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Saint Augustin DE LA DISCIPLINE CHRÉTIENNE.

Saint Augustin¨que/Oeuvres... · 2017. 8. 16. · voulons vous dire quelques mots si Dieu nous en fait la grâce. Nous sommes tous dans la maison de la discipline, mais plusieurs

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Saint Augustin

DE LA DISCIPLINE CHRÉTIENNE.

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In Œuvres Complètes deSAINT AUGUSTIN

traduites pour la première fois en françaissous la direction

de M. l’abbé RaulxDoyen de Vaucouleurs

TOME DOUZIÈMETraités de morale. – Œuvres dogmatiques : De la Trinité.

pp 315-322.DE LA DISCIPLINE CHRÉTIENNE.

Traduction de M. l’abbé Burleraux.

Bar-le-duc, L. Guérin et Cie, Éditeurs1868.

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DE LA DISCIPLINE CHRÉTIENNE.

CHAPITRE PREMIER. SUJET DU DISCOURS.

1. Par l'organe de l'Écriture, le Seigneur vientde nous faire entendre sa voix et nous adressecette pressante exhortation : « Recevez ladiscipline dans la demeure de l'enseignement1 ».Le disciple est celui qui apprend, la demeure de ladiscipline c'est l'Église de Jésus-Christ. Qu'yapprend-on ou pourquoi y apprendre quelquechose ? Quels sont ceux qui apprennent et par quil'enseignement leur est-il donné ? On apprend àbien vivre, et l'on apprend à bien vivre pourmériter le bonheur de vivre toujours. Les disciplesce sont les chrétiens, le maître c'est Jésus-Christ.Qu'est-ce que bien vivre ? quelle est larécompense d'une vie sainte ? quels sont lesvéritables chrétiens ? enfin quel est notre véritablemaître ? telles sont les questions dont nousvoulons vous dire quelques mots si Dieu nous enfait la grâce.

Nous sommes tous dans la maison de ladiscipline, mais plusieurs ne veulent pas avoir dediscipline ; et pour comble de perversité, c'estdans la maison même de la discipline qu'ils neveulent pas avoir de discipline. Ne devraient-ilspas y recevoir la discipline, afin de pouvoir laconserver jusque dans leurs propres demeures ?Mais non, comme si ce n'était point assez pour

1 Eccli. LI, 31, 36,

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eux d'être indisciplinés dans leurs propresdemeures, ils prétendent rester tels jusque dans lamaison même de la discipline. Eh bien ! ceux quine rejettent pas la parole de Dieu, mais lui prêtentà la fois l'attention de leur oreille et de leur cœur ;ceux qui ne ressemblent point à la voie publiquesur laquelle les oiseaux dévorent la semenceaussitôt qu'elle y est répandue ; ceux qui neressemblent pas à ces terrains pierreux danslesquels la semence ne saurait prendre deprofondes racines, croît un moment et sedessèche aussitôt ; ceux qui ne ressemblent pas àce champ couvert d'épines dont l'épaisseurétouffe bientôt les germes de la semence ; ceuxenfin qui se trouvent figurés par cette terrebonne, parfaitement préparée à recevoir lasemence et qui rapporte cent, ou soixante, outrente pour un, ceux-là recevront avecempressement les enseignements qu'il plaira auSeigneur de m'inspirer ; du reste, n'oubliez pas,vous que des raisons légitimes amènentaujourd'hui autour de cette chaired'enseignement ; n'oubliez pas que ce n'est passans raison que j'emprunte à l'Évangile cestouchantes paraboles. Puisque Jésus-Christ est ledivin semeur, que suis-je donc moi-même ? Apeine suis-je le panier qui renferme le grain. Ilveut bien déposer en moi la semence qu'il va jeterdans vos cœurs. Ne vous arrêtez pas à la bassesse

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du panier, mais soyez sensibles au prix de lasemence et à la puissance du semeur.

CHAPITRE II. QU'EST-CE QUE BIEN VIVRE.

2. Qu'est-ce que cet art de bien vivre quenous apprenons ici ? La loi renferme unemultitude de préceptes qui sont comme les règles,les lignes et l'alphabet d'une vie bonne. Oui, cespréceptes sont nombreux et pour ainsi direinnombrables. À peine peut-on énumérer lespages dans lesquelles ces préceptes sontrenfermés ; que serait-ce s'il s'agissait d'énumérerces préceptes eux-mêmes ? Toutefois, afin de nelaisser à personne la ressource de s'excuser, soitparce qu'on ne les aurait pas lus, soit parce qu'onne savait pas lire, soit parce qu'on ne pouvait quedifficilement les comprendre, le Seigneur, afin derendre cette excuse impossible au jugementdernier, a voulu résumer en une seule parole toutela loi, selon cette prédiction du prophète : « Dieujettera sur la terre une parole qui condensera etrésumera toutes les [316] autres2 ». Cette paroleest courte, mais ne croyez pas qu'elle en soit plusobscure. Elle est courte ; afin qu'il soit toujourspossible de la lire ; elle est claire, afin quepersonne n'ait le droit de dire : Je n'ai pu lacomprendre. Les saintes Écritures formentcomme un immense trésor, qui renferme engrand nombre d'admirables préceptes lesquels

2 Isaïe, X, 23.

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sont comme autant de perles précieuses et devases d'un grand prix. Mais qui peut scruter cetimmense trésor, s'en servir, et en découvrir toutesles richesses ? Dans l'Évangile le Sauveur emploiecette comparaison : « Le royaume des cieux estsemblable à un trésor trouvé dans un champ » ;puis, comme s'il eût craint que quelqu'unrépliquât qu'il était incapable de fouiller pourdécouvrir ce trésor, il eut immédiatement recoursà cette autre comparaison : « Le royaume descieux est semblable à un négociant qui cherche debonnes perles, en trouve une précieuse et, pourl'acheter, vend tout ce qu'il possédait3 ». Vousvous sentiez peut-être trop paresseux pourfouiller le trésor ; ne le soyez pas jusqu'au pointde ne pouvoir porter une perle sous votre langueet de vous donner ainsi le droit de marcher entoute sécurité.

CHAPITRE III. COMMANDEMENT D'AIMER DIEU ET LE PROCHAIN.

3. Quelle est donc cette parole qui résumetoutes les autres ? « Vous aimerez le Seigneurvotre Dieu de tout votre cœur, de toute votreâme et de tout votre esprit, et votre prochaincomme vous-même. C'est dans ces deuxpréceptes que se trouvent toute la loi et lesprophètes »4 Voilà ce que l'on apprend dans la

3 Matt, XIII, 44, 46.4 Id. XXII, 37, 40.

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maison de la discipline : aimer Dieu, aimer leprochain ; Dieu pour lui-même et le prochaincomme vous-même. Trouverez-vous quelqu'unque l'on puisse égaler à Dieu jusqu'à vous dire :aimez Dieu comme vous aimez telle créature ?Quant au prochain, l'on a pu trouver une règle,parce que vous êtes égal à votre prochain. Vouscherchez comment aimer le prochain ? Jetez lesyeux sur vous-même, et aimez votre prochain dumême amour que vous vous aimez vous-même.L'erreur ici n'est point possible. Je veux doncvous confier votre prochain, afin que vousl'aimiez comme vous-même ; je le veux, mais jecrains encore. Je veux vous dire : aimez votreprochain comme vous vous aimez vous-même ;et je crains ; en effet, je veux voir comment vousvous aimez vous-même. Point d'aigreur, je vousprie. Puisque votre prochain vous est confié,dois-je facilement vous quitter, et ne traiter avecvous que d'une manière transitoire ? Vous neformez qu'un seul homme, et le prochain pourvous c'est la multitude des hommes. Ce n'estdonc pas seulement un frère, un parent, un allié.Non, car tout homme a pour prochain tous leshommes à la fois. Le père et le fils, le beau-père etle gendre ont entre eux des liens très-étroits deproximité. Or rien ne saurait être aussi procheque l'homme l'est de son semblable. Et si vousétiez tentés de croire qu'il n'y a de proches entreeux que ceux qui sont nés des mêmes parents,

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rappelez-vous Adam et Ève et vous comprendrezque nous sommes frères. Nous sommes frères ennotre simple qualité d'hommes, à combien plusforte raison en notre qualité de chrétiens !Comme homme vous n'avez qu'un seul père,Adam, et qu'une seule mère, Ève ; commechrétien, vous n'avez qu'un seul et même Père quiest Dieu, et qu'une seule et même mère qui estl'Église.

CHAPITRE IV. COMMENT DOIT S'AIMER CELUI À QUI IL EST ORDONNÉ D'AIMER SON PROCHAIN COMME LUI-MÊME.

4. Voyez donc de quelle multitude d'hommeschacun d'entre nous est le prochain. Tous leshommes que nous rencontrons, tous ceux à quinous pouvons nous unir sont notre prochain.Comment alors discuter de quel amour s'aimecelui qui a pour prochain tant d'hommes qu'il doitaimer comme lui-même ? Que personne ne s'irrites'il me voit examiner comment il s'aime. A moi dediscuter, à lui de se reconnaître dans mes paroles.Pourquoi discuter ? puis-je trouver l'état d'âme dechacun ? Je discute, afin que chacun s'interroge,afin que chacun se voie et se regarde sansdéguisement, afin qu'il se considère en face, afinqu'il se pose devant ses propres yeux, sans setourner le dos à lui-même. C'est là ce qu'il doitfaire pendant que je parle, c'est là ce qu'il doitfaire à mon insu. Comment vous aimez-vous ?

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Vous qui m'entendez, ou plutôt qui entendez leSeigneur par ma bouche, [317] pendant que vousêtes dans cette maison de la discipline, rendez-vous compte à vous-même de la manière dontvous vous aimez. Que je vous demande si vousvous aimez, vous me répondez affirmativement.Et en effet, quelqu'un peut-il se haïr ? Vous merépondrez sans doute : quelqu'un peut-il se haïr ?Si vous vous aimez, vous n'aimez donc pasl'iniquité. Car si vous aimez l'iniquité, écoutez,non pas ma parole, mais celle du Psalmiste :« Celui qui aime l'iniquité hait son âme5 ». Si doncvous aimez l'iniquité, écoutez la vérité, non pas lavérité qui vous flatte, mais la vérité qui vous dit :vous vous haïssez. Plus vous dites que vous vousaimez, plus vous vous haïssez, car « celui qui aimel'iniquité, hait son âme ». Que dirai-je de la- chairqui est la partie la plus vile de nous-mêmes ? S'ilhait son âme, comment aime-t-il sa chair ? Ceuxdonc qui aiment l'iniquité, haïssent leur âme, etcouvrent leur chair de turpitude. Vous qui aimezl'iniquité, comment vouliez-vous que l'on vousabandonnât le prochain, afin que vous l'aimassiezcomme vous-même ? O homme, pourquoi vousperdez-vous ? Si vous vous aimez de manière àvous perdre, ne perdrez-vous pas celui que vousaimez comme vous-même ? Je vous défends doncd'aimer qui que ce soit ; périssez du moins seul, si

5 Ps. X, 6.

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vous voulez périr. Ou bien réformez votreamour, ou bien renoncez à toute société.

CHAPITRE V. AMOUR PERNICIEUX POUR LE PROCHAIN.

5. Vous me direz peut-être : J'aime monprochain comme moi-même. Je comprendsparfaitement. Vous voulez vous enivrer avec celuique vous aimez comme vous-même. Faisons-nous du bien aujourd'hui, buvons autant quenous pouvons. Reconnaissez que c'est ainsi quevous vous aimez, et qu'en attirant à vous votreprochain vous l'invitez à ce qui vous plaît. Il estnécessaire que celui que vous aimez, vousl'entraîniez à ce qui flatte l'amour que vous avezpour vous-même. Homme tout humain, ou plutôthomme cruel, d'aimer ce qu'aiment les bêtessauvages ! Dieu a courbé vers la terre la face desanimaux pour y chercher leur nourriture ; pourvous il vous a élevé au-dessus de cette terre quevous ne touchez que du pied. Il a voulu que votrefront fût tourné vers le ciel. Que votre cœur nedémente point votre visage. N'ayez point le fronthaut et le cœur rampant, écoutez plutôt cetteparole aussi belle que vraie : Le cœur en haut ; nementez pas dans la maison de la discipline.Quand cette parole vous est adressée, répondez ;mais que votre réponse ne soit point unmensonge. C'est dans ce sens que vous devezvous aimer et alors vous aimerez votre prochain

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comme vous-même. Qu'est-ce qu'avoir son cœuren haut, si ce n'est réaliser cette première parole :« Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de toutvotre cœur, de toute votre âme et de tout votreesprit ? » Puisqu'il y a deux préceptes, n'enformuler qu'un serait-il suffisant ? Un seul suffit,pourvu qu'il soit bien compris. En effet noustrouvons dans l'Écriture ces paroles citées parsaint Paul : « Vous ne commettrez pointd'adultère, vous ne serez point homicide, vous nedéroberez point, vous ne convoiterez point, et s'ily a quelque autre commandement il se trouverésumé dans cette parole : Vous aimerez votreprochain comme vous-même. L'amour qu'on apour son prochain ne souffre pas qu'on lui fasseaucun mal, et ainsi l'amour est l'accomplissementde la loi6 ». Qu'est-ce que la charité ? La dilection.Sans paraître avoir rien dit de la dilection enversDieu, l'Apôtre laisse à entendre que. la dilectionpour le prochain suffit à l'accomplissement de laloi. Tout autre commandement se trouve résumé,observé dans cette parole. Dans laquelle ? « Vousaimerez votre prochain comme vous-même ».Voilà un commandement ; pourtant nous avonsdit qu'il y en a deux dans lesquels se résumenttoute la loi et les prophètes.

CHAPITRE VI. LE BONHEUR DE L'HOMME CONSISTE À AIMER DIEU.

6 Rom. XIII, 9. 10.

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Voyez comme la loi continue à se restreindre,et nous sommes encore négligents ! Voilà que lesdeux préceptes dont Obus parlions se résumenten un seul. Aimez votre prochain, et cela suffit.Mais aimez-le comme vous vous aimez vous-même, et non comme vous vous haïssez vous-même. Aimez votre prochain comme vous-même, mais avant tout aimez-vous vous-même.

6. Il vous reste à chercher comment vousvous. aimez vous-même, et alors vous avez [318]à entendre cette parole : « Vous armerez leSeigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toutevotre âme et de tout votre esprit ». L'homme quin'a pu se créer lui-même, ne peut pas davantagese procurer à lui-même le bonheur. Unepuissance essentiellement distincte de l'homme afait l'homme ; une puissance essentiellementdistincte de lui le rendra heureux. Mais hélas !comme il sent bien qu'il ne peut être heureux parlui-même, il se jette dans l'erreur quand il s'agit dechoisir l'objet dont l'amour pourrait le rendreheureux. Il aime ce qui lui parait devoir luiprocurer le bonheur. Et qu'aime-t-il donc dans cebut ? La richesse, l'or, l'argent, les possessions ;ou pour tout dire en un mot, la richesse. Et eneffet ce nom désigne tout ce que les hommespossèdent sur la terre, tout ce dont ils sont lesmaîtres. Qu'il s'agisse d'esclave, de vase, dechamp, de bois, de troupeau, tout cela s'appellerichesse. Les anciens ont désigné la richesse sous

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le nom de pécule, parce que les troupeaux (pecus)étaient toute leur richesse. Nous lisons que lesanciens patriarches étaient riches en troupeaux. Ohomme, vous aimez donc la richesse ; vous laregardez pour vous comme un principe debonheur et vous lui prodiguez tout votre amour.Vous vouliez aimer votre prochain comme vous-même, partagez donc avec lui vos richesses. Jecherchais ce que vous étiez ; maintenant vousvous êtes vu, vous vous êtes regardé, considéré.Vous n'êtes pas disposé à partager vos richessesavec votre prochain. Mais que me répond labienveillante avarice ? Que me répond-elle ? Si jepartage avec lui, ma part sera plus petite et lasienne aussi ; ce que j'aime se trouvera diminué, nilui ni moi ne posséderons tout ce trésor. Maisparce que je l'aime comme moi-même, je luisouhaite autant de richesses que j'en possède ; decette manière je ne serai privé de rien, et ilpossédera autant que moi.

CHAPITRE VII. L'ENVIE EST UN VICE DIABOLIQUE, ISSU DE L'ORGUEIL.

7. Vous désirez de manière à ne rien perdre,et plût à Dieu que votre parole fût sincère, ou quevotre désir fût véritable 1 En effet je crains envous la jalousie. Si le bonheur des autres vousinquiète et vous tourmente, comment votrefélicité sera-t-elle la félicité commune ? Que votrevoisin commence à s'enrichir, qu'il commence à

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s'élever, à marcher sur vos traces, ne Craignez-vous pas qu'il vous suive, ne craignez-vous pasqu'il vous devance ? Certainement vous aimezvotre prochain comme vous-même. Mais je neparle pas des victimes de l'envie. Que Dieupréserve de cette triste maladie l'esprit de tous leshommes et surtout des chrétiens ; car c'est là unvice réellement diabolique, dont le démon s'estrendu coupable et éternellement coupable. Enprononçant contre le démon la sentence decondamnation, on ne lui a pas dit : Vous avezcommis l'adultère ; vous avez usurpé le biend'autrui il lui fut dit uniquement : parce que vousétiez tombé vous avez porté envie à l'hommeresté debout. L'envie est donc un vice diabolique,mais il a une mère et cette mère c'est l'orgueil.C'est l'orgueil qui fait les envieux. Étouffez lamère et il n'en naîtra aucune fille. Voilà pourquoiJésus-Christ enseigne avec tant de soin l'humilité.Ce n'est donc pas aux envieux que je m'adresse,mais à ceux qui forment de bons désirs. Je parle àceux qui veulent du bien à leurs amis et leur ensouhaitent autant qu'ils en ont eux-mêmes. Parexemple ils désirent pour les pauvres une fortuneaussi grande que la leur ; mais quant à leur donnerune partie de ce qu'ils possèdent, ils s'y refusent.

Vous vous vantez, chrétien, de souhaiter dubien aux autres ? Mais le mendiant vous estsupérieur, puisque n'ayant rien il en désire pourvous davantage. Vous daignez aller jusqu'à

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souhaiter du bien à celui qui ne reçoit rien devous : donnez plutôt quelque chose à celui quivous souhaite du bien. Si c'est une bonne œuvrede désirer du bien aux autres, donnez alors larécompense qu'on mérite. Le pauvre voussouhaite du bien, pourquoi tremblez-vous ? Jevais plus loin ; vous êtes dans la maison de ladiscipline. J'ajoute donc à ce que j'ai dit, donnez àcelui qui vous désire du bien, car il n'est autre queJésus-Christ lui-même. Celui qui vous demande,c'est celui-là même qui vous a donné. Rougissezde honte. Ce riche a voulu être pauvre afin quevous ayez toujours des pauvres à qui vouspuissiez donner. Donnez quelque chose à votrefrère, donnez quelque chose à votre prochain,donnez quelque chose à votre compagnon. Vousêtes riche et il est pauvre. Cette vie, c'est la voievéritable, ne refusez pas de la parcourir ensemble.[319]

CHAPITRE VIII. DIMINUER, PAR L'AUMÔNE, LE FARDEAU DES RICHESSES.

8. Vous me répondez peut-être : Je suis riche,et il est pauvre. Marchez-vous ensemble, oui ounon ? Je suis riche et il est pauvre n'est-ce pascomme si vous disiez : Je suis chargé, et il n'aaucun fardeau ? Je suis riche et il est pauvre. Vousrappelez votre fardeau, vous louez le poids quivous écrase. Ce qui est plus étonnant encore, c'estque vous vous êtes enchaîné à votre fardeau, voilà

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pourquoi vous ne pouvez tendre la main. Vousêtes chargé, vous êtes lié, de quoi donc vousvantez-vous ? pourquoi vous prodiguer deséloges ? Brisez vos chaînes, allégez votre fardeau.En donnant à votre compagnon de voyage, vouslui aidez et vous vous soulagez. Pendant que vousfaites de si pompeux éloges de votre fardeau ;Jésus-Christ est là vous demandant l'aumône et ilne reçoit rien, et pour mieux déguiser la cruautéde vos refus, vous invoquez la tendressepaternelle et vous dites : Ne dois-je pas conserverpour mes enfants ? Je lui présente Jésus-Christ ; ilm'oppose ses enfants. La grande justice à vosyeux, c'est donc que vous puissiez voir vosenfants dans une luxuriante abondance, et votreSeigneur dans la misère ? « Ce que vous faites audernier de mes frères, c'est à moi que vous lefaites ». N'avez-vous jamais ni lu ni pesé cesparoles : « Ce que vous faites au dernier de mesfrères, c'est à moi que vous le faites ?7 ». Vousn'aviez pas lu, vous n'avez pas tremblé ? Voilàcelui qui est dans la détresse et vous m'énumérezvos enfants ? Soit, nombrez-les-moi, maisajoutez-en un à ce nombre, c'est votre Seigneur.Si vous en avez un, qu'il soit le second ; si vous enavez deux, qu'il soit le troisième ; si vous en aveztrois, qu'il soit le quatrième ; rien de tout cela nevous agrée. Voilà comment vous aimez votre

7 Matt. XXV, 40, 45.

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prochain, jusqu'à le rendre participant de votreperdition.

9. Comment vous dire encore que vousaimez votre prochain ? Homme avare, quelleparole ferez-vous entendre à son oreille ? Ne luidirez-vous pas : fils, ou frère, ou père, le bonheurpour nous ici-bas n'est-il pas d'être riche ? Plusvous serez riche, plus vous serez grand aux yeuxdes hommes. Brisez la lune et faites fortune.Voilà ce que vous murmurez à l’oreille de votreprochain ; ce n'est pas là cependant ce que vousavez entendu, ce que vous avez appris dans cettemaison de la discipline.

CHAPITRE IX. ÉVITER LES PERNICIEUX DISCOURS DES AVARES.

Tel n'est point l'amour que je vous demandepour votre prochain. Oh ! si je pouvais obtenir devous séparer à tout jamais de telles personnes !Car « les conversations mauvaises corrompent lesbonnes mœurs8 ». Mais je ne puis espérer quejamais vous ne vous approcherez de qui que cesoit, pour murmurer à son oreille ce honteuxlangage que vous ne voulez pas désapprendre ; etnon-seulement vous ne voulez pas ledésapprendre, mais vous affectez de lecommuniquer aux autres. Je le condamnehautement et je voudrais, mais en vain, mettreentre vous et vos frères une barrière

8 I Cor. XV, 33.

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infranchissable. Eh bien ! je m'adresseraidirectement aux autres, à ceux que vous désirezentretenir, dont vous désirez souiller les oreilles,et par leurs oreilles glisser le venin jusque dansleur cœur. O vous qui recevez la parole de viedans la maison de la discipline, « formez unebarrière d'épines autour de vos oreilles9 ». —« Les conversations mauvaises corrompent lesbonnes mœurs ; formez une barrière d'épinesautour de vos oreilles ». Entourez-les, etentourez-les d'épines, afin que celui qui tenterad'y pénétrer, soit non-seulement repoussé maisencore blessé. Repoussez-le loin de vous. Dites-lui : vous êtes chrétien, je suis chrétien ; et ce n'estpas là ce que nous avons appris dans la maison dela discipline, dans cette école où nous sommesentrés gratuitement, dans l'enseignement de ceMaître dont la chaire est au ciel. Ne me parlez pasainsi, ou ne vous approchez pas de moi. Tel esten effet le sens de ces paroles : « Entourez vosoreilles d'une barrière d'épines ».

10. Maintenant c'est à lui que je m'adresse.Vous êtes avare, vous aimez l'argent : voulez-vousêtre heureux ? Aimez le Seigneur votre Dieu. Larichesse ne vous rend pas heureux ; vous larehaussez de toute votre grandeur, mais elle nevous rend pas heureux. Parce que vous aimezbeaucoup la richesse, je vois que vous allezpartout où vous entraîne l'ardeur de vos désirs ;9 Eccli. XXVIII, 28.

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paresseux, allez donc où la [320] charité vousappelle ; regardez et voyez si notre Dieu n'est pasinfiniment supérieur à la richesse. Ce soleil quinous éclaire est plus beau que votre richesse, etcependant ce soleil n'est pas votre Dieu. Si donccette lumière est plus belle que votre richesse,combien n'est pas plus beau encore celui qui acréé cette lumière ? Voudriez-vous donccomparer votre argent à la lumière ? Que le soleildisparaisse dans la nuit ; alors montrez-moi votreargent. Il brille, mais seulement quand je déjoue lanuit par un flambeau ; voilà que vous êtes riche,montrez-moi vos richesses ; si vous n'avez pas delumière, si vos yeux sont plongés dans l'obscurité,montrez-moi donc où sont vos richesses.

CHAPITRE X. L'AVEUGLEMENT DES AVARES.

Les yeux ne peuvent sonder l'horribleprofondeur de l'avarice, mais l'esprit la mesure ensûreté. Nous avons vu des avares aveugles ; qu'onme dise ce qui les rend aveugles. Qu'il possède ouqu'il ne possède pas, l'avare est un aveugle.Pourquoi ? Parce que, dès là qu'il croit posséder ilest aveugle. C'est sa croyance qui le rend riche, ilest donc riche parce qu'il croit l'être et non parcequ'il le voit. Combien plus sûrement la foi nousélève vers Dieu ! Vous ne voyez pas ce que vouspossédez, et c'est Dieu même que je vous prêche.Vous ne voyez pas encore ; aimez et vous verrez.Aveugle que vous êtes, vous aimez l'argent que

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vous ne verrez jamais. Vous possédez en aveugle,vous mourrez en aveugle, et vous laisserez ici-basce que vous y possédez. Même pendant votre vie,vous ne possédiez pas, puisque vous ne voyiezpas ce que vous aviez.

11. Et sur Dieu, que vous est-il dit ? Écoutezce mot de la sagesse ; aimez Dieu « commel'argent10 ». C'est une infamie et un outrage décomparer la sagesse à l'argent : mais ici on secontente de comparer l'amour à l'amour. En effetje vous vois épris d'un tel amour pour là richesseque sur son ordre vous entreprenez les travaux lesplus pénibles, vous supportez le jeûne, voustraversez la mer, vous vous confiez aux vents etaux flots. Je sais ce que vous pourriez aimer, maisje ne sais pas ce que je pourrais ajouter à l'amourqui vous possède. Aimez-moi de cette manière, jene ceux pas être aimé davantage, dit le Seigneur.

C'est aux hommes injustes et avares que jem'adresse : vous aimez l'argent, rendez-moi lemême amour. Sans doute je suis infinimentsupérieur à la richesse, mais je ne vous demandequ'un amour égal ; aimez-moi, autant que vousaimez l'argent. Du moins rougissons de honte,confessons notre crime et frappons-nous lapoitrine, au lieu d'étendre sur nos péchés un pavéde pierre ou de marbre. Celui qui frappe sapoitrine et ne se corrige pas, consolide ses péchéset ne les détruit pas. Frappons notre poitrine,10 Prov. II, 4.

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blessons-nous, corrigeons-nous nous-mêmes, sinous ne voulons pas que celui qui est notremaître nous frappe à son tour. Jusque-là nousavons dit ce que nous devons apprendre, disonsmaintenant pourquoi nous devons l'apprendre.

CHAPITRE XI. APPRENDRE LES LETTRES DANS

UN BUT TEMPOREL.

12. Pourquoi êtes-vous allé à l'école ?pourquoi avez-vous été frappé, conduit par vosparents, recherché dans votre fuite, ramené parforce et appliqué à l'instrument de pénitence ?Pourquoi avez-vous été frappé ? pourquoi toutesces violences que vous avez dû subir dans votrejeunesse ? Pour vous forcer d'apprendre.Qu'appreniez-vous ? Les lettres. Pourquoi ? pouracquérir des richesses, ou des honneurs etparvenir aux plus hautes dignités. Voyez commeune simple chose qui doit périr, doit entraînerégalement votre perdition ; combien desouffrances vous avez subies pour apprendre unechose périssable, et pourtant vous étiezréellement aimé de celui qui vous soumettait à cesrudes épreuves ; celui qui vous faisait frappervous aimait, et l'on vous frappait pour vousforcer à apprendre quoi ? les lettres. Les lettressont-elles bonnes ? Sans aucun doute. Je sais quevous allez me dire vous autres, évêques, n'avez-vous pas lu les lettres ? ne traitez-vous pasmaintenant des saintes Écritures à l'aide de la

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littérature ? Assurément ; mais ce n'est pasprécisément dans ce but que nous avons apprisles lettres. Nos parents, quand ils nous envoyaientà l'école, ne nous disaient pas : Apprenez leslettres afin que vous puissiez lire les lois duSeigneur. Même les chrétiens ne tiennent pas celangage à leurs enfants. Que leur disent-ils ?Apprenez les lettres. Pourquoi ? Afin que voussoyez hommes. Et pourquoi donc ? Est-ce que jesuis [321] un animal ? Non, mais je vous disd'apprendre afin que vous deveniez homme,c'est-à-dire afin que vous puissiez briller parmi leshommes. De là ce proverbe : Plus vous aurez,plus vous serez grand. Ayez donc autant que lesautres, ou autant que le petit nombre ; plus queles autres ou plus que le petit nombre ; à ce prixvous obtiendrez des honneurs et des dignités. Etque deviendra tout cela quand la mort aura sonnéson heure ? La mort serait-elle un stimulant, etcette crainte une puissante excitation ? Commentce mot que je viens de prononcer a-t-il le privilègede frapper tous les cœurs ? Comment vosgémissements viennent-ils attester la crainte quivous obsède ? J'ai entendu, parfaitemententendu ; vous avez gémi, vous craignez la mort.Si vous la craignez, pourquoi ne l'évitez-vouspas ? Vous craignez la mort ; pourquoi craignez-vous ? Elle viendra ; que je la craigne, que je ne lacraigne pas, elle viendra ; tôt ou tard elle viendra.

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Quoique vous la craigniez, vous ne ferez pas quevous n'ayez plus rien à craindre.

CHAPITRE XII. LA BONNE MORT PRÉPARÉE PAR UNE BONNE VIE.

13. Craignez plutôt ce qui ne dépend que devotre volonté. Quoi donc ? Le péché. Craignez depécher, parce que si vous aimez le péché vousencourrez la mort éternelle, que vous n'auriez pasà redouter si vous n'aimiez pas le péché. Maistelle est votre perversion que vous aimez mieux lamort que la vie. Dieu m'en garde, dites-vous.Quel est donc l'homme qui aime plus la mort quela vie ? Peut-être vais-je vous convaincre que vousaimez plus la mort que la vie. Voici le moyen quej'emploie. Vous aimez votre tunique et parconséquent vous voulez qu'elle soit bonne ; vousaimez votre villa et vous voulez qu'elle soitbonne ; vous aimez votre fils et vous voulez qu'ilsoit bon ; vous aimez votre ami et vous voulezqu'il soit bon ; vous aimez votre maison et vousvoulez qu'elle soit bonne. Que voulez-vous doncquand vous désirez également que votre mort soitbonne ? Comme vous devez mourir, chaque jourvous priez Dieu de vous donner une bonnemort ; et vous dites, que Dieu me préserve d'unemort mauvaise. Vous aimez donc plus votre mortque votre vie. Vous craignez de mal mourir, etvous ne craignez pas de mal vivre. Abstenez-vousde mal vivre, et craignez de mal mourir. Ou

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plutôt ne le craignez pas, car on ne peut malmourir quand on a bien vécu.

Je le répète, j'ose le dire, car « ayant cru j'aiparlé » : on ne peut mal mourir quand on a bienvécu. Voici que vous vous dites à vous-même :beaucoup de justes n'ont-ils pas péri dans lesnaufrages ? On ne peut mourir mal, quand on abien vécu ? Beaucoup de justes ne sont-ils pastombés sous le glaive des ennemis ? On ne peutmourir mal, quand on a bien vécu ? Beaucoup dejustes ne sont-ils pas tombés sous les coups desassassins, ou n'ont-ils pas été dévorés par lesbêtes féroces ? On ne peut mourir mal, quand ona bien vécu ? Je te réponds : Périr dans unnaufrage, être percé d'un glaive ou dévoré par lesbêtes féroces, est-ce donc là ce qui te paraît unemort mauvaise ? Ce genre de mort n'a-t-il doncpas été souvent celui des martyrs dont nouscélébrons la naissance au ciel ? A quel genre demort n'ont-ils pas été condamnés ? Et cependantsi nous sommes chrétiens, si nous n'oublions pasque nous sommes dans la maison de la discipline,si en sortant d'ici nous n'oublions pas que nous ysommes venus, si nous nous souvenons desvérités que nous y avons entendues, est-ce quenous ne célébrons pas la mort des martyrs ?Cherchez quelle fut la mort des martyrs ;interrogez les yeux de la chair : leur mort a étémauvaise. Mais interrogez les yeux de la foi : « La

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mort des saints est précieuse devant Dieu11 ». Sidonc vous imitiez les saints, vous ne trouveriezplus rien à redouter dans la mort. Travaillez àmener une bonne vie ; et dans quelquecirconstance que vous sortiez de ce corps, vousen sortez pour le repos, vous en sortez pour unbonheur qui ne sera mêlé d'aucune crainte etn'aura pas de fin. On aurait pu croire très-bonnela mort du mauvais, riche expirant dans lapourpre et dans le lin ; mais quelle affreuse mortque celle d'un malheureux dévoré par la soif etdemandant à grands cris une goutte d'eau, du seinde ses tourments ! On aurait pu croire mauvaisela mort du pauvre Lazare expirant près de la portedu riche, léché par les chiens, et désirant pour-apaiser sa soif et sa faim les miettes qui tombaientde la table du riche mort malheureuse, mortredoutable. Voyez la fin ; vous êtes chrétien,ouvrez les yeux de la foi : « Le pauvre mourutaussi et fut porté par les anges dans le seind'Abraham ». Au riche [322] dévoré de soif dansles enfers, que lui importait un tombeau demarbre ? Que faisaient au pauvre ses haillons etses ulcères, pendant qu'il repose dans le seind'Abraham ? Le riche aperçut de loin, dans sonrepos, le pauvre qu'il avait méprisé gisant à laporte de son palais12. Choisissez entre ces deuxmorts ; dites-moi quel est celui des deux qui a fait

11 Ps. CXV, 10, 15.12 Luc, XVI, 19-24.

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une bonne mort, quel est celui qui en a fait unemauvaise ? Il me semble que la mort du pauvreest de beaucoup préférable à celle du riche.Tenez-vous à être enseveli dans les aromates, et àsentir la soif vous dévorer en enfer ? Non, merépondez-vous. Du moins je suppose que telle estvotre réponse. Donc vous apprendrez à bienmourir si vous apprenez à bien vivre. Larécompense d'une bonne vie est une récompenseéternelle.

CHAPITRE XIII. LES BONS ET LES MAUVAIS AUDITEURS.

14. Ceux qui s'instruisent prouvent qu'ils sontchrétiens ; ceux qui écoutent et ne s'instruisentpas, quel intérêt inspirent-ils au semeur ? Ni ladureté du chemin, ni les pierres, ni les épinesn'effraient la main du semeur qu'il jette ce qui luiappartient. Celui qui craint que la semence netombe sur une terre mauvaise, s'arrête avantd'arriver à la bonne terre. Nous, du moins, nousparlons, nous jetons et dispersons la semence.Parmi nos auditeurs il en est qui méprisent, il enest qui se plaignent, il en est qui rient. Si nouscraignons tous ces auditeurs, il ne nous est pluspossible de semer et nous devons nous attendre àmourir de faim à la moisson. Que la semencearrive donc jusqu'à la bonne terre. Je sais quecelui qui écoute et qui écoute sérieusement senten lui quelque chose défaillir et quelque alose

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progresser ; il déchoit à l'iniquité et il progressedans la vérité ; il déchoit au siècle, et il fait desprogrès vers Dieu.

CHAPITRE XIV. QUEL EST LE VÉRITABLE MAITRE ?

15. Quel est, en effet, le maître qui nousenseigne ? Ce n'est point tout homme, quel qu'ilsoit, mais un apôtre. Et encore, si c'est l'Apôtrequi parle, ce n'est pas lui qui enceigne. « Est-ceque vous voulez éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle par ma bouche13 ? » C'est Jésus-Christ qui enseigne, et il a sa chaire au ciel,comme je le disais il n'y a qu'un instant. Son écoleest sur la terre, et cette école c'est son corps. Latête instruit les membres, la langue parle auxpieds. C'est Jésus-Christ qui enseigne : écoutons,craignons, obéissons. Gardez-vous de mépriserJésus-Christ lui-même, car c'est pour vous qu'ilest né dans la chair, se revêtant des baillons denotre mortalité ; c'est pour vous qu'il a eu faim etsoif, pour vous qu'il s'est assis fatigué sur lesbords du puits ; pour vous que fatigué il s'estendormi dans la barque ; pour vous qu'il a reçudes injures atroces ; pour vous qu'il s'est laissécracher au visage ; pour vous qu'il a été souffleté ;pour vous qu'il a été attaché sur la croix ; pourvous qu'il est mort, pour vous qu'il a été déposédans le tombeau. Serait-ce tout cela que vous

13 II Cor. XIII, 3.

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mépriseriez en Jésus-Christ ? Voulez-vous savoirqui il est ? Rappelez-vous l'Évangile que vousavez entendu : « Mon Père et moi nous sommesun14 ».

16. Unis au Seigneur, prions-le pour nous-mêmes et pour tout ce peuple réuni avec nousdans la demeure du Tout-Puissant ; demandonsqu'il daigne garder et protéger ce peuple, par sonFils Jésus-Christ Notre-Seigneur qui vit et règneavec lui dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

14 Jean, X, 30.

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