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LIMINAIRE

Saint Augustin et la Bible - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782701000688.pdf · divina 103 Paris, 1981, L'interprétatio, de la Septanten pp 8.,2 à 117 voi;

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LIMINAIRE

Saint Augustin XV® siècle. Abbaye du Bec-Hellouin

Que je fasse mes délices

de tes Ecritures

Seigneur mon Dieu, sois attentif à ma prière, et que ta miséricorde exauce mon désir, car, ce n'est pas pour moi seul qu'il bouillonne, mais il veut servir à la charité fraternelle ; et tu vois dans mon cœur qu'il en est bien ainsi.

Laisse-moi f offrir en sacrifice le service de ma pensée et de ma langue, et donne-moi de quoi te faire mon offrande : ouiy je suis pauvre et indigent et tu es riche pour tous ceux qui f invoquent toi qui, sans souci, prends souci de nous.

Coupe toute témérité, tout mensonge, au-dedans et au-dehors, autour de mes lèvres. Que je fasse mes chastes délices, de tes Ecritures, sans me tromper en elles et sans tromper par elles !

Seigneur5 sois attentif et prends pitié, Seigneur mon Dieu, lumière des aveugles et vertu des faibles, et aussi bien lumière des voyants et vertu des forts / Sois attentif à mon âme, entends-la crier des profondeurs ! Car, si tu n9es pas là, même dans les profondeurs, aux écoutes, ^rj irons-nous ? Vers quoi crierons-nous ?

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C'est à toi qu'est le jour, c'est à toi qu'est la nuit ; sur un signe, à ton gré, s'envolent les instants. Donne-nous de larges espaces de ce temps pour nos méditations sur les secrets de ta loi, et quand nous frapperons à cette porte ne la ferme pas. Non, ce n'est pas pour rien que tu as voulu

faire écrire tant de pages obscures et sécrétés ; et ces belles forêts ne sont pas sans avoir leurs cerfs qui viennent là se ressaisir et se restaurer, se promener et pâturer, se coucher et ruminer.

O Seigneur, parachève-moi et révèle-moi ces pages ! Voici que ta voix fait ma joie, oui ta voix bien plus que l'afflux des voluptés. Donne ce que j'aime : j'aime, en effet, et cela, c'est toi qui l'as donné. Ne délaisse pas tes dons, et ta plante ne la dédaigne pas dans sa soif l

Puissé-je te confesser tout ce que j'aurai trouvé dans tes livres, et entendre la voix de la louange et te boire et considérer la merveille de ta loi, depuis le principe où tu fis le ciel et la terre,

jusqu'au règne éternel avec toi dans ta sainte cité !

Seigneur, aie pitié de moi, exauce mon désir ; car je pense que son objet n'est pas la terre, ni or, argent, pierres précieuses ou beaux vêtements, ni honneurs, charges ou voluptés de la chair, ni même les choses nécessaires au corps et à cette vie de voyageurs qu'est la nôtre, toutes choses qui nous sont données de surcroît quand nous cherchons ton royaume et ta justice.

Vois, mon Dieu, quel est l'objet de mon désir ! Les impies m'ont raconté des délices, mais ce n'est rien auprès de ta loi, Seigneur l Voilà quel est l'objet de mon désir ! Vois, ô Père, regarde, vois et approuve, et plaise à toi qu'aux yeux de ta miséricorde

je trouve grâce devant toi, afin que s'ouvre à moi, quand je frappe, le dedans de tes paroles !

Je t'en conjure par notre Seigneur, Jésus-Christ, ton fils, l'homme de ta droite, le Fils de l'homme que tu as établi près de toi médiateur entre toi et nous, par qui tu nous as cherchés sans que nous te cherchions ;

Que je fasse mes délices de tes Ecritures

mais tu nous as cherchés pour que nous te cherchions ; ton Verbe par qui tu as fait tous les êtres et parmi eux, moi aussi ; ton fils unique par qui tu as appelé à Vadoption le peuple des croyants et, parmi eux, moi aussi.

C'est par lui que je te conjure, lui qui siège à ta droite et t'interpelle pour nous, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science, ceux-là mêmes que je cherche dans tes livres. Moïse a écrit de lui : cela, lui l'a dit, la vérité l'a dit.

AUGUSTIN, Confessions XI,

i. Traduction TRÉHORET et Bouissou, BA 14.

INTRODUCTION

Pourquoi un volume de la « Bible de tous les temps » réservé au seul saint Augustin ? Pourquoi une recherche consacrée à cinquante années seulement de la vie de l'Eglise ? Pourquoi cet intérêt pour le rôle joué par l'Ecriture sainte dans l'histoire de la seule chrétienté de l'Afrique du Nord entre 390 et 430 ? Pourquoi ?

Il est vrai que nombre de recherches contemporaines renouvellent l'histoire de l'Afrique du Nord du 111e au ve siècle : histoire des relations de Carthage et de Rome sous les papes Damase, Innocent I, Zosime, Boniface, Célestin1; histoire des cités de l'Afrique romaine au Bas-Empire2; édition critique et histoire des conciles d'Afrique de 345 à 525®; édition de la Conférence carthaginoise de juin 4114; histoire du monachisme et de la Règle de saint Augustin5; histoire individuelle de chacun des hommes et de chacune des femmes d'Afrique connus à travers textes littéraires, conciles, inscriptions, documents de l'archéo-logie6. Et que dire de l'apport tout neuf des vingt-neuf lettres d'Augustin découvertes par Johannes Divjak7 ?

1. Ch. PIETRI, Roma Christiana, Ecole française de Rome, 2 vol., 1976. 2. C. LEPELLEY, Les Cités de l'Afrique romaine au Bas-Empire, 1 .1 et II, Etudes Augusti-

niennes, Paris, 1979 et 1981. 3. C. MUNIER, Concilia Africae, A 345 - A 525, CCL 149, 1974. 4. S. LANCEL, Actes de la Conférence de Carthage en 411,1.1, II, III, SC 194, 195, 224, Paris,

1 9 7 2 , 1 9 7 2 , 1 9 7 5 .

5. L. VERHEIJEN, 'Nouvelle approche de la Règle de saint Augustin, Vie monastique n° 8, Abbaye de Bellefontaine, 1980.

6. Prosopographie Chrétienne du Bas-Empire, I : Afrique CNRS, Paris, 1982. 7. J. DIVJAK, Epistulae ex duobus codicibus nuper in lucem prolataey CSEL 88, Vindobonae,

1 9 8 1 .

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Or, il est remarquable que les auteurs des œuvres que nous venons d'énumérer trouvent dans les écrits de saint Augustin tantôt une infor-mation, tantôt une preuve, tantôt un document, voire une source essentielle. La présence augustinienne y est diffuse, quelquefois voilée, quelquefois éclatante. Pour l'histoire de l'Afrique du Nord du ive-ve siècle, l'œuvre d'Augustin se manifeste comme une source majeure à laquelle viennent puiser historiens, sociologues, philosophes, litur-gistes, théologiens et biblistes.

La reconstitution approfondie, sous plusieurs de ses facettes, de l'histoire de l'Afrique du Nord à l'orée du ve siècle jette un jour nouveau sur l'environnement qui a entouré l'élaboration de l'œuvre augusti-nienne. Or la documentation biblique immense et précieuse que recèle cette œuvre est loin d'échapper à ces nouvelles prises de vue.

Les relations entre les églises d'Afrique et celles d'outre-mer sont mieux connues; on perçoit mieux les modalités et les fréquences des échanges; on peut ainsi mieux évaluer les possibilités et l'intérêt des influences réciproques, poser en termes nouveaux un problème ancien : dans quelle mesure Augustin, commentateur de la Bible, dépend-il de ses pairs ? Dans quelle mesure s'affirme son originalité ? Quelles sont ses lectures dûment authentifiées ?

A cette recherche collaborent activement des instituts bibliques contemporains tels que la Vêtus latina de Beuron8, le Bulletin de la Bible latine édité par la Revue Bénédictine de Maredsous9, les travaux des érudits qui se sont consacrés à la réhabilitation de la Septante10. Toutes ces recherches — et il faudrait en citer d'autres — permettent souvent le dénouement de difficultés que les écrits d'Augustin présentent à un premier regard non prévenu. Pour ne citer que ce domaine, que d'inter-rogations n'ont pas posées les versions bibliques d'Augustin ?

Depuis la thèse d'Henri-Irénée Marrou, nous savons qu'il faut tenir grand compte de la formation professionnelle d'Augustin : ce fut un excellent rhéteur latin et il le demeura, mettant sa culture romaine au service de la Parole de Dieu, d'autant plus facilement qu'il avait à prêcher une Bible latine à laquelle il applique les règles des figures de style de la langue latine; et quand cette Bible lui offre des réminiscences grecques ou hébraïques, il lui arrive de les rectifier en indiquant la bonne tournure latine.

8. Vêtus latina, Die Reste der Altlateinischen Bibel, Verlag Herder Freiburg. 9. M. BOGAERT, « Bulletin de la Bible latine », RBen. 10. D. BARTHÉLÉMY, L'Ancien Testament a mûri à Alexandrie, Zeitschrift, Bâle 21 (1965),

pp. 358-370; P. BENOIT, « L'inspiration des Septante d'après les Pères », dans Uhomme devant Dieu, Paris, Aubier, 1963, vol. I, pp. 169-187; P. GRELOT, Les poèmes du Serviteur, Lectio divina 103, Paris, 1981, L'interprétation de la Septante, pp. 82 à 117; voir aussi Leçtio divina 119, Etudes sur le judaïsme hellénistique, Paris, 1984 (Congrès de I'ACFEB à Strasbourg en 1983).

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L'importance quantitative de la Bible dans l'œuvre d'Augustin et les contraintes présentes de l'édition nous ont interdit de composer une monographie exhaustive des saintes Ecritures telles qu'elles ont été citées, recueillies, commentées par l'évêque d'Hippone. Des options s'imposaient : nous avons tenté de présenter les grands « lieux » de la présence biblique dans l'œuvre d'Augustin, de telle sorte que ces choix ne laissent dans l'ombre aucun grand espace de la « forêt » et ouvrent des pistes pour l'exploration future des zones encore obscures. Nous avons ainsi retenu huit ensembles qui correspondent aux huit sections de ce volume.

Il fallait d'abord écouter Augustin décrire lui-même le laborieux chemi-nement par lequel, enfant prodigue détourné du Père, il a cherché, à travers mille obstacles, la « voie », Jésus-Christ, qui le ramènerait au Père : l'initiation biblique d'Augustin est une clé d'entrée dans les sections suivantes.

Devenu de par l'appel de l'Eglise ministre de la Parole de Dieu, Augustin consacre toutes les ressources de sa culture et de son éloquence à l'étude des Ecritures et à leur transmission au « peuple de Dieu » par la liturgie : cette responsabilité pastorale permet à l'évêque et à sa communauté de scruter d'année en année les richesses de la Bible liturgique.

La Bible est non seulement le Livre de l'Assemblée chrétienne, de VEcclesia, elle est aussi, pour les chrétiens moines et laïcs, le Livre de la prière personnelle, surtout quand cette prière s'inspire des Psaumes et de l'Oraison dominicale.

Les obscurités de la Bible conduisent les correspondants amis d'Augustin à lui poser nombre d'interrogations qui nous mettent au fait des problèmes bibliques qui inquiétaient les chrétiens du VE siècle.

Augustin, très conscient des difficultés que présente la prédication de la Parole de Dieu, et désireux de collaborer à la formation des clercs de l'Afrique de son temps, écrit à leur usage le De Doctrina christiana, afin que ces futurs 'prédicateurs sachent acquérir la culture nécessaire à l'intelligence des Ecritures et la technique de l'art oratoire adaptée à la bonne proclamation des textes sacrés. Il s'agit là de l'acquisition d'une science qu'il faut comprendre comme étant un don du Saint-Esprit, le don de Science, le troisième dans l'énumération des dons, selon Isaïe.

Au cours de son ministère, Augustin doit faire face à de multiples hétérodoxes qui, de manières diverses, mettent en cause les Livres saints. Augustin se révèle compilateur et analyste critique des œuvres des « biblistes » hérétiques qui lui tombent en mains (in manus). Ces polémiques ouvrent des perspectives sur les difficultés qu'offraient les textes refusés, incompris, contestés. Souvent ces dossiers sont lourds, même clos et quelquefois de peu d'intérêt; au contraire, certaines dis-cussions ont été pour Augustin sources d'approfondissement théolo-

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gique, dans les domaines christologique, ecclésiologique et trinitaire et dans celui de la grâce.

A la suite de la chute de Rome (410) Augustin entreprend en 413 et poursuit pendant treize ans la rédaction de son chef-d'œuvre, "La Cité de Dieu : immense fresque du dessein de Dieu dans l'histoire, de l'instant de la Création des Anges jusqu'à la Parousie, en passant par la pérégri-nation de l'Eglise des hommes au cœur de six âges. Adressée aux païens, La Cité de Dieu leur dévoile que l'accomplissement, dans le présent, des Prophéties proclamées dans le passé garantit la réalisation des Pro-phéties qui annoncent la fin des temps et l'avènement de la Jérusalem éternelle.

Enfin, arrivé aux dernières années de sa vie, Augustin laisse, comme un testament à ses « chrétiens », un recueil biblique, le Spéculum quis ignorât, destiné à leur servir de guide dans le comportement éthique de leur vie. Ce recueil « photographie » l'enseignement moral dispensé par l'évêque à son peuple pendant quarante années. Augustin entend ainsi prouver que c'est la Bible qui est le fondement de la morale chrétienne.

Plusieurs intentions nous ont guidé dans l'organisation interne et dans l'ordre des huit sections susdites. Deux d'entre elles, la première et la sixième, ne sont formées que d'un seul long chapitre : l'initiation biblique d'Augustin lui-même et l'évêque d'Hippone face aux polé-miques. Chacune des six autres sections débute par un exposé d'ensemble du sujet ou du thème traité dans la section. Il est suivi de plusieurs articles spécialisés, consacrés à l'étude de questions particulièrement suggestives.

Il était en effet indispensable de saisir Augustin lui-même pris sur le vif, sous deux aspects qui révèlent au mieux son charisme personnel de ministre de la Parole de Dieu. Aussi plusieurs articles mettent en valeur le pasteur Augustin dans son office de prédicateur, de tractator comme il se nomme lui-même; ces articles occupent surtout les sections deux (Liturgie), trois (Prière), huit (Ethique). D'autres articles font connaître Augustin dans sa fonction d'exégète et de chercheur; ils se trouvent dans les sections quatre (Courrier), cinq (Intelligence des Ecritures), sept (Cité de Dieu).

Il était non moins indispensable d'ordonner les sections de ce volume selon une progression qui respecte, non pas systématiquement, mais au mieux, la progression d'Augustin lui-même dans l'approfon-dissement de la connaissance des Ecritures et des difficultés d'interpré-tation qu'elles dévoilent à qui se consacre à leur lecture assidue. En effet, les quinze dernières années du ministère d'Augustin apparaissent les plus riches en travaux bibliques : sans parler de l'activité liturgique

Introduction 23

toujours vivante et jamais interrompue, les écrits d'Augustin se succèdent ou plutôt s'entrecroisent les uns les autres : grandes Enarrationes sur les Psaumes dictées; dernière partie des Traités sur saint Jean; Cité de Dieu, De Trinitate à partir du livre V jusqu'au livre VI; Quaestiones et Locutiones sur l'Heptateuchum; dossier de la polémique antipélagienne; Spéculum quis ignorât ; correspondances avec les moines d'Adrumètc et de Marseille; Ketractationes. A cette énumération correspond une documentation biblique somptueuse dans son abondance. Or la minutieuse analyse de ces écrits révèle l'incomparable maîtrise avec laquelle Augustin distingue les genres littéraires et ne confond pas les dossiers scripturaires : dossier prophétique de La Cité de Dieu ; dossier éthique du Spéculum ; dossier paulinien et johannique du De Trinitate ; dossier très spécialisé des questions et locutions sur les livres du Pentateuque, de Josué et des Juges. Est-ce à dire qu'il n'y a pas de ponts, qu'il n'existe pas d'inter-férences entre ces différentes œuvres ? Les interférences existent en effet, mais elles sont l'objet d'une intention volontaire de la part d'Augustin : il écrit à la même époque, comme le prouve une des dernières lettres découvertes, plusieurs ouvrages en même temps en alternant, selon la nécessité, la rédaction d'un livre de l'un avec la rédaction d'un livre de l'autre. La réalisation des dossiers scripturaires permet de percevoir et d'apprécier les distinctions et les convergences.

Les circonstances d^ l'édition permettent que, par une coïncidence très heureuse, ce volume de « Bible de tous les temps », consacré à saint Augustin, paraisse à une date — 1986 — anniversaire de l'année — 386 — où la conversion d'Augustin a transformé un rhéteur latin déjà renommé en un moine qui, devenu prêtre et évêque, a voué désor-mais sa vie au ministère de la Parole de Dieu, au bénéfice de toute l'his-toire ultérieure de l'Eglise.

* * *

Anne-Marie la Bonnardière, retenue éloignée, pour des raisons indé-pendantes de sa volonté, des dernières étapes de la réalisation de ce livre, désire remercier chaleureusement Elisabeth Paoli-Lafaye d'avoir accepté la responsabilité de ces dernières étapes, bien franchies grâce à elle. Ses remerciements vont également à tous ceux et à toutes celles qui l'ont aidée dans cette tâche.