25
LE RÊVE ON regard étonné, contemple la lumière Qui, dans un rayon d'or, semble venir des deux. Et durant qu'ici-bas tout est silencieux, J'entends un choeur lointain doux comme une prière. J'ai du philtre divin vidé la coupe entière. Tout se métamorphose et s'anime à mes yeux; L'étrange en mon esprit s'unit au merveilleux, Je crois voir tressaillir des nudités de pierre. Plus idéale encor, que l'antique beauté Que donnait Phidias à la divinité, Dans une vision pure et blanche comme Eve, Je vois dans sa splendeur et dans sa majesté, Sous de longs voiles noirs que le -é'l)hî*î- soulève : La houri du Haschisch souriant dans mon rêve.

RÊVE - furet.com

  • Upload
    others

  • View
    6

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: RÊVE - furet.com

LE RÊVE

ON regard étonné, contemple la lumièreQui, dans un rayon d'or, semble venir des deux.Et durant qu'ici-bas tout est silencieux,

J'entends un chœur lointain doux comme une prière.

J'ai du philtre divin vidé la coupe entière.Tout se métamorphose et s'anime à mes yeux;L'étrange en mon esprit s'unit au merveilleux,Je crois voir tressaillir des nudités de pierre.

Plus idéale encor, que l'antique beautéQue donnait Phidias à la divinité,Dans une vision pure et blanche comme Eve,

Je vois dans sa splendeur et dans sa majesté,Sous de longs voiles noirs que le -é'l)hî*î- soulève :La houri du Haschisch souriant dans mon rêve.

Page 2: RÊVE - furet.com

L'AME EN PEINE.

LLE était n'la raison, ma lumière, mon âme ;Son esprit sur le mien étendait sa clarté ;Elle était belle, ainsi que Dieu rêva la femme ;

Ses grands yeux étaient doux cornue une nuit d'été.Elle était l'non printemps, mo?t idole, mon âme ;

Et, quand je vis son corps se glacer et pâlir,Je connus des douleurs la déchirante gammeEn comprenant hélas! que tout allait finir.

- La mort n'eut point pitié de mes pleurs, de ma peine;Elle én1porta ma vie, et je sentis au cœurUn vide, où s'infiltraient le dégoût et la haineDe tout ce qui vivait et raillait 1na douleur.

Sur terre il n'était rien qui put calmer 1na peine,Je m'en fus au hasard. Dans mon regard terni,Les enfants épelaient, retenant leur haleineDe surprise et d*effroi : Pour lui tout est fini.

— Longtemps, longtempsj'allai, marchant, suivant 1110n ombre,Fuyant le bruit confus de l'homme et des cités,

-Traversant le désert, les monts, la forêt sombre,Et parcourant les mers sous les deux tourmentés.

J'allais partout errant, sans but, suivant 1non ombre,Et lorsque je voguais sur l'Océan bruni,La mouette qui passe auprès du mat qui sombreSemblait me répéter : pour lui tout est fini.

— C'est ainsi que je vins devant un gouffre immense,Sans fond, sans horizon, sans limites, béant;Sous un manteau de deuil, là régnait le silence,Les ténèbres étaient l'image du néant.

Un grand sphinx de granit au bord du gouffre immenseSemblait avoir les yeux fixés sur l'avenir.Les siècles sur le roc incrustaient leur puissance,Le temps avec son corps ne pouvait en finir.

Page 3: RÊVE - furet.com
Page 4: RÊVE - furet.com
Page 5: RÊVE - furet.com

— Et voyant réfléchir l'énorme bloc de pierre,Réponds, lui dis-je, Sphinx! parle, que sommes-?tOMS?Sais-tu quel est l'endroit où monte la prière ?

Devant qui nous faut-il plier les deux genoux?

Dis-moi qu'il est vraiment un Dieu, grand Sphinx de pierre,Par qui l'homme du ciel ne peut être banni.Du monstre le passé rongeait la bouche entière,Mais le front s 'abaissa pour dire : C'est fini!

— Alors, j'interrogeai les régions profondes,Qui s'ensevelissaient dans l'immobilitéD'une nuit étrangère au mouvement des mondes,Muette, impénétrable et sans nulle clarté.

Et l'écho qui sortit des régions profondes,Par de multiples voix allant à l'infini,En sons s'élargissant, semblables à des ondes,3fc répondit ces mots : C'est fini! c'est fini!

— Encor, toujours, toujours ce stupide mensonge;De la divinité telle n'est pas la loi,Car il est un Eden qu'a vu l'homme en un songe ,Une sublime vie en laquelle il a foi.

Tu souffles, triste val, l'alarme et le mensonge ;Du maître est éternel l'œuvre qu'il a béni....Comme un cri qui renaît sans cesse et se prolonge,Le val me répéta : C'est fini! c'est fini!

— 0 vous qui proférez si terrible sentence,Dites, serait-il vrai qu'il n'est point un enferOù l'on soit déchiré, brisé par la souffrance,Mais où l'esprit renaît et recouvre sa chair ?

Tout s'anéantira! telle est votre sentence!Le bien sera sans gloire et le crime impuni!Il ne restera rien ! pas même l'espe"raitce!L'écho me répondit : C'est fini! c'est fini.

— 0 nuit du désespoir, sinistre, lamentable!0 nuit, Elle n'est plus! ai-je donc tout perdu?Est-il une douleur à la mienne semblable ?Dans le froid du tombeau mon rêve est descendu.

*

Page 6: RÊVE - furet.com

Par Elle je vivais, voix sombre et lamentableMon être au sien était à jamais réuni....Du ténébreux vallon la parole effroyableGronda toujours plus fort : C'est fini! c'est fini !

— 0 gouffre de la mort! abîme où le blasphèmeRègne seul au milieu d'un cahos redouté,Dans ton antre insondé, j'irai chercher ntoi-mênzeLe secret du néant et de l'éternité.

Je saurai, dans ton sein, abîme du blasphème,Jusqu'où l'esprit enfin, libre, peutparvenir.Je suis las de traîner partout l'na face blême....Viens, me cria l'écho, viens, tes maux vont finir.

— Alors, je nie plongeai dans la noire vallée,L'écho fit éclater un long ricanement;Et, lorsque de mon corps je me fus envolée,A/a chair sur un rocher s'écrasa lourdement.

Et maintenant je suis dans la noire valléeOu vont les suicidés, sans cesser de souffrir ;Ame en peine, je vais, errante et désolée,Toujours seule, et mon ntal ne doit jamais finir.

— Je m'arrête là-bas auprès du Sphinx qui pense,Pour voir sur 1non squelette un feu-follet danser ;Parfois aussij'attends avec impatience,L'ombre d'un être aimé qui ne doit point passer.

Mais je n'écoute plus, près du grand Sphinx qui pense,Les infernales voix de l'écho retentir,Car c'est l'esprit maudit qui souffle la démenceAux mortels insensés qui veulent en finir!

Page 7: RÊVE - furet.com

CE QUE PERDIT MAITRE LUC AU NOBLE JEU DES ÉCHECS.

C'était dans la boutique même de maître Luc que se mesuraient les deux opiniâtresjouteurs — entourés habituellement d'un cercle de curieux, — et lorsque Magda venaits'accouder sur l'épaule de son père pour suivre les péripéties du jeu, le comte, perdait in-variablement.

D'abord, les deux champions luttèrent purement pour la gloire. Petit à petit ils enga-gèrent des pièces d'argent, insensiblement, les enjeux devinrent tels, qu'il ne fut bruitdans le paj s que des monceaux d'or gagnés par maître Jacquelet au seigneur deMalemort.

Or, la chronique avait raison, car celui-ci en fut bientôt réduit à n'avoir pour tous biensque les murs de son manoir, et chacun riait de lui, lorsqu'il avait le dos tourné cependant,car on savait que le farouche comte avait la main lourde.

Enfin, un beau jour, son château fut perdu, à la grande consternation des désœuvrésqui l 'entouraient. Cette perte le laissa impassible; de toute l'assistance ce fut certainementlui qui parut le moins troublé.

Maître Luc ne pouvant surmonter un sentiment d'orgueilleuse commisération, insistapour lui rendre une part de ses biens ; mais le comte haussa les épaules en faisant retentirun éclat de rire strident et sardonique; comme ses yeux rencontraient ceux de Magda,il lui jeta un regard étrange qui dissimulait fort peu une joie intérieure, bien singulièrechez un joueur complétementruiné.

Maître, dit-il, en tirant de son escarcelle un collier étincelant de pierreries : voici unechaîne qui, à elle seule, enrichirait un roi ! je te la joue contre Malemort; mais c'est à

Page 8: RÊVE - furet.com

Malemort même que je prendrai ma revanche. Il fait nuit ; — rien ici ne te retient, — dureste, si je perds, tu seras tout porté pour prendre possession de ton nouveau logis.

Soit, dit l'orfèvre qui, bien que se sentant fâcheusement impressionné par le rica-nement continu de son noble adversaire, n'osa pas refuser; il congédia ses clients, fermasa boutique, et, après avoir embrassé sa fille, suivit le comte.

Tous deux marchaient sans mot dire sur la route que la lune parfois, entre deuxnuages noirs, éclairait largement.

Le comte sifflotait entre ses dents. L'orfèvrecombattait un vague sentiment d'inquiè-tude, par le chatoyant espoir de posséder le magnifique joyau dont ses yeux étaient encoreéblouis. Cependant plus ils s'approchaient du,castel, plus une crainte, dont il ne pouvait serendre compte l'envahissait.

- «Enfin ils arrivèrent. A la vue du gigantesque manoir, le visage de Luc Jacquelet, eutcomme un éclair de joie; n'était-il pas désormais le seul maitre de ce somptueux domaine?

Le comte alla quérir un échiquier d'ivoire et d'ébène, et, après avoir donné des ordrespour qu'aucun de ses serviteurs ne vint les déranger, il introduisit son compagnon dansune immense salle, et l'installa auprès d'une fenêtre ogivale, par laquelle pénétraient lesrayons de la lune. La partie commença aussitôt.

Maitre Luc, sentant revenir son assurance au contact de l'échiquier, reprenait sonhabileté ordinaire.

— Ma foi ! dit-il, après un instant, je crois que je tiens la moitié de la chaîne; vousvoilà démonté,j'enlève votre second cheval.

— Bah! riposta le sire de Malemort, vraiment je n'en ai que faire, car te voilà mat.Le joaillier eut un soubresaut, causé par la surprise de ce coup inattendu.Le manoir était revenu à son premier propriétaire.

— Allons, dit-il, ta revanche, mon maître.Maitre Luc, après s'être tàté le front comme pour s'assurer qu'il n'était point sous l'em-

pire d'une ténébreuse incantation, replaça résolûment ses pièces, attaqua le premier et lesilence se rétablit.

Le joaillier, jouait toujours plus lentement. On eut dit quand il mouvait ses pièces,que sa main blafardement éclairée, tremblait. Après un instant, il s'écria : — C'est de lafatalité! Il avait perdu cette seconde partie.

— A une autre, la fortune ne saurait t'abandonner ainsi; tous mes biens contre tes ri-chesses ; allons, pièces en place !

— Le diable est de votre côté, Monseigneur, mais, par mon Saint patron, j'aurai raisonde vous et de votre partenaire maudit. Et, se rémémorant sa chance et son habileté passées,il reposa ses pièces dans l'ordre voulu, ensuite il commença l'attaque. Mais, en levant latête, par hasard, il crut voir comme une ombre qui, accoudée sur le dossier du siége duchatelain, conseillait son adversaire.... sa main tremblait de plus en plus. Le comte jouaitsans hésitation, lui enlevant ses pièces une à une.

— Décidément, dit celui-ci, après quelques coups lentement ripostés par l'orfèvre, àquoi songes-tu donc? Vois, je te fais encore échec et mat.

Luc Jacquelet poussa un cri de rage, tout en s'arrachant les cheveux, et s'incrustantles ongles dans les chairs.

— Ma fille, ma pauvre enfant! disait-il en se tordant les bras.

— Ah! Magda!.... je te la joue contre mes biens et tout ce que je t'ai gagné, proposale comte de Malemort,

Page 9: RÊVE - furet.com
Page 10: RÊVE - furet.com
Page 11: RÊVE - furet.com

A ces mots, Je joaillier se leva d'un bond, saisit son escabeaupour le lancer à la têtedu comte; mais celui-ci, lui retenant promptement le bras, en le serrant comme dans unétau, lui dit : — Deviens-tu fou? n'étais-tu pas hier encore le plus fameux joueur d'échecsque l'on connut? Ne m'avais-tu pas tout gagné, argent et domaines? La chance, pour lemoment de mon côté, va sans doute te revenir. Tu oublies qu'il ne te reste rien, et quetu peux tout reconquérir en une seule partie d'un jeu dont les plus subtils détails te sontfamiliers. Du reste, à ton aise, mon maître; si tu ne veux pas, n'en parlons plus; aujour j'irai prendre possession de ta boutique et de tes richesses.

— Faites, et que Dieu me soit en aide, soupira Jacquelet en se dirigeant du côté de laporte.

— Il est vrai, continua le seigneur de Malemort, qu'il te restera ta gloire de superbejoueur d'échecs! Chacun sait bien qu'à ce jeu tu n'as pas ton pareil pour déjouer et con-naître les coups les plus secrets.

A ces mots, maître Luc vint précipitamment reprendre sa place devant l'échiquier,puis, d'une voix de désespéré : Eh bien !... la dernière, et advienne que pourra.

— C'est bien entendu : la belle pour la Belle? Jouons donc et commence.Les pièces s'alignèrent de nouveau sur l'échiquier d'ivoire et d'ébène. Maître Jacquelet

demeura longtemps avant de faire manœuvrer son premier pion. Le comte jouait vite,comme si d'avance il eut connu le résultat de la partie.

Va lentement, prends bien ton temps, disait-il au vieillard; rien ne presse, personne,oh ! personne ne viendra nous déranger. Et maitre Luc allongeait sa main incertaine qui,

-

sans avoir touché à une pièce, rentrait dans l'obscurité, car la lune éclairait seulementl'échiquier, laissant les deux joueurs dans l'ombre.

Mais encore une fois, que se passait-il dans la cervelle du doyen? quelle incroyabledistraction obsédait sa pensée? avait-il cru apercevoir dans une vision sa fille Magda, sedébattant sous l'étreinte du chatelain? ne pouvait-il plus supporter la cruelle ironie quigrinçait à ses oreilles? était-ce donc avec Satan en personne qu'il jouait?

— Allons, décidément, maître écolier, tu n'as plus rien à perdre, s'écria le comte.Le joaillier fit entendre un véritable rugissement empreint de douleur et de détresse,

puis il se prit le front avec les deux mains, posa lourdement ses coudes sur la table dechaque côté de l'échiquier, et s'abîma dans la contemplation de ce dernier coup du sort.

Sans doute il voulait voir si toute chance de salut n'était point perdue. Comment,pasune issue? pas un espoir? rien!.... Il ne devait évidemment croire à une pareille infortune.Peut-être pourrait-il sauver son roi... La veille encore, ce comte damné ne pouvait triom-pher de lui. Certainement il songeait à se défendre en une si cruelle extrémité, et, pour yparvenir, il faisait d'horribles efforts, car sa respiration suspendue laissait son corps sansmouvement.

Le comte, lui, s'abandonnait tout entier à la joie : Tu es long à te rendre à l'évidence,maître Luc, et mon avis est que tous les saints du paradis ne sauraient te tirer d'affaire.Puis il ricanait en se frottant les mains, regardait encore l'échiquier, et tout redevenaitsilencieux dans la sombre salle.

Le joaillier calculait toujours avec une opiniâtre attention. Seulement, comme si laclarté de la lune n'eut pas été suffisante, son front s'inclina de plus en plus vers la table.Assurément il se courbait ainsi pour mieux embrasser la marche de chacune des pièces.

— Ah! ça! dit le sire de Malemort, se levant impatienté, décidément tu abuses.Belzébuth en personne ne te pourrait faire plus mat que tu ne l'es. Je suppose fort que tu

Page 12: RÊVE - furet.com

songes au moyen de me voler ma victoire. Souviens-toide nos conventions; tout m'appar-tient à présent, tes trésors et ta fille.

Mais ceci n'émut point l'infortuné joaillier, absorbé dans ses recherches. Aussi neleva-t-il point la tête.

L'aurore vint graduellement remplacer la clarté de la lune, et la salle s'emplit peu àpeu des premières lueurs du jour.

—Vrai Dieu ! dit le comte, tu te moques de moi, et ma patienceest à bout; par Satan,finissons-en, ou, sans plus tarder, je te fais énergiquement sentir le poids de ma colère.

A quoi rêvait donc maître Luc ? même cette menace le laissa indifférent !

Mais, ne répondras-tu pas, déloyal joueur? hurla le comte, es-tu devenu stupide encontemplant ta défaite ? Veux-tu donc me résoudre à réveiller ton esprit endormi en telabourant le crâne avec la pointe de mon stylet?

Vraiment, la chose était inconcevable, le fait inoui ! Le vieillard demeura impassible,son corps ne fit pas le moindre mouvement. Par un miracle de son saint patron, il devaitêtre sur la piste d'une tactique nouvelle pour soustraire son roi à cette affreuse capitulation.Toujours est-il qu'il n'avait pas l'air le moins du monde, de se soucier de ces brutalesinstances.

Par l'enfer ! que je sûis brûlé vif, pendant sept éternités, si je n'obtiens une parole etsi je ne t'obliges à t'avouer vaincu ! s'écria le comte en lui secouant violemment l'épaule.

Le joaillier ne leva point la tête, ne répondit rien.... Mais, lorsque le seigneur deMalemort, vaguement effrayé par cette immobilité, eût laché le malheureux père, celui-cis'affaissa sur lui-même, et tomba lourdement sur la dalle.

Ce qu'avait perdu maitre Luc Jacquelet.... c'était la yie!

LE CHATEAU DE LA SOURCE.*

ches, les-détails, et l'ensemble de cette délicieuse petite merveille.Cette heureuse et rare interprétationmoderne des édifices du XVI' siècle, nous a paru

digne ds figurer dans un rêve de Haschisch; M. Charvet ayant bien voulu autoriser lacomplète reproduction de ce qu'à bon droit, il peut appeler son œuvre, nous lui réserve-rons une place dans notre journal en accompagnant, lorsque le sujet le comportera, lagravure d'une note explicative.

Page 13: RÊVE - furet.com
Page 14: RÊVE - furet.com
Page 15: RÊVE - furet.com

Toi, Ina blonde Phébée, ô ma chaste amoureuse,

Complice des amants et du contrebandier,Toi, dont Z'OBÎ'Z 1ne poursuit lorsque je déménage,Toi, rousse si souvent après le mariage,Confidente des fous, effroi du meurtrier.

Toi, c?e qui la bohème a fait une écumoire,Et qui d'un front serein regarde s'agiter,Les peuples et les mers; c'est à ne pas y croire,

Sans honte, sans dépit ! peux-tu donc supporter nQue tant de barbouilleurs à l'esprit dérisoire,Fassent pour t'imiter, un pain à cacheter ?

Page 16: RÊVE - furet.com

LA MORT DE LA SORCIÈRE.

miaulent plaintivement, et à ce singulier concert viennent se joindre les cris d'un hibou,perché sur le haut d'un vieux fauteuil de cuir, pendant que trois petits êtres, un scorpion,une salamandre et un ver de terre, courent ou rampent de part et d'autre, comme siquelque chose d'extraordinaire venait troubler leur quiétude habituelle.

Ainsi, toute la nuit s'est passée. Vers le matin, deux hommes ont apporté une longuecaisse de bois blanc, ils ont déshabillé la Vieille pour l'y enfermer, tous les hôtes dulogis se sont cachés en tremblant, car les nouveaux venus font avec leur marteau unaffreux tapage en clouant les planches.

Les hommes noirs ont terminé leur besogne, puis ils ont remporté le cercueil devenuplus pesant.

Alors, le petit cénacle, éperdu, se prend à commenter ce qui vient de se passer. Chacunpense au triste sort qui lui est réservé

, — tous, depuis longtemps à l'abri des besoinsjournaliers, n'avaient-ils pa3 oublié la vie aventureuse?

1\'1'1:5, d'où vient cette épaisse fumée, ces flammes qui s'élèvent dans cette demeure oùla Sorcière ne viendra plus ?

Ah ! c'est le scorpion qui a poussé un charbon ardent dans un tas de paille.Allons ! sauve qui peut.Les corbeaux s'envolent effrayés, jusqu'à certain endroit où se dresse un gibet.Les chats se réfugient da is la foret voisine, où ils redeviendront sauvages.Le ver entre dans la terre; il s'en va retrouver la Vieille sous son linceuil.La salamandre court en traçant un cercle au milieu de l'incendie.Le scorpion se pique lui-même pour s'inculquer le venin mortel.Tandis qu'étendant son vol jusqu'au sabbat, —le hibou va annoncer au Prince des

pieds fourchus, la mort de la Sorcière.

Page 17: RÊVE - furet.com
Page 18: RÊVE - furet.com
Page 19: RÊVE - furet.com

LA VALSE.

ÉTIRÉ loin du bruit, dans une petite maison, blottie au fond d'unevallée, arrosée par les flots bleus du Rhône, Hermann, un jeune musicien,travaillait assidûment à une grande composition, destinée à mettre ledernier sceau à sa réputation naissante.

Le doux regard de Régina, sa blonde maîtresse, l'encourageait dansce dur labeur et en allégeait le poids. L'espérance remplissait le cœur dujeune artiste, car le jour était proche où la gloire allait lui sourire, etles lauriers ceindre son front.

L œuvre avançait au mieux de son désir. Bientôt elle allait être terminée,il ne lui restait plus à composerqu'une simple valse, qui, dans sa partition,devait être d'un grand effet : il y donnait tous ses soins et voulant enfaire un chef-d œuvre, il avait gardé pour la fin ce morceaude prédilection

Mais quand arriva le moment d'en chercher le motif, à son grandchagrin, l inspiration était devenuerebelle, les jours, les nuits s'écoulaient,le jeune maître ne trouvait rien qui fut digne de ce qu'il avait rêvé.

Grand fut son désespoir ! Il commençait à douter de lui-même, etse sentait incapable d'atteindre à l'idéal entrevu dans sa pensée. Ilfrémissait en songeant à sa médiocrité, remettait son esnrit à 1H tortnrp

et recommençait à chercher.Un soir, de découragement, il lui vint à l 'idée d'appeler à son secours la puissance

infernale,, — au même instant il formula un pacte.Aussitôt, il crut entendre une mélodie lointaine, qui s'approchaitpeu à peu, — jamais

il n'avait ouï si délicieuse harmonie, — il écoutait enseveli dans une complète extase.Entends-tu, ma bien-aimée ! dit-il, à la douce Régina, entends-tu cette sublime

musique, est-il possible de concevoir quelque chose déplus divinement beau? Et commela jeune fille le regardait sans comprendre, Hermann se prit à chanter cet air étrange quimystérieusement venait charmer ses sens.La blonde enfant, doucement bercée par la symphonie entraînante, enlaça de sesbras blancs le cou de son amant, et tous deux lentement se prirent à valser sans en avoir

conscience.Ils valsaient, lui chantant, tandis que penchée sur son épaule, la jeune femme sentait

son cœur palpiter de plaisir ; cependant, ni l'un ni l'autre ne s'apercevaient que lemouvement de leur danse, devenu plus précipité, les emportait peu à peu en un tourbillonvertigineux.

Plus vite, disaient-ils, comme parlant à un virtuose invisible ! plus vite ; et dans lanuit, l'écho répondait : plus vite, encore plus vite, toujours plus vite! et la valsecontinuait plus fiévreuse, plus rapide; les pieds dela jeune fille effleuraient à peine le sol,elle se laissait entraîner en souriant, tandis que son visage- exprimait es plus célestesdélices.

Page 20: RÊVE - furet.com

Tout à coup, comme si la voix qu'Hermann écoutait en lui, eût cessé de l'inspirer,le jeune homme s'arrêta brusquement, abandonnant la belle enfant tout étourdie, quiprise de vertige, échappa de ses bras et s'ouvrit le front en tombant.

Dans l'ombre, Hermann entendit comme un long éclat de rire qui le fit frissonner.Il étendit les mains, cherchant à tàtons et appelant sa folle maîtresse.Rien ne répondit.Régina n'était plus.Anéanti par la douleur, Hermann quitta ce lieu rempli du souvenir de celle qu'il

aimait, — il alla tout droit devant lui, guidé par le hasard, tandis que la valse mauditevibrait à ses oreilles; il fuyait pour y échapper, mais l'air le suivait toujours.

Dans les chemins qu'il parcourait, il croyait l'entendre pleurer parmi les grandspeupliers ; dans la chute des cascades, il en reconnaissait le rythme ; dans les bois, lesfeuilles mortes tournaient en cadence, conduites par le même chant, et au fond desforêts, les immenses bouleaux argentés, semblaient les tuyaux d'un orgue gigantesque,devant lequel il croyait apercevoir un démon jouant la valse infernale.

Ainsi, de longsjours s'écoulèrent !

Puis il revint dans la petite maison des bords du Rhône, s'ensevelir dans le deuil etla tristesse, cherchant l'oubli dans le travail, —après bien des mois seulement, il essayade reprendre l'œuvre qu'il avait interrompue; mais longtemps, longtemps encore, ildemeura hésitant avant d'oser noter l'étrange valse.

, ;La première fois qu'il la joua, il crut voir autour de lui comme une forme blanche

qui lui souriait et semblait l'encourager, — il se leva, mais à mesure qu'il s'approchaitde l'ombre, la vision s'éloignait et s'évanouissait à ses yeux.

Pourtant l'opéra se termina.Lorsqu'arriva le jour tant désiré de l'exécution, malgré la sollicitude des gens

qui admiraient son œuvre,'-'malgre le succès certain qu'il en espérait, une grande tristesseemplissait son cœur, — sa chère Régina ne serait pas là pour partager sa gloire.

Par une singulière idée d'artiste, il retint la plus belle loge de la salle, comme si danssa pensée il devait y recevoir celle qu'il avait tant aimé.

Et, quant à la fin de la représentation, il vint, appelé par les bravos, recevoir lesacclamations dues à son génie ; il tressaillit au premier regard qu'il jeta vers la loge,

— la forme pâle et blanche de Régina lui souriait, l'âme de sa bien-aimée assistait à sontriomphe....

Page 21: RÊVE - furet.com

LA DOMPTEUSE.

EST elle, la voilà, chaque bête se cacheEn la voyant venir, et rugit de frayeur.Elle entre dans la caqe, et sa lourde cravache

9 wCingle un fauve rampant, qui bondit de douleur.

Et lorsqu'il est enfin furieux, plein de rage,Que son œil est de feu, que sa griffe se tend,Dans son énorme gueule avide de carnage,Elle plonge la tête et l'animal attend

Et durant ce moment anxieux, redoutable,Le spectateur stupide, ivre d'émotion,Croit entendre craquer la mâchoire effroyable.

Hélas! il n'en est rien! sans mutilation,La femme a redressé son torse invulnérable,Et le public s'en va, dégoûté du lion !

Page 22: RÊVE - furet.com

L'HÉRITAGE DE LA COMTESSE HUGUES.

ERS 17 le Comte Hugues était gouverneur de la province d'Anjou;il passait pour un homme fort orgueilleuxet d'une ambition insatiable.

.C'était au demeurant un grand seigneur au coeur droit, généreux,

aimant la justice. Il était taillé en athlète et laissait poindre parfois,sous un aspect sévère

,des sentiments délicats, affectueux et une

bonté qui, bien que naturelle, semblait incompatibleavec ses hautainesfaçons.

Le Comte était extrêmement violent.

.Les grandes préoccupations de son gouvernement le rendaient

l'ordinaire soucieux, bourru, et lorsque les choses n'allaient point àsa fantaisie, son ennui se traduisait par de furieuses colères; si bien qu'en de telsmoments, chacun autour de lui tremblait et ne l'abordait qu'avec crainte.

Cette brusquerie qui s'exerçait sans réflexion, l'entraîna un jour jusqu'à frapper laComtesse au visage.

La pauvre femme tomba évanouie.Le soufflet n'eut pas plutôt retenti, que le Comte fut épouvanté de sa brutale action.Eperdu, navré, il saisit sa femme dans ses bras et l'emporta sur un lit.La Comtesse parut revenir à la vie, mais elle était faible, si faible que le Comte dût

envoyer quérir son médecin.Hélas ! la science ne pouvait rien, la malade était condamnée.Quelquesjours après, la chapelle du château était tendue de deuil, deux cérémonies

devaient s'y célébrer : des funérailles et un baptême.La Comtesse était morte en donnant le jour à un enfant.La nuit, où la noble dame avait rendu son âme à Dieu, le Comte qui seul, était

demeuré à son chevet, avait vu, terrifié, sur la joue pâle de celle qu'il adorait, la trace desa main se dess'n;;nt sinistrement en noir.

Après le terrible malheur qui venait de le frapper, Hugues baissant la tête sous lepoids du remords, s isola dans ses souvenirs, poursuivi par la tache livide qui marbrait lajoue de la défunte, et que son œil voyait partout.

Avec le temps, un changement s'opéra peu à peu en lui, et vint le tirer de sa mornetristesse, de sa lourde torpeur.

Il se plongea à corps perdu dans la vie active, cherchant par l'excès du travail à cica-triser les claies ce son cœur ulcéré, à éloigner les sombres pensées qui l'obsédaient.

Afin de ne s3 consacrer qu'à ses affaires et pour écarter de son esprit tout ce quipouvait rappeler le passé, il confia son enfant à son frère, commandant un régimentdu Roy.

Quelques années s'écoulèrent durant lesquellesle Comtedéploya des prodiges d'activité.Mais au bout de ce laps de temps, il se lassa de cette vie mouvementée, dans laquelle

Page 23: RÊVE - furet.com

~u),c>

eofn/uL .e-

Page 24: RÊVE - furet.com
Page 25: RÊVE - furet.com

ses chagrins étaient restés les mêmes. Il voulut revoir son fils, pour lequel il se plut àrêver les plus hautes destinées, reportant sur cette jeune tête, toute son ambition, toutson orgueil.

L'enfant revînt.C'était un beau garçon, robuste, intelligent, frais et rose, dont l'existence enjouée

s'était passée jusque-là à manier les armes et à monter à cheval. En tous points il étaitce qu'autrefois avait été son père.

D'abord émerveillépar l'étrange ressemblance duVicomte avec sa mèredéfunte, Huguesse sentit tressaillir malgré lui, la joue de son enfant portait une tache qui ramenabrusquement le père, à des souvenirs que le temps avait adouci.

Il détourna son regard, se disant à lui-même : par là morbleu ! suis-je fou ? que vientdonc faire là cette tache sur sa joue ?... à la même place, absolument à la même, sansdoute cette marque va disparaître. Je serais insensé de songer à une telle analogie... Dudiable ! irais-je me figurer..... là, il arrêta brusquement sa pensée, comme s'il n'osaitapprofondir davantage cette accablanteanalyse.

Le jeune Hugues endossa bientôt l'uniforme militaire et partit pour rejoindre sonrégiment.Il y apporta son humeurjoyeuse, continuant à rire, à jouer, mais en même temps, il

commençait à comprendre qu'il était gentilhomme, et qu'il avait un grand nom à fairevaloir.

Le comte ne le voyait qu'à de rares intervalles, et chaque fois ne le regardait qu'enpâlissant; sur la joue de son fils la tache devenait de plus en plus apparente.

Fnfin, l'adolescent devint homme, c'était un des plus nobles, des plus braves, des plusbiaux cavaliers de son âge.Sa grâce, son esprit faisaient tourner bien des têtes, et ses aventuresgalantes, dont onparlait déjà, lui avaient suscité, parmi ses camarades, bon nombre de jaloux.Un soir, à la Cour, le jeune Hugues entendit tout-à-coup derrière lui une voix quidemandait : Savez-vous où le Vicomte a ramassé le gigantesque soufflet dont la trace est

encore visible sur sa joue?— Je vous le dirai demain, Marquis, répondit Hugues aussitôt, et par Dieu! votrecuriosité sera sa!isfaite.Le lendemain, le marquis gagnait un monde meilleur, sans être plus renseigné'

sur cequ'il désirait tant connaitre la veille.L anecdote fit du bruit et vint accabler le comte Hugues dans sa retraite.Ce duel malheureux créa de nombreux ennemis au vicomte. De nouvelles offenses luifurent jetées à la face, au sujet des traces empreintes sur sa joue. Le jeune homme sebattait presque sans discontinuer, mais a mesure qu'il châtiait un insulteur, une nouvelleprovocation surgissait... bientôt, il eut affaire à tous les bretteurs ameutés contre lui.Hugues d 'un naturel concilliant, vit singulièrement changer son caractère.Son humeur s était complètementmétamorphosée et d'enjoué, d'aimant,il était devenu

sombre et haineux.La marque qui s étalait sur son visage, et dont il ne pouvait comprendre la source, lefaisait rougir malgré lui ; il n'osait plus s'exposer à la vue des passants, et quand il sortait,

c était presque toujours la main sur la poignée de son épée.Ne pouvant plus supporter une telle existence, de provoqué il devint offenseur,