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Séquence Dom Juan, homme baroque ? Objet d'étude : Le texte théâtral et sa représentation, du XVII° siècle à nos jours Problématique : En quoi le personnage de Dom Juan est-il représentatif de la mentalité baroque ? Extraits vus en Lecture Analytique Explic n°1 Acte I, scène 2 : “Quoi, tu veux qu'on se lie ...” jusqu’à “pouvoir y étendre mes conquêtes amoureuses” Explic n°2 Acte II, scène 3 : "Tout doucement, Monsieur ... “ jusqu’à “Que de plaisirs quand vous serez ma femme, et que..." Explic n°3 Acte IV, scène 3 : “Ah, monsieur Dimanche, approchez...” jusqu’à “il n'y a rien au monde que je ne fisse pour votre service." Explic n°4 Acte V, scènes 5 et 6 : "Dom Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel...” jusqu’à la fin. Textes complémentaires - Les thèmes baroques : Texte n°1 : DU PERRON, Le Temple de l'Inconstance Question : En quoi ce texte est-il représentatif de la mentalité baroque ? - L’esthétique baroque : Texte n°2 : CORNEILLE, Clitandre, Acte IV, scènes 1 et 2 Question : En quoi ces scènes sont-elles caractéristiques d’une vision baroque du monde ? - La notion de mise en abyme Lecture cursive d’un corpus de textes théâtraux : SHAKESPEARE, MUSSET, GENET Question : Dans chacune de ces scènes, les personnages se jouent la comédie à l’intérieur d’une pièce. Vous expliquerez ce procédé et en préciserez la finalité. Lecture personnelle - L'Illusion comique, de CORNEILLE Question : En quoi consiste l’illusion théâtrale dans cette pièce ? Travail personnel : Résumer, déterminer un passage marquant et dire pourquoi, donner un avis personnel sur l’ensemble de la pièce. Etudes d'ensemble - Mouvement littéraire : Qu’est-ce que la conception baroque du monde ? - Problématique : En quoi Dom Juan est-il représentatif de la mentalité baroque ? - Transversale : Les défis de Dom Juan et les avertissements du Ciel - Objet d’étude : étude comparée de deux mises en scène de la scène de séduction de Charlotte, acte II, scène 2 dans le film de Marcel BLUWAL (1965) et dans la pièce d’Armand DELCAMPE (1999) - Dissertation : Ce qu’apporte à un texte de théâtre le fait de le mettre en scène Histoire de l'art Le baroque dans les beaux-arts aux XVII° et XVIII° siècles - Etude de 6 œuvres de la peinture et de l’architecture baroques Question : En quoi chacune de ces œuvres présente-t-elle des caractéristiques baroques ? / Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow 1 13

S quence Dom Juan homme baroque · DOM JUAN lève la main pour donner un soufflet à Pierrot, qui baisse la tête, et Sganarelle reçoit le soufflet.-Ah, je vous apprendrai. SGANARELLE,

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Page 1: S quence Dom Juan homme baroque · DOM JUAN lève la main pour donner un soufflet à Pierrot, qui baisse la tête, et Sganarelle reçoit le soufflet.-Ah, je vous apprendrai. SGANARELLE,

Séquence ② Dom Juan, homme baroque ?

Objet d'étude : Le texte théâtral et sa représentation, du XVII° siècle à nos jours

Problématique : En quoi le personnage de Dom Juan est-il représentatif de la mentalité baroque ?

Extraits vus en Lecture Analytique

Explic n°1 Acte I, scène 2 : “Quoi, tu veux qu'on se lie ...” jusqu’à “pouvoir y étendre mes conquêtes amoureuses”

Explic n°2 Acte II, scène 3 : "Tout doucement, Monsieur ... “ jusqu’à “Que de plaisirs quand vous serez ma femme, et que..."

Explic n°3 Acte IV, scène 3 : “Ah, monsieur Dimanche, approchez...” jusqu’à “il n'y a rien au monde que je ne fisse pour votre service."

Explic n°4 Acte V, scènes 5 et 6 : "Dom Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel...” jusqu’à la fin.

Textes complémentaires

- Les thèmes baroques : Texte n°1 : DU PERRON, Le Temple de l'Inconstance Question : En quoi ce texte est-il représentatif de la mentalité baroque ?

- L’esthétique baroque : Texte n°2 : CORNEILLE, Clitandre, Acte IV, scènes 1 et 2 Question : En quoi ces scènes sont-elles caractéristiques d’une vision baroque du monde ?

- La notion de mise en abyme Lecture cursive d’un corpus de textes théâtraux : SHAKESPEARE, MUSSET, GENET Question : Dans chacune de ces scènes, les personnages se jouent la comédie à l’intérieur d’une pièce. Vous expliquerez ce procédé et en préciserez la finalité.

Lecture personnelle

- L'Illusion comique, de CORNEILLE Question : En quoi consiste l’illusion théâtrale dans cette pièce ? Travail personnel : Résumer, déterminer un passage marquant et dire pourquoi, donner un avis personnel sur l’ensemble de la pièce.

Etudes d'ensemble - Mouvement littéraire : Qu’est-ce que la conception baroque du monde ?

- Problématique : En quoi Dom Juan est-il représentatif de la mentalité baroque ?

- Transversale : Les défis de Dom Juan et les avertissements du Ciel

- Objet d’étude : étude comparée de deux mises en scène de la scène de séduction de Charlotte, acte II, scène 2 dans le film de Marcel BLUWAL (1965) et dans la pièce d’Armand DELCAMPE (1999)

- Dissertation : Ce qu’apporte à un texte de théâtre le fait de le mettre en scène

Histoire de l'art Le baroque dans les beaux-arts aux XVII° et XVIII° siècles - Etude de 6 œuvres de la peinture et de l’architecture baroques Question : En quoi chacune de ces œuvres présente-t-elle des caractéristiques baroques ?

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Page 2: S quence Dom Juan homme baroque · DOM JUAN lève la main pour donner un soufflet à Pierrot, qui baisse la tête, et Sganarelle reçoit le soufflet.-Ah, je vous apprendrai. SGANARELLE,

Œuvre intégrale : Dom Juan!Rappel des textes étudiés en lecture analytique!"

"DOM JUAN. "

- Quoi ? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux : non, non, la constance n'est bonne que pour des ridicules, toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve ; et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne ; j'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d'aimable, et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire par cent hommages le cœur d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait ; à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur, et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à dire, ni rien à souhaiter, tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d'un tel amour si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d'une conquête à faire. Enfin, il n'est rien de si doux que de triompher de la résistance d'une belle personne ; et j'ai sur ce sujet l'ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs, je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses. """

"DOM JUAN, SGANARELLE, PIERROT, CHARLOTTE. "PIERROT, se mettant entre-deux et poussant Dom Juan.- Tout doucement, Monsieur, tenez-vous, s’il vous plaît, vous vous échauffez trop, et vous pourriez gagner la purésie. DOM JUAN, repoussant rudement Pierrot.- Qui m’amène cet impertinent ? PIERROT.- Je vous dis qu’ou vous tegniez, et qu’ou ne caressiais point nos accordées. DOM JUAN continue de le repousser.- Ah, que de bruit ! PIERROT.- Jerniquenne, ce n’est pas comme ça qu’il faut pousser les gens. CHARLOTTE, prenant Pierrot par le bras.- Et laisse-le faire aussi, Piarrot. PIERROT.- Quement, que je le laisse faire. Je ne veux pas, moi. DOM JUAN.- Ah. PIERROT.- Testiguenne, parce qu’ous êtes Monsieu, ous viendrez caresser nos femmes à note barbe, allez-v’s-en caresser les vôtres. DOM JUAN.- Heu ? PIERROT.- Heu. (Dom Juan lui donne un soufflet.) Testigué ne me frappez pas. (Autre soufflet.) Oh, jernigué, (Autre soufflet.) Ventrequé, (Autre soufflet.) Palsanqué, Morquenne, ça n’est pas bian de battre les gens, et ce n’est pas là la récompense de v’s avoir sauvé d’estre nayé. CHARLOTTE.- Piarrot, ne te fâche point. PIERROT.- Je me veux fâcher, et t’es une vilaine, toi, d’endurer qu’on te cajole. CHARLOTTE.- Oh, Piarrot, ce n’est pas ce que tu penses, ce Monsieur veut m’épouser, et tu ne dois pas te bouter en colère. PIERROT.- Quement ? Jerni, tu m’es promise. CHARLOTTE.- Ça n’y fait rien, Piarrot, si tu m’aimes, ne dois-tu pas être bien aise que je devienne Madame ? PIERROT.- Jerniqué, non, j’aime mieux te voir crevée que de te voir à un autre. CHARLOTTE.- Va, va, Piarrot, ne te mets point en peine ; si je sis Madame, je te ferai gagner queuque chose, et tu apporteras du beurre et du fromage cheux nous. PIERROT.- Ventrequenne, je gni en porterai jamais, quand tu m’en poyrais deux fois autant. Est-ce donc comme ça que t’escoutes ce qu’il te dit ? Morquenne, si j’avais su ça tantost, je me serais bian gardé de le tirer de gliau, et je gli aurais baillé un bon coup d’aviron sur la teste. DOM JUAN, s’approchant de Pierrot pour le frapper.- Qu’est-ce que vous dites ?

TEXTE ① “Quoi, tu veux qu’on se lie...”!

MOLIERE (1622-1673), Dom Juan (1665), Acte I, scène 2

TEXTE ② “Tout doucement, Monsieur...”!

MOLIERE (1622-1673), Dom Juan (1665), Acte II, scène 3

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Page 3: S quence Dom Juan homme baroque · DOM JUAN lève la main pour donner un soufflet à Pierrot, qui baisse la tête, et Sganarelle reçoit le soufflet.-Ah, je vous apprendrai. SGANARELLE,

PIERROT, s’éloignant derrière Charlotte.- Jerniquenne, je ne crains parsonne. DOM JUAN passe du côté où est Pierrot.- Attendez-moi un peu. PIERROT repasse de l’autre côté de Charlotte.- Je me moque de tout, moi. DOM JUAN court après Pierrot.- Voyons cela. PIERROT se sauve encore derrière Charlotte.- J’en avons bien vu d’autres. DOM JUAN.- Houais. SGANARELLE.- Eh, Monsieur, laissez là ce pauvre misérable. C’est conscience de le battre. Écoute, mon pauvre garçon, retire-toi, et ne lui dis rien. PIERROT passe devant Sganarelle, et dit fièrement à Dom Juan.- Je veux lui dire, moi. DOM JUAN lève la main pour donner un soufflet à Pierrot, qui baisse la tête, et Sganarelle reçoit le soufflet.- Ah, je vous apprendrai. SGANARELLE, regardant Pierrot qui s’est baissé pour éviter le soufflet.- Peste soit du maroufle. DOM JUAN.- Te voilà payé de ta charité. PIERROT.- Jarni, je vas dire à sa tante tout ce ménage-ci. DOM JUAN.- Enfin je m’en vais être le plus heureux de tous les hommes, et je ne changerais pas mon bonheur à toutes les choses du monde. Que de plaisirs quand vous serez ma femme, et que... ""

"DOM JUAN, M. DIMANCHE, SGANARELLE, Suite. "DOM JUAN, faisant de grandes civilités.- Ah, Monsieur Dimanche, approchez. Que je suis ravi de vous voir, et que je veux de mal à mes gens de ne vous pas faire entrer d’abord ! J’avais donné ordre qu’on ne me fît parler personne, mais cet ordre n’est pas pour vous, et vous êtes en droit de ne trouver jamais de porte fermée chez moi. M. DIMANCHE.- Monsieur, je vous suis fort obligé. DOM JUAN, parlant à ses laquais.- Parbleu, coquins, je vous apprendrai à laisser M. Dimanche dans une antichambre, et je vous ferai connaître les gens. M. DIMANCHE.- Monsieur, cela n’est rien. DOM JUAN.- Comment ? vous dire que je n’y suis pas, à M. Dimanche, au meilleur de mes amis ? M. DIMANCHE.- Monsieur, je suis votre serviteur. J’étais venu... DOM JUAN.- Allons vite, un siège pour M. Dimanche. M. DIMANCHE.- Monsieur, je suis bien comme cela. DOM JUAN.- Point, point, je veux que vous soyez assis contre moi. M. DIMANCHE.- Cela n’est point nécessaire. DOM JUAN.- Ôtez ce pliant, et apportez un fauteuil. M. DIMANCHE.- Monsieur, vous vous moquez, et... DOM JUAN.- Non, non, je sais ce que je vous dois, et je ne veux point qu’on mette de différence entre nous deux. M. DIMANCHE.- Monsieur... DOM JUAN.- Allons, asseyez-vous. M. DIMANCHE.- Il n’est pas besoin, Monsieur, et je n’ai qu’un mot à vous dire. J’étais... DOM JUAN.- Mettez-vous là, vous dis-je. M. DIMANCHE.- Non, Monsieur, je suis bien, je viens pour... DOM JUAN.- Non, je ne vous écoute point si vous n’êtes assis. M. DIMANCHE.- Monsieur, je fais ce que vous voulez. Je... DOM JUAN.- Parbleu, Monsieur Dimanche, vous vous portez bien. M. DIMANCHE.- Oui, Monsieur, pour vous rendre service. Je suis venu... DOM JUAN.- Vous avez un fonds de santé admirable, des lèvres fraîches, un teint vermeil, et des yeux vifs. M. DIMANCHE.- Je voudrais bien... DOM JUAN.- Comment se porte Madame Dimanche, votre épouse ? M. DIMANCHE.- Fort bien, Monsieur, Dieu merci. DOM JUAN.- C’est une brave femme. M. DIMANCHE.- Elle est votre servante, Monsieur. Je venais... DOM JUAN.- Et votre petite fille Claudine, comment se porte-t-elle ? M. DIMANCHE.- Le mieux du monde. DOM JUAN.- La jolie petite fille que c’est ! Je l’aime de tout mon cœur. M. DIMANCHE.- C’est trop d’honneur que vous lui faites, Monsieur. Je vous... DOM JUAN.- Et le petit Colin, fait-il toujours bien du bruit avec son tambour ? M. DIMANCHE.- Toujours de même, Monsieur. Je... DOM JUAN.- Et votre petit chien Brusquet ? gronde-t-il toujours aussi fort, et mord-il toujours bien aux jambes les gens qui vont chez vous ? M. DIMANCHE.- Plus que jamais, Monsieur, et nous ne saurions en chevir. DOM JUAN.- Ne vous étonnez pas si je m’informe des nouvelles de toute la famille, car j’y prends beaucoup d’intérêt. M. DIMANCHE.- Nous vous sommes, Monsieur, infiniment obligés. Je... DOM JUAN, lui tendant la main.- Touchez donc là, Monsieur Dimanche. Êtes-vous bien de mes amis ? M. DIMANCHE.- Monsieur, je suis votre serviteur. DOM JUAN.- Parbleu ! je suis à vous de tout mon cœur. M. DIMANCHE.- Vous m’honorez trop. Je...

TEXTE ③ “Ah! monsieur Dimanche, approchez”!

MOLIERE (1622-1673), Dom Juan (1665), Acte IV, scène 3

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DOM JUAN.- Il n’y a rien que je ne fisse pour vous. M. DIMANCHE.- Monsieur, vous avez trop de bonté pour moi. DOM JUAN.- Et cela sans intérêt, je vous prie de le croire. M. DIMANCHE.- Je n’ai point mérité cette grâce assurément, mais, Monsieur... DOM JUAN.- Oh çà, Monsieur Dimanche, sans façon, voulez-vous souper avec moi ? M. DIMANCHE.- Non, Monsieur, il faut que je m’en retourne tout à l’heure. Je... DOM JUAN, se levant.- Allons, vite un flambeau pour conduire Monsieur Dimanche, et que quatre ou cinq de mes gens prennent des mousquetons pour l’escorter. M. DIMANCHE, se levant de même.- Monsieur, il n’est pas nécessaire, et je m’en irai bien tout seul. Mais... Sganarelle ôte les sièges promptement. DOM JUAN.- Comment ? Je veux qu’on vous escorte, et je m’intéresse trop à votre personne, je suis votre serviteur, et de plus votre débiteur. M. DIMANCHE.- Ah, Monsieur... DOM JUAN.- C’est une chose que je ne cache pas, et je le dis à tout le monde. M. DIMANCHE.- Si... DOM JUAN.- Voulez-vous que je vous reconduise ? M. DIMANCHE.- Ah, Monsieur, vous vous moquez. Monsieur... DOM JUAN.- Embrassez-moi donc, s’il vous plaît, je vous prie encore une fois d’être persuadé que je suis tout à vous, et qu’il n’y a rien au monde que je ne fisse pour votre service. Il sort. "

" "SCÈNE V "

DOM JUAN, UN SPECTRE en femme voilée, SGANARELLE. "LE SPECTRE, en femme voilée.- Dom Juan n’a plus qu’un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel, et s’il ne se repent ici, sa perte est résolue. SGANARELLE.- Entendez-vous, Monsieur ? DOM JUAN.- Qui ose tenir ces paroles ? Je crois connaître cette voix. SGANARELLE.- Ah, Monsieur, c’est un spectre, je le reconnais au marcher. DOM JUAN.- Spectre, fantôme, ou diable, je veux voir ce que c’est. Le Spectre change de figure, et représente le temps avec sa faux à la main. SGANARELLE.- Ô Ciel ! voyez-vous, Monsieur, ce changement de figure ? DOM JUAN.- Non, non, rien n’est capable de m’imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si c’est un corps ou un esprit. Le Spectre s’envole dans le temps que Dom Juan le veut frapper. SGANARELLE.- Ah, Monsieur, rendez-vous à tant de preuves, et jetez-vous vite dans le repentir. DOM JUAN.- Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu’il arrive, que je sois capable de me repentir, allons, suis-moi. ""

SCÈNE VI "LA STATUE, DOM JUAN, SGANARELLE. "LA STATUE.- Arrêtez, Dom Juan, vous m’avez hier donné parole de venir manger avec moi. DOM JUAN.- Oui, où faut-il aller ? LA STATUE.- Donnez-moi la main. DOM JUAN.- La voilà. LA STATUE.- Dom Juan, l’endurcissement au péché traîne [20] une mort funeste, et les grâces du Ciel que l’on renvoie, ouvrent un chemin à sa foudre. DOM JUAN.- Ô Ciel, que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n’en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent, ah ! Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur Dom Juan, la terre s’ouvre et l’abîme, et il sort de grands feux de l’endroit où il est tombé. SGANARELLE.- Ah ! mes gages ! Mes gages !...Voilà par sa mort un chacun satisfait : Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content. Il n’y a que moi seul de malheureux... Mes gages, mes gages, mes gages !

TEXTE ④ “Dom Juan n’a plus qu’un moment...”!

MOLIERE (1622-1673), Dom Juan (1665), Acte V, scènes 5, 6

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"

"Je veux bâtir un temple à l’Inconstance.Tous amoureux y viendront adorer,Et de leurs vœux jour et nuit l’honorer,Ayant leur cœur touché de repentance. De plume molle en sera l’édifice,En l’air fondé sur les ailes du vent,L’autel de paille, où je viendrai souventOffrir mon cœur par un feint sacrifice.

Tout à l’entour je peindrai mainte imageD’erreur1, d’oubli et d’infidélité, De fol désir, d’espoir, de vanité2,De fiction et de penser volage.

Pour le sacrer, ma légère maîtresseInvoquera les ondes de la mer,Les vents, la lune, et nous fera nommerMoi le templier, et elle la prêtresse.

Elle séant ainsi qu’une Sibylle3

Sur un trépied tout pur de vif argent4 Nous prédira ce qu’elle ira songeantD’une pensée inconstante et mobile.

Elle écrira sur des feuilles légèresLes vers qu’alors sa fureur chantera,Puis à son gré le vent emporteraDeçà delà ses chansons mensongères.

Elle enverra jusqu’au Ciel la fuméeEt les odeurs de mille faux serments :La Déité5 qu’adorent les amantsDe tels encens veut être parfumée.

Et moi gardant du saint temple la porte,Je chasserai tous ceux-là qui n’aurontEn lettre d’or engravé sur le frontLe sacré nom de léger que je porte.

De faux soupirs, de larmes infidèlesJ’y nourrirai le muable Prothé [Protée6],Et le Serpent7 qui de vent allaitéDéçoit8 nos yeux de cent couleurs nouvelles.

Fille de l’air, déesse secourable,De qui le corps est de plumes couvert,Fais que toujours ton temple soit ouvertA tout amant9 comme moi variable.

(1) Illusion, mensonge (2) chose sans importance (3) dans la Grèce antique, prêtresse d’Apollon qui,lors de transes, rend des prophéties à la signification ambiguë, difficiles à décrypter

(d’où le mot de “sibyllin” = énigmatique) (4) mercure — dans la mythologie latine, messager des dieux (et dieu du commerce et des échanges) (5) Déesse (6) Protée est une divinité secondaire de la mer. Il détenait un extraordinaire pouvoir de divination, mais, vieillard peu aimable, il refusait

de faire des prédictions. Pour l’obliger à parler, il fallait le surprendre à midi, à l’heure de sa sieste, et le couvrir de chaînes. Il se métamorphosait alors en une série de monstres effrayants (ainsi qu’en eau et en feu), mais si le consultant tenait bon, il reprenait sa forme première et consentait alors à parler.

(7) caméléon (8) “trompe” (sens du XVI° siècle) (9) amoureux "

Séquence ② : dom Juan, homme baroque ? Objet d’étude : le théâtre : texte et représentation

DOCUMENT COMPLEMENTAIRE - Le Baroque en littérature Le Temple de l’Inconstance, Du PERRON (1555-1618)

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Pymante aime Dorise, qui aime Rosidor. Par ailleurs, Clitandre aime Caliste qui aime, elle aussi, Rosidor (et en est aimée). Pour détourner Dorise de Rosidor, Pymante va imaginer de le faire assassiner (par les domestiques de Clitandre...) Pymante vient de rencontrer Dorise dans la forêt, et lui annonce qu’il vient de faire assassiner Rosidor. La jeune femme veut en finir avec la vie... """

Scène première "PYMANTE.

Ne songez plus, madame, à rejoindre les morts ; Pensez plutôt à ceux qui n'ont point d'autre envie Que d'employer pour vous le reste de leur vie ; Pensez plutôt à ceux dont le service offert Accepté vous conserve, et refusé vous perd. ""

DORISE. Crois-tu donc, assassin, m'acquérir par ton crime ? Qu'innocent méprisé, coupable je t'estime ? À ce compte, tes feux n'ayant pu m'émouvoir, Ta noire perfidie obtiendrait ce pouvoir ? Je chérirais en toi la qualité de traître, Et mon affection commencerait à naître Lorsque tout l'univers a droit de te haïr ? ""

PYMANTE. Si j'oubliai l'honneur jusques à le trahir, Si pour vous posséder mon esprit, tout de flamme, N'a rien cru de honteux, n'a rien trouvé d'infâme, Voyez par là, voyez l'excès de mon ardeur : Par cet aveuglement jugez de sa grandeur. ""

DORISE. Non, non, ta lâcheté, que j'y vois trop certaine, N'a servi qu'à donner des raisons à ma haine. Ainsi ce que j'avais pour toi d'aversion Vient maintenant d'ailleurs que d'inclination : C'est la raison, c'est elle à présent qui me guide Aux mépris que je fais des flammes d'un perfide. ""

PYMANTE. Je ne sache raison qui s'oppose à mes voeux, Puisqu'ici la raison n'est que ce que je veux, Et ployant dessous moi, permet à mon envie De recueillir les fruits de vous avoir servie. Il me faut des faveurs malgré vos cruautés. ""

DORISE. Exécrable ! Ainsi donc tes désirs effrontés Voudraient sur ma faiblesse user de violence ? "

PYMANTE. Je ris de vos refus, et sais trop la licence Que me donne l'amour en cette occasion. """

DORISE, lui crevant l'œil de son aiguille.

Séquence ② : dom Juan, homme baroque ? Objet d’étude : le théâtre : texte et représentation

DOCUMENT COMPLEMENTAIRE - Le Baroque en littérature Clitandre, CORNEILLE (1630), Acte IV, scènes 1 et 2

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Traître, ce ne sera qu'à ta confusion. "" PYMANTE portant les mains à son œil crevé.

Ah, cruelle ! "" DORISE.

Ah ! Brigand ! "" PYMANTE.

Ah ! Que viens-tu de faire ? "" DORISE.

De punir l'attentat d'un infâme corsaire. "

PYMANTE prenant son épée dans la caverne où il l'avait jetée au 2ème acte. Ton sang m'en répondra ; tu m'auras beau prier, Tu mourras. "

DORISE. Fuis, Dorise, et laisse-le crier. """

Scène 2 PYMANTE, seul.

Où s'est-elle cachée ? Où l'emporte sa fuite ? Où faut-il que ma rage adresse ma poursuite ? La tigresse m'échappe, et telle qu'un éclair, En me frappant les yeux, elle se perd en l'air ; Ou plutôt, l'un perdu, l'autre m'est inutile ; L'un s'offusque du sang qui de l'autre distille. Coule, coule, mon sang : en de si grands malheurs, Tu dois avec raison me tenir lieu de pleurs : Ne verser désormais que des larmes communes, C'est pleurer lâchement de telles infortunes. Je vois de tous côtés mon supplice approcher ; N'osant me découvrir, je ne me puis cacher. Mon forfait avorté se lit dans ma disgrâce, Et ces gouttes de sang me font suivre à la trace. Miraculeux effet ! Pour traître que je sois, Mon sang l'est encore plus, et sert tout à la fois De pleurs à ma douleur, d'indices à ma prise, De peine à mon forfait, de vengeance à Dorise. Ô toi qui, secondant son courage inhumain, Loin d'orner ses cheveux, déshonores sa main, Exécrable instrument de sa brutale rage, Tu devais pour le moins respecter son image ; Ce portrait accompli d'un chef-d'œuvre des cieux, Imprimé dans mon cœur, exprimé dans mes yeux, Quoi que te commandât une âme si cruelle, Devait être adoré de ta pointe rebelle. Honteux restes d'amour qui brouillez mon cerveau ! Quoi ! Puis-je en ma maîtresse adorer mon bourreau ? (...) Prenons dorénavant pour guides les hasards. Quiconque ne pourra me montrer la cruelle, Que son sang aussitôt me réponde pour elle ; Et ne suivant ainsi qu'une incertaine erreur, Remplissons tous ces lieux de carnage et d'horreur. Une tempête survient.

Mes menaces déjà font trembler tout le monde : Le vent fuit d'épouvante, et le tonnerre en gronde ;

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CORPUS DE TYPE-BAC : La mise en abyme "Documents A. William Shakespeare, Hamlet, III, 2 (1600). B. Alfred de Musset, On ne badine pas avec l'amour, III, 3 (1834). C. Jean Genet, Les Bonnes (1947). "Question Dans chacune de ces scènes, les personnages se jouent la comédie à l'intérieur d'une pièce. Vous expliquerez ce procédé et en préciserez la finalité. "Après avoir répondu à cette question, les candidats devront traiter au choix l’un des trois sujets suivants. Ecriture Sujet 1 : Commentaire Vous ferez le commentaire des lignes 10 à 42 du texte de Musset Sujet 2 : Dissertation Selon vous, l’illusion créée par le théâtre éloigne-t-elle le spectateur de la vérité, ou lui permet-elle de s’en rapprocher ? Vous répondrez en vous appuyant sur des exemples tirés du corpus, et sur des œuvres que vous avez lues ou vues au théâtre. Sujet 3 : Ecriture d’invention “Madame” surprend le jeu des Bonnes (Document C). Indignée par ce spectacle qui transgresse son autorité, elle intervient dans le dialogue pour affirmer sa place dans la maison. Vous imaginerez la scène. Vous veillerez à employer un vocabulaire correct et respectueux.

"Document A "

Hamlet a appris que son père, le roi du Danemark, a été assassiné par Claudius, son frère. Claudius s'est ainsi emparé du trône après avoir épousé la mère d'Hamlet devenue veuve. Hamlet décide de faire mimer par des comédiens présents au palais une pièce de théâtre qu'il a lui-même choisie et mise en scène."Acte III, scène 2 Trompettes. Le rideau se lève, découvrant la scène où commence une pantomime1. La pantomime Entrent un roi et une reine qui s'embrassent fort tendrement. La reine s'agenouille et fait au roi force protestations, il la relève et appuie sa tête sur son épaule, puis il s'allonge sur un tertre2 couvert de fleurs. Elle, le voyant endormi, se retire. Paraît alors un personnage qui ôte au roi sa couronne, embrasse celle-ci, verse un poison dans l'oreille du dormeur, et s'en va. La reine revient et à la vue du roi mort s'abandonne au désespoir. À nouveau, suivi de trois ou quatre figurants, arrive l'empoisonneur. Il semble prendre part au deuil de la reine. On emporte le corps. L'empoisonneur courtise la reine en lui offrant des cadeaux. Elle le repousse d'abord, mais finit par accepter son amour. "

OPHÉLIE. Qu'est-ce que cela veut dire, monseigneur ?

HAMLET. Action sournoise et mauvaise, par Dieu ! Et tout le mal qui s'ensuit.

OPHÉLIE. Cette pantomime dit sans doute quel est le sujet de la pièce. Paraît un comédien.

HAMLET. Celui-ci va nous l'apprendre. Les comédiens ne savent pas garder un secret, ils vont tout vous dire.

OPHÉLIE. Va-t-il nous expliquer ce que l'on nous a montré ?

HAMLET. Oui, et tout ce que vous lui montrerez. Si vous ne rougissez pas d'en faire montre, il ne rougira pas de vous en dire l'usage.

OPHÉLIE. Oh ! Vous êtes vilain, vilain. Je vais écouter la pièce.

LE COMÉDIEN. Nous livrons à votre clémence La tragédie qui commence. Écoutez-nous s'il vous plaît. Avec un peu de patience. Il sort. [...]

LE ROI. Connaissez-vous le sujet ? N'a-t-il rien qui puisse offenser ?

HAMLET. Offenser ? Absolument pas ; ce n'est qu'un jeu, ils s'empoisonnent pour rire.

LE ROI. Quel est le titre de la pièce ?

HAMLET.

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Le piège de la souris. Et pourquoi diable ? Eh bien, au figuré. Cette pièce a pour sujet un meurtre commis à Vienne. Gonzague est le nom du duc, Baptista celui de sa femme, et vous allez voir qu'il s'agit d'un joli tour de coquin, mais n'est-ce pas, peu importe ! Votre majesté et nous qui avons la conscience pure, cela ne nous émeut pas. Que bronche le cheval blessé, nous notre col3 est indemne... Entre Lucianus avec une fiole de poison. Il se dirige vers le dormeur. [...]

LUCIANUS. Pensée noire, main prompte, drogue sûre, Convenance de l'heure, absence des témoins ! Ô toi faite à minuit, ô fétide4 mixture5 Qu'Hécate6 a infectée de ses funestes soins, Par l'affreuse magie de tes propriétés Dévaste sans retard la vie et la santé. Il verse le poison dans les oreilles du dormeur.

HAMLET. Il l'empoisonne dans son jardin pour lui ravir ses États. Son nom est Gonzague, on peut en lire l'histoire, elle est écrite dans l'italien le plus pur. Et maintenant vous allez voir comment le meurtrier se fait aimer de la femme de Gonzague.

OPHÉLIE. Le roi se lève !

HAMLET. Quoi, effrayé par un tir à blanc ?

LA REINE. Êtes-vous souffrant, monseigneur ?

LE ROI. Donnez-moi un flambeau ! Partons !

POLONIUS. Des flambeaux, des flambeaux, des flambeaux !

William Shakespeare, Hamlet, acte III, scène 2, 1600. ""1. Art de s'exprimer par la danse, le geste, les mimiques, sans recourir au langage. 2. Élévation de terre servant souvent de sépulture. 3. Cou. 4. Qui a une odeur très désagréable. 5. Mélange bizarre de substances liquides. 6. Déesse infernale des terreurs nocturnes, connue pour son caractère maléfique. """

Document B Promis au mariage, Perdican et Camille se retrouvent à la fin de leurs études. Le jeune homme avoue à Camille qu'il est amoureux d'elle. Par orgueil, mais aussi par peur que l'amour ne la fasse souffrir, Camille repousse froidement Perdican. Elle se vante, dans une lettre adressée à l'une des religieuses du couvent où elle a été élevée, d'avoir blessé Perdican. Or ce dernier intercepte la lettre et écrit aussitôt un billet à Camille, dans lequel il la convie à un rendez-vous."Acte III, scène 3 [...]

CAMILLE, lisant. Perdican me demande de lui dire adieu avant de partir, près de la petite fontaine où je l'ai fait venir hier. Que peut-il avoir à me dire ? Voilà justement la fontaine, et je suis toute portée1. Dois-je accorder ce second rendez-vous ? Ah ! (Elle se cache derrière un arbre.) Voilà Perdican qui approche avec Rosette, ma sœur de lait. Je suppose qu'il va la quitter ; je suis bien aise de ne pas avoir l'air d'arriver la première. Entrent Rosette2 et Perdican qui s'assoient.

CAMILLE, cachée à part. Que veut dire cela ? Il la fait asseoir près de lui ? Me demande-t-il un rendez-vous pour y venir causer avec une autre ? Je suis curieuse de savoir ce qu'il lui dit.

PERDICAN, à haute voix, de manière que Camille l'entende. Je t'aime, Rosette ! toi seule au monde tu n'as rien oublié de nos beaux jours passés ; toi seule tu te souviens de la vie qui n'est plus ; prends ta part de ma vie nouvelle ; donne-moi ton cœur, chère enfant ; voilà le gage de notre amour. Il lui pose sa chaîne sur le cou.

ROSETTE. Vous me donnez votre chaîne d'or ?

PERDICAN. Regarde à présent cette bague. Lève-toi, et approchons-nous de cette fontaine. Nous vois-tu tous les deux, dans la source, appuyés l'un sur l'autre ? Vois-tu tes beaux yeux près des miens, ta main dans la mienne ? Regarde tout cela s'effacer. (Il jette sa bague dans l'eau.) Regarde comme notre image a disparu ; la voilà qui revient peu à peu ; l'eau qui s'était troublée reprend son équilibre ; elle tremble encore ; de grands cercles noirs courent à sa surface ; patience, nous reparaissons ; déjà je distingue de nouveau tes bras enlacés dans les miens ; encore une minute, et il n'y aura plus une ride sur ton joli visage ; regarde ! C’était une bague que m'avait donnée Camille.

CAMILLE, à part. � /� Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow9 13

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Il a jeté ma bague dans l'eau. PERDICAN.

Sais-tu ce que c'est que l'amour Rosette ? Écoute ! le vent se tait ; la pluie du matin roule en perles sur les feuilles séchées que le soleil ranime. Par la lumière du ciel, par le soleil que voilà, je t'aime ! tu veux bien de moi, n'est-ce pas ? On n'a pas flétri ta jeunesse ? On n'a pas infiltré dans ton sang vermeil les restes d'un sang affadi ? Tu ne veux pas te faire religieuse ; te voilà jeune et belle dans les bras d'un jeune homme. Ô Rosette, Rosette ! sais-tu ce que c'est que l'amour ?

ROSETTE. Hélas ! monsieur le docteur, je vous aimerai comme je pourrai.

PERDICAN. Oui, comme tu pourras ; et tu m'aimeras mieux, tout docteur que je suis et toute paysanne que tu es, que ces pâles statues fabriquées par les nonnes3, qui ont la tête à la place du cœur, et qui sortent des cloîtres4 pour venir répandre dans la vie l'atmosphère humide de leurs cellules ; tu ne sais rien ; tu ne lirais pas dans un livre la prière que ta mère t'apprend, comme elle l'a apprise de sa mère ; tu ne comprends même pas le sens des paroles que tu répètes, quand tu t'agenouilles au pied de ton lit ; mais tu comprends bien que tu pries, et c'est tout ce qu'il faut à Dieu.

ROSETTE. Comme vous me parlez, monseigneur !

PERDICAN. Tu ne sais pas lire ; mais tu sais ce que disent ces bois et ces prairies, ces tièdes rivières, ces beaux champs couverts de moissons, toute cette nature splendide de jeunesse. Tu reconnais toute cette nature splendide de jeunesse. Tu reconnais tous ces milliers de frères, et moi pour l'un d'entre eux ; lève-toi ; tu seras ma femme, et nous prendrons racine ensemble dans la sève du monde tout-puissant. Il sort avec Rosette.

Alfred de Musset, On ne badine pas avec l'amour, acte III, scène 3, 1834. "1. Je suis toute portée : me voici rendue (au lieu fixé par la lettre) sans avoir à faire beaucoup de chemin. 2. Jeune paysanne naïve. 3. Religieuses. 4. Couvents.""""

Document C Deux bonnes, Solange et Claire, ont pris l'habitude d'imiter leur maîtresse en son absence pour libérer l'agressivité et la frustration qu'elles ont accumulées envers elle."

CLAIRE. Préparez ma robe. Vite, le temps presse. Vous n'êtes pas là ? (Elle se retourne.) Claire ! Claire ! (Entre Solange.)

SOLANGE. Que Madame m'excuse, je préparais le tilleul (elle prononce « tillol ») de Madame.

CLAIRE. Disposez mes toilettes. La robe blanche pailletée. L'éventail, les émeraudes.

SOLANGE. Tous les bijoux de Madame ?

CLAIRE. Sortez-les. Je veux choisir. (Avec beaucoup d'hypocrisie.) Et naturellement les souliers vernis. Ceux que vous convoitez depuis des années. (Solange prend dans l'armoire quelques écrins qu'elle ouvre et dispose sur le lit.) Pour votre noce sans doute. Avouez qu'il vous a séduite ! Que vous êtes grosse1 ! Avouez-le ! (Solange s'accroupit sur le tapis, et, crachant dessus, cire des escarpins vernis.) Je vous ai dit, Claire, d'éviter les crachats. Qu'ils dorment en vous, ma fille, qu'ils y croupissent. Ah ! ah ! vous êtes hideuse, ma belle. Penchez-vous davantage et vous regardez dans mes souliers. (Elle tend son pied que Solange examine.) Pensez-vous qu'il me soit agréable de me savoir le pied enveloppé par les voiles de votre salive ? Par la brume de vos marécages ?

SOLANGE, à genoux et très humble. Je désire que Madame soit belle.

CLAIRE, elle, s'arrange dans la glace. Vous me détestez, n'est-ce pas ? Vous m'écrasez sous vos prévenances, sous votre humilité, sous les glaïeuls et le réséda. (Elle se lève et d'un ton plus bas.) On s'encombre inutilement. Il y a trop de fleurs. C'est mortel. (Elle se mire encore.) Je serai belle. Plus que vous ne le serez jamais. Car ce n'est pas avec ce corps et cette face que vous séduirez Mario. Ce jeune laitier ridicule vous méprise, et s'il vous a fait un gosse...

SOLANGE. Oh ! mais, jamais je n'ai...

CLAIRE. Taisez-vous idiote ! Ma robe !

Jean Genet, Les Bonnes (1947), Gallimard, 2001. ""1. Enceinte. "� /� Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow10 13

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"BRAMANTE, MICHEL-ANGE,LE BERNIN (BERNINI), Basilique St Pierre de Rome (1506-1626)"""""""""""" """

LE BERNIN, place et colonnade devant la basilique de St Pierre de Rome, 1660""""""""""""

LE BERNIN, le baldaquin, 1624-1633.""""""""LE BERNIN, gloire de St Pierre

(1656-1658)"""""""""""""""""LE BERNIN, Fontaine des Quatre Fleuves, 1648-1652. ""

Objet d’étude : Le texte théâtral et sa représentation

Séquence ② : Dom Juan, homme baroque ? CONTEXTE ARTISTIQUE

LE BAROQUE DANS LES BEAUX-ARTS (XVII° ET XVIII° SIÈCLES)

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Pierre de CORTONE, plafond de la galerie du palais Pamphili à Rome, 1651-1654 : Enée arrivant à l’embouchure du Tibre.!"""""""""""""""

BORROMINI (grand rival du Bernin), St Charles aux Quatre Fontaines à Rome, 1638-1667!""""""""""""""

POZZO, plafond de la chapelle St Ignace de Loyola à 1

Rome, 1668-1685.""""""""""""""""""""""GUARINI, palais Carignan à Turin, 1679-1685 """ "

ERLACH, église St Charles Borromée à Vienne en Autriche, 1716-1729

� /� Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow12 13 Fondateur de la Compagnie de Jésus (les Jésuites)1

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RUBENS, La Conclusion de la paix à Angers (entre 1622 et 1625), p.252 du livre""""

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