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Rêves de l’infini… Réflexions sur l’Installation Immersive Interactive
Mémoire
Valérie Genest
Maîtrise en arts visuels Maître ès arts (M.A.)
Québec, Canada
© Valérie Genest, 2014
III
RÉSUMÉ
Ce texte d’accompagnement du projet explique dans le détail les notions relatives à
ma recherche-création en arts visuels. Les principaux points traités sont en lien avec
l’installation immersive interactive travaillée par l’entremise de la fibre optique, la lumière
et la microprogrammation. Il s’agit d’une œuvre multidisciplinaire et hybride qui allie la
sculpture et l’art numérique dans un ensemble médiatique interactif rappelant à la fois le
microcosme et le macrocosme dans son esthétique visuelle générale.
V
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ ______________________________________________________________ III
TABLE DES MATIÈRES _________________________________________________ V
LISTE DES ILLUSTRATIONS ____________________________________________ VII
REMERCIEMENTS_____________________________________________________ IX
AVANT-PROPOS _______________________________________________________ XI
INTRODUCTION _________________________________________________________ 1
CHAPITRE I : MON PROJET ______________________________________________ 3
1.1 : INTENTIONS ___________________________________________________________ 4
1.2 : DESCRIPTION TECHNIQUE _____________________________________________ 6
1.3 : DESCRIPTION VISUELLE _______________________________________________ 9
CHAPITRE II : LA VIE ET L’ORGANICITÉ _________________________________ 13
2.1: LA LUMIÈRE __________________________________________________________ 13
2.2 : EFFETS PHYSIQUES DE LA LUMIÈRE __________________________________ 15
2.3 : LA BIOLUMINESCENCE _______________________________________________ 17
2.4 : ÉCHELLES DE LA COMPLEXITÉ ET DES PROPORTIONS ________________ 18
2.5 : MATIÈRE ANIMÉE VS MATIÈRE INANIMÉE ____________________________ 21
CHAPITRE III : POUVOIR D’AFFECT _____________________________________ 27
3.1 : L’AURA DE L’OEUVRE ________________________________________________ 27
3.2 : EFFETS SENSORIELS __________________________________________________ 28
3.3 : EFFETS PERCEPTUELS ________________________________________________ 29
CHAPITRE IV : L’ART COMME EXPÉRIENCE _____________________________ 33
4.1 : LE CONCEPT DE L’EXPÉRIENCE ______________________________________ 33 4.1.1 : JAMES TURRELL ET L’EXPÉRIENCE DE L’ŒUVRE __________________________ 34
4.2 : L’INTERACTION ET L’INTERACTIVITÉ ________________________________ 38 4.2.1: HYLOZOIC GROUND; UNE ARCHITECTURE INTERACTIVE PAR PHILIP
BEESLEY _______________________________________________________________________ 40
4.3 : L’INSTALLATION IMMERSIVE ________________________________________ 44 4.3.1 : ERNESTO NETO ET L’INSTALLATION IMMERSIVE __________________________ 46
CONCLUSION __________________________________________________________ 49
BIBLIOGRAPHIE _______________________________________________________ 53
VII
LISTE DES ILLUSTRATIONS
Figure 1 : Photographie du projet, 2011. ................................................................................ 4
Figure 2 : Croquis de l’univers immédiat, Valérie Genest, 2013. .......................................... 6
Figure 3 : Croquis des assemblages, Valérie Genest, 2011. ................................................... 7
Figure 4 : Croquis du projet, Valérie Genest, 2012. ............................................................... 9
Figure 5 : Photographie du projet, 2011. .............................................................................. 10
Figure 6 : Photographie du projet, 2011. .............................................................................. 11
Figure 7 : Croquis d’une galaxie, Valérie Genest, 2011. ...................................................... 15
Figure 8 : Croquis de méduse et de crustacé bioluminescents, Valérie Genest, 2012. ......... 17
Figure 9 : Croquis de créatures bioluminescentes, Valérie Genest, 2012. ........................... 18
Figure 10 : Photographie de la nébuleuse planétaire NGC 5189, Robert Gendler. ............. 19
Figure 11 : Croquis de créatures bioluminescentes, Valérie Genest, 2012. ......................... 20
Figure 12 : Croquis d’une luciole bioluminescente, Valérie Genest, 2011. ......................... 21
Figure 13 : Croquis de végétaux, Valérie Genest, 2011. ...................................................... 23
Figure 14 : Croquis de végétaux, Valérie Genest, 2011. ...................................................... 24
Figure 15 : Croquis du projet avec l’intégration de moteurs, Valérie Genest, 2013. ........... 24
Figure 16 : Photographie du projet, 2013. ............................................................................ 25
Figure 17 : Croquis de l’effet miroir et de la réflexion infinie, Valérie Genest, 2013. ........ 30
Figure 18 : Photographie du projet, Valérie Genest, 2013. .................................................. 31
Figure 19: Croquis du projet, Valérie Genest, 2012. ............................................................ 34
Figure 20 : James Turrell, Roden Crater, 1998-2000. .......................................................... 35
Figure 21 : James Turrell, Roden Crater, 1998-2000. .......................................................... 36
Figure 22: Croquis du projet, Valérie Genest, 2012. ............................................................ 39
Figure 23: Philip Beesley, Hylozoic Ground, 2010. ............................................................. 41
Figure 24: Philip Beesley, Croquis numérique pour Hylozoic Ground, 2010. ..................... 42
Figure 25: Philip Beesley, Hylozoic Ground, Membranes filtrantes, 2010. ......................... 43
Figure 26 : Ernesto Neto, Anthropodino, 2009. ................................................................... 47
Figure 27 : Ernesto Neto, Anthropodino, 2009. ................................................................... 48
Figure 28 : Photographie du projet, 2013. ............................................................................ 51
IX
REMERCIEMENTS
J’aimerais avant tout remercier mon père, René Genest, pour son aide précieuse à
chaque étape du projet, son expertise multidisciplinaire, son temps, son dévouement et
aussi pour les passions, fascinations et connaissances sur le monde qu’il a nourri, encouragé
et m’a fait découvrir depuis ma tendre enfance par l’observation de multiples phénomènes
physiques et surtout de la voûte céleste…
Merci à ma directrice de recherche, Marie-Christiane Mathieu, pour sa patience, son
temps et toutes ses remises en questions qui m’ont finalement poussée plus loin dans mes
réflexions…
XI
AVANT-PROPOS
Ce projet de maîtrise en recherche-création est une synthèse, une suite logique ainsi
que le développement d’une recherche visuelle entamée depuis plusieurs années. Celui-ci a
pris naissance de manière inconsciente il y a fort longtemps et se veut être autant une
réalisation artistique qu’une réflexion d’ordre philosophique sur le monde dans lequel nous
évoluons et la place que nous y occupons. Bref, il s’agit d’une réflexion sur le sens de la vie
et surtout, sur l’univers tout entier qui nous abrite et auquel on doit le développement de la
vie, si inusité et hasardeux soit-il. Ainsi, ce mémoire tient lieu d’écho à mon projet
d’exposition Rêves de l’infini… dans la manière où il exprime les idées et inspirations qui
ont guidé mon cheminement artistique et humain vers cet accomplissement que je
considère comme émotionnel et personnel. De ce fait, l’art agit pour moi comme une quête
de sens et un catalyseur permettant de donner vie à mes réflexions et, même s’il ne donne
pas nécessairement réponse à mes questionnements, il permet tout de même de creuser et
cheminer vers celles-ci tout en enrichissant l’esprit.
1
INTRODUCTION
L’idée du titre « Rêves de l’infini » m’est venue de mes intérêts et sources
d’inspirations ainsi que des lectures faites lors de la recherche théorique et pratique en lien
avec mon projet. Le rêve évoque l’illusion, une virtualité ainsi que des potentialités du
monde rendues visibles et expérimentables dans notre dimension. Il représente également
une sorte de mirage méditatif ou encore un songe qui nous porte vers un état réflexif.
L’infini fait bien sûr référence à l’univers et son immensité, mais aussi à l’idée du tout, de
la vie et de l’être. Le lien est encore plus prononcé lorsque l’on place cette idée en lien aux
échelles de la complexité évoquées dans l’esthétique visuelle de l’œuvre. Ce projet
représente une synthèse de ma vision et conception de l’univers infini, autant dans
l’immensité que dans le microcosmique, invisibles à notre vision restreinte du monde.
Ainsi, le côté physique de mon projet ramène à une échelle humaine toutes les sphères de la
complexité, alliant l’infiniment grand à l’infiniment petit en un seul coup d’œil tout en
permettant au spectateur d’y interagir à sa guise.
Le choix du matériau de la fibre optique s’étant imposé de lui-même comme idée de
base dans l’élaboration du projet, la principale problématique consistait à traduire les
notions évoquées ci-haut à travers ce médium préétabli tout en s’adaptant techniquement à
celui-ci. Contrairement à une recherche où l’on adapte la matière selon l’évolution de l’idée
d’origine, le fondement de ma recherche repose sur la combinaison de la fibre optique et de
la lumière pour interpréter les différents concepts déterminants. Les diverses explorations
techniques menées par la suite viennent donc définir l’aspect visuel et symbolique de
l’œuvre à travers les matériaux.
3
CHAPITRE I : MON PROJET
Fascinée par l’immatérialité de la lumière et les multiples sphères qu’elle occupe
dans nos vies, je travaille avec celle-ci depuis plusieurs années par l’entremise de la
photographie et de la sculpture. Plus récemment, j’ai développé une pratique artistique à
travers laquelle je cherche à créer des situations lumineuses immersives qui font événement
tout en redonnant un aspect tangible à cette matière fugitive et complexe qu’est la lumière.
Ce projet de maîtrise en recherche-création consiste en la conception d’une installation
immersive interactive utilisant la lumière, la fibre optique ainsi que le textile comme
principaux matériaux. Elle prend forme telle une mystérieuse forêt aux branchages
luminescents se déployant dans l’espace et au travers de laquelle on peut circuler librement
pour rencontrer les diverses créatures fabuleuses qui y cohabitent. De ce fait, j’aspire à
mener les observateurs vers un rapport plus réceptif face à la lumière en proposant de
nouvelles façons de parcourir et d’expérimenter les limites d’un lieu clos en l’ouvrant vers
l’infini par la diffusion de la lumière dans la rencontre surprenante avec ces divers
matériaux. Il est question d’une structure imposante et englobante qui a la faculté de réagir
aux stimulis venant de l’environnement par diverses réponses adaptées selon les actions des
visiteurs. L’installation est donc un assemblage d’une multitude d’éléments qui prennent
leur force dans la structure d’ensemble. Elle fonctionne à la manière d’un organisme
complexe conduit par la symbiose globale du système et par l’entremise de la rétroaction
des parties. Cet ensemble produit en quelque sorte un écosystème vivant réagissant à nos
déplacements.
Mon travail se situe dans la même lignée de ce que l’on pourrait nommer
l’architecture sensible, plus communément appelée « Responsive Architecture ». Ce type
de construction est le produit de l’intégration de la cybernétique aux structures
architecturales répondant à divers problèmes relevés par le design spatial. L’architecture
sensible s’est développée dans le but de réagir aux facteurs de l’environnement extérieur et
de s’adapter selon le milieu auquel elle est confrontée. Il en résulte généralement un
4
développement de relations plus élaborées et mutuellement enrichissantes entre les gens, le
lieu et l’environnement impliqués. Dans ce cas-ci, il n’est pas question d’une structure de
type industrielle qui serait utilisée dans la construction d’édifices intelligents, mais bien
d’une proposition d’aménagement de l’espace par l’adjonction de matières, de senseurs et
d’éléments électromécaniques qui nous amènent vers un environnement immersif total.
Figure 1 : Photographie du projet, 2011.
1.1 : INTENTIONS
Mon intention avec cette œuvre est d’exprimer une forme de sensibilité universelle
qui serait aussi propre à chaque individu ainsi que des possibilités visuelles inédites dans
l’expérience humaine. J’estime être arrivée à mon but par l’entremise de cette proposition
visuelle immersive qui a le pouvoir de nous projeter au-delà de cette réalité quotidienne
contraignante, dans un espace imaginaire ou un lieu de rêverie. C’est en jouant sur le
contexte habituel en lien à la lumière que je tente de présenter cette construction aux gens
5
sous une perception insolite qui éveille nos sens. Ainsi, il devient possible de composer de
nouvelles réalités permettant d’intensifier l’expérience sensible et de générer divers affects
chez le spectateur. En ce sens, je cherche à produire un événement ou un prétexte qui puisse
faire vivre aux visiteurs une expérience particulière et hors du commun. La meilleure
manière de décrire cet état recherché serait de parler de contemplation active,
d’émerveillement et d’ouverture vers l’inconnu ou vers des phénomènes de la vie qui
n’auraient pas encore été explorés. Contrairement à une attitude passive et désintéressée, la
contemplation active vis-à-vis une œuvre incite le visiteur à s’engager physiquement et
psychologiquement dans l’appréciation de celle-ci. Il est question d’un état d’esprit qui
s’applique profondément et qui se donne tout entier à cette situation intellectuelle tout en
s’impliquant de manière tangible par les multiples déplacements et interventions suscités
par l’installation. Cette position d’implication prise par le spectateur peut alors être
récompensée par le bien-être et la satisfaction que procure l’effet d’immersion et
d’interaction de l’œuvre. En ce sens, je souhaite introduire les visiteurs dans un univers
alternatif dont l’atmosphère suggérée pourrait être comparée aux vastes profondeurs
océaniques ou encore aux étendues indéfinies du cosmos. Cette représentation me vient des
influences qui ont marqué mon travail tout au long de mon cheminement artistique et qui
ressurgissaient continuellement dans mes travaux pratiques. Il s’agit des liens visuels et
philosophiques qu’entretiennent ensemble le microcosme et le macrocosme. Effectivement,
toute matière présente sur notre planète ainsi que dans l’ensemble de l’univers connu est
constituée par un assemblage d’atomes et de molécules prenant leur origine dans les résidus
en suspension dans l’espace ancestral. Aussi improbable que cela puisse paraître, ces débris
spatiaux se sont rassemblés depuis les débuts de l’univers pour former des structures de
plus en plus imposantes et complexes au fil du temps. C’est de cette manière que se sont
organisés tous les éléments qui composent le monde tel que nous le connaissons
aujourd’hui1.
1 Reeves, Hubert. Poussières d’Étoiles. Le Seuil, Collection « Science Ouverte », Paris, 1984.
6
Figure 2 : Croquis de l’univers immédiat, Valérie Genest, 2013.
C’est avec la fibre optique et la lumière que je mets en scène ces métaphores sur
l’histoire et la composition du monde pour arriver à créer un environnement où l’évocation
de ces idées devient plausible et accessible à notre compréhension. Une fois imprégnés
dans cet univers énigmatique, les visiteurs ont le pouvoir d’interagir à leur guise avec le
milieu et chaque personne a également la possibilité d’entrer en elle-même pour laisser son
esprit accueillir les perceptions visuelles et sensorielles qui lui sont proposées. Par
l’ensemble et le développement de ces idées, j’ai tenté de démystifier le cheminement
nécessaire afin de parvenir à une proposition qui soit mémorable et étonnante.
1.2 : DESCRIPTION TECHNIQUE
Afin de résoudre cette réflexion de manière concrète, la lumière a été explorée par
l’entremise de la fibre optique. Cette fibre a été coupée puis assemblée en plusieurs sections
distinctes regroupant de multiples segments fixés à l’extrémité de sources lumineuses.
Chaque section est ensuite reliée à un programme informatique et à des capteurs permettant
de traduire l’interaction du public en diverses réponses lumineuses, sonores et cinétiques.
Bien sûr, tout ne s’est pas déroulé aussi simplement dans la réalisation. Celle-ci a nécessité
une grande quantité d’essais et d’erreurs pour arriver à un prototype final qui soit
fonctionnel comme décrit ci-haut. Comme la fibre optique était un nouveau sujet
7
d’exploration pour moi, il s’est avéré impératif de trouver des techniques spécifiques pour
la travailler et l’assembler convenablement. Pour y arriver, les croquis qui sont présentés au
fil du texte ont été d’une grande utilité afin d’imager tous les résultats possibles et
imaginables. Faisant partie d’un journal de bord beaucoup plus développé, ces esquisses
apportent un bon support visuel supplémentaire pour présenter mes diverses idées et les
cheminements qui ont mené à leur réalisation de manière concrète.
Figure 3 : Croquis des assemblages, Valérie Genest, 2011.
À l’aide de matériel informatique, d’un microphone, d’un amplificateur et d’un
microcontrôleur, la lumière émanant des fibres optiques a la propriété de se moduler en
fonction des sons ambiants. L’intégration de capteurs piézo-électriques sensibles à
l’effleurement, de sonars ainsi que de moteurs et détecteurs de mouvements réagissant en
fonction des déplacements produisent des actions singulières et mystérieuses qui rappellent
celles d’organismes vivants. Ces diverses applications transmettent les informations
extérieures au programme informatique tandis que les mouvements des visiteurs sont
analysés et restitués par différentes actions en fonction de l’origine et de la distance des
8
déplacements par rapport aux récepteurs. Par exemple, lorsqu’un visiteur se déplace devant
le sonar, la réponse lumineuse se modifie en fonction de la distance entre le capteur et la
personne en accélérant graduellement la routine du programme informatique selon la
proximité de celle-ci. Aussi, lorsque le visiteur touche à certains points stratégiques de
l’installation comportant les capteurs piézoélectriques, les divers programmes qui leur sont
associés nous offrent des variations lumineuses rappelant la respiration, les battements
cardiaques ou encore un effet stroboscopique alternant d’une structure à l’autre. De plus, un
microphone permet de faire varier l’intensité lumineuse de l’œuvre en fonction des
interventions sonores des visiteurs. L’œuvre se trouve à répondre à une intelligence
centralisée dans la puce électronique alors que l’ensemble de sa structure est décentralisé
dans l’espace d’exposition. Le système nerveux central de l’œuvre est contenu dans le
matériel électronique placé en retrait, à l’abri des regards. Celui-ci reçoit les commandes et
l’information des divers capteurs disposés dans l’espace, tandis que l’essentiel de ce qui est
accessible pour le visiteur, c'est-à-dire l’intégralité de la structure architecturale, est
dispersé dans la totalité du lieu de présentation. Il s’agit ici d’un effet de dualisme ou
d’interdépendance des choses, un peu à la manière dont le microcosme influence le
macrocosme, ou encore la relation intime qu’entretiennent l’électricité et le magnétisme.
L’une des deux parties ne peut tout simplement pas fonctionner convenablement sans
l’apport de l’autre, ce qui fait que chacune d’elles est à sa manière le cœur de l’œuvre (cœur
physique vs intelligible). Toutes ces interactions du projet sont spécifiquement composées
pour être tantôt subtiles, naturelles ou propices à la réflexion et tantôt plus surprenantes et
hypnotiques.
9
Figure 4 : Croquis du projet, Valérie Genest, 2012.
1.3 : DESCRIPTION VISUELLE
Lorsque nous entrons dans l’espace de l’œuvre, nous observons plusieurs amas
lumineux qui surgissent de l’obscurité tout en étant filtrés à travers ces milliers de brins de
fibre optique qui se répandent aléatoirement dans l’espace. Ceux-ci ne laissent apparaître à
nos yeux qu’une multitude d’infimes points étincelants à l’extrémité de ces longues fibres
d’où persiste une lueur résiduelle due au passage de la réflexion lumineuse infinie.
10
Figure 5 : Photographie du projet, 2011.
Lorsque ces assemblages flottent simplement dans l’espace, ils suggèrent la voûte
céleste et les multiples constellations qui s’offrent parfois en spectacle à nos yeux. De plus,
l’ensemble de l’espace ainsi que certaines de ces structures sont façonnés à l’aide de
textiles et autres matériaux translucides proposant des formes variables, changeantes et
aléatoires. Parmi ces matériaux, nous retrouvons du tulle blanc, de la tubulure de vinyle
transparente ainsi que de la ouate en coton. Certains assemblages sont restés à leur état
embryonnaire tandis que d’autres sont beaucoup plus évolués dans leur développement.
L’effet de transparence des différentes matières nous laisse percevoir le rayonnement
interne de la fibre optique qui émane de chaque sculpture luminescente nous inspirant
d’étranges animaux sous-marins ou encore de minuscules microorganismes qui auraient été
magnifiés. La combinaison de ces matériaux très malléables permet ainsi une expansion
impressionnante dans le lieu d’exposition, celui-ci se retrouvant littéralement submergé par
une énorme structure insolite et organique se déployant dans l’espace. Mais encore, l’idée
que je veux suggérer avec cette installation est que ces étoiles lointaines et créatures
généralement inaccessibles sont maintenant à portée de la main, sous des proportions qui
auraient été altérées. Le visiteur est alors en mesure d’atteindre les étoiles et de les toucher
tout en recevant une réponse en retour. Cet aspect amène une dimension supplémentaire à
la proposition dans la manière où elle implique un lien physique réel entre la matière de
l’installation et les corps qui s’y déplacent.
11
Figure 6 : Photographie du projet, 2011.
L’ajout au sol de tuiles d’acrylique miroir engendre une perte des repères spatiaux
pour les spectateurs qui se trouvent à flotter dans le vide à travers diverses créatures
fabuleuses qui sont aussi reflétées sous leurs pieds. Mise en relation avec l’obscurité de la
pièce qui absorbe le spectateur dans un espace non défini, cette œuvre inspire l’infini et
l’interpénétration du microcosme et du macrocosme tel qu’évoqué plus tôt. Ainsi,
l’installation donne l’impression de se déplacer à la fois à travers l’immensité du ciel étoilé
ainsi qu’au milieu d’atomes ou de créatures organiques appartenant à d’autres échelles de la
complexité. Sa disposition dans l’espace suggère un univers alternatif et imaginaire au
travers duquel il est possible de s’infiltrer et d’interagir de diverses manières tout en étant
orienté vers une réappropriation de notre corps et des diverses expériences sensorielles que
l’œuvre est en mesure de nous faire vivre.
13
CHAPITRE II : LA VIE ET L’ORGANICITÉ
2.1: LA LUMIÈRE
Avant de s’aventurer plus loin, il est indispensable d’expliquer la source même de
l’inspiration de mon travail : la lumière. Condition de base de l’évolution de la vie ainsi que
support de la vision permettant notre connaissance et notre connexion au monde, la lumière
fascine les cultures depuis l’aube de l’humanité. Elle amène, entre autres, les peuples vers
la civilisation avec la découverte du feu (500 000 ans) et de l’agriculture (10 000 ans) par
les produits de la photosynthèse. D’un point de vue physique, la lumière est à la fois une
radiation électromagnétique possédant un certain spectre de fréquence et se déplaçant de
manière ondulatoire tout en étant aussi constituée de particules corpusculaires que l’on
nomme « photons ». La lumière irradie à une vitesse spectaculaire de 300 000 kilomètres
par seconde en quête d’une surface lui permettant d’émerger de l’obscurité, car elle ne se
manifeste que dans la rencontre avec la matière.
C’est par l’entremise de nos yeux, ces « frontières perméables qui assurent la
jonction entre l’intérieur et l’extérieur 2
», que la lumière devient la grande complice de
notre perception de l’espace et de ses variations. « Précondition à la possibilité de voir
quelque chose3 », cette puissance polysémique à la fois abstraite et quantifiable enveloppe
tout notre univers de son immatérialité dans un mouvement aussi insaisissable qu’infini
afin de nous faire apparaître des environnements, des ambiances et des lieux. Bien qu’elle
ne constitue que 0,5% du contenu total de l’univers qui est composé en majorité d’énergie
et de matière noire, c’est effectivement par l’action de la lumière, qui se révèle autant à nos
yeux qu’à notre esprit, que nous sommes en mesure d’appréhender et d’évoluer dans le
monde qui nous entoure, sans quoi nous serions confinés à une errance dans un néant
obscur et infini. Car il suffit de réfléchir un moment pour comprendre que la lumière
2 Rencontres 9 : Almine Rech/James Turrell. Images modernes, 2005, p.99.
3 Sinnreich, Ursula. Kulturbetriebe Unna, James Turrell : Geometry of light. Hatje Cantz, 2009, p.72.
14
possède une étrange ambiguïté entre présence et absence : tributaire de ce grand paradoxe,
elle est la condition essentielle de la perception et sculpte l’espace par sa qualité expansive,
mais en revanche notre sens du toucher ainsi que l’œil humain ne sont pas en mesure de
distinguer sa présence physique réelle ni toute l’étendue de son spectre.
Principale messagère de l’univers, celle-ci met un certain temps à nous parvenir, ce
qui permet du même coup un dialogue temporel avec la voûte céleste qui nous englobe. En
effet, parce qu’elle nous arrive constamment avec un certain retard, il est possible de
remonter dans le temps et de recevoir des informations d’un espace lointain à la fois en
temps et en distance (aussi appelé années-lumière). Paradoxalement, le temps pour cette
source d’énergie pure qu’est la lumière est totalement figé, car plus le mouvement spatial
est rapide, plus le mouvement temporel est lent. Ainsi, le temps s’arrête lorsqu’on atteint la
vitesse de la lumière, donc la lumière ne vieillit jamais! C’est pour cette raison qu’elle a la
possibilité de nous parvenir et de nous communiquer de l’information des ultimes confins
de l’univers, d’un espace-temps où nous ne sommes pas encore envisagés dans toute
l’histoire de l’univers, de la Terre et de l’évolution des espèces. Cet ancien rayonnement
lumineux provenant d’un lointain passé, aussi appelé rayonnement fossile, nous parvient
non seulement de galaxies et de nébuleuses éloignées en temps et en espace, mais nous la
côtoyons chaque jour dans nos activités quotidiennes par les produits du pétrole. Cette
ancienne énergie lumineuse s’est accumulée et emmagasinée dans le sol depuis des milliers
d’années pour ensuite se transformer avec les âges4. Pour nos vies urbaines et actuelles, la
lumière est si omniprésente que nous la tenons pour évidente et la traitons avec indifférence
jusqu’à ce qu’elle s’absente et vienne à nous manquer. C’est pourquoi je tiens par mon
projet de maîtrise à nous rendre cette humilité face à la lumière de qui nous ne devons ni
plus ni moins que nos vies. Ainsi, j’ai l’intention d’extérioriser tout en transmettant ces
diverses réflexions sur la lumière afin de faire comprendre toute l’importance et l’influence
qu’elle a eue dans nos existences depuis des millénaires. Car je crois que l’œuvre parle
d’elle-même et nous raconte cette belle histoire de la lumière qui a pris forme au début des
temps, soit aux premiers soubresauts de l’univers.
4 Reeves, Hubert. Op. cit.
15
Figure 7 : Croquis d’une galaxie, Valérie Genest, 2011.
2.2 : EFFETS PHYSIQUES DE LA LUMIÈRE
« Pure synapse agissant directement sur les cellules nerveuses de la sensation5 », la
lumière utilisée dans un contexte artistique immerge le spectateur et le transperce tout en
créant une expérience qui anime nos sens pour nous amener dans un état d’attention
exacerbé en lien à notre manière de voir, sentir et percevoir6. Dans cette optique, la lumière
témoigne d’un intérêt pour l’insaisissable ainsi que pour la sensibilité engendrée par
l’immatérialité, mais elle amène aussi les créateurs à concevoir l’art avec un médium dont
les possibilités de variations et d’explorations sont très variées.
En plus de nous acheminer des informations sur le monde extérieur, la lumière
apporte aussi de la couleur dans nos vies. Mais plus que cela, la couleur de la lumière que
nous détectons par nos sens contribue aussi à faire fluctuer nos impressions du monde.
Prenons simplement comme exemple la lumière blanche telle qu’utilisée dans mon
installation. Somme de toutes les couleurs et à la fois représentation du chaos initial du
commencement de notre univers il y a de cela 15 milliards d’années, cette lumière blanche
5 Weber, Pascale. Le corps à l’épreuve de l’installation-projection. L’Harmattan, histoire et idées des arts,
France, 2003, p.83. 6 Sinnreich, Ursula. Op.cit, p.89.
16
est d’une intensité et d’une chaleur insoutenable à toute vie, mais elle est à la fois la source
originelle de cette vie que nous connaissons. Celle-ci nous semble d’une pureté
transcendante et inspire la paix, la sérénité et l’allégresse. Ce blanc immaculé se répercute
en notre âme tel un spectre fantomatique d’une sagesse et d’une limpidité sans borne.
Le blanc : symbole d’un monde où toutes les couleurs, en tant que propriétés
matérielles ou substances, auraient disparues. Ce monde est tellement au-dessus de
nous, qu’aucun son ne nous en parvient. Grand silence représenté comme un mur froid
à l’infini, infranchissable, indestructible. Le blanc agit sur notre âme ou psyché, comme
un grand silence qui subitement pourrait être compris, c’est un silence qui n’est pas
mort, mais plein de possibilités, un néant qui est jeune ou encore, un néant d’avant le
commencement, d’avant la naissance, parure de la joie et de la pureté immaculée. 7
Aux antipodes de cette lumière éthérée se trouve l’obscurité que l’on associe au
noir. Représenté par l’absence totale de toute particule de lumière, si infime soit-elle, le
noir symbolise les ténèbres, l’angoisse, la peur et même la mort. Représentant plus de 99%
de la surface du ciel nocturne, tout en étant la trame de fond de mon projet, le noir peut
aussi être associé à la modestie que l’on ressent face à ces vastes étendues cosmiques qui
nous englobent de toute part.
Au bout de ces raisonnements, il devient aisé de comprendre pourquoi la lumière,
considérée comme la forme la plus noble du monde matériel, a toujours été associée au
savoir et à la dissipation de l’ignorance dans une multitude de cultures anciennes. Cette
lumière de la connaissance et de l’absolu qui nous donne matière à voir et à penser semble
intimement liée à l’esprit. Véhiculée par les divers matériaux qui forment l’installation, elle
nous fait réfléchir sur une multitude de sujets qui nous élèvent en tant qu’individus et qui
nous permettent de devenir de meilleures personnes dans le monde dans lequel on vit.
Ainsi, peu importe qu’elle soit d’ordre scientifique, technique, artistique ou encore
spirituel, c’est cette approche de la lumière qui nous permet d’être plus humains8.
7 Kandinsky, Vassili. Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier. Collection folio essais,
éditions Denoël. 1954, p.155. 8 Xuan Thuan, Trinh. Les voies de la lumière ; physique et métaphysique du clair-obscur. Collection folio
essais, éditions Gallimard, France, 2008, p.921.
17
2.3 : LA BIOLUMINESCENCE
Depuis tous ces milliards d’années d’évolution de la vie, les espèces se sont
développées sous de multiples formes en passant par diverses phases de création-extinction
à travers les âges. Certains de ces organismes et animaux ont même développé une manière
biologique naturelle de créer leur propre lumière par divers échanges métaboliques dans
leur corps. On appelle cette caractéristique la bioluminescence. Il s’agit en fait d’une
production de lumière froide par un être vivant à l’aide d’enzymes et de réactions
chimiques complexes libérant de l’énergie sous forme lumineuse. D’autres animaux ont
aussi la capacité d’absorber les photons pour ensuite les réémettre à une longueur d’onde
supérieure.
Figure 8 : Croquis de méduse et de crustacé bioluminescents, Valérie Genest, 2012.
Cette caractéristique impressionnante qu’est la bioluminescence est majoritairement
représentée en milieu marin où 95% des espèces retrouvées à 4000m de profondeur sont
lumineuses. Elle sert entre autres à l’éclairage, au camouflage, à l’attraction, la répulsion,
l’accouplement ou encore à la communication entre les individus, comme c’est le cas dans
mon projet. On retrouve cette spécificité chez plusieurs espèces, dont certains céphalopodes
abyssaux, méduses, calmars et pieuvres. Mais on retrouve aussi ce trait distinctif dans des
milieux qui nous sont plus habituels et accessibles, par exemple chez le vers luisant
(communément appelé luciole), ou encore chez plusieurs champignons et organismes
18
protozoaires. En ce sens, les diverses bestioles peuplant l’installation agissent comme
vecteurs nous permettant de découvrir et de communiquer avec ces créatures venues
d’environnements qui nous sont aussi lointains qu’inhospitaliers tout en nous faisant
réfléchir sur notre existence, nos origines et notre raison d’être.
Figure 9 : Croquis de créatures bioluminescentes, Valérie Genest, 2012.
2.4 : ÉCHELLES DE LA COMPLEXITÉ ET DES PROPORTIONS
Comme il a été soulevé précédemment, l’inspiration de mon travail prend forme
dans la rencontre entre les diverses échelles proportionnelles de la complexité qui façonnent
notre monde. Ainsi, l’œuvre évoque autant les microorganismes, les mystérieuses créatures
animales que les gigantesques formations stellaires qui nous surveillent depuis l’immensité
du ciel. En ce sens, chacun des brins de fibre peut être contemplé individuellement et
suggérer une étoile lointaine ou encore une luciole volant dans le ciel. Mais les amas de
fibre peuvent aussi être interprétés dans leur ensemble et nous faire voyager dans les
milliards de galaxies ainsi que dans les nébuleuses intersidérales, véritables berceaux de
l’univers qui auraient été ramenés à notre échelle pour nous permettre d’assister à ce
spectacle grandiose de la formation de la vie. Car, c’est dans certaines conditions
déterminantes et à des centaines d’années lumières de nous que l’essentiel se passe en ce
moment même, tout comme cela se produit depuis des millénaires. Ce moment originel où
les molécules de gaz et de poussières interstellaires s’assemblent ou encore explosent pour
19
faire naître de nouvelles étoiles et ultimement, la vie. De ce fait, nous sommes composés
des résidus d’étoiles qui sont mortes et qui se sont reconstituées en d’autres assemblages
d’éléments :
Tous les atomes de notre corps proviennent d’une étoile qui a explosé, et les atomes de
votre main gauche viennent probablement d’une étoile différente de celles de votre
main droite. C’est réellement la chose la plus poétique que je connaisse à propos de la
physique: vous êtes tous des poussières d’étoiles. Vous ne pourriez pas être là, si les
étoiles n’avaient pas explosé, car les éléments comme le carbone, l’azote, l’oxygène, le
fer, toutes les particules importantes pour l’évolution et l’apparition de la vie n’ont pas
été créés au début du temps. Elles ont été créées lors de la fusion nucléaire des étoiles,
et la seule manière pour elles d’être présentes dans votre corps, c’est d’avoir été assez
aimable d’exploser. Les étoiles sont mortes pour que vous soyez là aujourd’hui. 9
Figure 10 : Photographie de la nébuleuse planétaire NGC 5189, Robert Gendler.
L’installation prise dans son ensemble peut aussi nous ramener à une échelle
inversée, celle de l’infiniment petit. Ainsi, s’infiltrer dans l’œuvre peut également nous
faire voyager au cœur même des particules atomiques nous suggérant des assemblages
étonnants que l’on peut s’imaginer retrouver dans une multitude de spécimens de notre
quotidien, mais sous des proportions magnifiées à l’extrême. Les assemblages de fibre
optique et de matériaux peuvent ainsi nous dévoiler d’étranges bactéries ou champignons
9 http://exprimezvotrepotentiel.wordpress.com/2012/03/13/sommes-nous-fait-de-poussieres-detoiles/, site
consulté le 9 décembre 2012. (Ces mots sont ceux Lawrence Krauss physicien américano-canadien,
professeur de physique, fondateur de la School of Earth and Space Exploration, et directeur du Origins
Project à l’Arizona State University.)
20
microscopiques rassemblés en immenses colonies nous submergeant en tout sens. De cette
manière, chaque brin de fibre nous montre une des multiples molécules formant la super
structure protozoaire où chaque individu participe à l’effort global, soit parasiter et prendre
contrôle du lieu qu’il a choisi pour hôte, dans ce cas-ci, l’espace d’exposition.
Figure 11 : Croquis de créatures bioluminescentes, Valérie Genest, 2012.
Ces structures font aussi référence aux créatures abyssales qui pourraient être jugées
comme étant dans des proportions plus confortables pour notre imagination, soit l’échelle
humaine. Dans cette branche de représentation, on retrouve entre autres les méduses que
j’affectionne particulièrement étant donné leur caractère énigmatique et vaporeux qui se
rapproche grandement de l’aspect visuel de mon projet. C’est par leur transparence et leurs
tentacules filamenteux qui se dispersent tout autour d’elles que leur évocation s’impose lors
de l’expérience du projet. Les méduses trouvent leur translucidité dans leur constitution
corporelle qui est composée de 98% d’eau et de 2% de cette matière gélatineuse et limpide
qui leur donne cet aspect si caractéristique10
. En ce sens, une visite de l’installation a la
capacité de faire voyager le spectateur dans les contrées les plus inusitées de notre planète
10
Ce qui repousse encore plus les limites de ces animaux est que certaines de ces méduses ont la capacité
d’inverser leur vieillissement par un processus de transdifférenciation de leurs cellules et de retourner à leur
forme polype. Bien qu’elles ne soient pas insensibles à la maladie ou aux prédateurs, cette caractéristique
étonnante fait des Turritopsis Nutriculas ni plus ni moins que des créatures immortelles.
http://www.mnn.com/earth-matters/animals/stories/immortal-jellyfish-does-it-really-live-forever.
Site consulté le 14 janvier 2014.
21
et de suggérer une improbable plongée dans ces fosses abyssales, plus loin encore que la
limite ultime où l’humain ne s’est jamais aventuré.
Dans cette échelle de grandeur un peu plus accessible à notre expérience humaine et
terrestre, nous retrouvons aussi les captivantes lucioles. Porteuses d’une aura de féérie, ces
insectes semblent tout droit sortis d’un conte fantastique et nous surprennent toujours de
leurs apparitions lors de promenades nocturnes. À cet effet, l’immersion dans mon projet
pourrait donner l’impression d’une mystérieuse balade en forêt où des milliers de lucioles
se seraient rassemblées au même endroit pour s’illuminer tout autour de nous et nous faire
vivre une expérience étonnante empreinte de surnaturel. Mais plus encore, ces mystérieuses
bestioles animées par l’électricité statique qui forment l’installation ne se sauvent pas à
notre approche, mais recherchent notre contact pour se recharger ainsi que pour déclencher
les diverses rétroactions qui caractérisent l’œuvre.
Figure 12 : Croquis d’une luciole bioluminescente, Valérie Genest, 2011.
2.5 : MATIÈRE ANIMÉE VS MATIÈRE INANIMÉE
Malgré le fait que plusieurs de mes sources d’inspirations soient d’origine
organique, il est clair que mon projet de recherche ne possède pas les qualités requises pour
être qualifiées de « vivant ». C’est ce qui m’a amené à réfléchir aux liens et à ce qui sépare
22
les êtres vivants de la matière inanimée, ainsi qu’à l’élément où la touche mystérieuse qui
parvient à insuffler la vie à ces particules pour qu’elles s’animent devant nos yeux. Car il
suffit de réfléchir un instant aux astres évoqués précédemment et à l’affirmation selon
laquelle nous prendrions nos origines de poussières d’étoiles lointaines pour comprendre
toute la lenteur et l’envergure de ce projet cosmique afin d’aboutir à l’apparition de la vie
telle que nous la connaissons. La question est de savoir où se situe réellement la limite entre
un simple élément chimique de base qui s’associe avec d’autres pour former des
agencements plus complexes et le moment décisif où, mystérieusement, un de ces
assemblages développe exactement ce qu’il fallait pour passer de l’autre côté de la
frontière, prendre vie et ainsi établir les bases du vivant. Évidemment la réponse n’est pas
aussi claire que l’on souhaiterait et plusieurs zones grises subsistent à cette échelle
microscopique de la complexité11
. Sans en arriver à ce que l’œuvre puisse être qualifiée de
vivante, je veux tout de même donner l’impression que la matière inerte de ce système
s’anime devant nos yeux, comme insufflée de cette étincelle de vie abordée plus haut. C’est
par diverses particularités physiques et sensorielles suggérant le vivant que je pense être
arrivée à ce résultat que l’on pourrait qualifier de mimétique.
Pour commencer, le visiteur pénètre dans une pièce obscure où il distingue des
milliers de branchages illuminés cascadant du plafond et dont l’intensité lumineuse se
trouve à fluctuer avec de légères variations cycliques. Cet effet émanant de la fibre optique
donne alors l’impression que l’œuvre respire d’elle-même et qu’elle est vivante, comme un
écosystème autonome attendant patiemment la suite des développements ou encore un
contact physique pour répliquer et communiquer avec les individus. Car, comme soulevés
plus haut, lorsque ceux-ci touchent ou se déplacent devant certains points stratégiques, ils
enclenchent diverses rétroactions venant de l’œuvre. Cette portée du « feedback » ou de la
réponse lumineuse suggère manifestement aux visiteurs l’impression que le dispositif
pourrait être vivant.
11
http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/10/04/les-frontieres-du-vivant_1770389_1650684.html. Site
consulté le 10 décembre 2012.
23
De plus, le son mystérieux émanant de l’ensemble de l’espace peut contribuer à cet
effet de communication entre les visiteurs et l’œuvre, comme si l’univers lui-même tentait
de communiquer avec nous dans une langue qui nous échappe, mais qui nous captive
malgré tout. Cet effet énigmatique s’explique par le fait que les sons si caractéristiques
entendus dans l’installation résultent d’un enregistrement réel d’ondes électromagnétiques
provenant de la planète Jupiter12
. Selon moi, cet aspect rajoute au mystère global de
l’installation et en renforce les liens au cosmos qui lui sont rattachés, car le son, tout
comme la lumière, est une autre manière pour l’univers de communiquer avec nous.
Figure 13 : Croquis de végétaux, Valérie Genest, 2011.
Les mouvements délicats des sculptures lumineuses amenés par les systèmes
motorisés contribuent aussi grandement à cet effet d’association au vivant, car ils suggèrent
que ces créatures peuvent bouger. Et, comme on le croit, une entité qui est dotée de la
faculté de s’animer physiquement doit nécessairement être en vie à quelques exceptions
près. Parmi celles-ci, pensons aux végétaux, comme les arbres et les fleurs, confinés à une
immobilité constante malgré leur existence réelle et immuable. Bien sûr ils parviennent
nécessairement à remuer légèrement et à croître, mais leur enracinement au sol les contraint
à un développement presque exclusivement rectiligne et sclérosé. Ainsi, un système ayant
la capacité de se déployer et de s’activer comme le fait mon projet gagne une longueur
d’avance en termes d’impression et d’imitation du vivant.
12
Nasa Jupiter Sounds : http://www.youtube.com/watch?v=e3fqE01YYWs, site consulté le 10 mars 2013.
24
Figure 14 : Croquis de végétaux, Valérie Genest, 2011.
À l’autre extrême se trouvent l’intelligence artificielle et la cybernétique. Certaines
de ces machines ont maintenant la capacité de modifier leurs comportements en fonction de
leurs expériences et apprentissages sans que ces caractéristiques ne les rendent éthiquement
plus « vivants » pour autant. Mon projet se situe tout de même dans cette branche de la
cybernétique13
, mais à un niveau beaucoup moins complexe, car il n’est pas programmé
pour apprendre de ses expériences et faire évoluer son programme pour devenir autonome
comme certains autres dispositifs.
Figure 15 : Croquis du projet avec l’intégration de moteurs, Valérie Genest, 2013.
En somme, le fait que l’œuvre sache bouger, respirer et s’exprimer lui donne en
quelque sorte le statut de matière animée pour nos perceptions et déclenche en nous,
humains, l’impression du vivant et une certaine empathie pour la créature, comme si elle
13
« La science constituée par l'ensemble des théories sur les processus de commande et de communication et
leur régulation chez l'être vivant, dans les machines et dans les systèmes sociologiques et économiques. »
http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/cybernetique/, site consulté le 21 mai 2013.
25
était dotée d’une conscience, d’une volonté propre, ou encore d’une âme. Cet attachement
émotif à ce qui a l’apparence du vivant est souvent stimulé par les formes anthropomorphes
que nous voyons et créons sans cesse autour de nous. Mais plus encore, celle-ci s’étend
beaucoup plus loin que ce qui s’apparente à notre physionomie, car elle est poussée
davantage avec certains animaux, insectes et bactéries qui prennent parfois des formes
surprenantes, repoussant les limites du simple développement anthropomorphique qui nous
caractérise. Ce qui nous amène donc à percevoir ce que nous reconnaissons comme cette
étincelle de vie dans un système qui en est originellement dépourvu, mais qui en dégage les
particularités. La respiration, la réponse, le son et les mouvements générés par la structure
de l’installation sont de ces particularités mimétiques qui nous pousseraient à croire que
cette forêt de lumière serait bel et bien animée de l’étincelle de vie tant convoitée.
Figure 16 : Photographie du projet, 2013.
27
CHAPITRE III : POUVOIR D’AFFECT
Il est indéniable que toute œuvre d’art contribue à nous faire ressentir divers affects
par le pouvoir qu’elles exercent sur nos perceptions et nos émotions. D’un autre côté, ces
effets seront très différents et d’intensité variée d’une œuvre et d’un individu à l’autre. On
comprendra que les affects ressentis lors de la contemplation d’une œuvre bidimensionnelle
seront bien différents de ceux ressentis à la visite d’une installation immersive mettant de
l’avant l’interaction des visiteurs. Parce que l’on peut physiquement entrer dans l’œuvre,
marcher dans l’espace construit ainsi que toucher les éléments pour faire réagir l’œuvre,
l’installation immersive pousse à un autre stade le pouvoir d’affect de l’œuvre d’art. En ce
sens, elle encourage des réponses plus ouvertes et réfléchies de la part du visiteur et du
même coup l’engage complètement dans l’expérience de l’œuvre. Celui-ci s’en retrouve
alors plus enclin ou vulnérable à se laisser aller à ses émotions et à communiquer soit avec
l’œuvre ou ses pairs. Mais quels sont ces affects vécus par les visiteurs à l’expérience de
mon projet et quelle serait la limite du pouvoir d’impact d’une œuvre immersive sur un
visiteur?
3.1 : L’AURA DE L’OEUVRE
La synergie entre tous les éléments constitutifs d’une installation joue un rôle
crucial, car elle fait que l’assemblage du tout est plus fort que la simple addition des parties
prises séparément, ce qui contribue à lui donner une aura caractéristique et à en faire une
expérience unique. L’aura de l’œuvre d’art serait cette « exhalation subtile censée émaner
d’un corps14
». Prise à son sens figuré, il serait question d’une « atmosphère immatérielle
qui entoure les êtres d’exception15
». Pour Walter Benjamin qui a développé cette idée,
l’aura devient un concept esthétique : « L’aura d’une œuvre, c’est cet élément qui lui
14
Riout, Denis. Qu’est-ce que l’art moderne. Éditions Gallimard, collection folio essais inédit, 2000, p.293 15
Ibid.
28
appartient en propre et qui n’appartient qu’à elle, en tant qu’objet singulier porteur d’une
histoire sédimentée dans sa complexion matérielle au fil du temps. L’aura c’est l’unique
apparition d’un lointain si proche soit-il16
ainsi que l’unicité de sa présence au lieu où elle
se trouve17
». En d’autres termes, il s’agit de cette impression de puissance et d’autorité qui
émane de l’œuvre et du fait qu’elle seule peut nous amener là où elle nous amène, que ce
soit de sa proposition visuelle autant que de son côté réflexif. Ainsi, de par l’adjonction de
toutes ses sources d’inspiration, l’œuvre d’art nous amène encore plus loin que la simple
addition de citations ou métaphores, mais elle crée un tout nouveau système d’expression et
de réception pour le vécu et les affects du spectateur.
3.2 : EFFETS SENSORIELS
L’œuvre apporte son lot d’effets sensoriels aux spectateurs. Ceux-ci sont causés par
les miroirs au sol combinés aux effets de lumière parfois stroboscopiques qui pourraient
donner à un visiteur une impression de vertige, d’étourdissement et de désorientation selon
son degré de résistance. Celui-ci est propre à chaque individu et se définit par le seuil
épileptique : le niveau auquel le cerveau aura une crise.18
Mais sans se rendre à la crise
même, l’inconfort ou l’ivresse ressentie par le visiteur est directement régi par son propre
seuil épileptique. Certaines personnes pourraient faire l’expérience d’un plus grand stress
ou anxiété, alors que certains très jeunes enfants ressentiraient plutôt de la peur due à la
noirceur environnante et de l’inquiétude face à l’inconnu. Ainsi, il serait juste d’affirmer
que l’œuvre a un certain pouvoir invasif sur les affects des visiteurs et qu’elle peut parfois
même devenir déstabilisante, dérangeante ou perturbante pour nos sens. D’un autre côté, le
contraire est aussi tout à fait juste, car la majorité des gens qui font l’expérience de mon
installation parlent davantage de l’effet apaisant de celui-ci plutôt que de ses portées
incommodantes. En effet, à travers tous les commentaires que j’ai recueillis au sujet de
mon projet, on m’a surtout souligné l’atmosphère de plénitude, de sérénité ainsi que de
16
Benjamin, Walter. L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Éditions Allia, 2000, p.22 17
Riout, Denis, op.cit. p.293. 18
www.edmontonepilepsy.org/.../Epilepsy-An%20Overview_french.pdf, site consulté le 13 janvier 2013.
29
l’impression surréelle qui se dégage de celui-ci. De ce fait, je crois qu’une grande partie des
affects engendrés par l’installation sont de l’ordre du calme, de la réflexivité, de la paix et
de la douceur. Je me conforte sur ce point par l’observation que j’ai faite des visiteurs lors
d’expositions antérieures. Les gens sont généralement très calmes et timides dans leur
approche de l’œuvre. Ils sont même portés à murmurer pendant un moment, probablement
pour ne pas interrompre cette atmosphère de quiétude qui habite l’espace. Bien que
l’installation soit faite pour être manipulée, les gens sont très réservés dans leurs premières
interventions et y vont avec parcimonie. Lors de leur contact avec l’œuvre, certains
visiteurs pourraient même être portés à adopter une attitude de recueillement, propice à une
profonde réflexion introspective. C’est justement dans ce sens que je désire porter l’essence
de mon projet ainsi que les réactions qu’il engendre auprès des gens.
3.3 : EFFETS PERCEPTUELS
Un autre point crucial à développer en lien à mon installation et aux affects créés
par celle-ci serait l’idée de la perception qui est en lien très étroit avec notre contact au
monde physique ainsi qu’avec la lumière qui nous permet d’établir ce contact. Pour
reprendre l’idée du philosophe Maurice Merleau-Ponty, « la perception est cet acte qui crée
d’un seul coup, avec la constellation des données, le sens qui les relient, qui non seulement
découvre le sens qu’elles ont, mais encore fait qu’elles aient un sens19
».
Ainsi, la perception interne et sensible de notre conscience est totalement
irréalisable sans la perception des stimulis externes et le contact avec notre environnement.
De plus, cet environnement dans lequel nous évoluons n’est autre qu’une impressionnante
connexion globale des multiples phénomènes de ce monde qui sont pour la plupart
anticipés par notre propre conscience tout en faisant en sorte que nous réalisons cet état de
conscience au monde. La perception c’est donc la pensée de percevoir et un état de
conscience à éprouver.
19
Merleau-Ponty, Maurice. Phénoménologie de la perception. Éditions Gallimard, collection Tel, France,
1945, p.61.
30
Figure 17 : Croquis de l’effet miroir et de la réflexion infinie, Valérie Genest, 2013.
L’utilisation de miroirs sur le sol de mon installation contribue à altérer davantage
les perceptions des visiteurs en causant une perte des dimensions et des repères spatiaux par
la réflexion du projet sous nos pieds. Cet aspect amène donc une nouvelle dimension
irréelle dans notre perception du monde de par ce dispositif de déformation et de
dislocation de la vérité qui ouvre un lieu normalement clos vers l’infini. Dans plusieurs
situations, l’utilisation du miroir agit à la fois comme image et comme sujet, car, comme
dans ce cas-ci nous nous retrouvons à flotter dans l’espace de l’installation qui s’ouvre
étrangement autour de nous. De plus, toute image ainsi reflétée devient comme un
prolongement de la matière de l’installation, nous faisant croire à sa continuité dans
l’espace. Il s’agit là d’un lieu qui n’en serait pas un, sans fondement tangible dans l’espace.
Mon but ultime face à l’utilisation des miroirs serait d’en recouvrir totalement les limites de
l’installation à la manière des travaux de l’artiste psychédélique japonaise Yayoi Kusama
pour ainsi aboutir à un espace n’ayant plus aucun repère ou limite physique, mais ouvrant
sur une confusion totale, tel que l'on ressentirait dans un labyrinthe dont les parois seraient
31
entièrement recouvertes de miroirs. Ces images virtuelles reflétées à l’infini contribueraient
à mener l’expérience encore plus loin, vers un lieu d’extase et de sublimation tout en
conservant un aspect inquiétant et déstabilisant pour les sens.
Figure 18 : Photographie du projet, Valérie Genest, 2013.
33
CHAPITRE IV : L’ART COMME EXPÉRIENCE
4.1 : LE CONCEPT DE L’EXPÉRIENCE
L’origine du mot expérience signifie « tout ce qui est appréhendé par nos facultés
sensorielles et qui constitue la matière de la connaissance de l’homme20
». Toute expérience
est le résultat de l’interaction entre un être vivant et un aspect quelconque du monde dans
lequel il vit. D’ailleurs, il y a constamment expérience, car l’interaction de l’être vivant et
de son environnement fait partie du processus même de l’existence. En art, cette notion
réfère au vécu et à la subjectivité du spectateur, car notre bagage de vie influencera
nécessairement nos réactions. En plus d’être une activité mettant en œuvre l’intégralité de
l’être, l’expérience artistique immersive porte en elle une tension à esthétiser l’existence et
elle mobilise le spectateur au lieu de l’immobiliser, celui-ci devenant partie intégrante de
l’œuvre. Il est aussi question d’une épreuve de limites, d’ouverture d’un territoire qui serait
jusque là inexploré, de laisser le sensible s’épanouir et fasciner, bref il s’agit d’éprouver
quelque chose21
. Cette action distincte qui submerge nos sens s’emploie à nous imprégner
davantage dans le réel et dans le flux général de la vie consciente, qui est parfois difficile à
saisir de par notre vie routinière. Toutes ces distorsions, amenées entre autres par les
propositions artistiques, libèrent le degré d’énergie nécessaire pour qu’il y ait expérience
esthétique dans la manière où elles rendent visibles à la perception des propositions qui
restent latentes dans l’expérience humaine ordinaire à cause de l’habitude et de ces œillères
qui nous empêchent de raisonner d’une manière distincte et originale. Selon le philosophe
John Dewey, « l’expérience est le résultat, le signe et la récompense de cette interaction
entre l’organisme et l’environnement qui, lorsqu’elle est menée à son terme, est une
transformation de l’interaction en participation et en communication22
». Il poursuit en
disant que « l’expérience, lorsqu’elle atteint le stade auquel elle est véritablement
expérience, est une forme de vitalité plus intense. Ainsi, à son plus haut degré, elle est
20
http://www.le-dictionnaire.com/definition.php?mot=exp%E9rience, Site consulté le 6 avril 2013. 21
Kreplak, Yaël. « Quelles interactions en art contemporain? ». Esse, arts et opinions, numéro 63, actions
réciproques, printemps été 2008. 22
Dewey, John. L’art comme expérience. Éditions Gallimard, collection Folio essais, France, 1934, p.60.
34
synonyme d’interpénétration totale de soi avec le monde des objets et des événements23
».
En somme, le sens même de l’art, c’est de provoquer un sentiment singulier et étonnant qui
est inédit dans l’expérience humaine, donc un nouveau mode d’interaction entre la créature
vivante et ses environnements. Tout cela amène finalement la libération de possibilités
(sentiments, perceptions, impressions, affects, situations, événements, etc.) qui étaient
jusque là réprimées ou en dormance24
.
Figure 19: Croquis du projet, Valérie Genest, 2012.
4.1.1 : JAMES TURRELL ET L’EXPÉRIENCE DE L’ŒUVRE
Il serait malaisé de parler d’expérience immersive sans mentionner le travail
magnifique et grandement spirituel de l’artiste James Turrell. En effet, je pense qu’il s’agit
de la démarche par excellence pour aborder les thèmes de la lumière et de l’expérience. Cet
artiste très peu concerné par la pensée associative crée des œuvres sans iconographie, sans
contexte, sans sujet et sans image, mais qui donnent accès à la perception pure et à quelque
chose qui se rapproche de la musique et de la méditation. L’ensemble de son travail est
donc un bon exemple d’art comme expérience dans la mesure où il propose des dispositifs
23
Ibid. p.54-55. 24
Ibid. p.489.
35
immersifs dans lesquels la lumière englobe l’espace environnant et influence du même
coup les affects et les émotions par ses propres fluctuations.
Figure 20 : James Turrell, Roden Crater, 1998-2000.
Je souhaite produire la rencontre entre la vision intérieure et la vision extérieure, faire
vibrer notre esprit à la même fréquence que la lumière.25
Afin de concrétiser ses idées en matière d’expérience et de perceptions visuelles,
James Turrell a recours à l’architecture comme prétexte pour donner forme à cette
substance non conventionnelle et immatérielle qu’est la lumière. Pour expliquer ce fait, il
semble indispensable de présenter une pièce magistrale de Turrell, le Roden Crater.
Construite à même un ancien volcan d’Arizona éteint depuis 389 000 ans, cette œuvre
représente selon moi l’ultime aboutissement de ses sky spaces series ainsi que de toutes ses
idées en matière de lumière, de perception et de connexion avec l’univers. Situé à une
altitude de plus de 2000 mètres au-dessus du niveau marin dans un désert près de Flagstaff,
le volcan que s’est procuré James Turrell mesure près de 400 mètres de hauteur et domine
tout le paysage environnant. Afin de réaliser son projet, l’artiste a dût former une alliance
avec le chef d’une tribu indienne « Hopi » ainsi que d’assurer la non-dénaturalisation du
cratère lui-même. Ayant compris son amour pour la nature et sa fascination pour l’univers,
le chef Hopi donne son accord au projet consistant en la fabrication d’un réseau de galeries
souterraines sous la forme d’observatoires célestes dans les entrailles du volcan. Le projet
s’inscrivait d’ailleurs de lui-même dans la tradition des « Kiva Hopi », cavités destinées
25
http://stephan.barron.free.fr/technoromantisme/turrel.html. Site consulté le 20 février 2012.
36
aux connexions cosmiques pratiquées par son peuple. Cet entrelacement de tunnels permet
aux visiteurs d’accéder à diverses chambres excavées en des points stratégiques du site. En
effet, chacune des 12 salles est aménagée sous forme de sky space dans la manière où elles
nous présentent toutes certains fragments du ciel en fonction du système solaire et des
événements célestes que l’on peut y observer le jour comme la nuit. Entre autres, il est
possible de contempler la réflexion de la lune sur un monolithe par un sténopé tous les
18,61 ans, lorsque celle-ci se trouve dans sa déclinaison la plus au sud dans le ciel. La
structure met aussi en scène le soleil par la vue des solstices d’hiver et d’été, tout comme le
fait aussi le mystique Stonehenge construit à l’âge de bronze il y a près de 5000 ans. Cette
œuvre monumentale, au même titre que ses autres sky space series, deviennent des
machines de vision ou des caméras intemporelles pour regarder à la fois vers l’infini de
l’univers ainsi qu’au plus profond de notre âme.
Figure 21 : James Turrell, Roden Crater, 1998-2000.
Il est vrai que nous pensons à tors que le cosmos est à l’extérieur, mais c’est
effectivement nous qui sommes à l’intérieur du cosmos26
. Le contact étroit avec la
nature concrète de la lumière nous amène vers une union avec le macrocosme et
l’immensité du ciel pour atteindre une sorte de réalité rehaussée, une supra-réalité qui
nous permet de sentir que tout cela n’est plus éloigné, que nous sommes maintenant en
lien étroit avec le ciel. 27
Il est évident que James Turrell est un homme qui porte une grande importance à la
spiritualité et à la sensibilité dans tous les domaines de son existence en plus de s’être
26
Rencontres 9. Op. cit. p.55 27
Sinnreich, Ursula. Op.cit. p.46.
37
investi corps et âme dans des projets artistiques d’envergure dans le but de permettre aux
spectateurs de vivre des expériences hors de l’ordinaire. Cet artiste réussit à exposer non
seulement la lumière naturelle ou artificielle, mais aussi et par-dessus tout, une expérience
artistique jusqu’alors inexplorée avec la lumière. Ce moment privilégié de contemplation et
d’introspection amené par l’expérimentation de l’œuvre doit incontestablement parvenir à
convertir l’immatérialité de la lumière en une substance palpable pour notre œil et notre
esprit ainsi qu’à créer une ouverture sur notre monde intérieur personnel. De cette manière,
« en donnant au corps la possibilité d'expérimenter sensuellement la dimension
immatérielle de la lumière et de l'espace, l’œuvre donne à vivre la perception de la non-
séparation du corps, de l'être et de l'espace28
». C’est alors qu’advient une certaine
confrontation entre nous-mêmes et nos impressions sensibles dans laquelle la vision et les
sensations sont fusionnées29
pour ainsi rendre perceptible à nos affects toute la dimension
spirituelle qui nous habite.
C’est dans cet état d’extrême sensibilité au monde dans lequel nous évoluons que je
m’identifie au travail de cet artiste et souhaite parvenir à développer une pratique qui puisse
être aussi évocatrice pour les gens que celle de James Turrell. En ce sens, j’estime que mon
installation possède plusieurs des qualités évoquées par les œuvres de Turrell tout en étant à
la fois totalement distinctes. C’est à travers ces diverses sources d’inspirations universelles
comme la lumière, l’univers et l’infini que nos travaux s’entrelacent inévitablement dans
les interprétations des spectateurs.
28
http://stephan.barron.free.fr/technoromantisme/turrel.html. Op.cit. 29
« Seeing and feeling are fused ». Sinnreich, Ursula.Op.cit. p.43.
38
4.2 : L’INTERACTION ET L’INTERACTIVITÉ
Pour ajouter à l’intensité de l’œuvre, l’idée de l’interaction et de l’interactivité peut
s’avérer fort judicieuse dans un projet installatif d’une telle envergure30
. Pour reprendre
l’idée du sociologue et philosophe Edgar Morin :
L’interaction désigne un certain niveau d’échange entre deux identités sociales par des
actions qui sont réciproques et qui vont modifier le comportement ou la nature des
éléments, des corps, des objets ou des phénomènes en présence ou en influence.31
Dans le domaine des arts, elle nécessite un engagement actif et participatif du
spectateur dans l’œuvre qui en devient un élément à part entière et lui donne du même coup
son sens. Bref, « interagir avec une œuvre c’est tantôt la regarder, la toucher, la sentir, la
pénétrer, la manipuler, la commenter, la critiquer, etc.32
» Mais l’interaction est aussi
présente dans toutes les formes de communication ou d’échange qui adviennent autour de
l’œuvre, soit les rencontres et les discussions qu’elle engage entre les acteurs.
L’idée de l’interaction inclut aussi le concept de l’interactivité que l’on pourrait
décrire comme étant une activité qui requiert la coopération de plusieurs êtres ou systèmes
qui réagissent en adaptant leur comportement de manière rétroactive ou collaborative. Elle
implique un certain niveau d’échange entre le visiteur et le dispositif par la relation
qu’entretient le système avec son environnement extérieur et non une communication à
sens unique, sans réaction du destinataire. En outre, l’œuvre interactive n’est pas juste un
objet à regarder, mais c’est aussi une situation avec laquelle il faut composer. D’un point de
vue technique, il s’agit d’exploiter diverses informations traduites par un dispositif pour
modifier dynamiquement le comportement d'une œuvre par l’entremise de l’action des
visiteurs. La complexité du projet devient donc inhérente à la présence et à l’implication
30
Le terme « interactif » est utilisé dans le langage courant, mais dans ce cas-ci, il s’agit davantage d’une
réaction que d’une interaction. Prendre note que mon projet n’est pas assez complexe pour être qualifié
d’interactif, mais il aurait la possibilité de le devenir par la complexification de la programmation
informatique. Il s’agit d’un début de réflexion et d’exploration sur le sujet. 31
Dans Edgar Morin, La Nature de la nature (t. 1), La Méthode (6 volumes), Le Seuil, 1977, p. 51 32
Kreplak, Yaël. Op.cit. p.6.
39
des gens pour ainsi déclencher ces multiples applications qui lui donnent une plus grande
envergure. L’interactivité fait aussi référence à l’homéostasie. Cette notion désigne la
capacité que peut avoir un système à conserver son équilibre de fonctionnement en dépit
des contraintes qui lui sont extérieures. D’un point de vue médical et physiologique, elle est
l’équilibre dynamique qui nous maintient en vie par la constance de l’ensemble des
paramètres physico-chimiques de l’organisme où toutes les oppositions s’harmonisent pour
arriver à la stabilité33
. C’est cette idée du « Feedback » ou de réponse de l’œuvre que j’ai
tenté de reproduire au moyen de la programmation dans mon projet. Plusieurs possibilités
de réaction sont envisageables au contact du spectateur en lien au type de dispositif
enclenché plutôt qu’un autre. Par exemple, un senseur de type sonar créera des réponses
lumineuses en fonction de la distance du spectateur tandis qu’une entrée utilisant un
microphone et un préamplificateur traduira les sons émis par les gens par d’autres types de
répliques lumineuses par rapport à la proximité de leur voix ou à l’intensité de celle-ci. Il
est certain que l’installation ne perdra jamais son équilibre ni son essence par ces
interventions, car tout est calculé au détail près informatiquement, mais l’idée de la
rétroaction peut rappeler cette fonction physiologique vitale qui nous garde en vie ainsi que
cette barrière entre le vivant et le non-vivant qui a été abordée plus tôt.
Figure 22: Croquis du projet, Valérie Genest, 2012.
33
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/hom%C3%A9ostasie/40213. Site consulté le 20 janvier 2014.
40
Ces propriétés réactives combinées avec l’utilisation de la lumière nous permettent
d’accéder à un art du ressenti où la perception du spectateur et la relation active qu’il
entretient avec l’œuvre deviennent certains des objectifs déterminants du projet. J’y vois un
dispositif total qui impliquerait simultanément la participation de tous nos sens en nous
plongeant au cœur de l’action dans une convergence du corps, de l’objet et de l’espace.
4.2.1: HYLOZOIC GROUND; UNE ARCHITECTURE INTERACTIVE PAR
PHILIP BEESLEY
Dans l’idée de l’interactivité, je me référerai à l’œuvre Hylozoic Ground de l’artiste
et architecte Philip Beesley qui fut présentée dans le cadre du Mois Multi au complexe
Méduse de Québec en février 2010. Il s’agit d’un environnement immersif et interactif fait
de dizaines de milliers de composantes fabriquées numériquement et dotées de
microprocesseurs et de senseurs maillés. Cette forêt artificielle est constituée d’un treillis
complexe de raccords acryliques translucides entrelacés et recouverts d’un réseau de
feuilles, mèches et filtres mécaniques interactifs34
. Comme le ferait un récif de corail, cet
environnement suit des cycles complexes d’ouverture, de fermeture, de filtrage et de
digestion. Cette œuvre préfigure une nouvelle génération d’architecture sensible et réagit à
la présence des spectateurs à l’aide d’un dispositif d’empathie mécanique qui engendre de
délicats mouvements comparables à la respiration ainsi qu’une douce et sympathique
relation entre le système et les visiteurs. C’est par une sorte d’incubateur fixant le carbone
contenu dans l’air et par l’entremise de la respiration des visiteurs que le tout est traduit par
le dispositif en réponse cinétique. Une intelligence artificielle intégrée permet aux visiteurs
d’interagir avec cet environnement et d’y déclencher des mouvements de respiration, de
caresse et de déglutition ainsi que des échanges métaboliques hybrides35
. Dans ce sens, il
serait juste de dire que l’œuvre architecturale Hylozoic Ground est un assemblage
34
www.hylozoicground.com/.../PressReleaseFRENCH_HylozoicGround_VeniceBiennale2010_sml.pdf. Site consulté
le 18 février 2013. 35
Ibid.
41
sculptural hybride et complexe qui véhicule l’idée du post-humanisme dans sa manière
d’allier l’organique au mécanique, l’esprit à la matière ainsi que la nature à la culture.
Figure 23: Philip Beesley, Hylozoic Ground, 2010.
Cette pièce magistrale allie le biomorphisme au « High Tech » pour nous présenter
une œuvre technologique imitant les propriétés d’un système vivant. D’ailleurs, l’origine du
mot « Hylozoïsme » vient d’une perception ancienne selon laquelle la vie surgirait de la
matière inanimée amenant des explications aux origines de la vie par le passage de la
matière inerte à vivante. En d’autres termes, il s’agit de la manière dont la vie surgirait de la
chimie terrestre. Décrit comme un architecte alchimiste, Beesley utilise cette notion pour
nous transmettre sa croyance d’animation de forces vitales au sein des matériaux de son
projet. L’idée de l’alchimie en lien à l’œuvre de Beesley ramène aux principes de base de
ce concept ancien dont l’une des ramifications avait pour but la transmutation de l’âme, ou
encore l’éveil spirituel. Les points cruciaux de cette pensée se présentent comme suit :
42
-l’univers est une entité vivante, un tout;
-il est composé de puissants opposés;
-Le microcosme de ces opposés sont les sexes;
-L’imagination est la seule vraie force de motivation
de l’univers et elle peut agir sur la matière;
- l’esprit et la matière ne font qu’un;
- la réalisation de soi qui rend une compréhension du
cosmos vient d’une pensée intuitive (chance,
dérangement ou expérimentation auto-induite)36
.
Figure 24: Philip Beesley, Croquis numérique pour Hylozoic Ground, 2010.
Le fait que cette œuvre bouge avec un mouvement de péristaltisme en synchronicité
avec les mouvements des visiteurs lui donne une ampleur et un aspect révérenciel à la fois
fragile et magique. Ces caractéristiques sont aussi dues au fait que les visiteurs se
retrouvent à l’intérieur d’un espace enveloppant d’une dimension, d’une texture et d’une
profondeur étonnante. De cette manière, le spectateur est littéralement submergé par
36
Beesley, Philip. Hylozoic Ground, 2000. p.52
43
l’œuvre, comme avalé par un prédateur ou un animal sauvage dont il serait le repas, ce qui
peut provoquer une sorte de malaise ou une sensation de vertige qui coupe le souffle. Il en
découle donc un sentiment d’empathie et de fascination mêlé à une vague atmosphère de
menace ; quand on y entre, on espère seulement que cette chose soit amicale!37
Figure 25: Philip Beesley, Hylozoic Ground, Membranes filtrantes, 2010.
Grandement inspirée par cette œuvre monumentale, j’aspire à mener mon projet
dans cette sphère de l’hylozoïsme abordée par Beesley, mais dans un point de vue plus
introspectif. En ce sens, bien que son œuvre respire réellement, je ne veux pas arriver à un
stade aussi poussé d’un point de vue technologique, car je crois que l’ensemble devient
excessivement méthodologique et malaisé à comprendre pour le commun des mortels qui
ne connaissent pas la chimie organique. De ce fait, l’œuvre demande absolument une
explication assez poussée de son mode de fonctionnement afin d’en comprendre tous les
rouages ainsi que les plus fines subtilités qui la composent (ce qui n’empêche tout de même
pas d’en apprécier les qualités esthétiques intrinsèques). Au contraire, je veux que mon
œuvre parle d’elle-même de toutes ces métaphores et inspirations qui ont influencé sa
création et je pense qu’il est nécessaire que sa compréhension ne nécessite aucun pré requis
cognitif pour pouvoir l’apprécier et se laisser emporter. Ainsi, les visiteurs pourront se
laisser aller vers cette impression du sublime qui se dégage de l’œuvre.
37
Ibid. p.57.
44
4.3 : L’INSTALLATION IMMERSIVE
L’installation immersive est un dispositif aménagé dans un espace donné où le
spectateur se trouve plongé au cœur d’une proposition artistique concrète et où il peut faire
diverses expériences d’intensité relative selon son degré d’ouverture ou de prédisposition.
En d’autres termes, il s’agit d’un environnement ou d’un arrangement d’objets à trois
dimensions dans l’espace réel qui invite une plus grande dynamique d’interaction de la part
du visiteur, contrairement à une rencontre où le sens est dicté ou fixé d’avance38
. Ainsi, il
ne s’agit pas d’une expérience de frontalité comme dans le cas de la peinture qui est
coincée dans ses propriétés formelles d’échelles et de configuration39
, mais bien d’une
expérience d’immersion dans un univers tridimensionnel qui implique la création de
sensations et qui joue avec les lois du monde perceptible. L’œuvre devient subséquemment
un lieu de contemplation plongeant les spectateurs dans une réalité plus profonde, un
espace à parcourir et à éprouver physiquement, tout en amenant une certaine dimension
événementielle ainsi qu’un moyen d’échapper au quotidien dans la manière où elle nous
fait vivre une situation non conventionnelle par rapport au monde tel qu’on le connaît. Ce
type d’expérience artistique désigne, selon moi, l’idée de faire l’essai du dispositif en
question de manière introspective dans le but de stimuler nos perceptions à de nouvelles
situations que l’on ne peut retrouver en temps normal dans la vie de tous les jours. Elle
réfère au vécu et à la subjectivité du spectateur, car il s’agit ici d’une épreuve des limites et
d’ouverture d’un territoire auparavant inexploré, ce qui vient perturber nos comportements
formatés par la société tout en participant à une réappropriation du corps ainsi qu’à une
reconfiguration de notre rapport à l’espace. L’installation immersive constitue aussi un
espace qui submerge et laisse l’individu dans un état de confusion, dans une absence de
repères tout en étant un moyen de s’évader d’une réalité perçue comme étant dénuée de
frontières stables. Dans ce sens, l’installation immersive accentue l’expérience corporelle et
la réaction en amenant une simulation d’environnement total ou de paysage construit dans
38
Pooke, Dr Grant and Dr Graham Whitham. Understand Contemporary art A Teach yourself Guide, 2010.
p.149, ill. 39
Ibid.
45
lequel l’incrédulité est temporairement mise de côté pour faire place à une rencontre
onirique où le sujet est immergé et peut errer à loisir40
. Il est dès lors possible d’accéder à
une expérience dans laquelle toutes les couches de l’espace sensible sont sollicitées, dans
chacune des dimensions, ce qui porte vers une nouvelle dimension qui est sensible.
Cette description reflète exactement ce que j’ai voulu matérialiser par l’entremise de
mon projet de recherche. Je souhaite ainsi dépasser le stade de frontalité et d’illusion au
profit de la situation dans le but d’amener les visiteurs à discerner au-delà du matériau lui-
même des possibilités perceptuelles inédites, jusque là non dévoilées à leur conscience.
Car, il ne s’agit pas ici de simples sources d’éclairage utilitaires donnant forme aux objets
de notre quotidien, mais il est question d’un système qui favorise en soi l’échange, la
contemplation et l’émerveillement par la matérialisation de la lumière dans la matière et
l’espace. De ce fait, je propose une œuvre stimuli englobante qui absorbe le spectateur et
l’intègre au lieu tout en étant aussi propice à la réflexion, à l’introspection, mais également
aux échanges que ce soit avec l’œuvre elle-même autant qu’avec les autres visiteurs. De
plus, le fait que l’on puisse physiquement entrer dans l’œuvre et marcher dans l’espace
construit encourage des réponses plus ouvertes et une discursivité presque infinie, car
l’installation suggère une multitude de connotations possibles et nous incite à réfléchir à
celles-ci avant de formuler nos propres conclusions à son sujet.
De ce fait, il serait juste de dire que « l’installation lumineuse immersive ouvre un
lieu clos vers la profondeur tout en immergeant les spectateurs et devient donc un espace où
l’on fait l’expérience de l’expérience, c’est-à-dire la libre construction d’un espace-temps
ancré à la fois dans le réel contraignant et le fantasme imaginaire41
». Car je crois bien être
arrivée à ce stade de l’immersion où l’on pénètre dans un univers quasi parallèle qui s’étire
vers l’infini, mais qui existe à la fois dans le monde réel, soit devant nos yeux, et en même
temps dans toutes ces sphères de l’univers qui sont imperceptibles à notre vision humaine.
40
Ibid. p.161. 41
Weber, Pascale. Op. cit. p.12-132.
46
Avec ces images fantastiques du monde, cet imaginaire prend forme autour de nous et
devient enfin expérimentable pour nos sens de manière tangible.
4.3.1 : ERNESTO NETO ET L’INSTALLATION IMMERSIVE
Pour continuer dans l’idée de l’installation immersive, je décrirai le travail de
l’artiste Brésilien Ernesto Neto. Originaire de Rio de Janeiro, cet artiste né en 1964 vit et
travaille dans sa ville natale. Au cours de sa carrière, il a développé une démarche artistique
à travers laquelle le corps, l’espace et la matière sont devenus les éléments fondamentaux
de ses installations monumentales qui investissent totalement les espaces où elles sont
présentées. Ce qui caractérise le travail de cet artiste est l’intérêt qu’il porte aux relations
créées entre tous les éléments qui constituent son œuvre, que ce soit l’installation, le
spectateur, l’histoire ou encore la sensibilité inhérente au lieu d’exposition. Il nous propose
généralement des pièces aux formes organiques qui dégagent une impression de fragilité et
de sensualité dans la manière où elles flottent au-dessus des visiteurs, ceux-ci se retrouvant
totalement submergés par l’installation. De plus, les spectateurs visitant ses œuvres sont
bien souvent sollicités physiquement par l’odorat et le toucher, mais aussi
psychologiquement par ces divers espaces contemplatifs et parfois même interactifs.
Ernesto Neto décrit l’énergie qui anime son travail par l’entremise de la pesanteur. Ainsi,
l’objet, la forme et son contour se trouvent déterminés quand le matériau utilisé est étiré
dans l’espace et nous expose l’impression de légèreté de sa masse. Les structures
immersives de cet artiste sont construites à partir de matériaux flexibles, translucides et
même « épidermiques » tout en privilégiant l’immersion sensorielle du visiteur afin de
suggérer le passage du temps et la fragilité du monde. Il en découle d’immenses sculptures
souples et biomorphes, mi-corporelles, mi-architecturales qui viennent animer nos sens et
nos affects42
.
42
http://www.frieze.com/shows/review/ernesto_neto/. Site consulté le 20 avril 2013.
47
Figure 26 : Ernesto Neto, Anthropodino, 2009.
C’est dans l’immensité des structures que je désire rejoindre le travail d’Ernesto
Neto. En effet, c’est cet aspect englobant et immersif qui donne à ce type de travail une
grande part de son impact sur le visiteur. Celui-ci se retrouve totalement submergé de toute
part par l’œuvre et ne peut faire autrement que de se laisser affecter d’une manière ou d’une
autre. Il est donc presque impossible d’ignorer une pièce si magistrale sans avoir ressenti le
moindre attrait ou intrigue face à cette dernière. La manière dont Ernesto Neto intègre son
travail à l’architecture le rend absolument impossible à éviter du regard étant donné qu’il
s’approprie totalement l’espace visuel de son emplacement. Plus récemment, il a produit
des structures installatives qui incitent les visiteurs à s’engager dans l’expérience de
l’œuvre multi sensorielle que ce soit par la vue, le toucher ou encore l’odorat. Il invite ainsi
les gens à se laisser attirer vers ces propositions à la fois douillettes et relaxantes dans
lesquelles ils peuvent réellement s’étendre, jouer ou encore apprécier les effluves
aromatiques qui s’échappent des divers tunnels et bassins de balles cousinées. Ces œuvres
sont tellement à l’extrême de l’immensité que leur assemblage nécessite de la machinerie
lourde ainsi que toute une équipe d’ouvriers pour le montage qui se fait parfois dans de
gigantesques hangars inoccupés ou encore dans des bâtiments d’architecture colossaux.
C’est d’ailleurs le cas de l’œuvre Anthropodino qui a été installée dans le Wade Thompson
48
Drill Hall du Park Avenue Armory de New York. Faisant 55 000 pieds carrés de superficie
et plus de 80 pieds de hauteur, cet espace aux allures d’ancienne gare ferroviaire est tout
désigné pour les spectacles musicaux et les œuvres installatives de l’envergure de celles
d’Ernesto Neto. Bien que mon projet d’installation ne soit pas aussi extrême que ceux de
cet artiste, je considère qu’il conserve tout de même un immense potentiel d’immersion et
un lien indéfectible avec ces autres œuvres homologues dans la manière où il intègre les
visiteurs à son espace43
.
Figure 27 : Ernesto Neto, Anthropodino, 2009.
43
Ibid.
49
CONCLUSION
Pour faire une synthèse de toutes les notions développées en lien à mon projet de
recherche, il est impératif de revenir sur le concept du rassemblement des échelles de la
complexité qui est rendu accessible aux visiteurs en un seul et même point de vue. Au
contact de mon installation, ces derniers peuvent contempler et faire l’expérience des
rapports de proportion entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. Cette idée revient
continuellement dans mes descriptions et dans ce qu’évoque l’essence même de l’œuvre.
En ce sens, on peut y voir tout à la fois des liens avec les galaxies, les étoiles, les animaux
marins, les insectes, les végétaux, les structures protozoaires, les cellules et enfin les atomes
qui s’associent et composent notre monde. L’idée à la base de ce projet était une tentative
de matérialiser ma conception de notre univers. Cette rêverie s’étant concrétisée dans le
réel, l’œuvre devient alors un lieu de fantaisie réalisée nous permettant d’accéder à ces
représentations allégoriques du monde tout en ayant la possibilité de les manipuler à notre
convenance.
Dans un futur rapproché, l’œuvre est appelée à se développer vers un niveau de
complexité encore plus évolué. Actuellement, elle est encore au stade de prototype bien
qu’étant beaucoup plus approfondie que l’idée originale. Ultimement, l’installation sera
composée de différentes fonctions amenant l’interactivité à un niveau supérieur de
communication avec les visiteurs. Pour ce faire, je compte ajouter plusieurs autres types de
capteurs réagissant de nouvelles manières avec le projet en plus de complexifier la
programmation générale de celui-ci. Les miroirs, tout comme les réflexions infinies, seront
décuplés pour contribuer à une perte des repères spatiaux davantage impressionnante. Cette
augmentation de la complexité mènera certainement vers une structure plus organique,
comme une entité autonome qui vit d’elle-même à la manière de l’œuvre Hylozoic Ground
de Philip Beesley. L’amélioration du projet passe aussi par la qualité des matériaux utilisés
pour les multiples assemblages, car certaines sections ont été construites de manière
temporaire en attendant de trouver une technique ou une matière adéquate et durable. Sans
atteindre l’envergure des projets de James Turrell ou encore d’Ernesto Neto, je suis certaine
50
que l’installation Rêves de l’infini… sera en mesure de s’approprier divers espaces de
dimensions imposantes lui permettant ainsi de dévoiler son plein potentiel. En effet, lors
des dernières présentations de l’installation dans des lieux comme la Galerie des Arts
Visuels, les Ateliers du Roulement à Billes ou encore le Musée National des Beaux Arts du
Québec lors de la nuit de la création, cette dernière s’est complètement développée au
montage, révélant alors les multitudes de possibilités qu’elle décelait. Bien qu’elle ait été
créée dans un espace autre que celui où elle est généralement présentée, l’œuvre s’accapare
des lieux au moment de son installation, se modifiant chaque fois en fonction de
l’architecture et des dimensions qui lui sont octroyées.
Tout comme le fait l’œuvre de Philip Beesley, je crois que mon projet se situe à la
frontière de l’art numérique, de l’installation et de l’art interdisciplinaire, se rapprochant
d’une forme d’architecture sensible hybride. L’œuvre recèle un pouvoir évocateur qui
interroge le sens profond de la vie. Elle fait réfléchir à la place que nous occupons en tant
qu’humains et nous confronte à l’immensité de l’univers. L’installation parvient même à
me faire ressentir une forme d’humilité face à toutes ces évocations qui sont des plus
réelles, mais trop souvent oubliées. L’émerveillement et l’étonnement sont des états qui
peuvent mener vers de nouvelles découvertes alors que l’installation nous invite à laisser
notre esprit dériver pour atteindre et accueillir ces diverses sensations. Il faut donc ouvrir
nos horizons et notre imaginaire pour être en mesure de retrouver cette sensibilité et cette
fascination spontanée face aux multiples phénomènes et merveilles que nous apporte notre
existence.
En somme, il est évident que les perceptions et le vécu sensoriel des spectateurs
engendrés par l’installation immersive interactive représentent certains des points cruciaux
de ma recherche-création. En conséquence, il a été question de redéfinir notre rapport à
l’espace et nos perceptions de façon distincte par l’utilisation du corps comme support à
expérimentations et comme lieu de passage vers différents vécus, soit physiques, sensibles
et émotionnels44
. À la lumière de cette réflexion, il serait juste d’affirmer que « l’art nous
44
Weber, Pascale. Op.cit. p.63.
51
affecte, nous déroute, nous questionne et parfois même nous dérange parce qu’il nous
permet de faire l’expérience du réel, mais encore, l’art n’est pas à lui-même sa propre fin,
ce que nous recherchons en lui, c’est une possibilité de vie meilleure, propice à la créature
totale dans l’unité de son principe vital45
».
Figure 28 : Photographie du projet, 2013.
45
Dewey, John. Op.cit. p.14.
53
BIBLIOGRAPHIE
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