient. Et puis ça fait trente ans qu‟on se
bat pour avoir Love Mi85
. Autant te dire qu‟on s‟est débrouillé avec les moyens du
bord et qu‟on a appris sur le terrain. Et puis tu sais… c‟est bien beau de faire des
formations, d‟apprendre comment marche le matériel, mais si t‟y mets jamais les deux
mains dedans, hein ? Je suis pas contre les formations, mais les mecs ils ont plus
aucune réalité du terrain. En plus le matos il évolue tout le temps. Donc t‟apprends la
théorie d‟un truc et le temps que tu exerces il existe plus. Après c‟est bien, je dis pas,
mais moi je pourrais pas. Rester poser le cul sur une chaise à attendre qu‟un mec
déblatère. Et puis j‟ai toujours été fâché avec l‟école ! (rire) »
Alexandre B nuance premièrement cet avis tout en lui apportant plus de vigueur de par sa
condition de professeur :
« Les autodidactes, à l‟époque, ils traînaient en stage, puis passaient assistants, et
finissaient par prendre des responsabilités. Mais aujourd‟hui, on a plus le temps
d‟apprendre les bases aux assistants sur le terrain. C‟est pour ça qu‟il faut qu‟ils voient ça
en cours.
Le problème après, aujourd‟hui, c‟est que sur le terrain ils en piquent pas une ! C‟est
limite pire ! On a essayé de tout cadrer, comme pour les autres métiers, mais on a oublié le
terrain, au profit du « tout-diplôme ». Y‟a des codes à respecter, qu‟on apprend pas sur le
terrain.[…]
85
Love Mi Tendeur est la seule structure associative de musiques actuelles, voire de musique, à Aurillac. Elle
dispose depuis cinq ans du studio de répétition Le Chaudron, financé par la communauté d‟agglomération du
bassin d‟aurillac.
64
Après, il est nécessaire de connaître la musique, pour parler le même langage avec les
zicos. On fait de la musique avant tout. Sans ressenti, t‟iras pas loin. C‟est ce qui manquait
à l‟époque. Ils avaient du mal à s‟exprimer, ils avaient du mal avec la musique et le
vocable. Je l‟ai vécu ! J‟ai été formé par un ingé qui était pas musicien. Des fois, il pouvait
dire le contraire. Je peux te dire que ça fait vite monter la pression dans un endroit clos !
(rire).[…]
En plus les techniciens autodidactes de maintenant auront un niveau beaucoup moins
élevé que ceux d‟il y a vingt…trente ans ! Avant on avait le temps d‟apprendre aux
jeunes. Maintenant il faut que ça aille vite si tu veux garder ta place ! Après, il y en aura
toujours [des autodidactes]. Mais du coup, y‟en a qui resteront assistant toute leur vie. »
On retrouve ici l‟idée qu‟une partie des ingénieurs autodidactes (les moins diplômés quelle
que soit la filière), restent souvent inscrits dans le local, et n‟évolue pas trop dans les
responsabilités qu‟on leur confie et dans la « pseudo hiérarchie » propre au métier. Ainsi,
Francky, roadie86
autodidacte, déclare « adorer son métier » et ne pas vouloir « en changer ».
D‟autres vont évoluer, à leur rythme, vers des postes plus décisionnels, tels que Domi, la
soixantaine, régisseur général du théâtre d‟Aurillac revendiquant qu‟il est devenu « un simple
salarié qui effectue son emploi sans aucune vocation artistique », ou au contraire vers des
postes plus créatifs, tels qu‟Olive, roadie puis technicien lumière, dédie aujourd‟hui la
majeure partie de son temps à la « création lumière » pour des compagnies de danse.
Enfin, quand nous demandons à Alexandre B., le professeur MAO, si la professionnalisation
va faciliter l‟intégration professionnelle de ses étudiants et si leur diplôme leur permettra de
ne pas commencer en poussant des caisses, il nous répond :
« Faut conserver le sens de la hiérarchie ! C‟est important de commencer par le bas ! C‟est
chiant, c‟est vrai, mais les gens arrivés trop vite trop haut deviennent invivables ! Ils
connaissent pas le cheminement ! Et puis un jeune diplômé, à moins d‟avoir le bras long,
on ne lui laissera jamais la responsabilité d‟une session. Je leur dis : « Commence par ça,
le câblage, et patience ! Moi, tu vois, t‟as fais des études, mais je m‟en fous ! » Mais en
sortant de l‟école, c‟est important qu‟il soit capable [de gérer une session]. Mais
86
Ce « poste », très polyvalent, consiste essentiellement à sortir les flight-cases, installer le matériel, voire le
plateau (technicien plateau), effectuer le câblage et … tout ranger. Ce « machiniste itinérant » peut avoir divers
casquette, mais est souvent en bas de l‟échelle hiérarchique et sociale en terme de reconnaissance.
65
l‟apprentissage sur le terrain c‟est nécessaire. Faut juste avoir l‟œil pour ne pas poser une
question au mauvais moment ! (rire) Y a beaucoup de tension sur le terrain… Mais avec
l‟école on est là pour ça, [pour les prévenir de comment s‟y prendre sur le terrain]. »
Au final, les diplômes apparaissent toujours comme un « plus », mais le terrain comme le
« passage nécessaire ». Alexandre nous dira presque que sa formation relève d‟un
enseignement préalable à une bonne intégration lors de l‟apprentissage autodidacte sur le
terrain, et dévalorisera ainsi une formation qui coûte 6500 euros.
Au-delà de l‟expérience, on reproche aussi aux diplômés d‟être trop jeunes, trop
inexpérimentés, et d‟arriver dans des postes qui requièrent de « manager » des équipes alors
qu‟ils n‟ont aucune conscience des échelons de cette hiérarchie informelle.
« C‟est important de connaître l‟échelle hiérarchique et de pousser des caisses. J‟veux
dire… tu leur souhaites pas d‟être directeur technique à la sortie de l‟école ! (rire) Les
formations sont souvent bien faites, j‟en ai même suivi une… Il manque pas grand-
chose, juste du terrain … De toute façon on regarde autant la formation que
l‟expérience pour embaucher ! » assure Cédric G., directeur technique permanent du
festival de théâtre de rue d‟Aurillac.
Comment expliquer ce « culte » voué à l‟autodidaxie, dominant chaque échange que nous
avons eu avec des professionnels ? Il apparaît de plus en plus nettement que c‟est auprès des
« anciens » et des pairs masculins que s‟élabore une réelle « culture de métier », par le biais
d‟une « sociabilité nouvelle, interactive et intériorisée, volontaire et émergente et non plus
imposée et subie. C‟est le partage de ces attitudes, conduites et normes, par ajustement
mutuel, qui constitue l‟esprit collectif d‟un groupe et non pas son intégration à un ordre
préétabli. L‟ordre émerge des interactions et se reproduit par intériorisation dans les
personnalités des membres87
».
Nous tenterons à présent d‟établir quelles sont les conditions de socialisation des aspirants
techniciens du spectacle, et comment celles-ci entretiennent une transmission des savoirs et
savoir-faire entre hommes, induisant l‟assimilation d‟une « culture de métier » viriliste.
87
Dubar, C. et Tripier, P. ibid.
66
L’enjeu de la transmission
Au début de notre étude, nous avons établi que la plupart des acteurs culturels du spectacle
vivant, et en l‟occurrence du monde des musiques actuelles, étaient avant des activistes
passionnés par le monde musical et la culture « punk » ou plus largement de la culture
subversive. Constitués en associations et réseaux de « potes », ils se sont peu à peu
professionnalisés pour pouvoir pérenniser leurs activités. Ce sont bien souvent ces premiers
activistes qui ont incarné des exemples pour une population importante de « musicos » et de
bénévoles en tout genre. C‟est au sein de leurs structures culturelles que de nombreux
adolescents ont découvert le monde du spectacle, et ont « traîné » avant de s‟investir à leur
tour dans les activités culturelle locales. Toutes les enquêtes récoltées abordent cette période
pendant laquelle certains d‟entre eux ont commencé à « répéter dans un groupe (en grande
majorité) ou une troupe ». D‟autres évoquent plutôt leur présence dans ces structures pour
accompagner « des potes musiciens » ou « bénévoles ». Ils assistaient ainsi aux répétitions,
puis aux concerts, et finissaient par occuper un « poste » de « chauffeur » ou de « stage
man », voire de bénévoles multitâches pour le montage, tout ça pour « filer un coup de main »
jusqu‟à ce que ce poste devienne un réel engagement personnel.
Les filles, bien que les activités et centres d‟intérêts soient souvent sexuellement orientés à
l‟adolescence, sont également présentes au sein de ses structures culturelles. Cependant, elles
n‟occupent pas les mêmes « rôles ». Plus souvent groupies et « copine de », elles peuvent
assister aux répétitions si le reste du groupe accepte, mais vont rarement intervenir au sujet de
la technique. Si toutefois elles présentent un intérêt prononcé pour cette structure culturelle,
elles deviendront également bénévoles.
Ici s‟achèvent les similitudes de parcours. Car une fois que les permanents ou « anciens » de
la structure disposent de « nouveaux bras » ou bénévoles, il leur incombe de décider de la
nature que prendra ce bénévolat, et d‟une certaine manière, d‟orienter les vocations.
67
Ainsi Jeannot, qui a vu défiler deux générations de bénévoles au sein des locaux de Love Mi
Tendeur à Aurillac s‟enorgueillit du nombre de techniciens qui a trouvé sa « vocation » à ses
côtés :
« Tu vois qui c‟est Cédric ? Et Mathieu ? Ben ils ont commencé chez nous ! Vous êtes
je sais pas combien à Aurillac à avoir commencé chez nous ! Si chacun de vous allait
dire au conseil municipal qu‟on a pas servi à rien… Enfin bref ! »
A notre question « T‟en as formé, toi des autodidactes actuels ? Qu‟est-ce qui fait que tu
décides de les prendre sous ton aile ? »
« Ben ouais. J‟en ai formé comme on m‟a formé. Pis j‟ai appris avec des mecs qui eux
aussi étaient autodidactes. Qu‟est-ce qui fait que je les forme ? [il réfléchit] Je sais pas
moi ! Faut bien qu‟il y en ait pour prendre la relève ! Et puis tu me vois tout seul pour
gérer un live ? Parce qu‟une session [d‟enregistrement] ça va, mais pour le montage, le
câblage, le démontage et la régie ! C‟est surtout que quand il y en a un qui au lieu de
traîner vient tirer les câbles et vient pas me poser toujours les mêmes questions cons…
ouais ! Qui pige quoi ! Ben, celui-là, si je vois qu‟il s‟intéresse, qu‟il retient, qu‟il a du
bon sens…et puis y a le feeling aussi ! Tu le sens si c‟est une passion ! Ben celui-là je
lui propose de venir aux petites formations que je fais de temps en temps. Et puis tu
sais, le premier weekend y‟en a dix, le deuxième trois, et après j‟arrête. Parce que les
mecs ils sont pas souvent persévérants ! Ca me fait chier, moi de me démener le
weekend pour ça. Mais tu vois, là, y en a un, un p‟tit gars qui traînait depuis un
moment, Julien, tu vois qui c‟est ? [J‟acquiesce. Il est musicien dans un groupe depuis
quelques années et répète au Chaudron depuis le début.] Ben lui, on voit qu‟il capte. Il
sait être discret. Il est pas dans tes pattes, mais il observe. Je le vois bien continuer là-
dedans lui. Du coup je lui ai proposé de le prendre aux formations le weekend et je
vais lui proposer de venir avec moi sur le prochain concert. »
Nous ne pouvons nous empêcher de répondre « Et moi ? Je t‟ai pas assez montré que je
voulais apprendre ? Depuis le temps que je suis chez vous ? Qu‟est-ce qui fait que je n‟y ai
jamais assisté ? »
Il nous répondra comme à chaque fois toutes sortes de justifications : « T‟as pas besoin, t‟as
vu tes diplômes ? Et puis t‟es pas souvent là. Mais bon si tu veux, hein ! Faut qu‟on cale ça. »
68
A ce jour à Love Mi Tendeur, aucune femme n‟a été « formée » par Jeannot. La structure a
plus de vingt ans et nous y avons été bénévole depuis nos seize ans. Cependant cela ne veut
pas dire que les femmes n‟y ont pas leur place. L‟association compte au contraire un bon
nombre de femmes bénévoles, dans le conseil d‟administration et à la réception (la femme de
Jeannot). Cependant les filles bénévoles vont automatiquement être orientées vers l‟accueil,
les tickets ou le catering88
, et à l‟exception, au bar.
Il est intéressant aussi de signaler que les femmes bénévoles qui entretiennent ou ont
entretenu une relation avec un musicien ou avec un autre membre de l‟association deviennent
systématiquement les « copines de » ou « ex de », et non plus un membre individualisé de
l‟équipe. Comme si l‟on présumait que c‟était l‟enjeu de départ, remettant ainsi en question
leur engagement au sein de l‟équipe.
Les « détenteurs » du savoir technique ont donc un grand pouvoir décisionnel sur l‟orientation
que prendront les bénévoles au sein de leur engagement associatif. Ils entretiennent
involontairement le mythe qu‟une femme ne peut s‟intéresser à la technique et se fatiguera
plus vite. Ceci s‟explique en partie par le fait que règne encore dans ce secteur la conviction
qu‟il faut faire ses preuves en commencer par le « sale boulot », le plus pénible physiquement,
soit pousser des caisses et effectuer le montage et le câblage.
Une étude89
de Christelle Marsault concernant la compétence éthique dans la
professionnalisation des éducateurs sportifs en milieu associatif révèle le rôle crucial du
bénévolat dans l‟assimilation des valeurs communes au groupe. Elle insiste par ailleurs sur
l‟enjeu qui réside dans la présélection de ce bénévolat. Dans cet article, elle tente de
comprendre l‟origine de la compétence éthique ainsi que la manière dont cette compétence
permet l‟intégration de l'individu dans l‟espace professionnel.
« Une hypothèse plus sociale [que celle d‟Everett C. Hughes] révèle au contraire une
présélection des candidats conforme à l‟éthique corporatiste, visible à travers la cooptation
dans les marchés fermés. Au-delà des attitudes attendues des candidats, les compétences
spécifiques se présentent aussi comme des moyens de les sélectionner socialement, que ce soit
par exemple les compétences pédagogiques ou plus techniques des enseignants.
88
La préparation et le service des repas aux artistes et à l‟équipe. Cela peut englober également la décoration de
la salle de restauration. 89
Marsault (Christelle), La compétence éthique dans la professionnalisation des éducateurs sportifs en milieu
associatif. Source : http://www.revue-interrogations.org/
69
L'apparente neutralité des compétences techniques ou spécifiques cache en réalité un
népotisme. Les valeurs sociales qui se révèlent à travers les compétences désignées lors des
examens ou concours permettent de fermer l‟espace professionnel et sert à sa reproduction.
Du même coup, le népotisme facilite une préadaptation des futurs professionnels. Dans cette
perspective, l'entrée dans la profession résulte d'une reconversion de propriétés sociales en
capital spécifique. Cette perspective éclaire certains métiers, notamment dans le travail social,
reconnaissant l'appartenance à un milieu particulier. […]La présélection sociale des candidats
au métier favorise à la fois l'intégration du futur salarié, mais aussi l'homogénéité des valeurs
au sein du groupe. »
Ici les propriétés sociales nécessaires relèvent de l‟appartenance à la gent masculine. « Être un
homme » serait ici le « statut principal » distingué par Hughes90
du « statut subordonné ». A
ce sujet, il est intéressant de confronter l‟exemple de Becker91
pour illustrer cette notion aux
propos d‟un régisseur de Dour. Ainsi Becker rappelle que « dans notre société, l‟appartenance
socialement définie à une « race » l‟emporte sur la plupart des autres considérations de statut
dans presque toutes les situations. » Au contraire, lors d‟une discussion avec Geoffrey,
régisseur au festival de Dour, autour de ce mémoire, celui-ci remarque :
« C‟est marrant, mais je crois qu‟effectivement le milieu du spectacle doit faire partie des
seuls ou être black ou rebeu ne pose pas de problème. C‟est comme si on avait dépassé
cette stigmatisation de la couleur ou de l‟origine, mais pour la remplacer par une méfiance
envers les filles ! »
Or l‟intégration d‟un milieu associatif par le bénévolat apparaît comme cruciale pour acquérir
les valeurs du spectacle vivant, et du métier technique (le don de soi, les horaires, l‟entraide,
la « famille », la pénibilité des tâches, le statut précaire et la faible reconnaissance sociale…).
« Le bénévolat constitue une valeur incontournable du tissu associatif. Cette compétence
éthique est attendue autant du salarié que du dirigeant bénévole à travers la disponibilité
par exemple. […]Les qualités nécessaires pour se professionnaliser semblent ainsi proches
du bénévole. Cela permet un passage facilité du bénévole au salarié. […]Cette
socialisation préalable qui permet au salarié d'incorporer les valeurs particulières du
milieu associatif répond à une demande d'engagement de la part du salarié constitutive
90
Hughes (Everett C.), « dilemmas and contractions of status », American Journal of Sociology, 5, Mars 1945,
p 353-359 91
Becker (Howard S.), Outsiders (1963), traduction de 1985, Paris, Métaillié.
70
d'une compétence éthique. Elle explique pourquoi de nombreux salariés des structures
interrogées sont d'anciens pratiquants [de la structure].»
Le bénévolat et la socialisation auprès d‟un aîné jugé « compétent » vont donc permettre aux
plus jeunes d‟assimiler une « culture du métier technique » garantissant la pérennité des
valeurs propres aux milieux.
La socialisation musicale
La confrontation à ce système de valeurs est souvent antérieure à l‟engagement associatif.
Avant « d‟intégrer ce milieu et sa culture », il leur faut déjà posséder des dispositions qui les
démarqueront comme « conformes » avant d‟être sollicité par leurs aînés.
Comme nos enquêtes l‟ont dévoilé, l‟engouement ou la pratique musicale en amateur, sont
très présents dans la socialisation première des techniciens. Beaucoup ont d‟ailleurs tenté d‟en
faire une carrière professionnelle, et ont soit abandonné, soit continué parallèlement à leur
métier technique, vécu comme un « bon moyen de rester dans le milieu». Le métier de
technicien du spectacle est d‟ailleurs souvent assimilé à un « métier artistique » dans les
propos des professionnels concernés. Ils revendiquent que s‟ils ne « ressentaient pas la
musique » et « ne la connaissaient pas », ils ne pourraient pas exercer correctement. Il est
d‟ailleurs récurrent que les stage men92
critiquent ouvertement la technicité des
instrumentistes sur scène, et affirment qu‟ils ne « savent pas faire sonner » leur instrument.
Les programmes des formations professionnelles présentent d‟ailleurs souvent des matières
relevant de la pratique ou de l‟histoire de l‟art. Ceci nous amène à établir un parallèle entre la
socialisation adolescente des techniciens du spectacle et celle des « musicos » étudiés par
Marc Perrenoud. Ce dernier affirme d‟ailleurs, loin de les sacraliser dans leur vocation
artistique :
« On est beaucoup plus proche d‟un profil de « travailleur indépendant » que de
« travailleur artistique » (je trouve d‟ailleurs des proximités étonnantes avec les
92
Techniciens plateau : en charge des changements de plateau et du backline (matériel sur scène).
71
musicos dans mes travaux actuels sur les artisans du bâtiment), souvent éloignés du
« style de vie artiste ». 93
»
Dans cette récente étude, il démontre comment leur apprentissage musical et social participe
souvent de la formation d‟un habitus viriliste, habitus fortement comparable à celui rencontré
dans les métiers « plus techniques ».
A la période de l‟adolescence, il est quasi impossible de différencier l‟adolescent qui
deviendra « musicien » de celui qui restera un « musicos », et de celui qui restera dans
l‟ombre pour devenir technicien. Une étude plus individuelle des caractéristiques sociales,
voire psychologiques, pourrait peut-être permettre de les distinguer plus facilement, mais là
n‟est pas le lieu. Car ces adolescents vont bien évoluer dans les mêmes sphères musicales et
associatives, et ainsi, lors d‟un processus relativement long que Marc Perrenoud nomme le
« passage à l‟acte » pour les « musicos », connaître une socialisation similaire au cours de
laquelle se construira la transmission des valeurs de leurs aînés.
L‟étude des « musicos » présente cette première socialisation musicale comme un long
processus transformant le jeune « musiqué » amateur qui nous concerne, en « musiquant »
lors de son orientation vers une voie plus professionnelle. Tout d‟abord, la réception musicale,
souvent collective, devient une rapidement une « réception active dans les cercles de la
sociabilité juvénile ». Par mimétisme, l‟adolescent va commencer par reprendre la partie
chantée, puis des parties instrumentales (majoritairement des solos plus techniques), puis va
introduire des mouvements, en premier lieu outranciers puis de plus en plus discrets, qu‟il va
reproduire en dehors du lieu de répétition ou de son cadre d‟amis, pour finalement
« incorporer une hexis94
». « Il exerce son oreille mais surtout son corps tout entier.»
Devenir un « connaisseur qui maîtrise le sujet » et pas un simple « amateur passionné et
instinctif», passe aussi bien par les manières de se comporter que par l‟acquisition d‟un
vocabulaire spécifique et l‟adoption d‟un ton plus « calme et détaché », pour se montrer
« compétent » ou du moins « apte à la formation auprès des aînés ».
93
Perrenoud (Marc), Les musicos et la « masculinité », communication au colloque La dimension relationnelle
des métiers de service : cache-sexe ou révélateur du genre, UNIL, Lausanne, 2010. 94
Perrenoud (Marc), ibid.
72
« Devenir instrumentiste, c‟est se définir par la relation à un objet dont, pour les cordes du
moins, il semble superflu de rappeler le caractère éminemment phallique (la batterie, elle, met
en jeu un arsenal mythologique quasi sado-masochiste). Le discours et les références
endogènes les plus courantes font d‟ailleurs ressortir cet élément, et la métaphore sexuelle en
général, de manière parfaitement explicite : depuis les expressions évoquant la virtuosité («
branlette », « astiquer le manche » etc.) jusqu'au nom même donné par les industriels à
certains éléments de l'instrumentarium (pour ne citer que les fameuses pédales d‟effet
Electroharmonix : Bass Balls, Electric Mistress, Big Muff etc.). 95
»
Devenir un « stagiaire potentiel » pour l‟équipe associative dépend beaucoup des
démonstrations répétées d‟intérêt pour la technique, de curiosité autour de l‟aspect créatif de
la régie lumière, ou de prise d‟initiatives pour effectuer le « sale boulot ».
« On parle donc beaucoup de matériel et de technique, et c‟est aussi une manière d‟objectiver,
de construire des marqueurs objectifs de la grandeur : on peut par exemple chiffrer la
puissance d‟un ampli (50W, 300W) ou la rapidité d‟exécution sur un instrument (doubles
croches à 120bmp, à 160 etc.). Cette objectivation de la compétence permet une véritable
socialisation à la compétition, et l'expression de la libido dominandi dans un langage et des
modes de sociabilité souvent très proches de ce qu‟on trouverait dans les sports mécaniques,
collectifs ou de combat.96
»
Cette première socialisation musicale, qui vise à s‟identifier à des modèles masculins du
monde de la musique, va donc s‟opérer aussi bien par le vecteur corporel, que par
l‟acquisition d‟un vocable spécifique ou par l‟échange de valeurs. Il n‟est pas anodin qu‟elle
n‟ait lieu que dans des sphères « assez strictement masculines, à un âge (autour de la puberté
ou juste après) où la division sexuée de certaines activités de sociabilité est très importante et
où les démonstrations de la virilité en construction sont quasi permanentes. » En répétition
comme lors de moments plus informels, les adolescents vont se « mesurer littéralement aux
autres en essayant de jouer plus vite, des « plans » plus complexes, plus impressionnants.97
»
95
Perrenoud (Marc), ibid. 96
Perrenoud (Marc), ibid. 97
Perrenoud (Marc), ibid.
73
Dans cette « maison des hommes98
», l‟éducation masculine s‟apparente aussi à l‟intégration
des obligations masculines dans la souffrance physique et morale. Pour « devenir un homme »
et détenir « ses privilèges », il faut se montrer « conforme », au risque sinon d‟être traité
« comme une femme », ce qui peut générer aussi bien la dérision que l‟agression. On peut
parler « d‟homophobie », comme contrôle social qui commence dès l‟enfance (il faut être viril
pour être valorisé). L‟hétérosexisme, moins présent peut-être dans ces milieux artistiques,
n‟est en ce sens que le produit du viriarcat99
qui va construire socialement les rapports
hiérarchisés.
L‟hexis corporelle du « musicien » va façonner celle du « technicien », qui tout en
l‟assimilant en premier lieu va peu à peu s‟en détacher pour se façonner une identité propre,
plus « compatible » avec ses fonctions et plus conforme à « l‟ethos de son groupe
professionnel ».
L’hexis corporelle100 comme argument discriminant
La construction de celle-ci ne peut être désolidarisée de la socialisation auprès des pairs. Sa
perception de ce que doit être « un bon technicien » dépend en partie de la structure culturelle
dans laquelle il a évolué et surtout de celui qui l‟a formé. Confronté aux « musicos » et à
l‟équipe associative, son apparence repose aussi sur son positionnement par rapport aux
artistes, ainsi que sur l‟âge à partir duquel il va intégrer l‟équipe artistique.
Le métier de technicien requiert surtout deux dispositions : être invisible sur scène, et être
efficace techniquement en toute circonstance. Le code vestimentaire prétend donc
essentiellement traduire une grande neutralité et une valorisation de l‟efficacité. En ceci, on
pourrait les comparer aux « musicos » de Marc Perrenoud. Seulement l‟efficacité et la
technicité du musicien n‟est pas celle qu‟on attend du technicien. Ce dernier doit incarner
aussi bien l‟idée que son travail sera parfait et minutieux (pour les artistes) que l‟idée qu‟il
puisse réagir à toute épreuve et soit un adepte du système D (pour les organisateurs).
98
Welzer-Lang (Daniel), Les hommes aussi changent, Paris, Payot, 2004, p 293-317. 99
Du latin vir (homme). Décrit la situation de domination des hommes, qu'ils soient pères (Patriarcat) ou non,
sur les femmes. 100
Postures, dispositions du corps, rapport au corps, intériorisés inconsciemment par l‟individu au cours de son
histoire ; l’hexis est une dimension importante de l‟habitus. » (Colloque PB, 2003)
74
Les vêtements sont donc le plus souvent sombres, assez amples pour ne pas entraver leurs
mouvements, suffisamment solides bien que souvent rapiécés et abîmés. Les chaussures sont
souvent des chaussures de sécurité, des Doc Martens, ou des baskets.
S‟il peut bavarder avec les organisateurs et les artistes, il doit se montrer hermétique et
concentré pendant le montage, les balances et le concert (s‟il est régisseur).
L‟allure relève aussi bien de l‟identité « industrielle », « technicienne » et « défensivement
masculine », que du « gringalet » agile (souvent les plus jeunes) et « débrouillard ».
Le fait qu‟ils soient tous assez semblables et neutres du point de vue de l‟appartenance
idéologique, ceci ajouté à tout l‟attirail technique et technologique (pass professionnel et
scotch gafa à la ceinture, talkie-walkie sur l‟épaule, cordon-porte-clefs autour du cou avec
tous les numéros utiles, une multitude de bracelets de festivals autour du poignet…), renforce
chez les personnes extérieures l‟impression d‟une équipe soudée et efficace, entièrement
dédiée à la technicité de leurs postes.
La dimension capillaire semble être la seule (à demeurer du domaine de l‟identité
individuelle. Elle dénote d‟ailleurs souvent de cette neutralité globale. Ainsi la « coupe » la
plus fréquente est le crâne rasé de près. Ceci renvoie de nouveau à l‟idée d‟un corps
entièrement dédié à la technicité et à la pratique physique. Mais si on l‟analyse à la lumière
des autres coupes les plus fréquentes (dread locks, crête, cheveux très longs…), il semble que
la « boule à zéro » renvoie tout autant que les autres à un signe d‟appartenance à des
mouvements, toujours connus comme alternatifs, et souvent perçus comme déviants101
. A
celle-ci on peut ajouter les attributs moins visibles, tels les tatouages et les piercings qui sont
monnaie courante et permettent d‟affirmer encore leur identité déviante.
Là où se trouve la spécificité de ce milieu, réside dans le fait que les techniciens conservent la
même tenue « à la ville ». Bien qu‟elle soit très représentative de leurs conditions de travail, il
semble qu‟elle soit vécue comme « naturelle », ou comme un signe d‟appartenance à un
groupe, à une idéologie, comme cela peut être le cas pour certains artistes.
On note tout de même que les techniciens ayant rencontré leur vocation sur le tard, ont déjà
construit une hexis corporelle, souvent plus paroxystique. Ainsi Olive par exemple,
s‟apparente plus à la figure de l‟artiste exubérant que ses collègues.
101
Becker (Howard S.), ibid.
75
Une fois cette description établie, il nous faut insister sur la dimension particulièrement
masculine de tous ses attributs physiques. Tout dans leur tenue et leur posture, bien que
discrètes, tend à refléter la dimension physique de leur travail. Une dimension qui ne peut que
renvoyer à des dispositions masculines : la force, le sens de l‟effort, la résistance, la ténacité.
Bien qu‟ils ne soient pas forcément dotés d‟une musculature particulièrement développée, le
rapport que les techniciens entretiennent avec leur corps ou leurs vêtements apparaît comme
particulièrement « distant ». Comme pour les sportifs ou les artistes, le corps est ici leur
premier outil de travail. Il doit donc refléter leur socialisation professionnelle. Le corps des
techniciens va donc rappeler aux personnes extérieures et aux pairs leur engagement « corps
et âme » dans leur travail et l‟incorporation des valeurs de pénibilité propres au milieu. Mais à
la différence des sportifs et des artistes, cet engagement se traduit par l‟évocation constante
d‟un « oubli de soi ». Les techniciens ne « doivent pas s‟écouter ». Comme s‟ils s‟assimilaient
aux classes populaires étudiées par Boltanski102
.
« Tout se passe comme s‟ils étaient « moins attentifs que les membres des classes moyennes
ou de la bourgeoisie aux sensations morbides, à la douleur, aux rumeurs sourdes du corps qui
doivent être explicitement constituées comme « symptômes » pour entraîner le recours au
médecin. Cela essentiellement pour deux raisons. D'une part, ils ne disposent pas des
catégories savantes et du vocabulaire du corps et de la maladie qui sont nécessaires pour
déchiffrer les messages du corps, c'est-à-dire pour sélectionner, dans le flux des sensations
corporelles, les signes morbides légitimes que les médecins seront disposés à reconnaître et à
traiter. Contraints, d'autre part, de faire un usage professionnel de leur corps et soumis à des
conditions matérielles d'existence plus dures que dans les autres groupes, ils adhèrent à un
système de valeurs qui privilégie la « dureté au mal » (« ne pas s'écouter »), la résistance et la
force physiques. Cet ethos ascétique qui, sans être explicitement systématisé ni verbalisé,
interdit de prêter trop fortement attention au corps, s'exprime, dans les classes populaires, à
travers l'ensemble des comportements corporels. »
Sans conclure à une inaptitude de leur part à diagnostiquer leurs souffrances, on peut nous
aussi parler d‟un « ethos ascétique », mais qui ne va pas les empêcher de se plaindre et de
formuler les conséquences de la pénibilité de leurs tâches. Au contraire, les accidents du
travail et les séquelles corporelles sont très souvent évoquées, comme autant de preuve de leur
102
Boltanski (Luc) « Les usages sociaux du corps » article de l‟Encyclopédie Universalis.
76
engagement sans faille. Mais à la différence des danseurs ou des sportifs, ils ne tenteront pas
d‟y remédier, conservant leurs stigmates comme autant de trophées.
Cette dureté à la souffrance est pour beaucoup incompatible avec la condition féminine. Les
femmes sont souvent perçues comme très attentives à leurs sensations morbides, mais aussi à
leur apparence. Par ailleurs, si ce n‟est pas le cas, son entourage se chargera de le lui rappeler.
Travailler avec une femme apparaît alors comme prendre le risque qu‟elle ne puisse assumer
ces conditions de travail et remettent en question le système de valeurs propre au groupe. Les
employeurs motivent d‟ailleurs souvent leurs effectifs entièrement masculins par cette crainte
de « surcharger de travail [leurs] gars ».
Enfin nous ne pouvons nier l‟usage fréquent de drogues dans ce corps de métier. Il y aurait
d‟ailleurs une tendance à la hausse à ce niveau, selon nos enquêtes et nos observations. Bien
que beaucoup ne souhaitent pas en parler lorsqu‟il s‟agit de drogues dites « dures », ceux qui
ont arrêté (l‟usage comme le métier) ont confirmé nos impressions. Si l‟accoutumance à la
marijuana semble n‟inquiéter personne dans le milieu, cette pratique étant quasi généralisée,
le recours à des drogues stimulantes reste encore tabou. Et lors du « flagrant délit » pendant
nos observations, il était aussitôt minimisé et marginalisé au stade du « très occasionnel ».
Cependant le nombre de connaissances dans le milieu technique ayant cessé toutes activités
de par leur addiction, nous poussent à croire que ce mal est plus courant que ce que l‟on croit.
De cette manière, si plusieurs ouvrages ont étudié la question pour les artistes, on peut
imaginer (la question étant trop difficile à éclairer sur le temps imparti à un mémoire) que les
techniciens fréquentant les mêmes sphères événementielles que les artistes et ayant connu
pour la plupart la même socialisation musicale, ils ont eu autant d‟occasions de se confronter
à la possibilité de consommer de la drogue. Ces occasions seraient d‟ailleurs aussi fréquentes
sur le lieu de travail que lors des soirées entre « potes-collègues », les deux participant dans
une même mesure à la construction des « réseaux sociaux » caractéristiques du métier.
Alexandre B., professeur et professionnel, le justifiera à sa manière :
« Les stupéfiants sont pas plus présents que dans le milieu de la finance ou des
médias ! Dans tous les métiers de stress, d‟exposition et de rendements forts, vous
avez besoin de vous décontractez, hein ?! Les gens qui jugent, faut les emmener de
l‟autre côté : les tournées à répétition, les horaires de fous, le stress permanent… Faut
bien avoir la pêche, non ? [attente] C‟est vrai, c‟est très présent. Après, les filles sont
77
déjà moins tentées, par nature, déjà au niveau de l‟alcool. Faut bien garder une certaine
lucidité sur ce qu‟elles font. Une fille peut pas se mettre minable si elle veut pas qu‟il
lui arrive quelque chose ! Après, le rythme de vie de ce milieu n‟est pas très sain, mais
ça, on le sait dès le départ ! Sinon ils se sont plantés de boulot ! »
L‟hexis corporelle du technicien se présente comme une accumulation de signes évocateurs
de leur vocation, dont le dopage ne serait qu‟une manifestation. « L‟investissement dans le
présent, le désintéressement sont les preuves du caractère incoercible de la vocation : la
souffrance du corps au même titre que la pauvreté peut apparaître comme un stigmate électif.
Ainsi, endurer des atteintes à l‟intégrité physique participe des réassurances narcissiques
nécessaires à l‟entretien au maintien de la vocation.103
»
103
Sorignet (Pierre-Emmanuel), « Danser au-delà de la douleur », Actes de la recherche en sciences sociales,
numéro 163, p46-59.
78
CHAPITRE 6
LE POIDS DES RESEAUX SOCIAUX
Plusieurs travaux ont mis à jour le poids des réseaux sociaux aussi bien dans l‟assimilation
d‟un habitus et d‟un système de valeur, que dans le déroulement d‟une carrière dans les
mondes de l‟art fluides et ouverts104
. Bien que ces réseaux sociaux se construisent sur la base
de groupes informels, formés de manière libre et personnelle, ils vont garantir la continuité du
système de valeurs du groupe professionnel et ainsi entraîner une cooptation qui se situe au
croisement de critères techniques et de jugements portés sur les qualités « personnelles » de
l‟individu. Le maintien de ce mode de fonctionnement traditionnel va alors inévitablement
pérenniser le caractère arbitraire du recrutement au sein d‟un secteur de l‟emploi qui peine à
se professionnaliser.
Un « entre-soi » permanent ou la construction d’une perception « de la femme »
Du bénévolat adolescent à l‟exercice du métier, les techniciens cumulent les occasions de
socialisation entre « gens du métier ». Les horaires particuliers et la « culture de la fête »
propres au milieu de la nuit entraîne un brouillage des frontières entre sphère professionnelle
et sphère privée. Enfin, la dimension « vocationnelle » de leur orientation professionnelle, qui
relève bien souvent autant de leur attraction pour le monde artistique que de leur intérêt pour
la technique, implique nécessairement un investissement sans borne dans leur travail, qui ne
saurait souffrir des prétentions aux 35 heures ou à une vie de famille traditionnelle. Le temps
imparti au travail sur le terrain, aux tournées et aux soirées « entre potes » s‟avère ainsi
particulièrement important.
C‟est donc sur la période du bénévolat qu‟ils intègrent cette contrainte du devoir
professionnel, dans une notion du don de soi impliquant un contre-don de la part des aînés.
Celui-ci consiste en une reconnaissance de son investissement et de sa compétence. Dans
cette optique, les bénévoles vont cumuler les temps de conversations et d‟observation avec les
« aînés compétents », au-delà de leur temps de « travail ». Les structures associatives sont
d‟ailleurs bien souvent caractérisées par des regroupements de jeunes devant leur entrée ou
104
Becker (Howard S.), Les mondes de l‟art, Paris, Flammarion, 1998 (1982).
79
dans le bureau administratif, venus pour « fumer une clope », « discuter musique » et « se
rendre utile ».
Une fois « sélectionné pour être formé », le bénévole devenu « stagiaire » va s‟investir
doublement, tout en essayant de ne pas poser de « questions stupides » pour montrer qu‟il a
assimilé les règles « du métier ». A la fin du temps de travail, son « formateur » lui proposera
souvent d‟aller boire un verre avec « les collègues ». Dans ces moments plus informels, le
formateur va pouvoir vanter les mérites de son stagiaire, le présenter plus personnellement
aux professionnels et ainsi lui permettre d‟exister autrement que comme un simple bénévole.
Le stagiaire pourra à son tour tenter de nouer des liens avec les professionnels. Cette
sociabilité est très importante pour se voir légitimer dans « sa compétence ». Les apprentis
recherchent donc souvent à accélérer ce processus une fois entamé, pour ce construire un
réseau professionnel « informel », en cultivant la dimension amicale de ses échanges.
Une fois lancé dans sa professionnalisation, le stagiaire devenu technicien va à son tour
provoquer les moments informels, à la sortie de son travail, pour « se décontracter » et
« profiter enfin de la fête ». Les occasions de boire un verre ou de « fumer un joint » sont
particulièrement nombreuses dans ce métier. Pierre, qui suivait la tournée d‟un orchestre de
fête de village décrit cette sociabilité.
« Tu sais c‟est pas tellement après le démontage que tu fais la fête. C‟est plutôt
pendant le show. Je veux dire, dans une tournée, une fois que tu les as entendus une
fois, t‟as pas besoin de remettre le couvert tous les soirs ! Du coup, là où sa picole,
c‟est après le montage, comme le public quoi, et avant le démontage, parce que
pendant le démontage, vu qu‟il y a la route t‟as intérêt à être en forme. Après quand tu
bosses pour un festoche, ça doit être différent. T‟es peut-être moins dans le speed en
fin de soirée. Mais par contre à chaque fin de live, y a les changements de plateau avec
tout le monde et tout ! Là faut y aller ! Mais c‟est vrai que souvent, quand le groupe
commence à jouer, les stage men peuvent se détendre, parler des soucis du festival
comme de leur petite vie. »
Lors de notre observation participative, notre position de stagiaire à Dour ou de bénévole à
Aurillac, nous a amenée à rencontrer les techniciens sur leur lieu de travail. Nous avons aussi
pu converser avec eux lors de leur pause ou lors d‟événements pour lesquels ils ne
travaillaient pas mais venaient voir leurs « potes » techniciens. Plus important encore, nous
avons rapidement pu les rencontrer lors de « soirées entre hommes », dans un local de
80
répétition de fortune à Dour ou au café à Aurillac. Notre condition féminine ne nous a pas
empêchée de nous joindre à eux, mais nous a permis, au contraire, d‟observer comment ces
instants de socialisation entre pairs entretenaient une marginalisation des femmes au sein du
groupe.
En effet, chacun de ces moments participe à la construction d‟un « entre-soi », qui impliquera
une perception des « rôles féminins » au travail comme à la ville.
Ainsi, sur le lieu de travail, essentiellement masculin, les seules femmes rencontrées sont bien
souvent les artistes, les spectatrices ou les femmes de l‟équipe (professionnelles ou bénévoles)
qui ont été tout naturellement affectées à l‟accueil, à la production, à la communication, à
l‟administration ou au catering.
Les artistes féminines, comme Marie Buscatto105
s‟applique à le décrire, sont bien souvent
enfermées dans leurs dispositions féminines au chant, à la danse ou à l‟art dramatique. On
attend d‟elles une sensibilité accrue et un rapport affectif ou instinctif à la pratique artistique,
bien loin de la technicité chère aux instrumentistes et aux ingénieurs. Les chanteuses,
danseuses ou actrices sont d‟ailleurs perçues comme forcément séductrices. « Le corps n‟est
pas neutre. Le corps féminin est perçu dans sa sexuation. […] Toujours plus ou moins lié à la
sphère de l‟érotisme, ce qui n‟est pas vrai pour le corps masculin. 106
»
Selon, Pierre-Emmanuel Sorignet107
, leur corps, plus amené à des modifications fortes,
impliquerait qu‟elles entretiennent un rapport plus intime avec celui-ci et qu‟elles savent
« s‟en servir ». Cependant comme le rappelle Marie Buscatto, leur métier tend à être perçu
comme une « essence, une expression naturelle de la féminité », et ainsi à occulter que leur
hexis corporelle sur scène est issue d‟un long apprentissage, souvent difficile, de la séduction,
sans lequel elles peineraient à trouver des contrats.
Concernant les collègues féminines de secteur de la production ou de la communication, elles
pâtissent bien souvent de cette même obligation d‟être « bien mises », « accueillantes », ou
plus simplement « séduisantes », pour le plaisir des yeux masculins. On en oublierait presque
leurs responsabilités professionnelles. Notre propre expérience témoigne de l‟assimilation
constante des « nanas de la prod » à des hôtesses d‟accueil ou à des standardistes, suspectées
105
Buscatto (Marie), Femmes du Jazz. Musicalités, féminités, marginalisations, CNRS Editions, 2007. 106
Marquié (Hélène), « Asymétrie des genres et apories de la création : peut-on sortir d‟un imaginaire
androcentré ? », Etudes féministes 3, Janvier-Juin 2003, p 5-6. 107
Sorignet (Pierre-Emmanuel), « La construction des identités sexuées et sexuelles au regard de la socialisation
professionnelle : le cas des danseurs contemporains. » , Sociologie de l‟art, Opus 5, 2004.
81
de n‟être arrivées là que grâce à leur sourire. De plus, leurs tâches et le climat de tension qui
existe bien souvent entre les organisateurs et l‟équipe technique, entraîne souvent qu‟elles
soient réduites à leur « incapacité à lire une fiche technique ».
Du côté du public, les femmes sont encore très traditionnellement entachées de la figure de la
groupie, qui ne vient pas pour assister à une performance mais pour côtoyer de plus près ses
idoles. Ce sont ces mêmes spectatrices qui alimentent les discussions scabreuses entre
collègues, et instaurent ainsi la mise en forme d‟un secret au sein de l‟équipe, ou plutôt ici de
« la famille », lorsque l‟un d‟eux se montre infidèle. Etant parvenue à nous intégrer au sein
d‟une « bande de potes techniciens », j‟ai ainsi pu observer que - les conditions de travail ne
facilitant pas la vie de couple – les tournées et les festivals sont autant d‟occasions pour les
techniciens de réaliser « leur vie d‟artiste », et de cumuler des histoires sans lendemain, dont
le maintien sous silence semble faire partie intégrante du contrat social passé entre
professionnels.
Ces difficultés évoquées à maintenir une vie de couple stable s‟avèrent particulièrement
importantes dans l‟élaboration d‟une perception de la femme. Ainsi, comme l‟évoque de
nouveau Marie Buscatto concernant les musiciens de jazz, la présence d‟un conjoint pour
gérer le quotidien participe beaucoup à la carrière des individus menant « une vie d‟artiste ».
La femme ou amie des techniciens est donc souvent résumée dans les conversations
informelles, à ces tâches et préoccupations « bassement matérielles », ou à la « p‟tite femme »
que l‟on va enfin retrouver à la fin d‟une longue tournée. Lorsque leur situation sentimentale
s‟avère conflictuelle, elle est souvent écartée des « moments de détente entre hommes » et
alimente les conversations entendues. A la différence de la femme « d‟artiste reconnu », elle
ne bénéficie pas la plupart du temps des avantages financiers ou de la reconnaissance sociale
qui devraient compenser les horaires contraignants de son conjoint. Au contraire, elle est
souvent là « pour faire bouillir la marmite ».
Ainsi, au travail comme à la ville, les techniciens demeurent continuellement en vase clos,
dans un milieu professionnel viriliste, voire misogyne, qui s‟auto-entretient. Les femmes
rencontrées sur le lieu de travail sont résumées aux dispositions féminines suspectées de leur
avoir fourni leur poste ou statut dans le champ artistique, et celles retrouvées « à la maison »
sont caricaturées le plus souvent en « bobonnes » ne pouvant rien entendre à leur vocation.
Tout espace de sociabilité pour eux semble entretenir le mythe de la « mère ou de la putain »,
ce qui ne peut entraîner qu‟une crainte envers les aspirantes techniciennes, souvent perçues
82
comme de potentielles « casseuses d‟ambiance » dans la maison des hommes. De nouveau,
Alexandre B. illustre cette appréhension palpable, lorsque nous lui demandons pourquoi « on
laisse très peu de femmes prendre les commandes des studios » :
« Non ! C‟est pas un manque de confiance…Non… ça dépend des musiciens. Déjà y a
très peu d‟instruments féminins en studio. Mais c‟est plus une histoire d‟ambiance.
Les femmes n‟acceptent pas les mêmes blagues. Il faut qu‟on se retienne ! »
On peut donc imaginer que lorsqu‟une femme parvient malgré tout à accéder à un poste
technique, elle ne sera pas forcément conviée aux « soirées informelles », à moins d‟être « la
copine d‟un collègue » (ce sur quoi nous reviendrons plus tard), soirées au sein desquelles
« de toute manière elle ne se plairait pas. » Nous concernant, nous ne devions notre présence
tolérée qu‟à notre statut de stagiaire ou de bénévole, qui n‟implique pas de « fermer la
séduction 108
» et nous plaçait donc plus du côté de la « putain potentielle », que de la « mère
potentiellement casseuse d‟ambiance ».
En quittant, momentanément, l‟angle de la sociologie du genre, nous pouvons également
expliquer cette volonté de rester « entre-soi », par les tensions internes au monde du spectacle,
entre artistes, équipe technique, organisateurs et public.
En effet, les techniciens ont souvent la prétention d‟être au moins autant instrumentistes que
les musiciens sur scène, mais ne bénéficient pas pour autant de la même reconnaissance
sociale. Ce sentiment va se traduire souvent par des critiques incessantes et une démarche
plutôt désabusée lors des concerts, comme pour signifier que les artistes « ne les ont pas fait
vibrer ». Au contraire, si la performance leur plait il est assez fréquent qu‟ils aillent discuter
« virtuosité » avec les artistes à la fin du concert, se plaçant ainsi automatiquement du côté
des instrumentistes. Cependant, la distance sociale existant malgré tout entre « l‟artiste qui
crée» et le « technicien qui exécute», beaucoup vont alors critiquer l‟arrogance et les caprices
« typiques » de la profession artistique, pour mieux retrouver leurs pairs et l‟ombre propre à
leur devoir professionnel.
Les organisateurs109
quant à eux, incarnent souvent le rôle de « l‟employeur » dont les seules
préoccupations relèvent de l‟aspect financier. Les échanges se font le plus rares possibles, ou
passent par une interface, la régie générale, apte à traduire aussi bien le vocable technique
108
Buscatto (Marie), ibid. 109
Ici, on englobe aussi bien les programmateurs, l‟administration, la communication et la production (soit le
bureau)
83
qu‟administratif. De nouveau, les organisateurs semblent bénéficier d‟une meilleure
reconnaissance sociale (interviews, fédérations et colloques entre pairs) et peuvent prétendre à
de meilleurs revenus financiers. Enfin, ils se voient souvent reprocher leur autodidaxie qui ne
débouche sur aucune technicité particulière pour le système de valeurs propres aux métiers
techniques. Nous pouvons cependant témoigner que les techniciens sont souvent évoqués en
des termes peu élogieux : comme des « brutes », des personnes peu qualifiées, déviantes et
« obtues ». Ceci n‟est bien sur valable que pour les techniciens et non pas pour les régisseurs,
ou les ingénieurs dans une moindre mesure. De même, les organisateurs ont tendance à
assimiler « techniciens » et « ouvriers »110
, ce qui dénote une faible connaissance du milieu, et
relève souvent d‟un manque d‟intérêt envers ces postes.
Enfin, à la manière des artistes décrits par Becker111
, les techniciens s‟isolent souvent du
public. Du point de vue spatial, bien que la régie soit souvent au milieu de la fosse, elle est
entourée de barrières interdisant le passage des spectateurs, afin d‟éviter toute ingérence dans
la technique. Les stage men sont quant à eux sur scène, littéralement élevés au-dessus de la
foule, dans les backstage112
si chers aux guests113
du groupe ou de la troupe. Ils ont tout le
loisir d‟observer les fans, dans leurs excès les plus paroxystiques, et de s‟en distinguer au
maximum.
Le public est bien souvent perçu comme « novice » et « incontrôlable », voire « ridicule ».
Lorsque les techniciens ne disposent plus des barrières physiques qui l‟isolent du public, on
remarque qu‟ils adoptent aussitôt une démarche plus pressée pour « fendre la foule » et
retourner vaquer à leurs postes isolés objectivement. Ils ne sont absolument pas « là » pour
« profiter de la prestation » comme les autres « caves 114
». Ils se distinguent ainsi de manière
manifeste des non-professionnels. Il nous a ainsi fallu souvent adopter la même manière
d‟être pour pouvoir établir un contact avec eux sur leur lieu de travail, lorsque nous n‟étions
pas nous-même dans l‟équipe et arborions ainsi un signe distinctif (pass, badge…).
Afin d‟expliquer comment ce comportement s‟étend à leurs activités sociales ordinaires, nous
reprenons Becker :
« Ceci est, dans une certaine mesure, inévitable puisque les conditions de travail – horaire
tardif, grande mobilité géographique, etc… – rendent difficile la participation des
110
Voir Annexe « Les « postes » de techniciens du spectacle » 111
Becker (Howard S.), ibid. 112
Arrière scène et côté, derrière les rideaux, à l‟abri des lumières. 113
Invités des artistes. Ils réclament bien souvent les mêmes égards et le plein accès. 114
Becker (Howard S.), ibid.
84
[techniciens] à la vie sociale extérieure à leur profession. Lorsqu‟on travaille pendant que les
autres dorment, il est difficile d‟entretenir avec eux des relations sociales ordinaires. »
Ainsi, tout dans cette « culture de métier » converge pour entraîner une auto-ségrégation des
techniciens. Ceci peut d‟autant plus s‟intensifier s‟ils ont le sentiment de ne pas être reconnus
à leur juste valeur, sur le terrain comme dans leur famille. Ils nourrissent alors un « sentiment
de classe », persuadés que seuls leurs pairs masculins peuvent comprendre leur « style de vie
artiste » et les impératifs d‟une telle vocation que personne ne semble près à leur reconnaître.
Cédric va même nous mettre en garde lors de notre entretien :
« Fais gaffe à ta manière de retranscrire ! Je veux dire… Il faut comprendre un choix de
métier [il insiste sur ces termes] sur trente ans, dans un milieu caché, sans aucune
reconnaissance, ni même sur l‟ancienneté, vu que tu deviens moins rentable, t‟es même
plus cher ! C‟est aussi pour ça que c‟est important ton réseau et la reconnaissance de tes
pairs et tuteurs… […] Tu sais de l‟extérieur, t‟auras aucune reconnaissance, les seuls trucs
qu‟on va te dire, ce sont des remarques négatives. Quand ça va bien c‟est cool, mais c‟est
ce qu‟on attendait de toi, alors que quand ça merde…. M‟enfin, ça fait partie de
l‟apprentissage que d‟accepter de ne pas avoir d‟évaluation des autres. »
Les réseaux sociaux informels comme soubassement des réseaux professionnels
Les « rencontres » et les « contacts », comme nous l‟avons vu, sont souvent cités lors de nos
enquêtes comme « déclencheurs de leur vocation ». De plus, c‟est bien en « traînant » autour
de leurs aînés, sans but précis, qu‟ils se sont peu à peu orienter vers le bénévolat et
l‟autodidaxie technique. Enfin, les ingénieurs, pour de multiples raisons évoquées
précédemment, passent le plus « clair » de leur temps entre eux, et se constituent ainsi des
réseaux de « potes » dans le milieu.
Nous allons à présent voir que ces réseaux sociaux informels qu‟ils vont enrichir tout au long
de leur « carrière », vont jouer un rôle primordial aussi bien au départ de celle-ci que pour la
développer et s‟assurer une certaine « stabilité professionnelle ». Les réseaux professionnels
vont ainsi se construire en miroir des réseaux informels, selon la même matrice viriliste.
85
Pour illustrer ce processus, le cas d‟un « groupe de potes » devenu une société de techniciens
du son et de la lumière, que nous avons fréquenté à Dour, nous parait particulièrement parlant.
Lors d‟un stage à Dour, un collègue permanent au Festival de Dour nous a introduite dans son
groupe d‟amis sur la commune. Ce collègue était en charge de la logistique et des saisonniers
sur le festival. Il était donc rapidement entré en contact avec la société qui fournissait la
plupart des régisseurs et techniciens de scène qui provenait, étrangement, de la même petite
commune (environ 10000 habitants) de Dour. Nous les avons rencontrés dans leur salle de
répétitions plus ou moins improvisée au sous-sol de la résidence d‟un d‟entre eux, où ils se
retrouvaient quasi quotidiennement, et qu‟ils surnommaient « La Cave ».
Cet endroit était un mélange de bar-fumoir, de salle de jeu et de répétitions. La décoration
était sommaire (quelques affiches de leurs groupes respectifs, des photos de leur adolescence
ou de leurs lieux de travail, un tableau avec les horaires…) et l‟espace envahit par les
instruments de musique et le matériel de son et lumière accumulé.
Ces hommes étaient à la base un groupe d‟amis d‟enfance, qui avaient peu à peu intégré de
nouvelles têtes et se retrouvaient pour répéter. Rapidement, une poignée d‟entre eux a
commencé dans le métier, d‟abord comme « bénévoles115
» au festival de Dour qu‟ils
fréquentaient depuis leur enfance, puis au sein d‟une société créée entre amis pour se
professionnaliser. Peu à peu, les autres « potes d‟enfance » ont commencé à s‟intéresser à
leurs activités et se sont proposés lorsqu‟ils manquaient d‟effectifs. Les premiers ont donc
délégué le « sale boulot » et les ont intégrés à leur équipe lorsqu‟ils se montraient
« compétents ». La société a rapidement pris de l‟importance, demandant nécessairement plus
de bras. Les « potes » ont alors amené de nouveaux entrants, rencontrés sur le lieu de travail,
ou simplement « en galère d‟emploi ». On peut facilement imaginer les tensions existantes au
sein de la société, certains « potes » étant devenus les gérants, et d‟autres les exécutants.
Néanmoins, la « culture de métier » propre aux techniciens se caractérise par l‟accord tacite
qui règne autour de la non-évocation d‟une quelconque hiérarchie sociale. S‟il existe bien sur
des employeurs et des employés, ils se comportent entre eux comme des collègues sur un pied
d‟égalité, conformément à « l‟entre-soi » qui fait bloc contre tous (organisateurs, artistes,
public).
115
Les bénévoles du festival de Dour sont essentiellement des saisonniers rémunéré au black qui au fil des
années se sont professionnalisés pour être mieux payés.
86
Ces amis devenus collègues, continuaient malgré tout à se retrouver tous les soirs à la Cave
pour discuter, jouer quelques morceaux, voire s‟ils pouvaient trouver des dates pour leurs
groupes, mais aussi des dates pour travailler. Ceux qui manquaient à l‟appel étaient forcément
« sur un montage ». Chaque soir, de manière très informelle, Alain demandait à chacun ces
jours de disponibilité pour le montage et le démontage. Une fois cette formalité remplie, ils
recommençaient à discuter, à partager un joint et une bière, à se moquer des organisateurs et à
se plaindre de leurs femmes, qui ne sont d‟ailleurs pas admises à la Cave.
Deux ans plus tard, si la société existe encore, le groupe de « potes » se retrouve de moins en
moins en ce lieu. Certains ne travaillent plus, ils ne sont plus sollicités car considérés comme
pas « assez sérieux sur le terrain » par les autres. D‟autres ont abandonné la profession à cause
de leurs addictions. On ne les évoque presque pas en soirée. Ceux qui sont restés ont amené
de nouveau des personnes extérieures, rencontrées sur le terrain, qu‟ils ont également
intégrées aux soirées de la Cave.
Becker décrit ce phénomène de « coterie parrainante» chez les musiciens de Jazz, dont
l‟attribution des emplois dépend d‟un réseau de coteries imbriquées les unes dans les autres, et
de leur place au sein du réseau. Comme pour les musiciens, les techniciens membre d‟un
même réseau sont unis par des obligations réciproques : ils se parrainent mutuellement pour
décrocher des engagements, soit en embauchant les autres, soit en les recommandant auprès
des recruteurs. Dans la technique, les organisateurs et les régisseurs manquent « toujours de
bras ». Ils choisissent donc quelques personnes de confiance qu‟ils savent compétentes et
sérieuses pour recruter des ouvriers pour le montage et le démontage, des roadies et de temps
en temps des techniciens. Ainsi, un stagiaire va pouvoir se faire recommandé par son
« formateur » lorsqu‟il ne peut justifier d‟assez d‟expérience ou d‟un diplôme. Les hommes
occupant les postes techniques avec les plus de responsabilités, vont ainsi se faire engager
avec « leur équipe » qui se révèle souvent être « sa bande des potes ».
Les techniciens peuvent ainsi participer à l‟intégration d‟un de leur pair dans un réseau et
ainsi consolider son propre réseau. En effet, avoir à disposition un maximum de « potes
compétents » le valorise dans son expérience du terrain, mais lui garantit surtout le contre-don
ou l‟obligation des « patronnés » à lui rendre la politesse dès l‟occasion venue.
87
La nature autodidacte de leur apprentissage implique qu‟ils progressent en exerçant au
maximum pour se perfectionner, mais aussi pour se faire connaître. De plus, la précarité116
de
leur statut les oblige à cumuler les contrats pour s‟assurer une relative stabilité. Et « pour être
assuré de trouver régulièrement du travail, il faut disposer de relations nombreuses ».
Cédric G. et Mathier B., régisseurs tous deux au festival d‟Aurillac, affirment :
« C‟est pas possible de recruter avec les mêmes sources que les autres métiers. Tu vois
l‟ANPE ou Man Power… Je veux dire, tu connais pas et puis les mecs vont pas
s‟inscrire chez eux de toute façon. Dans ce milieu tout fonctionne en réseaux de
connaissances que t‟as rencontrées… en accueil, en tournées des compagnies. »
Cependant, les techniciens qui recommandent leurs pairs doivent « se porter garants » des
prestations de leur équipe et des stagiaires qu‟ils ont patronnés. Si ces derniers remplissent
correctement leurs fonctions, ils vont pouvoir nouer davantage de relations informelles et
professionnelles. Lorsqu‟ils ne se montrent pas à la hauteur, le discrédit retombe sur leur
« parrain ». Ceci explique en grande partie la crainte à recommander une femme, qui va
systématiquement apparaître comme une potentielle source de conflit, de remise en question
des valeurs ou de l‟ambiance, et risque de ne pas être suffisamment « technique » ou « forte
physiquement ». De plus, va-t-elle disposer d‟un réseau professionnel intéressant pour
pouvoir « rendre la pareille » ?
Pour reprendre Becker, une carrière réussie ressemblerait à une succession de cette séquence :
« Parrainage -> Prestations réussies -> Acquisition d‟un ensemble de relations au niveau
nouvellement atteint. »
Enfin, on ne peut négliger l‟aspect pratique de recommander des personnes que l‟ont
affectionne lorsque l‟on prend en compte les horaires, l‟éloignement et le stress
caractéristiques du métier. Il est facilement compréhensible que l‟on préfère s‟entourer de
« potes » pour une longue tournée ou pour un festival qui impliquent une vie communautaire
forcée pendant plusieurs jours ou mois.
Marie Buscatto a pu constater le difficile accès des femmes instrumentistes à des réseaux de
travail stables. L‟hypothèse qu‟elle formule pointe du doigt leur incapacité à devenir des
« potes » ou à « appartenir à un réseau informel suffisamment fort au sein duquel leur
116
Voir Annexe « Le régime d‟assurance chômage des intermittents du spectacle »
88
présence et leur apport s‟imposeraient à l‟esprit de leurs collègues au moment de la
constitution de leurs projets. »
Les femmes concernées117
l‟expliqueraient par « les différences d‟intérêt », leur « trop grande
gueule » ou « les jalousies potentielles des conjointes ». D‟autres admettent leur « difficulté à
entretenir des relations amicales avec des hommes quand on est une femme seule du fait du
danger de la séduction ».
Du côté des instrumentistes masculins comme des techniciens rencontrés, ils ne se
l‟expliquent pas. Au contraire tous nos enquêtés s‟accordent à dire « qu‟ils ne sont pas contre,
bien au contraire, et qu‟une présence féminine leur ferait le plus grand bien dans ce vestiaire
de foot ». Nous les croyons sincères et d‟ailleurs ces deux réalités ne sont pas contradictoires.
Comme nous l‟avons montré jusque-là, une grande partie se joue avant l‟arrivée des femmes
sur le marché de l‟emploi. Du côté de « la maison des hommes », la socialisation musicale et
professionnelle a entraîné une vision globale particulièrement tronquée de la gent féminine
qui les invite à adopter un comportement méfiant ou clairement sexiste. De plus, la cooptation
propre à la « culture du métier » implique une sélection des individus, qu‟ils vont former ou
recommander à leur réseau, selon des caractéristiques très personnelles, voire arbitraires, qui
compromettent fortement l‟entrée d‟une femme dans ce processus, par crainte que celle-ci
entraîne inévitablement une évolution des valeurs partagées dans le groupe professionnel.
Quant à la plupart des aspirantes techniciennes du spectacle, leur socialisation première de
bénévole sera sexuellement déterminée, leur accès à l‟autodidaxie fortement compromis, leur
orientation technique assez difficile, leur vocation rarement soutenue, et leur stage perçu avec
suspicion…
Si elles atteignent leur but, en l‟absence d‟un conjoint technicien qui partage son réseau avec
elles, leur carrière sera caractérisée par une grande précarité, jusqu‟à ce qu‟elles soient
reconnues pour leur compétence et non plus selon leur « statut principal de femme ». Pour y
parvenir, il faudra gommer tout attribut « féminin », fermer la séduction, voire adopter des
dispositions jugées masculines, afin d‟exister au-delà de leur genre. Mais cela est-il
compatible avec un quelconque épanouissement personnel dans « leur vie de femme » ?
117
Buscatto (Marie), ibid.
89
Comme le remarque Marie Buscatto, le constat d‟une telle absence des femmes dans certaines
professions du milieu artistique, lequel est sensé être « en avance sur son temps », dérange
beaucoup nos interlocuteurs qui se disent tous « affligés » de ce fonctionnement « réac‟ »,
« médiocre ». Nos enquêtés avouent d‟ailleurs tous ne savoir comment l‟expliquer.
A l‟inverse, d‟autres ont le sentiment que ce n‟est pas vrai, que leurs postes se féminisent
enfin et que cela ne peut-être que bénéfique pour « le métier ». Selon eux, cela découle « d‟un
processus normal », des « temps qui changent », d‟une « société qui devient mixte à tous les
niveaux ». Ils insistent par ailleurs sur les « dispositions féminines » de leurs collègues, qui
amènent « une nouvelle vision et une autre façon de travailler qui sont complémentaires [avec
les pratiques déjà existantes]. »
Enfin, quelques-uns ne comprennent même pas pourquoi nous poserions la question de la
féminisation, qui selon eux va de soi. Ils peuvent même nous reprocher de « braquer le
projecteur » sur le « statut principal de femme » qui ne devrait même plus être un obstacle, ou
même la caractéristique première de leurs collègues féminines.
Le paradoxe réside dans la combinaison systématique de deux réponses (de la part des
hommes comme des femmes) à nos questions « Que pensez-vous du fait qu‟il y ait de plus en
plus de femmes au sein des professions techniques ? » et « Pensez-vous qu‟elles puissent
exercer les mêmes professions que les hommes dans le domaine technique ? Pourquoi ? »
Ainsi les enquêtés hommes vont toujours nous citer l‟impact positif d‟une présence féminine,
et tout naturellement se justifier en évoquant des dispositions « traditionnellement affectées à
la gent féminine » (douces, calmes, consciencieuses, sérieuses…).
Ils admettent tous que les femmes peuvent exercer les mêmes métiers qu‟eux et qu‟ils ne
voient pas pourquoi nous nous posons la question, nous « accordant » tout de même, que du
point de vue de la force physique, certaines tâches peuvent poser problème. Ils vont donc
systématiquement établir des différences « naturelles » entre les deux sexes. Ceci relève du
discours « sexiste bien pensant ».
Les femmes techniciennes vont également presque s‟offusquer de notre question sur des
« capacités égales » à exercer ce métier. Cependant elles vont s‟approprier « leur stigmate » et
revendiquer des dispositions féminines différentes « électives » qui seraient au service de leur
90
professionnalisme. Cela entretient néanmoins une croyance partagée autour des différences
intrinsèques à la nature « d‟homme » ou de « femme ».
Nous allons voir à présent que toute l‟ambiguïté de leur situation réside dans la recherche
constante d‟une « combinaison gagnante ». Afin d‟exercer un « métier d‟homme » elles vont
tenter de gommer tout attribut féminin pour se fondre dans leur équipe masculine. Cependant
elles vont revendiquer constamment leur « nature de femme », dans un combat pour la
reconnaissance de leurs capacités et leur volonté de s‟épanouir dans leur vie privée et
professionnelle.
91
CHAPITRE 7
CONCILIER UNE « VIE DE FEMME » ET UN METIER D’HOMME
Pour ces pionnières dans l‟exercice d‟un métier d‟homme, leur « vocation » se trouvera
souvent déchirée entre leurs aspirations en termes de vie professionnelle et de vie privée. Un
tel choix est rarement fait au hasard, aussi se sont-elles souvent préparées aux compromis
éventuels qui en découleraient, tant pour s‟inscrire dans une équipe technique que pour
s‟assurer une certaine stabilité dans l‟emploi.
Cependant, beaucoup ne réalisent pas réellement les sacrifices continuels qu‟elles devront
accomplir, consciemment ou inconsciemment, pour exister de par leur compétence et non plus
selon leur « statut principal » de femme.
Au contraire, les plus jeunes se disent « très bien intégrées », « acceptées », et semblent
s‟épanouir dans le milieu masculin qu‟elles affectionnent depuis l‟enfance.
C‟est sur le tard, lors d‟une réorientation professionnelle ou d‟un désenchantement pour ce
milieu, qu‟elles admettent leur lassitude des conventions sociales masculines et le sentiment
d‟injustice qu‟elles ont accumulé au cours de leur carrière.
L’engagement professionnel : des dispositions élevées
au service d’une « vocation forte »
« Quelle que soit la classe sociale dont est issu celui qui prétend entreprendre une carrière
musicale, il est généralement évident pour sa famille qu‟il est train d‟entrer dans une
profession qui favorise une rupture avec les modes de comportement conventionnel de son
milieu social. Les familles de classes populaires semblent être surtout affligées par
l‟irrégularité de l‟emploi dans le monde de la musique […]. Dans les familles de classes
moyennes ce choix est perçu comme une transition vers la vie de bohême qui risque
d‟entacher la réputation de l‟individu et de sa famille. […] ce genre de conflit peut avoir deux
conséquences typiques. [Ou bien il abandonne sous la pression] Ou bien il peut ignorer les
désirs de sa famille et continuer sa carrière, auquel cas il est souvent précocement privé du
92
soutien de celle-ci et doit commencer à « se débrouiller seul », à faire son chemin sans le
patronage et l‟aide financière de sa famille qui autrement lui auraient été accordés. 118
»
Cette description des pressions qui pèsent sur le choix d‟une orientation vers le milieu « de la
fête » et de la déviance, s‟apparente tout à fait aux luttes qu‟une aspirante technicienne va
devoir affronter dès la formulation de « sa vocation ».
Il est très récurrent que cette vocation soit apparentée à l‟expression « d‟une crise
d‟adolescence », ou « d‟une envie de ne pas travailler ». Dans les deux cas sa vocation n‟est
en rien perçue comme l‟expression d‟un projet d‟orientation rationnel, mûrement réfléchi. Le
milieu du spectacle reste, pour la majorité des gens, affilié aux « loisirs », à la « détente » et
surtout pas au « travail », du latin tripalium (instrument de torture), qui désigne l'effort, et implique
un résultat. Le « travail », dans le sens commun, renvoie au terme lavoro (labeur). Il se rattache au
latin labor, qui signifie la fatigue, la peine, et qui a donné l'adjectif « laborieux ».
A cela il faut rajouter la tradition viriarcale qui sous-tend toutes les allégations bien pensantes
sur sa situation de « femme » dans un milieu masculin, déviant et a fortiori dangereux.
La dimension technique, moins basée sur la notion aléatoire de « talent », mais bien plus sur
la technicité et le travail manuel, va néanmoins être en mesure de calmer les angoisses
parentales. Les parents peuvent ainsi espérer que leur fille se redirige dans un autre secteur où
ses avoirs techniques seront également appréciés.
Dans tous les cas, on n‟assiste rarement à un soutien de « sa vocation », tout au plus à une
certaine indifférence dans l‟espoir qu‟elle « se ressaisisse ».
Cette étape est néanmoins nécessaire pour renforcer sa conviction, et va entraîner, à l‟exemple
du bénévolat actif chez les garçons (duquel elle sera écartée de par sa condition de femme),
l‟assimilation des valeurs du spectacle vivant, et du métier technique : le don de soi, le goût de
l‟effort, accepter les horaires, la pénibilité des tâches, le statut précaire et la faible
reconnaissance sociale sans « rechigner puisque tu l‟as voulu »… De même, la détermination
dont elle va devoir faire preuve, participe à la construction de son identité professionnelle.
« Seule contre tous », elle va nourrir, comme les garçons lors de leur socialisation entre pairs,
le sentiment que seuls les autres techniciens peuvent la comprendre, ce qui va la préparer aux
valeurs d‟entraide, et d‟appartenance à une « famille » professionnelle. Il est d‟ailleurs notable
118
Becker (Howard S.), ibid.
93
qu‟une fois parvenue au poste convoité, la plupart des techniciennes ou régisseuses confient
être très bien « intégrée dans leur équipe » et « se réaliser dans leur travail ».
Ce goût de l‟effort pour « exister » et se « faire une place » va également les préparer « à se
donner deux fois plus », ce à quoi elles devront toutes faire face selon nos entretiens, pour
« se mesurer » aux collègues masculins et prouver leur compétence avant d‟être
« reconnues ».
Nos questionnaires ont dévoilé que la plupart des techniciennes présentaient des dispositions
sociales et culturelles assez élevées, et souvent supérieures à leurs homologues masculins.
Ainsi « comme la plupart des premières ingénieures, professeures de secondaire, artistes-
peintres ou instrumentistes, ces pionnières additionnent les ressources familiales, scolaires
et/ou professionnelles au moment de leur entrée 119
» dans le monde caché du spectacle.
Beaucoup proviennent de classes moyennes, ont suivi la filière générale au moins jusqu‟à Bac
+2 et ont multiplié les stages et les expériences professionnelles diverses.
Ceci témoigne de deux processus :
La plupart n‟ont pas orienté leur choix professionnel dans l‟optique d‟une promotion sociale,
et ce choix professionnel est en totale contradiction avec la logique scolaire d‟orientation par
l‟échec vers les filières techniques120
. Au contraire cette orientation atypique résulte bien d‟un
« choix » inscrit dans un projet fort.
D‟autre part, leur parcours atypique et le cumul intentionnel d‟expériences ne doit pas être
imputé uniquement à leurs difficultés à se stabiliser au sein d‟un emploi ou d‟une équipe. Au
contraire, ceci traduit leur conscience qu‟elles n‟ont d‟autres options que de se
professionnaliser par le biais de formations reconnues, l‟apprentissage autodidacte leur étant
inaccessible, de multiplier les expériences et les références pour devenir le plus polyvalente
possible et de « gravir les échelons », non pas selon la hiérarchie technique mais bien selon
l‟évolution de carrière traditionnelle des femmes dans le milieu du spectacle. Ainsi la plupart
commence comme stagiaire à la communication ou à la production, occupe un poste
d‟administration ou de billetterie, et parvient finalement à obtenir les postes à la régie qui se
libèrent dans leur réseau professionnel de l‟organisation interne.
119
Buscatto (Marie), ibid. 120
Faguer (J.P.), « Le baccalauréat E et le mythe du technicien », Actes de la recherche, n°50, 1993, p 85-96.
94
Cette socialisation plurielle dans les institutions diplômantes, les bureaux et le terrain, leur
permettent de se construire à leur manière un réseau plus hétérogène. De plus, les femmes
« de la régie » semblent souvent beaucoup plus conscientes des réalités des divers postes de
l‟organisation et de l‟équipe technique, ce qui leur permet bien souvent d‟endosser un rôle de
médiateur, indispensable dans les moments de crises.
Cependant ces réseaux, bien utiles pour le secteur de l‟emploi à la production ou la régie –
soit les « hautes sphères de la direction » –, ne peuvent suffire, au début d‟une carrière de
technicienne, à compenser les réseaux professionnels développés « entre potes » par les
techniciens.
Les femmes doivent alors apprendre à se faire une place auprès de leurs collègues, ce qui va
souvent être résumé comme « naturel » par ces filles qui se jugent « garçons manqués », mais
relève en réalité d‟un apprentissage nettement plus complexe et entraînera un ajustement de
leur discours et une modification de leurs valeurs comme de leur hexis corporelle.
Cette adaptation constante induira parfois une contradiction, sous forme d‟habitus clivés,
exprimée comme des situations de « double contrainte » (« ethos de l‟entre soi/réseaux
pluriels », « classe d‟origine/classe d‟appartenance »).
Une prédisposition aux « copinages masculins »
Comme pour les instrumentistes de Marie Buscatto, la plupart des femmes rencontrées sur le
terrain se disent « à l‟aise », complètement « naturelles » dans un contexte où les hommes
dominent en nombre. Elles nous relatent alors souvent comment cette facilité à nouer des
contacts avec les hommes a débuté dès l‟enfance, dans leur fratrie ou dans la cour de récrée.
Aucune ne semble préférer rester en solitaire sur le terrain où faire preuve d‟une timidité
particulière face à leurs pairs. Il est de toute manière impensable de vouloir travailler « dans
une équipe », et surtout « dans une équipe d‟hommes » souvent « potes » entre eux, si l‟on
s‟avère incapable de sociabiliser rapidement.
Parfaitement conscientes des appréhensions masculines lors de leur arrivée sur le terrain, tout
est alors mis en œuvre pour ne pas passer « pour une emmerdeuse » ou pour « une fille fragile
qui a peur de se salir les mains ». Elles doivent souvent rivaliser d‟humour ou de répartie pour
95
tolérer les « blagues grivoises » propres à tout milieu viriliste, mais également se montrer sure
d‟elles et « bien dans leurs baskets » pour « savoir les arrêter » et ne pas devenir « le
prétexte » à toutes ces blagues.
De même, beaucoup d‟entre elles vont, au départ du moins, refuser toute aide, de peur qu‟elle
leur soit reprocher plus tard. A la différence des hommes, elles ne peuvent pas se plaindre de
la pénibilité du travail et des conséquences physiques, à moins que ce soit l‟un de leurs
collègues qui commence à tenir ce discours.
Rapidement, elles devront « jouer le jeu 121
», et ainsi faire preuve d‟un attachement particulier
aux valeurs internes à la « culture du métier », soit la technicité, une maîtrise impeccable du
vocable technique, un don-de-soi physique et moral sur le terrain, une grande ténacité et
disponibilité, un respect des aînés autodidactes, et un goût pour l‟entre-soi et l‟effacement par
rapport aux autres corps de métiers du milieu du spectacle vivant (artistes et organisation).
En effet, sur le terrain comme au sein des réseaux informels (lorsqu‟elles parviennent à
s‟intégrer), les techniciennes doivent constamment se surveiller pour ne pas donner
l‟impression d‟une trop grande ambition, ce qui impliquerait un attachement relatif à l‟équipe
technique, laquelle serait perçue comme une étape pour intégrer un autre poste.
En effet, si la question semble moins se poser pour un homme, une erreur de « placement dans
la hiérarchie122
» ou une attitude parue comme compétitive ou séductrice, vont entraîner une
ségrégation sexuée de la part des autres, hommes comme femmes, percevant certaines
manifestations comme de l‟arrivisme. Ici, l‟appartenance au genre semble prédominer le
positionnement hiérarchique, la ségrégation envers la femme « séductrice » dominant en un
sens la hiérarchie professionnelle préexistante.
Cela va entraîner tout un apprentissage pour savoir automatiquement se situer sur le terrain
comme « un pote » et non plus « comme une femme », ceci par le biais de l‟hexis corporelle
comme du discours.
121
Buscatto (Marie), ibid. 122
GAUDY Camille, « Être une femme » sur un plateau de tournage, Ethnologie française, Vol.XXXVIII, 2008,
p. 107-117
96
L’apprentissage pour fermer la séduction
Dans l‟imaginaire collectif, le milieu du spectacle et « de la nuit » en général, est caractérisé
par le paraître, la séduction et l‟attirance. La réalité confirme bien souvent cette atmosphère
sexuée, voire sexuelle. Les horaires tardifs, l‟ambiance festive, communautaire, en vase clos
et hors du temps, ceci additionné aux consommations d‟alcool ou autres substances, entraîne
effectivement des rapprochements et « condamnent » souvent les professionnels à une vie de
famille entrecoupée, voire à un long célibat. Les questionnaires témoignent que les
techniciens sont, pour la grande majorité, célibataires. Les rares personnes en couple révèlent
souvent qu‟il est très dur de concilier leur travail avec leur vie de famille, et que le « terrain »
entraîne souvent de fortes jalousies de leur compagne/compagnon. Ceux qui semblent y
parvenir le mieux disent avoir rencontré leur conjoint sur le lieu de travail, celui-ci étant ainsi
à même de comprendre « comment ça se passe ».
Bien qu‟exerçant « dans l‟ombre », les techniciennes sont rapidement confrontées à cette
réalité, bien souvent, dès les premiers stages ou emplois. Cela peut d‟autant plus les
surprendre qu‟elles ne sont habituellement pas enclines à jouer les jeux de la
« séduction féminine » classique. Souvent « garçons manqués », arborant une coupe
garçonne, sans maquillage ni quelconque artifice, tout dans leur attitude et leur habillement,
souvent calqué sur l‟uniforme masculin, a été étudié pour paraître « forte » et « compétente »
et se fondre dans l‟équipe.
Malgré cela, leur rareté et leur « statut principal de femme » dans un milieu d‟hommes attirent
le regard, et « tous les goûts étant dans la nature », elles restent sollicitées aussi bien par les
pairs que par tous les individus du monde du spectacle.
« La séduction est incessante, le désir créé chez les autres [musiciens/techniciens] est
permanent, le danger de se laisser aller aussi. Car quel que soit leur capital séduction ou les
usages plus ou moins « féminins » de leur corps, un apprentissage fondamental se réalise ainsi
au cours du temps : « fermer la séduction », expression souvent mobilisée par les unes et les
autres pour parler de cette capacité à empêcher un désir masculin de se développer de manière
jugée inadéquate. 123
»
123
Buscatto (Marie), ibid.
97
La « drague », omniprésente dans le milieu, ne serait pas forcément un problème si, une fois
les avances refusées, cela n‟entraînait aucune amertume ou dénigrement de la part des
hommes éconduits. Cependant, refuser les avances d‟un (ou plusieurs) homme(s) peut
déboucher sur l‟exclusion d‟un réseau informel, voire professionnel. A l‟inverse, céder aux
avances peut lancer une « réputation sulfureuse » qui la renverrait à « son statut principal » de
femme et occulterait toutes ses compétences techniques.
On retrouve cette même menace constante chez les instrumentistes de jazz de Marie Buscatto,
ainsi que pour les conductrices de poids lourds étudiées par Patrick Hamelin et Anne-Marie
Rodriguez124
.
Elles apprennent alors à adopter des comportements « clairs » envers « elles-mêmes et envers
autrui », et à sociabiliser avec une certaine prudence. D‟autres vont s‟imposer une règle
rigoureuse : ne pas « s‟amuser » pendant le boulot, soit ne pas mélanger vie privée et vie
professionnelle « à moins que « ce ne soit du sérieux ». Enfin, d‟autres vont adopter une hexis
corporelle caricaturale en se positionnant volontairement « hors-jeu » socialement,
symboliquement, par une singularité (apparence physique, orientation sexuelle etc.) qui signe
le caractère « contre-nature 125
» de la femme technicienne.
De nouveau, le plus difficile pour les femmes est peut-être de savoir comment se situer afin
d‟être reconnues pour leur compétence et non pas pour leur genre. Ceci explique le rejet de la
séduction, pour neutraliser la ségrégation, positive comme négative dont elles peuvent
potentiellement être victimes. Ne pas vouloir être aidée, ni être considérée comme une « fille
très fille », sujet de drague ou cataloguée comme écervelée, empêche bien souvent ces
femmes d‟être totalement libres de leur comportement ou de leur féminité. Mais gommer tout
signe de sensibilité ou qualités stéréotypées comme « féminines » ne suffit pas toujours, aussi,
afin d‟appuyer leur distinction des autres femmes du milieu du spectacle, ou en soi de « la
mère et la putain », elles vont souvent adopter le discours viriliste des collègues, afin de se
positionner comme « asexuée ».
124
Hamelin (Patrick), Rodriguez (Anne-Marie), « Conducteurs et conductrices de poids lourds, Recherche
transport sécurité, 87, 2005, p47-173. 125
Perrenoud (Marc), ibid.
98
Une marginalisation des « femmes-femmes »
Le sexisme n‟est pas l‟apanage des hommes. En effet, pour ne pas être affiliées aux catégories
manichéennes de « la séductrice » ou de « la casseuse d‟ambiance », les techniciennes
adoptent souvent, du moins face à leur équipe, le même discours condescendant, moqueur,
voire hostile, à l‟égard des autres femmes du milieu du spectacle.
Loin de les inscrire dans l‟équipe comme « un pote », au même égard que leurs collègues
masculins, cela entretient une auto-ségrégation qui peut les couper aussi bien de la « solidarité
féminine » que des réseaux masculins. Pour illustrer cet aspect, nous avons rencontré
plusieurs « assistantes de régisseur » connues pour leur grande agressivité à l‟égard des
« nanas de la prod‟ ». Cependant, en trois ans, leur poste et leurs responsabilités dans le
domaine technique n‟ont pas évolué pour autant. Le couple « régisseur- assistante », comme
pour le milieu cinématographique, est extrêmement répandu. Les femmes, ainsi reconnues
pour leur compétence de par leur statut (le plus proche échelon du poste décisionnel), jouent
en réalité le rôle « d‟intermédiaire » pour un homme, illustrant ainsi « le bon fonctionnement
de la mixité au sein d‟un couple efficace126
» qui légitime une division verticale et sexuée du
travail technique. Or rien ne pousse à faire évoluer une équation gagnante, et la plupart reste
ainsi enfermées dans un rôle encore une fois « jugé parfait pour elles ».
De plus, ces assistantes n‟étaient jamais conviées aux soirées informelles de l‟équipe
technique, dans lesquelles paradoxalement certaines stagiaires de la production ou de la
communication pouvaient être présentes, ce que l‟on expliquera notamment par le grand
attrait qu‟exercent « les p‟tites stagiaires » dans ce milieu.
A ce sujet, Camille Gaudy s‟était déjà questionnée sur le paradoxe qui veut que lorsqu‟une
femme parvient aux postes décisionnels, elles refusent l‟assistanat de leurs consœurs, comme
pour renverser le schéma habituel, et prennent alors un assistant. Elle s‟est alors demandé à
son tour si l‟on pouvait percevoir ce phénomène comme « une conséquence dérivée de la
ségrégation dont le sexe féminin est encore victime ».
126
Gaudy (Camille), ibid.
99
Pour l‟illustrer, elle cite un entretien avec une technicienne audiovisuel, fortement
représentatif de l‟ambiance qui règne dans le spectacle vivant.
« Je suis aussi macho que les autres, à toujours me méfier d‟une femme en position de
pouvoir. La génération de nos parents a donné quelques productrices injustes et
hystériques, une poignée de directrices de prod‟ qui boivent, et … des costumières
maquilleuses. La génération suivante patauge, je pense que seuls les 15-25 ans sauront
arriver à des postes de pouvoir sans trop de douleur et efficacement, en ciné comme
ailleurs ! 127
»
Pour justifier sa méfiance, cette technicienne évoquera les difficultés d‟une génération de
femmes à occuper sereinement des places de pouvoir. Or cette année, au festival de Dour, le
principal sujet de conversation et de moqueries, était l‟éviction de France Leduc à la tête de
Live Nation France et le fiasco retentissant dont elle était à l‟origine sur le festival du Main
Square. Nos supérieurs, venus à sa rescousse, la surnommaient « l‟hystérique qui a vu trop
lourd pour ses épaules », opinion partagée avec une bonne partie des professionnels du
spectacle vivant. Chaque échec de la part d‟une femme dans ce milieu, sera rapidement
attaché à son « incompétence », à sa « trop grande ambition », et à son incapacité à « rester à
sa place ».
Une réalisatrice illustrera également cette difficulté à se positionner dans un milieu d‟homme,
sans discriminer les autres femmes :
« Le cinéma, c‟est un métier d‟hommes aussi, bon… alors les mecs sur les tournages ils
sont vraiment des mecs quoi […] ils ont des gros blousons, des couteaux… enfin des trucs
qui sont accrochés à la ceinture avec lesquels ils ont des pinces... C‟est des techniciens
quoi… ils sont tous en grosses baskets, avec un look de tournage très viril. Les
réalisatrices souvent elles sont… pour vraiment être une réalisatrice… Josée Dayan, le
cliché de la réalisatrice de télé… elle se … gratte les couilles sans arrêt, elle en a pas mais
elle fait comme ça quoi, elle fume des cigares… C‟est très viril quoi. Très viril. Et à côté
de ça, il y a le staff HMC [équipe Habillement Maquillage Coiffure] qui sont souvent des
filles très filles, et qui passent un peu pour les cruches du tournage quoi. Qui sont là, qui
s‟occupent du maquillage, du machin… 128
»
127
Gaudy (Camille), ibid. 128
Gaudy (Camille), ibid.
100
Il apparaît évident que pour être respectée, il faut adapter son habitus et adopter le plus
rapidement et le plus significativement possible les valeurs et pratiques traditionnelles du
spectacle vivant, soit ne pas les remettre en question si l‟on veut progresser dans la hiérarchie.
Tenter de faire « oublier que l‟on est une femme », entraîne parfois de renier les « étapes
précédentes », qui ont souvent consisté en un « travail plus féminin » auprès « d‟autres
femmes » avec lesquelles on entretenait parfois des relations d‟ordre amical. Les réseaux
construits durant cette socialisation plurielle ne sont alors pas exploités au maximum,
notamment ceux jugés comme « rivaux » ou « trop féminins » (organisation, tourneurs,
compagnies…). Il faut alors se concentrer sur les « réseaux masculins » et trouver un moyen
pour y être intégrée.
Un conjoint technicien : aide et contrainte
Au regard des conditions de travail et de l‟auto-exclusion qui en découle, avoir un conjoint
qui exerce dans le même milieu peut représenter de nombreux avantages pratiques pour la vie
commune.
Au-delà de ces avantages pour l‟organisation de leur vie privée, le conjoint technicien peut
également faciliter l‟insertion de la technicienne dans ce milieu, lui assurer une certaine
stabilité dans l‟emploi et simplifier son intégration dans une équipe, notamment en la
soulageant des éventuels « avances » de ses collègues.
En effet, une femme étant « par nature » écartée des réseaux informels masculins, surtout si
elle n‟accepte pas le « jeu de la séduction », une technicienne qui devient la « femme de » ne
va plus être appréciée en premier lieu pour ses qualités personnelles, mais bien pour sa liaison
avec « un pote ». Elle verra alors instantanément s‟ouvrir les portes des « soirées entre potes »
et des réunions informelles après le travail. De la même manière, ses pairs qui
recommanderont son conjoint pour un contrat, penseront alors aussi à elle, lorsque ce n‟est
pas le conjoint lui-même qui la recommande.
Enfin, elle n‟aura plus « à souffrir » (autant) d‟avances de ses collègues s‟il la rattache
instinctivement à « la femme de leur pote ». Ce « rôle » du conjoint peut être complété ou
remplacé par le père ou le frère de la technicienne. Néanmoins nous n‟avons assisté à aucun
101
cas de ce type, hormis pour des postes plus « ouvriers » comme le montage et la logistique du
terrain.
Néanmoins, tous ses avantages peuvent représenter autant d‟inconvénients lorsque la relation
connaît un terme. En effet, les relations nouées au sein du réseau peuvent aussi rapidement
disparaître, par « solidarité avec leur pote », ou par simple oubli d‟une personne qui n‟existait
qu‟en tant que « copine de ». De la même manière, dès la « rupture », elle retrouve aussitôt
son « statut dominant de femme » et toute dimension sexuée et séduisante qui va de pair.
Refuser les avances de ses collègues ne sera pas perçue de la même manière une fois
célibataire, et le replacera dans la menace constante d‟être exclue.
De même, il peut être très difficile à vivre pour une technicienne, dont le parcours démontrait
jusque-là une volonté et une indépendance à toute épreuve, de n‟être plus individualisée, ou
d‟être constamment perçue comme « l‟assistante » de son conjoint.
Cet accès au réseau professionnel de son conjoint et la stabilité qu‟il peut apporter est donc
particulièrement fragile et précaire. Les femmes dans ce cas que nous avons pu rencontrer se
défendent de se contenter d‟exploiter ce réseau, et cherchent continuellement à exister « en
dehors de leur couple ».
Rapidement, comme pour se raviser, elles finissent néanmoins toujours pas insister sur
l‟aspect pratique d‟un travail en couple, alors que nombre de leurs amis ne parviennent pas à
concilier une vie de famille avec l‟exercice de ce métier et les conséquences de sa dimension
vocationnelle. Nous avons d‟ailleurs rencontré plusieurs couples qui ne travaillaient qu‟en
« binôme » afin de préserver leur vie de couple.
Sacrifice vocationnel de sa vie privée
De la même manière pour les hommes et les femmes, le rythme de vie propre à l‟exercice de
ces métiers (horaires décalés, déplacements géographiques fréquents, précarité financière, vie
communautaire et en vase clos dans un milieu déviant, pénibilité du travail et ses
conséquences physiques et morales) altère considérablement les chances de mener une vie
« privée » dite normale.
102
Tous affirment le savoir « depuis le début » [de leur vocation ou engagement professionnel] et
que « cela fait partie intégrante du boulot ». Alexandre B. affirme :
« Le rythme de vie n‟est pas très sain. Mais on le sait dès le départ. Sinon ils se sont
plantés de boulot ! La vie de famille ? Faut oublier ! Surtout dans le live ! Ou alors
trouver quelqu‟un qui l‟accepte. Mais elle finira toujours par en avoir marre. En studio
c‟est pas pareil… Les périodes de boulot sont plus aléatoires… Sortir avec quelqu‟un
du milieu ? Et on parle de quoi à table alors ?! »
On note d‟ailleurs que dans les questionnaires, dans les points positifs de leur métier, ils
inscrivaient tous « voyages », « pas de métro/boulot/dodo », « milieu festif » ou « multiples
rencontres », « mais parallèlement réécrivaient des synonymes ou conséquences directes dans
les inconvénients : « déplacements continuels », « stress pour trouver des dates et à cause du
rythme décalé », « précarité », « instabilité », « drogue »…
Néanmoins, les répercussions ne sont pas forcément les mêmes pour les femmes. Ingrid,
régisseuse, femme de régisseur, et nouvellement maman, nous éclaire un peu sur sujet :
« C‟est pas facile, parce que c‟est un milieu particulièrement masculin. Il faut faire deux
fois plus d‟effort pour prouver qu‟on est bonne dans ce qu‟on fait et au final, à
l‟embauche, les places sont plus facilement données aux hommes qu‟aux femmes à
compétences égales. Après, tout est une question de caractère. Je ne conseillerais pas à
une femme de faire ce métier. C‟est dangereux, les horaires sont très difficiles et notre vie
de famille difficile à organiser. Il faut que t‟aies les mêmes disponibilités qu‟un mec, et
c‟est difficile de dire non. Mais tu vois, cette semaine par exemple je ne peux pas exercer
[elle vient d‟accoucher]. Alors il faut être forte, et y a moyen. »
Ingrid soulève ici deux points important : la disponibilité et la gestion du quotidien de la vie
de famille qui incombe traditionnellement à la femme.
Deux options s‟offrent alors : le choix radical de sacrifier sa vie de famille ou de ne pas avoir
d‟enfant, ou reléguer pour un temps son choix professionnel pour développer son
épanouissement familial, ce qui est souvent mal vécu de par la dimension vocationnelle de
leur choix de métier.
Tenter de concilier les deux implique nécessairement d‟être moins disponible, mais être moins
disponible implique d‟être « moins de confiance » pour les réseaux professionnels déjà
103
précaires de ces femmes. Car appartenir à un réseau requiert de respecter le processus de
« recommandation et contre-don » et de le développer continuellement.
Se retirer du circuit pendant quelques temps, outre le fait que le statut intermittent soit
difficilement conciliable avec une maternité129
, va entraîner un amoindrissement des
propositions de contrat de la part des « potes » du réseau, qui peut aller jusqu‟à l‟exclusion de
celui-ci lorsque l‟on est cataloguée comme « peu fiable », « pas impliquée », « pas assez
disponible ».
Comme le développe Marie Buscatto, les femmes du monde du spectacle voient leur maintien
dans cette carrière compromis de par leur manque d‟une « épouse » au sens traditionnel, soit
de quelqu‟un pour « faire bouillir la marmite », « recoudre les chaussettes », les soutenir dans
les périodes très difficiles d‟attente de contrat et de doute face à leur engagement
professionnel. Effectivement, aucune des femmes rencontrées ne bénéficie d‟un « conjoint-
épouse 130
» qui prenne en main la gestion du quotidien ou les charges éducatives, et
contrebalance leur « style de vie artiste ».
Les ingénieurs rencontrés ont souvent décidé de faire passer leur « carrière » en premier plan,
que ce soit au moment de l‟accouchement (comme le mari d‟Ingrid) ou lorsque l‟un de ses
enfants était malade, tant qu‟il estimait que ce n‟était pas trop grave. Cela incombait tout
naturellement à leur conjointe.
Les femmes semblent ainsi plus souvent soumises à des contradictions et tensions entre leur
vie professionnelle et leur vie personnelle. Ceci explique en partie la prise de conscience
tardive des « injustices » dues à leur condition de femmes. En effet, c‟est à l‟heure du
« premier bilan de leur vie » qu‟elles constatent les sacrifices qu‟elles ont du faire pour
exercer. Apparaît alors une certaine lassitude des conventions masculines qui dirigent le
fonctionnement interne de leur groupe professionnel. C‟est également à cette période qu‟elles
décident soit de persévérer et de ne plus penser à une vie de famille, soit de se réorienter vers
un métier « plus stable », dans le cas où elles ne parviennent pas à trouver un poste de
permanente dans une structure, lequel leur aurait permis une certaine tranquillité d‟esprit face
à l‟emploi, mais aussi de s‟installer plus ou moins définitivement et de prétendre à une « vie
de famille normale ».
129
Voir Annexe « Les Matermittentes » 130
Buscatto (Marie), ibid.
104
CONCLUSION
Aujourd‟hui encore, le monde de la « technique » ne semble pas destiné aux femmes, bien
que les professionnels du spectacle assurent être tout à fait enclins à les accueillir. Non pas
que ce milieu attire particulièrement les sexistes, mais son fonctionnement d‟apprentissage
autodidacte et d‟accès à l‟emploi par les réseaux informels, perpétue une ségrégation féminine
relativement inconsciente, que la professionnalisation peine à rationaliser. En effet, la
multiplication des formations techniques et la technicisation des métiers n‟a pas, à ce jour,
entraîné une rupture franche avec les façons de faire traditionnelles, la cooptation,
l'informalité et l'arbitraire qui caractérisent depuis toujours ce groupe professionnel.
A ce sujet, Bourdieu (ou l‟Ecole de Francfort) considérait « le champ du spectacle vivant»
comme « un champ jamais autonomisé et dans lequel se reproduisent autour de la libido
dominandi les éléments de la socialisation masculine classique que l‟on retrouve dans les
sports collectifs (performance, discipline de travail, paillardise).
Les femmes n‟en sont pas pour autant absentes, mais comme pour la plupart des métiers
qu‟elles ont exercé sur le tard, les rôles qui leur ont été dévolus « naturellement » les ont
freinées dans leur vocation technique en les enfermant simultanément dans des rôles jugés
« parfaits pour elles ». Cette ségrégation sexuée se traduit aussi bien horizontalement (les
« postes féminins » et les « postes masculins ») que verticalement (« le chef et son
assistante »).
Celles ayant choisi d‟outrepasser ses barrières symboliques ont du bien souvent gommer tout
attribut jugé comme féminin afin d‟exister au-delà de leur genre pour leur compétence.
D‟autres ont accepté la répartition traditionnelle des « statuts », soit dès le départ, soit par
lassitude. Dans les deux cas, elles constituent toute une génération de femmes enfermées dans
des carcans, qu‟elles peinent à quitter afin de ne plus avoir à choisir entre féminité épanouie et
carrière charismatique dans une pratique « masculine ».
Comme nous l‟avons vu, la majeure partie des obstacles qu‟elles rencontreront se situent au
moment de l‟apprentissage ou de l‟orientation professionnelle. Le cadre familial et scolaire va
jouer un rôle prépondérant dans la réalisation de leurs ambitions professionnelles.
105
Bien que leur socialisation première les éloigne souvent des chemins battus de l‟autodidaxie
ou du cursus professionnel technique le plus court, elle contribue également à la formation
d‟une identité de « technicienne » et à l‟assimilation des valeurs chères et nécessaires à
l‟exercice de ce métier. Face au scepticisme potentiel des employeurs ou des pais masculins,
elles afficheront souvent une volonté et une ténacité à toute épreuve pour « exécuter le
double » de ce que l‟on attend d‟elles. Enfin, une fois parvenues aux postes qu‟elles
ambitionnaient, elles montreront rarement un sentiment d‟amertume mais bien au contraire
une certaine « fierté » à être intégrées, comme « un pote » dans l‟équipe technique.
De la même manière que pour les instrumentistes de Marie Buscatto, les ingénieures
rencontrées ont toutes montré un cumul de ressources familiales, sociales, culturelles et
professionnelles, combiné à une capacité d‟adaptation à cette « culture de métier viriliste »
assez exceptionnelle, ce qui leur a permis de faire « leur place ».
Il nous parait évident qu‟on ne peut appréhender le fonctionnement du milieu technique si
l‟on ignore l‟importance du sentiment vocationnel de ces professionnels. En effet, le dessein
d‟un « style de vie artiste » et d‟une contribution à la création ou à l‟esthétique du spectacle
vivant ne sont pas l‟apanage des individus exerçant sous les projecteurs. Le parcours des
personnes rencontrées, homme ou femme, traduit toujours ce don-de-soi pour un engagement
artistique, et ceci au prix de tous les sacrifices, en terme de reconnaissance sociale comme de
vie privée.
Or les femmes, bien que disposées aux mêmes sacrifices, sont toujours traditionnellement
attachées à leur devoir familial, et doivent ainsi endosser la responsabilité de
l‟épanouissement du foyer, parallèlement à leurs ambitions professionnelles, chose que les
réalités de leur travail en terme de cadre législatif comme de « culture du métier », ne
semblent pas encore prêtes à leur faciliter.
Ainsi, les tensions entre leur vocation professionnelle et leurs aspirations personnelles vont
apparaître de manière plus sensible vers la trentaine, et ainsi fragiliser leur conviction ou les
évincer des réseaux informels qu‟elles peinaient déjà à fréquenter.
106
Comme Marie Buscatto on pourrait conclure à une nature moins ambitieuse des femmes, qui
n‟aiment pas « se vendre constamment», ni « entretenir des réseaux informels » pour obtenir
des contrats, mais cette hypothèse nous semble encore trop essentialiste.
Comme nous l‟avons précédemment développé, le trop plein d‟ambition de la part d‟une
femme remettrait en cause sa position et son engagement pour la technique, ce qui pourrait
l‟exclure rapidement des réseaux. Cela résulte donc tout autant de la « nature ou du
tempérament » de la personne, que d‟un calcul rationnel de la part d‟une femme de rester
discrète et de « respecter les règles du jeu » de ce milieu masculin.
Le « plafond de verre » de ce milieu, résulte ici tout autant de l‟archaïsme de son
fonctionnement d‟apprentissage autodidacte au sein de « réseaux masculins », soit des lacunes
du processus de professionnalisation de ce milieu, que des contradictions constantes
auxquelles la société soumet les techniciennes quant à leurs devoirs :
- de fille (suivre leur vocation dans un milieu masculin et déviant / rassurer leurs parents
quant à leur orientation),
- de femme (être perçue comme compétente dans une équipe de « potes » autodidactes /
exister en tant que femme),
- de mère (s‟épanouir dans sa vocation et subvenir aux besoins de la famille / assumer la
gestion du quotidien d‟un foyer).
Ainsi, pour prétendre à une réelle féminisation paritaire de ce milieu, il faudra préalablement
parvenir à une institutionnalisation aboutie du monde du spectacle vivant. Celle-ci entraînerait
une réhabilitation de l‟image sociale de ce milieu, ainsi qu‟une rationalisation des postes,
alors reconnus, et des modes de recrutement. Ainsi, l‟autodidactie serait rapidement dépassée
par la formation sanctionnée par un diplôme. Enfin, cette formation ne perpétuerait plus « la
culture de métier » telle que nous la connaissons. Les femmes n‟auraient plus alors affaire à
un environnement professionnel viriliste, mais demeureraient cependant tributaires, dans une
moindre mesure, des pressions sociales qui pèsent sur elles.
Ce raisonnement optimiste oublie néanmoins un point essentiel : les acteurs de ce secteur
culturel et leur vocation disparaitraient en même temps que ce rationaliseraient totalement
leurs activités, et que s‟effaceraient les dernières traces de leur tradition anti-institutionnelle.
107
SOMMAIRE DES ANNEXES
Questionnaire d’enquête en ligne
Le régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle
Les « postes » de technicien du spectacle
Tableaux présentant les données nationales
Les « Matermittentes » (Article de presse)
Questionnaire d’enquête en ligne
Source : http://www.bouriol.info/enquete
111
Le régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle
La présente fiche, rédigée par les centres de ressources du spectacle vivant (CNT, HLM, Irma
et CND), traite des modalités du régime d‟assurance chômage des intermittents du spectacle,
entré en vigueur le 1er
avril 2007 et prolongé par la convention d‟assurance chômage du 19
février 2009. Toute évolution de celui-ci fera l‟objet d‟une information sur les sites de chacun
des centres de ressources.
Les intermittents du spectacle sont les salariés des entreprises de spectacles dont l‟activité est
caractérisée par la succession - voire la simultanéité - des contrats de travail à durée
déterminée, l‟alternance de périodes travaillées et non travaillées. Il ne s‟agit donc pas d‟un
statut juridique précisément défini, mais plutôt d‟une situation particulière d‟emploi autorisée
par la loi pour certaines professions et caractérisée principalement par sa précarité (recours
fréquent et dérogatoire au CDD). Cette situation est compensée par une protection sociale
particulière passant principalement par l‟affiliation à un régime spécifique d‟assurance
chômage.
L‟ÉVOLUTION DU RÉGIME DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE
Le régime dérogatoire d‟assurance chômage des salariés intermittents du cinéma, de
l‟audiovisuel et du spectacle vivant est fixé par les annexes 8 et 10 au règlement général de
l‟assurance chômage. Celles-ci ont été créées respectivement en 1965 et 1968.
Remis en question dès 1992, il a finalement été prorogé en 1997 puis réformé dans le cadre de
la convention d‟assurance chômage du 1er
janvier 2004. Cette réforme ayant fait l‟objet de
nombreuses contestations qui ont notamment abouti en 2003 à l‟annulation de la plupart des
festivals d‟été, une nouvelle négociation entre les partenaires sociaux s‟est engagée.
La négociation entamée en 2004 a abouti le 18 avril 2006 à une proposition de protocole
d‟accord de la part des organismes patronaux (Medef, CGPME et UPA) qui a été signé le 21
décembre 2006 par trois syndicats de salariés (CFDT, CFE-CGC et CFTC). Les deux autres
syndicats de salariés au sein de l‟assurance chômage (CGT et FO) n‟ont quant à eux pas
accepté les termes du nouvel accord.
Parallèlement à cette négociation, le comité de suivi du dossier à l‟Assemblée nationale avait
formulé une proposition de loi reprenant les principales revendications de la profession [1].
Cette proposition n‟a cependant pas abouti malgré sa signature par 472 parlementaires et son
inscription à l‟ordre du jour de l‟Assemblée le 12 octobre 2006 par le groupe socialiste. Si elle
avait été adoptée, le protocole du 18 avril aurait dû être renégocié.
Les nouvelles annexes 8 et 10 sont entrées en vigueur le 1er
avril 2007 à la suite d‟un arrêté du
2 avril 2007 qui a procédé à leur agrément. La convention d‟assurance chômage du 19 février
2009, entrée en vigueur le 1er
avril 2009, indique, dans son article 5, que les annexes 8 et 10
restent régies par les mêmes dispositions et sont donc inchangées [2].
112
LES RÈGLES D‟AFFILIATION
Le Règlement annexé à la convention du 19 février 2009 pose les conditions générales
d‟accès au régime d‟assurance chômage en précisant qu‟il « assure un revenu de
remplacement dénommé allocation d‟aide au retour à l‟emploi, pendant une durée déterminée,
aux salariés involontairement privés d‟emploi qui remplissent des conditions d‟activité
désignées périodes d‟affiliation, ainsi que des conditions d‟âge, d‟aptitude physique, de
chômage, d‟inscription comme demandeur d‟emploi, de recherche d‟emploi » [3].
Les conditions propres aux professionnels du spectacle sont précisées dans les annexes 8 et 10
à ce Règlement.
1 - Les annexes 8 et 10
Depuis 2004, les annexes s‟organisent selon la fonction occupée par le salarié et non plus par
secteur, avec pour objectif d‟opérer un resserrement du champ d‟application de ces annexes et
une délimitation plus stricte des fonctions techniques exercées. La nouvelle réglementation
n‟a cependant pas apporté de modification à la définition des annexes 8 et 10 :
l’annexe 8 concerne les techniciens et ouvriers des secteurs du cinéma, de
l‟audiovisuel, de la radio, de la diffusion et du spectacle engagés sous contrat à durée
déterminée. Le champ d‟application de l‟annexe 8 est limité à certaines fonctions de
salariés et dépend de l‟activité de l‟employeur identifiée par son code NAF (cf. l‟arrêté
du 30 avril 2009 portant agrément de l‟avenant n°1 à l‟annexe 8 qui fixe la liste des
postes en fonction de l‟activité de l‟employeur) [4] ;
l’annexe 10 s‟applique à l‟ensemble des artistes du spectacle engagés sous contrat à
durée déterminée (tels que définis à l‟article L. 7121-1 du code du travail).
2 - Les durées minimales d‟affiliation
2.1 - Les conditions d‟attribution des droits pour une première admission
Les professionnels intermittents du spectacle à la recherche d‟un emploi bénéficient de
l‟allocation d‟aide au retour à l‟emploi (ARE) s‟ils justifient d‟un certain nombre d‟heures
travaillées au cours d‟une certaine période précédant la fin du dernier contrat de travail.
Pour une première admission, le seuil d‟affiliation reste inchangé.
Pour les artistes :
507 heures d‟activités au cours des 10,5 mois précédant le dernier contrat de travail
exercé ;
les activités peuvent être déclarées en heures ou en cachets ;
le nombre maximal de cachets pris en compte est de 28 par mois.
La conversion des cachets en heures par Pôle emploi reste inchangée :
- un cachet « isolé » correspond à 12h de travail ;
- les cachets sont dits « groupés » dès lors qu‟ils couvrent une période d‟emploi d‟au moins 5
jours continus chez le même employeur, et sont comptabilisés à raison de 8 heures par jour.
113
Pour les techniciens :
507 heures au cours des 10 mois précédant le dernier contrat de travail exercé ;
le nombre d‟heures prises en compte est limité à 48 heures par semaine ou 208 heures
par mois ; ces limites peuvent être portées à 60 heures par semaine ou 260 heures par
mois en cas d‟autorisation de l‟inspection du travail ;
seuls les réalisateurs continuent de pouvoir être déclarés au cachet ou au forfait.
2.2 - Les conditions d‟attribution des droits lors d‟une réadmission
Selon les règles de réadmission dans le cadre des annexes 8 et 10, le système d‟examen de
réouverture de droits permet désormais de prendre en compte des périodes de référence plus
longues, avec une majoration des heures exigées.
Pour toute fin de contrat intervenant à compter du 1er
avril 2007, et jusqu‟au 31 mars 2008 :
Période de référence Heures de travail
Techniciens Artistes
304 / 319 jours 507 507
335 jours 555 529
365 jours 603 574
395 jours 651 619
Ainsi, sur une période de référence de 12 mois, il faut avoir effectué au moins :
603 heures pour un technicien ;
574 heures pour un artiste.
Pour toute fin de contrat intervenant à compter du 1er
avril 2008 :
Période de référence Heures de travail
Techniciens Artistes
304 / 319 jours 507 507
335 jours 557 531
365 jours 607 579
395 jours 657 627
Ainsi, sur une période de référence de 12 mois, il faudra avoir effectué au moins :
607 heures pour un technicien ;
579 heures pour un artiste.
Les périodes d‟emploi ayant déjà servi à une ouverture de droits à l‟ARE ne pourront pas être
prises en compte.
114
Les artistes ou techniciens ne remplissant pas les conditions d‟ouverture de droits peuvent
sous certaines conditions bénéficier de l‟allocation de professionnalisation et de solidarité ou
de l‟allocation transitoire (cf. Mesures complémentaires).
2.3 - Réadmission en cours d‟indemnisation
Depuis 2005, une réadmission peut être effectuée avant l‟épuisement des droits si l‟intéressé
justifie de nouveau de 507 heures d‟activité.
En effet, dès lors qu‟un intermittent a déclaré à nouveau 507 heures de travail, Pôle emploi lui
adresse un formulaire de demande d‟allocations accompagné d‟un courrier pour recalculer ses
droits [5] :
si l’intermittent retourne sa demande, une nouvelle indemnisation pour 243 jours
est prononcée. Elle prendra effet le lendemain de la fin de contrat (déclarée et attestée)
précédant la réception par Pôle emploi de sa demande ;
si l’intermittent ne renvoie pas sa demande, l‟indemnisation se poursuit dans les
conditions initialement prévues.
L‟intermittent a ainsi le choix entre la réouverture de droits et le maintien de son
indemnisation initiale.
3 - Les périodes entrant dans le calcul des 507 heures
Pour l‟ouverture de droits au titre de l‟intermittence du spectacle, seules sont prises en
compte :
les heures relevant des annexes 8 et 10 ;
les périodes d‟assimilation.
3.1 - Les heures relevant des annexes 8 et 10
Il est possible, pour rechercher une ouverture de droits au titre de l‟intermittence, de cumuler
des activités relevant des annexes 8 et 10 (à la fois artiste et technicien). Un intermittent sera
indemnisé au titre de l‟annexe dans le cadre de laquelle il a travaillé le nombre d‟heures le
plus important.
Quant aux activités relevant du régime général, celles-ci ne peuvent pas être prises en compte
au titre de l‟intermittence.
En revanche, lorsque les heures de travail correspondant aux annexes 8 et 10 sont en nombre
insuffisant pour ouvrir des droits au titre de l‟intermittence, ces heures peuvent être cumulées
à d‟autres activités pour ouvrir des droits au titre du régime général, ou d‟un autre régime
particulier.
115
3.2 - Les périodes d‟assimilation
a) Formation
Les actions de formation suivies sont assimilées à des heures de travail :
dans la limite des 2/3 du nombre d‟heures à effectuer, ce qui correspond à :
o 338 heures pour les premières admissions ;
o 2/3 du nombre d‟heures exigées (selon la période de référence) en cas de
réadmission ;
à l‟exception de celles indemnisées par l‟assurance chômage.
La période de congé individuel de formation est considérée comme une période d‟affiliation
au régime d‟assurance chômage. Au terme de la formation, la fin de congé est assimilé à une
fin de contrat de travail.
b) Enseignement
Pour les artistes uniquement, les périodes d‟enseignement dispensées dans le cadre d‟un
contrat de travail établi par un « établissement d‟enseignement dûment agréé » sont prises en
compte dans la limite de 55 heures. Et ce, quelle que soit la forme du contrat : contrat à durée
déterminée, contrat à durée indéterminée, contrat à durée indéterminée intermittent.
Un aménagement a été apporté pour les artistes âgés de 50 ans et plus : les heures
d‟enseignement effectuées par ces derniers peuvent en effet être prises en compte dans la
limite de 90 heures.
Les heures d‟enseignement prises en compte s‟imputent sur le quota des 2/3 du nombre
d‟heures de formation suivies par les artistes et assimilables à du travail.
Cette notion d‟établissement d‟enseignement dûment agréé concerne :
les écoles, collèges, lycées, publics et privés sous contrat, les universités, les
établissements de formation professionnelle publics placés sous la tutelle de l‟État ou
des collectivités territoriales ;
bénéficiant d‟un financement public (État ou collectivité territoriale), ou sous tutelle
des chambres des métiers et de l‟artisanat ou des chambres de commerce et
d‟industrie, ou habilitées par l‟État à dispenser la formation conduisant à un diplôme
national ou à un diplôme d‟État d‟enseignant, dans le domaine du spectacle vivant du
cinéma, de l‟audiovisuel et du multimédia ;
les établissements d‟enseignement public de la musique, de la danse, de l‟art
dramatique (conservatoires à rayonnement régional, départemental, communal ou
intercommunal) ;
les structures dispensant un enseignement artistique dans le domaine du spectacle
vivant, répertoriées par les codes NAF 80.4 D (autres enseignements) et 92.3 K
(activités diverses de spectacle) ;
l‟Institut national de l‟audiovisuel (Ina).
116
La circulaire Unedic du 30 décembre 2004 le précisait déjà : ces heures d‟enseignement
peuvent être prises en compte au cours de la période de référence retenue même si le contrat
de l‟intermittent avec l‟établissement d‟enseignement continue de s‟exécuter. Cette
information est doublement précieuse : un contrat de travail quelle que soit sa nature couvrant
la période de réexamen des droits n‟est donc pas préjudiciable à un réexamen des droits et
peut compter dans la recherche des 507 heures. Dans la pratique, les contrats d‟enseignants
sont souvent établis pour une année scolaire de septembre à juin.
c) Travail à l‟étranger
Lorsqu‟un intermittent travaille hors de France pour le compte d‟un employeur français (cas
du détachement), les activités sont directement prises en compte dans les annexes 8 ou 10.
Lorsqu‟un artiste travaille pour un employeur étranger dans l‟Union européenne (UE),
l‟Espace économique européen (EEE) ou en Suisse, les périodes de travail effectuées et
attestées par le formulaire E301 sont assimilées directement à 6 heures de travail dans
l‟annexe 10. Cette disposition ne concerne pas les techniciens, dont les heures seront, dans ce
cas, prises en compte dans le cadre du régime général (également à hauteur de 6 heures par
jour).
d) Les périodes de maladie, d‟accidents du travail et de grossesse
Ces périodes interrompant un contrat de travail sont toujours par principe assimilées à raison
de 5 heures par jour, comme dans le régime général d‟assurance chômage.
Accidents du travail
- Les périodes de congés liées à un accident du travail
interrompant un contrat de travail sont assimilées à 5 heures par jour ;
se prolongeant à l‟issue du contrat de travail sont désormais également assimilées à 5
heures de travail par jour.
Maladie
- Les périodes de maladie
interrompant un contrat de travail sont assimilées à 5 heures par jour ;
situées en dehors de tout contrat de travail et prises en charge par l‟assurance maladie
au titre des prestations en espèce, sont neutralisées : elles rallongent la période de
référence d‟autant de jours correspondant à la prise en charge de la maladie, sans
modifier le nombre d‟heures exigibles.
Dans le cadre du Fonds de professionnalisation et de solidarité, les périodes de longue
maladie ou de maladie grave prises en charge à 100% par la Sécurité sociale et figurant sur
une liste arrêtée dans le code de la sécurité sociale, sont prises en compte pour la recherche
des 507 heures de travail.
Maternité, adoption - Les périodes de congé maternité ou d‟adoption sont assimilées à du
travail effectif à raison de 5 heures par jour, qu‟elles interrompent un contrat de travail ou
qu‟elles soient situées en dehors du contrat de travail.
117
LES OBLIGATIONS DÉCLARATIVES PRÉALABLES À L‟OUVERTURE ET AU
RENOUVELLEMENT DES DROITS
1 - L‟attestation d‟employeur mensuelle (AEM)
Tout employeur est tenu de déclarer chaque mois à l‟Assedic les périodes d‟activité de ses
intermittents et les rémunérations qui leur ont été versées. Cette déclaration est réalisée par le
biais de l‟AEM pour chaque salarié intermittent et pour chaque période d‟activité. Ce
document sert à la fois :
à l‟intermittent, en tant que justificatif pour toute activité reprise au cours du mois ;
comme attestation d‟employeur pour faire valoir de nouveaux droits ;
à l‟employeur, en tant que déclaration nominative lors du versement mensuel des
cotisations sociales.
Chaque attestation est réalisée en trois exemplaires (un pour le Centre de recouvrement, le
deuxième pour le salarié et le troisième qui est conservé par l‟employeur). L‟employeur qui
n‟effectue pas cette déclaration risque de devoir payer des majorations de retard.
Le Centre national de recouvrement cinéma-spectacle (CNCS - TSA 70113, 92891 Nanterre
Cedex 9, Tél. : 08 26 08 08 95 / 99) est compétent pour tout le territoire en ce qui concerne la
perception des cotisations sur les rémunérations versées à des intermittents du spectacle.
Les formulaires d‟AEM sont disponibles auprès du Centre de recouvrement. La déclaration
peut également être réalisée directement sur Internet : www.pole-emploi.fr.
2 - Le numéro d‟objet
Dans le cadre du dispositif de lutte contre le travail dissimulé, Pôle emploi a renforcé ses
dispositifs de contrôle : depuis le 1er
avril 2008, un numéro d‟objet est attribué à l‟employeur
pour toute nouvelle activité (nouvelle production, nouveau spectacle…) relevant des annexes
8 ou 10. Ce numéro doit être porté par l‟employeur sur l‟AEM et les bulletins de paie des
artistes et techniciens concernés par cette activité, ainsi que, à chaque fois que cela est
possible, sur les contrats de travail.
Il appartient ainsi à l‟employeur, préalablement au démarrage d‟un spectacle et à l‟embauche
des salariés intermittents, de demander un numéro auprès du CNCS. Une fois ce numéro
attribué et notifié à l‟employeur, tous les salariés embauchés dans le cadre de ce même
spectacle ou production devront être gérés sous ce numéro d‟objet. Ce numéro est accordé par
employeur et par spectacle au fur et à mesure des spectacles.
L‟absence du numéro d‟objet sur les AEM entraînera une pénalité fixée à 7,5 € par salarié et
par mois, plafonnée à 750 € par mois de retard (article 67 du règlement général et accord
d‟application n°24). [6]
En revanche l‟absence du numéro sur les AEM ne peut faire obstacle à l‟étude des droits des
salariés, conformément à l‟article L. 5422-7 du code du travail qui énonce que le droit des
travailleurs privés d’emploi est indépendant du respect de ses obligations par l’employeur.
118
3 - La déclaration de situation mensuelle (DSM)
Chaque mois, l‟intermittent indemnisé doit adresser à son antenne Pôle emploi une DSM
permettant de :
• procéder au paiement mensuel des allocations à terme échu ;
• déclarer tout événement ayant une incidence sur la disponibilité à la recherche d‟emploi et
sur les droits aux allocations (périodes de travail, de stage, de maladie, de maternité, etc.) ;
• justifier les heures de travail nécessaires à une nouvelle ouverture de droits.
Il doit y joindre tous les justificatifs concernant les périodes d‟emploi (l‟exemplaire de l‟AEM
qui lui a été remis par l‟employeur, son bulletin de salaire ou son feuillet Guso).
Le fait de ne pas déclarer une activité sur la DSM entraîne les mesures suivantes :
• la durée d‟indemnisation est réduite des jours au cours desquels l‟activité non déclarée à été
exercée ;
• la période d‟emploi non déclarée n‟est pas prise en compte en vue d‟une réadmission
ultérieure ;
• les jours qui n‟auraient pas dû être indemnisés doivent faire l‟objet d‟un remboursement à
Pôle emploi.
4 - L‟inscription sur la liste des demandeurs d‟emploi
L‟inscription administrative sur la liste des demandeurs d‟emploi nécessaire à toute demande
d‟indemnisation, se fait auprès des services de Pôle Emploi (numéro de téléphone : 3949).
Les conditions pour bénéficier de l‟inscription professionnelle auprès d‟une antenne Pôle
Emploi Spectacle sont précisées sur le site www.pole-emploi-spectacle.fr.
LE CALCUL ET LE VERSEMENT DE L‟ALLOCATION
1 - Le calcul de l‟allocation journalière
L‟allocation journalière est proportionnelle au salaire de référence (SR) et au nombre d‟heures
travaillées (NHT). Elle est calculée selon la formule suivante :
Allocation journalière = A + B +C
Pour les artistes :
A = AJmin x [ 0,40 x (SR jusqu‟à 12 000 €) + 0,05 x (SR au-delà de 12 000 €)]
NH x Smic horaire
B = AJmin x [0,30 x NHT (jusqu‟à 600 heures) + 0,10 x (NHT au-delà de 600 heures)]
NH
C = AJmin x 0,70
119
Pour les techniciens :
A = AJmin x [ 0,50 x (SR jusqu‟à 12 000 €) + 0,05 x (SR au-delà de 12 000 €)]
NH x Smic horaire
B = AJmin x [0,30 x NHT (jusqu‟à 600 heures) + 0,10 x (NHT au-delà de 600 heures)]
NH
C = AJmin x 0,40
Où :
AJmin = allocation journalière minimale : 31,36 € depuis le 1er
janvier 2007.
SR = salaire de référence. Il s‟agit des rémunérations soumises à contribution au titre
des annexes 8 et 10 inclus dans les 304 jours (annexe 8) ou 319 jours (annexe 10). En
cas de réadmission, la période de référence est majorée.
NHT = nombre d‟heures travaillées par l‟intermittent (dont les heures effectuées par
les artistes dans l‟UE, l‟EEE ou en Suisse : voir point II. 3.2 c)) ainsi que les heures
assimilées au titre de la maladie, de la maternité, de l‟adoption ou d‟un accident du
travail qui se prolongent en dehors du contrat de travail.
Ne sont pas prises en compte :
o les périodes de formation professionnelle suivie par les intéressés ;
o les périodes d‟enseignement professionnel dispensé par les artistes.
NH = nombre d‟heures exigé sur la période de référence : 507 heures sur 10 mois ou
10,5 mois, ou 557 heures sur 11 mois (annexe 8), ou 531 heures sur 11 mois (annexe
10), etc., en fonction de la durée de la période de référence prise en compte lors d‟une
réadmission.
SMIC horaire = 8,86 € au 1er
janvier 2010.
L‟allocation ne peut dépasser le plafond de 121,33 €. Cependant en raison de la disparition du
SJR, la limite de 75 % du SJR n‟est plus opérante.
En lien avec cette fiche, un tableau Excel (disponible sur le site de HorsLesMurs) vous
permettant de simuler ces calculs, en cas de première admission ou de réadmission.
NB : À compter du 1er
juillet 2009 [7], le salaire de référence (s‟il est intégralement composé
de rémunérations antérieures au 1er
janvier 2009 [8]) est revalorisé de 1%. Par conséquent, les
allocations chômage basées sur ce salaire se verront automatiquement revalorisées par Pôle
emploi.
2 - Le début de l‟indemnisation
2.1 - Le délai d‟attente
Les allocations sont versées après un délai d‟attente de 7 jours (comme dans le régime
général), plus le cas échéant un différé d‟indemnisation.
120
2.2 - Calcul du différé
À partir des salaires bruts perçus pendant la période de référence (y compris ceux non soumis
à contribution « Chômage » comme par exemple les emplois dans le secteur public), le calcul
reprend la même formule :
Différé d’indemnisation = [Salaires de la période de référence /Smic mensuel à 35h x
Salaire journalier moyen*/(3 x Smic journalier)] - 30 jours.
*Calcul du salaire journalier moyen
Pour les artistes :
SJM = Salaires de la période de référence
Nombre d‟heures effectuées / 10 h
Pour les techniciens :
SJM = Salaires de la période de référence
Nombre d‟heures effectuées / 8 h
3 - La durée de l‟indemnisation
La durée d‟indemnisation, comme précédemment, est de 243 jours ou 8 mois d‟allocation.
Les allocataires âgés de 60 ans et 6 mois peuvent bénéficier sous certaines conditions du
maintien de leur indemnisation jusqu‟à l‟âge de la retraite.
4 - La reprise de travail en cours d‟indemnisation
En cas de reprise d‟activité, le nombre de jours non indemnisés au cours du mois (et décalant
d‟autant les droits à l‟indemnisation) est désormais calculé en fonction du nombre d‟heures
effectuées et non plus en fonction des gains perçus.
L‟ancien système (règle du décalage mensuel) prévoyait en effet de calculer ce décalage en
comparant les revenus de l‟année précédente et le montant des rémunérations brutes perçus
pendant le mois. Il instaurait un système individualisé et inégalitaire puisqu‟un même revenu
ne s‟imputait pas de façon identique chez deux intermittents en raison de SJR (salaire
journalier de référence) différents. Le mode de calcul actuel prévoit :
Pour les artistes :
Nombre de jours non indemnisables au cours du mois (J) =
nb d‟heures travaillées au cours du mois x 1,3
10
121
Pour les techniciens :
Nombre de jours non indemnisables au cours du mois (J) =
nb d‟heures travaillées au cours du mois x 1,4
8
Les jours non indemnisables entraînent ainsi un décalage, c‟est-à-dire une prolongation
équivalente des droits qui, selon l‟activité, pourront donc être versés sur 8, 9, 10 ,12 ,15 mois
(sauf éventuelle réadmission, cf. point 2.3).
Nombre de jours indemnisables au cours du mois = nb de jours dans le mois - J
LES MESURES COMPLÉMENTAIRES
Le régime actuel s‟intègre dans une politique plus large menée par les ministères de la Culture
et du Travail en faveur de l‟emploi dans le spectacle vivant. Il s‟accompagne d‟un certain
nombre de mesures complémentaires.
1 - Le fonds permanent de professionnalisation et de solidarité
Annoncée le 12 mai 2006 [9], la mise en place de ce fonds financé par l‟État (et où
s‟impliquent Audiens, le Pôle emploi spectacle, l‟Afdas et le Centre médical de la Bourse)
s‟est concrétisée depuis avril 2007 avec l‟entrée en vigueur des nouvelles annexes.
Ce fonds s‟adresse notamment aux artistes et techniciens qui, arrivés au terme de leurs droits
au titre des annexes 8 et 10, ne peuvent prétendre à une réadmission. Pour plus
d‟informations, composer le 0800 940 810 (numéro vert).
L‟Unedic et Audiens gèrent désormais l‟APS (allocation de professionnalisation et de
solidarité) et l‟AFD (allocation de fin de droits).
1.1 - L‟allocation de professionnalisation et de solidarité (APS)
L‟APS, financée par le Fonds, de même montant et de même durée que l‟Aide au retour à
l‟emploi (ARE) versée au titre des annexes 8 et 10, est attribuée aux intermittents exclus du
régime mais parvenant à totaliser le nombre d‟heures exigé dans le cadre de l‟assurance
chômage en considérant :
les congés de maternité ou d‟adoption et les congés liés aux accidents de travail
(comme pour l‟ARE, cf. conditions d‟affiliation) ;
mais aussi les périodes de maladie prises entièrement en charge par la Sécurité sociale
(longue maladie ou maladie grave [10]), à raison de cinq heures de travail par jour de
maladie.
Les heures d‟enseignement dispensées par les artistes et les techniciens, sont prises en compte
dans la limite de 120 heures lorsqu‟elles sont données dans les établissements agréés (cf. 3.2
b). Elles ne peuvent pas être utilisées lorsqu‟elles ont servi à ouvrir des droits à l‟ARE.
122
1.2 - L‟allocation de fin de droits (AFD) depuis 2009
L‟AFD s‟adresse aux intermittents du spectacle qui ne remplissent pas les conditions pour
pouvoir bénéficier de l‟APS et remplace depuis le 1er janvier 2009 l‟Allocation Transitoire
(AT), temporairement mise en place en 2007 et 2008. L‟AFD concerne les fins de contrats
postérieures au 31 décembre 2008 : son montant est forfaitaire (30 € par jour) pour une durée
pouvant varier entre 61 et 182 jours selon la durée de travail en tant qu‟artiste ou technicien
(« l‟ancienneté »).
Ancienneté
Moins de 5 ans Entre 5 et 10 ans Plus de 10 ans
Durée de
l’AFD 2 mois 3 mois 6 mois
Spécificités
Versée jusqu‟à 2
fois sur une
période de 5 ans.
Pour bénéficier
du 2nd
versement,
l‟intermittent doit
entre-temps avoir
été admis à
l‟ARE.
Versée jusqu‟à
3 fois. Pour
bénéficier du 2è
puis du 3è
versement,
l‟intermittent
doit entre-temps
avoir été admis à
l‟ARE.
Les périodes de travail prises en compte dans le cadre de l‟AFD sont similaires à celles de
l‟ARE. La demande devra être effectuée dans les deux mois suivant la fin du contrat de travail
prise en considération pour l‟ouverture des droits.
Pôle emploi étudiera automatiquement chaque mois la possible bascule vers l‟ARE ou l‟APS.
Pour information, les conditions de l‟AT (allocation transitoire), dispositif mis en place pour
les années 2007 et 2008, étaient les suivantes :
son montant journalier était égal au montant de l‟allocation d‟aide au retour à l‟emploi, limité
à 45 € par jour, durant 92 jours maximum (3 mois) et versé sans délai d‟attente ni différé
d‟indemnisation. Pour les conditions d‟attribution, il convenait de se référer à celles de
l‟APS, hormis sur deux points :
• la recherche des 507 heures de travail était effectuée au cours d‟une période de 365 jours (12
mois) précédant la fin de contrat de travail immédiatement antérieure à la demande
d‟allocation transitoire ;
• les périodes de travail déjà prises en compte pour ouvrir des droits à l‟ARE pouvaient être
réutilisées.
123
1.3 - Les aides complémentaires
L‟Etat se repose sur divers organismes dont Audiens, pour gérer les aides sociales et
professionnelles :
Aides proposées pour les
situations sociales
difficiles (sous conditions)
Aides proposées pour les situations
professionnelles précaires (sous
conditions)
Audiens (et fonds
sociaux des
institutions
professionnelles)
Aide financière
exceptionnelle, bourses
d‟études, prêts au logement,
accompagnement en cas de
deuil.
Audiens avec le
Centre médical de la
Bourse.
Aide aux soins liés au métier exercé
(dentaire, optique, acoustique, etc.)
Audiens en
partenariat avec Pôle
emploi spectacle et
l’Afdas
Entretien professionnel approfondi
(formation ou reconversion), aides à la
préparation de la reprise d‟activité
(congé maternité, maladie ou accident
du travail), à la mobilité ou à
l‟accession à un métier.
2 - Un dispositif renforcé de lutte contre le travail illégal et les abus
Dans le cadre du plan national de lutte contre le travail illégal (pour lequel le spectacle vivant
et enregistré fait partie des quatre secteurs prioritaires avec l‟agriculture, le BTP et
l‟hôtellerie), la loi du 2 août 2005 renforce les dispositifs existants.
La liste des infractions existantes est désormais réunie à l’article L.8211-1 du code du travail.
Pour rappel, il s’agit des infractions suivantes :
- travail dissimulé,
- marchandage de main d’œuvre,
- prêt illicite de main d’œuvre,
- emploi d’étranger sans titre de travail,
- cumul irrégulier d’emploi (emploi privé et public ou dépassement de la durée maximale
de travail),
- fraude ou fausse déclaration.
124
La constatation de ces infractions pourra entraîner le refus pendant cinq ans d‟attribuer à
l‟employeur concerné les aides publiques suivantes :
aides publiques à l‟emploi ;
aides à la formation professionnelle ;
subventions et aides à caractère public attribuées par le ministère de la Culture, y
compris par les Drac et/ou le CNC.
Les pouvoirs des agents chargés de contrôler ces infractions ont été renforcés en particulier
par des possibilités élargies d‟échanges d‟information entre organismes. Toutefois, chacun
doit remplir sa mission dans les limites de sa compétence.
Il s’agit des agents suivants : officiers et agents de police judiciaire, agents de la direction
générale des Impôts, agents de la direction générale des Douanes, inspecteurs et contrôleurs
du travail, agents agréés des organismes de Sécurité sociale et des caisses de mutualité
sociale agricole.
[1] Proposition de loi disponible sur le site Internet de l‟Assemblée nationale :
www.assemblee-nationale.fr/12/propositions/pion2144.asp.
[2] Les arrêtés du 30 mars 2009 portant agrément des annexes 8 et 10 comportent toutefois
une liste actualisée des fonctions entrant dans le champ d‟application de l‟annexe 8 ; cette
liste reste inchangée pour le spectacle vivant.
[3] Art.1 du règlement général annexé à la convention du 19 février 2009 relative à l‟aide au
retour à l‟emploi et à l‟indemnisation du chômage.
[4] La notice DAJ 168-1 de l‟Unedic précise l‟articulation fonction occupée / activité de
l‟employeur permettant de relever de l‟annexe 8.
[5] Les conditions dans lesquelles s‟effectue cette réouverture de droits sont prévues par une
lettre de l‟Unedic adressée aux institutions de l‟assurance chômage datée du 20 janvier 2005
[6] www.pole-emploi.fr, rubrique « Droits et démarches, puis « Unijuridis », « Les textes ».
[7] Décision du conseil d‟administration de l‟Unedic du 26 juin 2009.
[8] Article 20 du règlement général annexé à la Convention du 19 février 2009.
[9] Discours de Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture, et intervention de
Gérard Larcher, ministre délégué à l‟Emploi, disponibles sur www.culture.gouv.fr,
« Actualités », « Discours et communiqués », « Tous les discours », « vendredi 12 mai
2006 ».
[10] Cf. l‟article D. 322-1 du code de la Sécurité sociale : www.legifrance.gouv.fr, « Les
Codes ».
Source : http://droitdelaculture.over-blog.com/
125
Les « postes » de technicien du spectacle
Le terme de « technicien » renvoie à des réalités très variées : dans chacun des « postes » très
mal différenciés du milieu, chacun devra surtout se montrer polyvalent. La plupart de ces
termes sont donc génériques, la réelle progression dans la hiérarchie technique se jouant au
niveau de la délégation des tâches.
Son => Technicien son / Régisseur son / Sonorisateur/ Ingénieur son Lumière =>Technicien lumière /Ingénieur lumière / Régisseur lumière / Concepteur lumière /
Electricien / Chef électricien Plateau =>Technicien plateau / Régisseur plateau / Régisseur de scène / Technicien de
machinerie / Chef machiniste / Technicien décors / Technicien effets spéciaux / Stage man / Accessoiriste / Constructeur-machiniste / Décorateur-scénographe / Roadie
Artistique => Régisseur général / Administrateur-Directeur-Assistant de production / Producteur / Costumier / Maquilleur / Runner
A cela il faut ajouter tous les « assistants de» qui représentent une partie équivalente des effectifs.
Les « postes » énumérés ci-dessous renvoient surtout au secteur de l‟audiovisuel, mais le spectacle
vivant mixant de plus en plus l‟image et le son enregistrés, et la communication audiovisuelle prenant
l‟ascendant sur le « format papier », beaucoup de ces métiers et spécialisations apparaissent aussi,
progressivement, dans le milieu du spectacle vivant.
Technicien Supérieur des métiers de l'Audiovisuel, spécialité son => Chef opérateur du son (prise de son en documentaire ou fiction) / mixeur postproduction (TV, cinéma) / Ingénieur du son en studio musical (prise de son, mixage)
Technicien Supérieur des métiers de l'Audiovisuel, spécialité Montage et Post-Production => Assistant monteur / Monteur / Chef monteur / Monteur truquiste / Concepteur d'habillages d'émissions TV
Documentaliste multimédias => Documentaliste, vidéothécaire, archiviste, recherchiste, iconographe, photothécaire, phonothécaire, rédacteur Web, etc. auprès des détenteurs de fonds audiovisuels, auprès des diffuseurs, dans l'univers de la e-entreprise, dans les rédactions (presse audiovisuelle et en ligne), dans les agences d'image (stockshots, photographies, etc.), dans les institutions culturelles ou associatives, dans les collectivités locales.
Technicien spécialisé en Systèmes Audiovisuels Numériques => Responsable d'exploitation des équipements informatiques de production et diffusion / Responsable de l'administration de réseaux informatiques pour l'audiovisuel numérique / Responsable qualité d'une régie de production / Technicien de maintenance informatique des systèmes numériques broadcast / développeur de logiciels d'aide à la production audiovisuelle.
126
Pour la plupart des professionnels rencontrés, ces termes ne sont effectivement « pas très
clairs » ou « réalistes » concernant les spécialités ou domaines techniques auxquels ils sont
réellement affiliés. Cependant, pour nous donner une clef de lecture plus ou moins
« universelle », ils établissent communément un lien entre cette terminologie et la réalité (ou
hiérarchisation) des tâches auxquelles ils sont affectés :
- Un ouvrier exécute différentes tâches, sans réelle spécialisation, et une grande partie
de son travail regroupe le « sale boulot » que les autres ne veulent plus faire. Il a
rarement suivi une formation, et ce poste correspondant souvent au début de son
apprentissage autodidacte.
- Un technicien va quand à lui être affecté à toutes les tâches relevant du domaine
« électronique », tels le montage et le réglage, sans aucune marge de manœuvre de
dimension artistique. Il exécute un savoir-faire. Il est souvent en charge de la lumière.
- Un ingénieur, terme générique selon eux du régisseur, va quand à lui concevoir une
esthétique et participer à l‟atmosphère de la scénographie. La régie du son lui est
toujours impartie, mais un « concepteur de lumière », reconnu dans son travail
artistique, relève aussi de cette catégorie. A ce stade, la connaissance et le savoir-faire
artistique lui sont accordés. Dans cette catégorie, ils sont plus nombreux à avoir suivi
une formation professionnalisante, aussi bien dans la technique que dans la gestion
événementielle.
Effectifs techniques intermittents par catégorie professionnelle
Source : Caisse des congés spectacles/CESTA/DEPS
1987 1992 1998 2003
Réalisateurs – Metteurs en scène (y compris assistants-réalisateurs cadres) 3 198 4 346 6 365 7 109
622384726651969noitcudorp ed sruetceriD193200023911459sruetnom sfehC041231812221018nos ud srueinégnI32714551108134xuarénég sruessigéR555113613111858eihpargotohp al ed sruetceriD369429347673sruerdaC6082345200224151serdac sertuA3191277591581319019serdac sed elbmesnE
976832746342487oédiv sneicinhceT3125306495520531serdac non sruessigéR4843046286717121noitcudorp ed stnatsissA
Assistants au décor ou au costume 1 085 1 899 2 905 3 11911719611658216sruetnom stnatsissA
Assistants de réalisation non cadres 798 1 074 1 791 1 57998314901774522sruetarépo stnatsissA02315901298824setsigarialcÉ5011459357293sruelliuqam-srueffioC0124334360521371sneicinhcet sertuA0181370442122513268sneicinhcet sed elbmesnE
8143671392225751uaetalp ud sruelliavarT94794562132rocéd ud sruelliavarT011231671251sertuA
Ensemble des professions ouvrières 1 751 2 531 3 857 4 277
1641956701256snoisseforp sertuA
697421869993851694693stnettimretni sed elbmesnE
Tableau 17 – Répartition des intermittents par sexe en 1987, 1992, 1998 et 2003
Source : Caisse des congés spectacles/CESTA/DEPS
En%
1987 1995 1998 2003
66665656semmoH43435353semmeF001001001001latoT
Tableaux présentants les données nationales
Répartition des intermittents par sexe selon la catégorie professionnelle, en 2003
Source : Caisse des congés spectacles/CESTA/DEPS
En%
Hommes Femmes Total
Réalisateurs – Metteurs en scène 0012386)serdac sruetasilaér-stnatsissa sirpmoc y(0016544noitcudorp ed sruetceriD0013475sruetnom sfehC001739nos ud srueinégnI0017138xuarénég sruessigéR0010109eihpargotohp al ed sruetceriD0011198sruerdaC0017336serdac sertuA0011396serdac sed elbmesnE
0014168oédiv sneicinhceT0019118serdac non sruessigéR0012782noitcudorp ed stnatsissA0012683emutsoc ua uo rocéd ua stnatsissA0013475sruetnom stnatsissA0019415serdac non noitasilaér ed stnatsissA0014267sruetarépo stnatsissA001919setsigarialcÉ0011891sruelliuqam-srueffioC0017336sneicinhcet sertuA0015356sneicinhcet sed elbmesnE
0012188uaetalp ud sruelliavarT001919rocéd ud sruelliavarT001559sertuA0011198serèirvuo snoisseforp sed elbmesnE
dndn*dnsnoisseforp sertuA
0014366stnettimretni sed elbmesnE
* Donnée non disponible.
Source : Etude publiée par l‟Observatoire de l‟emploi culturel, « Le marché du travail des artistes et des techniciens intermittents de l‟audiovisuel et du spectacle vivant (1987-2003) », Ministère de la culture et de la communication, Délégation au développement et aux affaires internationales (DDAI). Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS), Paris, 2006.
129
Les « matermittentes » dénoncent leur double peine
Article paru dans l'édition du Monde du 25.07.10.
Enceintes, les intermittentes perdent souvent leurs droits. La Halde examine leur
situation.
lles ont trouvé un nom de code pour médiatiser leur combat : les « Matermittentes »,
comme intermittentes en congé maternité. Elles sont comédiennes, danseuses,
régisseuses, chargées de production dans le spectacle vivant, monteuses dans le cinéma,
etc. Toutes se sont heurtées à des difficultés lorsqu'elles ont voulu faire valoir leurs droits
auprès de la Caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) et de -l'Unedic à l'occasion de
leur congé maternité.
Vingt-huit d'entre elles ont déposé un dossier à la Haute Autorité de lutte contre les
discriminations et pour l'égalité (Halde), pour dénoncer la « rupture de la protection
sociale des femmes à l'emploi discontinu » et des « obstacles au retour au travail ». Ce
n'est pas un mouvement massif, mais les problèmes soulevés sont suffisamment graves
pour que le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, ait pris le temps de se
pencher sur le cas de l'une de ces professionnelles, fiches de paie et code de la Sécurité
sociale en main.
De quoi s'agit-il ? Pour obtenir des allocations journalières de la Sécurité sociale pendant
le congé maternité, une artiste ou une professionnelle du spectacle doit avoir effectué un
certain nombre d'heures dans un délai imparti : entre autres, avoir travaillé « au moins 200
heures » dans les trois mois précédant le congé maternité - soit durant les sixième,
septième et huitième mois de grossesse - ou dans les trois mois qui ont précédé la date de
conception de l'enfant.
« Chaotique »
D'autres modes de calcul, bien plus complexes encore, peuvent être mis en oeuvre. Pour
les professionnelles qui n'entrent pas dans les critères du code de la Sécurité sociale, la
situation se corse : « Certaines antennes de la Sécu acceptent de chercher les 200 heures
sur une autre période de référence, en remontant jusqu'au dernier contrat de travail.
D'autres ne le font pas, et des femmes se retrouvent sans indemnités pendant leur congé
maternité », explique Christine Nissim, qui suit les dossiers des Matermittentes à la
Coordination des intermittents et précaires (CIP) d'Ile-de-France. Un malheur ne vient
jamais seul, poursuit-elle : « L'allocataire qui n'obtient pas l'ouverture de ses droits à la
«Sécu» se voit refuser l'accès à l'indemnisation chômage. C'est la double peine. Au point
que certaines femmes préfèrent ne pas déclarer leur maternité à la «Sécu». »
Pour bénéficier de l'assurance-chômage, les intermittents du spectacle doivent effectuer
507 heures en dix mois (techniciens relevant de l'annexe 8 de -l'Unedic) ou en dix mois et
demi (artistes relevant de l'annexe 10). Un traitement spécifique est prévu pour les
femmes enceintes, faute de quoi nombre d'entre elles perdraient leur statut : pendant le
congé maternité, un volume fixe de cinq heures par jour est comptabilisé dans le calcul de
507 heures.
130
Mais ce forfait n'est déclenché que si la CPAM a donné son feu vert à l'indemnisation du
congé maternité... Là encore, des exceptions existent. « Une intermittente a vu sa
situation régularisée après avoir écrit au président de la République », indique-t-on à la
Coordination des intermittents. D'autres ont saisi le tribunal des affaires de sécurité
sociale (TASS).
La Halde fait savoir qu'elle prend le dossier très au sérieux. A l'automne, elle devrait
formuler des recommandations aux pouvoirs publics. Comme revoir les critères de temps
de travail ? Les Matermittentes dénoncent le caractère « aléatoire » et « chaotique » de
l'indemnisation du congé maternité.
Comment réaliser 200 heures de travail en trois mois, quand on sait que certains
professionnels ont déjà du mal à « faire » les 507 heures en dix mois ? « La CPAM
demande aux femmes enceintes une quantité de travail moyenne supérieure à celle exigée
par le régime d'assurance-chômage des annexes 8 et 10 », lit-on dans le recours adressé à
la Halde.
Membre des Matermittentes, Amandine Thiriet pointe une autre inégalité : « Nous
sommes aussi pénalisées par le nouveau mode de calcul de l'indemnité, issu du protocole
de 2007. A la fin de son congé maternité, l'intermittente recevra de toute façon une
allocation inférieure à celle dont elle bénéficiait avant. » Et de citer le cas de cette
réalisatrice, qui a dû refuser une place en crèche : « On lui demandait un tarif trop élevé,
calculé sur ses revenus d'avant le congé maternité. »
Clarisse Fabre
131
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
Audubert (Philippe), Daniel (Luc), Devenir entrepreneur de spectacles, Editions IRMA, 2005.
Beaud (Stéphane), Weber (Florence), Guide de l‟enquête de terrain, La Découverte, 2003.
Becker (Howard S.), Les mondes de l‟art, Paris, Flammarion, 1998 (1982).
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TABLE DES MATIERES
AVANT-PROPOS ................................................................................................................................... 4
SOMMAIRE .............................................................................................................................................. 6
INTRODUCTION ....................................................................................................................................... 7
CHAPITRE 1 : RAPPORT AU TERRAIN ET METHODOLOGIE .................................................................. 9
PARTIE 1 PROFESSIONNALISATION DES METIERS MASCULINS ............................................................. 13
CHAPITRE 2 : L’INSTITUTIONNALISATION D’UN MILIEU SUBVERSIF ................................................. 14
Etude de cas : le secteur des musiques actuelles ............................................................................. 16
Emergence du tissu associatif ....................................................................................................... 16
Le théâtre comme matrice organisationnelle ............................................................................... 19
Un cadre législatif et réglementaire inadapté ............................................................................... 21
La reconnaissance par les pouvoirs publics ................................................................................... 24
L’accumulation de « capitaux » ..................................................................................................... 25
La structuration nationale en réseau ............................................................................................ 29
Constat méthodologique ............................................................................................................... 33
CHAPITRE 3 UNE PROFESSIONNALISATION AU SERVICE DE LA FEMINISATION ? ............................ 35
Quelle définition de la profession ? .............................................................................................. 35
Deux « féminisations » pour une mixité de l’emploi..................................................................... 43
La mixité en chiffres ...................................................................................................................... 44
Des métiers différenciés sexuellement, aux statuts féminins ....................................................... 47
CHAPITRE 4 L’ORIENTATION SCOLAIRE BIAISEE SELON LA CATEGORISATION DES SEXES ................ 50
Les filles dans les formations techniques ...................................................................................... 51
Des politiques d’établissement qui cultivent les dispositions genrées… ...................................... 52
… à la légitimation d’une division du travail selon le sexe ............................................................ 53
Contourner l’obstacle « par le haut » ........................................................................................... 54
Les techniciennes du spectacle vivant : des techniciennes industrielles typiques ? .................... 55
Une orientation professionnelle sur le registre de la vocation ..................................................... 57
Des techniciennes « particulièrement bien dotées » .................................................................... 59
PARTIE 2 « CULTURE DU METIER » ET MARGINALISATION FEMININE................................................. 62
CHAPITRE 5 LA PRIMAUTE PERSISTANTE DE L’AUTODIDAXIE .......................................................... 63
L’enjeu de la transmission ............................................................................................................. 66
La socialisation musicale ............................................................................................................... 70
L’hexis corporelle comme argument discriminant ........................................................................ 73
135
CHAPITRE 6 LE POIDS DES RESEAUX SOCIAUX ................................................................................. 78
Un « entre-soi » permanent ou la construction d’une perception « de la femme » .................... 78
Les réseaux sociaux informels comme soubassement des réseaux professionnels ..................... 84
CHAPITRE 7 CONCILIER UNE « VIE DE FEMME » ET UN METIER D’HOMME .................................... 91
L’engagement professionnel : des dispositions élevées au service d’une « vocation forte » ..... 91
Une prédisposition aux « copinages masculins » .......................................................................... 94
L’apprentissage pour fermer la séduction .................................................................................... 96
Une marginalisation des « femmes-femmes » .............................................................................. 98
Un conjoint technicien : aide et contrainte ................................................................................. 100
Sacrifice vocationnel de sa vie privée.......................................................................................... 101
CONCLUSION ....................................................................................................................................... 104
SOMMAIRE DES ANNEXES ................................................................................................................... 107
Questionnaire d’enquête en ligne ................................................................................................... 108
Le régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle ................................................... 111
Les « postes » de technicien du spectacle ...................................................................................... 125
Tableaux présentant les données nationales .................................................................................. 127
Les « matermittentes » dénoncent leur double peine.................................................................... 129
BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................................... 131
TABLE DES MATIERES .......................................................................................................................... 134
Résumé ............................................................................................................................................ 136
Mots clefs : ...................................................................................................................................... 136
136
Résumé
Le monde du spectacle peut-il toujours prétendre être précurseur lorsque l‟on parle de parité ?
Le spectacle vivant connaît, depuis les années 80, un processus de légitimation artistique, à la
condition que ces acteurs jouent le jeu de l‟institutionnalisation et se professionnalisent. Or
qui dit professionnalisation, dit rationalisation, dit égalité des chances, non ? Peut-on alors
espérer apercevoir plus de femmes pousser des flight-cases ou manager une équipe de
technicien plateau ? L‟histoire n‟est pas si simple. Pris dans les velléités de subversion
communautaire des premiers activistes, les techniciens reproduisent les logiques
d‟apprentissage autodidacte et les valeurs de l‟entre-soi masculin, en excluant
inconsciemment les femmes des métiers techniques.
Cette marginalisation des femmes ne va pas pour autant empêcher quelques pionnières de
faire leur place. Les témoignages sur le mode de la vocation ainsi que leur bonne intégration
dans une équipe masculine, ne parviendront néanmoins pas à cacher la contrepartie d‟un tel
engagement professionnel. L‟orientation scolaire, l‟apprentissage sur le terrain et l‟accession
à des postes techniques à responsabilités, ne leur seront possibles que si elles acceptent de
lourds sacrifices. En effet, le plus dur n‟est pas forcément de se faire une place « à
l‟ombre des projecteurs » mais d‟y rester pour sa compétence technique, et en sa qualité de
femme épanouie.
Mots clefs :
Division sexuée du travail – Autodidaxie – Culture de métier – Professionnalisation du
spectacle vivant – Métiers techniques